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RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE

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RÉFLEXION PHILOSOPHIQUE

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Joseph Galamand

Réflexion philosophique

Essai

Editions Persée

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I PHILOSOPHIE DE LA CHAIR

PHÉNOMÉNOLOGIE DE MICHEL HENRY

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Philosophe phénoménologue, Michel Henry, après avoir lon-guement médité sur l’essence de la manifestation, rompt avec

la pensée grecque de l’Être, et, en conséquence d’une part avec la philosophie classique, y compris la phénoménologie de Husserl et de Heidegger, d’autre part avec la biologie moderne, ou plutôt avec sa philosophie implicite. L’une et l’autre, en effet, conservent intact le préjugé grec selon lequel n’est vrai que ce qui se montre dans un « voir » sensible ou intelligible. C’est ainsi que la biologie veut tout apprendre sur la vie et tout connaître d’elle par l’observation et la théo-risation des fonctions du vivant par lesquelles celui-ci se caractérise et se différencie des corps inanimés.

La recherche originale de Michel Henry, axée sur la manifestation de la vie invisible chez l’être vivant incarné, l’a conduit à formuler deux définitions innovantes, l’une de la vie : pure affectivité du souffrir et du jouir, l’autre, d’une entité invisible appelée chair impressionnelle : pouvoir immatériel de sentir et de mouvoir ce pouvoir, qui rendent clairement compte, dans leur développement, des comportements dic-tés par la vie en fonction des impressions ressenties par la chair qui lui est indissolublement associée. Ses intuitions et ses réflexions ont pris corps dans une phénoménologie de la vie et de la chair dont il a reconnu des linéaments chez Descartes, Kierkegaard, Marx et surtout Maine de Biran. Nous présentons ici une analyse thématique de l’un de ses trois derniers ouvrages intitulé Incarnation – Une philosophie de la chair.

Dans la conception grecque du monde – monde des choses et monde de la vie dont a hérité la pensée occidentale, est vrai ce qui se montre. C’est un principe formel d’une portée générale. Est donc vrai ce qui se montre au regard de l’œil comme à celui de l’esprit dans la représenta-tion. Être, c’est être vu jusqu’à la limite de l’observable au microscope électronique ou détectable dans la chambre à bulles, et penser c’est

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voir et décrire des rapports entre ce qui est vu ou représenté. L’homme est défini comme un animal raisonnable. La vie c’est l’animalité qui obscurcit et trompe la raison avec ces qualités sensibles que les choses tiennent d’elle. « Si l’on supprime l’animal, découvre Galilée, ces qualités sont supprimées ou annihilées. » et la vérité éclate dans sa simplicité : « La nature parle un langage mathématique ». L’ère de la modernité s’ouvre : La mathématique, modèle de la rationalité depuis l’antiquité grecque, devient le fin mot du réel. De Galilée, jusqu’à nos jours, la science n’a cessé d’étendre son domaine d’investigation et d’imprégner la culture, d’abord occidentale maintenant mondiale. Ses réalisations technologiques stupéfiantes lui assurent un prestige et une prégnance dans les mentalités que seules possédaient naguère la reli-gion et la métaphysique. Sciences physiques et mathématiques asso-ciées, fondamentales et appliquées, traquent le réel dans ses moindres replis et vont de découverte en innovation technique.

Passée la flambée des grands systèmes rationalistes, inspirés par la démarche du raisonnement mathématique, more geometrico, dira Spinoza, la philosophie redescend sur terre et se préoccupe de l’homme considéré en lui-même et pour lui-même. Kant posera la question opportune : qu’est ce que l’homme ? Avec le foisonnement du savoir encyclopédique et scientifique naît chez l’homme du XVIIIe siècle un sentiment de libération et de toute-puissance. Il s’émancipe en pratique des liens qui l’enchaînaient à la nature et en théorie de ceux qui le sou-mettaient à Dieu. Les Lumières proclament l’autonomie de l’homme et sa liberté sans entraves. Kant recherche l’essence de l’homme trans-cendantal et la découvre dans son aptitude à la connaissance de la réa-lité empirique. Affectivité et volonté ne donnent pas de connaissances et sont écartées de la théorie. La subjectivité c’est l’aperception ou conscience transcendantale, identique chez tous les hommes, qu’il place au fondement de la liberté et de la conscience empirique mais appartient au domaine de la Chose en soi, c’est-à-dire d’une réalité fondatrice, indescriptible et inconnaissable. Kant, comme résultat de sa Critique de la raison pure, réduit Dieu à la pure existence sans prédicats et la loi morale à l’impératif de l’universalité. C’est la raison pratique qui se donne des principes régulateurs en postulant un Dieu créateur, organisateur de l’univers et une vie future de l’âme immortelle. Science et philosophie font désormais route ensemble dans l’exploration de la

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réalité objective. Pour la philosophie, jadis de l’Être, aujourd’hui de la Conscience, aussi bien que pour la Science, objectivité, réalité, vérité, se confondent dans une même signification et une même référence à l’apparaître du monde, c’est-à-dire à ce qui se montre dans le monde et à sa lumière.

Husserl cependant inaugure une philosophie originale à laquelle il donne le nom de phénoménologie. Du point de vue nouveau qu’il découvre, la vérité apparaît scindée en deux éléments distincts : la chose qui se montre et le fait de se montrer. Il existe un écart entre le phénomène et la phénoménalité : le fait de se montrer n’a rien à voir avec ce qui se montre. La vérité est dans l’essence de ce qui est vu, son « sens d’être », sa signification. Cependant nous sommes irrésistible-ment ramenés au « voir » : c’est sur le « voir » de l’apparaître que porte la réduction phénoménologique à l’essence, c’est sur son évidence que se fondent méthode et doctrine en phénoménologie husserlienne. En fait, le dédoublement de la vérité n’a lieu qu’à l’égard de la réalité du monde considérée comme la seule existante. Or, il est une autre réalité qui ne se manifeste que dans la subjectivité : la vie. Ce qui me constitue c’est ma vie qui ne se voit pas, ce sont mes sensations, mes émotions, mes sentiments, ma faim, ma soif, mes douleurs, mes souffrances, mes joies, mes peines, mes besoins, mes désirs, mon action elle-même, bref, tout ce qui révèle la vie en moi. De cette vie qui constitue mon moi et de ses modalités, ou manières de s’exprimer, je peux parler dans le langage conceptuel de la pensée, mais ce n’est pas celui de la vie. Le logos du monde décrit la souffrance, par exemple, comme un « objet de pensée » d’où la souffrance est absente. Le logos de la souffrance est la souffrance elle-même. La vie s’éprouve en soi, dans l’invisible ; en elle aucun écart ne se creuse entre ce qui éprouve et ce qui est éprouvé, aucune extériorité ne s’interpose. Ma joie peut bien avoir des motifs extérieurs, en elle-même elle ne relève que de la vie. Dans la réalité de la vie l’objectivité est pure subjectivité. Telle se présente la vie dont l’essence, définie par Michel Henry, est pure affectivité du souffrir et du jouir. Elle trouve son effectivité dans le pathos d’une chair impres-sionnelle, invisible comme elle, douée des pouvoirs de sentir, d’agir, et de mouvoir ces pouvoirs. Elle s’auto-révèle et s’auto-suffit à la fois car elle ne dépend de rien d’autre que d’elle-même, au sens où rien d’autre à sa place ne peut éprouver douleur ou plaisir, souffrance ou joie. Elle

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ne requiert ni pensée ni conscience puisque c’est d’elle que naissent pensée et conscience. Il n’y a pas d’esprit si la vie ne lui donne à sentir qu’il pense et ce à quoi il pense. La volonté ne fait rien si la vie ne la presse de son besoin et n’impulse l’agir.

Le thème de l’action a été profondément analysé par Michel Henry, prenant à son compte l’intuition de Maine de Biran sur l’effort comme prise de conscience du moi. Le processus de l’action humaine y appa-raît sous un jour totalement nouveau ou, plus exactement, à la lumière cachée de la vie qui n’est plus la lumière du monde et de son « voir » où l’action se déroule. Un corps inerte de l’univers matériel se définit comme résistance opposée à l’effort de la vie ; visible dans la lumière du monde il est, dans son essence, invisible comme la vie. L’effort-pulsion, et donc le mouvement de l’action sont d’origine affective et non plus le résultat d’une conversion physique de la chaleur en tra-vail auquel on ne voit pas comment, un esprit, une intention, pourrait imprimer une direction. L’hétérogénéité absolue entre pensé et matière, présente dans le dualisme cartésien de l’âme et du corps, est surmontée par l’intervention de la vie en tant que pure affectivité.

Michel Henry fait une distinction très importante entre affectivité et sensibilité, généralement confondues. La seconde est fondée sur la première, mais alors que l’affectivité est homogène et autonome, la sensibilité renferme tous les pouvoirs de sentir que nous appelons tra-ditionnellement nos sens : vue, goût, odorat, ouïe, toucher, auxquels on ajoute le sens kinesthésique et le sens de l’équilibre. Ces sens du « lointain » nous mettent en rapport avec l’extériorité du monde, dont fait partie notre corps chosique. Il y a donc hétérogénéité entre la sen-sibilité soumise à l’intentionnalité dans son rapport avec les choses et l’affectivité qui est pure passibilité radicalement passive ; entre nos sensations élaborées dans l’appréhension par la sensibilité de l’autre que soi et les éléments sensuels : couleur, son, saveur, impression kinesthésique qui, en tant qu’originaires et relevant de la pure affec-tivité, sont non intentionnels. Toute l’ambiguïté de la sensibilité habi-tuellement confondue avec l’affectivité vient de ce que la sensibilité est fondée dans l’affectivité tout en étant de nature différente. Entre la sensibilité et l’affectivité

l’hétérogénéité est celle de l’intentionnel vis-à-vis de l’originaire. L’illusion est double de croire que les choses possèdent des qualités

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sensibles et que nos organes des sens sont capables de sensibilité. La vérité est que, dans les deux cas, la matière en elle-même étant insensible, c’est notre chair impressionnelle, invisible comme la vie à laquelle elle appartient, qui nous donne le monde à connaître, car sans elle le monde n’existerait pas pour nous. Ce n’est pas dire qu’il n’exis-terait pas sans nous. Il nous a, au contraire, précédés. D’où s’ensuivent deux conséquences imparables : d’une part l’homme est soumis à deux a priori : le monde, son extériorité et la vie qui nous a été en quelque sorte imposée, que nous supportons, souffrons et c’est ce qui fait que le souffrir est la condition du jouir, que le besoin étant le signe d’un manque, une souffrance, le satisfaire apporte une jouissance ; d’autre part, chez l’homme, comme chez tout être incarné, conscience et intel-lect sont des modalités de la vie.

Cette distinction entre affectivité et sensibilité fonde la phénomé-nologie de la vie et de la chair de Michel Henry. Elle lui permet, à la fois, de proposer une définition inédite de l’essence de la vie comme affectivité pure en conséquence de quoi elle se trouve coupée de toute attache avec la matière, et ensuite, de fonder sur cette affectivité origi-naire toutes les modalités d’une chair vivante dite impressionnelle en raison du flux continuel d’impressions changeantes qui la constitue en pathos : souffrance, joie, douleur, plaisir, faim, satiété, besoin, désir, angoisse, etc. Elle est dotée de pouvoirs et capable de forces ou pul-sions, d’efforts d’origine affective qui déclenchent le mouvement et permettent l’action en vue de la satisfaction des besoins essentiels à sa survie au sein d’un environnement matériel, économique et social qui lui impose ses règles et ses lois. Cette chair affective est incorporée à un organisme purement matériel appelé corps chosique, auquel elle ne doit rien de ce qui la caractérise en propre, mais elle subit de sa part gène, limitation, empêchement et finitude. La sensibilité, dès lors, dont nos organes des sens sont le siège mais non la source, se caractérise par son lien avec les corps de l’univers et avec le corps chosique, lien dont la nature apparaît à ce point déterminante que le biologiste ne peut envisager, pour la sensibilité, et à travers elle pour la vie, une autre origine que la matière. Ce lien pourtant n’est qu’apparent en tant que produit de l’intentionnalité par laquelle la conscience, dite intention-nelle en raison du fait qu’elle est toujours conscience de… quelque chose, prend possession de son environnement par le truchement de la

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représentation sensible ou idéale, c’est-à-dire construit des significations à son gré, conformes à ses lois formelles. Démarche dont on peut, comme l’a fait Marx à l’égard de Hegel, contester qu’elle puisse se réclamer de la Raison. Il y a en effet, paradoxalement, une réalité du principe d’irréalité qui inspire toute idéologie. C’est ainsi qu’un écart délétère se creuse entre les exigences de la vie réelle et celles de la vie rêvée par les idéologues en économie ou en politique.

Cette présentation de l’ouvrage de Michel Henry, intitulé Incarnation – Une philosophie de la chair, dont nous ferons ci-après plus ample connaissance, voulait simplement en souligner les fondements insolites, au sens favorable du mot. Il est un point cependant qui doit être abordé car il pose une interrogation à laquelle l’auteur ne répond pas. En effet, tout ce que dit Michel Henry sur la vie, selon les thèses développées dans cet ouvrage, concerne la vie humaine. Par prudence, irréprochable : « par-ler de ce que l’on connaît plutôt que de ce qu’on ignore » (Inc. p7), il a exclu de son champ d’investigation les êtres vivants autres que l’homme. Pourquoi écarter l’animal dès lors que la vie et la chair impressionnelle, qui forment un tout, sont apparemment présentes chez tous les êtres incar-nés ? Comment aussi intégrer l’homme et l’animal dans une même évo-lution des êtres vivants, telle que nous les décrivent les diverses théories de l’évolution qui, de nos jours, font appel à toutes les disciplines scien-tifiques ? Il n’en demeure pas moins que la biologie, qui scrute en pro-fondeur le vivant, ne nous apprend rien d’assuré sur l’origine de la vie la plus élémentaire et se perd en suppositions pour expliquer non seulement le « passage du brut au vital », selon l’expression de Jean Rostand, mais encore celui de l’animal à l’homme. Gradualisme ? Saltation ? On n’a que le choix des théories. La connaissance scientifique étant par nature falsifiable, réfutable, toujours menacée d’être remise en cause par un fait nouveau ou non encore perçu, toujours en mal de certitude, peut-on dès lors se résoudre à délaisser ou même à ignorer, un domaine de connais-sance qui n’arrive pas à combler le désir d’infini d’une vie trop courte ? Etait-ce la position de Michel Henry ? Nul ne peut le dire. Il s’élève en tout cas contre la conception grecque, jamais remise en doute, qui voit en l’homme un « animal raisonnable ». Il la dénonce en tant qu’elle s’inscrit « dans l’horizon d’une pensée où l’opposition du logos et de la vie sert à différencier l’homme de l’animal auquel la vie se trouve dès lors iden-tifiée. » (Les derniers écrits de Michel Henry en débat, édition Philippe

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Capelle). Elle conduit à accorder à l’esprit et ainsi à l’homme – « je ne suis donc qu’une chose qui pense, déclare Descartes dans sa deuxième Méditation, c’est-à-dire un esprit, ou une intelligence, ou un entendement, ou une raison » – une prééminence sur la vie à tout le moins discutable.

Un a priori fait de nous des vivants sur terre, dotés d’un corps dont les éléments sont tirés de la terre, dont le fonctionnement organique obéit aux lois de la nature matérielle et dont le cadavre sera rendu à la terre. Placé dans des conditions d’existence qu’il partage avec ses semblables et qui suscitent entre eux de multiples conflits, l’homme, doué de liberté et de raison se pose les questions de son origine et de sa destinée. À l’origine de la vie sur terre, de la sienne en particulier, l’homme occidental conçoit l’un ou l’autre de ces deux auteurs : le Dieu personnel de la Bible, éternel et créateur, ou bien la matière incréée évoluant au hasard vers la complexité. Présentée en ces termes radicaux, l’alternative n’admet aucune solution exacte, démontrable. On en discutera sans fin et c’est souhaitable, dans la mesure où la dispute reste courtoise et pacifique, car il ne serait pas digne de l’homme qu’il demeure indifférent à ce qui peut expliquer son séjour sur terre, là où il a prise, où il est libre, et doit sauvegarder cette liberté, d’agir dans la générosité ou l’égoïsme, pour la vie contre la mort. Trois grandes écoles, la religion, la science et la philosophie dispensent, sur les questions des origines, des savoirs spécifiques non exclusifs les uns des autres. Il sera toujours possible à une personne, suffisamment instruite dans ces différents savoirs, de se forger une certitude d’ordre affectif, appelée une foi. Ce sera sans doute sa meilleure raison de vivre.

Avec la phénoménologie de la vie et de la chair, Michel Henry apporte une contribution remarquable au débat sur l’essence et l’origine de la vie.

Nous avons puisé dans C’est moi la vérité, ouvrage dont la publication a précédé celle de Incarnation, quelques-unes des données propres à une philosophie de la vie et de la chair. Ces deux ouvrages, en effet, forment un tout indissociable.

(Inc 100) : Incarnation, page 100(CMV 100) : C’est moi la vérité, page 100

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1 CHAIR ET CORPS DE L’UNIVERS

« En un premier sens l’incarnation concerne tous les êtres vivants sur terre puisque ce sont tous des êtres incarnés » (Inc 7). Cependant il serait très approximatif de définir l’être incarné comme un être qui possède un corps. Peut-on, en effet, inclure le corps d’un être vivant dans l’ensemble des corps matériels dont s’occupe la physique qui, par ailleurs, est au fondement de la chimie et de la biologie ?

Michel Henry, dès le départ, prend la décision d’écarter de son champ d’investigation « les êtres vivants autres que les hommes » par choix méthodologique : « parler de ce que nous savons plutôt que de ce que nous ignorons ». Sage précaution. Nous dirons plus loin ce que nous pensons de cette exclusion.

Un abîme sépare le corps vivant du corps matériel inerte. Celui-ci ne sent et n’éprouve rien. Celui-là, au contraire, « s’éprouve soi-même en même temps qu’il sent ce qui l’entoure ». Il en perçoit les qua-lités, voit les couleurs, entend les sons, respire les odeurs, goûte les saveurs. Michel Henry appellera chair le premier, réservant l’usage du mot corps au second. « Car notre chair n’est rien d’autre que cela qui, s’éprouvant, se souffrant, se subissant et se supportant soi-même et ainsi jouissant de soi selon des impressions toujours renaissantes, se trouve, pour cette raison, susceptible de sentir le corps qui lui est extérieur, de le toucher aussi bien que d’être touché par lui. (Inc 8-9 ; souligné par l’auteur).

Loin de se confondre avec un corps de l’univers, la chair en est l’exact opposé. Chacun de nous sait très bien ce qu’est sa chair. La connaissance en est immédiate et permanente. Tel n’est pas le cas de