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Copyright © 2015 Éditions Vie et Santé · un cadre eschatologique. Ainsi, le sixième sceau (6.16 ... et en mentionnant le trône de Dieu, ... Le livre de l’Apocalypse est lui-même

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ISBN (Livre) : 978-2-85743-442-9

ISBN (eBooks) : 978-2-85743-443-6

Mise en page et corrections : IS Edition

Illustration de couverture : Editions Vie et Santé

L'auteur assume toute la responsabilité pour l’exactitude de tous les faits et des citations exposés dans le livre.

Sauf indication contraire, toutes les références bibliques sont tirées de la Nouvelle Bible Segond.

Richard LEHMANN

APOCALYPSE DE JEANTOME IV

Entre les monstres et les angesLe choix ultime de l’humanité

Chapitres 11.19-15.4

D U M Ê M E A U T E U R

Épître à Philémon, le christianisme primitif et l’esclavage, Genève, Labor et Fides, 1978.

Les Adventistes du septième jour, Turnhout, Brepols, 1987.

Vivre dans l’espérance, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 1995.

L’Apocalypse de Jean, tome I, ch. 1-3, Collonges-sous Salève, Faculté adventiste de théologie, 1995.

L’Apocalypse de Jean, tome II, ch. 4-8.1, Collonges-sous-Salève, FAT, 2000.

La foi de Moïse, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2003.

Le retour du Christ, manuel de théologie adventiste, tome 24, Collonges-sous-Salève, FAT, 2006.

Vérités pour aujourd’hui de la bienheureuse espérance, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2010.

L’Apocalypse de Jean, tome III, ch. 8.2-11.18, Collonges-sous-Salève, FAT, 2011.

L’Église du reste, mythe ou réalité ?, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2014.

Maranatha, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2014.

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I N T R O D U C T I O N

La première moitié du livre de l’Apocalypse (1-11) nous avait habitués à un découpage, facile à repérer, de trois séquences comportant chacune sept éléments : les lettres aux sept Églises, les sept sceaux et les sept sonneries de trompette. Chaque section commençait par une vision introductrice en référence au mobilier du sanctuaire : le chandelier pour les lettres aux Églises (1.13), le trône-table pour la série des sept sceaux (4.2), et l’autel des parfums pour la série de sept trompettes (8.3). Ces éléments se trouvent dans la première pièce du sanctuaire israélite, appelée le lieu saint, et sont l’objet d’un service quotidien. En raison du caractère continu et permanent de ce service, nous avions conclu que chacune des séquences s’inscrivait dans le déroulement de l’histoire, plus précisément de l’histoire de l’Église1.

La seconde moitié du livre (12-22) offre une nouvelle tonalité. Deux notions s’y déploient alors qu’elles n’étaient qu’attendues ou annoncées dans la première partie. La première notion est celle de la colère. Elle n’est mentionnée que deux fois dans la première partie du livre, et dans un cadre eschatologique. Ainsi, le sixième sceau (6.16) annonce la colère de Dieu et de l’Agneau, un jour de colère (6.17) venant mettre fin aux agissements des méchants. On retrouve la mention de la colère

1. Voir Richard Lehmann, Apocalypse de Jean, tome III, Dammarie-les-Lys, Vie et Santé, 2011, p. 13-15.

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à la fin de la sonnerie de la septième trompette (11.18). Dans notre analyse des sceaux et des trompettes, nous avions considéré que chacune des séries couvrait l’histoire de l’Église. Nous ne sommes donc pas surpris de trouver la mention de la colère divine à la fin de chacune d’entre elles. La dernière référence mérite une mention particulière. En effet, elle s’inscrit dans une requête adressée à Dieu par les vingt-quatre anciens. Les nations s’étant irritées (orgizomai), le temps est venu pour Dieu de répondre à leur emportement en manifestant sa propre colère (orgê). Ce verset joue donc un double rôle. D’une part, il achève la série des trompettes, et d’autre part, il annonce la suite2.

Or, la suite confronte la colère du diable (12.12), du dragon (12.17) et la fureur (thymos) de la prostitution de Babylone (14.8 ; 18.3) à la colère et à la fureur de Dieu (14.10,19 ; 15.1,7 ; 16.1,19 ; 19.15), colère à laquelle nul ne résiste, car c’est celle du Tout-Puissant (19.15). La colère de Dieu est vindicative. Elle a pour objet de venger les saints, victimes du dragon et de Babylone qui s’est enivrée de leur sang (17.6), et de récompenser les serviteurs de Dieu (11.18).

On ne sera donc pas surpris de voir développée, dans la seconde partie du livre, une seconde notion, celle du jugement. Le verbe juger, lui aussi, n’a été employé dans la première partie que deux fois. Chaque fois aussi sous la forme d’une requête. Les martyrs demandent que vengeance soit faite (6.10) et les vingt-quatre anciens associent le jour de la colère à celui du jugement (11.18). Dans la seconde partie du livre, ce thème est largement développé. Le monde est averti de la venue du jugement (14.7) et dans la séquence qui nous retient, le jugement prend forme de moisson et de vendange (14.14-20). Dans le reste du livre le jugement frappe le monde (16.5), la grande prostituée (17.1), Babylone (18.8,10,20 ; 19.2), la bête et le faux prophète

2. Ce modèle était déjà présent à la fin de la lettre à Laodicée. Ap 3.21 clôt la série des lettres, et en mentionnant le trône de Dieu, annonce la vision du trône du chapitre suivant. Ce procédé littéraire est fréquent dans l’épître aux Hébreux où, par exemple, He 2.17-18 achève la première partie du livre et annonce la seconde, sur le thème du Christ grand-prêtre. Voir Albert Vanhoye, Le message de l’épître aux Hébreux, Cahiers Évangile 58, Nouvelle série 19, février 1977.

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(19.11), les morts (20.4,12,13), le diable (20.10), la mort et le séjour des morts (20.14). La seconde dimension du jugement sera d’accorder le salut aux fidèles serviteurs (22.1-22.14).

La nouvelle séquence est introduite par une vision de l’Arche de l’Alliance dans le lieu très saint (11.19) qu'est le second appartement du sanctuaire. C’est dans ce lieu, qu’une fois par an, le souverain sacrificateur entrait pour obtenir le pardon des péchés du peuple (Lv 16 et 23). C’était à la fois un jour de grâce (16.30) et un jour de jugement. Quiconque ne s’humiliait pas en ce jour devait être exclu de la communauté (Lv 23.29).

Comme les autres séquences, celle-ci comporte en finale un jugement eschatologique. Elle est formée de sept ou huit tableaux, selon le découpage que l’on veut en faire : (1) Le dragon et la femme (12.1-6 ; 13-18) ; (2) Michel et le dragon (12.7-12) ; (3) le monstre marin (13.1-10) ; (4) le monstre terrestre (13.11-18) ; (5) les 144 000 (14.1-5) ; (6) les messages des trois anges (14.6-13) ; (7) la moisson et la vendange (14.14-20) ; (8) la foule des rachetés (15.2-4). Nous étudierons donc séparément chacun de ces tableaux tant dans leur contenu que dans leur rapport les uns avec les autres. Quatre tableaux soulignent l’œuvre du mal, quatre celle de Dieu. Trois anges appellent à la conversion ; trois anges appellent à l’exécution de la sentence.

Nous ne nous situons plus dans le cadre du service quotidien, mais dans celui du service annuel. L’accent se porte donc sur les événements de la fin, même si des éléments historiques sont évoqués pour en donner le sens. Comme le dit Pierre Prigent, jusque là, « presque rien ne nous avait été dit sur l’origine de l’irréductible hostilité qui dresse les habitants de la terre contre les chrétiens »3. Les quatre premiers tableaux ont pour objet de mettre en évidence la nature des puissances qui sont à l’œuvre pour contrecarrer l’œuvre de Dieu. Les trois tableaux

3. L’Apocalypse de Saint Jean, édition revue et augmentée, Commentaire du Nouveau Testament XIV, Genève, Labor et Fides, 2000, p. 283.

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suivants montrent comment Dieu agit à l’encontre de ces puissances et en faveur de ses fidèles.

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A P O C A LY P S E 1 2

Le chapitre 12 nous introduit dans le grand conflit entre Dieu et Satan. Un conflit qui trouve sa source dans le ciel, bien avant donc les origines de la terre, et qui porte sur l’adoration de Dieu. L’attention est portée particulièrement sur les adorateurs qui ont le choix entre Dieu et l’Agneau ou Satan et ses acolytes. Les chapitre 12 et 13 nous révèlent l’action de Satan, les chapitres 14 et 15 celle de Dieu.

Premier tableau : le dragon et la femme. Conflit dans le ciel.

Le chapitre 12 présente une structure littéraire que l’on appelle une structure en sandwich. Le conflit entre Michel et le dragon (12.7-12) est inséré à l’intérieur du conflit entre la femme et le dragon (12.1-6 et 12.13-18). Bien que l’acharnement du dragon à l’encontre de la femme occupe la plus grande partie du chapitre, comme dans un sandwich, l’important, c’est ce qui est à l’intérieur. C’est le cœur du chapitre qui éclaire le diptyque qui l’entoure. Nous analyserons donc les deux parties avant d’en chercher la clef dans la partie centrale.

1 Un grand signe apparut dans le ciel : une femme vêtue du soleil, qui avait la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles

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sur sa tête. 2 Elle était enceinte et elle criait dans les douleurs et les tourments de l’accouchement.4

Un premier signe attire l’attention de Jean. Le terme de « signe » est pour lui l’équivalent d’un miracle, car les miracles sont à ses yeux porteurs de sens5. Les signes sont mentionnés sept fois dans l’Apocalypse. Trois fois, ce sont des signes célestes (12.1,3 ; 15.1) et quatre fois des signes démoniaques (13.13,14 ; 16.14 ; 19.20). Les signes démoniaques ayant pour but de détourner du vrai Dieu ou de s’opposer à lui, les signes célestes sont à prendre de manière positive, signes de l’action rédemptrice de Dieu. Jean qualifie ce premier signe de « grand », comme bien d’autres aspects de son témoignage. Si on ne peut attribuer trop d’importance à cette valeur en raison de la fréquence de son usage6, on notera cependant qu’il ne l’appose pas à la femme, mais au signe. Le signe est dit grand, non la femme, malgré sa dimension céleste. À l’inverse, quand Jean parle de son contraire, de Babylone, la prostituée, il la qualifie fréquemment de « grande »7. Il est possible que ce soit pour souligner les prétentions de cette dernière, qui proclame sa propre gloire (18.7). Une façon peut-être aussi de souligner la grandeur de la chute qu’elle va connaître quand un ange proclamera : « Elle est tombée, Babylone la Grande » (18.2).

Jean voit une femme. Elle n’est pas définie, ne porte pas de nom. Bien qu’elle soit enceinte, elle n’est pas perçue comme une épouse (à la différence de 19.7), mais comme une mère, la mère du Messie. Comme telle, certains ont voulu voir en elle la vierge Marie, la mère de Jésus.

4. Tous les textes cités, sauf mention spéciale, sont extraits de la Nouvelle Bible Segond.5. Voir par ex. Jn 2.11,18,23 ; Ap 13.13. Ce sont des prodiges dont il faut tirer enseignement. Le livre de l’Apocalypse est lui-même donné pour faire connaître (litt. signifier) à Jean les choses qui doivent arriver bientôt (Ap 1.1). Voir aussi les signes annonciateurs en Mt 24.30 ; Mc 13.24 ; Lc 21.25.6. Jean emploie l’adjectif megas (grand) 80 fois dans l’Apocalypse, sur 194 dans l’ensemble du Nouveau Testament, soit près de la moitié.7. Ap 11.8 ; 14.8 ; 16.19 ; 17.1,5 ,18 ; 18.2,10,16,18,19,21 ; 12.2.

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Mais la suite du récit s’oppose à une telle lecture. Si Marie a connu la fuite en Égypte, elle n’a pas connu de fuite au désert (12.6) et sa virginité est remise en cause par la mention d’une postérité (12.17). On ne peut faire une lecture littérale au verset 1 et spirituelle au verset 17, sans être inconséquent. Les éléments de référence des versets 12-18 correspondent plus à la fuite d’Israël hors du pays d’Égypte que ceux d’une fuite en Égypte. Enfin, les 1 260 jours ou 42 mois n’ont pas de rapports avec la vie de Marie8.

L’Ancien Testament use fréquemment de l’image d’une femme pour représenter le peuple d’Israël (Es 54.1-7 ; Ez 16.8-14 ; Osée 2.16-25 ; Amos 5.2). Elle est reprise dans le Nouveau Testament pour représenter l’Église (2 Co 11.2 ; Ep 5.22-32 ; Ap 19.7,8 ; 22.17). Le peuple de Dieu est aussi assimilé à une prostituée lorsqu’il se tourne vers des idoles (Es 57.3 ; Jr 2.20 ; 3.3 ; Ez 16.23-34) et dans l’Apocalypse, l’ennemi des témoins de Jésus est une prostituée (Ap 17.5,6).

Située dans le ciel, la femme est entourée des astres qui illuminent la voûte céleste : le soleil, la lune et les étoiles. Cette imagerie nous renvoie au songe de Joseph, qui reconnaissait toute sa famille dans ces astres (Gn 37.9,10). Un élément de plus pour reconnaître en cette femme le peuple de Dieu fidèle. Les douze étoiles qui illuminent sa couronne (Ap 12.1) représentent les douze tribus d’Israël. Cette couronne est celle de la victoire promise aux fidèles dans l’Apocalypse9.

On pourrait donc reconnaître dans cette femme le peuple d’Israël au sein duquel Jésus est né10. Mais l’élévation de l’enfant au ciel nous situe à la résurrection de Jésus et à sa montée au ciel pour son intronisation.

8. La Bible de Jérusalem note : « Sous l’image de la Femme, Jean a-t-il voulu symboliser aussi la Vierge, nouvelle Ève ? Cela semble douteux. »9. La couronne (stephanos) est destinée aux vainqueurs (2.10 ; 3.11 ; 6.2). Elle est portée aussi par les anciens (4.4,10), les Fils de l’homme (14.14).10. Ainsi, la littérature de Qumran déjà, dans la Liturgie angélique, Hymne E, décrit sous l’image d’une femme qui accouche, l’enfantement du Messie par le peuple d’Israël. La Bible. Écrits intertestamentaires, dir. A. Dupont-Sommer, M. Philonenko, Paris, Gallimard, 1987, p. 241, 242.

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Un texte de Jean dans son Évangile pourrait bien être la clef de cette énigme. Il rapporte les paroles suivantes de Jésus : « La femme, lorsqu'elle accouche, a de la tristesse, parce que son heure est venue ; mais quand elle a donné le jour à l'enfant, elle ne se souvient plus de la détresse, tant elle a de joie qu'un homme soit venu au monde. Ainsi, vous, maintenant, vous éprouvez de la tristesse ; mais je vous reverrai : votre cœur se réjouira, et personne ne vous enlèvera votre joie » (Jn 16.20-22). Derrière cette parabole, on peut reconnaître l’Église formée de la première communauté des disciples qui, traversant les douleurs de la passion du Christ, voit naître l’homme nouveau qui s’élève dans la gloire11.

La femme saisie par les douleurs de l’enfantement (v.2), se trouve dans un état d’extrême faiblesse, incapable de se défendre, concentrée sur sa propre survie et celle de l’enfant à naître. Mais les termes qui la décrivent orientent le lecteur vers une autre condition. En effet son cri (krazô) est identique à celui des martyrs de 6.10. Et ses douleurs sont définies par un terme grec (basanizô) que l’on retrouve ailleurs pour caractériser des tourments qui se prolongent12. La tension entre la gloire de la femme et sa condition douloureuse amène tout naturellement le lecteur à s’interroger sur la nature de ses souffrances.

Tous ces éléments nous conduisent à penser que cette femme est l’Église primitive persécutée dès son origine par le dragon. L’expérience de l’Église s’inscrit dans la longue histoire dont l’origine remonte à la Genèse. La mention du serpent ancien le confirme (v.9). Le récit de Genèse 3.15, fait état d’un conflit qui doit opposer le serpent et sa postérité d’une part, la femme et sa postérité d’autre part. Il importe donc plus de relever le thème de la vision que de rechercher son incarnation dans une personne. Ève est la mère d’une lignée qui connaîtra la longue douleur de l’histoire jusqu’à la venue du Messie. Elle a, en effet, en face d’elle, un dragon dont la menace est permanente. La structure ABA’ du texte le confirme. Le dragon est au

11. Une lecture de l’Apocalypse, Cahiers Évangile 11, Paris, Cerf, p. 29.12. Ap 9.5 ; 11.10 ; 14.10 ; 20.10.

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centre du passage (v.3,4) entre deux mentions de la femme (v.1,2 et 5,6).

Mais la présence de la femme dans le ciel annonce sa victoire en dépit de ses souffrances. La plupart du temps, Jean voit les vainqueurs dans le ciel (7.9 ; 14.2 ; 15.1,2). Paul aussi voit les élus déjà assis dans les lieux célestes en Jésus-Christ (Ep 2.6). La foi transforme l’espérance en une assurance qui s’expérimente dans le présent.

L’Église est souvent l’objet des critiques de ses membres. Pourtant, si l’on s’en réfère à l’apôtre Paul, c’est pour elle que Jésus est mort (Ep 5.25). L’Église est le corps du Christ, il en est le Sauveur (Ep 5.23 ; 1 Co 12.27). Jésus lui-même s’est engagé à construire son Église et à la préserver (Mt 16.18). Dans l’Apocalypse, elle paraît lumineuse au milieu des astres (12.1). Son premier ennemi, c’est le diable (12.15). Et Dieu est son secours (12.14). Les messages aux sept Églises montrent à quel point la sollicitude de Dieu peut prendre forme d’avertissements et de promesses (Ap 2 et 3).

La suite du livre nous montrera à quel point le diable et ses acolytes s’efforcent de produire des contrefaçons. Il n’est donc pas surprenant qu’il fasse de même pour l’Église. C’est la prostituée des chapitres 17 et 18. Elle se nomme Babylone, la confusion, le mélange. Elle se reconnaît à sa proximité avec « les rois de la terre », terme technique pour désigner les gouvernements qui s’opposent à Dieu (16.14), et à sa violence à l’égard des témoins de Jésus (17.6). L’appel adressé au peuple de Dieu à sortir de Babylone (18.4) montre qu’en son sein même, il y a des saints. Et que la persécution dont elle est l’auteure n’est pas tournée vers des étrangers, mais constitue une automutilation, comme les démoniaques Gadaréniens qui se lapidaient eux-mêmes (Mc 5.5). Babylone, et ceux qui commercent avec elle, subiront leur jugement (18.9-24 ; 19.1-3). Mais, finalement, celle qui est maintenant appelée « l’épouse de l’Agneau » participera aux noces eschatologiques (19.7). Il est intéressant de noter le parallélisme thématique entre l’épouse qui participe à l’intimité de l’Agneau, le reste de la postérité de la femme qui garde le témoignage de Jésus, et l’Église de Laodicée qui,

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tiède, pauvre, misérable, aveugle et nue, se voit offrir une communion profonde avec Jésus dans la mesure où elle est prête à l’accueillir (3.20). Communion avec Jésus ou communion avec le dragon, tel est le choix offert aux croyants, à quelque communauté chrétienne qu’ils appartiennent, Jérusalem ou Babylone, épouse ou prostituée.

3 Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon rouge feu qui avait sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes, sept diadèmes.

Une nouvelle fulgurance traverse le ciel. Un dragon rouge feu, à sept têtes. L’image du dragon n’est pas nouvelle. Dans l’Ancien Testament, le mot tannim se traduit indifféremment par dragon (Ps 91.13), ou chacal (Jr 9.10). L’animal est parfois assimilé à une vipère (Dt 32.33), ou à un serpent de mer (Am 9.3) appelé Léviathan (Ps 74.13,14 ; Es 27.1), un monstre marin (Ps 148.7). De façon imagée, il représente l’Égypte (Ps 87.4 ; Es 30.7 ; 51.9) et le pharaon qui y règne (Ez 29.3 ; 32.2)13. Le caractère diabolique du pharaon génocidaire est resté vivace dans le souvenir d’Israël. L’arrière-fond de la tentative, par le dragon, d’engloutir la femme dans les flots de son vomissement, se forge sur le souvenir des armées de pharaon lancées à la poursuite d’Israël et englouties dans la mer de roseaux (Ap 12.15,16 ; Ex 15.12). Satan veut anéantir l’Église comme Dieu a anéanti les ennemis de son peuple.

Dans l’Apocalypse, le dragon porte sept têtes et dix cornes. L’image est curieuse. On se serait attendu à ce que chaque tête porte une couronne. Faut-il penser que trois têtes en portent deux ? Il ne fait aucun doute que la vision s’élabore à partir de celle du monstre décrit par Daniel au chapitre 7 de son livre. Il possède lui aussi dix cornes (v.7) et opprime les saints du Très-Haut pendant la même période que

13. Nombre d’auteurs voient dans le dragon l’évocation de mythes païens. Mais même si certains mythes usent des mêmes images, « le NT, même en Ap 12, demeure à distance des mythes païens ». W. Foerster, « ophis », TDNT, vol. V, p. 581. Les termes peuvent être les mêmes, mais les concepts qu’ils véhiculent sont différents (Brütsch, 213).

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celle qui est mentionnée dans l’Apocalypse soit, un temps, des temps et la moitié d’un temps (v.25 ; Ap 12.14)14. Le détail de ce monstre et de son alter ego présenté au chapitre 13, est développé en Apocalypse 17.3,8-14. La victoire finale appartient à l’Agneau et aux élus et fidèles qui sont avec lui (Ap 17.14). La première information que nous pouvons retenir ici, c’est que le dragon agit par personnes interposées, les cornes et les couronnes royales (diadêma) représentant des pouvoirs politico-religieux (Dn 7.24,25 ; Ap 17.12). L’image fait très certainement allusion à un pouvoir temporel, politique ou religieux, et inspiré par lui. Il peut s’agir de Rome, qui n’a eu cesse de persécuter les chrétiens, et de toute puissance qui, par la suite, sera animée du même esprit.

4 Sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel ; il les jeta sur la terre. Le dragon se posta devant la femme qui allait accoucher, pour dévorer son enfant dès qu’elle accoucherait.

L’idée d’un conflit dans le ciel n’est pas neuve. Elle est déjà présente dans Daniel 8.10-14. Le cadre de ce conflit est eschatologique (8.17-19). Le lecteur averti ne peut manquer de penser à l’œuvre de la petite corne mentionnée par le prophète Daniel, qui s’élève jusqu’à l’armée des cieux et fait tomber une partie de cette armée et des étoiles. Quel que soit l’intermédiaire, la violence et le meurtre sont signes du dragon, qui est meurtrier et menteur dès le commencement (Jn 8.44)

La vision de Jean semble bien faire allusion à un conflit céleste au cours duquel Satan entraîne derrière lui, au moyen de mensonges, une

14. Une même période de temps est mentionnée dans l’Apocalypse sous trois formes différentes : mille deux cent soixante jours (12.6) ; un temps, des temps, et la moitié d’un temps (v.14) ; et quarante-deux mois (13.5). Pour dénouer le mystère, il suffit de considérer qu’un mois équivaut à 30 jours. Ainsi, 42 mois x 30 = 1 260 jours. De même, comme la mention du verset 14 couvre la même période que les autres, un temps est l’équivalent d’un an, des temps équivalent à deux ans, et la moitié d’un temps correspond à une demi-année, soit au total 12 + 24 + 6 = 42 mois.

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partie des anges qui entourent le trône divin. Mais son mouvement ne peut être que la chute, aussi les anges sont précipités sur la terre. Ce mouvement est déjà le signe de leur défaite, comme le montrent les versets suivants.

Le dragon dispose de deux moyens d’action : sa queue, et sa bouche. Le prophète Ésaïe assimile le prophète qui enseigne le mensonge à une queue (Es 9.14). Le contexte de l’Apocalypse, où le mensonge occupe une place importante, conforte la métaphore. Au point que le monstre qui parle comme le dragon (Ap 13.11) est appelé par ailleurs le prophète de mensonge (16.13 ; 19.20 ; 20.10). L’action maléfique du dragon se déploie dans un enseignement ou un discours mensonger. Le ciel est le lieu de son action. La cible est formée par les anges que l’imagerie biblique assimile aussi à des étoiles (Job 38.7 ; Ps 148.3 ; Dn 8.10). Au verset 4, le dragon entraîne des étoiles ; au verset 7, ce sont des anges. Si le Dieu d’Israël porte le nom de « l’Éternel des armées », ce n’est pas parce qu’il serait un dieu guerrier, mais parce que l’univers lui est soumis et que les anges-étoiles forment son armée (1 R 22.19). Dieu est décrit comme un souverain tout puissant assis sur son trône et entouré de son armée (Job 1.6).

Sur la terre, Satan veut dévorer l’enfant à naître. Il veut en quelque sorte l’assimiler, se substituer à lui en l’ingérant. L’image est déjà présente en Jérémie 51.34, où Babylone est comparée à un dragon qui a englouti l’habitante de Sion, le peuple de Dieu. L’enfant de l’Apocalypse est le Messie promis. Le destin du croyant et celui de Christ sont parallèles (Jn 15.20 ; 2 Tm 3.12). En voulant dévorer l’enfant, le dragon veut se faire passer pour le sauveur de l’humanité. Nombreuses sont les idéologies inspirées par lui et qui se prétendent rédemptrices.

5 Elle mit au monde un fils, un mâle, qui va faire paître toutes les nations avec un sceptre de fer. Son enfant fut enlevé auprès de Dieu et de son trône.

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L’enfant est clairement défini comme étant Jésus lui-même (Ap 2.27 ; 19.15), par référence au psaume messianique de David (Ps 2.8,9). Où situer cette naissance ? À Bethléem où à la croix ? Le Psaume 2, référé en soutien à la vision, est un psaume d’intronisation (v.6). Or, Jésus a été intronisé lors de sa résurrection. La naissance de Jésus à Bethléem n’est pas exclue, car toute sa vie est comprise dans sa mort. L’image nous renvoie donc de façon synthétique à ce moment glorieux où Jésus est ressuscité, puis est élevé vers le ciel, élévation qui donne un sens à toute sa vie ici-bas (cf. Rm 1.4).

D’agneau, Jésus devient berger. L’image de Dieu comme un berger est déjà présente dans l’AT (Ps 23.1 ; 28.9 ; 80.2 ; Es 40.10,11 ; Jr 31.10), et Jésus se présente comme le bon berger (Jn 10.11-16). Le sceptre de fer est symbole de jugement (Ap 19.15) et du règne universel de l’Agneau (2.28 ; 15.4). L’association de la bonté du berger et du sceptre de fer correspond bien à l’attention que l’Apocalypse porte aux nations. La proclamation de l’Évangile est orientée vers elles (10.11 ; 14.6 ; 15.4 ; 21.24), et les élus en font partie (5.9 ; 7.9). Mais, abusées par le diable (20.3 ; 20.8), elles sont aussi en colère contre Dieu (11.18). D’où la nécessité d’une guérison (22.2). Le sceptre de fer se justifie donc par la nécessité pour le berger de séparer les justes des méchants (Mt 25.32 ; cf. Ez 34.17-22).

L’enfant est élevé auprès du trône de Dieu. Sur le plan scénique, l’enfant est élevé, alors que Satan est précipité. Cette place auprès du trône fait allusion à la résurrection de Jésus et à son élévation auprès de Dieu (Ap 3.21). On notera au passage que dans la théologie de Jean, la mort de Jésus est l’œuvre de Satan, et non celle de Dieu. Conformément à la foi primitive, Dieu est l’acteur de la résurrection (Ph 2.9). L’antagonisme entre Satan et Dieu est clairement révélé. Il porte sur la venue du Messie, et à travers lui, sur la destinée de la femme. Mais les projets du dragon sont anéantis. Dieu met l’enfant en sécurité auprès de lui.

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6 Quant à la femme, elle s’enfuit au désert, où Dieu lui avait préparé un lieu pour qu’elle y soit nourrie pendant mille deux cent soixante jours.

Quelle que soit la puissance du dragon, il est incapable de retenir la femme. Elle trouve sa sécurité en Dieu, dont les soins attentionnés ont prévu un lieu (topos) et de la nourriture. Contrairement à l’exhortation de Jacques : « opposez-vous au diable, et il vous fuira » (Jc 4.7), la femme s’enfuit. Ce n’est pas une réaction de peur devant l’ennemi. Dans ce cas-là, on fuyait dans les montagnes vers quelque grotte où l’on pouvait se cacher (Ps 11.1,2 ; 121.1 ; Mt 24.16 ; cf. 1 S 22.1). Le désert est traditionnellement le lieu de la rencontre avec Dieu, de l’intimité vécue avec lui (Os 2.16), mais aussi de l’épreuve (Dt 8.2-5 ; Ez 20.35-38). Le langage évoque l’expérience d’Élie qui, menacé par Jézabel, trouve sécurité et soin au torrent de Kerith (1 R 17.2-6). L’Église trouve son refuge dans la présence de Dieu, sans pour autant être épargnée par l’épreuve. Ce fut l’expérience d’Israël après la sortie d’Égypte. De même que Dieu a accompagné Israël tout le temps de son séjour dans le désert, Il prend soin de l’Église tout au long de son pèlerinage.

Avant de quitter ses disciples, Jésus leur a dit qu’il s’en allait pour leur préparer un lieu (topos). Cette fois, c’est dans la maison du Père (Jn 14.3,4). Cette promesse est liée à son départ et à son retour. Ainsi, après avoir connu le secours de Dieu dans le désert de la souffrance, le fidèle se voit assuré de connaître le lieu de sa demeure, au retour de Jésus, dans la lumière du foyer divin (Ap 21.23).

Il est remarquable de voir que dans cette scène, Dieu est l’acteur invisible, mais efficace. Le dragon s’attaque à des êtres en état de faiblesse et de dépendance. L’enfant est un nouveau-né et la femme est dans les douleurs de l’accouchement. Ils ne peuvent se sauver eux-mêmes.

Les 1 260 jours correspondent aussi à la période au cours de laquelle le témoignage prophétique s’est exercé dans le deuil (11.3). On peut

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donc considérer que la nourriture prophétique, celle de la Bible, permet à la femme de survivre et forge sa relation avec Dieu.

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TA B L E D E S M AT I È R E S C O M P L È T E

Du même auteur............................................................................4

Introduction...................................................................................5

Apocalypse 12................................................................................9

Premier tableau : le dragon et la femme. Conflit dans le ciel..............9

Troisième tableau : la femme et le dragon. Conflit sur la terre..........19

Deuxième tableau : Michel et le dragon...........................................25

Apocalypse 13..............................................................................35

Le monstre marin..............................................................................36

Le monstre terrestre..........................................................................56

Une vision eschatologique................................................................72

La victoire finale...............................................................................82

Apocalypse 14..............................................................................84

Les 144 000 – 14.1-5........................................................................87

Les appels des trois anges – 14.6-13.................................................96

La moisson et la vendange – 14.14-20............................................116

Les vainqueurs (v.2-4).....................................................................125

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