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DISCOURS PHILOSOPHIQUE, DISCOURS LITTÉRAIRE : LE MÊME ET L'AUTRE ? Frédéric Cossutta Collège international de Philosophie | Rue Descartes 2005/4 - n° 50 pages 6 à 20 ISSN 1144-0821 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2005-4-page-6.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Cossutta Frédéric, « Discours philosophique, discours littéraire : le même et l'autre ? », Rue Descartes, 2005/4 n° 50, p. 6-20. DOI : 10.3917/rdes.050.0006 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie. © Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.204.255.191 - 11/03/2014 03h57. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.204.255.191 - 11/03/2014 03h57. © Collège international de Philosophie

Cossutta Frédéric Discours Philosophique, Discours Littéraire Le Même Et l'Autre

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  • DISCOURS PHILOSOPHIQUE, DISCOURS LITTRAIRE : LE MME ETL'AUTRE ?

    Frdric Cossutta

    Collge international de Philosophie | Rue Descartes

    2005/4 - n 50pages 6 20

    ISSN 1144-0821

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2005-4-page-6.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Cossutta Frdric, Discours philosophique, discours littraire : le mme et l'autre ? , Rue Descartes, 2005/4 n 50, p. 6-20. DOI : 10.3917/rdes.050.0006--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour Collge international de Philosophie. Collge international de Philosophie. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

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  • FRDRIC COSSUTTA

    FRDRIC COSSUTTADiscours philosophique,discours littraire :le mme et lautre? *

    Nous proposons lexamen compar 1 de deux types de discours, littraire et philosophique, enconsidrant que leur identit respective nest pas acquise, est en question, nest donc passtabilise sous une identit essentialise et ne saurait tre srieusement envisage sans prendreen compte dautres discours lis au sein des formations discursives 2. Il nest pas questiondouvrir une nouvelle fois le dossier si rebattu du rapport gnral entre les deux disciplines 3,dont on sait quel point il est surdtermin pour chacune delles.

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    * Une version abrge de ce travail a t donne dans les actes du Colloque de Cerisy consacr par R. Amossyet D. Maingueneau Lanalyse du discours dans les tudes littraires , parus aux PressesUniversitaires du Mirail, Toulouse, 2003. Que ces auteurs soient remercis de mavoir permis de lareprendre. Ce texte propos titre programmatique sappuie sur certains acquis thoriques et doit treassoci des tudes dtailles duvres philosophiques de Platon, Descartes, Spinoza, Leibniz, Bergson,publies ou en cours de publication. |1. Sur le problme pistmologique de la comparabilit des dis-cours, voir les travaux actuellement conduits par J.-M. Adam, C. Calame et U. Heidmann; C. Calame, Interprtation et traduction des cultures. Les catgories de la pense et du discours anthropolo-gique , LHomme, n 163/2002, p.51-78. J.-M. Adam, U. Heidmann, Rarranger des motifs, cest changerle sens. Princesse et petits pois chez Andersen et Grimm , dans Contes: luniversel et le singulier,A. Petitat dir., ditions Payot, Lausanne, 2002, p.155-173. |2. LesnotionsdpistmlieFoucaultoudeformationdiscursiveissuedelalthussrismenousparaissaientdevoirtrereprisesdansunenou-velle perspective. Voir leffort en ce sens de S. Moirand et dautres lors du colloque de Montpellier: Delanalyse du discours celle de lidologie: les formations discursives, P. Siblot dir., PressesUniversitaires de Montpellier-3. |3. Sur cette question, ou la question connexe de la fiction philoso-phique, voir J.-P. Courtois, Y. Seit (dir.), Littrature et philosophie , Europe, n 849-850, jan-vier-fvrier 2000; les travaux de philosophes comme G. Lardreau, Fictions philosophiques et science-fiction, Actes Sud, Arles, 1988; P. Sabot, Philosophieetlittrature.Approchesetenjeuxdunequestion,PUF, Paris, 2001; ceux de smioticiens ou linguistes comme J.-F. Bordron, Descartes. Recherches sur lescontraintes smiotiques de la pense discursive, PUF, Paris, 1987; L. Danon-Boileau, Du texte littraire lacte de fiction: lectures linguistiques et rflexions psychanalytiques, Ophrys, Paris, 1995.Signalons un livre en prparation: La Fiction des philosophes, M. Ali Bouacha, F. Cossutta d.

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    On sattachera mettre en vidence, par la lecture de Platon, Descartes, Leibniz, Spinoza etHegel, des critres distinctifs permettant dexpliquer en quoi ces uvres ne sont pas littraires , mais galement par o elles sajointent secrtement leur propre fantmefictionnel, leur double narratif, romanesque ou dialogique, porte secrte par o laphilosophie communique du dedans avec la littrature 4.Encore ne sagit-il l, cest un programme en cours, que dune moiti du parcours,puisquil faudra faire le chemin inverse en partant duvres qui se donnent ou sontdsignes comme littraires pour indiquer ce qui, de la philosophie, les hante ou lesindiffre et chercher les lieux ou mcanismes de luvre par o elle indique une philosophicit possible.

    En introduisant en 1995 la notion de discours constituants , D. Maingueneau et moipensions distinguer au sein du ou des discours, non pas seulement des types ou genres de discours, mais des formes plus gnrales dtermines par les rapports quils entretiennentavec eux-mmes et avec ceux qui les entourent 5.Les distinctions habituelles reposaient sur des critres normatifs, thmatiques ou fonctionnels,mais pas sur une proprit intrinsque les situant par rapport la discursivit elle-mme. Nousvoulions comprendre ce qui distribue des rgimes de discours, des espaces de chevauchementou dexclusion dont les configurations et les limites varient au fil du temps. Nous voulionssurtout viter de confondre les mcanismes discursifs et ce que disent les discours deux-mmes, lorsquils doivent se positionner les uns par rapport aux autres, pour asseoir leurlgitimit, consolider ou reconqurir leur hgmonie. Les valuations et talonnementsexplicites qui prsidaient ces hirarchisations ne pouvaient tre retenus en tant que tels parlanalyse de discours qui, par principe, na pas de raison daccorder plus de dignit un textelittraire qu un texte journalistique, un texte philosophique qu un compte rendudentretien dembauche. Certes, reconnatre que tous les discours, en tant quobjet dtude,ont la mme dignit, sont assujettis des contraintes communes, ne signifie pas mconnatre lesvalorisations lies la reprsentation quils se donnent deux-mmes ou que leur confrent leshirarchies codifies. Mais la question de la dignit particulire de tel ou tel type de discours,de la valeur de tel ou tel corpus ne se pose quen seconde instance.

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    4. On sait que lappartenance convenue des textes de Platon ou Descartes la philosophie nest pas sividente si on considre les flottements dassignation gnrique ou typologique qui ont pu avoir lieupour certaines de leurs composantes (premiers dialogues de Platon, Discours de la mthode pourDescartes). |5. D. Maingueneau, L'Analyse des discours constituants . (En collaboration avecF. Cossutta), LesAnalysesdediscoursenFrance, n117 de Langages, mars 1995, Larousse, Paris, p.112-125.

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    Lexpression discours constituants dsignait les discours qui se donnent comme discoursorigine, discours garantis par une scne dnonciation validante qui na pas tre elle-mmegarantie, discours qui par ailleurs se constituent comme garants et sources de la discursivit(ou au moins comme principes rgulateurs de la discursivit) : Il y a constitutionprcisment dans la mesure o un dispositif nonciatif fonde, de manire en quelque sorteperformative, sa propre possibilit, tout en faisant comme sil tenait cette lgitimit dunesource quil ne ferait quincarner (le Verbe rvl, la Raison, la loi) 6. Il devenait alorspossible, en comparant la scnographie, les codes langagiers, lethos, qui sont les registres surlesquels joue ce rapport en boucle, de dfinir des formes spcifiques de constitution.Mais ntait-ce pas une catgorie trop fourre-tout ? Elle permettait bien de reconnatre desdiscours qui incorporent dans leurs modalits fonctionnelles leur propre constitution, i.e.incluent la thmatisation directe ou indirecte de leur statut discursif comme une de leursproprits intrinsques, ce qui lgitime leurs yeux leur prtention lhgmonie dans lechamp. Mais nous tions rests assez vagues sagissant des discours qui se voyaient ainsidfinis : Dans ltat actuel de notre rflexion sont constituants essentiellement les discoursreligieux, scientifique, philosophique, littraire, juridique. Le discours politique nous sembleoprer sur un plan diffrent, construisant des configurations mouvantes la confluence desdiscours constituants, sur lesquels il sappuie, et les multiples traces des topoi dunecollectivit 7. Cette liste est-elle exhaustive ? Si larticle indique bien les rapports de tensionqui les animent, il ne dit rien des configurations plus ou moins stabilises qui dfinissent unmoment donn le systme de leurs relations, sans doute parce quil aurait fallu, ce qui taitexorbitant, penser lensemble de larchive discursive et, pour cela, laborer une thoriegnrale du discours.

    Afin de dfinir les proprits discursives de lactivit philosophique, javais oppos, pourdistinguer le philosophique de tous les autres discours constituants, discours auto-constituants etdiscours constituants. La spcificit du discours philosophique, parmi les discours constituants, tantdexpliciter les conditions de possibilit de toute constitution discursive, y compris la sienne.Uneuvre littraire certes construit les conditions de sa propre lgitimit en proposant un univers desens, et plus gnralement en offrant des catgories sensibles pour un monde possible. Mais unediffrence demeure, bien explicite dans un passage du livre de Barthes, Le Plaisir du texte, mmesi on ne doit pas mconnatre ce qua de textualiste sa dfinition de la littrarit:

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    6. Ibid., p.118. |7. Ibid., p.113.

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    Comment un texte, qui est du langage, peut-il tre hors des langues ? Comment extrioriser(mettre lextrieur) les parlers du monde, sans se rfugier dans un dernier parler partirduquel les autres seraient simplement rapports, rcits ? Ds que je nomme, je suis nomm:pris dans la rivalit des noms.Comment le texte peut-il se tirer de la guerre des fictions, dessociolectes ? Par un travail progressif dextnuation. Dabord le texte liquide toute mta-langue, et cest en cela quil est texte : aucune voix (Science, Cause, Institution) nest en arrirede ce quil dit. Ensuite le texte dtruit jusquau bout, jusqu la contradiction, sa proprecatgorie discursive, sa rfrence sociolinguistique (son genre ) : il est le comique qui nefait pas rire , lironie qui nassujettit pas, la jubilation sans me, sans mystique (Sarduy), lacitation sans guillemets. Enfin le texte peut, sil en a envie, sattaquer aux structures canoniquesde la langue elle-mme (Sollers) : le lexique (nologismes exubrants, mots-tiroirs,translitrations), la syntaxe (plus de cellule logique, plus de phrase). Il sagit, par transmutation(et non plus seulement par transformation) de faire apparatre un nouvel tat philosophal de lamatire langagire ; cet tat inou, ce mtal incandescent, hors origine et hors communication,cest du langage, et non un langage, ft-il dcroch, mim, ironis 8. Les trois mcanismes par lesquels le texte littraire, tout en tant du langage, se met lextrieur ne peuvent plus tre interprts exactement dans le sens que leur confre Barthes,mais ils indiquent ngativement certaines des proprits fondamentales de la discursivitphilosophique : le discours philosophique se considre comme premier ou dernier parler ,sur lequel viennent sappuyer tous les autres. En second lieu, il ne sextnue pas en se dfaisantdes mta-rcits internes, ceux de la mtalangue par laquelle il pourrait tre repris. Aucontraire, la philosophie sextnue sauto-thmatiser en exprimant ses dispositifs spculatifsdans ses propres catgories doctrinales ; elle ne sassujettit pas les cadres (gnriques) pourmieux les dborder, elle les dborde pour mieux les assujettir. Enfin, et ici la proximit est toutaussi apparente que fausse, si la philosophie peut sattaquer aux structures canoniques de lalangue , ce nest pas pour produire du langage , ni un langage , mais produire le langage,cest--dire recrer la syntaxe idale qui dirait le monde ou ltre, tablir le rseau de conceptsadquat et systmatique qui permettrait de rendre compte de ce qui est. Elle est pour celancessairement confronte aux questions de leffabilit et des limites du langage. La prcaritde ce processus dauto-explicitation sans prsupposition est galement le point de plus hautefragilit des systmes qui sont ds lors confronts la question de leur propre impossibilit, au

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    8. R. Barthes, Le Plaisir du texte, Seuil, Paris, 1973, p.50-51; soulign par R Barthes. On peut gale-ment citer ce passage du mme ouvrage, p.49: Le texte, lui, est atopique, sinon dans sa consommation,du moins dans sa production. Ce nest pas un parler, une fiction, le systme est en lui dbord, dfait(ce dbordement, cette dfection, cest la signifiance). De cette atopie, il prend et communique sonlecteur un tat bizarre: la fois exclu et paisible.

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    risque de leur propre effondrement lorsquune critique adverse localise , ou une critiquegnrale et radicale de type sceptique, mettent en vidence au sein du procs de fondation laprsence de ptitions de principe, de cercles ou diallles, de rgressions linfini 9.On pourrait dvelopper un certain nombre dobjections lencontre de ce privilge prtendude la philosophie qui serait seule considre comme un discours auto-constituant (nous ne lesexplicitons pas ici). On peut en tenir compte en concdant que la diffrence rside moinsentre des discours constituant et auto-constituant dlimits une fois pour toutes, quentre desmodes de constituance , entre des mises en uvre de lauto-constitution discursive.Les uvres littraires aussi se comprennent elles-mmes dans lunivers quelles dcrivent. Ellespeuvent donc se reprsenter figurativement ou rflexivement , mais elles le font selon desmcanismes spcifiques, par exemple en bouclant, grce des mises en abyme 10, le rapport entreleur faon de dire et leur dit. Comme lindique D. Maingueneau: (mais) fondamentalement,toute uvre gre sa manire la relation quelle entretient entre ce quelle dit et le fait mmequelle puisse le dire. Il lui faut, dun seul mouvement, donner voir un monde et justifier le faitque ce monde-l soit compatible avec lnonciation littraire qui le donne voir 11.Contrairement luvre littraire, luvre philosophique tend absorber son dire dans sondit, tout en se rservant la possibilit de renverser son dit dans son dire. Elle rduit auminimum son cadre nonciatif ou lexhibe au contraire,mais en le thmatisant directement ouindirectement dans le plan conceptuel pour mieux le contrler, au risque de laisser un reste irrductible entre dispositif dnonciation et schmes doctrinaux.Les philosophies offrent une re-prsentation sur le thtre de la pense, une scnographieprivilgie, par laquelle lnonciation lgitime le type de reprsentation du monde quelle instaureet se trouve elle-mme lgitime par elle: scne lgitimante qui lui permet de reprsenter sonpropre mode dlaboration. Cette scnographie qui veut effacer son propre scnario ny parvientquau prix dune concidence suppose entre son script et son criture. Les Mditationsmtaphysiques de Descartes en sont un bon exemple: le tour mditatif est comme lenvers dunefeuille pour son recto mtaphysique12, tout comme la prsentation la faon des gomtres dugrand texte spinoziste nest pas dissociable des chemins initiatiques qui en doublent les nervures

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    9. Voir F. Cossutta, LeScepticisme, PUF, Paris, 1994. Pour un exemple dune tentative contemporaine dunetelle explicitation auto-fondatrice et sa critique conduite dun point de vue sceptique, voirF. Cossutta, Pour une critique sceptique de la pragmatique transcendantale de K.O. Apel , Methodos,n3, 2003, p.248-288. |10. D.Bougnoux, Vices et vertus des cercles, La Dcouverte, Paris, 1989. |11.D. Maingueneau, Le Contexte de luvre littraire. nonciation, crivain, socit, Dunod, Paris, 1993,p.171. |12. ceci prs que le texte npuise pas lintgralit de lordre des matires de la mtaphy-sique, mais seulement ce qui peut tre contraint sous lordre analytique des raisons: Argumentation,ordre des raisons, et mode d'exposition dans luvre cartsienne , Descarteset l'argumentation philoso-phique, F. Cossutta dir., PUF, Paris, 1997, p.111-185.

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    architechtoniques.Mais en explicitant au mieux le mouvement de sa constitution, une philosophiene peut liminer totalement un reste li aumode de narrativisation par lequel le dploiement deson procs est possible, quitte devoir rtrospectivement lgitimer ou garantir ce support au seinde ses instances rflexives. Inversement le philosophe, lorsquil singnie, comme cest le cas dePlaton, Nietzsche ou Kierkegaard, dplacer les barrires de la discursivit spculative enaccentuant son jeu de subversion vers le versant littraire, accepte de mettre son identit lpreuve du mimtique, du potique, du romanesque.On comprend bien ds lors lambigut durapport quentretiennent avec le littraire certaines uvres, qui semblent la plupart du tempsrefuser la littrature, ou parfois flirter avec elle pour mieux la dominer.Ce renversement (on aimerait dire cette rversibilit) du discours philosophique vers le littrairepeut sentendre au moins de trois faons qui ne sont pas indpendantes : Les formes de lalittrature habitent la philosophie, comme en atteste la porosit des divers univers de discoursaux genres nomades qui en traversent les frontires. Les esthtiques ou les thories du langage,de lart, des diverses philosophies, privilgient certaines formes littraires ou artistiques, leroman, le thtre ou lopra. Les doctrines dterminent un algorithme pour une crationvirtuelle de littrarit partir de leurs schmes spculatifs, comme si toute philosophie se voyaitassocie comme son ombre porte figurative sur le plan expressif. La tentation littraireproprement dite sexplicite dans des uvres thse qui manquent par dfinition la dimensionlittraire et esthtique en la singeant, ou elle resurgit ailleurs, en fcondant sur un modergulateur, thmatique ou seulement analogique des univers littraires autonomes.La littrature produit leffort inverse en absorbant, digrant au plus profond de son expositionses propres structures thoriques, quitte les jouer obliquement un niveau structurel ou lesrinscrire fictivement comme son propre contenu. Il serait ncessaire, pour conforter notrehypothse, dlargir linvestigation dans deux directions. En parcourant, en premier lieu, lechemin inverse qui nous conduirait, nonobstant le principe dirrductibilit, passer de larduction intgrale du spculatif dans le schme expressif du littraire vers son explicitation, partir de luvre elle-mme ou de ses entours. On ne peut ngliger le nombre considrabledtudes portant sur ces uvres littraires qui simposent comme uvres de penses, que lonsonge aux tudes sur Proust ou Musil 13, condition toutefois que lobjet de ltude soit leur philosophicit 14 intrinsque, plus que leur philosophie implicite. Comme la trs bien

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    13.J. Bouveresse, La Voix de lme et les chemins de lesprit, Seuil, Paris, 2001. |14. Lemploi de ceterme trop alambiqu et par certains cts ambigu a simplement lavantage immdiat dcarterlide selon laquelle il y aurait seulement une philosophie montre dans le texte. Le travailde la littrature nest pas de faire la place du philosophe ou de faire mieux que lui, mais bien defaire autre chose, selon les rgles dune autre fabrique dont pourtant il savre quelle peut tra-vailler le mme matriau ou utiliser des outils analogues pour travailler un matriau diffrent.

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    indiqu P. Macherey : Cest (donc) dans les formes littraires et non en arrire de ce quellesparaissent dire, ou un autre niveau, quil faut chercher une philosophie littraire, qui est lapense que produit la littrature, et non celle qui, plus ou moins son insu, la produit 15. Ensecond lieu nous devrons approfondir cette analyse compare des modes de constitution ennous rfrant dautres formes de discours, scientifique, thologique, politique, faute de quoinous risquerions de construire un modle rendu trop troit par la restriction de son objet.

    Pour analyser plus rigoureusement, au sein du discours philosophique, les modalits de son rapportavec le discours littraire et vice versa, il faut disposer de catgories fonction modlisante afin dedfinir une rgle de composition interne entre les schmes spculatifs et les schmes dexpositiondune doctrine-uvre. Il sagit dtablir un rapport entre formes du contenu et formes de lexpression 16

    pour gnrer une combinatoire et des chelles de positions associant littrature et philosophieplaces dans une relation dentre-expression et dentre-interprtation.Nous appelons formes du contenu les schmes opratoires qui articulent des lments dedoctrine dans des procdures de traitement mthodiques, des structures hirarchiques ou destypes de composition squentielles ou segmentaires, cela en faisant provisoirement abstractiondes conditions discursives particulires de leur manifestation (substance du contenu). Le contenu (forme ou substance) est la structure conue comme schme dynamique dunedoctrine. Il ne se rduit pas seulement ses assertions et ses thses, mais est aussi prsent dansle mouvement qui les engendre (analyse, description, dduction, variation, dichotomie, etc.) ;cest lensemble des systmes dactes ou de gestes, de positions ou de refus, caractristiquesdune philosophie. Cest le foyer o se trouvent relis tous les filtres, tous les dispositifsopratoires propres une philosophie donne et o slaborent ses dispositifs mthodiques, sesprocdures de rflexivit et de validation, o se structurent ses schmes spculatifs. Unephilosophie projette ainsi dans sa propre paisseur substantielle lide dune forme constantedote dune puissance rgulatrice du discours. Certes, les travaux de P. Loraux insistent sur cepoint 17, des dfaillances, des lapsus de pense, des distorsions viennent souvent dformer cerglage au point quon peut se demander si une philosophie ne consiste pas autant dans sesambitions affiches que dans ses manquements elle-mme.Appelons par commodit expression (cela signifie seulement la possibilit dune translation entreplans) lensemble des oprations de discursivisation par lesquelles saccomplissent simultanmentlactivit de pense et sa communication. La forme de lexpression concerne les caractristiques

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    15. P. Macherey, quoi pense la littrature?, PUF, Paris, 1990, p.196. |16. F. Cossutta, Problmes demthode dans la lecture des textes philosophiques, Thse de Doctorat dtat, Paris I-Sorbonne, 2000. |17.P. Loraux, Le Tempo de la pense, Seuil, Paris, 1993 ; voir ci-dessous p.118 sq. Le langage des philo-sophes.

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    discursives les plus gnrales qui accomplissent cette mise en forme crite ou orale18. Les rglesdexposition, les modes dadresse, les genres, les tropes, figures rhtoriques, traits stylistiquessagencent sous une ou des scnes discursives lies des schmes caractristiques de la forme delexpression dune doctrine comme en tmoigne par exemple le rle jou par certainsmcanismes gnriques: le rcit de vie, la mditation, le trait, le rsum, le dialoguephilosophique. Cette distinction entre formes du contenu et formes de lexpression ne dfinit pasdeux types de phnomnes fixs une fois pour toutes. Elle permet didentifier un mcanismefondamental qui dfinit la philosophie comme discours auto-constituant.Dun ct, il semble bien que le sens des noncs philosophiques ne soit pas dissociable descontextes de discours dans lesquels ils sont structurs. En ce sens il y aurait uneindissociabilit entre forme de lexpression et forme du contenu et le philosophe ne serait quelauteur de son uvre, au vieux sens de son inventeur, cest--dire de son trouveur . Mais,dun autre ct, le texte crit nest pas un lieu transparent o sactualiserait directement unepense. Il est aussi un espace de re-prsentation, o lon donne tantt limpression que lapense slabore immdiatement dans le temps du discours, tantt au contraire quelle estexpose de faon diffre, travers ses hsitations, ses rsultats, ou travers un commentairertrospectif. Cette fois, le philosophe est lauteur de son uvre, au sens plus moderne deproducteur et crateur. Il met en scne le jeu de sa propre pense et peut moduler le rapportquil entretient avec elle, comme si la forme du contenu tait faite didalits philosophiquesstables et relativement indpendantes de leurs contextualisations discursives 19. Ainsi, malgrles variations qui interviennent lorsquon rpte ou rsume, lorsquon re-prsente unethorie sous une autre forme dexposition, il faut faire comme si le noyau de significationdoctrinale tait, dans lidal, transposable lidentique (moyennant quelques amnagements)et donc dot dune autonomie relative par rapport la diversit de ses reconfigurations etrinvestissements gnriques.On doit dautant moins rifier la distinction entre formes du contenu et formes de lexpressionque ce qui a le statut de forme du contenu ici peut apparatre galement ailleurs comme forme delexpression, comme nous lavons montr pour ltude dtaille de certains dialogues de Platon.Un dialogue philosophique, lorsquil est vivant , nous raconte deux histoires , celle qui sejoue dans le rapport entre le dire et le dit : celle des univers spculatifs mis en relation de tension

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    18. Nous dtournons ici la terminologie de Hjelmslev. La gnalogie de ces oppositions catgoriellespourrait aussi bien remonter de Hjelmslev Husserl, de celui-ci Leibniz, puis Aristote. |19. Nous neprenons pas parti ici sur la question du statut ontologique de telles idalits philosophiques, maisnous prenons acte de ce que, du point de vue des philosophies observes, elles sont toujours prsuppo-ses comme une modalit fonctionnelle de la mise en discours et, afortiori, de la mise en texte de la phi-losophie.

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    par les discours quil rapporte, et celle qui relie les interlocuteurs entre eux par leur dire, et doncse rapporte aux faons de dire; ds lors un mme schme doctrinal, par exemple le mouvementde leros, peut tre li lune ou lautre des deux fonctions, selon le dialogue auquel on se rfre,forme du contenu dans le Banquet, forme de lexpression dans lAlcibiade majeur 20.On doit utiliser ces catgories de faon purement fonctionnelle pour expliquer comment unedoctrine philosophique, nonobstant les vicissitudes de son laboration, de ses transformations,voire de ses reniements, est dploye dans les moments singuliers qui tendent la constituercomme une uvre unifie et unique. Il faut dailleurs relier ces catgories cellesdinstauration et dinstitution discursives du philosophique 21. Lorsque le rapport entre formedu contenu et forme dexpression se rapporte aux conditions et contexte dnonciation, onparlera dinstitution discursive de la philosophie. Lorsque ce rapport se rapporte larchivepar laquelle la philosophie tisse un lien interne sa propre histoire, on parlera dinstaurationdiscursive de la philosophie. Les uvres, les lments dun corpus philosophique, rsultentdune transaction entre les exigences dcoulant dune recherche privilgie decommunicabilit ou les exigences requises par la plus grande prcision expressive.Ainsi on esten prsence tantt dune relation fortement motive doctrinalement , parfois mmencessaire, entre forme du contenu et forme de lexpression, tantt dune relation plussouple, contingente voire arbitraire. Laccent mis sur une de ces dimensions ou sur uneproportion de leur composition dtermine limportance respective prise par lexpressif et lespculatif, ainsi que le caractre littraire ou philosophique dun discours, ce quiexplique autant leur extriorit conflictuelle que leur proximit en immanence.

    On peut distinguer les formes dauto-constitution littraire et philosophique en faisant varierle rapport entre forme du contenu et forme de lexpression. Le discours philosophique, dansson procs dauto-constitution, a pour caractristique dabsorber, dintgrer les formes delexpression dans les formes du contenu, et cela dans la mesure o les formes du contenucommandent en droit les formes de lexpression. Il le fait directement par la thmatisation de sesmodalits expressives dans les cadres et les catgories labores par la doctrine. Nous avons vuplus haut, en prenant lexemple de Spinoza, que cela pouvait avoir lieu directement(explicitement ou de manire oblique), ou indirectement par leur actualisation sur un modefiguratif (narrativit, fictionnalit, ethos, images et mtaphores, etc..) et pragmatique: un

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    20. F. Cossutta, Dimensions dialogiques du discours philosophique: les Dialogues de Platon , LeDialogique, J.-C. Beacco, D. Luzzati, M. Murat, M. Vivets diteurs, Peter Lang, Paris, Berne, 1997,p.27-45.|21. Ces catgories sont empruntes un modle plus large de la discursivit philosophique etne seront introduites quen fonction de leur valeur heuristique pour la question aborde ici;cf.F. Cossutta, op. cit. note 16.

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    dialogue de Platon, une mditation de Malebranche ne sont pas seulement des faons de dire lemonde et son rapport ltre, mais des machineries permettant celui qui les lit de setransformer en sorientant vers la vie bonne et de transformer le monde en le rorientantvers ltre. Cette transformation de soi sopre grce linscription dans le dispositifdexposition dune reprsentation en acte de lagir philosophique 22.On doit pouvoir suivre danstoutes les philosophies le point o labstraction philosophique se renverse et dtermine sonpropre espace de projection fictionnel, un mode de fictivisation du monde quil dcrit etexplique, son rgime dimages et de mtaphores, son genre littraire privilgi : on devraitpouvoir lire Descartes comme un rcit initiatique ou un roman picaresque, mais aussi crire unroman leibnizien, un rcit de voyageur gographe kantien, une pope hglienne 23. Il reste quela forme dexpression dune philosophie tend sidentifier sa forme du contenu.Le discours littraire se caractrise au contraire par un procs de discursivisation qui intgre lesformes du contenu dans les formes de lexpression, au point quil tend faire de son plandexpression la forme mme de son contenu. On pourrait soutenir, en forant le trait, quenlittrature la forme du contenu cest la forme de lexpression: ce que veut dire un texte littrairenest rien dautre que son dire, sa faon de dire.Cela ne signifie pas quil ne veut rien dire, ni quilne dit rien dumonde,mais quil le fait de faon seconde, de faon indirecte, partir de son rgimefictionnel ou mtaphorique 24. La littrature au sens fort est prsente lorsquil ny a pas detransposition possible, de traductibilit, lorsquil y a un excs, un dbordement, une impossibilitdexpliciter le noyau de la forme du contenu.Dans ce cas le discours littraire atteint sa plus hauteporte philosophique , prcisment dans son irrductibilit toute assignation explicitementphilosophique. Inversement, la forme de lexpression dune philosophie cest sa forme ducontenu qui, exigeant des transpositions dtermines dans lordre du discours, sactualise danslunicit dune forme canonique ou se redploie selon des configurations gnriques variables.Dans ce cas, cest le test de la traductibilit qui est dterminant, mme si certainesphilosophies jouent sur les limites et miment limpossibilit de la transposition en imitant les traitsde la littrarit, ou si, de fait, toute traduction , dun idiome philosophique dans un autre, dunelangue vernaculaire dans une autre, pose problme.Entre ces deux ples, tous les degrs dintgration ou de tension sont possibles, tant entenduque le discours littraire peut signifier les formes du contenu par ses modalits expressives etle discours philosophique signifier les dimensions expressives au plan de ses contenus commenous lavons dj relev. La littrature signifie obliquement la forme du contenu travers le

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    22. F. Cossutta, op. cit. note 20. |23. F. Cossutta, Le dialogue comme genre philosophique , LeDialogue. Introduction un genre philosophique, F. Cossutta d., Presses du Septentrion, Lille, 2004.|24. M. Meyer, Langage et littrature. Essai sur le sens, PUF, Paris, 1992.

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  • 25. F. Cossutta, Le scepticisme, op. cit. note 9. |26. Nous ne pouvons, dans les limites de cet article,dvelopper lensemble des combinaisons dtermines par cette variation ni proposer les cas exemplairesqui peuvent y tre associs.

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    mode de constitution propre la figuration de la forme expressive : c'est en donnant voir unmonde qu'on pose la forme d'un monde possible, le roman dploie les figures sensibles d'ununivers descriptif et peupl, dont parfois certaines voix narratives dveloppent ou illustrentun contenu spculatif.Mais la forme de l'univers qui englobe ces figurations narratives ne peuttre dite, sinon par le biais de mises en abmes ou de cercles.La philosophie, l'inverse, signifie obliquement la forme d'expression comme figuration possibled'un monde ncessaire, et cela grce l'explicitation des rseaux systmiques de la forme ducontenu: l'uvre philosophique dploie en effet une architectonique conceptuelle, unedynamique analytique, descriptive, dfinitionnelle ou dductive, et c'est la forme mme deluvre, cest--dire ses modes d'exposition, sa scnographie, qui constituent l'ombre porte de lastructuration des contenus en son sein.Elle ne se contente pas de dfinir un univers rfrentiel parle jeu des aspects dnotatifs du concept et par la prdication (qu'il soit dnot idel ou vise d'unmonde de l'exprience), mais soffre elle-mme comme son propre univers de rfrence figur(le monde interne de luvre avec ses caractristiques d'espace/temps transpose dans lordrefiguratif les caractristiques acheves ou anticipes des schmes spculatifs de la doctrine).Si le littraire est caractris par la convertibilit (sa r-solution) de la forme du contenu dansla forme de lexpression, il ne lui est pas moins loisible de sefforcer de dployer le contenu desa forme au plan de lexpression et ventuellement de lexpliciter thmatiquement ou delinscrire indirectement dans ses structures. Si le philosophique est caractris par laconversion tendancielle de la forme de lexpression dans la forme du contenu, il se heurte viteaux paradoxes qui dcoulent dune tentative dexhaustion et dont les sceptiques sont prts faire leurs dlices 25 ; il peut alors laisser merger de faon plus consistante des lmentsdexpressivit, soit en les inscrivant dans ses formes dexpositions spculatives soit en leurdonnant une certaine autonomie. Chaque philosophie a sa forme dexpression idale ou adhoc, (on peut alors parler de forme canonique) mais doit composer avec les impratifs lis sacommunicabilit et pour cela acclimater des cadres, genres textuels venant des discoursvoisins, littraires, religieux ou scientifiques, ou genres routiniers lis aux pratiques dcoleou aux institutions denseignement et de recherche (rinvestissements gnriques). On voit sedessiner des points de passage ou de conversion entre littrature et philosophie, on peut endcrire les positions en fonction dune variation du rapport entre forme et degrsdintgration ou dextriorisation. Plus la philosophie se rapproche de la littrature et plus larversibilit est visible, de mme lorsque le littraire bascule vers le philosophique 26.

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    Quel est lintrt dune telle hypothse thorique pour lanalyse des rapports entre discoursphilosophiques et littraires ?Apprhender littrature et philosophie comme des discours constitus/constituants permet toutdabord de dpasser la contradiction apparente entre une dfinition contextuelle et une dfinitionde droit de leur rapport, lune les identifiant par rfrence la relativit dune traditionhistorique27, lautre par identification la stabilit de valeurs de rfrence idales (esthtiques oubien pistmologiques). Les discours constituants se distinguent moins entre eux par loppositionentre auto-constitutivit et constitutivit, dont nous avons vu quelle tait sujette caution, quepar la diffrence entre des modalits spcifiques dauto-constitution. Il ny a donc pas de discourspurs,mais des mixtes dont le degr de philosophicit ou de littrarit dpend chaque foisde la dfinition et de la forme didentit labores en fonction des cadres proposs une poquedonne et en fonction des remaniements que subissent ces cadres dans le travail dcriture.Tanttces discours cherchent se dfinir en sidentifiant une typicit qui les singularise et les spcifiepar opposition dautres, ce qui leur permet de revendiquer une puret oublieuse de sespropres artefacts de constitution, tantt ils travaillent au contraire sur les marges, sur les limites etles frontires dune identit qui se voit dstabilise, dune identification qui se voit subvertie auprofit dun clatement des cadres gnriques, ou, au contraire, dune reconfiguration qui doittoujours prendre le risque, avec sa prennisation, de se voir un jour remise en cause.Le littraire, le philosophique, se dfiniraient alors comme tels par laccentuation plus ou moinsforte dun des aspects de lauto-constitution: soit quon cherche isoler au maximum larflexivit spculative, au point quelle devienne en puissance pure en tentant dexpulser ladimension figurative, quelle ne concderait quau titre dun irrductible reste ou dunadjuvant contingent ; soit quon privilgie au maximum la rflexivit fictionnelle, au pointquelle sefface entirement derrire le monde quelle a cr, quitte nous obliger grer le retour de son refoul spculatif. Le dosage dpend de la faon dont sont rsolues les tensionsinternes de la constitution discursive, lactualisation de tel ou tel aspect en jeu dans lauto-constitution ayant pour effet des diffrenciations accrues ou des rapprochements inattendus. Onparlera alors de discours littraire ou philosophique , non comme de ralitsontologiquement stabilises, mais comme deffets rsultants dun processus de constitutionvariant en fonction du couplage entre la dimension constitue et la dimension constituante et

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    27. Noublions pas que la dfinition de ce que nous entendons actuellement par littrature sestfixe entre 1760 et 1800 (1760 revue de Lessing: Brefe di Neuste Literatur Betreffend ; 1800 parution delouvrage de Mme de Stal, De la littrature considre dans ses rapports avec les institutions sociales).Cf. Escarpit: La dfinition du terme littrature , cit par P. Macherey, op. cit., p.204, note 10.

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    surtout de la faon dont celui-ci est rinscrit dans le discours mme. La premire dimension(constitue) inscrit les ensembles textuels dans la dpendance des contraintes multiples de miseen discours, contraintes matrielles, mdiologiques, idologiques, stylistiques, gnriques, ausein desquelles ceux-ci sont produits et se produisent. La seconde dimension (constituante) estlie aux effets de singularisation induits par une subjectivit ou par linscription dvnements dediscours atypiques-atopiques sur ces contraintes pralables. Ces perturbations ou ces plis ont pour consquence un dplacement ou une reconfiguration novatrice des cadres constitus.Lauto-constitution est un processus par lequel un discours produit ou croit produire lesconditions de sa production et de sa reproductibilit en les jouant au plan de sa forme, formedu contenu pour le philosophique, de lexpression pour la littrature.On pourrait ainsi rendre compte de notre intuition spontane, pour laquelle la cultureoccidentale depuis lantiquit a toujours su distinguer un rgime de la fiction dun rgimespculatif, bien que leur rpartition entre les formes de discours qui les assument sur un modeidentitaire 28 soit tantt stable, dote dune continuit relative, tantt instable.Cette approche offre un second avantage. Au lieu de prsenter les diffrences en tout ourien , elle les indexe sur des registres de modulation, des degrs continus, ou des variationsrgles. Elle construit ainsi des ponts entre les deux aires, l o elles sopposent le plus lors deleur expansion typifiante, ou suggre des lignes dinterface, l o elles se bordent ousinterpntrent. On comprendra leur inclusion respective, le fait que de lune on peut passervers lautre, en quelque sorte par lintrieur, comme si toutes deux taient lenvers lune delautre. On comprendra inversement leur irrductibilit et ce qui arrive lorsquon lignore.Parfois, sous leffet dun mimtisme dsastreux, il en rsulte des consquences dommageables,chacune se dgradant en salinant dans un autre illusoire quelle sest forg au prix de larduction de son altrit. Que lon songe aux tentatives potiques de Nietzsche ou deHeidegger, au thtre de Sartre ou inversement la philosophie produite dans les margesde certaine littrature. Les uvres philosophiques ou littraires construisent donc, en mmetemps que leurs objets, une certaine ide de la philosophie ou de la littrature et sont dans cecas au plus prs de ce qui, dans lautre, les dborde et les reconduit leur identit et leurclture. Cest le cas lorsquelles savrent irrductibles, donc intraduisibles et intransposables(du moins pour les uvres littraires, sinon sur un mode purement analogique). On observealors dexceptionnelles russites, comme en tmoignent les uvres de Platon, Descartes, ouCavaills, celles de Joyce, Kafka,Musil ouT.S. Eliot. Il nest pas question de chercher mettre

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    28.Sur le rapport entre philosophie et roman par exemple, on peut lire G. Philippe, Roman et philoso-phie , Encyclopdie Philosophique Universelle, T. IV, Le Discours philosophique, J.-F. Mattei dir.,PUF, Paris, 1998, p.1541-1553.

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    au jour la philosophie implicite des uvres littraires, pas plus quon ne saurait traduire lesphilosophies en bande dessine ! Notons cependant ici une diffrence. Lintraduisibilit dans un autre plan dexpression ou dans un mtadiscours dune uvre littraire est lie aufait, comme le dit encore P. Macherey, que les textes littraires sont le sige dune pensequi snonce sans se donner les marques de sa lgitimit, parce quelle ramne son exposition sa mise en scne 29. En philosophie cest le contraire qui se passe de droit, mme si, de fait,cette transtraductibilit gnralise du philosophique opre au sein ou partir dune langueparticulire ( nationale ou universelle ) qui serait cense jouer le rle de mdium, aurisque du malentendu et de la msinterprtation. Il ne peut tre question que detranspositions schmatisantes dun ct, figuralisantes de lautre.On abordera enfin diffremment la question de la valeur des uvres, en renouvelant la dfinitiondes critres de hirarchisation. On indexe habituellement ces distinctions, en littrature sur descritres esthtiques, en philosophie sur des critres thico-pistmologiques. En fait les critresaussi se croisent. Ce point est loin dtre clair et mriterait lui seul un dveloppement. Lesuvres des philosophes reconnaissent comme critre dvaluation leur adquation au vrai et aubien, tant entendu quelles sassignent en mme temps pour tche de dfinir ces derniers. Celaexplique la fois la prtention de chaque systme valoir comme seul reprsentant de cesvaleurs et lexistence dun panthon toujours recompos des philosophies qui se prsentent ensituation de concurrence et sannulent sans faire cumul, mme si elles sordonnent en unehistoire. Les littratures produisent des effets dintelligibilit, des effets de rel par le fait mmede produire un univers fictionnel, et des effets dans le rel du fait mme de produire deskinesthsies esthtiques individuelles ou collectives. Inversement les philosophies, fortes de leurprtention dire la vrit partir dun point de vue doctrinal et thtique qui nie ou relativiseleur propre particularit, proposent le faire-uvre comme un faire-monde sur un modeindirect qui mobilise des dimensions sinon dordre esthtique, du moins dordre esthtico-pragmatique, un peu comme si les philosophies noffraient pas seulement des propositions pourun monde faire, mais la reprsentation en leur propre sein dun monde effectif , offrant uneindication pour des gestes effectuer. Les textes philosophiques ne se contentent pas de proposerun modle dintelligibilit, mais ils prtendent transformer le monde grce linscription dansleur dispositif dexposition dune reprsentation en acte de leur agir philosophique.Ds lors le choix des critres dvaluation permettant de confrer le statut duvre (au sensvaloris, voire de chef-d'uvre) un opus ou un corpus philosophique ou littraire et dassocier

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    29. P. Macherey, op. cit., p.198.

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  • FRDRIC COSSUTTA

    cette distinction valuative une hirarchie axiologique et des systmes de jugements, ne relveplus directement dune esthtique, ni dune hermneutique, ni mme dune stylistique prenant encharge grce une analyse des formes cet aspect valuatif de la discursivisation philosophico-littraire30. La question est dabord une question technique, ou, pour mieux dire technologique , puisque la valeur de luvre nest pas dtermine par des critres purementformels, ni par des intentions, ft-ce lintention de faire-uvre, mais par la nature des gestes quiarticulent formes et contenus dans les moments du devenir uvre de la doctrine ou dela fiction. Nous sommes dsormais invits penser linstitution et linstauration des discoursphilosophiques-et-littraires dans le cadre dune potique des discours constituants.

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    30. G.-G. Granger, Essai dune philosophie du style, O. Jacob, Paris, 1968; G.-G. Granger, Pour laconnaissance philosophique, O. Jacob, Paris, 1988; A. Herschberg Pierrot, Stylistique de la prose,Belin, Paris, 1993; A. Jaubert, La Lecture pragmatique, Hachette, Paris, 1990; A. Lhomme, Le style desphilosophes , Encyclopdie Philosophique Universelle, op. cit., p.1564-1583.

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