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PatrickHaas, ingénieur ETS, M. Sc.A. Le tunnel sous la Manche est l'un des chantiers les plus excitants du siècle. Il fut imaginé en 1750 par un ingénieur français, mais ne verra son aboutissement que dans quelques mois. Il permettra à quelque 40 millions de passagers de rallier annuellement l'Angle- terre au continent par voie terrestre et placera Londres à environ trois heures de Paris par TGV. Sa part du trafic transmanche total de passagers devrait se situer entre 35 et 40%. ien que nous sachions depuis longtemps faire circuler des trains tunnel, ce problème n'en de- meure pas moins un défi technologique considérable, notamment du pointde vue aérodynamique. Compte tenu du fort rap- port de blocage existant (section du train par rapport à la section du tunnel), ces questions prennent une placeimportante dans son développement. L'aérodynamique d'un train en tunnel est à la base de nombreuses données. Parmi celles-ci on peut citer les suivantes: -puissance des locomotives; -stabilité auxventslatéraux; -cas de chargement aérodynamique de la structure (pressions différentielles); -bruit généré par l'écoulement; -échauffement de l'air contenu dans le tunnel (systèmede refroidissement); -confort des passagers (variation de la pression intérieure). Le calcul de ces grandeurs a été réalisé en employant différentes approches. No- tons que l'expérimentation a joué un rôle Fig. 1. -Maquette des navettes ferroviaires permettant le transport des véhicules routiers. (Photo DA.)..!

couches de roche, de l'échauffement de · couches de roche, de l'échauffement de la masse des trains, ainsi que du système de ventilation. Dans le but de diminuer la traînée

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Page 1: couches de roche, de l'échauffement de · couches de roche, de l'échauffement de la masse des trains, ainsi que du système de ventilation. Dans le but de diminuer la traînée

Patrick Haas, ingénieur ETS, M. Sc. A.

Le tunnel sous la Manche est l'un des chantiers les plus excitants dusiècle. Il fut imaginé en 1750 par un ingénieur français, mais neverra son aboutissement que dans quelques mois. Il permettra àquelque 40 millions de passagers de rallier annuellement l'Angle-terre au continent par voie terrestre et placera Londres à environ troisheures de Paris par TGV. Sa part du trafic transmanche total depassagers devrait se situer entre 35 et 40%.

ien que nous sachions depuislongtemps faire circuler des trains

tunnel, ce problème n'en de-meure pas moins un défi technologiqueconsidérable, notamment du point de vue

aérodynamique. Compte tenu du fort rap-port de blocage existant (section du trainpar rapport à la section du tunnel), cesquestions prennent une place importantedans son développement.

L'aérodynamique d'un train en tunnel està la base de nombreuses données. Parmicelles-ci on peut citer les suivantes:-puissance des locomotives;-stabilité aux vents latéraux;-cas de chargement aérodynamique de

la structure (pressions différentielles);-bruit généré par l'écoulement;-échauffement de l'air contenu dans le

tunnel (système de refroidissement);-confort des passagers (variation de la

pression intérieure).Le calcul de ces grandeurs a été réaliséen employant différentes approches. No-tons que l'expérimentation a joué un rôle

Fig. 1. -Maquette des navettes ferroviaires permettant le transport des véhicules routiers. (Photo DA.)..!

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Fig. 2. -Maquette du tunnel. On distingue, aufond, le rameau d'antipistonnement. (PhotoDA)

couches de roche, de l'échauffement dela masse des trains, ainsi que du systèmede ventilation.Dans le but de diminuer la traînée destrains, des rameaux d'antipistonnement,permettant à l'air de passer vers la régionen aval du train via l'autre tunnel, ont étéinstallés (fig. 2). La résolution de l'écou-lement, généré par le mouvement des na-vettes, a prouvé que des vitesses de 50 à60 mis seront présentes en cas d'exploi-tation normale, et que celles-ci attein-dront 70 mis en cas d'urgence (freinageen tunnel...). Ces vitesses correspondentà des débits d'air compris entre 160et 220 m3/s (190 à 260 kg/s). Un jetd'air d'un diamètre de 2 m, à de tellesvitesses, et se produisant 200 fois paraller simple, a des conséquences drama-tiques sur la durée de vie des wagons.Les faces latérales importantes de ceux-ci (fig. 6) donnent lieu, lorsqu'elles sontsoumises à ces jets, à des moments deflexion particulièrement importants au ni-veau de la jonction des poteaux de faceet du brancard. Il est intéressant denoter que ces jets d'air puissants ont

important, mais que la simulation numé-rique a pris une place rarement, voirepeut-être jamais, rencontrée dans l'indus-trie ferroviaire. L'efficacité de cette ap-proche, dont le potentiel est encore im-portant, a été clairement démontrée,comme c'est d'ailleurs le cas dans l'in-dustrie aéronautique depuis longtemps.

pressions différentielles agissant sur leurstructure. Ces pressions, obtenues dansles conditions d'exploitation normales etd'urgence, permettent de définir les casde chargement que les navettes doiventêtre à même de supporter.Les calculs susmentionnés ont permisd'établir également, pour chaque scéna-rio envisagé, la puissance dissipée dansl'air par le matériel roulant ainsi que lesvitesses de l'écoulement en tout pointdes tunnels. Les puissances dissipéesont été évaluées, selon les scénarios en-visagés, entre 8 et 12 MW par train.Compte tenu de la fréquence élevée despassages (jusqu'à 3 minutes entre deuxtrains), la puissance totale dissipée dansles tunnels sera voisine de 140 MW. Unetelle valeur a nécessité la conception d'unsystème de refroidissement de l'aircontenu dans les tunnels permettant demaintenir sa température dans une mar-ge acceptable. Le dimensionnement de cesystème a été réalisé en tenant comptede la quantité de chaleur pouvant êtreévacuée par convection à la surface dutunnel, puis par conduction dans les

Calcul de la traînée et des casde chargement aérodynamique

Le calcul de la traînée des navettes et del'évolution de la pression sur les faces decelles-ci a été réalisé à l'aide d'un modèlenumérique unidimensionnel basé sur laméthode des caractéristiques. L'écoule-ment à résoudre est de type non perma-nent, visqueux et compressible. Par lasuite, et compte tenu de l'étanchéité deswagons (joints, système de climatisation,orifices divers...), l'évolution des pres-sions à l'intérieur de ces derniers a puêtre appréhendée afin de déterminer les

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ODl Wagon With A 300rnrn Radius Top Side Corner, Freestrearn Velocity ;: 45 rn/sechiO.-&.

de navette, par contre (conditions desoufflage dans le rameau d'antipistonne-ment), l'écoulement génère des pres-sions positives fortes, mais localisées.Ces résultats ne sont pas surprenants etcorrespondent aux prévisions. La résolu-tion de cet écoulement a permis de Quan-tifier avec exactitude les efforts sollicitantde nombreux endroits de la structure deswagons à chaque passage devant un ra-meau d'antipistonnement. Elle a égaie-ment mis en évidence de nombreux para-mètres relatifs à la couche limite. Ces pa-

ramètres ont été utilisés ultérieure-ment pour Quantifier le bruit

généré par !'écoulement.

Fig. 3. -Résolution de l'écoulement généré par le vent latéral. Ce modèle envolumes finis de quelque 80 000 éléments a nécessité près de 80 heures

de calcul sur HP 9000. (Airflow Sciences Corp.)

Fig. 4. -Exemple de maillage utilisépour optimiser la forme

des navettes. (AirflowSciences Corp.)

des conséquen-ces, non seulement surla structure des wagons, maiségalement sur de nombreuses carac-téristiques de ceux-ci. Dans le but d'ex-plorer encore davantage les effets de cesrameaux d'antipistonnement sur le com-portement des wagons, lors d'un passageà proximité de l'un d'eux, un modèle tridi-mensionnel de l'écoulement, composéd'un morceau de tunnel d'environ 20 mde longueur, a été réalisé. La résolutiondes équations de Navier-Stokes a été ob-tenue dans ce volume à l'aide d'un sché-ma en volumes finis ainsi que d'un mo-dèle de turbulence. Les conditions auxlimites ont été extraites des résultats

obtenus àl'aide du modèleunidimensionnel. On apu constater que, pour unwagon placé en tête de navette(conditions d'aspiration dans le rameaud'antipistonnement), l'écoulement induitgénère des pressions relativement fai-bles, mais distribuées sur toute la facelatérale du wagon, d'où des forces éle-vées. Pour un wagon placé en queue

-). -4 -.). -2.. .1 O. ,. Z. A_.~.-c. -3. oZ. -1. G- t. Z. 1. 1. -HtO

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férents wagons de la production. La me-sure de l'étanchéité a été ensuite réaliséesur un wagon représentatif de l'ensemblede la production, de façon à démontrer lavalidité des cas de chargement retenus,ainsi que le respect des objectifs deconfort fixés par le maître de l'ouvrage.

résultats obtenus. Quant à la deuxièmeconclusion, elle était d'une grande impor-tance pour les constructeurs des na-vettes. Il a donc été décidé d'approfondirl'analyse de l'écoulement créé par le ventlatéral par le biais d'un calcul. Une pre-mière étude a consisté à évaluer numéri-quement les caractéristiques de la cou-che limite dans la région du coin de cais-se supérieur. Celle-ci a montré que lescomportements de cette couche étaientsensiblement identiques pour les deuxrayons envisagés. Il y avait donc tout lieude croire que le rayon critique était atteintavec 300 mm, et que le fait de passer à500 mm ne permettait pas de réduire laforce latérale de la quantité envisagée.Une seconde étude a par la suite été réali-sée. Son objectif était d'évaluer la distri-bution de pression autour des wagonsainsi que les résultantes des forces et lesmoments appliqués, cela à nouveau parune approche numérique. Un écoulementde type visqueux, bidimensionnel et per-manent, a été résolu à l'aide d'un modèledu même type que celui utilisé pour ré-soudre l'écoulement tridimensionnel déjàcité (fig. 3). Les vitesses et les dimen-sions présentes dans ce problème ontnécessité des éléments particulièrementpetits. Le nombre de ceux-ci a été del'ordre de 80 000 et le volume importantdes itérations ont conduit à un temps decalculs compris entre 50 et 80 heures(ordinateur HP 9000). Cette analyse apermis d'évaluer la distribution de lapression autour des navettes et d'estimerainsi le déchargement des roues côté

Rôle de l'étanchéité des wagonsL'étanchéité des wagons est une gran-deur extrêmement délicate à appréhenderdans un tel projet. Elle est intimementliée, d'une part, aux charges aérodyna-miques et, d'autre part, au confort despassagers. Les variations importantes dela pression générées autour des navetteslors d'une entrée ou d'un croisement entunnel, ont conduit au choix d'un seuild'étanchéité minimal élevé, afin de pou-voir garantir un confort acceptable durantces événements. Ce seuil minimal a gé-néré par contre des cas de chargement(pressions différentielles) élevés sur lastructure. La valeur maximale de l'étan-chéité des wagons a été choisie arbitrai-rement, de façon à laisser une marge ac-ceptable entre celle-ci et la valeur mini-male définie par le confort. Cette margedevait être suffisamment grande pourpouvoir inclure les différences éventuel-les d'étanchéité intervenant entre les dif-

Stabilité des navettesaux vents latéraux

L'étude de la stabilité des navettes auxvents latéraux a été sans aucun doutel'une des recherches les plus intéres-santes. Un travail traitant du sujet a étéréalisé en soufflerie sur un modèle. Lesdifficultés liées à ce type de tests sont lesnombres de Reynolds élevés à atteindre,la simulation de la couche limite terrestreet le niveau de turbulence important duvent. Les mesures obtenues lors de cetteétude ont conduit à deux conclusions:premièrement, la stabilité aux vents desnavettes se situerait dans une marge devaleurs proche de celles de nombreuxtrains passagers, deuxièmement, ellesont montré qu'une réduction sensible dela force latérale pouvait être obtenue enaugmentant le rayon des coins de caissesupérieurs de 300 mm (valeur actuelle) à500 mm. La première de ces conclusionsnous a amené à douter sérieusement des

Fig. 5. -Evolution typique de la vitesse de variation de la pression intérieure lors d'une entrée entunnel. (Alizés Recherche et Développement.)

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Le choix de l'approche d'une analyse,quelle qu'elle soit, doit être considérébien au-delà des questions matérielles etd'habitudes. Il doit être le reflet d'unedécision réfléchie et discutée, le déroule-ment d'un développement efficace y étantfortement rattaché.

Î+T/RTS (92051)

Fig. 6. -Patrick Haas devant un wagon. On peut remarquer les dimensions importantes decelui-ci.

amont en fonction de la vitesse du vent.Elle a montré que la stabilité au vent desnavettes était bien inférieure à celle d'untrain pour passagers. Compte tenu dela hauteur importante des véhicules(5,6 m), ce résultat apparaît comme rai-sonnable et prévisible.

stabilité des navettes au vent latéral, uneapproche numérique a fourni des valeursdont la crédibilité n'a jamais été mise endoute alors que des problèmes ont étérencontrés avec des résultats d'origineexpérimentale. Dans bien des domainesautres que celui de la dynamique desfluides, les méthodes numériques prou-vent également leur efficacité. Notons iciqu'une étude du comportement dyna-mique des navettes passant devant un ra-meau d'antipistonnement, incluant toutesles caractéristiques de la suspension etdes bogies, a été réalisée sur la base desrésultats fournis par l'analyse de l'écou-lement tridimensionnel déjà cité. Elle aainsi permis de déterminer les accéléra-tions latérales qui seront vécues parles passagers lors de tels évenements,cela bien avant qu'aucune pièce ne soitproduite.

ConclusionDe nombreuses analyses ont été réali-sées afin d'évaluer les effets de l'écoule-ment autour des navettes ferroviaires dutunnel sous la Manche. Les approcheschoisies ont été bien différentes en fonc-tion de l'état de la connaissance et desobjectifs à atteindre (exactitude, délais etcoûts). Tout au long des études réalisées,on a pu montrer clairement que les mo-dèles numériques sont des outils puis-sants, permettant de résoudre des pro-blèmes complexes. Dans l'analyse de la

Les entreprises suivantes

ont contribué à ces études:

-Bombardier Inc. (Canada);

-David D. Taylor Inc. (Canada);

-Alizés Recherche et Développement

(Suisse);-Airflow Sciences Corp. (USA);

-Mott, Hay & Anderson (UK);

-British Rail (UK);

-SNCF (France);

-Pininfarina (Italia);-British Marine Technology (UK);

-IAT (France).

Renseignements:Alizés Recherche et Développement,Plan-les-Ouates, tél. 022/771 3026,fax 022/771 2233. :

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