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271 Le praticien en anesthésie réanimation © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Correspondance : Frank Brunkhorst, Department of Anaesthesiology and Intensive Care Medicine, Friedrich-Schiller-University Jena, Germany, Erlanger Allee 101, 07743 Jena, Germany. [email protected] Le changement de la signification de l’hyperglycémie en soins intensifs 1 L’hyperglycémie est une anomalie biologique fréquente en unité de soins intensifs. Elle est provoquée par une insulinorésistance dans le foie et le muscle qui survient alors même que les patients sont indemnes de diabète. Les affections graves ou les traumatis- mes sont responsables d’une agression qui majore la production hépatique de glucose, même en présence d’une hyperglycémie, et induit une libération importante d’insuline. Dans le passé, l’hyper- glycémie a été considérée comme une réponse adaptative, néces- saire à la production de glucose en réponse à un besoin métabolique augmenté au niveau du cerveau, des hématies et des tissus cicatri- ciels. On ne la traitait lorsqu’elle excédait 12 mmol/l. Cependant, de plus en plus d’arguments laissent penser que le glucose per se paralyse la réponse immunitaire. Une étude rétrospective portant sur 2 030 patients adultes admis dans un hôpital général a mis en évidence une hyperglycémie (définie comme une glycémie à jeun > 7 mmol/l ou une glycémie au hasard > 11,1 mmol/l) chez 38 % des patients, parmi lesquels un tiers n’avait aucun antécédent de diabète. La mortalité en soins intensifs est plus élevée chez les 1. Pour convertir les valeurs de la glycémie en milligramme par décilitre, multiplier par 18. mise au point Contrôle de la glycémie en unité de soins intensifs. Y a-t-il suffisamment de preuves ? Frank Brunkhorst (photo), Christiane Hartog patients qui ont une hyperglycémie de novo, par comparaison aux patients diabétiques ou aux patients normoglycémiques (31 % vs. 11 %) (1). Van den Berghe et coll. ont effectué une étude clé qui démon- trait que le contrôle de la glycémie par une insulinothérapie intensive (objectif : 4,4-6,1 mmol/l) diminuait la mortalité et la morbidité dans une série de 1 548 patients de soins intensifs en ventilation contrôlée, dont 71 % était hospitalisés après chi- rurgie cardiaque ; 13 % des patients avaient un diabète préexistant. La réduction absolue de la mortalité était de 3,8 % (4,6 % dans le groupe sous insulinothérapie intensive contre 8,0 % dans le groupe traité de façon conventionnelle n = 765 ; p < 0,04). La réduction de la mortalité était plus marquée dans le sous-groupe de patients qui avaient été hospitalisés plus de 5 jours en soins inten- sifs (10,6 % sous insulinothérapie intensive contre 20,2 % dans le groupe traité de façon conventionnelle, p = 0,005), chez les patients ayant un score APACHE II entre 8 et 15 et chez les patients qui avaient une défaillance multiple d’organes de cause septique avérée (2). Savoir si les effets bénéfiques concernant la morbidité et la morta- lité sont dus à la normalisation de la glycémie ou à l’insuline et à ses effets anti-inflammatoires reste un sujet de controverse. À par- tir d’une régression logistique multivariée de leurs données, Van den Berghe et coll. concluaient que c’est plus le contrôle de la gly- cémie que la dose d’insuline qui était en relation avec la réduction de la mortalité (p < 0,0001) (3). Il est intéressant de noter que les effets de l’insulinothérapie intensive étaient indépendants de la nutrition. De tous les patients qui sont restés en soins intensifs plus de 5 jours — le groupe dans lequel l’insulinothérapie s’est associée à une baisse de la mortalité de — 60 % recevaient une ali- mentation entérale et parentérale combinée, comprenant jusqu’à 68 % de la nutrition par voie entérale. L’insulinothérapie intensive a réduit la mortalité de 18,8 % à 10,2 % (p < 0,005) dans l’alimen- tation entérale et parentérale et de 23,3 % à 11,1 % (p < 0,005) dans un groupe alimentation parentérale exclusive. Les effets de l’insulinothérapie intensive ont été aussi observés indépendam- ment du régime alimentaire (3).

Contrôle de la glycémie en unité de soins intensifs. Y a-t-il suffisamment de preuves ?

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Page 1: Contrôle de la glycémie en unité de soins intensifs. Y a-t-il suffisamment de preuves ?

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Le praticien en anesthésie réanimation© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Correspondance :

Frank Brunkhorst, Department of Anaesthesiology and Intensive Care Medicine,Friedrich-Schiller-University Jena, Germany, Erlanger Allee 101, 07743 Jena, [email protected]

Le changement de la signification

de l’hyperglycémie en soins intensifs

1

L’hyperglycémie est une anomalie biologique fréquente en unitéde soins intensifs. Elle est provoquée par une insulinorésistancedans le foie et le muscle qui survient alors même que les patientssont indemnes de diabète. Les affections graves ou les traumatis-mes sont responsables d’une agression qui majore la productionhépatique de glucose, même en présence d’une hyperglycémie, et

induit une libération importante d’insuline. Dans le passé, l’hyper-glycémie a été considérée comme une réponse adaptative, néces-saire à la production de glucose en réponse à un besoin métaboliqueaugmenté au niveau du cerveau, des hématies et des tissus cicatri-ciels. On ne la traitait lorsqu’elle excédait 12 mmol/l. Cependant,de plus en plus d’arguments laissent penser que le glucose

per se

paralyse la réponse immunitaire. Une étude rétrospective portantsur 2 030 patients adultes admis dans un hôpital général a mis enévidence une hyperglycémie (définie comme une glycémie à jeun> 7 mmol/l ou une glycémie au hasard > 11,1 mmol/l) chez 38 %des patients, parmi lesquels un tiers n’avait aucun antécédent dediabète. La mortalité en soins intensifs est plus élevée chez les

1. Pour convertir les valeurs de la glycémie en milligramme par décilitre, multiplier par 18.

mise au point

Contrôle de la glycémie en unité de soins intensifs. Y a-t-il suffisamment de preuves ?

Frank Brunkhorst (photo), Christiane Hartog

patients qui ont une hyperglycémie de novo, par comparaison auxpatients diabétiques ou aux patients normoglycémiques (31 %

vs

.11 %) (1).

Van den Berghe et coll. ont effectué une étude clé qui démon-trait que le contrôle de la glycémie par une insulinothérapieintensive (objectif : 4,4-6,1 mmol/l) diminuait la mortalité etla morbidité dans une série de 1 548 patients de soins intensifsen ventilation contrôlée, dont 71 % était hospitalisés après chi-rurgie cardiaque ; 13 % des patients avaient un diabète préexistant.La réduction absolue de la mortalité était de 3,8 % (4,6 % dansle groupe sous insulinothérapie intensive contre 8,0 % dans legroupe traité de façon conventionnelle n = 765 ; p < 0,04). Laréduction de la mortalité était plus marquée dans le sous-groupe depatients qui avaient été hospitalisés plus de 5 jours en soins inten-sifs (10,6 % sous insulinothérapie intensive contre 20,2 % dans legroupe traité de façon conventionnelle, p = 0,005), chez les patientsayant un score APACHE II entre 8 et 15 et chez les patients quiavaient une défaillance multiple d’organes de cause septiqueavérée (2).

Savoir si les effets bénéfiques concernant la morbidité et la morta-lité sont dus à la normalisation de la glycémie ou à l’insuline et àses effets anti-inflammatoires reste un sujet de controverse. À par-tir d’une régression logistique multivariée de leurs données, Vanden Berghe et coll. concluaient que c’est plus le contrôle de la gly-cémie que la dose d’insuline qui était en relation avec la réductionde la mortalité (p < 0,0001) (3). Il est intéressant de noter que leseffets de l’insulinothérapie intensive étaient indépendants de lanutrition. De tous les patients qui sont restés en soins intensifsplus de 5 jours — le groupe dans lequel l’insulinothérapie s’estassociée à une baisse de la mortalité de — 60 % recevaient une ali-mentation entérale et parentérale combinée, comprenant jusqu’à68 % de la nutrition par voie entérale. L’insulinothérapie intensivea réduit la mortalité de 18,8 % à 10,2 % (p < 0,005) dans l’alimen-tation entérale et parentérale et de 23,3 % à 11,1 % (p < 0,005)dans un groupe alimentation parentérale exclusive. Les effets del’insulinothérapie intensive ont été aussi observés indépendam-ment du régime alimentaire (3).

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Contrôle de la glycémie en unité de soins intensifs. Y a-t-il suffisamment de preuves ?

Les patients hospitalisés en réanimation médicale bénéficient-ils aussi d’une baisse de la glycémie ?

Krinsley et coll. ont évalué, dans une étude non randomisée

avec

une cohorte historique de patients témoins, le devenir de800 patients

consécutifs avant et après la mise en œuvre d’uncontrôle étroit de la glycémie, visant des valeurs < 7,7 mmol/l. Cesvaleurs, moins strictes que les précédentes, ont été choisiespour éviter les hypoglycémies. La glycémie a été en moyenne de7,3 mmol/l et la mortalité est passée de 20,9 % à 14,8 % (p = 0,002),avec une diminution de l’incidence des défaillances d’organe,une réduction du nombre de transfusion et une durée de séjouren soins intensifs moindre par rapport au groupe historique (4).Ces résultats suggéraient que même une diminution modérée

de la glycémie pouvait avoir un impact sur le devenir des patients.

Cependant, ces résultats n’ont pas été confirmés par ceux d’uneétude monocentrique effectuée par Van den Berghe, étude quiincluait 1 200 patients hospitalisés en réanimation médicale(5) ; 16 % de ces patients avaient un diabète préexistant.L’insulinothérapie intensive a abaissé la mortalité dans un sous-groupe de patients hospitalisés en soins intensifs pendant plusde 3 jours (de 38,1 % à 31,3 %, réduction du risque absolu de6,8 % ; p < 0,02). La mortalité hospitalière a été réduite, pas-sant de 52,5 % à 43 % (réduction du risque absolu de 9,5 % ;p < 0,02). Cependant, aucune différence n’a pu être démontréelors de l’analyse en intention de traiter, chez ces 1 200 patients.De plus, parmi les 433 patients qui ont séjourné en soins inten-sifs moins de 3 jours, la mortalité était supérieure dans le groupetraité par insulinothérapie intensive. Certaines comorbidités(insuffisance rénale, durée de la ventilation contrôlée) étaientmoins fréquentes dans le groupe insulinothérapie intensive, tan-dis que d’autres (bactériémies) étaient comparables. Dans cetteétude, l’insulinothérapie intensive paraissait bénéficier auxpatients dont le séjour en réanimation durait plus de quelquesjours mais, pour des raisons obscures, elle était délétère pour lescourts séjours. Malheureusement, il était impossible de distin-

guer ces patients

a priori

.

Les patients souffrant d’un sepsis sévèreou en état de choc septique bénéficient-ils d’une baisse de la glycémie ?

Dans une étude muticentrique récente effectuée par le réseau alle-mand SepNet, l’efficacité et la sécurité de l’insulinothérapie inten-

sive (objectif : 4,4-6,1 mmol/l) ont été testées par comparaisonau traitement conventionnel chez 600 patients souffrant d’un sepsissévère ou d’un choc septique (VISEP-Study ;

www.clinicaltrials.org

).Cette étude a été interrompue en avril 2005 après l’inclusion de448 patients, sur recommandation du comité sécurité, en raisond’une incidence élevée (12,1 % contre 2,1 %) d’hypoglycémie

(

 2,2 mmol/l) dans le groupe sous insulinothérapie intensive avec

une différence de mortalité à 28 et 90 jours (21,9

vs

. 21,6 % ;p = 1,0 et 32,8 %

vs

. 29,5 % ; respectivement ; p = 0,43) (6). L’inci-dence des hypoglycémies était encore plus élevée après fermeturede la base de données en août 2005 (17,6 %

vs

. 4,5 %).

Études en cours

Deux études portant sur des collectifs de patients encore plusgrands sont en cours de réalisation. L’essai GLUControl randomise3 500 patients médicaux et chirurgicaux dans plusieurs payseuropéens et compare insulinothérapie conventionnelle et inten-sive. L’essai multicentrique NICE-SUGAR (Normoglycemia inIntensive Care Evaluation and Survival Using Glucose AlgorithmRegulations) randomise 4 500 patients médicaux et chirurgicauxen Australie, Nouvelle Zélande et Canada pour évaluer l’intérêt

d’un contrôle glycémique étroit

2

.

Contrôle de la glycémie chez les sujets diabétiques hospitalisés en réanimation

Plusieurs études ont souligné la nécessité de cibler le contrôle de laglycémie chez les diabétiques hospitalisés en réanimation. Malm-berg et coll. ont montré que la mortalité à 1 an, chez des diabéti-ques ayant fait un infarctus du myocarde, chutait de 26,1 % dans legroupe de patients traités de façon conventionnelle à 18,6 % dansle groupe traité activement par l’insuline. Dans un sous-groupe depatients non antérieurement traités par l’insuline, celle-ci réduisaitla mortalité à 5 ans de 51 % (7). Dans une étude suivante (DIGAMI2),aucun impact sur la mortalité n’a pu être mis en évidence, mais lesvaleurs de glycémie escomptées n’avaient pas été atteintes dans legroupe traité par insuline (8). Les indications de la perfusiond’insuline chez les diabétiques adultes ont été résumées dans undocument récent (2004) de l’American Diabetes Association (9). En

2. Ces deux essais sont accessibles sur

http://clinicaltrials.gov

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Frank Brunkhorst, Christiane Hartog

dehors de l’indication classique que représente l’acidocétose diabé-tique (recommandation de grade A), les recommandations de gradeélevé sur l’administration d’insuline concernent les patients ayantun infarctus du myocarde ou un choc cardiogénique (grade A) et lapériode postopératoire après chirurgie cardiaque (grade B). Dansune méta-analyse récente colligeant 35 études randomisées effec-tuées chez des patients adultes de réanimation, l’insulinothérapie aréduit la mortalité à court terme de 15 % (risque relatif 0,85 ; inter-valle de confiance à 95 %, 0,75-0,97) (10). En associant les étudesqui incluent des patients diabétiques, qu’ils soient ou non traitéspar insuline avant hospitalisation, on peut montrer un bénéfice del’insulinothérapie sur la mortalité (RR, 0,73 ; IC 95 %, 0,58-0,90). Ilexiste aussi un bénéfice de l’insulinothérapie dans les études quiexcluent les patients souffrant de diabète non insulinodépendant,mais cet effet est moindre (RR, 0,81 ; IC 95 %, 0,68-0,98). En revan-che, aucun bénéfice de l’insuline n’a été constaté dans les étudesqui excluaient tous les patients ayant des antécédents de diabète(RR, 0,91 ; IC 95 %, 0,75-1,11).

Contrôle de la glycémie par diminution des apports nutritionnels caloriques

de préférence à l’administration de glucose ?

Selon certains experts, particulièrement aux États-Unis, la réductionde la quantité de glucose administrée pourrait être une approcheplus prudente du problème. Cependant, la réticence à nourrir lespatients, particulièrement en pré- et postopératoire, se fondeplus sur la tradition que sur des données objectives. Les étudesnutritionnelles effectuées en réanimation sont de qualité médio-cre sur le plan méthodologique, si on les compare à d’autres tra-vaux portant sur d’autres sujets (infections par exemple) (11).On manque encore de données tangibles pour recommander soitun apport lipidique élevé soit un apport carbohydraté faible oul’inverse dans le cadre d’une alimentation entérale chez lespatients de réanimation (12). Des données nouvelles sont atten-dues dans ce domaine.

Préoccupations grandissantes à propos de l’hypoglycémie

L’hypoglycémie survient spontanément chez les patients hospitalisés,même en l’absence de diabète et d’insulinothérapie. Kagansky et coll.ont trouvé que, parmi 5 404 patients (> 70 ans), 281 (5,2 %) avaientsouffert d’hypoglycémie (< 3,3 mmol/l ou 60 mg/dl). Parmi les fac-teurs de risque, celui qui comortait le plus fort coefficient était le sep-

sis (odds ratio 6,4, IC 95 % 2,3-17,3). La mortalité hospitalière et lamortalité à 3 mois étaient doubles dans le groupe hypoglycémique(p < 0,01). Cependant, l’hypoglycémie elle-même n’était pas un fac-teur prédictif de la mortalité mais plus un marqueur d’une majorationdu risque (13).

Dans la « vraie vie », le renforcement

de l’insulinothérapie sans éducation préalable des personnels

et des contrôles plus fréquentsde la glycémie, peuvent majorer

le risque d’hypoglycémie

La forte incidence des hypoglycémies n’est pas sans préoccuper lesréanimateurs. Dans son étude sur le contrôle de la glycémie, Vanden Berghe a rapporté une augmentation de l’incidence des hypo-

glycémies (définies comme une glycémie

 40 mg/dl ou2,2 mmol/l) de 5,1 % (39 patients) dans le groupe traité par insu-linothérapie intensive contre 1,02 % (6 patients) dans le groupetémoin (p < 0,009) (2).

Dans leur nouvelle étude portant sur des affections plus graves,ces mêmes auteurs ont retrouvé une incidence plus grande encorede l’hypoglycémie : 7,0 % (111 patients) dans le groupe sousinsulinothérapie intensive contre 3,1 % (19 patients) dans legroupe témoin (p < 0,001) et 25,1 % (97 patients) contre 3,9 %(15 patients) chez les patients restant en réanimation plus de3 jours (p < 0,001). Cette information n’est malheureusementdonnée que dans le supplément électronique de la revue (5).

Dans une étude du groupe de Cambridge, non encore publiée,le contrôle de la glycémie, effectué au lit du patient par les infirmières

objectivait une valeur moyenne de 7,0 

±

 2,4 mmol/l mais aussi unchiffre de glycémie < 2,2 mmol/l (définissant l’hypoglycémie) dans42 % des cas (14). Selon des données non publiées provenant desPays Bas les hypoglycémies seraient plus fréquentes et plus sévèresquand le contrôle est effectué par les infirmières. Dans les deux étu-des effectuées en réanimation, on notait plus d’hypoglycémies modé-rées (< 4,4 mmol/l) (respectivement 10,0 % contre 29,4 % dans lapremière étude et 14,4 % contre 19,9 % dans la seconde) et plus

d’hypoglycémies sévères (< 2,2 mmol/l) (0,9 %

vs

4,0 % ; et 1,6 %

vs

3,3 %) après l’introduction de l’insulinothérapie intensive que dansles années précédentes. L’âge avancé, un score APACHE II élevé et unmauvais état général du patient à l’admission étaient des facteurs derisque d’hypoglycémie. Les auteurs concluaient que dans la « vraievie », le renforcement de l’insulinothérapie sans éducation préalable

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Contrôle de la glycémie en unité de soins intensifs. Y a-t-il suffisamment de preuves ?

des personnels et sans augmenter la fréquence des contrôles de la gly-cémie pouvaient majorer le risque d’hypoglycémie (15).

Cependant, à ce jour, l’impact de l’hypoglycémie sur la morbi-dité et la mortalité reste inconnu. L’étude allemande VISEP a étéinterrompue précocement sur la constatation d’une augmenta-tion de 2,1 % (avec le traitement conventionnel) à 12,1 % (avecl’insulinothérapie intensive) de la fréquence des hypoglycémiesen réanimation. Une analyse multivariée a montré que lespatients les plus âgés étaient particulièrement exposés à ce ris-que. Cependant, aucun décès imputable à l’hypoglycémie n’aété à déplorer (5).

La pratique habituelle en réanimation

Peu d’intervention thérapeutiques ont attiré aussi vite l’attention descliniciens que « l’insulinothérapie intensive » et « l’administrationde faibles doses de corticoïdes ». Ces attitudes thérapeutiques se sontrapidement répandues dans la plupart des réanimations, alors queles preuves de leur intérêt reposaient sur des études monocen-triques. Une étude épidémiologique récente effectuée par leréseau de recherche SeptNet a évalué les pratiques de 454 réanima-tions en Allemagne, sur un total de 2 075. Les responsables deces réanimations ont été les correspondants de l’audit. Tandisque les deux tiers d’entre eux prétendaient utiliser toujours ou fré-quemment l’insulinothérapie chez les patients en sepsis sévère,une évaluation sur dossiers effectuée le même jour montraitque le contrôle de la glycémie était étroit (4,4-6,1 mmol/l) dans8 % des cas, et modéré (4,4-8,3 mmol/l) dans 34 % des cas. Seu-lement la moitié des patients en sepsis sévère avaient reçu effecti-vement de l’insuline intraveineuse. La glycémie moyenne chez

ces patients était de 11,0 

±

 3,9 mmol/l, et 95 % avaient desvaleurs de glycémie > 4,4 mmol/l. Chez les patients non traitéspar insuline, la glycémie moyenne était de 8,2 

±

 2,3 mmol/l et82,5 % avaient une glycémie > 6,1 mmol/l (16).

Les croyances et les attitudes concernant le contrôle de la glycé-mie ont été évaluées dans une étude multicentrique canadienneeffectuée par McCullin et coll. : 4 mmol/l était considéré commele seuil clinique de l’hypoglycémie (valeur médiane ; intervallede confiance 3-4 mmol/l) ; le seuil de l’hyperglycémie chez lesdiabétiques et les non-diabétiques était estimé à 10 mmol/l(intervalle de confiance 9-12 mmol/l). Par rapport aux méde-cins, les infirmières donnaient une estimation plus élevée duseuil et se sentaient plus concernées par l’augmentation de lafréquence des mesures, le délai de retour des résultats de labo-ratoires et la disponibilité des glucomètres (17).

Fiabilité des glucomètres et problèmesliés à l’augmentation de la fréquencedes mesures

Selon une étude canadienne récente, plus de 90 % des médecins et80 % des infirmières souhaitaient que plus d’attention soit portée aucontrôle de la glycémie. La fiabilité des glucomètres était égalementune préoccupation des infirmières (17) qui soulignaient l’intérêt decomparer les limites d’agréments entre les mesures faites au labora-toire et au lit du patient (18, 19) et la fiabilité des mesures effectuées

à partir d’un même échantillon, c’est-à-dire le coefficient de variation.

En effet, une des manières d’améliorer la compliance aux protocolesd’insulinothérapie consiste à disposer de points de mesure fiablesdans l’unité. Cependant, à la différence des États-Unis, il n’existe pasen Europe de standard de qualité pour les mesures faites au lit dupatient. Malheureusement, les glucomètres utilisés à l’origine pour lecontrôle de la glycémie à domicile chez les diabétiques ne remplissentpas le cahier des charges pour effectuer des contrôles de glycémie enréanimation car les différentes méthodes utilisées (glucosoxydase— hexokinase — deshydrogénase) sont influencées par plusieursperturbations observées chez les patients de réanimation tellesque la baisse de l’hématocrite, la baisse de la saturation en oxygèneet par les agents tels que la dopamine (8). Les glucomètres actuelle-ment disponibles sont peu précis (coefficient de variation > 20 %) etpeu sensibles dans les limites de la glycémie normale, et il faut doncbien veiller à ne pas utiliser un dispositif qui manque de fiabilitépour détecter une hypoglycémie. À notre connaissance, le système

Hemocue

®

(HemoCue AB Sweden) est le seul dispositif actuellementcommercialisé pouvant être utilisé en réanimation (20).

Le second problème est que le contrôle de la glycémie est d’abordlaissé aux infirmières, sans que les médecins interviennent à chaqueajustement. Des données préliminaires provenant d’une grande étudeeffectuée par le réseau SepNet ont indiqué que l’importance d’uncontrôle glycémique était admise par l’ensemble de l’équipe,mais que les infirmières étaient plus concernées par la fréquence desmesures et par leur fiabilité, c’est-à-dire par les aspects pratiquesdu contrôle de la glycémie. De plus, pour obtenir le niveau désiré deglycémie dans de bonnes conditions, permettant d’améliorer la mor-bidité et la mortalité, le ratio infirmière/patient doit être adapté à lacharge de travail supplémentaire que cette mesure représente.

Recommandations actuelles

Une analyse de Kaplan-Meier

post hoc

, portant sur le risquecumulé de décès à l’hôpital chez les patients séjournant en réa-nimation plus de 5 jours a montré qu’il était en rapport avec la

Page 5: Contrôle de la glycémie en unité de soins intensifs. Y a-t-il suffisamment de preuves ?

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Frank Brunkhorst, Christiane Hartog

glycémie, c’est-à-dire qu’il était plus élevé pour des glycémies> 8,3 mmol/l (p = 0,0009) et plus faible pour des glycémiescomprises entre 6,1-8,3 mmol/l et < 6,1 mmol/l (p = 0,26) (3). Pourchaque augmentation de 1,1 mmol/l, le risque de décès augmentaitde 30 %. En d’autres termes, pour une glycémie de 11,0 mmol/l, lerisque de décès était 2,5 fois plus élevé que pour une glycémiede 5,5 mmol/l (3).Les recommandations instituées dans le cadre de la campagne« Survivre au Sepsis » pour la prise en charge des infections sévèreset des chocs septiques indiquent qu’« il n’y a aucune raison depenser que ces données

(les résultats de l’étude Van den Berghe)

ne sont pas généralisables à tous les patients présentant un sepsissévère » (21). Elles préconisent les mesures suivantes :– traitement : après stabilisation initiale des patients en sepsissévère, maintenir une glycémie à 8,3 mmol/l (recommandationde grade D). Récemment, la German Sepsis Society a soulevé le pro-blème de l’insulinothérapie intensive dans une conférence de consen-sus nationale (

www.sepsis-gesellschaft.de

), qui différencie préventionet traitement des infections sévères et du choc septique ;– prévention : il faut administrer de l’insuline par perfusion IVpour obtenir une normoglycémie (objectif : 4,4-6,1 mmol/l) chez lespatients de réanimation en ventilation contrôlée (recommanda-tion de grade B) ;– traitement : une perfusion IV d’insuline doit être mise en œuvrepour obtenir une glycémie entre 6,1 et 8,3 mmol/l, sous contrôleadapté de la glycémie, pour détecter rapidement toute hypoglycé-mie chez les patients sédatés (recommandation grade E).

Conclusion

Y a-t-il suffisamment de preuves pour justifier un contrôle étroitde la glycémie entre 4,4 et 6,1 mmol/l chez les patients de réani-

mation ? Dans leur éditorial récent, Angus et Abraham concluent« 

pas tout à fait… nous devrions explorer les voies pour introduireune forme de contrôle étroit de la glycémie pendant cette périodeintermédiaire, qui semble réalisable et sans danger compte tenu desimpératifs locaux…

Dès que des preuves de niveau supérieur serontdisponibles, nous pourront modifier nos plans en conséquence

 »(22). De notre point de vue, l’accent devrait être mis sur le contrôlede la glycémie, surtout en cas de diabète préexistant. L’insulino-thérapie intensive (objectif : 4,4-6,1 mmol/l) a permis de diminuerles complications chez les patients de réanimation en ventilationcontrôlée, réduisant la morbidité et la mortalité, et il faut autantque possible tenter de maintenir la normoglycémie chez ces patients.En cas d’infection sévère ou de choc septique en réanimationmédicale, chez les sujets les plus âgés et chez certains autrespatients souffrant des affections les plus graves (en fonction duscore APACHE II), l’insulinothérapie intensive majore le risqued’hypoglycémie et un niveau de contrôle supérieur (entre 6,1-8,3 mmol/l) semble préférable. Cependant, il faut pouvoir assurerun contrôle étroit de la glycémie au lit du patient (initialementtoutes les une à deux heures). Les infirmières et les médecins deréanimation doivent connaître la charge de travail qui en résulte.La détection de l’hypoglycémie chez les patients sédatés sanssigne d’appel de l’hypoglycémie étant l’un des pré-requis de l’insu-linothérapie, il faut porter une attention particulière à la méthodede mesure de la glycémie. La mise au point de systèmes de mesurecontinue pourrait certainement aider à atteindre cet objectif dansun futur proche.

Remerciements

Soutien provenant du Competence Network Sepsis (SepNet) établipar le ministère allemand de l’éducation et de la recherche, GrantNo : 01 KI 0106

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