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Université de Sherbrooke L'éthique clinique comme engagement philosophique Étude comparative des conceptions de D.J. Roy et de L-F. Malherbe Stéphane P. Ahem, B.A. Novembre 1 998 Mémoire soumis à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie en vue de l'obtention d'une «Maîtrise ès Arts» en philosophie M. A. (philosophie) 8 Stéphane P. Ahcm (1998)

L'éthique clinique comme engagement philosophique

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Page 1: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Université de Sherbrooke

L'éthique clinique comme engagement philosophique

Étude comparative des conceptions de D.J. Roy et de L-F. Malherbe

Stéphane P. Ahem, B.A.

Novembre 1 998

Mémoire soumis à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie en vue de l'obtention d'une

«Maîtrise ès Arts» en philosophie M. A. (philosophie)

8 Stéphane P. Ahcm (1998)

Page 2: L'éthique clinique comme engagement philosophique

e

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Page 3: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Je me dois d'adresser un merci tout spécial à un Maitre et à un ami incomparable. Dès le début de mon baccalatlr&t, c ' e t h i qui m 'a insf lé lapassion & l 'éthique. C'est lui qui m 'a imité à la mîtrise. C C'esr otïssi lui qui m 'a aidé àjimtchir ce périple poré d'embtiches. .. Ce maître. c'est le R GeorgsA. LeguuIt.

Puisque j'ai aussi décidé & m'engager dans moult aventures depuis le début de ma mafîrise, la réalisation de celle-ci n'aurait pas été possible sans le concours & plusieurs personnes que je tzem à remercier ici :

Mercz au Pr Michel Bk&, secrétaire de la faculté des lettres et sciences hwmines.

au Pr Jan-F'rançorS Malherbe,

au Dre Lucie Bmeau-Lamontagne, secrétazre de la faculté de médecine,

au Pr Jean-Pierre g g i t z s ~ ~ ~ p n ,

qui m 'ont permis de fimtchir ces dflérentes étapes de ma formarion, sans que j'aie à me préoccuper des contraintes a h znis&ratives.

Page 4: L'éthique clinique comme engagement philosophique

LE CONCEPT DE ET LE SïATUT DES FONDEMENTS LA T&.ORIE -QUE, LE R&LE DE L'~TEICIEN ET LA DEMARCHE &THIQUE LA &T&THIQUE : ÉLÉMENTS EXPLICES DU CONCEPT ÉTHIQUES NORMATIVE ET A P P L I Q ~ LA &THODE DE L'ÉTHIQUE CLiNiQUE DE ROY : &ORE ET R ~ L E DE L'ÉTHICIEN LES SïATWï DE L'EXP~UENCE ET DES REP~ÉSENTATIONS CONCLUSION

DU STATUT DES FONDEibfiNiS : LE SïATUT DE LA VÉRITÉ D'UNE CONCEFïlON DE L'&'I'HIQuE : TBÉORIE ET RÔLE DU- DU SïATUT DE L'EXP~NENCE: MTERNALISME, CIRCULARITÉ ET REPRÉSENTATIONS CONCLUS~ON

O Stkphane P. Ahem (1998)

Page 5: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Introduction

'éthique clinigue n 'est pas de la théologie ou de la philosophie appliquée. L 'éthique clinique est une activité originale et inteZIecîwIIe distincte et non secondaire. L'éthique chique faitpartie intégrante du jugement clznique et du travail du clinicien'.

Aujourd'hui, il existe différentes façons d'entrevoir l'éthique clinique. Dans cet extrait,

D . J. Roy résume la position qu'il défend depuis prih de vingt ans, savoir que 1'6thique

clinique est une discipline originale et intellectuelle. Roy affirme, 2t plusieurs endroits dans

son œuvre, que la philosophie n'a pas de place à jouer en éthique cibique. Par contre,

d'un autre côté, J.-F. Malherbe soutient que l'éthique clinique renvoie à une éthique

fondamentale qui, elle, ne se comprend qu'à la lumière d'une philosophie du sujet et de

l'histoire'.

En ce sens, la bioéthique, I'éthique des affaires, l'éthique familiale, l'éthique des wmmunications ou de l'environnement ne sont pas des éthiques appliquées. Ce sont des secteurs dans lesquels l'éthique fondamentale se trouve réinterrogée sur ses propres fondements. Je préfère parler de l'éthique dans différents secteurs que d'éthiques appliquées. C'est toujours du même humain qu'il s'agit dans des secteurs dont les enjeux ne sont pas correctement perçus que par des personnes connaissant bien le terrain3.

La question qui nous vient alors à l'esprit est : quelle p k e la philosophie occupe-t-elle en

éthique clim@e? Cette question peut trouver un sens à la lumière de deux horizons : le

1 D.I. Roy, C.-H. Rapin. (1994). L'éthique clinique : concept et méthode. Arches d'éthique clinique. 1. Au chevet du malade. AnaIyse de cas à travers les @cialités médicales. Montréai : Centre de bioéthique. fnstitut de recherches cliniques de Montréal, p. 35.

Nous formulons ici le débat à la lumière des débats qui ont cours au Québec. Nous retrouvons ces questions dans la littérature bioéthique américaine lorsque des auteurs comme A. Jonsen adoptent une approche disciplinaire tandis que d'autres, telles que E. Pellegrino et D.C. Thornasma, arguent que l'éthique se constnrit à partir d'une éthique fondamentale. 3 J. -F. Mal herbe f 1996~) . Matériaux pour penser. L 'éthique clinique conme uphilosophie du singulier)). Montréai : Département de pidosophie, Université de Montréal, p. 120.

Q Stéphane P. Ahem (1998)

Page 6: L'éthique clinique comme engagement philosophique

5

premier est issu de la réflexion théorique tandis que le second émerge de La pratique et de

l'enseignement Aborder la question en termes de théorie nous renvoie A la question de

l'influence des savoirs sur la théorie dans l'élaboration du concept d'bthique clinique. En

ce domaine, les oppositions apparaissent ainsi. Pour certains, l'éthique clinique est une

discipline indépendante. Les tenants de l'approche disciplinaire s'insurgent contre la

reco~aissance de la philosophie comme fondement de l'éthique clinique. Pour eux, que

ce soit au niveau des pratiques, de la formation ou de la théorie, la philosophie n'est que

pure abstraction. Pour d'autres, l'éthique clinique représente un champ d'investigation

particulier pour d'autres disciplines. Dans cette perspective, certains appuient la thèse

que l'éthique clinique doit se construire à partir d'une réflexion philosophique, voire

adopter une méthode philosophique pour résoudre les problèmes pratiques4.

Aborder des liens entre l'éthique clinique et la philosophie, à partir du point de vue

disciplinaire, nous lance dans le débat des disciplines. En ce domaine, il est

maiheureusement trop facile de glisser sur des arguments ou des intérêts socio-politiques

plutôt que sur des éléments de rigueur, de clarté voire de compatibilité avec les exigences

de la pratique clinique en elle-même.

Une autre façon d'envisager les enjeux que soulèvent la question de la place de la

philosophie passe par la démarche éducative. En fait, dans la mesure où l'éthique

clinique est un élément important du «jugement clinique», il devient important de clarifier

-

' S. Toulmin (1986) How Medecine Saved the Live of Ethics in J.P. DehlIarco & R.M. Fox. New Directions in Elhics : The Challenge of AppIied Ethics. New York : Routledge & Kegan Paul, p. 265- 28 1 : K And the mord failings of the individual physician and the profession which undefie the public's discontent, are more likely to result fiom the routine doctor-patient contacts hat ffm the dra~iatk headline making issues)).

6 Stéphane P. Ahem (1 998)

Page 7: L'éthique clinique comme engagement philosophique

6

la place que la philosophie peut jouer, ou plutôt devrait jouer, dans ce processus.

L'évolution de l'enseignement de l'éthique a subi un essor rapide. Dans cette

perspective, un certain consensus est apparu clans la littérature au milieu des armées

1980~. Bien que de nombreuses facultés de médecine aient développé des programmes de

formation, il n'existe pas de consensus en ce qui a trait aux finalités de l'apprentissage et

aux pratiques éducationnelles.

Quant aux objectifs visés par l'enseignement de l'éthique, ils varient d'un extrême à

l'autre. Dans une leme éditoriale, ~ '~rnbros ia ' a présenté I'ethique comme étant un

excellent moyen de préserver la qualité des services auprès de la population. Il ne s'agit

pas de promouvoir des idéaux professionnels (Right staff / Neat Staf£), ni de promouvoir

un paradigme moral. Il s'agit plutôt d'assurer la régulation adéquate du marché, ceci

permettant d'accroître le profit économique, d'assurer la crédibilité diagnostique, de

diminuer les conflits d'intérêts, et d'éviter les poursuites. Pour d'autres, dont Pellegrho et

Thornasma, la visée de l'éthique est de promouvoir des idéaux de pratique.

Certainly, the profession should emphasize fidelity to duty and principle. These are the foundatiod beginnings of the moral Me. But they are not its full substance. Without some core of physicians who live acçording to the

5 Comme le souligne J. Patenaude (1997 L'éthique en médecine : les principales orientations éducatives. Erhica 9 (2) tome II; 97-116), cette préoccupation éthique domine de plus en plus l'enseignement de l'éthique. Elle nous renvoie d'ailleurs it une citation de R. Simard, Le souci de l'éthique, Bulletin du ColZège des médecins :

L'éthique devrait être à l'ordre du jour autant à l'intérieur de nos programmes d'études que dans la conduite de nos activités de recherche et de nos ententes contractuelles. 1.-.] Tl importe de comprendre que seules les connaissances et les pratiques professionnelles fondées sur l'éthique sont favorables à la société, que l'éthique est la base de la dignité et de la liberté humaine, que jamais elte ne résulte d'une simple accumulation de

6 connaissances, ni n'est le produit du hasard ou de la nécessité.

R. D'Ambrosia (1990). Can Ethics Be Taught in an Orthopedix Residency Training Program?. Orthopecii'c.~, 13 (6) : 62963 1.

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spirit of virtue ethic, the profession is not likeIy to achieve the Mness of its potential as a force for human good Nor will it serve its constituency as a deguard against the deterioration of moral standards and principles to which any society may be, at times, susceptible. [...17 .

Je me permets ici de fomuler à nouveau la question initiale de notre démarche. En fait, il

est difficile de définir la place occupée par la philosophie. L'éclatement des différents

horizons nous laisse penser qu'il existerait différentes intensités d'engagement

philosophique. A cet égard la question qui est au coeur de mon mémoire est : Quels sont

les rôles que In philosophie assume ou pourrait assumer en éthique clinique? Cette

question, je juge qu'il est préférable de L'aborder dans la perspective éducative plutôt que

dans une perspective disciplinaire. En ce sens, l'interrogation à laquelle je souhaite

proposer une réponse est donc : dans quelle mesure l'enseignement d'une certaine

conception de la philosophie peut-elle influencer la pratique de l'éthique clinique des

futurs professionnels de la santé? Cette question, nous pouvons aussi la fomuler en

termes socratiques : Est-ce que la vertu s'enseigne?

Cette recherche s'avère fort pertinente. Puisque les philosophes sont invités depuis

plusieurs années à assumer des rôles professoraux dans les facultés de médecine, il est

nécessaire de se questionner sur la place de la philosophie dans les programmes de

formation; et ce tant du point de vue de la description d'une compétence éthique

minimale que pour la création, la promotion et l'évaluation de programmes de formation

En fait, dans le domaine médical, certains étudiants voient leur c a d r e compromise

' E.D. Pellepino, D.C. Thornasma (1993). l;hc t'iriws in Medical Pradice. York : Oxford University Press; p. 173.

6 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 9: L'éthique clinique comme engagement philosophique

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puisque certains évaluateurs invoquent des problèmes au niveau de l'éthique ou de la

déontologie. Dans cette optique, il devient essentiel de comprendre les enjeux

éduattionnels et évaluatifs auxquels renverrait la compétence minimale qui exige, pour

être formulée, un arrière-plan théorique.

Cette recherche trouve aussi sa pertinence en philosophie. Que ce soit niornasma,

Beauchamp, Malherbe et bien d'autres, de plus en plus de philosophes participent à des

comités d'éthique clinique. Pour certains, particulièrement aux État s-unis, les

philosophes s'impliquent dans Ies activités cliniques (grand round ou consultations). Il

s'avère ainsi essentiel de prendre le recul nécessaire pour comprendre les rôles que la

philosophie peut assumer en éthique clinique que ce soit au niveau de la théorie de

l'éthique clinique ou des principes directeurs de la formation des futurs professionnels.

Dans ce mémoire, je veux clarifier les rôles que peut assumer la philosophie en éthique

clinique. Pour atteindre cet objectif géneral, nous devons procéder par différentes étapes

d'analyse. Trois sous-objectifs s'imposent : ces objectifs sont de clarifier les concepts

de philosophie, d'éthique et d'éthique clinique. Dans la mesure oii ces concepts revêtent

différentes acceptions chez les auteurs, il est essentiel de clarifier, dans un premier

' SOCIETY OF HEALTH AND HUMA. VALUE3-SOCIETY FOR BIOETHICS CONSULTATION (1997). Discussion Dra9 of the SHHV-SBC Task Force on Standards for Bioethics Consultation. Dans ce document, les membres du groupe identifient ainsi les éléments de compétences nodales (core competencies) des consultants en bioéthique :

Those conducting the consultation should help to identfi and analyze the nature of the value uncenainty or conflict underfying the consultation. [. .. ] Those conducting the consultation should help to resohe the value uncenainty or conflict by facilitating the building of consensus among concerned parties (e.g. patients, families, surrogates, health care providers).

0 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 10: L'éthique clinique comme engagement philosophique

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temps, le sens de ces concepts. C'est à partir de cette analyse que je serai en mesure de

mettre en perspective les rôles qu'assume la philosophie.

Le premier sous-objectif vise à dégager le sens du concept de philosophie dans des écrits

su . I'éthique ciinique. Plusieurs auteurs débattent entre eux du problème de la

philosophie et de sa place en éthique clinique. Pourtant, la controverse n'est pas si

évidente. À première vue, nous pouvons constater que les auteurs n'emploient pas la

même signification du mot ((philosophie)). Plus encore, pour certains, les liens entre la

philosophie et l'éthique ne sont pas les mêmes dans tous Ies modèIes. Finalemenf la

confuçion règne aussi au sujet des interactions entre l'éthique et la clinique.

Le deuxième sous-objectif consiste a dégager le sens du concept d'éthique dans les

discours sur l'éthique clinique. Encore une fois, les débats qui s'installent ne renvoient

pas toujours au même concept. Ces différences conceptuelles rendent difficile la

description de la place que peut jouer la philosophie en éthique clinique.

Le troisième vise à clarifier le sens du concept d'éthique clinique tel qu'il apparaît dans

les discours. Ce concept présente lui aussi des ambiguïtés inhérentes à son emploi dans

différents contextes et dans différents cadres théoriques.

Mon mémoire s'appuie méthodologiquement sur une démarche inspirée de la clarification

conceptuelle. J'ai jugé que cette méthode s'avérait la plus appropriée puisque je suis

Q Stéphane P. Ahem (1998)

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confronté à de nombreux discours, discours qui renvoient à des vocables semblables qui,

parfois, n'ont pas la même signification. Plus particulièrement, ces discours se traduisent

souvent dans des écrits qui sont aisément accessibles. Quant aux résultats attendus, cette

méthode permet de souligner les faux débats provenant de définitions opératoires

différentes et de préciser les arguments validant les propositions divergentes.

Dans la mesure où ma recherche s'intéresse à l'enjeu éducatif, j'ai choisi de considérer des

auteurs en éthique clinique qui assument un rôle dans les débats au Québec et au Canada.

Par contre, dans la mesure oll ceuxci rejoignent certaines grandes lignes directrices du

courant nord-américain, les conclusions de ce mémoire pourront permettre de soumettre

quelques hypothèses concernant les auteurs les plus importants : Beauchamp et

~hildress' (1' approche pnncipielle), Pellegrino et p ho ma sr na ' O- ' "" (l'approche

ontophénoménologique), ons sen'^-' (1' approche casuistique); et Lue wy ' 5(1' approche

communautarienne).

Les deux auteurs que j'ai choisis s'imposent, pour l'un, par l a nombreux articles qu'il a

publiés et, pour l'autre, par la place importante qu'il a occupée dans les débats au

9 T.L. Beauchamp, J.F. Childress (1 994). Principles of Biomedcal Ethics. Fourth Edition. New York : P d University Press; 546 p.

E.D. Peiiegrino, D.C. Thomasma (1993). op. cil. LI E.D. PelIegrino, D.C. Thomasma (1988). For the Patient's Good The Restoration of Beneficence in HeaZth Cure. New York : Mord University Press; 240 p. 12 E.D. Pellegrino, D.C. Thomasma (1981). A Philosophicd Bais of MedcaI Practice. Toward a {hiEosop?ry a d Ethic of the HeaZing Plofessions- New York : M o r d University Press, 342 p.

A.R. Jonsen, M. Siegler, W.J. Winslade (1992). ClinicalElhics. Third eciition. New York : McGraw- Hill editors; 197 p. 14 A.R. Jonsen, S. Toulmin (1988) The Abuse of Casuistry. A History of Moral Reasoning. Berkeley : University of California Press, 420 p.

43 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 12: L'éthique clinique comme engagement philosophique

I I

Québec. Ces deux auteurs sont Jean-François s al herbe'^ et David J. ~ o y " - ' ~ . Ces

auteurs soutiennent des positions-clés dans la controverse sur les rôles de la philosophie.

En effet, Malherbe adopte une conception de l'éthique chique fondée en philosophie

tandis que Roy adopte une approche disciplinaire.

Pour ce qui est des travaux de Malherbe, nous apportons quelques précisions. C'est un

auteur qui a publié de nombreux livres. Certains ont rapport à la philosophie des

sciences, à la philosophie de la médecine, à la théologie et d'autres se rapportent à

l'éthique clinique. II est à noter que, de par sa formation, Maiherbe est à la fois

philosophe et théologien. C'est à son arrivée à la faculté de médecine de t'Université de

Louvain qu'il a développe peu à peu son intérêt pour la philosophie et l'éthique

médicale. C'est ainsi qu'en 1987 il publiait un premier manuscrit intitule Pour une

éthzque de la médecine. Malherbe a travaillé, par la suite, avec d'autres auteurs pour

aborder des enjeux associés à la santé publique. Il s'est progressivement interrogé sur le

sens de la pratique clinique et l'éthique clinique.

Pour ce qui est des travaux de D.J. Roy, notre corpus est constitué de deux textes

principaux. Ils ont été écrits en collaboration avec d'autres auteurs. Une petite biographie

1 B.H. Loewy (1990) T é x î h k of Mecllcal Ethics. New York : Plenum; 252 p. 16 Le lecteur est prié de consulter la bibliographie pour retrower la liste des publications de Malherbe que nous avons étudiées. 11 est à noter que cette liste n'est en rien exhaustive. Par contre, elle permet, croyons- nous, de mettre en évidence les lignes importantes de sa pensée quant à la bioéthique et à l'éthique clinique. 17 D.J. Roy, J.R. Williams, B.M. Dickens, I.-L. Baudouin, (1995). La bioérhique : ses fondements et ses controwrses. Saint-Laurent : ERPI; 548 p. 18 D. J . Roy, C. -H. Rapin (1 994), op. cil, , 1 7-37.

O Stéphane P. Ahem (1998)

Page 13: L'éthique clinique comme engagement philosophique

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de Roy nous révèle celà Roy a d'abord appris les mathématiques au John Carroll

University. Par la suite, il a étudié la théologie dans différents instituts américains et

romains. Il a aussi poursuivi une formation en philosophie, pendant laquelle il a appris à

parler allemand En 1996, il a reçu un doctorat honorifique en droit de l'Université

Dalhousie d'Halifax Il oeuvre, depuis 1976, à titre de directeur du Centre de bioéthique

de l'Institut de recherches cliniques de Montréal et il est professeur à la faculté de

médecine de l'université de Montréal.

Notre mémoire se divise en trois chapitres. Le premier chapitre vise à présenter le cadre

d'analyse que j'utiliserai dans les deux autres chapitres pour clanfier les concepts de

philosophie, d'éthique et d'éthique clinique.

Le premier chapitre présente les trois grandes catégories que j'ai retenues pour comparer

les différents discours en éthique clinique. Ces catégories sont le mode de philosopher, la

conception de l'éthique ainsi que le statut de l'expérience et des représentations dans

l'élaboration de la philosophie. Pour itudier la première catégorie, je prends appui sur la

distinction pereimanienne entre le fondement absolu, le fondement suffisant et le

scepticisme. Le critère qui nous permet de distinguer une approche philosophique d'une

autre est la position que prennent les auteurs par rapport a la question de la vérité. Pour

étudier la conception de l'éthique des auteurs nous devons utiliser une grille plus mfEnée.

Pour la bien définir, j'oppose, à la lumière de Beauchamp, Childress et Engelhardt, les

éthiques descriptives et les éthiques normatives. Dans les éthiques descriptives, je retiens

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 14: L'éthique clinique comme engagement philosophique

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les éthiques d'ordre sociologique ou psychologique et la métaéthique. En m&aéthique, je

distingue trois courants importants. Le premier, dont font partie J. Couture, D. Gauthier,

K. Nielsen, s'intéresse à définir les principes qui fondent la morale. Le second courant,

qui se construit autoilr des travaux de H.T. Engelhardt, met l'accent sur le r6le de

clarification conceptuelle de la philosophie. Le demier courant en métaéthique est celui de

T.L . Beauchamp, J. Childress dans lequel ils proposent de construire une théorie morale

à partir des principes. Dans les éthiques d'ordre normative, je considère les éthiques

déductives, les éthiques issues de la pensée herméneutique et les éthiques de la décision

justifiée. Les éthiques déductives renvoient à plusieurs penseurs de la pensée moderne

que ce soit Kant et le déontologisme ou J.S. Mill et l'utilitarisme pour ne nommer que

ceux-là Les éthiques issues de la pensée herméneutique s'inspirent de l'approche

herméneutique telle que dkveloppée par H.G.Gadamer dans Vérité et méthode.

Finalement, les éthiques de la décision justifiée renvoient à la notion de décision pratique

et raisonnable chez Perelman. Pour différencier ces conceptions de l'éthique, j'utiliserai

deux critères : le statut de la théorie et le rôle du philosophe en éthique. La troisième

caractéristique du cadre d'analyse que je propose se rapporte au statut de l'expérience et

des représentations dans l'élaboration de la philosophie. Cette caractéristique vise à

distinguer les approches pragmatiques, celles issues de la philosophie régressive et celles

des philosophies premières.

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 15: L'éthique clinique comme engagement philosophique

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À la fh du premier chapitre' j'aurai posé les bases à partir desquelles je pourrai alors

analyser et clarifia les concepts de philosophie, n'éthique et d'éthique clinique chez les

auteurs. Dans le second chapitre, je m'attarderai à comprendre comment Roy conçoit le

rôle de la philosophie en éthique clinique à la lumière des balises que j'ainai définies dans

le premier chapitre. Cette démarche de clarification se bâtira à partir des énoncés

explicites de l'auteur ainsi que des éléments implicites présents dans l'oeuwe et qui

jouent un rôle majeur dans la position qu'il adopte.

Je répéterai cette démarche dans le troisième chapitre pour Malherbe. Je considérerai, à la

lumière des trois caractéristiques du chapitre premier - le mode de philosopher, la

conception de l'éthique et le statut de l'expérience et des représentations dans l'élaboration

de la philosophie -, le rôle qu'occupe la philosophie dans la conception de l'éthique

clinique de Malherbe. À la fm de ce parcours, j'amverai à comparer ces deux discours en

fonction des trois caractéristiques que j'ai défini dans le premier chapitre. L'éclairage de

ce tableau comparatif me permettra de mettre en évidence les différents rôles qu'assume

la philosophie. À partir de cette démarche, je tenterai des rapprochements entre les rôles

de la philosophie et la typologie des modèles d'enseignement qu'a proposée J.

~atenaude'~. Dans cette démarche, je présenterai une troisième voie qui n'aura pas été

exploitée dans notre démarche, celle de la décision justifiée. Finalement, je proposerai

mes recommandations en regard de la formation éthique en médecine.

19 J. Patenaude (1997). op. cit.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 16: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Chapitre 1

Cadre d'analyse philosophique des discours en éthique clinique

Avant d'entreprendre une démarche de c l ~ c a î i o n des concepts de philosophie,

d'éthique et d'éthique clinique, il s'avère essentiel de poser les balises a partir desquelles

je comparerai ces différents textes. Cet effort de métalangage est nécessaire puisque,

jusqu'à maintenant, les concepts demeurent trop souvent obscurs. Les analyses actuelles

se sont limitées à appréhender les termes et les concepts comme étant équivalents entre

eux. Pourtant, cela nous conduit probablement à des conclusions erronées.

Il devient donc primordial de circonscrire les caractéristiques permettant de comparer Les

discours. Puisque je souhaite comprendre les rôles que peut jouer la philosophie en

éthique clinique, il devient essentiel de clarifier le mode de philosopher qu'emploient les

auteurs. Ce sera donc la première caractéristique qui sera étudiée. Ensuite, dans la mesure

où je souhaite comprendre le discours éthique, la deuxième caractéristique nous renverra

à la démarche éthique qu'adoptent les auteurs. Finalement, une troisième caractéristique,

qui englobe le mode de philosopher et la conception de l'éthique, s'avère nécessaire à la

compréhension de la conception de l'entreprise éthique: il s'agit du statut de l'expérience

et des représentations dans l'élaboration de la conception de la philosophie ou de

l'éthique.

0 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 17: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Du statut de fondements : le staîut de la vPrirk

Depuis le tournant du siècle, la question des fondements en philosophie a pris de plus en

plus d'importance. En fait, plusieurs courants se sont imposés en rejetant toute

possibilité de fondement. D'autres, par contre, ont tente de circonscrire une nouvelle

façon d'entrevoir le rapport entre l'entreprise philosophique et les fondements. Ces

entreprises, que ce soit le pragmatisme épistémologique de Quine, le déconstructivisme,

le rationalisme, l'herméneutique ou la philosophie du langage, ont proposé des façons

parfois opposées de concevoir ce rapport.

Poser la question des fondements nous renvoient ainsi au rôle de la raison en philosophie.

En fait, quel que soit le rapport qui s'établit entre les fondements et l'entreprise

philosophique, la présence de fondements influence la façon dont on conçoit le mode de

philosopher. Cetîe préoccupation pour le rôle des fondements se retrouve

particulièrement chez C. Perelman :

Toute organisation sociale est fondée sur ce principe de conservation, forme humaine du principe d'inertie, qui explique les habitudes des individus et des groupes, et les besoins moraux et religieux des hommes renforcent encore leur soif de certitude et de dogmatisme. C'est la raison pour laquelle la plupart des penseurs contemporains ont cherché A concilier des conceptions dues à la philosophie régressive avec celles de leur philosophie première. Pour les uns, la connaissance naturelle ne peut être qu'imparfaite et régressive, mais à cette connaissance d'espèce inférieure il faut opposer une révélation surnaturelle qui permettrait ci' acquérir des vérités définitives. Pour d'autres, un certain domaine de la wnnaissance, celui du matériel et du spatial, relèverait de la philosophie régressive, alors que dans celui du spirituel on pourrait tabler sur des ventés absolues. Pour d'autres encore, seuls certains faits privilégiés (les faits atomiques de Wittgenstein ou les énoncés protocolaires de certains néopositivistes) seraient définitifs, tout le

Eb Stéphane P. Ahcrn (1998)

Page 18: L'éthique clinique comme engagement philosophique

reste étant révisable. Enh , pour les partisans d'une dialectique hégélienne, une certaine loi de développement des phénomènes serait la seule vérité définitivement acquise2'.

Le statut des fondements demeure au weur des entreprises philosophiques

contemporaines. Cette caractéristique s'impose aussi dans les discours en éthique

clinique. Il s'agit alors de la mettre en évidence.

Peu de philosophes ont récemment proposé une typologie des discours philosophiques à

la Iumière du statut qu'ils accordent aux fondements. On retrouve une telle recherche

dans les travaux de C. Perelman. Pour lui, il existe trois modes de philosopher distincts

selon le statut des fondements. On peut représenter ces entreprises sur une ligne droite.

Figure Importance accordée aux fondements dans l'entreprise philosophique

Dogmatisme i I 1 I , , Scepticisme

Fondements absolus

Fondements Absence de SUfIisants fondement

Considérons d'abord ies entreprises qui accordent un statut absolu aux fondements. Ces

entreprises adoptent cette maxime, comme nous le dit Perelman : «Ce qui existe en soi et

se conçoit par soi doit fonder ce qui existe en autre chose et se conçoit grâce à autre

chose: c'est ainsi que, pour certains, les modes trouveront leur fondement dans la

substance, les êtres contingents dans l'Être nécessaire, les vérités dérivées dans les

principes évidents, les normes et les valeurs dans un réel incontestable^^! Ces

C. Perelman (1989) «Philosophies premières et philosophie regressiven dans Rhétoriques. Éditions de l'université de Bruxelles (repris de la revue Dialectica (1 1) 19491, p. 176. 21 C. Perelman (1976), op. cit.

8 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 19: L'éthique clinique comme engagement philosophique

18

entreprises philosophiques se bâtissent à la lumière de fondements qui transcendent le

devenir historique de la philosophie. Le fondement absolu a pour caractéristique d'être

immuable, éternel et universel. Ces fondements sont accessibles à la raison, soit par

l'être, la connaissance ou l'éthique.

À l'opposé de ce mode de philosopher sied l'approche sceptique. Cette approche récuse

toute possibilité à un fondement pour la philosophie. Cette entreprise ne prend pas

appui sur la raison. Elle se construit tantôt sur I'émotion, tantôt sur les sentiments. Pour

illustrer cette approche sceptique, on peut se référer à l'approche de l'éthique de Hume

telle que la décrit C. Perelman : ((Mais comme l'on ne peut déduire de l'être le devoir-

être, les nomes et les valeurs, privées de fondement valable, ne seraient plus que

l'expression d'émotions subjectives ou & commandements tirant leur prestige de la

source qui les impose et les sanctionne»u. Pour Perelman, les sceptiques ne

reconnaissent pas de statut au fondement; ils récusent aussi toute évidence. La seule

évidence qui demeure est celle qu'il n'y a p s d'évidence.

La troisième distinction que propose Perelman en regard du statut des fondements est le

mode de philosopher axé sur un fondement suffisant. Cette entreprise philosophique

accorde un intérêt au fondement sans prétendre atteindre à une venté, quelle qu'elle soit.

En effet, selon Perelman, l'approche dogmatique et 1 'approche sceptique ((négligent

0 Stkphane P. Ahem (1998)

Page 20: L'éthique clinique comme engagement philosophique

19

l'intérêt d'un fondement suffisant, qui écarte un doute ou un désaccord actuel, mais qui

ne garantirait pas, une fois pour toutes, l'é~imination de toutes les controverses

Les fondements suffisants ne sont pas en-dehors de l'histoire. Ils sont soumis à la

contestation. «Ce qui a constitué un fondement suffisant, à un moment donné, peut ne

pas présenter les caractères d'un fondement absolu, qui écarterait pour toujours toute

contestation à ce propos. L'on comprend que l'ambition d'éviter à tout jamais toute

contestation ait incité la plupart des philosophes a rechercher un fondement à l e m

affirmations qui soit incontestable, c'est-à-dire absolwZ4. Ces fondements ne sont pas

des rocs immuables, mais des points d'appui qui permettent de résoudre des conflits à un

moment donné de l'histoire.

Pour Perelman, les entreprises philosophiques qui s'appuient sur un fondement suffisant

ont quatre caractéristiques. D'abord, ce sont des entreprises qui sont construites à un

moment déterminé. Ensuite, ces entreprises sont construites dans une situation

déterminée. Ce mode de philosopher reconnaît que les fondements sont contestables en

droit et qu'il s'agit d'une position qui est contestée en fait. L'entreprise qui se bâtit à

partir des fondements suffisants n'est pas purement subjective. En fait, pour Perelman,

la dimension de la contestation, de droit et de fait, exige que les fondements puissent être

-- - -

22 C. Perelman (I976), op. cit. 23 C, Perelman (1 W6), op. cit. ZL ibid.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 21: L'éthique clinique comme engagement philosophique

20

discutés auprès d'un auditoire. Ainsi, la validité d'un fondement suffisant, à un moment

d o ~ é dans une situation donnée, réside dans son acceptation par les membres de

l'auditoire qui reçoit la prétention de l'orateur.

Lors de la clarification conceptuelle des auteurs, plusieurs critères nous permettraient

probablement de différencier les entreprises philosophiques en regard du statut qu' elles

accordent aux fondements. Une question décisive permet cependant d'évaluer ces

discours. Cette question, elle recoupe moult préoccupations en histoire de la philosophie.

Il s'agit de la question de la vérité. À quelle conception de la vérité doit-on associer la

conception des différents fondements ?

Premièrement, l'approche qui privilégie un statut absolu pour les fondements pose

comme a priori qu'il est possible d'accéder a une vérité. Deux modèles peuvent être

distingués à cet effet. Le premier pose qu'il est possible d'aîteindre à une vérité copie du

réel. Cette conception présuppose l'existence d'un monde extérieur qu'il nous faut

atteindre par les concepts. On peut illustrer cette forme d'entreprise a partir de la

perspective thomiste, telle que l'illustre G.A. Legault :

10111 peut tracer la différence entre un acte humain et un acte non humain à partir de la conception de la volonté, volonté conçue comme un appétit rationnel (visant le vrai). Cette représentation de l'être humain est posée comme vrai puisqu'elle est le miit de la connaissance. C'est parce que cette conception est vraie qu'on peut juger que toutes les conduites non- confiornes à ce que doit être un être humain seront jugées immorales25.

25 G. A. Legault ( 1 994). Questions for#ilanenfaZes en éthique. Manuel d'intrarfuction aux notions d'éthiques. Cahiers de philosophie n05. Sherbrooke : Secteur d'éthique appliquée, Département des sciences humaines, Université de Sherbrooke; p. 69.

O Stéphane P. h e m (1998)

Page 22: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Dans ces formes d'entreprise philosophique, la vérité est donc la clé de voûte de tout le

philosopher. C'esî par La vérité que le système philosophique est jugé valide. J'empmte

à G.A. Legauit ce sch6rni-î qui résume la dynamique de ces entreprises.

Figure Schéma de la rationalit6 à l'oeuvre dans une approche issue des

fondements absolus

+ +

Force contraignante de l'évaluation Obligation morale

Connaisssance de la nature de l'être humain dans l'univers

Dans la distinction des fondements absolus, une seconde nuance mente d'être apportée,

celle de la vérité herméneutique. En fait, L'approche de vérité-copie du réel a fortement

été contestée depuis le tournant de ce siècle. Certains philosophes ont tenté de repenser

la relation entre la vérité et les fondements de la philosophie. Un des mouvements les

plus importants est celui de la pensée herméneutique. Le texte qui fait figure d'autorité en

la matière est celui de H.G. Gadamer, intitulé Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une

hennéneurique philosophique. Dans ces entreprises philosophiques, deux éléments sont

caractéristiques. Le premier élément se rapporte au rapport entre la vérité et le mode

d'être de l'humain. Ces auteurs, suite à la pensée heideggerieme, postulent qu'il est dans

la nature de l'humain que de comprendre :

b Conduite humaine

A

Valeurs b

Page 23: L'éthique clinique comme engagement philosophique

L'analytique heideggerieme de la temporalité du Dasein humain a montré de manière convaincante, selon moi, que comprendre n'est pas un mode de comportement du sujet parmi d'autres, mais le mode d'être du Dasein lui- même. C'est dans ce sens que le concept d'herméneutique est ici en oeuvre. II désigne la motion fondamentale de l'existence, qui la constitue dans sa fmitude et son historicité, et qui embrasse par là même l'ensemble de son expérience du monde. Il ne faut voir là aucun arbitraire, aucune extrapolation artificielle d'un aspect unilatéral : c'est la nature même des choses qui fait que le mouvement de la compréhension soit englobant et universelz6.

L'approche herméneutique se construit en fonction d'une ((expérience de vérité)). Le

cercle herméneutique, par lequel la vérité se dévoile, procède d'une réactualisation de

l'expérience de vérité. ((L'expérience de la transmission du passé par l'histoire dépasse

fondamentalement ce qui, en elle, est objet possible d'investigation [...]. Elle ne cesse de

communiquer une vérité à laquelle il importe de purticipen>27. La conception de la vérité

que partage ces entreprises philosophiques repose sur une conception du rapport entre

l'humain et l'Histoire. La vérité s'y fait dévoilement. Elle est une expérience à laquelle

l'humain est convié.

Non seulement le fait que la tradition historique et l'ordre naturel de la vie constituent l'unité du monde dans lequel nous vivons en tant qu'hommes, mais la manière dont nous faisons l'expérience les uns des autres, celle des traditions historiques, celle des données naturelles de notre existence et de notre monde, tout cela forme un univers véritablement herméneutique, où nous ne sommes pas enfermés comme dans des limites infranchissables, mais auquel nous sommes positivement ouverts2*.

26 H. G. Gadamer ( 1 976). Vérité et méthode. Les grandes Izgnes d'une heménetrtique philosophique pdui t de l'allemand Wahrheit und MetMe 33 édition allemande 1973 par Étienne Sacre). Paris : Editions du SeuiI, p. xvi. H.G. Gadarner (1976), op. cil., p. 22.

28- . I brd.. p. 23.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 24: L'éthique clinique comme engagement philosophique

23

L'essence de l'approche herméneutique de la vérité est celle de la circularité du

dévoilement du vrai. La vérité se dégage dans le rapport avec la chose même, celle-ci

demeure cependant inaccessible. La vérité, en rapport avec la chose même, se dégage

comme projet, inscrit dans le cercle herméneutique : «Toute révision du projet anticipant

repose sur la possibilité de lancer un nouveau projet de sens; des projets rivaux de

remaniement peuvent se présenter côte à côte jusqu'a ce que se dégage de façon plus

univoque l'unité de sens [...]D~~. Retenons du concept de vérité dans l'approche

herméneutique qu'il est dans le domaine de l'inconscient : impossible d'y accéder

directement. d a structure du réel, qu'on croyait rejoindre dans les conceptions

traditionnelles de la vérité, devient ici l'équivalent de l'inconscient. Jamais elle n'est

accessible directement; toujours, elle est interprétéen3*.

Le mode de philosopher qui se construit en accordant un statut suffisant aux fondements

ne se définit pas en termes de vérité. L'élément clef est le fait que ces fondements sont

contestables en droit et contestés en pratique. Ainsi, les fondements sont proposés à un

auditoire par un orateur. C'est dans ce rapport à l'autre que les fondements sont

reconnus comme valides ou significatifs. Une entreprise philosophique construite à

partir des fondements suffisants emploie l'argumentation pour convaincre l'auditoire.

Cette argumentation, Perelman la présente sous la forme de la rhétorique. Nault résume

ainsi le lien entre la rhétorique et la crédibilité de l'entreprise philosophique:

29

30 F.G. Gadamer (1 976), op. cil., p. 1 05. G.A. Legault (I994), op-cit., p. 256.

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 25: L'éthique clinique comme engagement philosophique

[L]a rhétorique r?e concerne pas tant la vérité que l'adhésion Ceci souiigne la distance qui existe entre la rhétorique et la logique formelle ainsi que les sciences positivistes. La rhétorique cherche à provoquer l'adhésion afin d'obtenir un accord; ainsi il n'y a pas de vérité au point de départ devant laquelle on doit s'incliner. Avec la rhétorique il y a donc un échange entre l'orateur et son auditoire, tandis qu'avec la logique formelle et les sciences positives on ne cherche pas l'accord car on doit s'incliner devant la vérité3 l .

Les entreprises philosophiques qui s'appuient sur des fondements suffisants délaissent

la question de la vérité. Les philosophes formulent cet enjeu en termes de crédibilité. Un

fondement sera jugé sufisant au terne d'un dialogue par lequel l'orateur et l'auditoire

auront jugé que les fondements sont suffisants. La conception de Perelman suppose que

l'auditoire définit G la preuve la meilleure du point de vue rationnel pour soutenir

telle vérité ». Dans la mesure où il s'agit d'un accord a partir d'une raison, il est alors

possible de parler de dialogue. Pour opposer le schéma inspiré par une approche de

connaissance du bien et du mal, j'emprunte encore une fois à Legault (1994) son schéma

du dialogue éthique. Pour Legault, «le dialogue éthique vise a construire dans une société,

à rétablir des jugements sur nos actions une fois que nous avons perdu les repères de la

31 M. Nault (1990). L'attitude pragmatique dans la conception de la justice chez C. Perelrnan a la lumière de l'argument pragmatique dans L. Begin et ai. Pragmatisme er rhéorie érhicpe. Cahiers de philosophie n03. Sherbrooke : Département de sciences humaines. Université de Sherbrooke, p. 192. 32 G . A. Legault ( 1 994), op. cil., p. 1 06.

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 26: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Les entreprises sceptiques récusent tout statut au fondement. Ce mode de philosopher se

caractérise par l'absence de discussion du concept de vérité; outre que par une négation

de sa possibilité. Cette approche sceptique à l'égard de la vérité ouvre aussi la porte au

relativisme qu'il soit individuel ou culturel.

Figure Dialogue éthique

Cette première caractéristique, je I'ai définie en fonction de trois distinctions :

l'entreprise qui confere un statut absolu aux fondements, celle qui leur accorde un

caractère suffisant et I'entreprise sceptique. Le critère que j'ai privilégie est celui de la

vérité. L'utilisation du concept de vérité s'avère important pour déterminer la nature

spécifique du (( philosopher » d'un auteur, les concepts équivalents pour saisir la

conception de l'éthique d'un auteur s'avèrent : la théorie éthique et le rôle du philosophe

dans la pratique éthique.

Dialogue soi-autrui (expérience dialogique)

O Stephane P. Ahern (1998)

w Pas d'obligation morale

Force contraignante suppose accord sur ...

Réseritation de l'être humain dans

l'univers

Valeurs s

,

Page 27: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Tableau synthèse sur les caractéristiques du mode de philosopher

Vériîé

en fonction du statut des fondements Philosophie avec Philosophie avec Scepticisme fondements absolus 1 fondements 1

- -

Vérité copie du réel 1 Accord Esfus de tout

D'une conception de l'éthique : thdorie et rôle du philosophe

...*...............-.--....... "....*......... vérité herméneutique

L'entreprise éthique elle-même est une caractéristique importante des discours en éthique

clinique. Il existe, en effet, de nombreuses acceptions du concept d'éthique qui possèdent

leurs propres caractéristiques. Ainsi, lorsqu'un auteur emploie le mot éthique, cela peut

avoir différentes significations. Dans un effort de clarification conceptuelle, il s'avère dès

lors essentiel de proposer une distinction entre les différentes conceptions de l'entreprise

ou la démarche de l'éthique. Dans leur réputé livre Principles of Biomedical Ethics,

Beauchamp et Childress proposent, comme point de départ, de distinguer les éthiques

descriptives, les éthiques normatives et les discours éthiques ayant pour fins la

clarification des concepts et des méthodes. Pour eux, ces formes d'éthique se distinguent

par la finalité qu'elles visent.

Ethics is a generic term for various ways of understanding and examining the moral life. Some approaches to ethics are normative (that is, they present standards of right or good action), others are descriptive (that is, they report what people believe and how they act), and still others analyze the concepts and methods of et hic^^^.

fondement

0 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 28: L'éthique clinique comme engagement philosophique

27

Ces auteurs ne sont pas les seuls à rem-tre l'importance de bien distinguer les

différentes conceptions de l'éthique3'. Dans ce manuel, il distingue les éthiques

psychologiques et sociologiques, qui adoptent une position descriptive à l'égard de

l'éthique, des autres formes d'éthique, à savoir les éthiques comme connaissance du bien

et du mal, les éthiques wmme sagesse de vie et l'éthique comme dialogue.

Dans le cadre d'analyse construit ici, je propose d'unir ces deux schémas de

classification. Deux grandes catégories d'éthique s'opposeraient ainsi : les éthiques

descriptives et les éthiques normatives. Les éthiques descriptives et les éthiques

normatives pourront alors etre distinguées en fonction de deux critères : le statut de la

théorie éthique et le rôle du philosophe a la lumière de cette théorie.

Dans la première catégorie, je propose de considérer les éthiques psychologiques et

sociologiques ainsi que la métaéthique. Les entreprises se rapprochant d'une approche

descriptive ont pour caractéristique d'adopter une position neutre face à un problème

éthique. 11 n'y a pas d'engagement de l'éthicien - qui peut ici être philosophe,

théologien, sociologue - dans la résolution de problème. «Descriptive ethics and

rnetaethics are grouped together as nonnormative because their objective is to establish

what factually or conceptually is the case, not what ethically ought to be the casen3'.

33 T.L. Beauchamp, J.F. ChiIdress ( 1 994), op-cit, p. 4 . Y On retrouve une telje démarche dans le livre Questions fondamentaes en éthique de G.-A. Legault. 35 T L . Beauchamp, J.F. ChiIdress (1994, op. cit., p. 5 .

C Stéphane P. Ahem (1998)

Page 29: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Dans la seconde catégorie, seraient considérées les éthiques comme connaissance du bien

et du mal (ci-après ethique déductive), les éthiques herméneutiques, les éthiques de la

décision justifiée. Du point de vue de la théorie, chacune des différentes formes d'éthique

présente des particularités substantielles puisqu'elle développe une interface unique

entre la théorie kthique et la situation clinique. À l'opposé des éthiques descriptives, ces

éthiques sont cependant axées vers l'action. Il s'agit d'une théorie en acte. En ce sens,

l'éthicien est engagé. II participe au débat. Son rôle n'est pas limité à celui de la

clarification conceptuelle ou de la description du phénomène.

Les éthiques descriptives

Les éthiques sociologiques ou psychologiques parlent de l'éthique36. « [ . c r i p r i v e

etllics is the factual investigation of moral behavior and betiefs. It uses standard scientific

techniques to study how people reason and a~b,~' . Pour illustrer ces formes d'enquête

scientifique en regard de l'éthique, considérons ici le point de vue psychologique et le

point de vuz sociologique. Du point de vue psychologique, plusieurs auteurs ont parlé de

la question de l'éthique. Pensons ici à Skinner, Freud et Lawrence Kolhberg. Ce dernier a

proposé de décrire les étapes du développement moral à la lumière de l'approche

développementaliste de Piaget. Pour illustrer le point de vue psychologique, Racine,

Legault et Bégin résument bien Ia thèse de Kohlkrg :

36 Pour appuyer cette définition, je me permets de souligner la définition qu'en donne P. Fortin dans son livre La morale, l'érhique. l'ézhicologie. Sainte-Foy : Presses de l'université du Québec, p. 65 :

L'éthologue éthicien, c'est l'homme ou la femme de science qui, à partir de son expérience scientifique particulière (sociologie, histoire, anthropologie, biologie, physique), estime de son devoir d'interpeller ses contemporaines et contemporains en questionnant leurs moeurs, leur ethos - au sens large de mode de vie -, et en proposant de nouveIles pistes de réflexion sur les finalités de l'agir humain.

37 T.L. Beauchamp, J.F. Childress (1994), op.cit., p. 4-5.

42 Stéphane P. Ahem (1 998)

Page 30: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Pour lui, la personne humaine se développe en apprenant à agir dans les circonstances de la vie. À travers ses différentes expériences, elle éprouve les limites de son propre modèle de conduite. [...] Cette théorie rejoint la psychanalyse dans la mesure où l'éthique y est considérée comme composante essentielle de la personne, et qui assure son rnie~-être'~.

Du côté de l'éthique sociologique, le phénomène éthique est appréhendé à la lumière de

l'interprétation du phénomène social. Ainsi, les auteurs qui adhèrent à un tel mode de

compréhension tentent de circonscrire le rapport entre l'éthique et le social. L'éthique

sera conçue ici en termes de régulation sociale. «Le sociologue appréhende en effet les

conduites humaines sous l'angle des normes, règles, valeurs, idéaux auxquels elles

obéissent ou désobéissent, dont elles s'inspirent en principe sinon de fait, auxquels en

tout cas elles se

À ces deux premières approches descriptives de l'éthique, une troisième forme doit être

considérée, celle-là philosophique, la métaéthique. «[~etaefhzcs involves analysis of the

language, concepts, and methods of reasoning in ethics. [...] It also inclüdes study of

moral epistemology (the theory of moral knowledge) and the logic and patterns of moral

reasoning and justificatiom4! Bien que souvent la métaéthique soit considérer dans un

- - - - - - - -

38 L. Racine. G.-A. Legault, L. Begin (1991). Éthique et ingénierie. Montréal : McGraw-Hill éditeurs, p. 17. 39 G. Rocher (1996). Études de sociologie du droit et de l'éthique. Montréal : Les éditions Thémis p v e r s i é de Montréai, Faculté de droit, Centre de recherche en droit public), p. 261.

Dans le dernier chapitre du livre précité (p.306), intitulé <<Le déîi éthique dans un contexte sociai et culturel en mutation)), Guy Rocher illustre clairement l'approche sociologique de I'éthique :

Ce que je veux souligner, c'est que cette montée de la classe moyenne s'accompagne d'une hégémonie de la mentalité de la classe moyenne. Et c'est ici que l'on rejoint des questions d'éthique. Car la mentalité de la classe moyenne, ont peut la simplifier en disant qu'elle se caractérise d'abord par un fort individualisme : dans l'esprit et la mentalité de la classe moyenne, chacun est libre de sa montée sociale, chacun doit avoir une suffisante liberté

4 1 d'action pour bénéficier de la mobilité sociale. [...].

T.L. Beauchamp, J.F. Childress (1994), op. cil, p. 5.

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 31: L'éthique clinique comme engagement philosophique

seul et même courant, en regard de la bioéthique, une distinction s'impose. Nous

proposons de considérer trois courants en métaéthique : l'approche épistémologique @.

Gauthier), l'approche de clarification conceptuelle (Engelhardt) et l'approche de

spécification des principes (Beauchamp et Childress). Ces trois courants se distinguent

par l'importance qu'ils accordent à la connaissance du philosophe dans la résolution des

problèmes pratiques.

Figure Importance accordée à la rationalité dans la résolution des problèmes éthiques pratiques

I I 1 Adopte la position Aide à clarifier les Clariîïe le problème d'un choix rationnel conflits d'un point de vue en spécifiant les principes

conceptuel D. Gauthier H.T. Engelhardt TL. Beauchamp

J.F. Chidress

L'approche épistémologique en métaéthique est importante. Les auteurs qui s'inscrivent

dans cette démarche essaient de construire un schéma d'argumentation par lequel la

parole éthique pourrait être fondée d'un point de vue épistémologique.

Il est toujours nécessaire, et pour la même raison, d'établir les fondements de la morale. Cette raison, faut-il remarquer, ne découle pas du ((principe de l'Everest» : elle ne réside pas simplement dans le fait que la morale soit «là». Elle est là, bien entendu, et cela constitue certainement une raison de s'y intéresser, mais ce n'est pas la raison. La raison, c'est que la morale est d'ordre pratique. Des différences dans ses fondements entraînent des différences en pratique. Il importe de savoir quelle conception des fondements est correcte : car nous agirons différemment selon qu'une conception, plutôt qu'une autre, est correcte42.

Srephane P. Ahern (1 998)

Page 32: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Selon cette approche, I'éthicien a pour rôle de définir l'approche rationnelle, c'est-à-dire

l'approche par laquelle il sera possible de formuler une solution acceptable pour tout être

rationnel. Dans les polémiques sociales, le rôle de l'éthicien est donc de tracer les lignes

de ce qui est rationnellement justifiable à la lumière de la théorie épistémologique en

morale. Autrement dit, dans cette approche, le philosophe essaie de justifier

rationnellement le fondement de l'obligation qui oblige tout le monde. Dans cette

démarche, le philosophe peut aussi tenter de proposer une ligne de raisonnement qui est

épistémologiquement valide. Pour illustrer cette option, nous pouvons emprunter cette

réflexion de D. Gauthier :

La personne juste est disposée à se conformer aux exigences du principe de la concession relative maxhaie lorsqu'elle interagit avec ceux de ses semblables qu'elle croit disposés à faire de même. La personne juste est apte à la vie en société parce qu'elle a intériorisé l'idée de bénéfice réciproque, de sorte qu'en choisissant sa Ligne de conduite elle considère d'abord la possibilité de réaliser un résultat coopératif. Si elle est capable de réaliser, ou peut raisonnablement espérer achever, un résultat qui soit a la fois (quasi) équitable et (quasi) optimal, elle choisit alors de le faire; c'est seulement lorsqu'elle ne peut raisonriablement s'attendre à y parvenir qu'elle choisit de maximiser sa propre utilitéJ3.

Une autre approche en métaéthique est celle de la clarification conceptuelle et

méthodologique. Un tenant de cette approche en bioéthique américaine est H.T.

Engelhardt Jr. Cet auteur propose de concevoir le rôle de la philosophie en ternes de

clarification.

- - - - - . p- - - -- - - - -

42 J. Narveson (1991). ({Remarques sur les fondements de la morale)) dans J. Couture Éthique et rationafiré. Coll. «Philosophie et langage)). Liège, France : Pierre Mardaga Editeur, p. 25-26.

Page 33: L'éthique clinique comme engagement philosophique

32

Du point de vue du statut de la théorie éthique, Engeihardt bâtit son oeuvre autour d'un

élément nodal : le respect de la liberté. Pour comprendre sa conception de l'éthique, il est

nécessaire de saisir le sens de deux oppositions qui sont la clef de voûte de son oeuvre : la

relation éthique entre étrangers moraux et la relation entre amis moraux et, son parallèle

social, la distinction entre la société et la communauté. Pour lui, la communauté morale se

définit comme les personnes qui partagent une même vision métaphysique du monde.

S'oppose à cela la société qui constitue un regroupement hétérogène de communautés.

Dans la société, les individus sont appelés à interagir entre étrangers moraux. Ces

relations, entre étrangers moraux, ne permettent plus de résoudre les problèmes éthiques

en empruntant le schéma de la métaphysique".

Du point de vue théorique, l'éthique séculaire entre Pirangers moraux devrait se bâtir a la

lumière d'une démarche plus sociale que communautaire. Ainsi, appartiennent à la

communauté les questions relatives aux vérités morales : «It is rather a recognition that

the truth know by and within a particular community will not be appreciated by moral

strangers as having a claim on them unless they convert and thus case to be moral

43

44 D. Gauthier (199 1) «Est-il rationnel d'être juste>> dans J. Couture &hique et ration~Zité,op.cif., p. 97. H.T. Engelhardt, Jr. (1996). The Fouridations of Bioethics. Second edition. New York : m o r d

University Press : p. viii: This book recognizes the impossibilty of discoverhg the secular, canonical, concrete ethics. Teh Fourrdations of Bioefhics atternps instead to secure a content-Iess secular ethics. Given the Iimits ofsecularmoral reasoning al1 that is available is a means (whitin certain constraints) of giving moral authority to common undertakings without establishing the moral worth or moral desirability of any particular choices. The project of securing as much universality as possible for the daims of bioethics has its roots in the Enlightenment project ofestablishing a universel content-fùll ethics and a moral community of al1 persons outside ofany particular religious and cultural assumptions. [...] This book focuses on the failure ofthis project to discover a canonid, content-fi111 ethics for bioethics to apply.

C Stéphane P. Ahern (1998)

Page 34: L'éthique clinique comme engagement philosophique

33

~trangers»~~. La question de la bioéthique, pour Engelhardt, est donc celle de la résolution

des conflits moraux dans une situation ou deux étrangers moraux se rencontrent. Cette

situation, selon lui, c'est celie qui est vécue au quotidien dans les grands centres

hospitaliers où le médecin ne suit pas un patient pour longtemps.

Ainsi, ce quYEngelhardt propose, c'est de construire une procédure qui pennet de créer

un espace moral à partir duquel il sera possible à des étrangers moraux de négocier une

solution à un conflit éthique. «There will be a procedure by which moral strangen can

create webs of morally authorized undertakings, including endeavors in health c a r e ~ ~ ~ .

Pour lui, l'éthique entre étrangers moraux s'impose lorsque Dieu ou la Raison ne guide

pas l'action. En l'absence de tels référents m o r q les individus doivent retourner à leur

liberté individuelle. L'éthique séculaire vise donc cette médiation.

La théorie éthique joue un rôle de pivot puisque c'est à partir d'elle qu7Engelhardt justifie

son entreprise. En fait, sa théorie récuse une médiation éthique fondée sur la force, la

conversion ou l'argument rationnel. Elle se construit en fonction d'un accord. Pour lui, la

résolution des problèmes éthiques dans une société pluraliste est médiée par l'accord des

personnes concernées4'.

--

45 H.T. Engelhardt, Jr. (1 996). op. cit., p. viii. (6H. T. Engelhardt, Ir. (1 996), op. cit., p. x. 47 47 H.T. Engelhardt, Jr. (1996), op. cil.. p. 69 :

The appeal to permission as the source of authority involves no particular moral vision or understanding. It gives no value to permission. It simply recognizes that secular mord autborih is the authority of permission. This appeal is a minimal condition in rel'ing on what it is to resolve issues among moral strangers with moral authority : consent. It establishes a secularly acknowledgtable authoriw for its conclusions : agreement. By appealing to ethics as a means for peaceably negotiating moral disputes, one discloses as a necessar?. and suficient condition

.!2 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 35: L'éthique clinique comme engagement philosophique

34

En termes de rôle du philosophe, Engeihardt entrevoit plusieurs rôles pour l'éthicien.

D'abord, il agit parfois comme instigateur du processus d'accord mutuel. II tente de

mettre en place le processus de négociation par lequel les individus consentent a

participer à une discussion oh la force n'est pas utilisée. L'éthicien engage un processus

dans lequel l'éthique séculaire peut entrer en c~nfl i t avec la tradition morale d'une

En définitive, pour Engelhardt, I'éthicien est une personne qui est respectueux du noyau

central de l'éthique séculaire : le respect de la liberté des participants. Face aux croyances

divergentes, il essaie d'abord de construire l'espace séculaire dans lequel les individus

acceptent d'agir en respectant le principe de permission. Par la suite, I'éthicien essaie de

clarifier les différentes hiérarchies de valeurs de telle sorte qu'un accord puisse être

atteint. Advenant qu'un accord ne puisse être atteint, le respect de la liberté exigera que le

patient voit son droit respecté.

(suficient when combined with the decision to collaborate) for a general secular ethics the requirement to respect the k d o m of the participant in a moral controversy (i.e. in the scnse of gaining their permission for using them) a s a basis for cornmon moral authorin. (Le. h m the permission of those collaborating). Since moral controversies can in principles encompass al1 moral agents [.--1 one has a means of characterizing the secular moral community as the possible intellectual standpoint of persons interested in resolving moral controversies in ways not fundamentaliy based on force

48 . - rbrd., p.79 : There c m be a tension between general secular ethics, which offers a procedure, and the ethics and bioethics of particular mord comunities, which offer content, bctween ethics which at its conceptual core turns on respect for the &dom of moral agents as the source of permission or secular moral authority, and ethics and bioethics which in thcir concreteness involve the pursuit of particular goods and the hononng of obligations that can only be understood within particular moral visions. As a consequence, it will o k n be appropnate to Say, ' 'The patient has aright to do that, but it is wrong7'»

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 36: L'éthique clinique comme engagement philosophique

35

Du point de vue pratique, EngeUiardt met aussi l'accent sur le rôle des professionnels de

la santé. Pour Engeihardt, les praticiens, confiont& à un problème éthique, assument

deux rôles. Ils sont d'abord des fonctionnaire^^^. C'est-à-dire que, dans k mesure où le

clinicien est issu d'une communauté morale, son travail clinique, quant à lui, se passe

dans une société pluraliste. Il doit donc faire l'effort de développer une réflexion critique

entre ces deux dimensionsM. Cet engagement professionnel dans la société pluraliste

exige que le professionnel de la santé adopte une position dans laquelle il ne confond pas

son engagement métaphysique au sein de sa communauté au processus de prise de

décision avec son patient. ((Bureaucratie rules often function to protect rights when

individuals meet as moral strangers, as they characteristically do in large-scale secular

pluralist societies~~'.

Pour Engelhardt, le travail du professionnel de la santé se poursuit au-delà de sa fonction

de bureaucrate. En effet, son travail ne se limite pas à respecter la liberté du patient. Il

doit faire un pas de plus. 11 doit s'engager dans un processus de clarification des valeurs

qui éclairent son choix.

Nous préférons traduire le terme «bureaucrat» qu'emploie Engelhardt par celui de fonctionnaire. En fait, : mot «bureaucrate» en langue hçaise revêt un caractére péjoratif H.T. Engeihardt, Jr. (1996), op. cit., p. 82 :

In giving such warnings, health care professionnals take on the role of quasi bureaucrats who remind patients of their nghts and regarding circumstances under which their clairns may be limited. They are obliged to seek lines of authorkation or permission (e.g., look for instructions in living wills, advance directives). This metaphor of the heaith a r e worker as bureaucrat c m cl- the role that physicians and nurses must play when they meet patients has moral strangers. Where one in fact doest not share the mord presurnptions of those with whorn one works, one must seek ways of protecting against misunderstandings. Bureaucratie rules and formulations are inevitable in such circumstances.

43 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 37: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Physicians and nurses will also play the role of geographm of values and rigths. They corne to know, through their expenence, what it is to be sick with particular diseases, or to be dying in particular ways. They know the consequences of different choices of treatment, and the likely outcornes of adopting particular illness or dying styles. To play this role as geographers, they will also need to know the moral fine texture, not only of secdar pluralist moral framework, but dso of the particular moral communities of particular patientss2.

La demière approche en métaéthique qu'il importe de distinguer est celie de la

spécification des principes. Les auteurs les plus connus sont T.L. Beauchamp et J.F.

Childress. Leur position a progressivement évoluée depuis 1979 avec les quatre éditions

de leur livre Prznciples of Biomedical Ethics. I l s'agit d'une approche métaéthique dans la

mesure ou elle ne se veut pas normative pour la pratique. Ces auteurs clarifient, à partir

de la moralité commune, les principes intermédiaires qui peuvent, selon eux, guider

l'action dans une société pluraliste. «We defend what has sometimes been called the four-

principles approach to biomedical ethics [. . .]. These principles initially derive fiom

considered judgments in the comrnon rnorality and medical tradition that form our

starîing point in this volume»s3.

Pour ces auteurs, les principes représentent des normes plus générales et plus abstraites

pour guider la réflexion sur l'action. Pour eux, l'approche pnncipielle permet de laisser

un espace moral important lors duquel il est possible de créer des nonnes ou des

qui, quant à elles, dirigent explicitement l'action.

5 1

$2 H.T. Engelhardt, Jr. (1996), op. cil.. p.82-83. H.T. Engelhardt, Jr. (1996), op. cit., p. 83.

53

U T.L. Beauchamp, J.F. Childress (1994), op. cil., p. 37. ibid., p. 3 8 : (( [Rlules are more pci_fic in contenr and more restrictrd in scope t h z princip lem.

G Stéphane P. Ahern (1998)

Page 38: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Principles do not fimction as precise action guides that inform us in each circumstance how to act in they way more detailed d e s do. PrincipZes are general guides that lave considerable room for judgment in specific cases and that provide substantive guidance for the development of more detailed rules and policies. This limitation is no defect in principles; rather, it is a part of the moral life in *ch we are expected to take responsibility for the way we bring principles to bear in our judgrnents about particular casess5.

Cependant, ces principes, pour qu'ils prennent fonne, pur qu'ils s'actualisent, doivent

être interprétés et balancés à la lumière l'un de l'autre. Chez Beauchamp et Childress, il

n'y a pas de cadre à partir duquel il est possible de justifier la priorisarion d'un principe

par rapport à un autre. Les auteun décrivent plutôt un processus de spécification des

principes. Ce processus permet d'actualiser un principe au travers d'une règle. Pour eux,

ce n'est pas un modèle de raison pratique qu'il faut suivre pour trouver la meilleure

solution éthique qui est proposée, mais simplement une méthodologie pour spécifier les

principes en termes de règles ou de nonnes.

Sometimes a principle or nile can be directly applied; sometimes potentially conflicting principles and d e s are illuIILinateci through specification; at still other times a wnflict requires resolution by balancing, within the constraints and direction of the decision procedure 1 identified. [...] Perhaps the most appropnate general category for what is involved is that of interpretation, as long as it includes both the meaning and weights or strengths of different principles, with attention to the partwulari ties of real situations".

Le concept de métaéthique est beaucoup plus nuancé qu'il ne l'apparaît daos plusieurs

traités de bioéthique. J'ai distingué, à la lumière des travaux de Gauthier, d' Engehardt et

de Beauchamp et Childress, trois conceptions de l'éthique. Avant de poursuivre la

55 T.L. Beauchamp, J.F. Childress (1994), p. 38.

6 Stéphane P. Ahcm (1998)

Page 39: L'éthique clinique comme engagement philosophique

38

discussion sur les éthiques normatives, une synthèse s'impose. Pour ce faire' je propose

le tableau suivant. Il met en hridmce le rôle que joue la thkorie dans les différentes

conceptions de la métaéthique et le rôle qu'assume I'éthicien

Statut de la théorie dans la conception de l'éthique

Rôle du philosophe dans la résolution de problème éthique pratique

les conce~tions issues Fondements de 1 Clarincation l'obligation morale 1 conceptuelie 4 ~Zditédes fondements épistémologiques de l'obligation morale

4 principede permission

+ Ensemble de visions

Discussion sur cc qui est rationnellement

Witoyenordinaire

valide

modes particulières +Cr&l7esp8ce permettant- de s'engager dans une discussion visant l'accord

*Aide à clarifier les valeurs au sein d'une vision morale

principes A

*Cadre général abstrait a compréhensif

s-cation + Définit les principes

Wontribue au processus de spécification des principes dans des règies particulières

Les éthiques normatives

Aux éthiques descriptives s'opposent les éthiques normatives. Selon Beauchamp and

Childress, deux formes d'éthique nonnative doivent être distinguées : les éthiques

normatives générales et les éthiques pratiques. Les éthiques normatives générales sont

des théories morales qui visent à répondre à la question : Quelles sont les normes et les

valeurs générales qui doivent permettre de diriger la conduite humaine et de l'évaluer; et

pour quelles raisons? Ces grandes théories morales sont nombreuses dans l'histoire de la

philosophie. Pour Beauchamp et Chïldress, cette forme d'éthique se caractérise par une

-

56 J.F. Childress (1994). PrincipIes-Oriented Bioethics. An Analysis and Assessrnent fiom Within dans E.R- DuBose, R HarneI, L.J. O'Connel1 (eds) A Matter of Principles? Ferment in U.S. Bioethics. Valley Forge, Pennsylvania : Trinity Press International, p. 83.

Page 40: L'éthique clinique comme engagement philosophique

39

wmiaissance morale qui s'applique B la situation particulière. Ce modèle se rapproche de

la conception de Legault qui parle des Cthiques wmme connaissance du bien et du d.

Cette kthique déductiviste s'illustre, dans l'histoire de la philosophie, par l'approche

thomiste. Aujourd'hui, eiie trouve des échos daoç l'argumentation des adeptes de «pro-

vie» ou celle de 1'~glise catholique avec l'encyclique du pape Jean-Paul II".

Beauchamp et Childress Cvoquent ensuite la catégorie de I'éthique pratique59. Chez ces

auteurs, ce tenne est Limite à l'application de la théorie Cthique aux cas particuliers. Dans

Questions fonulomentdes en éthique, Legault distingue différentes conceptions de

l'éthique axée sur la résolution de cas pratiques : l'éthique issue de l'herméneritique et

l'éthique de la decision justifiée.

L'éthique issue de la pensée herméneutique n'abandonne pas le rapport avec une vérité

morale. Par contre, à l'encontre de l'approche déductive où la venté morale est

clairement définie, dans la pensée herméneutique, la verité morale se dévoile. «Thus we

57 Une telle entreprise nous renvoie au schéma des fondements absolus pour le mode de philosopher que j'ai présenté antérieurement. Legault risume ainsi la dynamique de cette f<rme d'approche éthique : «La conduite a suivre est déduite de la valeur qui, elle, est déduite à son tour de la connaissance que j'ai de ce qu'est l'être humain. De la connaissance de l'être, on peut déduire un devoir faire. Telle est la structure de la mode définie canmecomaissance du bien et du mai» (GOA. Legault (1994). op. cit., p. 67-68.)

iI (1993). La splendeur de la v-. Lem enclycli ue du souverain pontife sur quelques questions fondamenaales de l'enseignement moral de 1'Eglise. Montréal : 1 ditions Paulines, p. 3 :

La splendeur de la v i n e se reflète dans toutes les oeuvres du Créateur et d'une manière particuliérc, dans l'homme c e à l'image et à la ressemblance de Dieu (cf Gn 156) : la verité &laire I'intelligence et donne sa fonnc à la liberti de I'homme, qui, de cette façon, est amené à connaître et a aimer le Seigneur. C'est dans ce sens que prie le psalmiste : «Fais lever sur nous la lumière de ta face)) (Ps 4,7)

* Beauchamp ct Childress (1994, op. Nt.. p. 4) dcfinisscnt ainsi le concept d'éthique pratique : 'Ihe attempt to work out the implications of general theories for specific fonns of conduct and moral judgment will be cailed practical erhics bcre, although it is o h mislcadingly called applied ethics. The mm practical refcrs to the use of ethical theory and methods ofanalysis to examine moral problems, practices, and policies in several mas, including the professions and public policy.

8 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 41: L'éthique clinique comme engagement philosophique

no longer conceive of mationalip as a disembodied faculty for apprehending pure tmth

but as a communal dialogue which progresses through revelatory give and take)bM.

Ainsi, cette conception de l'éthique met l'accent sur le cercle herméneutique. Ce cercle,

c'est celui qui lie l'actualisation d'une norme morale issue de la tradition dans une

situation particulière.

Though one must enter the circle through one's prejudgments and expectations, these always remah provisional and the text itself can extend, m-odify, or challenge them. A sensitive reader pennits the interpretive object its otherness; such a reader does not merely subsume the text within preformed categones, but engages it as a partner in respectful dialogue6'.

Dans cette perspective, l'approche herméneutique en bioéthique permet de procéder à

l'intégration des différentes approches éthiques. En effet, selon les tenants de cette

position, les autres conceptions sont des éléments de notre tradition r n ~ r a l e ~ ~ - ~ ~ .

Conf?onté a la situation concrète, l'herméneute pourra y faire appel pour qu'émerge la

solution. A fortiori, cette approche permet aussi l'expression de la foi dans l'éthique

dans la mesure où ceile-ci est une expression de la tradition. Le rôle du philosophe, ou de

l'éthicien-herméneute, n'est pas seulement de clarifier la situation. Il met en branle une

mise-en-cornun de l'interprétation.

60 D. Leder (1994). «Toward a Hermeneutical Bioethicsn dans E.R. Dubose, R- Hamel, L.J. O'Connel &mis) A Matîer of hnciples. Ferment in US. Bioethics, op.czt.. p. 254.

62 D. Leder (1 994). ibid., p. 242. Nous retrowons un exemple d'une éthique hennéneutique dans la pensée de Paul Ricoeu dans son

livre Soi-même comme un autre. La morale, pour Ricoeury se définit d'usage comme la concrétisation, en ternes de normes, de la visée éthique. Les normes mordes sont fondées sur une prétention à l'universalité et ont un de contrainte. Ainsi, la morale représente la tradition au sein de la culture. Pour Ricoeur, l'éthique représente la visée éthique. Par visée éthique, il faut comprendre l'évaluation de l'action en tenant en compte d'une optique de 6x1 et non de moyen. Pour Ricoeur, l'éthique, la visée éthique, se définit comme la vie bonne au sein d'institutions justes.

O Stiphane P. Ahern (1998)

Page 42: L'éthique clinique comme engagement philosophique

p]he hermeneut not only helps atticuiate, and ficilitate dialogue between, the various positions of case participants but also acts as the r e d e r of contexts and perspectives which are systematically obmued We are always, to a degree, blid to our own prejudices; we live in a tradition as a fish in water. However, the hernieneut, knowing prejudice is an inevitable constituent of understanding, is in a better position to becorne self-refiective about those structures - historical, political, metaphysical - that limit and channel our discoune. [...] The bioethicists thus emerges more as a Socratic ir.ter1ocutor than an «answer persom. He or she is mantling premature claims to tniti~, closm, and virtue. Moreover, he or she is the instigator of cooperative dialogue h m which aiI participants leama.

L'dthique herméneutique s'inscrit dans un mouvement historique duquel se dégage, de

fàçon évanescente, une vérité morale. Ce mouvement s'inscrit a l'interface de deux cercles

particdien. Le premier, c'est celui de l'éducation morale qui se meut sous la force de

l'histoire, de la culture et des traditions morales. Ce premier cercle permet à l'individu

d'acquérir certaines références morales. Pourtant, ce mouvement ne peut pas s'arrêter.

L'expérience humaine historique laisse des scories qui empêchent l'individu d'atteindre à

la vénté morale. Il doit s'engager dans un processus de décryptage du sens moral

«fondamental». Ainsi, en éthique henneneutique, l'individu est un participant

responsable de l'histoire.

Les deux premières approches de l'éthique normative nous renvoient au concept de vérité

pour assurer leurs fondements. L'éthique de la décision justifiée est une troisième voie

qui délaisse l'horizon de la vérité. Cette conception de l'éthique met l'accent sur la raison

pratique. Pou. les tenants de cette approche, l'enjeu majeur est de prendre une décision

raisonnable face à un conflit éthique, c'est-à-àire une décision qui puisse être justifiée

-- - -- --

63 Le lecteur peut consulter le Livre de H.G. Gadamer : Vérité er méthade. L'auteur consacre une section à la discussion du rapport entre I'heméneutique et I'héritage aristotélicien.

O Stéphane P. h e m (1998)

Page 43: L'éthique clinique comme engagement philosophique

42

pour une autre personne. Cette conception de IYé?hique prend racine dans l'approche

perelmanienne des fondements suffisants. La décision représente un processus par lequel

l'individu est engagé. Cette décision est articulée a partir de fondements sufisants qui

sont contestables et contest&.

Dans leur livre Éthique et ingénierie, Racine, Legault et Bégin illustrent bien cette

conception éthique. Pour e i q cette approche met l'accent sur un processus dialogique de

partage des raisons d'agir. En effet, ce que visent les personnes qui adhèrent à cette

conception, c'est d'être en mesure d'obtenir un accord sur leurs raisons d'agir-

En instaurant une démarche de réflexion et de dialogue, nous n'imposons pas une conception morale comme le font certains systèmes théologiques et philosophiques, au nom de la vérité. De même cette démarche ne nous réduit pas au relativisme en éthique. En effet, le processus qui s'instaure ici est guidé par un effort de dialogue dans la vie quotidienne. Or, l'idée même de dialogue est incompatible à l'imposition d'une vénté ou à la croyance que chacun a sa vérité. Si des personnes dialoguent pour résoudre un problème éthique, c'est dans le but de trouver la meilleure action B entreprendre dans les circonstances. Quand eues procèdent ainsi, elles tentent de se mettre d'accord sur les raisons de leur action65.

Cette conception de l'éthique s'appuie sur une représentation particulière de la

rationalité. En effet, ces auteurs considèrent que «la raison joue un rôle dans la prise de

décision au niveau même des buts visés, contrairement à l'émotivisme, et que le rôle de la

raison ne doit pas être confondu avec la connaissance de Ia vérité, contrairement au

D. M e r (1 994). «Toward a Hamenaitical Bioet hicsu, op. cit.. p. 255. 65 L. Racine, G.-A Legault, L. Bégin (1 99 1 ). Ethique et ingénierie, op. cil., p. 20.

O Stéphane P. Ahcrn (1998)

Page 44: L'éthique clinique comme engagement philosophique

43

Dans cette approche, qu'il est possible de qualifier de «ddibération morale)), l'éthicien

joue plusieurs rôles. Il assume d'abord un rôle dans l'éducation En fait, il possède les

habiietés requises pour favoriser l'émergence d'un processus de délibération chez les

étudiants. Ce processus de déh'bération se caractérise par le fait que d'être humain peut,

dans une situation éthique s'il prend le temps de delibérer, trower les raisons de son

choix, raisons qu'il soumet à l'épreuve du dialogue avec les autres personnes impliquées

dans la ~ituatiow)~~.

Le rôle du philosophe excède celui de la formation des futurs professionnels. En fait, ses

rôles peuvent être divisés en deux dimensions, ceiie de la théorie et celle de la pratique.

Au niveau de la théorie, l'éthicien doit aconcentrer sa réfiexion sur le lieu de son

expérience éthique personnelle et sociale qu'est la delibemtiomf8. Dans ce processus

théorique, l'éthicien est amené à préciser la paramètres de la délibération morale et ce,

dans une approche interdisciplinaire lors de laquelle il accepte de confronter ses options

théoriques avec celle de la psychologie morale développementaliste et la psychanalyse69.

Au niveau pratique, le philosophe peut être un agent facilitateur dans le dialogue éthique.

Dans cette conception de l'éthique, ce demier est engagé dans la décision. En effet, cette

conception présuppose, à la lumiére de Perelman, que la décision forge les fondements

suffiisants. Ainsi, la position de spectateur n'existe plus. En participant, le philosophe

peut tenter de favoriser les conditions de dialogue. Il peut aussi aider à prioriser les

L. Racine, G.-A. Legaulî, L. Begin (1991). op. cit., p. 20. Oibid., p. 21.

O Stéphane P. Ahcrn (1998)

Page 45: L'éthique clinique comme engagement philosophique

44

valeurs. En effet, de par son expérience, le philosophe détient une longueur d'avance :

&a priorisation des valeurs est un choix humain, effectué dans des circonstances

particulières, qui doit se justifier et les humains pewent, en principe, se mettre d'accord

sur les raisons d'accorder une telle priorité dans les circo~istances)»'~. Le philosophe peut

ainsi aider A c l d e r les représentations de l'être humain qui sont à l'œuvre dans

l'argumentation En participant aux discussions, le philosophe peut aussi jouer un rôle

actif en s'assurant que l'argumentation soit bien structurée.

Pour être en mesure de différencier ces conceptions de l'entreprise ou la démarche de

l'éthique lors de la clarification conceptuelle, j'ai retenu deux critères. Le premier critère

se rapporte au rôle de la thdorie dans la conception de l'éthique. Pour les éthiques

descriptives d'ordre psychologique ou sociologique, leur modèle explicatif ou descriptif

permet de décrire l'agir moral7'. Dans le cadre de l'éthique normative, l'kthique déductive

reconnaît à la théorie morale un statut de véritk duquel découle les prérogatives de l'agir.

En éthique herméneutique, la théorie éthique se dévoile dans l'interface tradition - situation particulière. Dans l'éthique de la décision justifiée, la théorie éthique se meut

dans l'action. La décision éthique contribue à former la théorie, à la contester et à la

renouveler.

a G.-A. Lcgault (1990). «La parole du philosophe-éthicien est-elle crédible?». Philosophiques, XVII (1): p. 42. * GA. Legault (1 994), op. cit. 'O G A . Lcgault (1994). op. cat., p. 109. " Pour le statut qu'occupe la théorie en métaéohique, le lecteur peut consulter Ic tableau synthèse en page trente-huit.

O Sttphane P. Ahem (1998)

Page 46: L'éthique clinique comme engagement philosophique

45

Le second critère que j'ai retenu est celui du rôle du philosophe ou de l'éthicim En

éthique descriptive, d'ordre sociologique ou psychologique, I'éthicien observe les

phén~rnknes'~. En éthique normative, I'ethicien est engagd. Dans les conceptions des

éthiques déductives, l'éthicien possède le savoir moral qui lui pennet de juger si une

action est bonne ou mauvaise. En éthique herméneutique, l'éthicien éclairp le sujet afin

qu'il puisse prendre conscience de ses préjugés a la lumière de la tradition. En Cthique de

la décision justifiée, î'éthicien est habileté au dialogue. Iî est engagé dans la décision et il

participe activement à la prise de décision. Il aide aussi les autres participants à identifier

leurs valeurs, leurs émotions et leurs raisons d'agir.

- - - .. . - .

- Statut de la théorie

Rôle du philosophe dans la résolution de problèmes éthiques

Tableau synthèse sur les carretéristiques de l'entreprise

Éthique sociologique ou psycholonieue +Développe ment psychologique d'un individu 4Desçription des moeurs d'une société

+ ~ ~ ~ l i ~ u & -p

scientifiqueme nt le cadre théorique et la méthodologie de leur domaine d'études

Métaéthique

4 fondement de l'obligation morale 4 clarification conceptuelle +spécificatio n des principes +Discussion rationnelle +Promouvoir la liberté et la clarification conceptuelie +Spécifier les principes dans les situations concrètes

Éthiques nom Éthique déductive

+Connaissant e du bien et du mal

+Appliquer la connaissance générale à la situation particulière

itives Éthique herméneutique

+vérité morale dévoilée dans les expériences humaines

+Éclairer les sujets afin qu'ils prennent conscience de la voie la plus éthique

Éthique de la décision justifiée +Délibération sur les fins de l'action

+Aider à susciter ta délibération afin de trouver la rneiileure action

n En ce qui a trait aux différentes fornies de la métaéthique, le lecteur peut consulter le tableau de la page 38.

0 Stéphane P. Ahtrn (1998)

Page 47: L'éthique clinique comme engagement philosophique

46

Du statut de I'expdrkwce: in fernalisme, drculan'td et représentations

La clarification conceptuelle du rôle de la philosophie exige aussi de comprendre le statut

accordé a I'expérienc~ dans l'elaboraîion de la philosophie ainsi que nous l'avons indiqué

en introduction. Ce dernier chire nous permet de mieux saisir la portée du discoun

philosophique.

Le dernier siècle semble avoir été marqué, selon certains, par un radical changement de

perspectives du discours philosophique. Au cœur de cette mouvance philosophique,

c'est le statut de l'expérience et des représentations qui est en jeu. Ce changement se

comprend tl la lumière de l'histoire. Naguère, les philosophes construisaient leur

entreprise à l'extérieur de l'expérience humaine. ils recherchaient une venté en-dehors. Le

philosopher culminait à l'atteinte d'une adéquation entre I'idée et l'objet en-soi.

Le tournant philosophique du vingtième siècle a été marqué par l'abandon du point de

vue divin qui permettait d'accéder A LA «vérité». Dès lors, la philosophie a eu pour objet

de construire un système de représentations qui est issu et dirigé vers l'expérience

humaine. C'est ainsi qu'émergeait une nouvelle attitude en philosophie. C'est en ce sens

que vont les propos de M. Nault :

Il semble se dégager dans les divers champs de la philosophie au vingtième siècle une même attitude : l'attitude pragmatique. Celle-ci serait caractérisée par l'adoption d'un point de vue interne, lors de l'investigation philosophique, qui viendrait en opposition à un point de vue absolutiste. L'intenisliste nous dit qu'on ne peut pas sortir à l'extérieur de l'expérience humaine afin de trouver un point d'appui qui pourrait nous permettre de

O Stéphane P. Ahem (1998)

Page 48: L'éthique clinique comme engagement philosophique

trancher entre ce qui est objectivement vrai de ce qui ne l'est pas. Toute cette question soulève de ce fait œUe du reiativisme : Si Dieu est mort est-ce que tout est permis? 73

Ainsi, deux modes de philosopher peuvent s'opposer en regard du statut de l'expérience:

la position «intemaliste» et la position «externaliste». Cette distinction entre ces

différents modes de philosopher est cruciale lorsque nous tentons d'analyser les discours

en éthique clinique puisqu'eue est au coeur de l'ensemble de la démarche. L'attitude

pragmatique ne constitue pas une hégémonie en éthique clinique. En fait, plusieurs

auteurs se disent pragmatiques mais leurs discoun s'opposent fiéquernrnent. En effet, le

concept de pragmatisme soulève trop dY6quivoque pour qu'il soit considéré comme

équivaient chez tous les auteurs.

Pourtant, l'attitude pragmatique occuk souvent une question importante, celle des

représentations. En fait, comme l'a démontré ailleurs G.-A. ~egault'~, les représentations

peuvent jouer plusieurs rôles en philosophie. Pour certains philosophes, les

représentations sont tantôt des copies du réel ou d'autres fois des vérités en émergence

concemant le réel. Pour d'autres, les représentations sont construites et déconstruites

dans le travail philosophique inscrit dans l'histoire.

Pour distinguer les différentes entreprises philosophiques B la lumière du statut qu'elles

accordent à l'expérience et aux représentations, je propose de différencier trois grandes

Page 49: L'éthique clinique comme engagement philosophique

48

approches du philosopher : la premikre est l'attitude pragmatique, la seconde, la

philosophie régressive et la dernière, la philosophie première. Cette dernière approche de

philosopher exige une nuance entre une approche inspirée de l'herméneutique et une

approche inspirée de la

L'attitude pragmatique se définit par deux é16ments clefs : l'internalisme et la circularité.

Cette attitude pragmatique trouve des échos dans & nombreuses sphéres de la

philosophie. Je pense ici, à la lumière des propos de ~ e ~ a u l t ' ~ , B la thdorie

vérificationniste des énoncés, au «rational beliefb, au pragmatisme comme presentation-

représentation et au pragmatisme décisionnel. Pour bien circonscrire l'attitude

pragmatique, il importe de définir ce que l'on entend par intrmalisme. M. J. BIais

reconnaît ces traits spécifiques à l'intedisme.

L'internalisme se caractthise par l'abandon du point de vue divin selon Blais. Le

philosopher se fait dans l'expérience. «L'entreprise cognitive doit donc se conjuguer à

l'intérieur de I'expérience, et ne peut prétendre à une connaissance qui transcende cette

expérience»". L'entreprise philosophique se met en branle lorsqu'une idée reçue de

-

'' G.-A. Legault (1 995). La crise des représentations en droit dans Carrefour : Philosophie et Droit. Actes du Colloque DiKE. Montréal : Cahiers scientifiques de I'ACFAS n080, p. 247-259. " Cette distinction nous renvoie à celle que nous avions déjà présentte en regard du mode de philosopher. Dans les cntrcprises employant des fondements absolus, nous avions distingué les entreprises inspirées d'une vérité copie du réel de ccllcs inspirées d'une approche herméneutique- Ici, nous retrouvons cette distinction en regard du statut qu'elles accordent à l'expéricncc et am représentations. Ainsi, l'approche métaphysique participe de cc que nous avions appelé alors les entreprises ayant des fondements absolus vérité copie du r d tandis que nous conservons l'appellation d'herméneutique pour les autres entreprises. " G.-A. Legault (1989). Comment définir le pragmatisme? dans L. Bégin et al. Pragmatisme er pensée contemporaine. Sherbrooke : Dipartement de philosophie, Université de Sherbrooke. * M J. Blais (1989). Remarques à propos de I'intcmalismc dans L. Bégin et al. Pragmatisme et pensée contemporaine. Sherbrooke : Dipartement de philosophie, Université de Sherbrooke, p. 25.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 50: L'éthique clinique comme engagement philosophique

49

notre histoire est déque, c'est-à-dire qu'elle n'arrive pas a satisfaire certaines attentes.

Dans l'attitude pragmatique, l'intérêt de la connaissance n'est pas un en-soi.

L a connaissances sont considérées dans le processus actif qui détermine les cadres

d'opération des réalités biologiques, sociales et culturelles. L'intemalime rejette la

conception d'un mondeen-soi, indépendant de nous. Pour les internalistes, le monde est

un construit. « En délaissant l'objet-en-soi, la référence intemaliste est précisément

inteme à l'expérience : l a objets et les signes sont internes au schème de description et

de catégorisation. En somme, le monde que nous investiguons est en partie un monde de

notre confè~t iow~~~.

L'internalisme est aussi circulaire. Il n'est pas une pure acceptation de la culture. I1 peut

évoluer à partir de la culture.

En demeurant à l'intérieur de notre tradition, nous pouvons quand même espérer, selon Putnam, proposer et construire de meilleures conceptions de la rationalité. Mais le fait d'être confinés à l'intérieur de la culture et de la conception de la rationalité reçue de notre époque ne revient pas à dire que tout ce que nous pensons aujourd'hui est parfaitement correct et en ordre; au contraire, nous nous efforçons tous d'effectuer des améliorations à nos méthodes, données et conclusions dans tous les

Appartiennent ainsi a l'attitude pragmatique deux caractéristiques clés, 1' intemalisme et

la circularité. L'attitude pragmatique, dans la mesure où elle se construit dans le domaine

épistémologique, chez Quine par exemple, essaie de limiter l'ontologie, à savoir les

'II

79 M.J. Blais (1989), op. cit., p. 33. M.J. Blais (1989), op. cif., p. 29.

0 Stiphane P. Ahem (1998)

Page 51: L'éthique clinique comme engagement philosophique

reprCsentations dans la construction du savoir. Le seul engagement ontologique est

l'objet Dans le domaine éthique, l'attitude pragmatique exigera un engagement

ontologique plus grand L'ontologie sera plus riche, fera appel a des représentations de

l'être humain dans ses rapports aux autres et à la Nature. Les représentations sont

essentielles au domaine éthique.

Mais avec la perte de la dférence, nous voila devant un nouveau point de départ. La perte de la référence li'bère ainsi le lieu de questionnement en ethique car la théorisation devient possible selon le modèle internaliste. [...] La régulation des rapports humains a une histoire au même titre que la connaissance et les deux histoires s'imbriquent pour former notre culture. En partant d'une expérience prïviIegi6e : la formation morale (Kolhberg), la communication (Habermas), la révolte (Camus) ou le droit (Perelman), le philosophe peut daborer une théorisation de l'éthique sans recourir à un systéme de représentation déjà stnicturt5e par fa connaissance métaphysique ou théologiques0.

Cependant, les représentations peuvent occuper deux statuts différents dans

l'élaboration de l'éthique. Dans une approche pragmatique, les représentations, bien que

présentes, ne seront pas objet de la construction. L'attitude pragmatique exige que

l'entreprise philosophique commence par des représentations inscrites dans l'expérience

privilégiée. C'est à partir de ces representations que la construction philosophique se fait.

On construit dans la mesure O& il faut réviser une partie du système puisque celui-ci ne

répond plus à l'expérience vecue. Pour reprendre une analogie des pragmatiques, il faut

réparer le bateau la oh une brèche laisse entrer l ' e d l . Il faut réviser quelque chose. Cetîe

révision ne change, qu'en dernier recours, la reprkntation de base du monde : l'objet.

G.-A. Lcgault (1990). Le requestiomemtnt tthique ct Ic pragmatisme dans L. Bégin er al. Pragmatisme er théorie éthique, op. ci?., p. 37. " W.V.O. Quine (1977). Le mor er la chose (trad. de Cochct et Dopp). Paris : Flammarion, p. 29. Quint illustre par la métaphore de Ncurath où ce dernier compare la science (ia connaissancc) à un bateau qui, N[ ...] si nous avons à Ie réparer, doit être réparé planche par planche tandis que nous naviguons a son bord. Le bitteau reste à flot parce que a chaque altération que nous y apportons, nous le conservons intact et en senice en grande partie».

O Stepbane P. Ahem (1998)

Page 52: L'éthique clinique comme engagement philosophique

A cette approche intemaliste et circulaire, s'ajoute une autre approche qui partage les

mêmes cafact6ristiques et qui essaie d'avoir un autre rapport avec les reprksentations : la

philosophie régressive. Cette entreprise philosophique essaie ici de contrôler I'hergaice

des (( représentations N dans son élaboration Le philosophe, selon ce mode, essaie de

clarifier les représentations de I'éîre humain dans l'univers qui puissent le mieux

rkpondre a un problème particulier. Pour diffdrencier ce mode de philosopher, je

m'appuie sur la conception de la philosophie régressive propre A la pensée

En résumé, la philosophie rkgressive aûkne que, au moment où la philosophie commence sa réflexion, il ne part pas du néant, mais d'un ensemble de faits qu'il ne considère ni comme nécessaires, ni m e absolus, ni comme définitifs, mais comme sufEsamment assurés pour lui permettre d'asseoir sa rénexion Ces faits, il les considère comme hgmentaires, et les notions à l'aide desquelles il les exprime, il ne les croit ni parf'tement claires, ni définitivement élaborées. Ces faits sont déjà liés, d'une certaine façun, dans sa pensée; un progrès dans leur systdmatisation lui permettra d'élaborer les principes de son savoir et de mieux comprendre, décrire et classer les éléments de son expérience. Celle-ci n'étant jamais complète, de nouveaux faits pourront toujours provoquer la mise en question des notions et des principes de la théorie primitive, dont la révision pourrait entraîner une meilleure connaissance des faits anciens. Cette révision, cette adaptation, ne se fera pas automatique, mais sera l'oeuvre du penseur responsable de ses actes qui, par ses décisions, engage sa propre personneg2

Pour Perehan, la philosophie régressive a pour caractéristique d'être inachevée et

incomplète. Elle est aussi &terminée par son point de départ qui est une situation de fait.

Il ne s'agit plus d'un roc, mais d'une validité qui dépend des faits eux-mêmes.

L'expérience se construit autour de différents liens qui sont solidaires entre eux. C'est le

0 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 53: L'éthique clinique comme engagement philosophique

monde vécu qui assure uw certaine uniformité à la philosophie dgressive. Autrement dit,

la philosophie régressive est une pensée ouverte, un système en construction; elle est en

perpétuel renouveau La philosophie régressive est engagéeB dans la mesure où, par nos

décisions, nous construisons le monde. La présupposition qui soutient cet engagement

philosophique est que la décision humaine, qu'elle soit sociale ou individuelle, peut

a d d e r au logos, c'est-à-dire à une forme de rationalité. Deux éléments essentiels

méritent d'être soulignés maintenant. La philosophie régressive est une phiiosophie de

l'histoire et dans l'histoire. En effet, pour Perelman, le construit philosophique, qui

garantit un jour la compréhension d'un phhomène, pourra, à un moment ou à un autre,

être conteste. C'est à ce moment que, par le tangage de la philosophie, ce concept se

précisera ou sera changé. En ce sens, en philosophie régressive, les fondements ne sont

plus en-dehors de l'histoire. Ils sont soumis à la contestation. L'intérêt d'un fondement

suffisant est d'écarter un doute ou un désaccord actuel mais il ne garantit pas, par contre,

toutes les controverses futuresw.

En définitive, par rapport au statut des représentations dans l'élaboration de la

philosophie ou de l'éthique, la philosophie régressive a pour point de départ les

représentations inscrites dans la culwe & partir des décisions précedentes. Ces décisions

sont contestées, il faut y revenir, c'est à cette occasion que l'on modifie, avec la décision,

les représentations qui accompagnemt la décision la plus i{ raisonnable ».

Dans son texte, Perelrnan emploie parfois I'aàjectif «participative» pour qualifier la philosophie régressive. Ce mnt est très chargé en philosophie. On participe de la Nature dans les philosophies pnmiàcs, de Dieu dans la théologie, de l'histoire chez Hegel. A cet Cgard, le mot engagement témoigne mieus de l'esprit de la conception perelmanicnnt de ta philosophie rdgressive. Pour lui, cette philosophie est une constniction de «notre monde» qui se meut par la décision des individus.

C. Pcrclman (1976), op. cir.

Page 54: L'éthique clinique comme engagement philosophique

53

Au pragmatisme et à la philosophie régressive s'opposent les philosophies premières.

Cette approche philosophique se distingue par des écoles de deux inspirations

différentes. Ces écoles partagent entre eues une finalite commune, celle de la recherche de

la vérité. Cependant' comme nous l'avions déjà tvoqué en regard du critère de vérités

l'approche herméneutique parle d'une vérit6 qui se dévoile dans l'histoire, venté qui est

aussi enfouie par le mouvement même de l'histoire. L ' b l e d'inspiration métaphysique

aâhere à une vérité copie du réel. Appartient ainsi à cette école une méthode du doute.

Les philosophes recherchent un roc à partir duquel il est possible de construire l'édifice

philosophique. Ce roc peut être soit épistémologique, ontologique ou axiologique. Les

philosophies métaphysiques ont pour caractéristique d'être unitaires et d'être

construites à partir d'un point de départ, considéré comme l'instance légitime de la

philosophie - ce que certains appellent un point de Sirius-.Les conséquents d'une telle

forme de philosophie sont, dans l'ordre axiologiqw, de déterminer une valeur absolue et

intrinsèque à l'être humain, valeur qui soit éternelle et qui s'applique à toute condition

humaine. Dans cette conception philosophique, les fondements sont dits absolus

puisqu'ils transcendent le devenir historique de la philosophie.

L'approche herméneutique s'daigne de la position externaliste de la philosophie

m6taphysique. En fait, dans la mesure où la vérité est dévoilée dans et par l'histoire, il

n'est pas possible d'adopter un point de vue de Sirius. Le travail philosophique est situé

à I'inténeur de l'expérience de l'histoire et il ne peut en sortir sans se méprendre

puisqu'il perd alors son sens. Mais le philosophe qui travaille dans une perspective

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 55: L'éthique clinique comme engagement philosophique

54

hermdneutique est un participant de l'histoire. Dans sa quête de la vérite, il pIvticipe a la

représentation que nous avons de cette vent6 dans l'histoire. Cependant, l'approche

herméneutique s'éloigne du modèle intemaliste que nous avions défini avec Blais. Bien

que les tenants de cette approche rdcusent la possibilité d'atteindre un point sis à

I'extérieur de l'Histoire, leur quête philosophique a pour objet de trouver ce qui

transcende cette dernière. En ce sens, il ne s'agit pas d'un construit philosophique à

partir d'une expérience privi1égiée. En hemheutique, l'entreprise se construit à partir

d'une réflexion sur la vie humaine (vie humaine réfiéchie) en autant que se dégage une

vérité tarie sous les scories de l'inconscient historique. L'herméneutique n'est p s une

construction au sens intemaliste. Il s'agit plutôt d'un dévoilement de ce qui est par delà

les obstacles de notre mode d'être, le comprendre. Cependant, notre mode d'être nous

empêche de nous dégager complètement de nos déterminations historiques. C'est ainsi

que c'est uniquement dans notre expérience historique que peut advenir la vérité. Ainsi,

l'herméneutique est une approche circulaire. A partir des critères d'intemalisme que nous

avons d6finis, à la lumière des travaux de Blais, l'herméneutique est externaliste dans la

mesure où, effectivement, il y a une vérité devoilée et non construite B partir de

l'expérience privilégiée. Il ne s'agit pas de l'extemalisme entendu au sens métaphysique

d'une venté copie et atemporelle.

Les représentations jouent un rôle clé dans l'élaboration de la philosophie ou de l'éthique

en philosophies premières. Dans les écoles d'inspiration métaphysique, la représentation

est connue et considérée comme une vdrité copie. Dans une approche herméneutique, la

Page 56: L'éthique clinique comme engagement philosophique

55

représentation est &voilée. Son application peut être contestée dans une situation

précise. La même vkit6 peut s'appliquer différemment au contexte. La contestation est

dans l'application mais non, au départ, dans l'élaboration. Il se peut cependant, comme

dans la philosophie herméneutique, que le probléme d'application conduise il

«réinterpr&en> et «raisen> certaines représentations ou interprétations.

Pour différencier ces trois catégories lors de la clarification conceptuelle des auteurs, je

propose de considérer deux critères. Le premier permet de distinguer l'attitude

pragmatique et la philosophie kgressive de l'approche propre aux philosophies

premières. Ce premier critère est celui de I'internalisme et de la circularité : la philosophie

se construit a l'intérieur de l'expérience, le philosophe ne peut pas constnire sa

philosophie a l'extérieur, la validité de 1' entreprise philosophique émerge d' un consensus

autour de l'expérience; l'entreprise philosophique est bâtie a l'intérieur de la tradition

philosophique et elle s'y inscrit.

Le second critère nous renvoie au statut des représentations dans l'élaboration de la

philosophie ou de l'éthique. XI nous permet de distinguer, pour les entreprises

internalistes et circulaires, celles qui sont pragmatiques de celles qui participent B la

philosophie régressive. Ensuite, ce critère permet de renforcer la distinct ion entre

philosophie première et philosophie régressive.

O Sttphane P. Ahtrn (1998)

Page 57: L'éthique clinique comme engagement philosophique

56

Cette demière fategorie nous permet de mettre à l'avant-scène le statut accordé à

l'expérience et aw représentations. Trois distinctions peuvent être considérées :

l'attitude pragmatique, h philosophie r&msive et les philosophies premières

(herméneutiques et métaphysiques). Deux critères nous permettent de les distinguer :

celui de l'intemalisme et de la circularité ainsi que celui du statut des représentations. Je

représente cette catégorie sous la forme d'un tableau ci-après.

nction du statu( Attitude pragmatique

+ Internaliste' + Circulaire + Conçue h partir d'une expérience humaine privilégiée

Expérience priviiégïée qui donne accès à ch représentations

Les représentations sont revues si elles ne répondent plus à l'expérience. C 'es! en dernier recours qu'il y a une rdvision des représentations.

3e l'expérience Phiiosophit régresave

I + Internaliste' + Circulaire + Conçue à partir de l'expérience humaine en tant qu'elle est vécue dans l'histoire

t des représentations Philosophies

Représentations sont mrrtestées dans la culture lors de prise de décision

Tableau synthèse sur les caractéristiques du mode de philosopher

Représentations sont révisées en fonction de la décision qui semble la plus raisonnable.

I

i

i

1

1

ou de I'éthique. l

i

Pr'=' Herméneutiques

4 Externaliste 4 Cirailaire + Conçue à partir d'une rénexion sur la vie humaine en tant qu'eue advient dans une vérité historique

I

Représentations sont dévoilées.

: ie critère de l'intemalisme c o m p 0 ~ 1 e s 61ernents suivants : l'abandon du & vue construction philosophique ôâtie à partir & l'expérience, la connaissance orientée vers l'action.

Les représentations peuvent être révisées dans le cadre d'un processus iiemiéneutique dans le cas des vérités qui se dévoifent.

ères Métaphysiques

4 Extenialiste 4 Non-circuiaire + Construite i partir d'un point de Sirius

Représentations sont connues.

Représentations sont discutées dans leur application sin#ere et non dans l'élaboration de l'entreprise.

divin, la

8 Stéphane P. Ahcrn (1998)

Page 58: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Conclusion Ce premier chapitre avait pour objectif de me fournir le cadre d'analyse a partir duquel je

pourrai effectuer la clarification cunceptueile qui s'impose pour comprendre les rôles

qu'occupe la philosophie en ethique clinique. J'ai retenu trois dimensions importantes

des discours pour pouvoir mieux les clarifier. La première dimension se rapporte au

statut des fondements en philosophie. J'ai distingué trois modes de philosopher : le

premier est appuyé sur des fondements absolus, le second sur des fondements suffisants

et, finalement, le dernier rejette tout fondement (c'est l'attitude sceptique). Pour

différencier ces modes de philosopher, j'ai retenu un critère: celui de la question de la

vérité85.

La deuxième dimension que j'ai identifiée est celle de l'entreprise ou de la démarche

éthique. J'ai identifié deux grandes catégories : les entreprises éthiques descriptives et les

entreprises normatives. Parmi les éthiques descriptives, j'ai différencié les approches

psychologique et sociologique des approches issues de la métaéthique. Du côté de

l'éthique normative, j'ai identifié trois entreprises : l'éthique déductive, l'éthique

herméneutique et l'éthique de la décision justifiée. Pour bien spécifier les caractères de

chaque entreprise, j'ai considérd deux critères : le statut de la théorie dans l'entreprise

éthique et le rôle du philosophe dans la résolution des problèmes pratiques. Autrement

dit, le second critère évoque la question de l'expertise de l'éthicien en regard d'une

problématique éthique concrètes6.

85 Le tableau synthèse permet de préciser les critères qui son retenus pour la clarification des auteurs.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 59: L'éthique clinique comme engagement philosophique

58

La dernière dimension se rapporte au statut de l'exp&ience et des représentations dans

l'entreprise philosophique. J'ai distingué trois entreprises : l'attitude pragmatique, la

philosophie régressive et les philosophies premières. Pour bien diffënncier ces modes de

philosopher, j'ai retenu deux critères : celui de I'internalime et de la circularité ainsi que

le statut des représentations8'.

Ayant été en mesure de développer ce ca&e d'analyse, je m'emploie, dans les deux

prochains chapitres, à la clarification des concepts de philosophie, d'éthique et d'éthique

clinique chez Roy et chez Malherbe. Nous prodderons alors A la clarification

conceptuelle des auteurs grâce à ce cadre général.

Le lecteur est encore une fois prie de consulter le tableau synthése. Lc lecteur est prié de consulter le tableau synthèse.

Page 60: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Pl!'?

Page 61: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Chapitre 2 L'bthique clinique chez D.J. Roy

Dans le premier chapitre, j '& construit un cadre d'analyse afin de clarifier les concepts de

philosophie, d'éthique et d'éthique clinique dans les discours. Une nouvelle démarche

s'impose dès maintenant, celle de procéder à la clarification conceptuelle d'une oeuvre.

Le premier auteur que j'étudie est D. J.Roy . En fait, c'est de lui qu'émane la première

réflexion de ce mémoid8. Roy nous propose de concevoir une éthique clinique qui est

une discipline distincte de la philosophie. Quels rôles La philosophie joue-telle dans une

telle forme d'entreprise?

Dans ce second chapitre, mon objectif est de clarifier les concepts de philosophie,

d'éthique et d'éthique clinique tels qu'ils sont formulés chez Roy. Pour clanfier les

concepts, je questionne les textes des auteurs à partir des critères que j'ai développés. A

partir de citations explicites, je clarifie la position que l'auteur développe. Je nuance cette

interprétation à partir des éléments implicites qui sont présents dans les oeuvres et qui

peuvent moduler la conception de l'auteur. Finalement, j'évoque les éléments ambigus

sur lesquels il est essentiel de revenir pour bien saisir le sens de l'entreprise.

g8 Rappelons-nous cette citation en exergue dans I'introduction : «p]'éthique clinique n'est pas de la théologie ou de la pldosophie appliquk. L'éthjque clinique est une activitd originale ct intellectuelle distincte et non secondaire. L'éthique clinique fait partie intégrante du jugement clinique et du travail du clinicien».

0 Stiphane P. Ahern (1998)

Page 62: L'éthique clinique comme engagement philosophique

61

D.J. Roy a publié de nombreux articles en éthique clinique. Par contre, il ofhe une

synthèse de sa pensée dans deux oeuvres récentes. La première est un article intitulé

d'éthique clinique : concept et méthode». Cet article a été écrit en collaboration avec le

professeur Charles-Henri Rapin. La seconde oewre est un livre qui se dénome La

bioéfhique: ses fondements et ses controverses.

Le concept de véritd et Ce statut des fondements

En suivant systématiquement le cadre d'analyse d6velopp6, nous devons determiner, dans

un premier temps, dans quelle mesure la conception proposée par Roy s'approche d'une

entreprise philosophique proposant des fondements absolus, des fondements suffisants ou

qu'elle s'approche plutôt du scepticisme. C'est par l'analyse du concept de vérité, comme

nous l'avons montré plus haut, qu'il est possible de clarifier les modes de philosopher.

Dans les textes de Roy, il n'y a pas de réponse explicite à la question de la vérité en

rapport avec l'entreprise philosophique. Quelques éléments implicites suggèrent

cependant des pistes de réponse fort intéressantes. Le premier élément à considérer est

l'opposition entre culture classique et postcIassique - o u actuelle - telle que la formule

Roy. C'est en ces termes qu'il oppose ces deux formes de culture:

La bioéthique a émergé durant les années 60 en réponse à un double défi, qu'on peut résumer en deux mots : découve~te et effondrement. Des découvertes nombreuses et originales dans le domaine biomédical, qui donnaient la possibilité de réaliser des choses inédites, se produisirent vers la même époque où la stabilité et l'homogénéité morale de nos sociétés occidentales s'eff~ndrait*~.

0 Stéphane P. Abem (2998)

Page 63: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Pour Roy, l'éthique clinique s'articule sur une nouvelle toile de fond marquée par deux

changements paradigrnatiques : les découvertes technoscientifiques et l'effondrement de

la culture. Selon lui, I'effondrement de la culture a modifié notre façon de concevoir le

monde :

Cet effondrement démontrait que la notion classique de culture était de plus en plus délaissée dans nos sociétés occidentales. La notion classique de la culture avait pour prémisse qu'un seul système de croyances, d'id& et de normes était le modèle de pensée et d'action standard pour tous les êtres humains, n'importe où, n'importe quand. La portée éthique de cette notion signifiait que la différence entre un comportement bon et mauvais était hédiaternent compréhensible pour un cerveau éclairéw.

En regard du critère de vérité, la culture classique, au sens où I'entend Roy, appartient à

une approche des fondements absolus vérité-copie du réel. En fait, selon cette citation, la

culture classique avait des caractéristiques univoques. Elle était construite à partir d'une

conception universelle et éternelle d'où se développait la philosophie. Eue avait aussi

pour caractéristique d'être accessible à tout être rationnel dans la mesure ou il s'agit de

saisir i'adéquation avec la chose vraie. Ce qui caractérise la culture classique, c'est l'appel

à ce que l'auteur définit comme la possibilité de voir «la différence entre un

comportement bon et mauvais [.. .] pour un cerveau éclairé^^'.

- - - - - - -

89

90 D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cir., p. 18

91 D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cit., p. 18. Cette conception de la philosophie se retrouve aussi à un autre endroit dans son texte. ibid., p. 19 :

«De plus, la bioéthique devait imaginer une nouvelle fàçon d'aborder l'éthique, car selon l'approche traditionnelle, l'éthique, qu'elle soit philosophique ou théologique, distinguait le bien du mal en faisant appel de fbpn tacite à des conceptions largement partagées de la nature bonne ou mauvaise de la nature humaine et du bien humain. Néanmoins, la révohtion biomédicale et l'effondrement de la notion classique de la culture déstabilisa l'éthique traditionnelle. La stabilité était assurée par : l'immuabilité de la condition humaine; la préoccupation de ce qui est bon pour les êtres humains; les limites géographiques et temporelles de la portée et des conséquences de l'action humaine)).

8 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 64: L'éthique clinique comme engagement philosophique

La dernière citation évoquait une différence entre les deux formes de culture quant aux

croyances. Au sein de la culture classique, il y avait un système de croyances. Dans la

culture postclassique, plusieurs systèmes de croyances pourraient ainsi se heurter. Voici

la définition que Roy propose de la culture actuelle :

La bioéthique est née dans le cadre d'une culture postclassique pour laquelie l'éthique n'est pas achevée, conservée A tout jamais dans les kcrits d'une élite et destinée à l'usage universel. En réponse au défi biomédical, la bioéthique témoigne du besoin qu'ont les gens dans nos sociétés occidentales d'oeuvrer ensemble pour W e r les nomes et standards permettant de distinguer entre des politiques ou des comportements bons ou

Les deux dernières citations laissent entendre que le concept de vérité, dans la culture

classique, était objet d'un consensus. Par contre, quand il n'y a plus de consensus, les

différents systèmes de croyances s'entrechoquent. Ainsi, selon Roy, ces représentations

étant éclatées, il ne serait plus possible d'articuler la philosophie à partir d'un fondement

absolu.

De l'opposition entre la culture classique et la culture actuelle, nous pouvons conclure

que, chez Roy, lorsque l'on parle de philosophie, il s'agit d'un élément d'une culture,

une façon de voir et de se représenter, tout comme les systèmes religieux ou autres

croyances. Pour lui, les fondements absolus sont des systèmes de croyances partagées au

sein d'une collectivité. Les transfomations culturelles qui s'amorcent entraînent les

changements de «philosophie». Une telle conception rejette la question de la «vérité» des

représentations.

0 Stiphane P. Ahern (1998)

Page 65: L'éthique clinique comme engagement philosophique

64

De cette première citation, nous pouvons retenir que Roy n'entre pas dans un mode de

philosopher axé sur des fondements absolus. Par l'accent qu'il met sur la culture, son

approche peut être dite «culturaliste». Mais est-il proche des fondements suffisants »

ou plus proche de 1'« attiîude sceptique » entendue ici comme relativisme culturel?

Un second élément implicite dans l'oeuvre de Roy, élément qui soulève la question de la

vérité, est celui du fondement moral des concepts de prescrit, de permis, de tolérable ou

d'interdit. Dans son livre La bioéthique : ses fondements et ses controverses, Roy appuie

son entreprise éthique sur les droits fondamentaux et les libertés individuelles. Pour Roy,

l'interdit et l'obligatoire participent des droiîs fondamentauxg3. En matière de

permission, Roy parle plutôt de «libertés individuelles». Les activités tolérables «se

rapportent notamment aux contraintes susceptibles de restreindre les choix et les

libertés~'~.

Dans une conception des droits naturels, les droits fondamentaux étaient issus d'une

représentation métaphysique unique; tout comme l'était le concept de liberté. Roy rejette

cependant une telle démarche dans sa critique du concept de culture classique. Ainsi, les

droits fondamentaux et les libertés individuelles ne peuvent pas être fondés sur un «ordre

-- -- - - -

92 D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cit., p. 19. D.J. Roy et al. (I995), op. cil., p. 30: «La reconnaissance de ces droits est Ia base de deux principes

d'ordre pratique, lorsqu'il s'agit d'établir des poiitiques : l'un est une interdiction et l'autre une obligation)). 9 4 - - rbrd., p. :O.

0 Stiphane P. Ahern (1998)

Page 66: L'éthique clinique comme engagement philosophique

ascendanbx À partir de quelle instance Roy appuie-t-il les droits fondamentaux? Pour

Roy, la bioéthique et l'éthique clinique participent d'un ordre impliqué.

Un ordre «impliqué» n'est certes pas un tout formulé d'avance. Il ne se manifeste que lentement et grsiduellement, au fil des circonstances. Les personnalités sont des exemples d'ordre «impliqué». [. ..]Les véritables principes de la bioéthique - leur signification et leurs rapports, ce qu'ils ordonnent, permettent, tolèrent et interdisent - ne sont pas déjà formulés comme un tout, prêt à être utilise avant même de porter des jugements concrets sur chaque cas. Le vdritable ordre normatif de la bioéthique est encore en émergence, et continuera à évoluer, lentement et graduellement., au fil des situations et des cas concrets, en fonction des politiques et des jugements pratiques qui constituent les réponses de la bioéthique au défi biomédicalg5.

À la lumière de l'approche des fondements suffisants, l'émergence socio-historique de la

normativité éthique devrait s' effectuer par 1' actualisation de représentations de l'être

humain dans la décision pratique : la question n'est pas de statuer su . la vérité de ces

représentations eu égard à l'ordre des choses, mais bien d'en montrer la vaiidité pour

résoudre un problème dans l'ici et le maintenant. La dernière citation de Roy ne met pas

en évidence cet accent sur la discussion des représentations de l'être humain dans les

décisions en bioéthique, qu'elles soient d'ordre social ou individuel. Roy propose une

normativité qui se construit denternent et graduellement, au fil des situations et des cas

concrets, en fonction des politiques et des jugements pratiques qui constihient les

réponses de la bioéthique au défi biomédical». La crédibilité des représentations n'est

pas l'élément central de son entreprise.

6 Stephane P. Ahem (1998)

Page 67: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Un élément important de cette citation est celle de «politiques». Dans la mesure où la

bioéthique et l'kthique clinique se construisent a partir des politiques, l'entreprise

philosophique qui soutient une telle approche doit se bâtir au sein de notre système

politique. Ce demier, inspiré d'une démocratie libérale, reconnaît que les croyances sont

multiples et équivalentes entre elles. Cela est garanti par les principes édictes dans la

Charte canadienne des droits et libertés: le droit a la liberté de croyance et de religion%.

C'est ainsi que Roy décrit la démarche bioéthique et celle du droit :

La bioéthique et le droit entretiennent des rapports similaires avec les divers systèmes moraux qui coexistent dans notre société pluraliste. La bioéthique et le droit, particulièrement dans le domaine des politiques publiques, ont pour objectif d'établir des compromis et des consensus pratiques que tous les membres de la société puissent accepter, même s'ils demeurent en désaccord sur les questions de fond. Ni la bioéthique, ni Ie droit ne peuvent remplacer la moraleg7.

Roy parle ici de compromis entre des représentations divergentes. La bioéthique, tout

comme le droit ne doivent, selon Roy, discuter des questions de fond. En regard du

critère de vérité, une telle entreprise s'éloigne de plus en plus de l'approche des

fondements suffisants. Elle s'apparente a l'approche sceptique qui, en démocratie

libérale, distingue le domaine du privé du domaine du public. Le domaine public

représente, comme le laisse entendre Roy, un univers de normes minimales que tout

95 D.J. Roy et al. (1995), ,op. cir,,p, 50. % Le texte constitutionnel de 1932 garantit dans l'annexe B partit 1 article 2a : liberté de conscience et de religion. Roy évoque, dans le troisième chapitre de son livre La bioéthique : ses fondements er ses controverses, le rôle que joue le droit et les chartes dans la formulation de la problématique de la bioéthique. * D.J. Roy et al. (19951, op. cit., p. 76.

Q Stéphane P. Ahern ( 1 998)

Page 68: L'éthique clinique comme engagement philosophique

67

individu peut accepter. Le domaine privé, quant à lui, est le Lieu d'expression de ce

qu'est la ( M e vie».

La question de la vérité ne trouve pas de réponse explicite chez Roy. En fait, pour cet

auteur, la philosophie apparaît comme une entreprise culturelle, telle que le montre

l'opposition entre la culture classique et la culture actuelle. Ainsi, la vérité des

représentations n'est pas objet de débat puisque, pour lui, il s'agit d'un jeu de

domination sociale, à savoir la représentation qui sera la plus partagée. La culture

postclassique n'est pas un autre mode de rapport aw fondements, tel que cela apparaît

pour les fondements suffisants, mais une culture où s'entrechoquent des croyances

diverses.

L'approche de Roy s'apparente à l'attitude sceptique dans la mesure où la crédibilité des

représentations ne peut pas être 170bjet de débat. LR scepticisme dont fait preuve Roy le

conduit à adopter une attitude relativiste en éthique. Cette atîitude s'inscrit dans une culture

particulière, à savoir une culture libérale. La recherche éthique que propose l'auteur est

celle d'une norme minunale à respecter; nome qui ne doit pas faire appel à un référent

moral qui revendiquerait un statut de vérité, tel que cela apparaît dans le concept

politique et le rapport entre bioéthique et droit.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 69: L'éthique clinique comme engagement philosophique

La théorfe Pthique, le rôle de I'èthicien et la d&marche éthique

Pour clder les caractéristiques de la démarche éthique de Roy, nous devons suivre

systématiquement le cadre d'analyse ddveloppé. L'objectif est ici de distinguer deux

formes d'entreprises éthiques : les éthiques descriptives et les éthiques normatives.

Ensuite, au sein de ces formes particuliihx, il nous faut distinguer entre les sous-

~ a t 6 ~ o r i e s ~ ~ . C'est par l'analyse conjointe du statut de la théorie daas l'entreprise éthique

et le rôle de I'éthicien dans la résolution des problèmes pratiques qu'il est possible de

mettre en évidence la démarche éthique de l'auteur.

Le travail que Roy fait pour mettre en place son entreprise éthique procède par opposition.

En fait, dans des textes de Roy, une part importante est consacrée à opposer son entreprise

à d'autres formes éthiques. U maintient, tout au long de son oeuvre, une opposition entre

l'éthique clinique (et la bioéthique) et l'éthique théologique ainsi que I'bthique

philosophique. Nous nous intéresserons ici à l'éthique philosophique puisque c'est celle-

ci qui nous préoccupe dans le cadre de ce mémoire. C'est ainsi qu'il formule cette

opposition :

[L']éthique philosophique contemporaine englobe à la fois la métaéthique, l'éthique normative et l'éthique appliquée. On est unanime à dire que les objectifs, les tâches, les problèmes et les méthodes de la métaéthique et de I'éthique normative sont nettement différents des problèmes et méthodes de la bioéthique et de l'éthique clinique. On a tendance, néanmoins, a confondre l'éthique philosophique appliquée avec la bioéthique et l'éthique cliniqueg9.

9I

99 Le lecteur peut retrouver les résultats de cette d y s e au chapitre 1. D. J. Roy, C .-H. Rapin (1 994), op. cil,, p. 22.

C Stéphane P. Ahern (1998)

Page 70: L'éthique clinique comme engagement philosophique

69

Pour Roy, I'éthique philosophique se divise selon l'approche proposée dans notre cadre

d'analyse : l'éthique descriptive et I'éthique normative. La métaéthique a pour fins une

visée descriptive ou épistémologique. L 'éthique nomiaave et l'éthique appliquée, quant à

elles, ont pour fins de régir l'action Il existe une opposition h c h e , selon Roy, entre la

métaéthique, l'éthique normative et la bioéthique. Par contre, la ligne de démarcation

entre l'éthique appliquée et I'éthique clinique est plus nébuleuse. Nous devons préciser la

nature de cette opposition, clarifier chacune des différentes formes d'éthique : la

métaethique, 1 'éthique normative et l'éthique appliquée. Implicitement, Roy aborde la

question de la méthode de l'éthique clinique par laquelle il est possible de clarifier sa

propre entreprise éthique.

La metaéthique : éléments explicites du concept

Le premier élément explicite qu'il faut considérer est la définition de la métaéthique que

propose D.J.Roy. Selon lui, l'objectif de la métaéthique est «de mieux comprendre,

critiquer et systématiser le travail qui se fait actuellement en bioéthique»'00. Son objet est

le discours éthique lui-même. La métaéthique essaie d'en clariner la structure logique et

d'en saisir les principes.

La métaéthique, appelée parfois épistémologie de l'éthique ou logique de l'éthique, s'intéresse essentiellement aux concepts, aux langages, aux modes de raisonnement et d'argumentation et, en dernier Lieu, aux moyens de conmûtre et aux genres de savoir qui caractérisent l'éthique normative et I'éthique appliquée [. ..]II [Lonergan] esquisse plutôt une anatomie des notions fondamentales qu'utilise le discours éthique : les notions de bien, de valeur, de liberté et de responsabilité. Il expose son point de vue sur la

'Oo D.J. Roy et al. (I995), op. cit, p. 45

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 71: L'éthique clinique comme engagement philosophique

méthode employée en éthique, il examine la nature de l'intuition et de la réflexion pratique, et propose une théorie de la décision ainsi que des éléments d'une théorie de ~'action'~'.

En regard du critère du statut de la théorie, la rnktaéthique que définit ici Roy vise à

s'assurer de la qualité des concepts utilisés et à dresser une ((anatomie des notions

fondamentales». Dans le cadre d'analyse, nous avons distingué trois formes de

métaéthique. La première visait a s'assurer que les fondements de l'obligation morale

soient bien clairs. Dans cette conception, la métaéthique était dans un lieu différent que

celui du discours bioéthique lui-même. Illustrée par les travaux de H.T. Engelhardt, la

seconde approche conçoit le rôle de la théorie éthique en termes de clanfication des

éléments conflictuels lors de la prise de décision éthique. Et, finalement, la métaéthique

pouvait être envisagée dans une théorie principielle. Pour cette approche, la théorie est

l'outil éthique par excellence pour mieux comprendre la situation suigulière.

Dans la demière citation, Roy s'oppose à une forme de métaéthique particulière, celle où

l'auteur se situe à l'extérieur de la problématique bioéthique. La métaéthique n'est pas de

la bioéthique puisqu'elle prend la bioéthique comme objet de recherche plutôt que comme

champ de problématique. En fait, l'entreprise métaéthique, pour lui, représente un effort

de validité sur les modes épistémologiques de l76thique. Dans ce lieu, la métaéthique

n'apparaît pas comme un outil de clarification.

- - - - - - - - - - -

'O1 D.J. Roy et al. (1995), op. cit p. 45.

0 Stiphane P. Ahem (1998)

Page 72: L'éthique clinique comme engagement philosophique

71

Ainsi, le concept de métaéthique chez Roy ne se Iimite qu'a celui de l'approche issue des

fondements de l'obligation morale. C'est à cette approche que Roy s'oppose. ll récuse en

fkit, à la métaéthique comme démarche éthique, cette possibilité de se mettre à l'extérieur

de la problématique éthique. Ainsi, la métaéthique et l'dthique chique n'ont pas le même

objet. L'éthique clinique vise à résoudre le problème pratique par une méthode tandis

qu'elle est l'objet de recherche en métaéthique.

Nous devons donc retenir que I'opposition soulevée par Roy façe à la métaéthique,

explicitement du moins, se limite à l'approche des fondements de l'obligation morale.

Dans la suite de notre démarche, il faudra se demander la position que Roy adopte face

aux autres formes de métaéthique.

Éthiques normative et appliquée

Roy s'oppose aux éthiques philosophiques normatives qu'elles soient théoriques ou

appliquées. L'éthique normative est un cadre de principes, de normes ou d'obligations

qui sont appliquées par les processus développés en éthique appliquée :

Une éthique nomative théorique est un système de justification qui fait appel a un ordre ascendant de règles, de normes et de principes, pour juger la moralité des décisions et des actes. Cet ordre est ascendant parce que les règles plus précises de l'agir sont fondées sur des normes plus générales qui, à leur tour, se fondent sur des principes plus largeslo2.

Pour Roy, l'éthique normative est un ((système de justification faisant appel à un ordre

ascendant)>. La théorie constitue le point de Sinus a partir duquel découle l'ensemble de

l'entreprise éthique. Une telle conception de l'éthique est cohkrente avec le modèle de

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 73: L'éthique clinique comme engagement philosophique

L'entreprise philosophique que Roy développe. h i , les éthiques philosophiques

seraient des ((systèmes de justification» issus d'une cuiture qui soit homogène. Dans

cette perspective, cette forme de théorie éthique, a la lumière de notre cadre d'analyse,

rappelle le modèle issu de l'éthique déductive. En fait, nous pourrions retenir de l'éthique

normative chez Roy que ces systèmes de justification ont une prétention à la vérité dans

les communautés où il y a un consensus suffisant.

Qu'advient-il de l'application de ces principes en pratique? Cette forme d'éthique

s'actualise dans ce que Roy appelle l'éthique appliquéelo3.

Il existe un lien évident entre l'éthique normative et l'éthique appliquée. L'application prend la fome de raisonnement basé sur le «parce que», et consiste a bâtir des arguments qui appuient ou réfutent la moralité d'un acte donné, en faisant appel à des principes tirés de l'une ou l'autre des théories normatives de l'éthique. L'argumentation démontre, généralement par voie de déduction, que la moralité ou l'immoralité d'une action précise est implicitement contenue dans les principes de base du système ou de la théorie. Ainsi, on parle de l'immortalité d'une action parce qu'elle viole un ou plusieurs de ceux-ci)) 104- 1 O5

102 D.J. Roy et al. (I995), op. cit., p- 46. l m S'il est évident pour Roy que la bioéthique et l'éthique clinique ne sont pas des entreprises philosophiques apparentées à la métaétbique ou à l'éthique nonnative, il constate qu'une certaine confusion existe avec l'éthique appliquée. En effet, il ne peut pas ignorer que la bioéthique est considérée comme l'un des secteurs de l'éthique appliquée au Conseil de m. il semble donc aller de soi que Ia bioéthique comme l'éthique clinique sont des formes d'éthique appliquée :

«Plusieurs auteurs influents ont soutenu que la bioéthique ne se distingue des autres formes d'éthique que par son domaine particulier (la biomédecine), sa réalité, ses préoccupations et ses problèmes». Selon ce point de vue, la bioéthique n 'utiliserait pas ou ne se r e c o e a i t pas a une méthhlogie éthique distincte ou nouvelle. La bioéthique ne serait que de l'éthique qpZiiguée, qui aurait recours aux mêmes règles et aux mêmes principes moraux que ceux utilisés dans des circonstances normales @. J. Roy et al. (1 999, op. cil., P. 47).

lW ibid., p. 46. 'O5 ibid., p. 50 :

b ] a bioéthique n'emprunte pas la méthode déductive de l'éthique appliquée pour élaborer des jugements pratiques et des politiques dans des cas précis. L'ordre des principes, c'est-à-dire l'ordre normatif sous-jacent au travail de ta bioéthique est, pour emprunter une distinction établie par David Bohm, un ordre "impliqué" (Bohm, 1980) »

Page 74: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Ainsi, l'éthique consiste en I'application «déductive» d'un cadre normatif dans une

situation particulière. Ce modèle part du général pour l'appliquer au particulier. Le rôle

de l'ethicien, face à un cas problématique, est de trouver le système normatif qui

s'applique a la situation et d'en circonscrire l'application dans un cas singulier. Ainsi ,

pour paraphraser Roy, face à la question de l'avortement, l'éthicien devra décider s'il

appliquera selon le déontologisme, le christianisme ou l'utilitarisme. Quand cela est

décide, il doit porter son jugement en appliquant, par déduction, les principes évoqués au

problème de l'avortement. Comme on peut le constater à la lumière de cette citation,

l'éthique appliquée est synonyme pour Roy de I'éthique nomative telle qu'il l'a définie.

En effet, on retrouve le mode ascendant, le système de justification foncièrement déductif

et la connaissance de principes ou de normes universelles et accessibles à tous par la

raison.

De ces deux éléments, que sont l'éthique normative et l'éthique appliquée, il est possible

de retenir, a la lumière du cadre d'analyse, que ce que rejette Roy ce n'est pas l'éthique

normative mais l'éthique déductive, à savoir les entreprises éthiques fondées sur une

connaissance du bien et du mal qui n'a qu'à être appliquée dans une situation particulière.

La mCthode de I'bthique clinique de Roy : theorie et rôle de l'éthicien

Q Stiphane P. Ahcm (1998)

Page 75: L'éthique clinique comme engagement philosophique

74

Roy ne dCveloppe pas de métalangage sur sa propre démarche Cthique et la position que

celle-ci occupe dans la constellation des entreprises éthiques. Ainsi, son entreprise se

devoile A 19int&ieur de la methode qu'il propose pour l'éthique clinique. Pour en saisir la

portée, il faut se rappeler notre conclusion mentionoée ci-haut sur son entreprise

philosophique. Roy fait preuve d'un scepticisme qui le conduit B s'inscrire dans une

attitude relativiste en éthique. Cette attitude, elle s'inscrit dans une culture libérale. 11

n'existe donc pas, pour la ddmarche ethique de l'auteur, un référent moral qui

revendiquerait un statut de vérité. Il s'agit d'harmoniser des croyances morales qui

s'entrechoquent.

En éthique clinique, le patient est la nonne qui gouverne les décisions et les jugements pratiques. En général, les croyances forment les assises aux principes de base et les normes rendent praticables les principes de base dans des contextes spécifiques. Sans les normes, l'éthique n'est pas viable. Elles cernent les conditions qui sanctionnent les décisions et les actions qui sont moralement dictées, permises, tolérées ou défendues. Mais il existe des nomes générales, initiales, et des normes spécifiques, ultimes. En éthique clinique le patient constitue la norme ultime aux décisions et aux actions d'ordre éthique - son évolution clinique, ses relations, ses projets à long terme et ses intérêts dans la vie - constitue la nonne ultime'06.

Pour Roy, l'éthique clinique s'articule sur des normes. Ces normes ont des statuts

différents : les normes générales ou initiales et les normes spécifiques ou ultimes. Si nous

faisons le pont avec son entreprise philosophique, les normes générales sont définies au

sein de la communauté, de la culture. La norme ultime, c'est le patient et son histoire de

vie. La validité de cette norme est relative a des croyances : «les croyances forment les

assises aux principes de base et les nonnes rendent praticables les principes de base dans

106 D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cit., p. 24.

O Stiphane P. Ahem (1998)

Page 76: L'éthique clinique comme engagement philosophique

des contextes spécifiques».

proposer une solution

75

Ainsi, l'éthique clinique, et la bioéthique107, ont pour fins de

raisonnable lorsque des modes108-109 divergentes

s'entrechoquent. Au niveau clinique, cette collision, ou cet interface entre les morales, se

crée dans un univers complexe où interagissent quelques individus. Et la norme qui guide

cette décision, c'est le ~atient"? L'approche de Roy traduit un certain degré de

relativisme individuel en ce qui a trait A la décision éthique. La décision individuelle est

fondée sur la liberté.

L'Cthique clinique est à I'oewre auprès de patients dont l'histoire clinique et personnelle détermine quels sont les principes qui sont édictés, pemis, tolérés et défendus au chevet du patient. Comme telle, l'kthique clinique est une forme d'éthique inductive car nous ignorons le sens de nos traditions morales et philosophiques jusqu7à ce que nous les ayons vérifiées à partir de cas particlien. Nous ne pouvons simplement pas examiner chaqw cas individuellement, à travers la grille des principes moraux philosophiques et religieux pour parvenir à un jugement clinique et éthique. Il nous faut simultanément soumettre ces principes à travers la griile de cas individuels pour en arriver, de façon inductive, à la reconstniction de ces traditions : une reconstniction réalisée par le biais d'événements personnels confrontés à la

107 11 importe de souligner ici que, pour Roy, la bioéthique embrasse trois horizons différents, ceiui de l'éthique de la recherche, de l'éthique publique et, finalement, celui de l'éthique clinique. Les méthodes de chacune de ses sous-spéciaiités dineent. Cependant, elles parragent entre elles cette recherche du compromis social lorsque des morales s'entrechoquent (ibid., p. 23) :

La bioéthique a évolué et continue à se développer en de multiples branches spécialisées. Les trois principales disciplines de la biokthique sont l'éthique de la recherche, l'éthique clinique et l'éthique des politiques publiques. Chacune de ces principales spécialités se subdivisent en des domaines encore plus spécialisés, selon l'affection traitée ou le traitement médical

101 D.J.Roy (1995) définit ainsi une morale (op.cil., p. 39): Une morde [...] est un ensemble de positions qui déterminent les valeurs pouvant êîre sm%ées lorsque, dans une situation donnée, elles ne peuvent pas toutes être respectées ou défmdues. La morale s'appuie donc sur une hiérarchie de valeurs, pour décider de celles qu'il fàut respecter à tout prix. Ce maintien des valeurs n'est pas que théorique mais il doit se d é t e r dans les choix, les décisions et les actes. Une morale est donc un ensemble de positions, élaôorées de îàpn plus ou moins systématique, sur la rectitude des comportements dans les divers domaines de l'activité humaine, y compris la médecine et les sciences de la vie

1 "D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cit., p. 39. I IO Nous pouvons évoquer encore une fois un cercle dans la pensée de Roy. L'éthique clinique est une approche développée pour une société libérale en respectant l'a priori libéral : le respect de l'autonomie. Nous discuterons des éléments internalistes, circulaires et pragmatiques dans la prochaine section.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 77: L'éthique clinique comme engagement philosophique

s o ~ c e de pertes multiples tout a m i bien qu'a la menace de la désintégration du soi et de la mort" '.

Cette citation rt5dkne la nome qui dicte, selon Roy, la conduite en éthique clinique, a

savoir le patient. Cette norme, elle s'actualise, pour Roy, dans une méthode particulière

où le patient se fait la g d e d'analyse à partir de laquelle il est possible de trouver une

solution à partir des traditions morales. Cette citation met en évidence le caractère de la

démarche éthique de Roy a savoir son point de départ : la situation clinique112. Ce point

de départ est dicté pour t'auteur par le fait que l'éthique clinique doit comprendre ce que

le patient est dans toute la confusion de cette existence. Pour lui, ce point de départ est

le même que celui de la méthode d' Osler, propre à la médecine c~inique"~. L'éthique

clinique peut se définir comme ce qui se passe au chevet du malade. Le choix

thérapeutique, qui nécessite un jugement pratique, doit donc tenir compte de la

dimension éthique. «L ' aboutissement de l'éthique clinique consiste en un jugement

pratique sur ce qui devrait être fait, maintenant, dans le but d'aider une personne à faire

des choir thérapeutiques qui correspondront le mieux à ses besoins cliniques et à ses

intérêts pris globalernenb>"'. A la lumière du cadre d'analyse, Roy semble se distancier

"l D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cit., p. 24. %id, p. 23. : d'éthique clinique englobe les décisions qui doivent êire prises, les incertitudes, les conflits de valeur et les dilemmes qui peuvent surgir quand les médecins et les équipes ciiniques traitent les patients au chevet, à la saile d'opération, au bureau, a la clinique ou à la maison)). Il3 D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cit., p. 19:

Les fondateurs de la bioéthique ont pressenti qu'en réaction au défi biomédical il fallait changer notre fâçon de concevoir l'éthique. Ils ont réalisé que la réflexion éthique, telie qu'elle a été véhiculée par la philosophie et la théologie séculaires, ne pouvait fàire le poids au défi biomédical. Pour eux, la pensée éthique, à moins d'être bien ancrée dans la connaissance biomédicale et technologique et à moins d'être très famifière avec les méthodes de recherche biomédicale, serait toujours trop naïve, trop ignorante des vrais problèmes et trop en retard sur son époque pour jouer e£ücacement son rôle.

I l 4 D. J. Roy, C.-H. Rapin (I994), op. cit.,, p. 23.

0 Sdpbaue P. Ahern (1998)

Page 78: L'éthique clinique comme engagement philosophique

n de l'approche de spécification des principes que proposent Beauchamp et Childress.

Ainsi, pour lui, l'éthique n'a pas pour objet d'éclairer le cas singulier dans un jeu

dialectique avez les principes. La théorie &hique n'a pas pour fonction de jouer ce rôle

d'éclaireur.

De ces deux premières citations sur la methode de t'éthique clinique, il faut retenir que

Roy maintient une attitude relativiste. Cette attitude, elle s'actualise dans le respect de la

norme ultime le patient. Ainsi, lorsqu'il y a un conflit qui oppose le soigné et les

saignants, c'est le point de vue du soigné qui aura préséance sans plus d'hésitations.

Cette nome ultime est dictée par une croyance. Cette dernière est relative à une culture

libérale, telle que cela est formulée dans son entreprise philosophique. Nous pouvons

retenir j q u ' à maintenant que la démarche éthique de Roy s'éloigne d'une entreprise

dite normative. Elle s'éloigne aussi des approches métaéthiques proposées par Gauthier

ou par Beauchamp et Childress.

Nous avons v u que l'éthique clinique prend sens dans la confusion de l'histoire de vie

d'un patient. C'est à ce moment que Roy nous suggère d'actualiser son entreprise

éthique. Roy a identifié une stratégie pour résoudre les problèmes issus de l'éthique

clinique. Cette stratégie peut se diviser en deux p d s moments. Le premier moment

nous renvoie au décryptage des éléments du cas. Le second moment met en évidence la

dimension dialogique et consensuelle de la méthode. Considérons ici les étapes relatives

au décryptage, nous reviendrons ultérieurement à l'approche dialogique et consensuelle.

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 79: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Synthèse sur les Ctapes de la méthode de résolution des cas cliniques selon ~ o y " '

identifier tous les facteurs médicaux significatifs et les données pertinentes aux cas-

Identifier les facteurs personnels et biographiques pertinents : âge, occupation, situation familiale, attitudes, forces, faiblesses, peurs, espoirs, désirs et croyances.

Identifier toutes les valeurs se rapportant au cas, incluant les valeurs que le patient, la famille et la personne clinique veulent respecter à tout prix, et celle qui peuvent être sacrifiées, s'il le faut. On doit également considérer tous les coûts associés aux traitements, tant au niveau des ressources qu'a celui du fardeau pour Le patient et la famille. Enfin, il faut également tenir compte de toutes les valeurs sociales exprimées par le biais des lois, des directives émises par les hôpitaux, des codes de déontologie des associations professionnelles car ces valeurs peuvent entrer en conflit [. . -1.

Identifier et analyser tous les conflits de valeurs générés par le cas. Il faut ici porter une attention toute particulière aux perceptions divergentes qu'ont les personnes sur les valeurs en conflit

S'assurer que chaque personne associée au cas ait la chance d'exprimer son point de vue.

Établir une hiérarchie des valeurs en conflit, prendre une décision et expliquer les raisons de cette décision.

Identifier les critères utilises dans la prise de décision et s'assurer qu'il ne manque aucun élément important.

115 Roy présente les différemes étapes de sa méthode aux pages 25 et 26 P . J . Roy, C.-H. Rapin (1994). «L'éthique clinique : concept et méthode)), op. czt.). Dans cette synthèse, nous n'avons retenu que les éléments essentiels. Le lecteur est prié de consulter le texte de Roy pour de plus amples informations.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 80: L'éthique clinique comme engagement philosophique

79

Le tableau synthèse que nous venons d'esquisser met en évidence tant le statut de la

théorie éthique que celui du rôle de I'éthicien pour Roy. A la lumière du cadre que nous

avons développé, l'approche que propose Roy s'apparente à ceiie que développe H.T.

Engelhardt et que nous avons qualifiée de métaéthique, approche axée sur la ciarification

conceptuelle. Cette fome de démarche éthique prend appui sur une distinction

importante entre les communautés morales et la société pluraliste. Cette dernière est le

lieu de rencontre des membres issus de communautés morales hétéroclites. Dans leur

relation, chaque individu reconnaît la liberté de l'autre. C'est là le point d'ancrage. Les

théories éthiques, puisqu'elles sont aussi diverses, s'actualisent dans le problème

singulier. Le rôle de l'éthicien qui, pour reprendre les mots d7EngeIhardt, est un

géographe des valeurs, est de clarifier l'instance en conflits et les vaieurs qui s'opposent

dans la situation.

Dans le modèle que nous propose Roy, l'auteur adopte-t-il une position qui s'apparente

à une éthique normative ou a une éthique descriptive? Rappelons-nous qu'à la lumière du

cadre théorique, nous avons distingué ces deux entreprises. La première renvoie à la

recherche d'une solution pratique qui s'impose dans une situation. Les éthiques

descriptives, quant a elles, n'exercent pas une force contraignante sur l'individu. En fait,

elles représentent des instances médiatrices qui permettent de clarifier, et parfois de

résoudre, des problèmes éthiques.

Q Stéphane P. Ahem (1998)

Page 81: L'éthique clinique comme engagement philosophique

80

Roy s'éloigne en effet d'une éthique normative. n'y a pas ((une b 0 ~ e solution

éthique)) ou une solution qui soit justifiée plus qu'une autre. L'enjeu de l'éthique est axé

sur l'action qui permettra de respecter la liberté du patient. Nous l'avons déjà vu: Roy

récuse une approche issue de l'éthique déductive. La vénté morale n'existant pas pour

lui, une telle conception est impossible dans une société pluraliste. Les éthiques

herméneutiques, elles aussi, prétendent atteindre a une vérité inachevée qui se dévoile à

chaque instant. Roy récuse la prétention à la vérité dans le domaine éthique. Quant à la

possibilité d'une rationalité pratique, il s'en éloigne puisqu'il priorise la liberté de

l'individu Il délaisse dès lors le champ de la délibération morale où il est possible de

dialoguer : ou la discussion permet d'accéder, de façon plus ou moins raisonnable, à la

recherche d'une £in commune. En définitive, nous pourrions dire que Roy ne participe

pas d'une éthique normative au sens où il délaisse une prétention à la recherche d'une

décision pratique justifiée.

Dans cette perspective, il nous faudrait considérer les travaux de Roy en termes

d'éthique descriptive. Rappelons-nous ici que deux formes distinctes d'entreprises se

dégagent : les éthiques sociologiques ou psychologiques et les métaéthiques. Les éthiques

sociologiques et psychologiques essaient de décrire le fait moral qu'il soit dans l'ordre du

jugement moral (Koihberg) ou dans l'ordre du phénomène de la régulation des

comportements sociaux (Rocher). Dans la mesure où l'éthique clinique est un ({jugement

pratique sur ce qui doit être fait dans l'ici et le maintenant)), Roy s'éloigne de telles

formes d' entreprises éthiques.

0 Stéphane P. Ahem (1 998)

Page 82: L'éthique clinique comme engagement philosophique

81

Devrions-nous en conclure pour autant que Roy participe d'une entreprise métaéthique?

La réponse est difficile puisque, en métaéthique, la constitution d'une théorie, d'un

métalangage à appliquer est importante. Dans la mesure ou Roy prend une distance

d'avec la théorie, il semble s'éloigner de la métaéthique. En fait, nous l'avons déjà vu,

Roy récuse explicitement une approche métaéthique dite des fondements de l'obligation

morale. Il oppose aussi son entreprise à une approche dite de spicification des principes,

telle qu'elle a été proposée par Beauchamp et Childress.

À la lumière de notre cadre d'analyse, l'entreprise de Roy devrait se situer dans un lieu

particulier : celui d'une métaéthique axée sur la clarification des valeurs. Cette forme de

métaéthique occupe une place importante dans les débats américains. H.T. Engelhardt est

l'un de ses ardents défenseurs. Du point de vue de la théorie éthique, celle-ci vient jouer

un rôle de clarification.

La dernière citation met en évidence cet élément de clarification En fait, c'est l'élément

nodal de l'entreprise de Roy. La théorie éthique s'actualise dans la situation singulière

des patients : les traditions mordes sont lues à la lumière de la gnlle de chaque cas. Les

premières étapes qu'il propose sont de I'ordre factuel. D'ailleurs, en cas de conflits, Roy

les qualifie en termes de «conflits résultant d'une insuffisance de preuves116 ou de

J. Roy, C.-H. Rapin (1 994), op. cif ., p. 27 : Certains problèmes en éthique clinique peuvent être résolus que de fiiçon empirique. Ils proviennent de conflits qui sont attribuables a l'insuffisance d'information. Pour résoudre ces conflits, il fàut une accumulation de données récentes, un ensemble de preuves irréfùtables, où Ie poids de l'expérience vient approuver un point de vue a I'encontre d'autres point de vue.

O Stéphane P. Ahern (1 998)

Page 83: L'éthique clinique comme engagement philosophique

82

perceptions k~gmentairess>'~~. L'&ment mdai, du point de vue éthique, est la troisième

étape que décrit Roy : le moment où il faut «identifier toutes les valeurs se rapportant au

cas, incluant les valeurs que le patient, la kniile et le personnel chique veulent

respecter à tout prix, et celles qui peuvent être sacrifiées, s'il le faub>"*. Dans cette

rubrique, Roy considère aussi les enjeux relatifs aux coûts des soins de santé. Roy inclut

aussi les valeurs sociales qui s'expriment tant par le biais de lois, de directives et des

codes de déontologie. Au terme de ce processus de décryptage de la situation dans

laquelle vit le patient, Roy d é f ~ t une quatrième &tape, à savoir «identifier et analyser

tous les conflits de valeun générés par le cas»''g. Ici, il importe, pour l'auteur, de mettre

en perspective tous les conflits qui peuvent survenir tantôt quant à la hiérarchie des

valeurs dans la situation tout autant que dans la formulation des énoncés issus de

l'analyse précédente.

Dans de telles situations, les conflits peuvent résulter, selon l'auteur, de croyances

opposées entourant notre vision du monde1*', de conflits de principes, de contlits de

valeurs et de conflits entre [es valeurs d'un individu et les contraintes sociales.

L'éthicien est confronté a la même situation lorsqu'il s'agit de conflits de principes. Pour

Roy, les principes sont le reflet de nos croyances. Ces croyances s'inscrivent dans un

117 ibid., p . 27-28 : (Les gens s'enfoncent souvent dans de graves conflits quand, en l'absence d'information adéquate, ils portent leur attention sur des aspects de phénomènes très diffërents les uns des autres et qu'ils font l'erreur de prendre la partie pour le tout)). I I 'D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cit., p. 26. 119 ibid, p. 26. 120 Nous reviendrons sur la résolution de cette forme de conflits dans le prochain chapitre.

O Stéphane P. Ahem (1998)

Page 84: L'éthique clinique comme engagement philosophique

83

ethos et, dans nos sociétés pluralistes, il existe une pluralité d'ethos. L'dthicien doit

donc «clarifier de façon rigoureuse les arguments relatifs aux fondements, aux

implications, à l'étendue et à la relation mutuelle de ces principesd2'. Son travail se

poursuit dans les soins cliniques lonqu'il tente d'en clarifier la portée au chevet du

malade. Cependant, la clarification est aiors guidée par la nonne ultime que nous avons

déjà évoquée : le patientlz2.

Le dernier type de conflits qui demeure en éthique clinitpe est celui qui porte sur les

valeurs. Une valeur pour Roy, c'est «tout ce qui est important et tout ce qui compte

dans la vie»'23. Jusqu'a maintenant, nous avons vu que l'éthicien n'est pas engagé dans

le processus de décision. Avec sa connaissance des traditions mordes, il essaie de

clarifier les éléments conflictuels dans une situation. Quand il s'agit des représentations

du monde, I'éthicien se retire. Il laisse la place au compromis politique. Quand il y a une

opposition de principes, l'éthicien joue encore le rôle de clarificateur. Face à des conflits

de vdeurs qui, pour Roy, sont fort fréquents en éthique clinique, le rôle de l'éthicien est

le suivant :

Les problèmes résultant de conflits de valeurs ne peuvent être simplement résolus sur la base d'une entente réciproque entre les parties en cause. La clé de la resolution consiste à déterminer quelles sont les valeurs qui prévaudront dans une situation donmie. Au chevet du malade, l'indice dominant en éthique clinique veut que les vdeurs du patient prévalent sur

121 D. J- Roy, C.-H. Rapin (1 994), op. cil., p. 3 1 . 122 ibid., p. 31 :

[Qltuand les principes sont au centre de confüts dans le champ des soins cliniques, la stratégie requiert une attention respectueuse au corps du patient et à son histoire, afin que le conftit se règle en fonction du patient et pour qu'il ne serve pas de champ de bataille aux doctrines philosophiques ou théologiques divergentes.

123 D. J. Roy, C.-H. Rapin (1 994), op, cil., p. 3 1 .

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 85: L'éthique clinique comme engagement philosophique

toutes les autres. Néanmoins, en éthique clinique, les valeurs du patient prises wmme normes, peuvent entrainer le médecin, l'hfïmière et l'équipe clinique en situation d'irrégularité avec la loi ou en conflit avec un principe d'éthique sociale dorni~nt'~'.

La démarche éthique de Roy, à la lumière de notre cadre, nous renvoie a une éthique où

les valeurs de l'individu ont pr6séance sur les autres membres de l'équipe de soins. La

croyance qui permet d'asseoir cette entreprise éthique, rappelons-le, est une attitude

sceptique en éthique qui admet le relativisme au sein d'une culture li'bérale. Ainsi, face à

un confiits de valeurs, particulièrement si un consensus ne peut être atteint, ce sont les

valeurs de l'individu qui s'imposeront comme normes. L'éthicien se veut donc celui qui

essaie de clarifier les valeurs des personnes impliquées, celui aussi qui recherche les

points de partage entre les visions divergentes. En définitive, il se fait le gardien de la

sanction dernière du patient, son droit à la liberté o y pour emprunter le langage du Code

civil du Québec, le droit à l'autodétemination. Dans ces cas extrêmes, Roy ne parle pas

du rôle que peut ou que doit assumer l'éthicien. Il ne parle pas non plus du statut qu'y

occupe la théorie éthique. Pour lui, bien qu'il n'existe pas de stratégies infailIibles, la

solution réside dans le processus communicationnel. «Il nous faut plutôt améliorer la

communication entre les patients, les familIes, ainsi qu'entre les médecins et l'équipe

saignante, de façon à ce que tous ensemble nous convenions d'un plan d'action» 12!

Roy s'oppose clairement à la métaéthique, entendue soit comme fondement de

l'obligation morale soit comme spécification des principes. Il s'oppose aussi à une

-

lZ4D. J. Roy, C.-H- Rapin (1 994), op. cil., p. 32.

Q Stephane P. Ahem (1998)

Page 86: L'éthique clinique comme engagement philosophique

85

démarche éthique calquée sur l'éthique déductive (l'éthique normative et l'éthique

appliquke dans son vocable). La méthode qu'il propose s'inspire d'une entreprise

métaéthique. Plus précisément, elle s'apparente à l'approche de H.T. Engelhardt qui

conçoit le statut de la théorie éthique en termes de clarification des situations

problématiques et le rôle de I'éthicien comme un ((géographe des valeurs». C'est ce qui

nous a permis de mettre en évidence les éléments issus de la méthode et des stratégies

que propose l'auteur pour l'éthique clinique.

Cependant, tout au long de notre discussion, un point majeur s'est impose. Il s'agit de

l'importance que joue la liberté dans l'entreprise de Roy. En fait, il adopte une attitude

relativiste. Une seule croyance est nécessaire pour soutenir son entreprise : le droit à

l'autodétermination. L'éthique clinique considère que chaqw personne est un être libre en

mesure de faire des choix sur ce qu'elle veut, ce qu'elle désire compte tenu de ses besoins,

de ses désirs de ses espoirs, de ses souffrances, de ses vulnérabilités, voire de ses plans

d'avenir. Nous devrons nous interroger, dans la prochaine section, sur le statut de cette

croyance dans 1' entreprise éthico-philosophique de Roy.

Les statut de l'e;.rrpttience et des reprPsentations

Le dernier élément qui nous permet de clarifier les discours éthiques est celui du statut de

l'expérience et des représentations dans l'entreprise éthico-philosophique de l'auteur.

Dans le cadre développé, nous avons distingué trois formes d'entreprise : le

- - pp-

125 D.J. Roy, C.-H- Rapin (1994), op. cil., p. 33.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 87: L'éthique clinique comme engagement philosophique

86

pragmatisme, la philosophie régressive et les philosophies premières. Pour saisir les

différences entre ces approches, nous avons retenu trois critères. Les deux premiers

critères sont l'internalisme et la circularité de l'entreprise philosophique. L'autre critère

est celui du statut des représentations. Nous suivrons systématiquement le cadre afin de

dégager le statut de l'expérience et des représentations chez Roy.

L'intedisme et la circularité forment une unité de sens puisqu'ils sont liés l'un à

l'auîre. L'intemalisme est une attitude philosophique où il est postule qu'il n'est pas

possible de «sort in> de 1 'expérience socio-historique pour penser l'éthique. La circularité,

quant à elle, nous renvoie à une pensée qui est issue d'une tradition et qui modifie, elle-

même, la tradition lors de recours ultimes.

Roy ne discute pas explicitement du statut qu'occupe l'expérience dans son oeuvre. En

fait, c'est a la croide des différents éléments que nous avons évoqués qu'il est possible

de laisser poindre sa réponse. Comme nous l'avons rapidement esquissé dans la demière

section, l'éthique clinique s'appuie sur une attitude sceptique qui conduit à un

relativisme culturel ancré dans la pensée libérale. Au coeur de cette position, c'est la

liberté des individus qui est la croyance fondamentale à partir de laquelle le système de

régulation sociale peut s'articuler. En regard de la prise de décision en éthique clinique,

cette croyance laisse la préséance au patient dans l'expression de ses désirs et de ses

valeurs.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 88: L'éthique clinique comme engagement philosophique
Page 89: L'éthique clinique comme engagement philosophique

88

justifier les fondements. En troisième lieu, les individus doivent identifier les critères

qu'ils ont utilisés lors de la prise de décision. Dans ce processus, chacun doit s'assurer

qu'un élément essentiel n'ait pas été oublié. Jusqu'à maintenant, le processus de

décryptage a peut-être pu s'effectuer solitairement Lorjqu'une décision semble

justifiée, i1 faut alors soumettre cette décision, et les motifs qui la supportent, à la

discussion. a Confronter cette décision aux différents points de vue exprimés par toutes

les personnes concernées. Dans le cas d'opinions divergentes, engager une discussion

afin de clarifier la situation et d'en arriver à un

La stratégie développée par Roy peut aboutir à deux alternatives d'actions : le consensus

ou la situation labyrinthique. La première option se distingue par le fait que les

personnes impliquées seront en mesure de «déterminer la marche à suivre et y donner

suite»"'. Dans la seconde option, par contre, il ne sera pas possible d'obtenir un

consensus. Alors, émergeront deux possibilités qui s'appuient l'une et l'autre sur un

principe commun : le droit à l'autodétermination du patient. Ces deux possibilités sont

soit le recours aux tribunaux pour résoudre le litige, soit l'adoption d'un consensus

acceptable. Il faut revoir ces deux éléments pour comprendre la dimension internahste et

circulaire de la pensée de Roy.

Le recours aux tribunaux, dans le cadre d'une société libre et démocratique, renvoie au

processus de médiation sociale des confits entre des interêts opposés. Pour Roy, les

130 D.J. Roy, C-H. Rapin (1994), op. cil., p. 26.

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 90: L'éthique clinique comme engagement philosophique

89

tnibunaux entretiennent des Liens complexes avec l'éthique clinique. Avec le recours aux

tribunaux, Roy introduit ici une notion imprtante en éthique clinique, à savoir que les

individus sont des sujets de droit Ils ont ainsi droit au respect de leurs droits

fondamentaux. Advenant le cas où il y ait lésion, les tribunaux constituent le rempart

institutionnel de l'éthique clinique.

En regard du cadre d'analyse que nous avons développé, l'approche que propose Roy

s'apparente à une démarche pragmatique. En fait, il s'agit d'une entreprise intemaliste et

circulaire. L'éthique clinique a émergé dans une société li'bérale et pluraliste. Elle repose

sur un postulat sceptique où le relativiste culturel demeure la clef de voûte. Ici, le

recours aux tribunaux témoigne de cette appartenance à la swiété Libérale mais aussi à

son aboutissement en cas de conflits. Lorsque des droits fondamentaux s'opposent,

principes instituteurs de la société, le recours aux tribunaux constitue le point

d'achèvement de 1' interface des libertés.

À cette première alternative, Roy considère aussi le consensus acceptable. Dans ces cas

moins iitigie- il est possible, malgré l'affrontement de valeurs opposées, d'arriver à un

consensus sur ce qu'il faut faire pour ce patient dans l'ici et le maintenant.

Un consensus acceptable, c'est-à-dire un consensus qui ne jouit pas de l'adhésion totale de chacune des personnes concernées est souvent le mieux que l'on puisse accomplir. Le respect du consentement éclair6 du patient

*ID. J. Roy, C-H. Rapin (1994), op. cir.,. , p. 26.

0 Stéphane P. Ahcm (1998)

Page 91: L'éthique clinique comme engagement philosophique

peut fort bien exiger qu'un ou plusieurs participants au didogue clinique acceptent une décision qui n'est pas nécessairement en accord avec leurs propres perceptions ou convictions

La fiaalité de l'éthique clinique demeure, lorsque cela est possible, l'obtention d'un

consensus au sein duquel les pesomes concernées adhèrent a une solution wl~ll~lune'~~.

Cependant, l'expérience montre, pour Roy, que, dans plusieurs siîuations, l'éthique

clinique ne permet pas d'atteindre à toutes les fois un consensus. Les membres qui

participent ii la discussion peuvent adopter une décision où les individus viseront un

consensus acceptc~ble. à savoir une décision où le respect du droit de la personne à

l'autodétermination (consentement libre et éclairé), la décision du patient en particulier,

est la clef de voûte. Dans de telles situations, Roy soutient que certaines personnes

doivent abdiquer leurs convictions, leurs intérêts, voire leurs perceptions de la situation.

Or, une telle conception du consensus semble admettre que les individus impliqués en

éthique clinique sont impliqués dans un processus de médiation des intérêts en jeu. Nous

pourrions donc dire ici que l'éthique clinique, en définitive, est une stratégie qui vise à

atteindre le meilleur compromis eu égard aux différents points de vue impliqués, en ayant

en mémoire qu'in ult~rno le patient a le droit de choisir ce qui lui convient.

À la lumière de notre Mdre d'analyse, nous voyons émerger encore une fois chez Roy

une entreprise éthique qui soit circulaire et internaliste. Elle est intemaliste dans la

U2 D. J. Roy, C.-H. Rapin (1 994), op. cit., p. 3 1. lP Cette notion nous renvoie à l'approche issue du consensus politique. II le uanxende cependant puisqu'il l'idée d'une finalité commune.

O Stéphane P. Ahem (1998)

Page 92: L'éthique clinique comme engagement philosophique

91

mesure où l'éthique clinique, comme entreprise sociocultureile, se construit à l'intérieur

même de l'expérience propre à la société li'bérale. En effet, pour Roy, l'éthique clinique

vise le consensus, mais elle se construit, lorsque les intérêts sont trop divergents, sur le

principe de I'autodétemination des individus. Chez Roy, donc, cette notion implique

que les parties ont des intérêts bien déterminés, parfois divergents, qu'elles doivent

débattre pour prendre une décision qui les touchent tous. Ce mode de penser

s'apparente à une forme d'intemalisme. Ii met aussi en évidence une pensée circulaire

dans la mesure ou le principe d'autodétermination est présent dans la culture et que, à

chaque actualisation dans une situation concrète, sa représentation peut être modifiée

dans des cas extrêmes.

L'entreprise de Roy s'éloigne d'une approche issue des philosophies premières puisqu'il

n'adhère pas à une prétention à Ia vérité. Ce rejet de la vérité, déjà explicité dans son

entreprise philosophique et la répudiation des entreprises issues des fondements absolus,

laissait déjà entrevoir une conception intemaliste et circulaire de l'éthique.

L'entreprise de Roy participe-t-elle alors d'une pensée pragmatique ou de la philosophie

régressive? Pour répondre à cette question, il nous faut considérer le statut qu'occupent

les représentations dans l'entreprise éthique. Les approches pragmatiques reconnaissent

une place ultime aux représentations. Pour reprendre l'image propre aux pragmatistes -

le bateau en haute mer -' il n'est pas possible de rewnstniire le bateau à chaque instant.

Dès qu'il n'y a pas d'eau qui entre, le bateau tient la mer. Dès qu'il y a une fuite, il faut

6 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 93: L'éthique clinique comme engagement philosophique

92

la colmater en modifiant nos reprdsentations. La philosophie régressive, quant à eue,

laisse une place plus importante aux représentations. Elles sont objet de débat et de

discussion. Il y a un processus de médiation raisonnable entre les différentes

représentations pour décider ceile qui aura préséance dans une situation particulière.

Ainsi, en extrapolant a partir de l'image du bateau, le philosophe inspiré de l'approche

régressive s'efforcera de toujours repenser son bateau a chaque instant afin de lui assurer

plus de stabilité, voire de le perfectionner. Par contre, le marin demeure conscient que ce

processus n'est jamais ddfuiitif et qu'il est responsable de protdger son bateau.

Chez Roy, on retrouve peu ou prou les éléments de discussion des représentations. Elles

jouent en effet, pour lui, un rôle d'arrière-plan Cependant, il laisse entrevoir ce qu'il

conçoit dans le cadre de conflits de représentations. Pour lui, il formule ces conflits en

ternes de croyances opposées. Si les croyances s'opposent en situation de discussion

sociale, l'éthicien met en lumière ces oppositions. Par contre, il n'en assume pas le poids.

Il incombe à la société d'en décider. Pour Roy, cela passe soit par la conversion ou par le

compromis politique'34.

"' D.J. Roy, C.-H. Rapin (1994), op. cil., p. 3 1 : Les questions d'ordre Cthique qui reposent sur des divergences entre des conceptions discordantes du monde, ne peuvent être facilexnent résolues, suxtout si elles supposent un large consensus. La résolution de tels problèmes. si elle est possible, exige des groupes ou des individu qu'ils révisent radicaIement leurs convictions au profit d'une wnvmion penonneile ou collective. Dans ce contexte. la solution la plus accessible reste en gdneral le cornp.omis politique.

0 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 94: L'éthique clinique comme engagement philosophique

93

Comme nous le voyons ici, le modèle que nous propose Roy n'appartient pas à une

entreprise issue de la philosophie régressive. Il s'en éloigne puisqu'il n'accorde pas à

I'éthicien un rôle de médiateur dans la négociation des différentes représentations. Ainsi,

pour l'auteur, les représentations ne peuvent pas faire L'objet d'une discussion

raisonnable lors d'une décision pratique. Plutôt, elles sont considkrées dans l'ordre du

rationnel, dans la mesure où elles s'imposent à l'individu Du point de vue social, les

représentations sont des faits de société, à savoir qu'elles constituent l'ethos de la

société.

Con ciusion

Au tenne de ce chapitre, nous avons été en mesure de démontrer que l'entreprise éthique

de Roy, comme il le soutient, s'éloigne d'une entreprise philosophique a proprement

parler. Cependant, à la lumière de notre cadre d'analyse, nous avons pu mettre en

perspective son appartenance à différents courants de pensée.

Comme nous l'avons vu, I'approche de Roy s'éloigne d'une approche philosophique où

les fondements ont un rôle à jouer. Pour Roy, ce sont les fondements culturels qui sont

importants. Son entreprise se bâtit' en effet, sur le principe de la liberté et du droit à

I'autodétennination. Ce fondement est valide au sein d'une société libérale et cela suffit à

Roy. Dans la mesure où les fondements sont limités dans une culture, l'approche de Roy

s'inscrit dans la perspective du relativisme culturel.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 95: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Au niveau de l'entreprise éthique, Roy adopte une position métaéthique. II s'éloigne en

effet de l'approche dite normative puisqu'elle ne propose pas un protocole de

justification des décisions pratiques. Il ne recherche pas non plus les éléments des

éthiques descriptives qu'elles soient sociologiques ou psychologiques. Au niveau de la

métaéthique, il s'éloigne d'une démarche propre à la fondation de I'obligation morale et

d'une démarche de spécification des principes.

À la lumière du relativisme culturel, sa démarche éthique emprunte ainsi la voie tracée aux

Étatsunis par Engelhardt, à savoir la clarification conceptuelle. Dans cette perspective,

la théorie éthique se dégage comme l'interface entre différentes théories morales. Ces

théories n'ont pas un statut de vérité, mais elles participent à forger l'univers des cas

problématiques. Dans cette voie, le processus en est un de décryptage du sens des

traditions singulières à la lumière de cas singuliers. L'ethicien est donc un élément

important au niveau du processus de décryptage des éléments éthiques qui entourent le

cas singulier. II s'efforce ainsi de mettre en perspective les différents points de vue. Au

niveau de la pratique, son travail se poursuit dans la mise en place d'un dialogue menant a

un consensus.

Le consensus acceptable et le recours aux triiunaux en cas de dissensus avéré nous

renvoient à la question du statut de l'expérience et des représentations. En fait, il

s'agissait ici de distinguer entre trois formes de pensée : le pragmatisme, la philosophie

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 96: L'éthique clinique comme engagement philosophique

95

régressive et les philosophies premières. Comme nous l'avons démontré, l'approche de

Roy est intemaliste et circulaire. Pour lui, l'éthique clinique a éxnergé dans le contexte

d'une culture libérale dans laquelle la médiation des conflits exige que les individus

adhèrent à une représentation 11'béraIe de l'être humain Le recours aux tribunaux illustre

cette dynamique intrinsèque de l'éthique clinique dans la mesure où, dans les cas

d'impasses modes, les tribunaux, institués dans une société libre et démocratique,

constituent le rempart éthique pour que la liberté su patient et son droit à

I'autodétermination soient respectés. L'approche de Roy se rapproche d'une attitude

pragmatique, et s'éloigne par le fait même de la philosophie régressive, puisqu'elle ne

reconnaît pas aux représentations un rôle de premier ordre au niveau de la justification de

la décision pratique. Ainsi, les représentations ne sont pas discutées comme élément de

problématique.

En définitive, l'approche de Roy peut être dite sceptique, métaéthique, au sens de la

clarification conceptuelle, et pragmatique. Ainsi, la philosophie occupe un rôle mitigé

dans cette conception de l'éthique clinique. L'adoption d'une attitude sceptique, qui

conduit au relativisme culturel, attribue un rôle secondaire à la philosophie en éthique

clinique. La philosophie, tout comme d'autres formes d'entreprises qu'elles soient

théologiques ou religieuses, s'inscrit dans l'horizon culturel duquel émerge les questions

en éthique clinique.

43 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 97: L'éthique clinique comme engagement philosophique

%

Ainsi, du point de vue de l'entreprise éthique, la philosophie ne joue pas un rôle de.

L'élément nodal demeure la cornaissance des différents éléments qui innuencent

l'ensemble de la problématique bioéthique qu'il s'agisse tantôt des concepts de la

philosophie -Iles d'Aristote, de Kant ou de Mill - ou tantôt des préceptes religieux

Ainsi, il est donc possible de conclure que la philosophie occupe un rôle de pilier culturel

dans une telle entreprise.

0 Stéphane P. Ahem (1 998)

Page 98: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Chapitre 3

L'tthique clinique comme pensée herméneutique chez Malherbe

Le dernier chapitre nous a permis d'étudier une approche en éthique clinique, approche

qui se distancie de la philosophie en adoptant une attitude relativiste et pragmatique.

Dans ce troisième chapitre, tournons-nous vers une entreprise qui adopte explicitement

une position philosophique. Cette entreprise, nous la retrouvons dans les travaux de

J.-F. Malherbe. Cet auteur semble soutenir une conception de l'éthique clinique

totalement opposée a celle de Roy.

Dans ce dernier chapitre, mon objectif est de clarifier les concepts de philosophie,

d'éthique et d'ethique clinique tels qu'ils sont formulés chez Malherbe. En m'appuyant

sur le cadre développé, je clarifie les acceptions explicites des concepts dans les discours

ainsi que les éléments implicites qui sont importants pour bien saisir la portée et les

nuances des rôles qu'assume la philosophie en éthique clinique. Je m'efforcerai aussi de

mettre en évidence les éléments ambigus.

Du statut des fondements : le statut de la vMté

Avant d'aborder la question des fondements dans l'oeuvre de Malherbe, certaines

remarques méthodologiques méritent d'être soulignées. L'auteur soutient que sa pensée a

évolué depuis le tournant des années 1990. En fait, Malherbe a d'abord proposé une

philosophie de la médecine"*; par la suite, il a considéré une philosophie de la

pour proposer, en 1996, une philosophie de la guérison"'. - -

13' J.-F. Malherbe (1987). Pour une t!rhique de la médecine. Pans : Éditions Larousse. J.-F. Maiherbe (1990b). Pour une éthique de la médecine. Deuxiéine édition revue et corrigée. Louvain-La-Neuve : Ciaco éditeur. J.-F. Malherbe (1997d). Pour une éthique de Ja médecine (troisième édition revue et corrigée). Namur / Montréal : Artel / Fides.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 99: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Pour bien saisir la portée de ces changements, l'analyse des textes nous permettra de

mettre à l'avant-scène le rôle des fondements dans son entreprise. Cette démarche a pour

objectif de démontrer que le mode de philosopher de Malherbe s'apparente soit à une

entreprise proposant des fondements absolus, des fondements suffisants ou à une

entreprise adoptant une attitude sceptique. Le cadre que nous avons développé au

premier chapitre devra être suivi systématiquement. Ainsi, la question à laquelle nous

essaierons de répondre d'abord sera celle du statut de la vérité dans l'entreprise éthique.

L 'entreprise philosophique de Mal herbe laisse apparaître deux rapports circulaires quant

au statut de la venté dans la construction philosophique. Le premier cercle est marqué

par I'appartenance du système philosophique à l'Histoire. Le deuxième cercle, quant à

lui, s'esquisse dans l'appropriation de la tradition qui se meut dans l'histoire par le sujet,

participant lui-même de l'histoire. En fait, l'individu est déterminé par l'histoire dans la

mesure où son identité est construite à partir de ce que Malherbe appelle la parole

d'autrui. Pourtant, l'individu authentique doit advenir dans une vérité qui se dévoile, celle

de la réflexion critique de ce qu'il est. Ce processus exige qu'il se dégage de son éducation

en vue de faire advenir une vérité qui se cache en son sein.

Le concept de vérité ne trouve donc pas une réponse linéaire chez Malherbe. Celui-ci

emploie plutôt un concept multidimensiomel de la vérité. Pour Malherbe, l'entreprise

éthique participe d'un système philosophique où interagissent différentes sphères - l'épistémologie, l'anthropologie et l'éthique.

-- --

Devenue tentative de mettre au jour, d'expliciter et de déployer le mécanisme du pouvoir médical et d'identifier 1 'étiologie de ses abus, la "phi losophie de la médecine" se dénommera plus heureusement "philosophie de la maladie" ou "philosophie de la souflrance" (J.-F. Malherbe (1996~). Marériaux pour penser. L 'Pthique clinique comme "philosophie du singulier ". Montréal : Département de philosophie, Université de Montréai, p. 3). 13' Aujourd'hui, je ne pense plus que le plus éthique des projets philosophiques en direction de la "santé" soit de construire une "philosophie de la maladie". Je n'en suis pas revenu pour autant à une "philosophie de la médecine". Je pense bien davantage à une "philosophie de la guérison" car je me suis rendu compte que le mieus que nous ayons à vivre n'est pas tant de comprendre nos maladies, ce qui risque de nous tenter a nous y wmplaire, de cc catalyser, à l'aide d'une bienveillante lucidité critique, les guérisons successives dont sont tissées nos vies lorsque nous y consentons (ibid., p. 4).

0 Stcphane P. Ahem (1 998)

Page 100: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Je considère qu'il n'est pas possible de formuler une &hique autrement qu'en dialogue avec une anthropologie, une philosophie de l'humain. Ni en l'absence d'une philosophie des cultures et d'une philosophie de l'histoire. Ni sans parler du sujet entendu au sens de I'identitd la plus profonde de chacun d'entre nousI3*.

Ce concept doit s'appréhender dans le contexte d'une entreprise qui s'inscrit dans une

philosophie de l'histoire et dans uw philosophie du sujet Il ne s'agit pas de dew

éléments tensionnels puisque l'un et L'autre se subsument dans une conception

herméneutique de la philosophie comprise comme horizon de sens pour l'existence. Du

point de vue systémique, le concept de vérité de Malherbe vient se glisser a la jonction

des différentes sphères d'enquête.

Y a-t-il une place en ethique pour le concept de vérité? [...] La réponse à ta première question semble moins difficile car chacun est conscient que la recherche du Bien ne saurait en aucun cas contredire celle du Vrai, ni d'ailleurs celles de l'Un comme du Beau Depuis Platon, en effet, le Beay le Bien et le Vrai forment ensemble la perfection de

Pour Malherbe, la philosophie comme système apparaît comme une recherche d'unité au

travers de la vie humaine. Pour lui, la recherche de l'unité dans l'entreprise

philosophique semble une des f d i t é s dans la perspective de l'Histoire. En effet,

s'opposerait en un même moment l'expression d'une vérité qui se dévoile ainsi qu'une

vérité qui se construit dans l'univers philosophique. La philosophie aurait pour finalité

de «construire une sorte de prisme de langage au travers duquel prendre en considération

la vie, le monde, nou~-rnêmes»'~~". En même temps, et c'est la l'élément nodal chez

Malherbe, la philosophie procède d'un concept de vérité qui est dialectique.

138

139 f .OF. Malherbe (1 996 c), ?p. cif., p. 42.

1 «) J.-F. Malherbe (1997a). Ethique et vérité. Efhicu 9 (2 tome 1) : p. 214.

141 J.-F. Malherbe (19%~). op. cit., p. 42 Nous reviendrons sur cet élément de construit dans la troisième section lorsque nous tenterons de

distinguer l'oeuvre de Malherbe en regard de la typologie que nous avons proposée soit le pragmatisme. la philosophie régressive et Ies philosophies premières.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 101: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Le concept dialectique de la vérité récapitule les quatre dimensions déjà dénombrées du concept (empiricité, utilité, cohérence et dynamisme) en les nouant solidement entre elles. En eEet, pas d'objectivité sans un rapport de conformité à la réalité éprouvée par son utilité dans l'action; et pas de subjectivité sans effort de cohérence interne s'inscrivant dans la dynamique du développement de la connaissance. On perçoit de plus, d'une fapn que j7espère assez claire, que c'est l'action qui est fialement la catégorie nodale du concept de vérité; c'est dans l'action que se nouent I'utilité, la conformité à la réalité, la cohérence et la dynamiquelu.

Malherbe introduit explicitement un élément important au concept de vérité, a savoir

«que c'est I'action qui est finalement !a catégorie nodale du concept de vérité)). Pour

l'auteur, la vérité est donc tributaire d'un rapport d'altérité., ancrée dans une histoire et

mise à l'épreuve dans l'existence. Le rapport d'altérité est un élément essentiel. Pour

Malherbe, il n'est pas possible de parler de vérité s'il n'y a pas un rapport entre le Soi et

l'Autre, différent de Soi. La vérité de quelque chose exige qu'il y ait une représentation

indépendante du Soi sur laquelle il est possible de juger de la véracité du propos lu.

La vérité ne peut cependant pas se sufflre de ce critère unique pour Malherbe. Le travail

philosophique en quête de vérité se dévoile au coeur de l'histoire. D'autres personnes ont

travaillé avant nous et ce travail a infiuencé notre façon de se représenter l'objet. C'est de

la que décode le critère de cohérence.

Finalement, Faction demeure le pivot pour juger de la vérité d'une parole. Au-delà de la

représentation ou de la cohérence dans l'histoire de la philosophie, un système

philosophique sera «vrai» pour Malherbe en autant qu'il tient la route lorsqu'il franchit

142 J.-F. Malherbe (1997a), op. cil., p. 223. 143- - rbid, p. 219 :

La définition de la vérité en termes d'adéquation entre une représentation de quelque chose et cette même chose souligne une dimension essentielle du concept de vérité. En effet, il n'y a pas de vérité sans un rapport i quelque chose d'autre que la représentation. Que l'on se forme des représentations idéelles ou langagières n'y change rien : le concept de vérité d'une idée ou d'un énoncé dans un langage implique un rapport de cette idée ou de cet énoncé à une sorte d'extériorité du monde des idées ou du langage. Je résumerais ce premier aspect de la vérité en soulignant le &it que le concept de vérité implique le concept d'altérité.

Page 102: L'éthique clinique comme engagement philosophique

les combes abruptes de l'existence humaine. La pensée philosophique, entendue comme

système de représentations de l'univers accédant a une vérité, devra donc se dévoiler au

fil même des sujets qui l'éprouvent dans leur existence'""'.

À la lumière du cadre théorique que nous avons développé au premier chapitre,

l'entreprise de Malherbe semble s'éloigner d'une attitude sceptique. Pour les sceptiques,

la notion de vérité n'a aucun sens dans leur recherche. Il s'agit, au sein d'une société

pluraliste, d'un ensemble de croyances qui s'entrechoquent, voire, dans des situations

positives, des croyances divergentes qui cohabitent entre elles. L'importance que

Malherbe accorde à la vérité l'éloigne ainsi d'une telle forme d'entreprise.

Participe-t-il d'une entreprise issue des fondements absolus ou des fondements

suffisants? Les entreprises qui se bâtissent à partir des fondements absolus exigent que

les fondements soient éternels, anhistonques et immuables. Il existe deux versions de

cette conception des fondements en philosophie, i savoir ce que nous avons appelé la

représentation vérité copie du réel et l'approche herméneutique. La première forme

d'entreprise se caractérise par la recherche d'une adéquation in substantio entre l'objet et

l'idée de l'objet, entre l'objet et la représentation que nous en avons. L'approche

herméneutique recherche elle aussi «une» vérité. La vérité herméneutique est une vérité

- - - - - - -

114 J.-F. Malherbe (1996d). Sens et savoir dans la décision clinique. Laval théologique et philosophique 52 (2) : 5 1 1-525 :

Il en va de même lorsqu'on mène une discussion philosophique : on navigue sur le langage dans un bateau de lamgage que l'on ne peut réf0rmer que pièce par pièce. Si je mets en cause tous les éléments de mon langage à la fois, la discussion fait nauhge dans l'incompréhension. Je ne peu& pour parler, que supposer que certains éléments sont absolus pour pouvoir discuter de la relativité d'un des éléments. Sinon, il n'y a plus aucune discussion possible. ii îàut des points fixes pour opérer un mouvement, quitte à ce que ces points fixes ne soient que provisoires et qu'ils soient eux-mêmes ensuite mis en mouvement à l'aide d'autres points pris provisoirement pour fixes.

145 Pour des fins de clarté, nous préfaons résemer le tenne «d'expérience» à une approche issue de l'attitude sceptique ou des fondements wfîisants. En f8it, l'expérience renvoie à un construit philosophique et non pas à une vérité. Le dévoilement de la vérité nous renvoie plus aisément à l'existence. D'ailleurs, le concept d'existence est employé fiéquement en herméneutique que ce soit chez Gadamer ou Heidegger.

Page 103: L'éthique clinique comme engagement philosophique

dont l'objet est une quête pour laquelle l'objet-en-soi est évanescent. Les citations de

Malherbe que nous avons présentées s'éloignent d'une conception de la vérité copie du

réel. Il n'est pas possible, ou il ne semble pas possible, d'atteindre à une connaissance

purement rationnelle de l'Être vrai qui soit immuable et éternel. Si I'auteur conçoit la

vérité, il s'agit d'une vérité qui est évanescente. En fait, il propose un mode de

philosopher qui est en construction perpdtuelle d'un système philosophique vrai. Dans la

même perspective, Malherbe s'éloigne d'une approche des fondements sufisants. En fait,

bien qu'il fasse mention d'une construction et d'une déconstruction, comme l'illustre

l'exemple du bateau, le travail de Malherbe s'articule au tour d'un processus de

dévoilement de la vérité. Les entreprises issues des fondements suffisants, quant a elles,

parleront de crédibilité de l'entreprise.

Jusqu'à maintenant, notre analyse nous porte a croire que Malherbe adopte une démarche

propre aux fondements absolus articulée à la lumière d'une approche herméneutique.

Ainsi, dans cette optique, son entreprise philosophique devrait avoir pour objet la

recherche d'une vérité qui est cachée dans l'existence humaine. Cette vérité, elle advient

au sujet qui réfléchit sur la vie humaine. Le sujet ne construit pas un système

philosophique. Lavérité se dévoile dans et par son processus de méditation sur ce qu'il

est. Nous retrouvons une telle approche dans le weur de sa théorie, particulièrement

dans la description de ce qu'il appelle la différence anthropique.

Les oriaciDes sont les énoncés fondateurs, instituteurs de l'humain; ils sont souvent partiellement enfouis dans I'inconscient mais peuvent être portés au langage par un travail philosophique adéquat. Ce travail philosophique consiste à interroger l'humain sur ce qu'est l'humain, à tenter d'expliciter la drférence anthnpxque. Pour ma part, je considère que celle-ci réside dans la parole. Et j'entends ici la parole au sens de communication intersubjective,

Q Stéphane P. Ahem (1998)

Page 104: L'éthique clinique comme engagement philosophique

entre sujets, en l'élargissant a tout mode de communication intersubjective, verbale ou non verbale. La parole est le lieu de I 'échange à propos du visible comme de I'invisible. C'est l'espace de manifestation de I'invisible &ns le visible"?

Pour Malherbe, la parole est un des moments de l'existence oii l'individu peut engager

son processus de diexion Son entreprise prend appui sur cette démarche pour mettre

au jour les principes «vrais» qui, lorsqu'ils sont dévoiles, servent d'assise au système

philosophique. En effet, Malherbe propose une conception de l'humain1", qu'il prétend

être le point fixe de son entreprise, à partir de laquelle découleront la théorie de

l'autonomie et les interdits fonda ment au^'^'. Dans ce processus de niflexion entourant

l'acte parolier, une vérité se dévoile, vérité qui sera le fait humain fondamental. En ce

sens, la conception de la vérité chez Malherbe nous conduit à le considérer, pour son

système philosophique du moins, dans une approche herméneutique.

Nous avons considéré j usqu' à maintenant, que la philosophie s'ouvrait sur une tradition

et une culture. En ce sens, elle participe d'une mise en évidence d'une vérité tarie sous les

scories de l'existenc~. Pourtant, la tradition évolue par la participation des individus. Une

autre dimension de la vérité apparaît celle: de la re-connaissance par l'individu de la vérité

morale issue de la tradition. Rappelons-nous que, pour l'auteur, l'entreprise qui se fait

philosophie de l'histoire doit advenir comme instrument de construction de l'identité du

sujet. Dans une telle perspective, la vérité qu'appréhende ie sujet est celle d'une re-

connaissance de la tradition qui le constitue. S'il s'avère que l'entreprise de Malherbe

s'inscrive dans une approche herméneutique, l'individu sera responsable de son

146 J.-F. Malherbe ( 1 996c), op. cit. ,. p. 49. '"J.-F. Malherbe (1997d), op.cif., p. 26 :

Il n'y a pas de "je* sans "tu", ni de "tu" sans ''je". Et il n'y a pas de ''il" sans "je" ni sans "tu". Nous pouvons prendre à tour de rôle la position de "jew, la position "tuw ou la position "il" dans le dialogue mais ces positions n'existent pas séparément; elles n'ont de sens que les unes par rapport aux autres. Nous sommes toujours déjà insérés dans une structure de réciprocité. C'est sans doute là le fait humain le plus fondamental et l'on verra toute son importance dans la question de l'éthique.

14%us reviendrons sur cet élément dans la prochaine section de ce chapitre.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 105: L'éthique clinique comme engagement philosophique

engagement historique en tant que participant. Ii ne s'agira pas d'une vérité «subjective»

mais d'une participation au travail de ddcryptage de la vérité qui se dévoile. "Qu'est-ce

finalement que la venté?, nous dit Malherbe. C'est l'avènement d'une personne dans la

lumineuse clarté qui émerge d'une vie cheminée dans une progressive harmonie avec

77149 l'exigence de sa destinée .

Maiherbe introduit avec cette citation une nouvelle dimension de la vérité. Le rapport

Soi-Autre, tel qu'il l'avait défini pour son entreprise philosophique, trouve un écho

nouveau dans la représentation de la philosophie en tant qu'élément de l'identité du sujet.

«Bref, la vie (zoè) humaine est un cheminement (hodos) qui tente de saisir et de

construire sa propre vérité (aZèthéza) en se racontant (logos) son rapport à sa propre

origine (archè) en vue de son propre achèvement (eschaton)»'? L'analyse que nous

faisons ne peut être ici que restreinte puisque cet élément reviendra dans la section sur

l'éthique. Cependant, la vérité apparaît comme un projet. Ici, c'est le sujet qui, par sa

participation, est responsable de la re-connaissance du vrai dévoilé dans la tradition.

<&me que justement l'éthique se présente comme une requête de subjectivatzon et non

pas comme une démarche d'objectivation. L'éthique, c'est l'art de devenir sujeb>"'. La

philosophie aurait pour fins dêtre le mode par lequel s'opère la distance nécessaire pour

que le sujet se détache des contraintes, des fausses représentations de lui-même, pour

qu'advienne la véritable identité de l'individu Le rapport à l'objet qui s'établit dès lors est

complexe puisqu'il exige que se subsume l'homme de la rue et le sujet Cette quête chez

Malherbe est aussi marquée par une vérité fugitive. «LA VÉFU'IÉ, EN EFFET, NE SE

DEVOILE QU% CELUI QUI LA CHERCHE SANS PRÉTENDRE DÉJÀ LA

POSSÉDERN 152-153.

'" J . P . Maiherbe (1997a), op. cit., p. 226. 1 SQ ibid., p. 226. "'J.-F. Malherbe (1990b). Pourquoi l'éthique en médecine? Louvain Med 109 : 185- 195. 152 J.-F. Malherbe (1 997a), op. cit., p. 226. Nous avons conservé ici les lettres majuscules telles qu'elles apparaissent dans le texte. Elles traduisent, selon nous, Ie caractère d'intensité de cet élément pour l'auteur.

O Sttphitne P. Ahem (1998)

Page 106: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Le mode de philosopher que nous propose Malherbe s'inscrit dans une approche dite

herméneutique. En fait, son entreprise se déploie sur deux tableaux. Le premier tableau

est celui du rôle de l'histoire comme mouvement de vérité en philosophie qu'il s'agisse de

I'épistémologie, de l'éthique ou de l'anthropologie. Le second tableau est de l'ordre du

sujet dans la mesure ou celui-ci, inscrit dans l'histoire, s'engage dans un processus par

lequel il tente de découvrir la vérité morale qui se cache dans son éducation'". Cette

démarche éthique converge dans l'action. En herméneutique, le cercle qui se constitue est

de l'ordre de l'existence. A l'arrière-plan de l'approche herméneutique, sied une

conception de i'humain selon laqueile le mode de comprendre est la finalité même de

l'existence. Ainsi, la philosophie est orientée vers I'existence puisqu'elle a pour objet la

compréhension de celie-ci.

Au début de cette section, nous avions évoque que Malherbe décrit un changement dans

sa pensée. En fait, en 1990, il parlait d'une philosophie de la médecine. En 1994, il

employait le terme de philosophie de la maladie. Aujourd'hui, il utilise volontiers la

notion de philosophie de la soufEance. Qu'est-il advenu de son entreprise philosophique

pendant cette époque? Notre analyse de ses textes a la lumière du critère de vérité a

démontré que, du côte de l'entreprise philosophique entendue comme système, Mal herbe

adopte des fondements absolus issus d'une approche herméneutique. Cependant, cette

recherche ouvre à une autre voie, celle d'une philosophie du sujet où la vérité advient dans

le processus de subjectivation de l'individu.

'%es éléments que nous avons présentes sont aussi illustrés par la lecture que nous propose Malherbe de Martin Heidegger(ibid., p. 223):

Pour Martin Heidegger, la vérité est un cheminement vivant à la recherche de ce qui est voilé. La vérité est dévoilement de ce qui a été enseveli depuis l'origine sous les représentations qu'on s'en est fiiites. Lèthè est la déesse grecque qui personnifie l'oubli. A-iethé-ia, c'est l'éclat de ce qui est sorti de l'oubli, c'est la vérité. La vérité, c'est Ia vie en chemin qui tente

1 W de ressaisir à chaque pas ce que ses pas précédents ont pu lui cacher de son origine.

Cette notion de quête se retrouve aussi dans son analyse de l'entreprise médicale et de l'éthique qui i'entoure. J.-F. Malherbe (1997d), op. cit., p. 1 18 :

LA parole naît de la soufümx d'un sujet qui cherche son identité véritable au coeur même de la crise qu'il vit, au coeur même de la déchirure qui le fait crier. Encore faut-il, pour que ce cri devienne parole, qu'il soit entendu par autrui pour ce qu'il est.

Page 107: L'éthique clinique comme engagement philosophique

L'approche de Malherbe, du point de vue systémique, ne s'est pas modifiée depuis le

tournant des années 1990. Dans les premiers temps, il s'intéressait déjà aux expériences

limites (la fertilisation in vitro, l'avortement et la mort) pour décrypter l'élément humain

qu'évoquaient ces actions humaines. En 1994, son objet était les éléments de santé

publique. Pourtant, il se questionnait toujours à partir des faits de la vie pour remonter à

une forme de vérité'? En 1996, l'accent qu'il portait sur le deciyptage, i'herméneutique

de l'expérience médicale, a laissé la place à la quête de la vérité comme sujet. Son objet de

réflexion était désormais la quête individuelle d'une réalité refoulée.

Philosophie de la médecine ou philosophie de la maladie? La question n'est pas futile. Elle souligne plus qu'un déplacement d'accent. Elle annonce un renversement radical des perspectives. La philosophie de la médecine entendue comme démarche proprement philosophique c'est-à-dire comme une démarche systématique, nitique et fondatiomelle m'a conduit à repérer le système de relations de domination qu'engendre l'institution médicale, it adopter une attitude de résistance à l'égard de la réduction de l'humain a une machine cybernétique, et à mener une recherche à la fois pratique et théorique sur la souffrance et la maladie considérées comme le refoulé de la médecine?

Ainsi, comme cette citation en témoigne, Malherbe a donc laissé transparaître avec plus

d'importance la philosophie du sujet qui émergeait, aussitôt qu'en 1990, dans son oeuvre.

Se sont des lors imposés des thèmes qui demeuraient à l'arrière-plan de ces enquêtes

jusqu'a maintenant à savoir les questions de la soufEance et de la vie mystique.

155 Les résultats de ces travaux de Malherbe, en regard duquel il peut construire son entreprise, se retrouvent dans son analyse de la différence antropique de l'humain et de la lecture qu'il propose de l'expérience de la prévention en santé publique (J,-F. Malherbe (1994). Autonomie et prévention. Alcool, rcrbac et si& dans une société médicalisée. Louvain-la-NeuvefMontréal : ArteVFides, p. 53 ):

En un mot comme en cent, l'approche scientifique de l'humain abstrait l'organisme de la personne, le corps qu'on a du corps qu'on est Mais cette opération, pour nécessaire qu'elle soit, passe souvent inaperçue et la médecine, extrapolant indûment les connaissances acquises au sujet du corps qu'on a au soin du corps qu'on est, devient scientiste. Elle croit pouvoir régir les corps que nous sommes comme un mécanicien contrôlerait des machines. C'est alors notamment la souBance vécue par le sujet et la parole au travers de laquelle iI tente de la dire

1% que la médecine tient pour négligeable.

J.-F. Malherbe (1996c), op. cit. , p. 2.

Q Stiphane P. Ahem ( 1 998)

Page 108: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Cependant, du point de vue qui nous intéresse, à savoir celui de l'évaluation de son

entreprise à la lumière du critère de vérité, sa démarche philosophique n'a pas changé au

cours des années. Notre malyse a permis de démontrer que son système philosophique

s'apparente à une démarche fondée sur des fondements absolus qui se découvre dans une

approche herméneutique.

Le mode de philosopher se construit à partir d'une approche dite herméneutique. Ainsi,

ce qui apparaît comme deux entreprises parallèles (le système philosophique et la

philosophie du sujet) s'unissent dans un modèle cohérent qui se comprend dans la

perspective du cercle herméneutique. L'Histoire détermine les sujets et le sujet est

participant de l'Histoire comme chercheur de la vérité. Comment ce mode de

philosopher influence-t-il l'entreprise éthique qu'il propose?

D'une conception de 194thique : thi!otie et rôle du philosophe

L'approche herméneutique que nous avions évoquée dans la première section s'actualise

d'une nouvelle façon. Cette fois, l'expression entre l'éthique au sens général et l'éthique

wmme projet de vie advient une fois encore. Ainsi, il nous faut d'abord comprendre la

dynamique générale entre la morale et l'éthique pour se questionner ensuite sur la relation

entre l'éthique et l'existence de l'individu singulier. Dans cette section, nous adopterons

la même démarche que dans la section antérieure. Nous étudierons chacune des sections

séparément puis nous tenterons d'articuler notre analyse d'un même concert. Pour

effectuer ce travail de clarification de l'entreprise éthique de Malherbe, nous nous

appuyons sur le cadre théorique que nous avons développé au premier chapitre. S'agit-il

ici de rappeler que deux formes d'entreprises éthiques s'opposent diamétralement , à

savoir les éthiques normatives et les éthiques descriptives. Pour distinguer ces démarches

8 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 109: L'éthique clinique comme engagement philosophique

éthiques, nous utilisons deux critères : le statut de la théorie dans I'entreprise éthique et le

rôle de ~'éthicien'~'.

Quelques remarques méthodologiques s'imposent en regard des concepts d'éthique et

d'éthique clinique. Dès 1990, Malherbe a présenté deux textes importants dans lesquels il

pose les déments clé de sa démarche éthique. Le premier texte est intitulé Pour une

éthique de la médecine1s8. Le second est un article publié dans la revue Ethica ' l e s

fondements de Bien que la démarche éthique de Malherbe semble constante

dans son oeuvre, ce n'est que récemment qu'il a introduit le concept d'éthique clinique.

C'est dans un article publié en 1995 que Malherbe emploie pour la première fois œ

concept'? Avant, il employait plutôt le concept d'éthique médicale. Depuis 1996,

Malherbe a publié plusieurs livres dans lesquels il précise la portée de sa démarche

éthique ainsi que sa conception de l'éthique clinique'?

La construction générale de l'entreprise éthique de Malherbe s'articule autour du rapport

a la morale. "Je distingue l'éthique de la mode en ce sens que pour moi l'éthique est

I 'urt de créer des maximes d'action universalisables, à partir d 'une ou de plusieurs

traditions mordes, dans des situations pro blémat iques chaque fois

singulzères"162.~'éthique, pour Malherbe, est donc un processus inachevé de

construction. Son objet est celui de I'actualisation d'une morale'63. Ainsi, pour l'auteur,

in Le lecteur peut retrouver les résultats de cette analyse au chapitre 1. 158

159 J. -F. Malherbe (1 99Oa). op. cit. J.-F. Malherbe (1990~). "Les fondements de t'éthiqueyy. Ethica 2 (2) : p. 9-34.

160 J.-F. Malherbe L Rocchetti, A.-M. Boire-LaMgne (1995). "Validité et limites du consensus en éthique clinique". Laval théologique etphilosophique 50 (3 ) : 53 1- 543. 161 Le lecteur est prié de consuiter la bibliographie pour connaître les oeuvres les plus importantes publiées pg Malherbe de 1996 à nos jours. J.-F. Maherbe (1 996c), op. cit., p. 47

163 ibid., p. 46 : Pour ma part, j'appelle morale tout système de valeur lié à une tradition culturelle queue qu'elle soit. Parmi ces systèmes hérités des traditions, certains comportent des obligations, d'autres des interdits, d'autres sont des conseils, peu importe. La caractéristique d'une m o d e est, à mes yeux, d'être transmise d'une génération à l'autre, quitte à évoluer au cours de la transmission.

6 Stéphane P. Ahcrn (1998)

Page 110: L'éthique clinique comme engagement philosophique

nous poumons dire que I'dthique appartient au domaine de lktion tandis que la morale

appartient au domaine du langage moral, autrement dit du domaine de la culture. (du

morale d'une soc%&! est Z'emembIe des marimes d'action que les membres de cette

société corniaèrent mtplcitement ou qlicztement comme acceptabZe~))'~~. Dans cette

perspective, l'élément nodal de l'éthique devient l'action. Dans la mesure oh Féthique se

veut une actualisation d'une morale dans une situation particulière, l'accent glisse d'un

travail de culture à un travail du sujet '%'art d'interpréter nos actions potentielles dans

les situations a la lumière des principes et des traditions morales *,165-16~

À la lumière de notre cadre théorique, l'approche de Malherbe s'éloig~~e d'une démarche

dite «descriptive» puisque l'éthique est un processus de construction de norme pour

l'action En ce sens, son entreprise pourrait être dite «normative». Cependant, pour être

en mesure d'en cerner la portée, il convient de se questionner sur les éléments de cette

oewre en regard d'une théorie éthique ainsi que de la place du sujet. Trois approches

éthiques dites normatives peuvent être distinguées : les éthiques déductives, les éthiques

herméneutiques et les éthiques de la décision justifiée.

À la première question, à savoir celle de la théorie éthique, le processus d'actualisation

n'est pas laissé à l'individu. En effet, pour Malherbe, l'éthique, bien qu'elle ait pour fin

l'actualisation de la morale, exige qu'un cadre guide ce processus. Pour Malherbe, le cadre

de l'éthique se bâtit a partir du concept de Cette demière est issue,

selon lui, du fait humain essentiel, à savoir l'échange parolier.

164

165 J.-F. Malherbe (1996c), op. cit., p. 46.

ibid. P. 60. 1 %h&e traduit autrement la finalité de l'éthique. Cependant, l'élément qui revient est cette démarche propre à I'action (ibid., p- 60) : L'éthique est l'art de "discerner l'action Ia plus humanisante parmi toutes les actions possibles dans une situation donnée" 161 J. -F. Malherbe (1 996c), op. cil., p -44 :

Je crois pouvoir construire une ézhipe philosophique sans faire aucunement appel a la catégorie d'âme. Mais je ne pense pas pouvoir consmire une éthique philosophique sans faire *pela une cuiégorie & t r a n s c e ~ c e . Mais recourir a la catégorie de la transcendance ne consiste pas a reioduire dieu dans le discours. La transcendance, je Ia rencontre tous les

8 Stéphane P. Ahe-a (1998)

Page 111: L'éthique clinique comme engagement philosophique

La parole est un concept réciproque[ ...] Nous avons été appelés par d'autres dans l'ordre parolier, nous avons été invités à nous joindre à la conversation sociale. Nous parlons toujours en réponse. Nous parlons parce que nous avons été invités A rbpondre et c'est d'ailleurs là que s'enracine notre respons-abilité. C'est parce que nous sommes des êtres convoqués à rdpondre que nous sommes responsables. C'est parce qu'autrui nous a appris à parler. C'est parce qu'autrui est condition de possibilité de notre humanité que notre devoir premier, pour nous cultiver nous-mêmes, est de cultiver autrui. Quelqu'un qui passerait sa vie a couper ses racines mourrait très vite». Autrui c'est ma racine. C'est autrui qui m'a nourri de culture, qui m'a appris à parler, qui m'a convoqué à la parole. Si je ne lui réciproque pas cette convocation, je me dessèche sur place en même temps que je le tue1".

Cette citation est au centre de la théorie éthique de Malherbe. L'éthique n'est pas

l'expression d'une liberté de conscience, l'expression des pulsions individuelles

réprimées par l'oppression du social. Pour l'auteury l'éthique est respons-abililé.

L'échange parolier est un acte réciproque qui, lui-même, est construit en termes éthiques.

L'éthique, puisqu'elle participe de l'action, implique nécessairement un rapport a autnii.

Ce rapport, pour Malherbe, en est un d'habileté a répondre de son intention a autrui.

Cette habileté évoque ce qu'il qualifiera de t'autonomie récipr~que'~~.

C'est à partir de cette représentation de l'autonomie réciproque que Malherbe propose

pour son entreprise éthique ce qu'il appelle le concept d'autonomie. Ce concept joue un

rôle clé puisqu'il est le médium par lequel les décisions individuelles peuvent être

évaluées. Il en est aussi la £in puisque la démarche éthique de Malherbe vise à

jours parce qu'il m'arrive parfois de m'étonner moi-même, ou des autres. Chaque jour m'apporte des réalités qui ne correspondent pas à l'image que je m'en faisais. Chaque jour mes images éclatent. Chaque fois que je commets un lapsus ou un acte manqué, je signifie des choses dont je ne savais pas mon intentionnalité remplie, je rencontre la transcendance. La

168 transcendance se nianifeste chaque fois qu'apparaît un phénomène d'irréductibilité.

Le lecteur évoquera certainement la question des représentations de l'être humain, a :'ombre de cette citation. Réservons-nous ce questionnement pour la prochaine section. 169 J. -F. Malherbe (1 997d), opcit., p. 74 :

L'essentiel de l'être humain se joue dans Io parole. La parole est le lieu de la réciprocité puisque, sans elle, le concept de réciprocité n'aurait aucun sens. Elle est le moyn de la réciprocité puisque c'est dans et a travers la parole que l'être humain prend conscience qu'il est aussi le but de la réciprocité puisque c'est à travers elle que I'être humain réaiise son essence véritable.

Page 112: L'éthique clinique comme engagement philosophique

111

promouvoir l'autonomie. «Cultive L'autonomie d'autrui, et ta propre autonomie te sera

donnée par surcroît»'? C'est ainsi que Maiherbe présente son wncept de I'autonomie

sous foxme schématique"'.

- --

Respecter les 1

interdits de

- -

Assumer

l 'homicide I sa solitude

le mensonge 1 son incertitude

au bénéfice de ses sa propre destinée

semblables

--

Promouvoir

la solidarité

lu dignité

la liberté

Au coeur du concept d'autonomie, Malherbe Iaisse apparaître les interdits

fondamentaux: les interdits de l'homicide, de la manipulation et du mensonge. Ces

interdits introduisent une dimension importante dans l'oeuvre de Malherbe, a savoir une

théorie des interdits. En empruntant le schéma habernassien, Malherbe traduit ainsi le

170 J. -F. Malherbe (1 996b), Homici& et c o m ~ i o n . L ' e u t M e en éthique clinique. C 011. dnterpellations~. Montréai : Édition Médiaspaul, p. 166. 171 Il ne nous est pas possible de revoir la constitution de &on exhaustive du concept d'autonomie. L'expérience privilégiée est celle de la parole. Son analyse émerge d'une réactualisation de la recherche aristotélicienne (les causes). Le lecteur peut consulter le livre Pour une éthique de la méclecine. L'auteur discute amplement de la construction de ce wncept. 11 est intéressant de nater que l'acception qu'il propose de ce concept est peu ou prou reconnue dans la littérature américaine.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 113: L'éthique clinique comme engagement philosophique

112

rôle qu'assument les interdits dam sa théorie éthique : «Ii s'agit [...] de conditions de

possibilité pragmatiques de la discussion et [...] ces conditions ont un contenu normatif

cognitif et elles sont univer~eIles»"~. Pour Malherbe, la théorie éthique, par le

truchement des interdits fondamentaux, vient nomer l'action Il existe ainsi un cadre

normatif à partir duquel découle la «solution la meilleure» d'un point de vue éthique. À

la lumière de notre cadre théorique, cette conception de l'éthique s'éloigne de l'approche

de la décision justifiée.

En effet, selon cette approche, la tbéone éthique ne joue qu'un rôle dans le processus de

délibération Ce processus a pour objet les fms de l'action en tant que l'individu essaie

de prendre une décision raisonnable dans une situation. Malherbe semble s'éloigner de

cette option puisqu'il reconnaît à la théorie des interdits un cadre normatif au niveau de

la prise de décision éthique.

La question demeure cependant de savoir quel lien s'établit entre la décision singulière et

les principes éthiques instituteurs de l'humain. En fait, Malherbe argue souvent que sa

théorie des interdits fondamentaux est construite de telle sorte que la {<transgression» y

soit déjà possible. En fait, pour lui, cela est rendu possible puisque la théorie des

interdits s'inscrit dans la trame de fond du concept d'autonomie qui s'organise autour de

deux autres dimensions, à savoir les conditions - incertitude, solitude et

172 J.-F. Malherbe. L Rocchem, A-M. Boire-Lavigne (1 995). op.cit, p. 534. 1.-F. Malherbe (I 996b). op.cit, p 1 59 : «En d'autres mots. nous sommes donc condamnts A l'incertitude. nous souffrons de

frustration et nous nous retrouvons seuls pour assumer ces deux Limites. Bref. d mes yeux. la combinaison finitude-solinide- mcertitude décrit bien le mode d'existence de l'être humain lucide confrontk sa propre volonte d'y voir clair »

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 114: L'éthique clinique comme engagement philosophique

nnitude - et les valeurs fondan~entalesl~~. Ainsi, dans des cas où des interdits semblent

inadéquats à une situation, il est possible de les transgresser.

On trouvera des cas dans l'existence humaine concrète, où I'application de ces trois interdits qu'on a explicités - l'interdit de l'homicide, l'interdit de 17instrumentalisation et l'interdit du mensonge - n'est pas claire. Donc, rien ne permet d7aBEirmer qu'ils sont formulés de façon absolument définitive et valide. ils doivent servir de points de repères dans la plupart des situations. Mais on ne peut pas exclure a priori qu'il ne se présentera pas, un jour ou l'autre, une situation dans laquelle l'incertitude viendra a nouveau nous fouetter le visage comme une grosse gifle de existence'^^.

Maiherbe introduit un élément important dans la théorie éthique. La théorie des interdits

se subsume dans l'expérience de la prise de décision du sujet. Le concept d'autonomie

souligne ainsi d a solitude morale de chacun des êtres humains, parce que lorsqu'on

prend une décision, on est en définitive seul à la prendre»176-'77. Ainsi, bien qu'il y ait

un cadre spécifique pour lequel il est possible d'assurer la démarche éthique, c'est en

174 J.-F. Maiherbe (1 996b). op.cit. p. 165 : Il s'agit de bien reconnaître que nous ne sommes pas dans une éthique du «faire», mais bien dans une éthique de «l'être», de d'être là», de d'être présent à l'autre». L'être humain s'affhnchit dans la mesure où il assume quotidiennement, et toujours davantage, sa solitude, sa h i tude et son incertitude; dans Ia mesure où il respecte chaque jour davantage les trois interdits, où il cultive chaque jour davantage les trois valeurs de solidarité, de dignité et de liberté; dans la mesure ou il s'engage sur le chemin compassiomel et le chemin de l'être plutôt que sur celui du fXre ou de l'avoir; et dans la mesure où iI devient présent à autrui dans

175 la différence et l'équivalence.

ibid.. p. 165 176 ibid, p. 159. in ibid, p. 170 :

On touche ici à la délicate question de la supériorité de la conscience sur la loi. La conscience est supérieure a la Ioi, en ce sens que la loi est un instrument, et que nul instrument n'est pmfàh. 11 appartient à Ia conscience morale individuelle de juger, de discerner dans queUHs) cisconstance(s), dans queUe(s) condition(s) l'application de la lettre de la loi s'annonce plus mortifêre qu'une transgression qui serait davantage vivifiante. L'exercice de la conscience morale, c'est l'art de reconnaître qu'il y a une loi, qu'elle est nécessaire pour l'éducation de la conscience, pour la vie en société; mais c'est aussi de savoir que les lois sont impafaites, et qu'il appartient à la conscience humaine, dûment forniée et informée, de juger s'il y a lieu ou non de fàire une exception dans tels cas particuliers. C'est ce qu'Aristote appelle la prudence : c'est la sagesse de savoir comment appliquer la loi à bon escient, comment discerner les exceptions justifiables, les exceptions qui, si on ne les faisait pas, nous rendraient complices d'un mal plus grand.

Q Stéphont P. Ahem (1998)

Page 115: L'éthique clinique comme engagement philosophique

définitive au sujet que Malherbe pose la question éthique. Malherbe semble ainsi

s'éloigner de la conception de l'éthique déductive. En effet, cette approche propose

plutôt qu'il y ait un schéma d'argumentation général et rationnel par lequel l'individu, ou

tout autre être rationnel, soit en mesure de prendre une décision éclairée. L'entreprise de

Malherbe participe-t-elle d'une démarche herméneutique? Cette question nous renvoie

aux éléments de réflexion que nous avions évoqués dans la première section de ce

chapitre. Cela nous introduit à la question de l'éthique appréhendée desonnais comme

un projet de vie.

Le but fondamental de l'éthique, c'est que chaque sujet humain devienne le véritable lui-même, que ce que nous sommes, ce que nous disons, ce que nous faisons, les relations que nous entretenons avec nous-mêmes et avec les autres, que tout cela jaillisse du plus profond de nous-mêmes, du plus profond de notre identité humaine. Et, si nous sommes croyants, du plus profond de notre relation de filiation divine'78.

Cette citation nous renvoie à la question de la venté comprise à la lumière d'un processus

identitaire où le sujet dévoile à lui-même sa propre venté. À la lumière de ce que nous

avons discuté sur I'entreprise éthique, ce processus d'avènement de soi doit advenir au

sein mème d'une démarche d'autonomisation. Ainsi, l'éthique est un projet où l'humain

essaie de cultiver ce qui est le plus humain en lui179. Pour Malherbe, il devient dès lors le

sujet de son existence puisqu'il peut répondre à autrui de ses intentions180. Cependant,

ce processus ne permet pas d'atteindre à une vérité. Il n'ouvre qu'à une vérité

évanescente : «Du plus profond de notre identité humaine, nous sommes requis de nous

l" J.-F. Malherbe ( 1 9 9 0 ~ ) ~ op. cil., p. 9. 179 J.-F. Maherbe (1996c), op. cit. : «Le but d'une vie d'humain, c'est, au minimum de voir naître et s'épanouir au grand jour l'identité profonde qu'elle d e erfouie au coeur des récits qui l'on tissée avant même qu'elle en reçoive son nom». lto J.-F. Maiherbe (1998) "Ne devenons pas œ que nous ne sommes pas" ou Les apories de l'autonomie en ethique clinique. Texte & la confemce prononcée le 20 mars 1998 à l'Abbaye royale de Fontevrault (France): «Il s'agit de ces paroles qui prennent dans notre bouche la consistance de la vie qui nous porte. Il s'agit des paroles par le truchement desquelles nous attestons de notre vie intérieure, nous témoignons de nos convictions subjectives»

Q Stephaue P. Ahern (1 998)

Page 116: L'éthique clinique comme engagement philosophique

engager dans un travail de subjectivation que nous ne sommes pas les premiers à tenter et

que nous n'achèverons pas nous-mêmes» 181-182

À la lumière de notre cadre théorique, l'approche de Malherbe s'inscrit ainsi dans une

éthique herméneutique. Son entreprise éthique se développe B l'intérieur d'une

philosophie de l'histoire. C'est a partir de la tradition qu'adviennent les premiers

éléments de la discussion éthique. En effet, dans une telle entreprise, l'éthique est un

processus par lequel les traditions morales se voient réactuaiiser a la lumière des éléments

singuliers. Nous retrouvons ici le cercle herméneutique que nous avions esquissé dans la

première section du chapitre. Ainsi, l'Histoire est l'élément premier à partir duquel

l'Universel s'actualise dans l'existence du sujet, à savoir le Pour qualifier

cette capacité de re-connaître l'universel dans l'action singulière, Malherbe emploie la

notion de jugement prudentiel.

Le "jugement prudentiel" est l'opération de l'esprit de 'cprudence" par laquelle un sujet moral tente d'appliquer avec discernement une règle universelle de morale dans une situation particulière, quitte à prendre la Liberté de corriger la règle si son application mécanique devait conduire a un résultat trop éloigné de la finalité qu'elle vise. Le ''jugement pnidentiel" consiste donc a agir de façon autonome, c'est-à-dire à assumer dans sa décision subjective l'imperfection intrinsèque de la loi morale. L'exercice du "jugement pmdentiel" consiste à discerner les circonstances h m lesquelles suivre la lettre de Za loi serait moins moral que de transgresser cette letire au nom de Z 'esprit qui i'unzmel.

111

in J. -F. Malherbe (1 WOc), op. cit., p. 9- 10. J.-F. Malherbe (19%c),op. cit., p. 85 :«Nous pouvons nous approprier le récit qui nous porte,

l'infléchir et parfois même le remodeler lorsque nous entreprenons un travail sur nous-mêmes qui vise à notre libération à l'égard des traditions orales qui nous ont vu naître et ont pétri l'image que nous nous Esons de ce que les autres attendent de nous».

ibid., p. 85 : «Ces quatre figures quasi mythiques de la philosophie [le Prudent d'Aristote, l'Affranchi d'Eckhart, l'Homme singulier de Kierkegaard et le Surhumain de Nietzsche] partagent, en &kt, une commune relation de transgression ou d'exception à la loi générale, au principe éthique, particularité liée à F s positions respectives à l'égard de la question de Dieus.

J.-F. Malherbe (1 996b), op. cil., p. 1 66.

Page 117: L'éthique clinique comme engagement philosophique

116

Ici, Malherbe retoume à l76lément nodal de son entreprise éthique générale, à savoir

l'achialisation d'une nonne universelle de morale dans une situation singulière. Cette

démarche, elle s'inspire du concept d'autonomie. C'est en définitive, pour Malherbe, au

sujet qu'il incombe de prendre la décision de transgresser la loi au nom de la lettre de la

loi. Celui qui décide d'agir ainsi s'expose à la répression de sa communauté. Lorsqu'il

exerce cette habileté, il doit accepter de répondre de ses actes (respons-abilitb)' 85. Ainsi,

pour l'auteur, le jugement pmdentiel devient un pivot de croissance pour l'individu.

Cependant, l'homme prudent est toujours en devenir, bien qu'il y ait des figures

mystiques qui puissent nous éclairer.

En regard du critère du statut de la théorie éthique, l'approche de Malherbe participe

d'une approche dite normative. Les principes qu'elle évoque renvoient à une quête, à un

dévoilement de ce qui est le plus humain dans I'actualisation des traditions morales

confrontées à la situation singulière. h i nous rappelle les caractéristiques d'une

approche dite herméneutique. En éthique, de teiles formes adhèrent néanmoins à une

conception de la vérité morale. La théorie éthique existe puisqu'elle a pour objet que

l'individu devienne autonome, a savoir qu'il s'affranchisse des déterminants sociaux et

qu'il s'approprie ceux qu'il re-connairlg6 pour la formation de son identité morale.

lS5 J.-F. Malhcrbe (1996b), op. cit., p. 88-89 : Cet exercice est en définitive le seul art de vivre puisque sa pratique comme sa finalité consistent a laisser advenir soi-même et autrui sujets de l'histoire humaine, cc qui est sans doute l'une des visées de la philosophie. Mais cette radicale "prudence" consiste aussi a casser la djmamique de toute formation sociale imaginaire aux termes de laquelle la décision morale serait rtduite à l'application mécanique d'une règle universelle a des cas particuliers. C'est sans doute la raison pour laquelle elle provoque tant de résistances.

Lc concept de reconnaissance nous renvoie a la pensée herméneutique. La connaissance est re-connaissance de la vérité dans la tradition.

8 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 118: L'éthique clinique comme engagement philosophique

1 17

À la lumière de cette première analyse de la démarche éthique de Malherbe, il nous faut

maintenant considérer le second critère, B savoir celui du rôle de I'éthicien. Dans le cadre

théorique que propose Malherbe s'esquissent ies rôles qu'assume l'éthicien Dans cette

démarche, trois rôles particuliers méritent d'être distingués. Le premier rôle se construit

à la lumière du rapport entre l'éthique et l'entreprise philosophique en général. Le

second rôle, quant à lui, émerge de l'approche de l'éthique du singulier qu'il propose.

Ainsi incombe à l'éthicien le rôle de participer à la discussion où les personnes

impliquées procèdent à l'actualisation de la morale dans uw situation particulière. Le

troisième rôle, quant à lui, nous renvoie à l'éthique fondamentale comme processus de

subjectivation de chaque être humain.

Le premier rôle qu'occupe l'éthicien en rapport avec l'entreprise éthique est de l'ordre

du général. En effet, pour l'auteur, l'éthique est un des éléments d'un système

philosophique qui entend se développer afin qu'émerge de la pratique médicale une

venté éthique, voire philosophique.

Lorsque c'est une entreprise humaine qu'étudie le philosophe, son travail de description se prolonge jusqu'à saisir la nonnativité qui, ne fiit-ce qu'implicitement, régit cette entreprise. C 'est pourquoi la philosophie, bien qu'elle ne soit pas normative a l'égard de la médecine, contribue à expliciter la normativi té implicite de la médecine elle-même1*'.

Pour Malherbe, le travail du philosophe est de l'ordre du déciyptage d'une nonnativité

«implicite». En fait, pour l'auteur, il ne s'agit pas d'appliquer un cadre à partir de

lt7 J.-F. Malherbe (1 997d), op.cit., p. 7.

0 Stiphane P. Ahem (1998)

Page 119: L'éthique clinique comme engagement philosophique

l'extérieur1? L'éthicien doit trouver la «nonnativité» qui est implicite dans les faits de

l'existence189. Appliqué à la médecine, le rôle du philosophe devient donc celui de

trouver le sens, la normativite implicite, dans l'acte médical. Pour Malherbe, ce travail

commence par la relation patient - médecin. Pour l'auteur, c'est l'échange parolier,

caractéristique fondamentale & toute relation humaine' qui est le moment d'institution

de la relation thérapeutique.

En un mot comme en cent, l'approche scientifique de l'humain abstrait l'organisme de la personne, le corps qu'on o du corps qu'on est. Mais cette opération, pour nécessaire qu'elle soit, passe souvent inaperçue et la médecine, extrapolant indûment les connaissances acquises au sujet du corps qu'on a au soin du corps qu'on est, devient scientiste. Elle croit pouvoir régir les corps que nous sommes comme un mécanicien contrôlerait des machines cybernétiques. C'est alors notamment la souEance vécue par le sujet et la parole au travers de laquelle il tente de la dire que la médecine scientiste tient pour négligeab1edg0' 191

Pour Malherbe, le philosophe assume donc un rôle d'herméneute par rapport a

l'entreprise médicale. Il a pour fonction de laisser advenir le sens «vrai» de la pratique,

ce sens ayant été perdu au cours même de l'histoire. À la lumière de notre cadre

théorique, le rôle de l'éthicien se dégage des approches dites normatives. En effet, son

180 J.-F. Malherbe (1997db opcil., p. 7: Cette normativité n'est donc pas imposée de l'extérieur à la médecine par la philosophie. La médecine est autonome. Et la philosophie n'exerce aucune contrainte morale sur la médecine. La tâche de la philosophie est, au contraire, de servir l'autonomie médicale en I'invitant à une plus grande cohérence interne. Mais ce service n'est pas servile. Il a ses exigences légitimes qui sont les mêmes que celies que se prescrit la médecine elle-même : le respect des patients comme des praticiens.

lR J.-F. Maiherbe (1996c), op. ci!., p. 42 : La proposition qui suit est présentée sous forme d'un système. Tout s'y tient de @n aussi cohérente que possible. Chaque pièce de l'ensemble prend son sens de son rapport à chacune des autres pièces. Construire une philosophie, c'est constniire une sorts de prisme de langage au travers duquel prendre en considération la vie, le monde, nous-mêmes. Si ce langage, au travers duquel je vous invite à considérer les choses, est bien construit selon l'intentionalité propre à la philosophie, il nous permettra de lire une intelligibilité possible de ces choses.

J.P. Malherbe (19%c), op. cit., p. 22.

Page 120: L'éthique clinique comme engagement philosophique

acte philosophique est orienté vers

Trois options sont donc possibles :

l'approche de la dkcision justifiée.

119

l'émergence d'une norme au coeur de la pratique.

l'approche déductive, l'approche herméneutique et

Dans l'option de l'éthique déductive, l'éthicien

assume un d e d'expert puisqu'il est habileté à formuler le rationnel par lequel il est

possible de poser une décision éthique. À quelle conception de l'éthique l'approche de

l'éthique de Malherbe s'apparente-t-elle? À première vue, nous pourrions être tenté

d'associer son schéma de l'autonomie dans la perspective d'une éthique déductive stricto

sensu. Dans cette perspective, son modele échapperait à la tempodite de l'expérience

humaine pour accéder à un statut autre. Tel n'est pas l'objet de sa démarche puisqu'il

parle de l'importance d'une philosophie de I'histoire et de la culture.

Malherbe parie aussi de la décision. En fait, il met beaucoup d'emphase sur cette

dimension. Il emploie le concept de dialogue abondamment dans son oeuvre. Participe-t-

il ainsi d'une éthique de la décision justifiée? Son travail philosophique se situe hors des

limites de cette approche éthique. Suffit41 de rappeler que l'éthique de la décision

justifiée adhère a une rationalité pratique qui a pour fins la délibération morale. Le

&dogue éthique est le lieu même de l'échange éthique. Chez Malherbe, le dialogue sen

probablement cette fonction inter-humaine. Cependant, il accède à un autre statut

puisque c'est a partir de cet échange que Malherbe construira sa représentation

antroplogique de l'humain (être de parole) et modulera son concept d'autonomie qui se

veut être les conditions préalables d'un dialogue véritablement humain. Cette approche

191 J.-F. Maiherbe (1 994), opcif., p. 53.

Q Sttphane P. Ahem (1998)

Page 121: L'éthique clinique comme engagement philosophique

120

anfhroplogique, sans se situer à l'extérieur de l ' e e e a c e humaine, s'inscrit dans une

visée de vérite. Eue se fait recherche du vrai dans l'expérience du dialogue. Ainsi, la

troisième voie qui apparaît est celle d'une éthique herméneutique. Celle-ci se caractérise

par deux éléments clés. Le premier se rapporte au sujet. Celui-ci est un agent qui prend

conscience de sa condition humaine, de ses déterminants. Son travail est d'engager une

rdflexion critique face à ces déterminants sans pouvoir s'en abstraire totalement. Le

deuxième élément se rapporte à la théorie &&que. Celle-ci ne s'inscrit pas dans l'univers

asceptique de principes désincarnés. Elle est forgée en et par la mouvance de

histoire'^^.

Chez Malherbe, le rôle de I'éthicien s'apparente à une démarche hemeneutique. Son

objet est de laisser advenir une vérité morale, une normativité, de la vie humaine vécue.

Cette vérité n'est pas directement accessible. Elle s'inscrit comme un processus : éclairer

les sujets afin qu'ils prennent conscience de la voie a plus éthique. Il se distancie dès

lors d'une approche dite de la décision justifiée. En effet, dans la mesure ou il y a une

quête d'une vérité éthique qui se donne, l'éthicien n'a plus pour fonction d'aider à

susciter la délibération afin de trouver la meilleure action à poser.

19;? Cette troisieme voie &hique a été développée face aux nombreux problèmes d'interprétation que nous avons rencontré lors & l'analyse des textes. En fait, les approches deductives et celles & la décision justifiée sont bien définies dans la littérature. la troisième voie, que nous avons déaite, appartient à un champ éthique qui demeure mal définie dans la littérature. Dans le premier chapitre, nous avons tenté d'en esquisser les frontières.

Q Stiphane P. Ahern (1998)

Page 122: L'éthique clinique comme engagement philosophique

121

Pour étayer cette interprétation, analysons plus avant le rôle qu'assume l'éthicien daas

le cadre de la décision pratique. Pour Malherbe, I'kthique clinique constitue l'art de

prendre des décisions au chevet du malade : d'art de prendre "au chevet du malade [...]",

c'est-à-dire cas par cas, les meilleures décisions sur la façon d'approprier a son service

les ressources des technologies biomédicales Les personnes qui se

retrouvent dans ce lieu ethique ce sont les saignants. Pour Malherbe, du point de vue de

la pratique de l'éthique clinique, « [l] 'éthique clinique part d'une présupposition tout à

fait essentielle -presque un axiome - qui détermine tout le reste : nul ne sait mieux

qu'un clinicien comment résoudre me d@culté éthique qui est soulevée par la

clmique)) lg4.

L'éthicien n'est pas au coeur de l'éthique clinique ou de la démarche éthique au chevet

du malade. En effet, au coeur de ce processus, c'est le clinicien qui est «engagé». À la

lumière de la théorie éthique de Malherbe, cela s'articule sur la trame de fond de la

respons-abilté dans l'action. Le clinicien, celui qui prend la décision, pose un acte

éthique dans la mesure où il est habileté à répondre de ses actes. Le philosophe-éthicien

se voit confier un role de c<fomteun>. La maxime de son action s'exprime ainsi : (En

quelque sorte, c'est en créditant l'autre d'une autonomie qu'il lui reste à acquérir ou à

parfaire que chacun travaille à sa propre autonomie)) 19'. En effet, puisque l'éthique est

un processus de subjectivation du soignant par rapport à la morale, l'éthicien assume

'933. -F. Malhedx (1 996b), op. cil., p. 123. 194 - rbid., p. 5 . 19' J.-F. Malherbe (1998), op. cil.

0 Stéphane P. Ahern (1998)

Page 123: L'éthique clinique comme engagement philosophique

122

donc un rôle d'éclaireur des consciences. Le philosophe, qui participe à une démarche

éthique, peut aider les individus à prendre conscience de l'éthique fondamentale.

L'éthicien convie ainsi les personnes impliquées à s'engager dans une d t h ~ c h e

d'autonomisation, c'est-à-dire que l'individu s'&anchit de la norme pour définir une

visée éthique1%. Cette visée éthique, pour Maiherbe, c'est celle de l'autonomie

À la lumière de notre cadre théorique, une telle approche nous renvoie à une démarche

dite herméneutique. Se trouve ainsi étayée l'interprétation que nous avions évoquée en

regard de la conception générale du rôle de l'éthicien. Par son expérience, l'éthicien peut

aider les individus à prendre conscience d'une vérité morale qui est voilée. Le philosophe-

éthicien, dans l'entreprise de Malherbe, accompagne les individus afin qu'ils

1% J.-F- Malherbe (1996a). L'incertitude en éthique. Perspectives cliniques. Coll. «Les grandes conferences». Montréal : Editions Fides, p. 56 :

[Clette méthode pour chercher la vérité ~omme le bien ne nous contraint nullement à nous soumettre aveuglément a quelque majorité que ce soit puisque chacun ct chacune de nous, en tant que sujet éthique, est une conscience morale qui possède la prérogative de choisir en dernière instance, mais à ses risques et pirils, cc qu'elle jugera être la meilleure décision dans la situation.

mais le risque que court une conscience morale décidant d'une transgression est véritablement majeur. C'est le risque de la démesure que les Grecs appelaient I'ùbris et les Evangélistes le péchP contre I 'Esprit: s'attribuer une compétence et un jugement éthiques certains sans avoir pris la peine de les cultiver sa vie durant.

C'est dire que loin d'être une doctrine rigide à ~appl iquen) au cas par cas, l'éthique est une manière d'assumer positivement l'incertitude inhcrente à noire condition humaine, un art de chercher cidans la crainte et le tremblemenb>, comme aurait dit Kierkegaard, une position plus juste à l'égard du certain comme de l'incertain.

J.-F. Malherbe (I998), op. cit. : C'est en efbpar le dialogue effectif que l'on pourra trouver l'issue la meilleure. On pourra procéder par étapes. II convient d'identifier d'abord Ics personnes concernées par la situation. Toutes devraient participer a la discussion. Et si l'une ou l'autre en est empêchée, il faudrait veiller à l'expression de ses intérêts par un représentant, Un proche, par exemple, dans le cas d'une personne que sa maladie rend inapte à la discussion. Ensuite, on cherchera les diverses options possibles pour dtnoucr la situation problématique. Puis, on tâchera d'évaluer, en se référant au concept d'autonomie réciproque [...], quelle est la meilleure option c'est-à-dire celle qui favorisera le mieu. la croissance en autonomie des diffërentes personnes concernées. II s'agit d'un travail délicat qui demande qu'on mette cn pratique l'autonomie nsinit qu'on cherche à cultiver.

43 Stéphane P. Ahtrn (1998)

Page 124: L'éthique clinique comme engagement philosophique

123

s'afEanchissent peu à peu. II les invite a passer de l'hétéronomie à l'autonomie en

questionnant la validité de leurs choix Le philosophe, qui accompagne le clinicien, n'est

pas un «expert» d'une discipline sise à l'extérieur de la chique. L'éthicien est plus

conscient de l'inconscient normatif qui lui dicte sa conduite et, en ce sens, il convie le

clinicien à s'engager sur ce chemin Ainsi, le philosophe-éthicien aide les personnes a

cheminer. Il peut les inviter à s'engager dans le chemin. Maiheureusement, il ne peut pas

leur indiquer toutes les étapes puisqu'elles lui &happent par nature. «Un maître en

é ~ q u e est simplement un humain qui a quelques longueurs d'avance sur ses apprentis;

mais lui-même reste un apprenti toute sa viedg8. C'est en s'engageant que la venté se

dévoilera aux yeux des cliniciens.

Pour Malherbe, I'éthicien est donc un maîîre au sens où il aide les sujets à prendre

conscience de ce qu'ils sont vraiment. Ainsi, s'étant engagé plus tôt dans le processus

d'autonomisation de l'humain, l'éthicien bénéficie de quelques longueurs d'avance it

partir desquelles il peut faire prendre conscience à l'individu d'une part d'hétéronomie en

lui. «L'apprentissage de l'éthique, nous dit Malherbe, c'est l'ensemble des exercices

propres à ouvrir notre regard intérieur au-delà de notre morale héritée jusqu'à l'horizon

universel de l'éthique»'99. En définitive, pour l'auteur, l'éthique apparaît comme un

travail sur soi dans lequel l'éthicien joue un rôle de quasi thérapeute. Malherbe,

empruntant d'ailleurs certains éléments à la pensée lacanienne, parle de l'autopoïèse

éthique:

-

19B J-F. Malherbe, (1997a). La wnrcience en (iberlé. Apprentissage & I 'éthique et création de consensus. Coll. «Les grandes conférences». Montréal : Editions Fides, p. 5 1. 199 ibid., p. 42.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 125: L'éthique clinique comme engagement philosophique

L'apprentissage de l'éthique consiste en un apprentissage du dialogue critique, en l'apprentissage de la construction de tiers-jeux de langage. Il s'agit d'apprendre non seulement à dialoguer mois encore à analyser le fonctionnement du dialogue dans l'acte dialogique lui-mhe. L'apprentissage de l'éthique, c'est l'apprentissage de l'art de dialoguer avec justesse. Cela passe non seulement par l'affinement des concepts et des habiletés discursives mais aussi par la transformation de soi (se laisser débarrasser de ses propres préjugés est une bonne façon d'apprendre à inciter d'autres au même détachement) et par l'ajustement de nos images de nous-mêmes à ce que nous devenons2?

A la lumière de notre cadre d'analyse, l'approche de Malherbe semble participer d'une

démarche proprement herméneutique. L'éthique y est définie dans la perspective du

cercle herméneutique que nous avions décrit dans la première section. S'esquisse ainsi un

rapport entre l'Universel et le Singulier qui s'exprime dans le rapport entre l'Histoire, le

sujet, participant de l'histoire, et l'actualisation de la tradition dans le cas singulier.

L'éthique est donc un dévoilement d'une vérité morale qui, dans un mouvement de va et

vient, s'éclipse à chaque instant. C'est aussi une éthique qui est axée sur la «prise de

conscience des individus)) des déterminants qui les constituent.

À la lumière de l'étude des deux critères, nous pourrions en conclure que l'approche de

Malherbe semble se prksenter comme une éthique herméneutique. Son entreprise, bien

qu'elle exige le concept complexe d'autonomie réciproque, s'articule d'entrée de jeu à

partir d'une philosophie de l'histoire et d'une philosophie du sujet. C'est à l'interface de

ses deux dimensions que l'éthique apparaît w m e un processus de dévoilement de la

vérité morale comme voie authentiquement humaine.

aw, J-F. Malherbe, (1997a), op cit., p. 41.

0 Stéphane P. Ahem (1 998)

Page 126: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Les entreprises philosophique et ethique de Malherbe laissent poindre une démarche

herméneutique. D'entrée de jeu, il nous disait déjà que la philosophie s'actualisait in

uZtimo comme le dévoilement d'une vérité par la participation des sujets à l'~istoire~*'.

Le dernier élément qu'il nous faut maintenant considérer est celui du statut respectif de

l'expérience et des représentations dans son entreprise. Le cadre que nous avons

développé dans le premier chapitre nous permet de distinguer trois formes d'entreprises:

le pragmatisme, la philosophie régressive et les philosophies premières (herméneutiques

et métaphysiques). Ces entreprises peuvent être distinguées en fonction de trois critères :

l'intemalisme, la circularité et le statut qu'occupent les représentations.

La réflexion sur l'existence part d'un fait fondamental : l'acte parolier. «La pdcellence

d'autrui est donc inscrite au départ même de l'existence humaine. C'est dire que l'être

humain m i t ainsi d'emblee sa véritable vocation qui est de répondre à la parole d'autrui

et de la susciter il son toun>202. Pour Malherbe, l'acte parolier est donc le moment de

l'existence à partir duquel, si nous réfléchissons adéquatement, la vérité morde essentielle

peut advenir.

Autrement dit, avant de pouvoir dire «je» en répondant a votre interlocuteur, celui-ci vous a dit «tu». Mais il n'a pas pu vous dire «tu» que dans la mesure où auparavant vous existiez déjà comme «il» dans la conversation qu'il tient par ailleurs avec d7 autres qui, ensemble, parlaient de vous203.

Pour Malherbe, la venté morale advient dans ce «fait humain fondamental)), dira-t-il dans

Pour une éthique de la médecine. C'est a partir de cette représentation de l'être humain,

201 Permettons-nous de souligner, une autre fois, cette citation de Malherbe (J.-F. Malherbe (1996c), op. ci!. , p. 42) :

Je considère qu'il n'est pas possible de formuler une éthique autrement qu'en dialogue avec une anthropologie, une philosophie de l'humain. Ni en l'absence d'une philosophie des cultures et d'une philosophie de l'histoire. Ni sans parier du sujet entendu au sens de l'identité la plus profonde de chacun d'entre nous.

J.-F. Malherbe (1 9974). op.cit., p. 26.

O Stéphane P. Ahtm (1998)

Page 127: L'éthique clinique comme engagement philosophique

126

comme ê e de parole, qu'il construit son entreprise éthique2oc2o5. Cette recherche de

l'essence, il la fait en opérant une enquête sur les causes de l'acte de langage en tant qu'il

s'exprime dsns l'échange parolie?.

À la lumière du cadre théorique que nous avons développé, l'approche de Malherbe

s'éloigne d'une entreprise intediste. En effet, l'auteur est en quête d'une vérité qui

advient dans l'existence humaine en tant qu'elle est vécue dans l'histoire. Dans ce

mouvement, Malherbe quitte le domaine de la construction philosophique, entendue soit

au sens pragmatique ou7 encore, en philosophie régressive. Cependant, dans la mesure où

son entreprise ne part pas d'un point de Sinus, il ne s'inscrit pas dans un registre

proprement métaphysique. Son approche se situe donc dans la perspective

herméneutique. Selon les critères de l'internalisme, l'approche de Malherbe est

externaliste puisqu'elle a pour finalité l'atteinte d'une vérité morale. En fait, le fait

J.-F. Malherbe (1 997d), op.cit., p. 25. 'O4 J.-F. Malherbe (1994). op-cil., p. 53 :«Et pourant, la parole naît de la souf3?ance d'un sujet qui chemine a la recherche de sa véritable identité au coeur même de la crise qu'il vit, au coeur même de la déchire qui le fait crier. Encore faut-il, pour que son cri devienne parole, qu'il soit entendu par autrui pour ce qu'il est». 205 J.-F. Malherbe (1997d)' op.cit.. p. 32 :

L'existence humaine est une suite d'actes. Mais cette suite se caractérise par une particularité tout à Ehit remarquable : elle ne prend sens que dans et par un sous-ensemble des actes qui la constituent : les actes de langage. C'est au travers des actes de communication qui tes insèrent dans une culture que les agents humains constituent à proprement parier en existence la suite d'actes qui constitue leur vie. Mais aucun agent humain ne s'insère de sa propre initiative dans le réseau de la communication. Tout se passe comme si chacun était appelé par les autres B y participer. Et, en effet, chacun de nous a d'abord été un «il» dans la conversation d'autui. ««Il», l'enfant qui s'annonce. Puis il est devenu un «tu» lorsque sa mère, par exemple, s'est mise à lui parler comme a un être humain. Puis, enfin, et d'ailleurs plus tard, chacun est devenu un véritable «(je» dans la conversation sociale.

J.-F. Maiherbe (19974). op.ciz., p. 33 : b]e philosophe qui tente de clarifier une question prend, pour ainsi dire, une difficulté en mais (cause matérielle) et tente, par des manipulations de langage adéquates (cause efficiente), de lui confërer une intelligibilité (cause formelie) qui permettra que la difEculté trouve éventueîlement une solution (cause W e ) .

0 Stéphane P. Ahem (1998)

Page 128: L'éthique clinique comme engagement philosophique

127

humain essentiel ex& les limites internalistes pour lesquelles l'acte dialogique ne

représente qu'un élkment de I ' e x ~ e n c e himiaine. Cependant, dam la mesure où son

entreprise se fonde sur un devoilement de la vérite. l'approche de Ualherbe est aussi

circulaire207. En effet, l'appréhension de l'être humain au travers de l'obscurité de la

tradition fait que le fait humain fondamental s'éclipse à chaque instant?08. Cet élément de

quête perpétuelle trouve d'ailleurs des échos dans la notion de transgression. La

transgression des interdits, élément du concept d'auîonomie réciproque, est un acte

individuel qui n'invalide pas I'entreprise philosophique comme tel2*'. En fait, pour

Malherbe, il s'agit d'un acte de conscience dans la crainte et le tremblemen?lo.

ZL17 J.-F. Malherbe (1996c), op. cit., p. 65 : ((Toute ma philosophie de l'autonomie tourne autour du concept de parole. Je distingue ici la parole du bavardage et même du langage. La parole survient quand on habite le langage en y risquant sa peau c'est-à-dire quand on se risque à s'interroger sur qui ont et à tenter de le dire)). J.-F. Malherbe (1997d). op-cil., p. 43 :

En définitive, on remarquera que la carte du concept d'autonomie ainsi précisée indique bien des aspects de ce concept qui auraient pu nous échapper. Elle constitue pour ainsi dire un prisme langagier au travers duquel l'existence humaine toute entière se donne à interpréter comme réciprocité, héritage et tridimensiondté. Cette esquisse de l'autonomie comme mouvement a pour mérite de mettre en évidence le fait que I'autopoïése de l'homme est un travail à la fois individuel et social. La convivialité est le lieu d'un accouchement mutuel et toujours inachevé. L'autonomie est un mouvement ou bien elle est une illusion.

L09 3.-F. Malherbe (1996~)' op. cit., p. 61 : «La conscience morale en recherche de transparence s'aperçoit vite que l'intersubjectivité critique est une des voies de son autonornisation. C'est pourquoi elle découvrira dans les conditions de possibilité de l'intersubjectivité critique les principes mêmes qu'elle ne peut pas se donner à elIe-même sous peine de se renier comme conscience autonome)). ''O ibid., p. 95 :

Le fond de la question est de savoir quel est «le vrai rapport à l'exception». Et à cet égard, il convient de revenir à Abraham lui-même et de remarquer qu'il ne se proclame pas lui- même exception par rapport à l'interdit de l'homicide. Il est appelé par Dieu. Ii répond à une vocation, il se trouve en situation de responsabilité. Mais comment l'individu peut-il savoir qu'il est élu? il ne le pourra pas. Comme le note Jean Wahl, il 1' éprouverra dans son angoisse même vis-à-vis de cette question. La réponse est dans l'angoisse avec laquelle la question retentit dans l'individu. Le croyant vit donc un risque constant et l'angoisse est sa seule assurance. En définitive, seul l'individu décidera, devant Dieu et à ses risques et périls, s'iI est vraiment l'objet d'une élection divine.

4 Stéphane P. Abcrn (1998)

Page 129: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Chez Malherbe, les représentations émergent de son travail philosophique. A partir de

i'acte parolier, l'auteur dégage ce qu'il appelle le fait humain fondamentai. Ce fait humain

atteint un degré de vérité qui pourrait être atteint par tout travail philosophique

suffisan?".

Parce qu'il est un être de communication, un animal censé tenir parole pourrait- on &, l'être humain est un être dynamique. C'est un être qui s'appuie sur son propre mouvement pour se porter audelà de lui-même. C'est d'ailleurs en ce sens que l'on pourrait dire que l'être humain est un être dont la destinée est d'accoucher de soi-même, de devenir soi-même. Mais on retrouve ici encore la réciprocité de la commUNcation : il n'y a pas de «je» sans ((tu» et ce n'est que provoque et aidé par autrui que je puis accoucher de moi-même, devenir moi- même. La relation humaine fondamentale est celle de f'accouchement mutuel. [...] L'être humain est essentiellement maïeutique, tour a tour obstétricien et

~212-213-214 accouche

Pour Malherbe, la représentation anthropologique qu'il nous propose de l'être humain

semble accessible a tous. Cette représentation, par son discours, semble de l'ordre de la

vérité. En effet, comme il le mentionne, un travail philosophique adéquat permet de

mettre en évidence cette représentation dans l'obscurité de la tradition.

J.-F. Maiherbe (1996c), op. cit., p. 53 aJ'exp1icite la normativité fondamentale de l'humain que chaque humain se doit d'assumer et d'exercer pour choisir la voie de sa propre humanisation dialectiquement liée à celie de ses proches)). 212 J.-F. Malherbe (19974). opcif., p. 29:

Cette réciprocité fondamentale liée [...] au dynamisme de l'être humain, manifeste la wresponsabifité des êtres humains, tous et chacun censés tenir parole les uns par rapport aux autres. Cette remarque suggére que le devenir-soi de chaque être humain passe par le devenir-soi de son prochain. Chaque être humain est en puissance de soi-même mais cette puissance ne s'actualise, ne devient réalité effective, que dans et par la reIation à autrui.

*13 ibid., p. 29 : Un humain, si on le considère dans son évolution sociale, est d'abord quelqu'un de qui l'on parle. Avant-même notre naissance, d'autres ont parle de nous. Ensuite, d'autres nous ont parlé et invité à leur répondre. Ce n'est que plus tard encore qu'à notre tour nous avons pris la parole. Notre existence est tissée de paroles et dans notre patrimoine, il n'y a pas que de la génétique et des circonstances plus ou moins favorables, il y a aussi de la parole. Nous naissons biologiquement. Et nous naissons langagièrement. Lorsque nous voyons le jour, nous sommes déjà sertis, comme une pime précieuse, dans l'or du récit social que d'autres ont développé avant notre anivée.

Page 130: L'éthique clinique comme engagement philosophique

129

À la lumière de notre cadre, l'approche de Malherbe s'éloigne d'une attitude

pragmatique. En effet, pour lui, les représentations jouent un rôle de pivot son

entreprise. Ainsi, il ne participe pas du processus de recours ultime aux représentations.

Malherbe s'éloigne a w i d'une approche dite de philosophie régressive. Pour Malherbe,

les représentations ne sont pas de l'ordre de la décision pratique. E k ne sont pas

modulées par la décision. Si la réfiexion sur l'acte parolier est bien menée, il est possible

d'atteindre à la vérité essentielle qui se dissimule en son sein a savoir la différence

anthropique. Cette différence anthropique sert de fondation à partir de laquelle Malherbe

construit son entreprise. Le concept d'autonomie, ainsi développé, lui sert à la prise de

décision Cependant, ce cadre général, qui peut être transgressé, du point de vue des

interdits, sublime la transgression en son sein même. La transgression est justifiée par

une nécessité de faire advenir la vérité morale qui se dévoile dans chaque action humaine.

Dans la mesure ou la théorie éthique de Malherbe semble être construite a partir d'une

vérité morde fondamentale qui se dévoile au travers de L'Histoire, son approche semble

s'apparenter à une démarche inspirée des philosophies premières. En effet, par endroit,

le concept d'autonomie réciproque semble être de l'ordre du vrai. Il serait une vérité

immuable, éternelle et anhistorique. Cette perspective permet d'ailleurs de concilier la

notion de transgression. La fin ultime, l'archè, de la démarche éthique est de l'ordre de

l'autonomie. Les interdits représentent des fins intermédiaires, lesquelles peuvent être

transgressées dans la mesure oh il faut préserver l'atteinte de la fin ultime.

"' J.-F. Maiherbe (1998). op. cit.

O Stéphane P. Ahem (1998)

Page 131: L'éthique clinique comme engagement philosophique

130

Notre analyse met donc en évidence une entreprise philosophique qui emploie une

rndthode externaliste et circulaire, dans la mesure où elle se développe à partir d'une

vent6 qui est dévoilée dans l'histoire, mais aussi une entreprise qui reconnaît un statut

de vérité aux représentations qui la constituent. Une telle fome d'entreprise nous

renvoie à une approche dite herméneutique. En effet, tout au long de notre démarche,

nous avons démontré que l'approche de Malherbe s'apparente a une herméneutique. Un

tel mode de philosopher s'inscrit dans l'histoire. Ce travail exige donc la participation de

l'expérience de l'histoire. La recherche de la vérité est l'élément central de cette

démarche. Pourtant, la vérité ne sera jamais atteinte puisqu'elle est dissoute dans la

tradition et l'existence humaine.

Au terme de cette section, nous pouvons donc conclure que l'approche de Malherbe

s'inscrit dans une philosophie première inspirée de l'herméneutique. En effet, il s'éloigne

d'une attitude pragmatique et de la philosophie régressive puisqu'il accorde un statut de

vérité aux représentations. Il ne partage cependant pas la dimension atemporelle propre

a la métaphysique. La voie qu'il tente de construire s'apparente à une entreprise

herméneutique, à savoir une approche externaliste, circulaire et fondée sur une vérité qui

se dévoile dans l'histoire.

0 Stéphane P- Ahem (1998)

Page 132: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Conclusion

L'objectif de ce chapitre était de clarifier le mode de philosopher, la démarche éthique et

le statut qu'occupent l'expérience et les représentations. Notre analyse a mis en évidence

une approche herméneutique dans l'oeuvre de Malherbe. En effet, deux éléments sont au

coeur de sa philosophie. Le premier &nent est le développement d'un système

philosophique qui a pour fin d'être un prisme de langage Apisrémologie, anthropologie

et éthique- à partir duquel l'expérience humaine peut prendre sens. Le second élément,

dans lequel le premier advient, est que la philosophie s'actualise dans l'expérience

subjective du sujet qui est participant de l'histoire.

Comme nous l'avons démontré, les fondements ont un statut d'absolu dans l'oeuvre de

Malherbe. Le concept d'autonomie réciproque est un élément ((fondamental)), voire

«essentiel» de ce qu'est un être humain. Ce concept est vrai dans la mesure où il se

dévoile de l'acte parolier, en tant qu'il a été oblitéré par la tradition. Ainsi, à la lumière du

cadre d'analyse, le système philosophique de Malherbe semble employer un mode issu

d'une approche dite herméneutique. d a » vérité philosophique qui se dévoile est celle

que l'être humain est un être de parole engagé réciproquement avec autrui. L'entreprise

philosophique de Malherbe participe d'un cercle heméneutique qui noue ensemble une

philosophie de l'histoire et une philosophie du sujet.

6 Stéphane P. Ahcrn (1998)

Page 133: L'éthique clinique comme engagement philosophique

132

La démarche éthique de Malherbe s'articule à La lumière d'une éthique normative inspirée

d'une approche herméneutique dans la perspective de la place qu'occupe l'éthique dans

le triptyque anthropologie, épistémologie, éthique. Pour Malherbe, l'éthique en général

est donc un processus d'actualisation de la norme morale universelle dans une situation

singulière. EUe est aussi la recherche d'une vérité morale cachée. Cependant, comme dans

plusieurs approches herméneutiques, le processus est renvoyé au sujet. En efIFet,

l'éthique herméneutique, comme celle que nous propose Malherbe, sont des éthiques

onentées vers l'action. Celui qui entre dans le cacle herméneutique, c'est le sujet

décideur. À cet effet, c'est à lui qu'advient le rôle de s'engager dans le processus de

décryptage du caractère authentique de ce qui est hérité de la tradition. Chez Malherbe,

l'éthique s'inscrit donc dans une double interface. La théorie éthique prescrit des

interdits. Ces interdits doivent pemettre de guider I'analyse du cas shgulier. Pourtant,

confronté avec une situation aporétique, le sujet doit, au coeur même du processus dans

lequel il est engagé, transgressé un interdit fondamental au profit de l'authentique

expression de la vérité morale.

L'entreprise éthico-philosophique que nous propose Malherbe s'inscrit dans une

philosophie première inspirée d'une herméneutique. Il s'agit d'une entreprise

externaliste, circulaire et représentations vraies dévoilées dans l'Histoire. En définitive,

retenons que l'entreprise de Malherbe emploie une méthode heméneutique qui résulte en

une éthique normative articulée à la lumière d'une vérité fondamentale : la différence

anthropique de l'être humain et le concept d'autonomie réciproque. Ainsi, la philosophie

Q Stéphane P. Ahern (1998)

Page 134: L'éthique clinique comme engagement philosophique

133

occupe plusieurs rôles dans cette entreprise. D'a- la philosophie permet de foumir

les outils nécessaires pour construire un système de sens qui rend compte de l'existence

humaine. La philosophie poursuit son rôle en fournissant les outils nécessaires pour

développer un raisonnement ethique adéquat. Finalement, la philosophie est une

recherche du sujet. Elle ddtermine ainsi la Maie voie pour que le sujet devienne le véritable

lui-même.

O Stéphane P. Ahern (1998)

Page 135: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Conclusion

Au terme de ce mémoire, nous devons poser un regard critique sur notre parcours a h de

dégager les lignes essentielles qui doivent être retenues tant pour l'entreprise

philosophique elle-même que pour l'instauration ou l'évaluation des programmes

d'enseignement de rethique chique auprès des professionnels de la santé. En faif #un

point de vue social, il y a quelques décades à peine, l'enseignement de l'ethos médical se

faisait par les médecins. Aujourd'hui, avec l'avènement de la révolution technoscientifique

et l'apparition de l'éthique clinique, de plus en plus de philosophes réclament un droit de

notoriété sur l'enseignement de 1'&hique2 15'2 16-217. Dans cette perspective, il nous faut

nous demander en quoi la philosophie assume-t-elle un rôle au sein de l'enseignement de

l'éthique. Cette question a d'ailleurs été la trame de fond, le fil d'Ariane, de notre mémoire.

Un constat s'impose maintenant. La conception philosophique s'inscrit dans un

tripqque qui lie les conceptions de la philosophie et de l'enseignement ainsi que les

pratiques éducationnelles (méthodes d'enseignement, outils d'é~aluation)~'~.

21s K.R. Mitchell, C. Myser, I.H. Kerridge (1993). Assessing the Clinical Ethical Cornpetence of :?dergraduate Medicai Studen ts. Joumal of MedcaI Ethics 19 : 230-236. P.C. Hébert, E.M. Meslin, E.V. Dunn (1992). Measuring the Ethical Sensitivity ofMedical Students :

a Study at the Univerity ofToronto. J m m l ofMeritulEthics 18 : 142-147. 21 7 Cette problématique recoupe plusieurs préoccupations d6jà exprimées au sein du comité d'évaluation des études prédoctorales de la fàculté de médecine de l'université de Sherbrooke. En dis, une des questions récurrentes est celie de l'évaluation d'une «compétence éthiques. Est-ce qu'il est possible de définir la compétence éthique? Est-ce qu'il est possible de développer des outils qui soient métrologiquement valides et fiables? Qui est habileté à évaluer les étudiants? Telles sont des nombreuses questions qui ont été évoquées dans les discussions du comité. Je tiens en remercier le président, Dr Paul Grand'Maison, pour le temps qu'il a consacré à nos échanges.

Q Stéphane P. Ahem (1998)

Page 136: L'éthique clinique comme engagement philosophique

Figure : Intégration d a composantes de l'enseignement de l'éthique clinique

Conceptions c Conceptions n \ philosophie 1 dl'e

Au terme de ce mémoire, nous nous sommes attardés uniquement à un des éléments de ce

triptyque à savoir les conceptions de la philosophie. Comme nous l'avions évoqué dès

notre départ, il existe moult confusions faoe aux différentes "éthiques cliniques". Notre

objectif était d'apporter une clarification conceptuelle en fonction de questions initiales :

Qu'est-ce que la philosophie? Et qu'est-ce que I'élhique? Notre démarche s'est limitée à

étudier deux auteurs qui assument une place importante en bioéthique au Québec, à

savoir J.-F. Malherbe et D. J. Roy. Nous avons employé une méthode de clarification

conceptuelle par laquelle nous avons été en mesure de construire une gnlle d'analyse de

l'éthique clinique dans le premier chapitre.

''* Novak, J.D. (1977) A theory ofeduc&n. Ithaca : Cornell University Press. Une aaention particuii&re doit eue portée au deuxième chapitre au sein duquel nous retrouvons une discussion intéressante & la philosophie de l'éducation.

O Stéphane P. Ahem (1 998)

Page 137: L'éthique clinique comme engagement philosophique

136

Notre démarche nous a permis d'atteindre trois niveaux de conclusion Nous pouvons

formuler des concl-&ions eu égard aux entreprises de Roy et de Malherbe avec une

preuve bien étoffée. En fait, leurs entreprises respectives ont été étudiées dans les

premier, deuxième et troisième chapitres. Dans un second niveau, nous obtenons des

conclusions d'un niveau raisonnable, mais pour lesquelles des recherches ultérieures

s'avèrent essentielles. 11 s'agit de l'approche délibérative dont nous avons discuté dans le

premier chapitre. Finalement, notre dernier niveau de conc1uion se rapportera aux liens à

tracer entre l'enseignement de l'dthique et les différentes conceptions d'ordre

philosophique.

Notre enquête s'est portée d'abord sur les travaux de D.J. Roy pour se poursuivre par la

suite sur l'oeuvre de J.-F. Malherbe. Nous avons donc été en mesure de considérer

l'éthique clinique de Roy comme une métaéthique adoptant une position sceptique qui le

conduit à me attitude pragmatique dans son entreprise. La thèse de Malherbe, quant à

elle, est de l'ordre de 1' herméneutique, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une éthique normative

année dans une philosophie première.

DmJ Roy Érhitpe c h i p e dire d i s c i p h i r e

Mode de philosopher Approche sceptique qui récuse toute prétention h des fondements a h l u s

Type d'entreprise éthique Métaéthique ayant pour obiet la clarification conceptuelle (descriptive)

Type Approche pragmatique n'ayant pas

philosophique eu recours aux représentations

statut de l'expérience et des représentations

J.-Fm Malherbe Éthique clinique comtnrite à pra d 'me éthique-aie

Appnxhe issue des fondement. absolus dont la methode est herméneutique Et hique normative pour laquelle vérité se dévoile Les représentations sont I'ass fondatrice de Ia décision éthique

0 Stéphane P. Ahern ( 1 998)

Page 138: L'éthique clinique comme engagement philosophique

137

La conception philosophique de l'éthique clinique de D.J. Roy est issue de la

métaéthique. Il s'agit ainsi d'une thbrie éthique pour laquelle les fondements sont

présents dans la culture. L'éthicien doit donc être un expert du décodage des éléments

éthiques dans une situation complexe. Dans ce contexte, l'approche de Roy s'inscrit dans

une approche dite déontologique. Cette conception de I16thique a des répercussions sur

notre façon d'entrevoir les pratiques éducationnelles. Pour une telle conception,

l'enseignement est décrit comme une démarche qui rend les futurs médecins apte à

comprendre le chou le meilleur dans une situation particulière en regard des normes qui

sont dictées par la profession ou dans la loi219. Le rôle qu'assume la philosophie dans

une telle conception demeure plutôt restreint. L'éthique revêt une dimension cognitive au

sens où le professionnel de la santé est appelé à comprendre et à comAtre les dinérentes

valeurs, normes et principes qui guident l'action clinique. Cependant, de ce point de vue,

l'enseignement de l'éthique ne peut se suffire de cette dimension cognitive. Elle doit

exiger une sensibilité éthique. En effet, Roy parle fiéquemrnent de la sensibilité éthique.

Dans le contexte d'une société pluraliste où les fondements culturels sont multiples, le

médecin doit être «sensible» à cette multiplicité. II doit être apte a la reconnaître et à la

tolérer. De ce point de vue, l'enseignement de l'éthique vise, d'abord, à rendre sensible

les professionnels de la santé a la dimension éthique en leur faisant prendre conscience de

219 CMQ (1995), op. cit. : L'éthique constitue donc la qualité, la profondeur et le caractère de la délibération. Elle relève du domaine du jugement mord, donc de la conduite, du comportement. C'est le comment et le pourquoi. C'est la recherche de solutions à des conflits de valeurs. Elle fhit réfikence à la recherche de ce qu'il fàut fiire, c'est-à-âire à la meilleure attitude à adopter selon les circonstances. Ainsi est techniquement réalisable n'est pas nécessairement souhaitable pour un malade déterminé. On devra se demander si cela est indiqué dans chaque cas, compte tenu des variables en cause.

8 Stéphane P. h e m (1998)

Page 139: L'éthique clinique comme engagement philosophique

138

la diversité des valeurs. Ensuite, I'éducation vise à leur foumir une méthode pour

solutionner les différents problèmes. En définitive, dans une telle approche,

l'enseignement porte sur les dimensions légaies et déontologiques. Rappelons-le

l'approche de Roy se construit au sein d'une société libre et démocratique. C'est donc

dans le cadre des règles qui régissent cette socidté que l'éthique chique s'institueu0.

Si nous tentons d'éclairer la notion de compétence ethique, à partir de l'angle de la

conception de la philosophie de D. J. Roy, nous sommes conduits a conclure qu'il sera à

la fois un ethnologue perspicace puisqu'il sauni faire connaître la pluralité éthique au sein

de la socikte- Il sera a m i un légaliste et une personne qui connaît bien la déontologie. Par

contre, cette approche ne peut se suffire d'un enseignement théorique. C'est dans le cas

par cas que les solutions éthiques sont construites.

La deuxième conception de l'éthique clinique que nous avons étudiée est celle que nous

propose J.F. Malherbe. C'est une conception développée à partir des fondements

absolus qui se veut normative pour la pratique médicale. Il s'agit donc une démarche

herméneutique qui vise à faire prendre conscience aux individus du fait humain

fondamental qui est au ccrur de chaque relation humaine. Cette conception de la

philosophie indique quelques pistes pour les pratiques éducatiomelles. Pour Malherbe,

le maître en éthique est un individu qui a quelques pas d'avance sur l'apprenti dans

" COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC (1995). Aspects Iégislatrïj. déontologiques el organisationnels de la pratique médicale air Québec. Montréal : CMQ.

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l'appropriation qu'il a de son existence comme sujet?. Dans le contexte clinique, ce

modèle d'enseignement rejoint l'approche de Pellegxk et Thornasma aux États-LJnisLZ2.

Le défi est donc de faire advenir, pour chaque professionnel de la santé' une conscience

morale suffisante pour qu'ils soient en mesure de saisir la finalité ultime, véritablement

de l'action clinique et d'en appliquer l'essence dans leur rencontre singulière.

Du point de vue du rôle des philosophes dans l'enseignement de l'éthique, l'approche

herméneutique laisse une place à ceuxci dans le processus de prise de conscience des

formateurs et des étudiants dans leurs déterminations socio-historiques. Les quelques pas

d'avance que le philosophe a entrepris lui permettent d'aider les personnes à progresser

dans leur prise de conscience. Pourtant, cette approche éducatiomelle part de Z 'a priori

que les cliniciens sont les plus aptes à résoudre les problèmes éthiques pratiques.

"' Pour empnmter les mots de Patenaude, le philosophe est plus avancé dans «le développement de la fibre morale ou des attitudes morales cmime constituante fondamentale de 16 relation - éthique - a l'autre)). J. Patenaude (1997), op. cit., p. 103. 22LE.D. PellcgrÏno, D.C. Tbomasna (1993), op. cit., p. 179 :

Though the best way to teach virtuous bchavior is by example, some significant headway c m be made by tcaching cthics as a discipline. To be sure, thcrc is no guarantee that a knowledge of ethics itself will make people virtuous. The mord lapses of professional ethicists stand as proof of the lack of correlation bctween knowing the good and doing the good. However, teaching ethics as a discipline dots sensitize students to what constitutes an ethical issue or problern. When properly taught, it f m s self-criticism and examination of one's oum values. It dcmands that reasons be given for moral choices, that opposing viewpoints be gevin an adequate rcsponse, and it encourages the laying bare of underlying prelogical assumptions in any ethical argument. Ifany ofthest end results an achievcd, even in part, they cannot help but have some impact on the character of the student. For this rcason, we have urged that cthics sbould be taught in medic al schools as a regular part of the cumculum.

za Chez Malherbe, cette finalité véritablcmcnt humaine est exprimée dans le concept d'autonomie réciproque éthique vise a faire advenir cette conscience du rapport a autrui dans l'enseignement. Dans cette perspective, I'ttudiant en médecine deviendrait habileté a entendre la soufhmce de l'autre et à le fàire advenir en autonomie dans cette expérience.

Q Stéphane P. Ahem (1998)

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En ce sens, c'est au contact des professionnels plus expérimentés que les étudiants

acquièrent le jugement nécessaire pour prendre une dkcision éthique qui laisse advenir la

véritable finalité de la rnt5de~ine~~~.

Les deux modèles que nous avons étudiés s'opposent du point de vue de la conception

de l'éthique clinique qu'ils proposent. En effef comme nous l'avons mis en évidence,

Roy adhère à une conception sceptique des fondements. Ainsi, les éthiques constituent

des représentations métaphysiques qui s'entrechoquent au sein de la société. Dans une

perspective libérale, chaque individu a le droit a la libre expression de ses croyances h s

les limites imparties par la société et décidées en regard des principes instituteurs de la

démocratique libérale. Du point de vue de l'éthique, il s'agit dès lors de comprendre ces

multiples entreprises métaphysiques pour en saisir le sens. Pour l'apprenti médecin, qui

doit jongler avec cette pluralité dans la décision éthique quotidienne, il s'agit dès lors

d'apprendre à respecter cette liberté de croyance dans les limites imparties par la

société. Du point de vue cognitif, cela exige de connaître les différents systèmes de

représentations éthiques, d'abord, mais aussi les cadres nomatifs qui encadrent l'action

clinique. Cependant, cette approche exige que l'individu acquière une sensibilité éthique

suffisante pour être en mesure d'entrevoir la dimension éthique et de s'ouvrir à l'autre.

224 E.D. Peiiegrino, D.C, Thornasma, op. cit., p. 180 : FZJedical facuities have a &facto obligation to take some responsability for charader formation -at least insofâr as acquisition of the virtues of the good physician are concerned. Faculties can fulfiii this responsabilyt, first by exarnple in the laboratory and at the bedside, then by teaching ethics as a discipline and assuming shared responsability fW the moral sesitivity of their students. The medicai school and the profession are moral communities, and moral consensus in those communities is essentiel if the practices of the virtuous physician are to be sustained.

8 Stéphane P. Ahern (1998)

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À l'encontre de cette approche l i irde, Malherbe nous propose une éthique ancrée dans

des fondements absolus qui se dévoilent dans I'existence himiaine véritable. L'enjeu

éducationwl est de susciter cette réflexion sur la Me humaine afin que le sujet

s'aflianchisse de ses déterminations. Ainsi, dans ses relations cliniques quotidiennes, il

sera en mesure de rendre compte du fait humain fondamental à chaque instant que le

patient souffrant s'exprimera dans les abysses de son existence. Bien que ces deux

approches soient incompatibles du point de vue théorique, elles présentent des

problèmes au niveau de l'évaluation et de l'enseignement D'une part, elles exigent

l'acquisition d'un savoir cognitif distant de l'exercice clinique. D'autre part, elles

emploient une méthode de formation, le modèle de rôle, qui exige la modulation des

comportements des individus. Cette «acquisition» d'un comportement mord demeure

fort difficile à évaluer.

Est-ce que la vertu s'enseigne?

Quel rôle Ia philosophie assume-t-elle?

Quelle est la justification de cette position dans une société libre et démocratique?

D. J. Roy

Oui. Mais cela ne fait pas l'objet de l'approche de I'éthique clinique. Cela est antérieur. Elle permet de clarifier les situations conflictuelles lorsqu'ii y a des points de vue opposés.

Chaque individu a droit a sa liberté (autodétermination). Face à des «étrangers moraux», I'éthicien a pour rôle d'aider le patient à clarifier ses valeurs Cgeogrqher of vuiues)

J.-F. Malherbe

Oui. L'éthique clinique a pour obiet de développer la corncience morale. + C'est par la réflexion critique que l'individu se dégage de ses déterminants et @ère une conscience morale + Elle est le pivot par IequeI la conscience morale peut décider de transgresser la norme morde La pratique de la médecine doit être exercée en fonction d'une finaiité éthique, a savoir la promotion de l'autonomie du patient (autonomie qui n'est pas le simple respect du principe

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L'étude exhaustive de ces deux approches en &hique clinique nous révèle que, quoi qu'il

en soit, l'dthique clinique exige un engagement philosophique. Lorsque nous adoptons

ceiiaines pratiques éducationnelles, nous adhérons à une conception de 1'6thique clinique

et, par le fait même, une conception de la philosophie. En arrière-plan de ces débats,

nous répondons, à chaque fois, à la question : Est-ce que la vertu s 'enseigne?

Aux détours de notre grille conceptuelle, nous avons étudié une troisième alternative : la

philosophie régressive, s'approchant de l'éthique délibérative et reconnaissant des

fondements suffisants à partir d'une conception intemaliste de l'expérience humaine.

Cette conception de rethique clinique s'inscrit en un juste milieu entre le scepticisme

propre à la pensée métaéthique et les fondements absolus auxquels adhèrent les

philosophies premières, tel qu'en témoigne la prochaine figure.

Philosophies premières

Éthique déductive ou herméneutique

Ph ilosophie régressive

Éthique délibérative

Seepticism e

Métaethique

A l'encontre des deux auteun que nous avons étudiés, nous n'avons pas analysé cette

conception de l'bthique B partir d'un auteur. Cependant, nous avons eu l'occasion de le

présenter de façon exhaustive dans le chapitre premier. En fait, cette approche est issue

d'une philosophie regressive. Il s'agit d'une philosophie qui prend racine dans l'histoire,

mais elie s'inscrit dans un mouvement critique de l'histoire par rapport à elle-même. La

philosophie est donc abordé en termes de projet philosophique où les individus sont des

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participants de l'entreprise. Dans cette perspective, l'éthique app- comme une

entreprise construite par le dialogue entre les diffkrents participants. Il s'agit cependant

d'un engagement d'un "Je" dans un processus historiquement ancré. Une telle conception

adhere des fondements suffisants Etle ne recomAt pas le statut "premier" des

fondements, mais elle s'abstrait aussi d'un rejet de tous les fondements, comme une

approche sceptique. Les représentants de l'être humain sont des fondements suffisants au

sens où ils constituent des remparts utiles pour prendre une décision donnbe, bien qu'ils

puissent être révisés le moment venu. Nous ne sombrons pas dans le relativisme, dans une

teMe conception, puisque la discussion sur les fondements revêt un caractère raisonnable

lors de la d é l i . ? i o n d'une décision en s'enracinant dans l'expérience.

Les consCquents éducationnels de cette conception de lt6thique sont bien différents des

reprdsenta ti ons tradi tionneiles. Selon Patenaude, la visée éducative de cette approche est

ale dCveloppement de la rationalite des fins sollicité par la prionsation des intérêts de

chacun»"". Le futur professionnel peut développer des habiletés nécessaires par

lesquelles il pourra résoudre un dilemme d'action et en discuter avec d'autres personnes.

En ce sens, la philosophie permet d'élaborer une grille délzbérative qui pourra servir de

cadre tantôt a l'apprentissage d'une méthode de délibération, tantôt de schéma pour

discuter d'une décision particulière. Au terme de ce processus, qu'il soit inscrit dans une

démarche d'apprentissage ou dans la résolution d'un problème clinique, la décision

clinique pourra atteindre un certain caractère raisonnable, c'est-à-dire qu'elle doit pouvoir

être justifiée auprès des personnes intéressées. Elle doit être basée sur une analyse des

représentations en jeu dans une décision.

z!5 J. Patenaude (1 997), op. cit., p. 1 12.

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D'un point de vue philosophique, notre mémoire nous a permis de c l d e r le porûait

conceptuel général à partir duquel nous serons en mesure de mieux apprbhender les

discours en éthique. En fait, malgré la multiplicité des discours, nous pouvons proposer

une grille d'analyse constituée à partir des différents critères que nous avons retenus.

Malheureusement, nous avons été en mesure d'étudier les différents éléments de cette

grille dans le contexte de deux auteurs particuliers. Notre étude a dû cependant exclure

l'approche délibérative.

D'un point de vue éducationnel, notre étude s'est limitée à un des trois éléments du

triptyque que nous avons étudié, à savoir les conceptions de la philosophie. Que devons-

nous retenir de cette analyse? Les conclusions que nous pouvons exprimer ici s'adressent

aw membres des facultés de médecine. Notre étude montre que le choix d'un programme

de formation en éthique (pratiques éâucationnelles et évaluatives) découle d'une décision

tant d'une conception de la philosophie que d'une conception de l'éducation. Pour bien

saisir l'ampleur de ce choix, des recherches ultérieures devront se poursuivre pour

claifier l'interface entre les conceptions de la philosophique et de l'éducation.

Quoi qu'il en soit, pour les futurs praticiens, le défi de l'éthique se posera au quotidien.

Avec les avancées technoscientifiques et les restrictions budgétaires, de plus en plus de

cas devront nécessiter la délibération des professionnels. Tout comme les institutions qui

les forment, ceux4 devront s'engager. Ainsi, ils iront rejoindre ceux et celles qu'Albert

Camus d6crivait à la fin du récit du Docteur Rieux dans le roman La peste :

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