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Champagne c. Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) 2015 QCCS 1890 COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL N° : 500-17-069553-116 DATE : 4 mai 2015 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE LOUIS LACOURSIÈRE, J.C.S. ______________________________________________________________________ ME CAROLINE CHAMPAGNE, ès-qualité de syndique de la Chambre de la sécurité financière Demanderesse c. BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE (CIBC) et PLACEMENTS CIBC INC. Défenderesses ______________________________________________________________________ JUGEMENT ______________________________________________________________________ JL 3454

COUR SUPÉRIEURE...[32] Le 1er avril 201125, les avocats de l’époque de la Syndique écrivent à Mme Susan Holden, « Chief Compliance Officer » de Placements, au sujet des demandes

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Champagne c. Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC)

2015 QCCS 1890

COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile)

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE MONTRÉAL

N° : 500-17-069553-116

DATE : 4 mai 2015 ______________________________________________________________________ SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE LOUIS LACOURSIÈRE, J.C.S. ______________________________________________________________________ ME CAROLINE CHAMPAGNE, ès-qualité de syndique de la Chambre de la sécurité financière

Demanderesse c. BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE (CIBC) et PLACEMENTS CIBC INC.

Défenderesses ______________________________________________________________________

JUGEMENT

______________________________________________________________________

JL 3454

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TABLE DES MATIÈRES I. LES ACTEURS………………………………………………………………………. 3

II. LES FAITS……………………………………………………………………………. 4

III. LES PROCÉDURES ………………………………………………………………… 9

i) La requête de la Syndique……………………………………………………… 9

ii) La défense des défenderesses………………………………………………… 11

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE………………………………………………………. 13

V. ANALYSE…...………………………………………………………………………… 13

i) Les pouvoirs de la Syndique lui permettent-ils d’exiger des défenderesses la production des documents et renseignements visés dans les dossiers à l’origine du recours?................................................................................ 13

a) Le cadre juridique pertinent……………………………………………. 14

1) Le représentant de courtier……………………………………. 14

2) Le courtier……………………………………………………….. 16

3) Le syndic de la CSF ……………………………………………. 17

b) La dualité Banque – Placements………………………………………. 19

c) Les pouvoirs de la Syndique…………………………………………… 24

1) L’article 340 LDPSF ……………………………………………. 24

2) L’arrêt Pharmascience…………………………………………. 26

3) Les principes pertinents d’interprétation……………………… 29

4) Conclusion sur les pouvoirs de la Syndique…………………. 32

ii) Les obligations de protection des renseignements personnels applicables à la Banque lui interdisent-elles de communiquer à la Syndique, sans le consentement des personnes concernées, les renseignements qu’elle détient au sujet de ses employés et clients?............................................. 34

iii) La Syndique a-t-elle, le cas échéant, droit à l’injonction?........................... 42 ANNEXE A……………………………………………………………………………. 51

ANNEXE B……………………………………………………………………………. 52

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ANNEXE C…………………………………………………………………………….. 54

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[1] L’étendue des pouvoirs d’enquête de la demanderesse sur les activités des représentants de courtier en épargne collective inscrits auprès de la filiale de la banque défenderesse est au cœur du litige entre les parties.

[2] La demanderesse recherche une ordonnance d’injonction enjoignant les défenderesses de lui transmettre certains documents et informations qu’elle estime nécessaires à ses enquêtes.

I LES ACTEURS

[3] Le Tribunal réfère aux « acteurs » car le rôle de certaines entités qui ne sont pas parties à ce litige est crucial à une bonne compréhension des enjeux.

[4] La Chambre de la sécurité financière (« CSF ») est une personne morale constituée en vertu des articles 284 et 285 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers1 ( « LDPSF »). Me Champagne en est la syndique.

[5] La CSF est née d’une volonté du gouvernement du Québec d’offrir, en matière de distribution de produits et services financiers, un encadrement de type professionnel afin d’assurer la conformité des prestations de services et la compétence des prestataires pour, conséquemment, assurer la protection du public2.

[6] Les pouvoirs de la CSF proviennent d’une habilitation législative directe3.

[7] Le rôle du syndic de la CSF est d’enquêter au sujet d’infractions à une disposition de la LDPSF, de la Loi sur les valeurs mobilières4 (« LVM ») ou de leurs règlements; le syndic exerce sa fonction, notamment, à l’égard des représentants de courtier en épargne collective (« RCEC »)5.

[8] Un organigramme de la CSF est reproduit comme Annexe A du jugement6.

[9] L’Autorité des marchés financiers (l’ « AMF ») n’est pas une partie. Cependant, de par sa mission, ses fonctions et ses pouvoirs, elle joue un rôle pertinent dans le litige.

1 RLRQ, c. D-9.2. 2 Chambre de la sécurité financière, Mémoire de la Chambre de la sécurité financière relativement à la

consultation de l’Office des professions du Québec sur l’encadrement des planificateurs financiers, 30 novembre 2007, p. 30, en ligne : <http://www.chambresf.com/static/fr-CA/documents/memoires/CSF-OPQ-vf.pdf> (site consulté le 26 septembre 2010).

3 Précité, note 1, art. 283.1 et ss. 4 RLRQ, c. V-1.1. 5 LDPSF, art. 329 et 330. 6 P-67.

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500-17-069553-116 PAGE : 5 [10] Elle est une personne morale, mandataire de l’État, créée par la Loi sur l’Autorité des marchés financiers (la « Loi sur l’AMF »)7. Elle a pour mission, notamment, de prêter assistance aux consommateurs de produits et utilisateurs de services financiers en établissant des programmes éducationnels, en assurant le traitement des plaintes reçues des consommateurs et en leur donnant accès à des services de règlement de différends8.

[11] L’AMF est aussi chargée de l’administration de la LVM et a notamment pour mission d’assurer la protection des épargnants contre les pratiques déloyales, abusives et frauduleuses et d’encadrer l’activité des professionnels du marché des valeurs mobilières et des organismes chargés d’assurer le fonctionnement d’un marché de valeurs mobilières9.

[12] La Banque CIBC (la « Banque ») est une banque à charte.

[13] Placements CIBC inc. (« Placements ») est une société de placements, constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions10, qui se spécialise dans les fonds communs tels que les fonds d’épargne, les fonds de revenu et les fonds de croissance ainsi que dans les fonds indiciels. Placements est une filiale à part entière de la Banque et constitue un cabinet de courtage en épargne collective au terme de la LVM et de la LDPSF.

II LES FAITS

[14] Le Tribunal traitera plus loin du cadre juridique. Il est cependant utile, pour saisir la trame factuelle, de référer immédiatement à certains aspects de la législation et règlementation pertinentes.

[15] Placements, comme cabinet de courtage en épargne collective, est soumise à la LVM et à la règlementation adoptée en vertu de cette loi.

[16] La LVM prévoit que nul ne peut agir à titre de courtier ou de conseiller à moins d’être inscrit à ce titre11. De plus, une personne physique ne peut agir à titre de courtier ou de conseiller pour le compte d’une personne soumise à l’inscription à moins d’être elle-même inscrite à titre de représentant de cette personne12.

[17] La LVM prévoit spécifiquement que seuls les représentants spécialisés en épargne collective ou en plan de bourses d’études peuvent exercer leurs activités pour

7 RLRQ, c.A-33.2. 8 Idem, art. 4, par.1. 9 LVM, art. 276, par 2 et 4. 10 LRC (1985), c. C-44. 11 Art. 148. 12 Art. 149.

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500-17-069553-116 PAGE : 6 un courtier dans une place d’affaires au Québec d’une institution financière et être à l’emploi d’une institution financière13, d’où la présence en l’instance comme défenderesses de la Banque qua institution financière et de Placements, qua courtier. Cette disposition de la LVM est cruciale.

[18] Des 32 000 membres de la CSF, 23 000 sont inscrits en épargne collective. Des milliers parmi ceux-ci sont dans la situation décrite au paragraphe précédent14.

[19] Les notions d’inscription et de « désinscription » sont fondamentales à la compréhension des faits. La LVM prévoit que les conditions relatives aux inscriptions sont établies par règlement.

[20] L’AMF peut inscrire et peut aussi radier l’inscription15; elle peut, par règlement, déterminer la forme et le contenu des documents, déclarations et attestations prévus par la LVM ou les règlements.

[21] C’est ainsi que le Règlement 33-109 sur les renseignements concernant l’inscription16 prévoit notamment les modalités d’inscription d’une personne physique17 et celles d’une société18.

[22] Dans le cas du formulaire prévu à l’Annexe A4, il doit être présenté sur le site Web de la Base de données nationale d’inscription (« BDNI »). Dans le cas de l’Annexe A6, la société doit fournir son numéro BDNI.

[23] La BDNI est une base de données nationale d’inscription électronique qui permet aux sociétés et à leurs représentants de soumettre leurs formulaires d’inscription ou de renouveler leurs droits d’exercice par voie électronique. Elle contient les renseignements concernant l’inscription des déposants BDNI et permet de transmettre, recevoir, consulter et diffuser ces données19.

[24] Le Règlement 33-109 prévoit que toute société inscrite doit aussi aviser l’« autorité en valeurs mobilières » de la fin de sa relation avec une personne physique parrainée qui est salariée, associée ou mandataire si celle-ci cesse d’avoir l’autorisation d’agir pour son compte20. Un formulaire21 est prévu à cette fin, lequel prévoit, à la Rubrique 5, des informations et questions sur la cessation de la relation. Elles sont reproduites comme Annexe B du jugement.

13 Idem, dernier alinéa. 14 P-65. 15 LVM, art. 151 et 151.0.1. 16 Ch. V-1.1, r.12 (le « Règlement 33-109 »). 17 Annexe 33-109A4 ( « Annexe A4 » ). 18 Annexe 33-109A6 ( « Annexe A6 » ). 19 Règlement 31-102, sur la base de données nationale d’inscription, Ch. V-1.1, r. 9 (le « Règlement

31-102 »). 20 Art. 4.2. 21 Annexe 33-109A1 (« Annexe A1»).

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500-17-069553-116 PAGE : 7 [25] L’étendue de l’information que peut obtenir le syndic de la CSF de la part des défenderesses est à la base de la procédure d’injonction et le différend entre les parties est illustré par la gestion par les défenderesses des demandes de Me Champagne (la « Syndique » ) dans neuf dossiers de « cessation de relation ».

[26] En bref, entre le 30 octobre 2009 et le 5 janvier 2012, neuf RCEC ont été congédiés par Placements. Ces congédiements ont fait l’objet de demandes d’informations du bureau de la Syndique pour obtenir des précisions sur les circonstances entourant le congédiement.

[27] Tous ces RCEC ont vu Placements procéder à leur « désinscription » de la BDNI22 et, dans tous les cas, la Syndique a ouvert un dossier d’enquête et écrit à ces représentants pour les en informer23. Le bureau de la Syndique a aussi, dans chaque cas, écrit à Placements et à la Banque pour demander des précisions additionnelles.

[28] Placements a fourni à la Syndique les renseignements qui sont au formulaire de la BDNI en réponse aux questions 1 à 9 de la Rubrique 5 de l’Annexe A124. Le bureau de la Syndique ne s’est cependant pas satisfait de ces renseignements et a demandé, pour chacun des dossiers, d’autres informations. Par exemple, elle a requis des détails sur les raisons précises des congédiements; elle s’est enquise de l’existence de plaintes de la part de consommateurs et de préjudices qui auraient pu leur être causés et de l’existence de documents permettant d’étayer des manquements déontologiques ou fraudes; elle a aussi demandé copie de ces documents, qui incluent des chèques, relevés bancaires et autres effets du genre, ainsi que copie des déclarations écrites des représentants et des rapports d’enquête relatifs aux congédiements.

[29] Selon les cas, le bureau de la Syndique a demandé les coordonnées des clients visés par les manquements déontologiques ou les fraudes.

[30] En réponse à ces nouvelles demandes, Placements et la Banque ont essentiellement repris les informations qui apparaissent au formulaire prévu à la BDNI et refusé d’en fournir d’autres, invoquant, surtout, qu’elles concernaient les activités de la Banque et non celles de Placements.

[31] Avec l’augmentation du nombre de dossiers, l’insistance du bureau de la Syndique à trouver réponse à ses demandes et celle des défenderesses à se camper sur leurs positions, la gestion du différend a été confiée à des avocats.

[32] Le 1er avril 201125, les avocats de l’époque de la Syndique écrivent à Mme Susan Holden, « Chief Compliance Officer » de Placements, au sujet des demandes de

22 Voir P-1, P-5, P-11, P-15, P-19, P-28, P-38, P-48 et P-51. 23 Voir P-2, P-6, P-12, P-16, P-20, P-29, P-39, P-49 et P-52. 24 Voir annexe B du jugement. 25 P-25.

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500-17-069553-116 PAGE : 8 la Syndique. Ils y réfèrent notamment au processus d’enquête prévu à l’article 32926 de la LDPSF, au pouvoir des enquêteurs de l’article 34027, au droit de la Syndique de demander à des tiers l’accès à des informations, au devoir de ces derniers de collaborer (principes qu’ils allèguent découler de l’arrêt Binet c. Pharmascience28) et réitèrent la demande d’information de la Syndique pour chacun des dossiers.

[33] Mme Holden répond ainsi 29:

Dear Me Cantin:

We refer to your five letters dated April 1, 2011, requesting various information relating to the internal investigations of (…) (the “ Persons “) conducted by Canadian Imperial Bank of Commerce (“ CIBC “) on the Persons in their capacity as CIBC employees.

We understand that the Chambre de la sécurité financière (the “CSF”) is conducting an investigation of the Persons based on the information that CIBC Securities Inc. has provided to the regulators. As mentioned previously to Me Champagne of the CSF, (i) the Persons were employed by CIBC and held their securities registrations through CIBC Securities Inc., (ii) CIBC Securities Inc. and CIBC are separate legal entities and (iii) we have provided the CSF with all the information CIBC Securities Inc. has regarding the Persons regarding their securities registrations with CIBC Securities Inc.

We continue to respectfully advise that as the internal investigations in issue were conducted by CIBC on the Persons in their capacity as CIBC’s own employees and did not involve activities or accounts of CIBC Securities Inc. or its clients they are subject to the privacy legislation governing CIBC. As a regulator, you can appreciate CIBC’s requirement to abide by the legislation that applies to it. Accordingly, CIBC Securities Inc. is still unable to provide you with copies of the internal investigation reports.

26 329. Les syndics, soit de leur propre initiative, soit à la suite d'une information selon laquelle un

représentant aurait commis une infraction à une disposition de la présente loi, de la Loi sur les valeurs mobilières

(chapitre V-1.1) ou de l'un de leurs règlements, ont pour fonction d'enquêter à ce sujet. 27 340. L'enquêteur peut:

1° avoir accès, à toute heure raisonnable, à tout établissement d'un cabinet, d'un représentant autonome, d'une société autonome et d'un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1); 2° examiner et tirer copie des livres, registres, comptes, dossiers et autres documents du cabinet, du représentant autonome, de la société autonome et du courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières; 3° exiger tout document relatif à leurs activités. Toute personne qui a la garde, la possession ou le contrôle de ces livres, registres, comptes, dossiers et autres documents doit, à la demande de l'inspecteur, lui en donner communication et lui en faciliter l'examen.

28 [2006] 2. R.C.S. 513. 29 P-26; le nom des personnes visées n’est pas divulgué à la suite d’une ordonnance du Tribunal.

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We thank you for providing us a copy of the Binet v. Pharmascience case; however, in reviewing this case, it does not seem applicable to the facts at hand as (i) the case is concerned with requests made to third parties when in this situation CIBC Securities Inc. is not a third party, but the party that has all along assisted the CSF; and (ii) it relates to the application of different legislation than the one being applied in the case at hand.

We trust that this responds to your said notices.

[34] Peu de temps après, les parties tentent de dénouer l’impasse autrement.

[35] En effet, d’autres sociétés de placement, filiales de banques à charte, font l’objet de demandes d’enquête de la part de la Syndique. Dans ce contexte, M. Jacques Hébert, alors Directeur, Direction du Québec, de l’Association des banquiers canadiens (l’ « ABC »), est sensibilisé par ses membres au contentieux qui émerge et suggère une rencontre de représentants de l’ABC avec la Syndique.

[36] Cette rencontre a lieu le 7 juin 2011.

[37] Me Dominic Paradis, v.-p. affaires juridiques de la Banque Nationale et, en juin 2011, directeur principal, litige et trésorerie corporative, y représente les banques. Placements Banque Nationale est une filiale à 100% de la Banque Nationale et l’équivalent, pour cette dernière, de Placements pour la Banque.

[38] Me Paradis mentionne que l’augmentation du nombre de demandes d’enquête de la Syndique et le désir des banques de collaborer, associés à leur souci de ne pas faire accroc à leurs obligations envers leurs clients, ont motivé la rencontre.

[39] Me Paradis, Me André de Maurivez, avocat de la Banque et de Placements, la Syndique et Me Marie-Élaine Farley, v.-p. aux affaires juridiques et financières de la CSF, assistent à la rencontre qui a lieu au bureau de la CSF et dure tout au plus une heure.

[40] La Syndique mentionne qu’elle voulait trouver un modus vivendi susceptible de répondre aux inquiétudes des banques, notamment en obtenant le nom d’une personne ressource, pour chacune, qui pourrait l’informer de la nature des faits reprochés aux RCEC congédiés, de l’existence d’aveux et de rapports d’enquête et de façons d’enquêter sans impliquer les clients des banques.

[41] Pour sa part, Me Paradis voit l’exercice autrement. Il parle, au procès, d’une rencontre qui visait à trouver une façon pour les banques et la Syndique de prévoir que soient accompagnées les personnes impliquées dans les enquêtes de cette dernière, notamment en évitant les visites et appels inopinés, voire intimidants, de la part des enquêteurs de la CSF au personnel et à permettre que soient évités, en amont, les embuches et accrocs à la confidentialité des dossiers des clients des banques.

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500-17-069553-116 PAGE : 10 [42] Les attentes de la Syndique ne sont pas satisfaites.

[43] Elle estime essentiellement que la position des banques de la confiner aux renseignements versés à la BDNI restreint indument ses pouvoirs d’enquête et la prive d’informations nécessaires au dépôt même d’une plainte.

[44] Les procédures sont donc intentées en novembre 2011.

[45] En date de l’audience, 33 dossiers (incluant les 9 dossiers en litige) sont en suspens vu le différend qui oppose la Syndique aux banques.

III LES PROCÉDURES

i) La requête de la Syndique

[46] La requête de la Syndique30 réfère en détail aux démarches entreprises par la Syndique et les enquêteurs de la CSF auprès des défenderesses dans le contexte de leur enquête et aux réponses de ces dernières dans chacun des neuf dossiers en litige.

[47] Elle aborde ensuite le droit à l’injonction.

[48] Elle décrit d’abord son droit en fonction de la mission de la CSF d’assurer la protection du public en maintenant la discipline et en veillant à la formation et à la déontologie de ses membres.

[49] Elle réfère ensuite à son devoir d’enquête, soit de sa propre initiative, soit à la suite d’une dénonciation sur de possibles infractions commises à l’encontre des dispositions de la LDPSF ou de la LVM et de leurs règlements31, et à sa compétence pour enquêter au sujet des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité des disciplines exercées par les membres de la CSF32.

[50] Elle invoque que le cadre législatif lui permet de s’intéresser non seulement aux activités des membres de la CSF à ce titre mais aussi à l’ensemble de leurs activités professionnelles qui peuvent avoir un lien avec l’exercice de leur discipline.

[51] Ainsi, la Syndique allègue ce qui suit :

62. Dans les circonstances de la présente affaire, un employé d’une banque qui est par ailleurs représentant en épargne collective, lorsqu’il commet une fraude, falsifie un document, agit en conflit d’intérêts, ne respecte pas les instructions de son client ou s’approprie illégalement ou illégitimement des fonds dans le cadre de ses activités, porte atteinte à l’honneur et à la dignité de sa discipline et

30 Le Tribunal réfère à la requête introductive d’instance en injonction permanente ré-amendée de mai

2012. 31 LDPSF, art. 329. 32 Idem, art. 376; Code des professions, L.R.Q., c. C-26, art. 152, al. 2.

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contrevient entre autres à la Loi sur les valeurs mobilières et à la LDPSF avant le 28 septembre 2009 ainsi qu’au Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières, R.R.Q., c. D-92, r. 7.1;

63. Ce représentant continue en effet à exercer sa profession même s’il est à l’emploi d’une banque ou s’il exerce des activités connexes à celles de représentant en épargne collective (par exemple des activités bancaires) et par conséquent, est soumis au pouvoir de contrôle de l’exercice de la profession de la syndique. Autrement, un représentant en épargne collective qui aurait abusé(sic) ses clients dans le cadre de ses fonctions d’employé de la banque ou qui autrement aurait agi contrairement à l’honneur ou à la dignité de sa discipline ne pourrait faire l’objet de sanctions disciplinaires ou, en cas d’infraction grave, être possiblement destitué de ses fonctions de représentant en épargne collective en vue de protéger le public;

[52] Par la suite, la requête réfère à la compétence de la Syndique à l’égard des défenderesses et, en particulier, aux moyens qui lui permettent de recueillir des informations pertinentes pour juger de la conduite d’un RCEC :

a) elle peut requérir tout document ou renseignement au sujet des activités d’un représentant, soit auprès du représentant lui-même, soit auprès du courtier en épargne collective33;

b) elle peut procéder à une enquête dans l’établissement d’un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d’études34;

c) elle peut avoir accès, à toute heure raisonnable, à tout établissement d’un courtier en épargne collective35; et

d) elle peut examiner et tirer copie des livres, registres, comptes, dossiers et autres documents du courtier en épargne collective36.

[53] La requête évoque le pouvoir du syndic d’exiger tout document relatif aux activités du représentant en épargne collective37 et de contraindre toute personne qui a la garde, la possession ou le contrôle de ces livres, registres, comptes, dossiers ou autres documents de lui en donner communication et de lui en faciliter l’examen38.

[54] Elle rappelle que nul ne peut entraver le travail de la Syndique39.

[55] Enfin, la Syndique allègue ce qui suit :

33 Idem, art. 329, 330 et 337. 34 Idem, art. 338. 35 Idem, art. 340, al. 1. 36 Idem, art. 340, al. 2. 37 Idem. art. 340, al. 1(3). 38 Idem, art. 340, al. 2. 39 Idem, art. 342, 468, 469.1 et 485.

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67. Non seulement l’analyse des textes législatifs, mais également l’analyse du contexte, à la lumière des principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pharmascience c. Binet, précité, confirment que les pouvoirs de la syndique ne sauraient exclusivement viser que les représentants et courtiers en épargne collective mais bien aussi toute personne qui détient des documents et des renseignements permettant la poursuite de l’enquête dans une perspective de protection du public;

68. En effet, le sens commun des alinéas 1(3) et 2 de l’article 340 de la LDPSF et de ses articles 342, 468, 469.1 et 485 reconnaît expressément sinon implicitement l’assujettissement des tiers à la LDPSF en général et aux pouvoirs d’enquête de la syndique de la CSF en particulier. Le législateur aurait pu choisir de rédiger ces dispositions de façon à restreindre l’obligation de fournir des renseignements et de coopérer au travail de la syndique aux représentants et aux courtiers visés par l’enquête mais il ne l’a pas fait;

69. Les alinéas 1(3) et 2 de l’article 340 de la LDPSF et ses articles 342, 468, 469.1 et 485 doivent de plus être interprétés dans l’optique de la mission première de la Chambre de veiller à la protection du public et dans le souci et le respect des droits de toutes les personnes susceptibles d’être affectées par une enquête de la syndique. Or, il est dans l’intérêt public que les tiers soient assujettis aux pouvoirs d’enquête de la syndique afin que celle-ci puisse s’assurer qu’elle dispose des preuves complètes pour déterminer si une plainte doit être portée à l’encontre d’un membre de la Chambre;

70. Cette interprétation des pouvoirs de la syndique à l’égard des tiers et leur obligation concordante de coopérer avec le travail de la syndique est du reste confirmée par la Cour suprême du Canada qui, dans l’arrêt Pharmascience inc. c. Binet, précité, a conclu que :

« [38] Pour agir avec efficacité, mais dans le souci et le respect des droits de tous les intéressés durant son enquête, le syndic doit être en mesure d’exiger les documents et renseignements pertinents de toute personne et non seulement d’un professionnel, comme le conclut la Cour d’appel. L’obtention de renseignements en possession de tiers paraît souvent essentielle à la conduite efficace de l’enquête du syndic. Bien que seul le professionnel accusé d’une infraction déontologique puisse éventuellement être cité devant le comité de discipline les situations susceptibles de provoquer des plaintes disciplinaires impliqueront fréquemment une tierce partie, d’une manière ou d’une autre. »

ii) La défense des défenderesses

[56] Dans leur défense, les défenderesses campent d’abord leur position en rappelant qu’elles sont des entités juridiques distinctes et que, d’une part, la Banque, dont les RCEC visés sont les employés, n’est pas régie par la législation québécoise en matière de valeurs mobilières alors que, d’autre part, Placements, dont les RCEC ne sont pas les employés, l’est.

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500-17-069553-116 PAGE : 13 [57] Elles rappellent que la législation pertinente permet aux RCEC, inscrits par Placements en vertu de la LVM et membres de la CSF, de vendre des fonds mutuels tout en exerçant leurs activités d’employés de la Banque et allèguent que, comme la vente par les RCEC de leurs produits a surtout cours à certains mois de l’année, il serait peu rentable pour Placements d’avoir ses propres employés.

[58] Les défenderesses allèguent ensuite que lorsqu’un RCEC est congédié par la Banque, Placements en est avisé et amende l’inscription de ce RCEC. Un congédiement fondé sur une violation du code de conduite relatif aux activités bancaires du RCEC peut entraîner un rapport du service de sécurité de la Banque. Dans ces circonstances, il n’est pas acheminé à Placements; tout au plus cette dernière reçoit-elle un bref sommaire des raisons de la fin d’emploi, qui ne contient jamais d’informations sur des tiers « identifiables ».

[59] Les défenderesses plaident donc qu’il est faux de prétendre que Placements est en possession des documents requis par la Syndique dans le cadre de son enquête sur les 9 RCEC congédiés par la Banque et, en conséquence, faux qu’elle a refusé de transmettre les informations et documents requis par la Syndique.

[60] Les défenderesses précisent que la Banque n’est pas une entité de laquelle la CSF ou la Syndique ont le pouvoir de requérir des documents ou de l’information en vertu des articles 337 et 340 de la LDPSF40.

[61] La Banque plaide de plus qu’elle ne saurait transmettre à la CSF ou à la Syndique toute information impliquant des tiers sans violer ses propres obligations, que ce soit celle de protéger la confidentialité des informations de ses clients41 ou de protéger des renseignements personnels42.

[62] Elle soutient que l’AMF a un pouvoir d’enquête sur la violation des dispositions de la LVM et que c’est cette dernière et non pas la CSF qui a l’autorité de requérir la production de documents et d’information en possession de tiers et de prendre des mesures susceptibles d’assurer la confidentialité de communications émanant de tiers43.

[63] Les défenderesses plaident que la Syndique refuse d’admettre l’évidence, soit que les documents dont elle veut la production ne sont pas en possession ou sous le contrôle de Placements mais bien de la Banque.

40 337. Un assureur, un cabinet, une société autonome, ou un courtier en épargne collective ou en

plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1) doit, à la demande d'un syndic, lui transmettre tout document ou tout renseignement qu'il requiert sur les activités d'un représentant.

41 Loi sur les banques, L.C. 1991, c.46 , art. 157(2) (c) (d). 42 Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000 c.5. 43 LVM, art. 239 -242 et 245.

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500-17-069553-116 PAGE : 14 [64] Elles reprochent à la Syndique et aux enquêteurs de son bureau d’avoir employé des méthodes d’enquête inopportunes, incluant des appels impromptus aux employés de la Banque, assortis d’ultimatum de produire documents et informations, à l’occasion sans s’identifier, privant ainsi, notamment, ces derniers de l’opportunité de consulter des avocats quant à la façon d’obtempérer, le cas échéant, aux demandes.

[65] Elles reprochent aussi à la Syndique de ne pas avoir respecté une entente, intervenue le 7 juin 2011, voulant qu’une seule personne, Mme Holden, soit le point de chute chez Placements pour toutes demandes d’informations ou de documents, que la Syndique ne fasse pas enquête sur les employés de la Banque dont le congédiement ne découlait pas des activités de RCEC mais des activités « bancaires » et qu’elle n’insiste pas pour obtenir les rapports d’enquête de la Banque relatifs aux congédiements mais limite sa demande aux faits communiqués par cette dernière à Placements pour justifier ces congédiements.

[66] Enfin, les défenderesses concluent que c’est l’AMF et non la Syndique de la CSF qui à l’intérêt requis pour demander l’ordonnance d’injonction.

IV LES QUESTIONS EN LITIGE

[67] Les questions en litige sont les suivantes :

i) Les pouvoirs de la Syndique lui permettent-ils d’exiger des défenderesses la production des documents et renseignements visés dans les dossiers à l’origine du recours?

ii) Le cas échéant, les obligations de protection des renseignements personnels applicables à la Banque lui interdisent-elles de communiquer à la Syndique, sans le consentement des personnes concernées, les renseignements qu’elle détient au sujet de ses employés et clients?

iii) La Syndique a-t-elle, le cas échéant, droit à l’injonction?

V ANALYSE

i) Les pouvoirs de la Syndique lui permettent-ils d’exiger des défenderesses la production des documents et renseignements visés dans les dossiers à l’origine du recours?

[68] Pour répondre à cette question, il convient d’abord de préciser le cadre juridique pertinent applicable au représentant de courtier, au courtier et au syndic de la CSF pour, ensuite, intégrer ces notions à la dualité Banque - Placements telle que révélée par la preuve et, enfin, analyser les pouvoirs de la Syndique et la façon dont ils s’arriment aux obligations des défenderesses.

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a) Le cadre juridique pertinent

1) Le représentant de courtier

[69] Le représentant, comme le courtier pour le compte duquel il agit, doit s’inscrire auprès de l’AMF ou d’une autorité déléguée. Il peut agir comme courtier uniquement à l’égard des mêmes titres que ceux qui sont permis à sa société parrainante. Le Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites44 (le « Règlement 31-103 ») prévoit que le représentant de courtier se caractérise par les activités que peut exercer le courtier pour lequel il agit.

[70] Le Règlement 31-103 définit la « personne physique inscrite » notamment comme suit :

« personne physique inscrite » : la personne physique suivante :

a) celle qui est inscrite dans une catégorie lui permettant d’agir à titre de courtier ou de conseiller pour le compte d’une société inscrite;

[…]

[71] À la partie 2, intitulée « Catégories d’inscription des personnes physiques », le Règlement 31-103 prévoit notamment ce qui suit :

1) La personne physique tenue de s’inscrire en vertu de la législation en valeurs mobilières afin d’agir pour le compte d’une société inscrite s’inscrit dans l’une ou plusieurs des catégories suivantes :

a) représentant de courtier;

[…]

2) La personne physique inscrite dans la catégorie pertinente peut faire ce qui suit :

a) le représentant de courtier peut agir à titre de courtier ou de placeur à l’égard des mêmes titres que ceux qui sont permis à sa société parrainante;

[…]

[72] Le représentant de courtier est donc la personne physique qui agit directement auprès des clients. Pour exercer ce titre, il doit être employé par le courtier ou agir pour le compte de ce dernier. Il ne peut s’inscrire simplement à ce titre et exercer ses activités seul. Il doit s’inscrire par l’entremise du courtier pour le compte duquel il agit45.

44 RLRQ, c. V-1.1, r. 10. 45 Raymonde CRÈTE ET AL, Courtiers et conseillers financiers : encadrement des services de

placement, vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011 p.92.

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500-17-069553-116 PAGE : 16 [73] En remplissant le formulaire d’inscription d’une personne physique46, le représentant consent à ce que les autorités en valeurs mobilières collectent ses renseignements personnels et obtiennent, le cas échéant, les dossiers des autorités policières, ceux tenus par des organismes de règlementation gouvernementaux ou non ou des OAR (organismes d’autoréglementation), son dossier de crédit et ses relevés d’emploi47.

[74] L’Annexe A4 prévoit que la collecte de renseignements personnels vise notamment à évaluer si la personne physique demeure apte a être inscrite conformément à la législation en valeurs mobilières applicable et aux règles des OAR. En signant le formulaire, la personne physique (le représentant) autorise les OAR concernées à recueillir tout renseignement provenant de toute source, incluant les renseignements confidentiels protégés par la loi. Elle consent aussi spécifiquement à ce qui suit :

OAR

[…] Vous consentez également au transfert de renseignements confidentiels entre les OAR, commissions de valeurs ou bourses auxquels vous demandez ou pourriez ultérieurement demander l’inscription ou l’autorisation, ou qui vous ont accordé l’inscription ou l’autorisation, pour évaluer si vous êtes ou demeurez apte à l’inscription ou à l’autorisation, ou dans le cadre d’une enquête ou de l’exercice de tout pouvoir réglementaire, que vous soyez ou non actuellement inscrit auprès d’eux ou autorisé par eux.

En présentant ce formulaire, vous attestez que vous comprenez les règles des OAR compétents auxquels vous demandez l’inscription ou l’autorisation ou dont votre société parrainante est membre. Vous vous engagez également à vous familiariser avec les règles des OAR auxquels vous ou votre société parrainante adhérez. Vous acceptez d’être lié par les règles, leurs modifications et leurs suppléments, de les observer, de vous y conformer et de vous tenir informé des modifications et suppléments. Vous acceptez la compétence des OAR auxquels vous demandez l’inscription ou l’autorisation ou dont votre société parrainante est membre ou le deviendra, ainsi que celle, le cas échéant, de leurs gouverneurs, administrateurs et comités. Vous convenez que toute inscription accordée conformément à ce formulaire peut être radiée d’office ou suspendue et toute autorisation accordée peut être révoquée ou suspendue, à tout moment, conformément aux règles alors applicables des OAR. […]

46 Annexe A4. 47 Idem, Rubrique 20.

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500-17-069553-116 PAGE : 17 [75] Le représentant de courtier, qua représentant, est soumis au Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières48, notamment quant à ses obligations de loyauté, d’intégrité et de confidentialité des informations fournies par les clients49.

[76] Enfin, bien que le représentant de courtier soit principalement soumis à l’encadrement de la CSF en matière de formation continue obligatoire, de déontologie et de discipline50, il est aussi sujet à la vigilance et la surveillance de l’AMF.

[77] Ainsi, les articles 188, 191 et 202.1 de la LDPSF prévoient ce qui suit :

188. L'Autorité transmet au syndic compétent toute plainte qu’elle reçoit concernant un représentant ainsi que, le cas échéant, tout renseignement ou tout document relatif à cette plainte.

191. L'Autorité peut échanger des renseignements personnels avec un syndic pour détecter ou réprimer toute infraction à la présente loi ou à ses règlements.

202.1. L'Autorité détermine pour chaque discipline, par règlement:

1° les règles de déontologie applicables aux représentants;

2° les règles relatives à la formation continue obligatoire à l'égard des représentants autres que les planificateurs financiers.

2) Le courtier

[78] Le courtier, qui doit, rappelons-le, être inscrit, l’est dans l’une ou plusieurs catégories, dont « courtier en épargne collective »51, communément appelée « fonds mutuels ».

[79] Le courtier en épargne collective peut agir à titre de courtier à l’égard des titres suivants52 :

i) des titres d’organisme de placement collectif;

ii) des titres de fonds d’investissement qui sont des fonds de travailleurs ou des sociétés à capital de risque de travailleurs constitués en vertu d’une loi d’un territoire du Canada.

[80] Le Règlement 33-109 astreint le courtier, comme société parrainante, à certaines obligations de diligence raisonnable et conservation de documents.

[81] Ainsi, l’article 5.1, paragraphes 1 et 3 a) prévoit ce qui suit :

48 RRLQ c. D-9.2, r.7.1. 49 Idem, art. 2, 6, 7, 8, 9, 13 : voir aussi LDPSF, art. 16 et LVM, art. 160 et 160.1. 50 LVM, art. 149.2. 51 Règlement 31-103, art. 7.1 1) b). 52 Idem, art. 7.1 2) b).

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5.1 Obligations de la société parrainante

1) La société parrainante prend les moyens nécessaires pour s’assurer de la véracité et de l’exhaustivité des renseignements présentés conformément au présent règlement à l’égard de toute personne physique.

[…]

3) La société parrainante conserve tous les documents qu’elle a utilisés pour remplir l’obligation prévue au paragraphe 1 pendant l’une des périodes suivantes :

a) dans le cas d’une personne physique inscrite, au moins 7 ans après la date à laquelle elle a cessé d’être inscrite afin d’agir pour son compte;

[…]

3) Le syndic de la CSF

[82] Le rôle de la CSF est d’assurer la protection du public53 et le mandat du syndic s’inscrit dans ce contexte.

[83] Le Chapitre III de la LDPSF, intitulé Syndics, prévoit que chacune des deux Chambres instituées par cette loi, soit la Chambre de l’assurance de dommages et la CSF54, nomme, par son conseil d’administration, un syndic55. Ce dernier enquête, soit de sa propre initiative ou de celle d’un tiers56, sur les infractions d’un représentant.

[84] Le syndic de la CSF exerce ses fonctions à l’égard des RCEC et des représentants de courtier en plans de bourses d’études57.

[85] Dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, les syndics peuvent échanger des renseignements personnels avec l’AMF58 et sont même tenus d’informer cette dernière et la société parrainante du représentant de la réception et de la nature de toute plainte59.

[86] Les articles 337, 338 et 343 de la LDPSF précisent quelles sont les entités qui doivent transmettre document ou renseignement au syndic sur les activités d’un représentant, les établissements où il peut procéder à une enquête et la façon dont les documents doivent être rendus accessibles :

337. Un assureur, un cabinet, une société autonome, ou un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1) doit, à la demande d'un syndic, lui

53 LDPSF, art. 312. 54 Idem, art. 284. 55 Idem, art. 327. 56 Idem, art. 329. 57 Idem. Art. 330. 58 Idem, art. 335. 59 Idem, art. 336.

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transmettre tout document ou tout renseignement qu'il requiert sur les activités d'un représentant.

338. Un syndic peut procéder à une enquête dans l'établissement d'un cabinet, d'un représentant autonome, d'une société autonome, ou d'un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1).

[…]

343. Les documents, livres, registres, comptes et dossiers qu’un syndic ou l’enquêteur peut requérir doivent lui être fournis quelles que soient la nature de leur support et la forme sous laquelle ils sont accessibles.

[87] Quant aux plaintes, elles sont déposées soit par le syndic, soit par l’AMF60 devant le comité de discipline constitué au sein de la CSF61.

[88] Enfin, la LDPSF précise que certaines dispositions du Code des Professions62 s’appliquent :

376. Les dispositions du Code des professions (chapitre C-26) relatives à l'introduction et à l'instruction d'une plainte ainsi qu'aux décisions et sanctions la concernant, à l'exclusion du paragraphe c du premier alinéa de l'article 156 de cette loi, s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux plaintes que reçoit le comité de discipline.

Le comité peut imposer une amende d'au moins 2 000 $ et d'au plus 50 000 $ pour chaque infraction. Dans la détermination de l'amende, le comité tient compte du préjudice causé aux clients et des avantages tirés de l'infraction.

[89] Parmi les dispositions pertinentes du Code des professions se retrouvent les suivantes :

129. La plainte doit indiquer sommairement la nature et les circonstances de temps et de lieu de l'infraction reprochée au professionnel.

[…]

146. Le conseil assigne les témoins que lui ou l'une des parties juge utile d'entendre et exige la production de tout document par voie d'assignation ordinaire sous la signature du secrétaire.

[90] Tel qu’évoqué plus haut, le litige entre les parties découle du fait que les RCEC sont inscrits par l’entremise de Placements, la société parrainante qui n’est pas leur employeur mais pour laquelle ils agissent à titre de courtier, alors que la majorité de leurs activités sont dites « bancaires », pour la Banque, qui est leur employeur.

[91] Voici ce que démontre la preuve pertinente sur la dynamique à laquelle étaient soumis les RCEC visés par le litige à la fois au sein de la Banque et de Placements.

60 Idem, art. 344. 61 Idem, art. 352. 62 RLRQ, ch. C-26.

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b) La dualité Banque - Placements

[92] Il est utile, d’entrée de jeu, de rappeler certains constats :

a) la Banque et Placements sont deux entités juridiques distinctes;

b) Placements est un courtier en épargne collective et les représentants faisant l’objet d’enquête par la Syndique étaient tous inscrits comme représentants en épargne collective auprès d’elle;

c) personne ne conteste que ces représentants étaient employés à temps plein de la Banque, ce qui était permis par la législation pertinente,63 et que la majorité de leurs activités se rapportaient aux activités bancaires;

d) Placements a avisé l’AMF et les autres autorités canadiennes en matière de valeurs mobilières de la « désinscription » de chaque représentant congédié en remplissant dans la BDNI, à laquelle le Québec souscrit64, le formulaire prescrit.

[93] S’il est simple d’affirmer que la Banque et Placements sont des entités distinctes, il l’est moins de le comprendre et d’illustrer les rôles de Mme Susan Holden, directrice de la conformité de Placements, et de M. Rock Tétrault, consultant et Directeur, Équipe d’intervention pour le Groupe CIBC65 (qui servent les deux entités), de saisir comment s’intègrent les RCEC dans le Groupe CIBC et comment la Banque et Placements gèrent les plaintes auprès des RCEC et les demandes de la Syndique. Pour les fins de l’instance, retenons ce qui suit.

[94] Le Groupe CIBC est composé de trois unités d’exploitation, soit :

- les Services bancaires de détails et Services bancaires aux entreprises (« Retail and Business Banking »);

- la Gestion des avoirs (« Wealth Management »); et

- les Services bancaires de gros (« Wholesale Banking »)66.

[95] Plusieurs groupes de soutien desservent ces unités d’exploitation, dont le groupe d’Administration. Ce groupe est ainsi défini au document « Organizational Structure » du Groupe CIBC67 :

Administration

Administration Division is responsible for the provision of legal advice across CIBC, providing leadership on governance and regulatory requirements, the management of reputation, evaluating risk management systems and practices

63 LVM, art. 149. 64 Règlement 31-102. 65 P-69. 66 P-70. 67 Idem.

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across CIBC, and the creation of programs and policies that foster and support a work environment where all employees can excel. Administration Division comprises Human Resources, Legal, Corporate Security, Compliance, Control Division, Corporate Secretary, Privacy, Ombudsman, and Strategy and Corporate Development.

[96] Placements, qui n’a pas d’employés et compte des représentants inscrits dans plusieurs succursales de la Banque, est partie de l’unité d’exploitation « Gestion des avoirs » alors que la Banque relève de « Services bancaires de détail et Services bancaires aux entreprises ».

[97] L’unité d’exploitation « Gestion des avoirs » (« Wealth Management ») est sommairement décrite comme suit au document « Organizational Structure »68 :

Wealth Management

Wealth Management provides relationship-based advisory services and an extensive suite of leading investment solutions to meet the needs of institutional, retail and high net worth clients. Our asset management, retail brokerage and private wealth management businesses combine to create an integrated offer, delivered through nearly 1,500 advisors across Canada.

[98] Placements est partie des activités de « gestion d’actifs » (« asset management ») de l’unité d’exploitation « Gestion des avoirs ».

[99] Le Groupe de soutien « Administration » fournit des avis juridiques pour l’ensemble du Groupe CIBC. Il inclut notamment les unités Ressources Humaines, Sécurité de l’entreprise69, Protection des renseignements personnels et Conformité.

[100] Mme Holden occupe, aux dates pertinentes, la fonction de « Senior Director, Mutual Funds and MFDA (Mutual Funds Dealer Association) Compliance70 » de l’unité d’exploitation « Gestion des avoirs ». À ce titre, elle est aussi responsable de la conformité pour Placements.

[101] Elle est, notamment, responsable du respect de la règlementation applicable auprès des OAR et de la gestion des enquêtes menées par ces dernières.

[102] Les organigrammes qui apparaissent à l’Annexe C du jugement illustrent la situation hiérarchique de Mme Holden au sein de l’unité Gestion des avoirs.

[103] Pour sa part, M. Tétrault est consultant pour le groupe CIBC depuis février 2008 et occupe le titre de Directeur, Équipe d’intervention pour l’unité Sécurité de l’entreprise71. Son poste consiste, notamment, à offrir le soutien à l’élaboration et à la

68 Idem. 69 Voir D-33. 70 P-59. 71 P-69.

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500-17-069553-116 PAGE : 22 gestion de programmes de sauvegarde des avoirs du Groupe CIBC et à coordonner les enquêtes dans les cas de fraude et malversation.

[104] À ce titre, M. Tétrault agit au nom de la Banque comme représentant externe de Sécurité de l’entreprise auprès des sous-comités régionaux de l’ABC. Il doit collaborer avec les organismes responsables de l’application de la loi et assurer le lien avec d’autres institutions financières72.

[105] Le Tribunal retient ceci des témoignages de Mme Holden et de M. Tétrault sur le processus généralement suivi lorsqu’un RCEC est congédié.

[106] Sécurité de l’entreprise sera très souvent impliquée dès le départ pour faire enquête sur des allégations de malversation ou de fraude. Sécurité de l’entreprise a accès, au besoin ( « on a need to know basis » ) au système informatique et à tous les documents du Groupe CIBC en entier73.

[107] M. Tétrault rencontre, la plupart du temps, le RCEC visé par une enquête et la conversation est enregistrée. Typiquement, il prépare un rapport d’enquête auquel ne sont pas joints les documents pertinents et les pièces. Les documents sont par ailleurs numérisés s’ils ne sont pas aisément accessibles. Cette rencontre donne, à l’occasion, lieu à des aveux du RCEC visé par l’enquête.

[108] Selon l’expérience du témoin, la plainte contre un RCEC origine généralement de la Banque et, parfois, de clients. Il lui arrive de rencontrer ces derniers mais les conversations ne sont alors pas enregistrées.

[109] Le témoin affirme remettre son rapport d’enquête à l’entité du Groupe CIBC qui lui a demandé, aux Ressources Humaines et à ses supérieurs hiérarchiques. Il réfère aux entités qui lui donnent ses mandats comme à ses « clients » et précise que ces derniers n’ont accès ni aux documents ni à l’enregistrement de la rencontre avec le représentant sous enquête; ils pourront toutefois écouter l’enregistrement de cette rencontre en sa compagnie.

[110] Le directeur de la succursale d’attache du RCEC ne reçoit pas le rapport d’enquête mais est informé de ses conclusions. M. Tétrault précise que, malgré que l’employé puisse porter « deux chapeaux », soit celui de prestataire de « services bancaires » et celui de RCEC, seule l’entité (Banque ou Placements) qui a demandé l’enquête sera contactée et en aura les résultats. M. Tétrault relie cette obligation de confidentialité au Code de conduite du Groupe CIBC, qui s’applique à tous les employés74.

72 Idem. 73 D-35, partie IV. 74 P-60; D-34.

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500-17-069553-116 PAGE : 23 [111] M. Tétrault mentionne que Placements ne lui a jamais demandé de faire une enquête : « si la fraude ne touche pas les fonds mutuels, Placements ne sera pas au courant ».

[112] En l’instance, Mme Holden estime que, sur la foi des avis BDNI de « désinscription », les congédiements des neuf RCEC impliqués concernaient leurs activités bancaires uniquement et non leurs activités à titre de RCEC75. En ce sens, Placements n’était pas au fait des données des enquêtes parce qu’elles ne relevaient pas de ses activités.

[113] En conséquence, Mme Holden affirme que Placements a répondu aux demandes d’enquête de la Syndique à partir des informations qui apparaissent aux formulaires BDNI, sans faire d’enquête supplémentaire; c’est sa façon de faire, dit-elle, non seulement au Québec mais lorsqu’elle répond aux autorités règlementaires des autres provinces canadiennes. En ce sens, elle affirme collaborer avec la CSF exactement comme elle le fait avec les OAR des autres provinces canadiennes, les MFDA, qui ne sont pas des créatures statutaires, comme la CSF. Elle se sent à l’aise de fournir cette égalité de traitement à travers le pays.

[114] M. Tétrault est questionné sur la connaissance, à l’intérieur du Groupe CIBC, du dossier d’un employé de la Banque. Il affirme qu’il sera informé, au moment d’une enquête, qu’un employé de la Banque, soupçonné de malversation ou de violation du Code de conduite de la Banque, a déjà fait l’objet d’une enquête ailleurs dans le Groupe CIBC. Il ajoute qu’un employé congédié pour malversation ne peut être réengagé par une entité membre du Groupe CIBC : « il existe une entrée « non rehirable ».

[115] Enfin, M. Tétrault est celui qui formule les réponses aux questions posées sur le formulaire de « désinscription » de la BDNI76 et ce, à la demande du Service de la conformité. Cependant, le Service de la conformité ne fait pas sa propre enquête sur les motifs d’un congédiement d’un RCEC.

[116] Mme Holden est catégorique : « I have no reason to doubt Employee Relations or Corporate Security » . Elle n’a même jamais demandé de complément d’enquête après avoir reçu les réponses aux questions du formulaire de désinscription BDNI.

[117] Mme Holden ajoute même ne pas avoir accès aux dossiers des employés de la Banque.

[118] La CSF ou son syndic n’a jamais communiqué avec M. Tétrault directement au sujet d’une enquête sur un RCEC. Son poste l’oblige à collaborer avec les autorités règlementaires mais il n’est pas, dit-il, consulté par ces dernières. Tout au plus a-t-il pu fournir, à l’occasion, des renseignements à l’AMF, après avoir reçu un subpoena.

75 P-1, P-5, P-11, P-15, P-19, P-28, P-38, P-48 et P-51. 76 Annexe B du jugement.

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500-17-069553-116 PAGE : 24 [119] M. Tétrault confirme que la Banque ne porte pas souvent plainte à la police contre ses employés. De fait, aucun des neuf RCEC dont les dossiers sont à l’origine du litige n’a fait l’objet d’une telle plainte.

● ● ● ● ● ●

[120] Le contexte révélé par la preuve amène le Tribunal à conclure que Placements n’est ni plus ni moins qu’un simple véhicule, nécessaire pour que soient respectées les obligations règlementaires, dont celle de l’inscription. Elle n’a pas d’employé. Tous les RCEC sont embauchés et congédiés par la Banque. Les motifs des congédiements sont évalués par la Banque. Un même code de conduite régit tous les employés. Les mêmes groupes de soutien desservent et Placements et la Banque. Parmi ces groupes, Sécurité de l’entreprise mène les enquêtes pour le Groupe CIBC et ses filiales. Elle remet les résultats des enquêtes aux Ressources Humaines, sans distinction selon l’origine de la demande d’enquête.

[121] Compte tenu de cette donne et malgré l’insistance des défenderesses sur le fait qu’elles soient des entités juridiques distinctes, il est très difficile, en pratique, de ne pas confondre leurs activités.

[122] Mme Holden, responsable de la conformité de Placements, ne reçoit pas les rapports des enquêtes qui sont menées sur les employés, qu’ils agissent qua banquier ou qua RCEC. Comment alors peut-elle remettre en question les conclusions des enquêtes de Sécurité de l’entreprise qui concluent que les soi-disant infractions commises visent les activités de RCEC plutôt que les activités dites bancaires des employés?

[123] Les défenderesses cherchent à convaincre qu’il y a une complète étanchéité entre les entités Placements et Banque; malgré cela, Mme Holden s’en remet à Sécurité de l’entreprise, qui dessert toutes les unités du Groupe CIBC, pour formuler les réponses aux questions posées sur le formulaire de désinscription de la BDNI sans avoir elle-même accès à ces données.

[124] Peut-être Mme Holden, dont le Tribunal ne doute pas de la crédibilité, se conduit-elle comme si était préservée cette étanchéité mais cette étanchéité n’existe pas. Sécurité de l’entreprise a accès à toutes les données, qu’elles proviennent de Placements ou de la Banque, fait enquête, transmet les conclusions au groupe Ressources Humaines et tire ses propres conclusions quant à la nature, bancaire ou non, des activités transgressées. Cette grande latitude laissée au groupe d’intervention de Sécurité de l’entreprise en dit beaucoup sur la qualité de la cloison entre les activités de la Banque et celles de Placements. Elle est perméable.

[125] Ce portrait suffit à peine à convaincre que Placements soit, dans les faits plutôt qu’en théorie, une entité distincte de la Banque.

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500-17-069553-116 PAGE : 25 [126] Dans ce contexte, le terrain est fertile pour que germent des difficultés pour la Syndique, qui a la mission de protéger le public et dont le mandat est rendu plus difficile par le fait que Placements est ainsi imbriquée dans le Groupe CIBC.

[127] Ceci étant, c’est sur cette toile de fond que le Tribunal doit juger de l’apparence de droit de la Syndique à l’injonction.

c) Les pouvoirs de la Syndique

[128] Jusqu’où la Syndique peut-elle aller pour colliger documents et informations sur les RCEC sous enquête ? Son pouvoir s’étend-il aux informations qui relèvent des « activités bancaires »?

[129] Il est utile de préciser d’entrée de jeu que les défenderesses ne contestent pas que la Syndique a le pouvoir d’enquêter sur l’ensemble des activités des RCEC lorsqu’elles sont susceptibles d’avoir un lien avec l’honneur et la dignité de leur discipline.

[130] Il serait en effet absurde que des obligations d’ordre déontologique des RCEC, tels la loyauté, l’honnêteté, l’intégrité, le respect des règles et la bonne foi, s’analysent dans le vase clos de leurs activités de RCEC, sans égard à celles qu’ils exercent comme « banquier ».

[131] Il est cependant essentiel de rappeler que la présente analyse des pouvoirs de la Syndique est circonscrite par un contexte très précis et limité : l’exception de l’article 149, dernier alinéa, de la LVM et les conséquences pratiques de ce choix du législateur sur les pouvoirs de la Syndique.

1) L’article 340 LDPSF

[132] Le Tribunal doit interpréter l’article 340 LDPSF.

[133] Il est utile de reproduire à nouveau l’article pour fins de référence :

340. L'enquêteur peut:

1° avoir accès, à toute heure raisonnable, à tout établissement d'un cabinet, d'un représentant autonome, d'une société autonome et d'un courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1);

2° examiner et tirer copie des livres, registres, comptes, dossiers et autres documents du cabinet, du représentant autonome, de la société autonome et du courtier en épargne collective ou en plans de bourses d'études inscrit conformément au titre V de la Loi sur les valeurs mobilières;

3° exiger tout document relatif à leurs activités.

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500-17-069553-116 PAGE : 26

Toute personne qui a la garde, la possession ou le contrôle de ces livres, registres, comptes, dossiers et autres documents doit, à la demande de l'inspecteur, lui en donner communication et lui en faciliter l'examen.

[134] Avant d’analyser l’article, reprenons la toile de fond.

[135] Il est clair que la Syndique a une compétence d’enquête à l’égard des RCEC77 et qu’elle peut donc requérir des renseignements et des documents du représentant lui-même. De plus, celui-ci a l’obligation de collaborer78.

[136] La Syndique peut aussi requérir des renseignements et documents du courtier en épargne collective sur les activités générales du représentant79.

[137] Elle peut procéder à une enquête dans l’établissement du courtier en épargne collective80 pour y exercer les pouvoirs prévus à l’article 340 LDPSF.

[138] À l’intérieur de ces pouvoirs d’enquête, la Syndique a accès, à toute heure raisonnable, à tout établissement d’un courtier en épargne collective81 et peut examiner et obtenir copie des livres, registres, comptes, dossiers et autres documents de ce courtier82 et exiger tout document relatif à leurs activités83.

[139] Or, si Placements est un courtier, la Banque, pour sa part, n’est pas une entité visée par l’article 340 LDPSF, soit un cabinet, une société autonome, un représentant autonome ou un courtier en épargne collective.

[140] Elle soutient donc que la Syndique, ou l’enquêteur de son bureau, ne saurait avoir accès à ses documents, non seulement parce qu’elle n’est pas une entité visée par l’article 340 LDPSF, mais aussi parce que les faits à l’origine des congédiements des RCEC se rapportent, selon elle, aux « activités bancaires » et non à celles survenues dans le cadre du travail d’épargne collective. La « personne » en possession de tels documents, visée par le dernier alinéa de l’article 340 LDPSF, ne saurait donc être la Banque ou l’un de ses représentants.

[141] Pour répondre à cet argument, la Syndique plaide que, à la lumière des principes énoncés par la Cour suprême dans Pharmascience c. Binet84, l’analyse du cadre législatif et du contexte confirme l’interprétation voulant que les pouvoirs de la Syndique visent non seulement les courtiers en épargne collective et leurs représentants mais

77 LDPSF, art. 330. 78 Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières, RLRQ c. D-9.2, r.7.1 art.

20. 79 LDPSF, art. 337. 80 Idem, art. 338. 81 Idem, art. 340 1. 82 Idem, art. 340 2. 83 Idem, art. 340 3. 84 Précité, note 28.

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500-17-069553-116 PAGE : 27 toute personne qui détient des documents et renseignements permettant la poursuite de l’enquête sur l’ensemble des activités d’un représentant.

[142] Comme la Syndique s’autorise avec insistance, depuis le début du contentieux avec les défenderesses, des principes qui se dégagent de l’arrêt Pharmascience85 pour suggérer que le Tribunal adopte une interprétation large et généreuse de ses pouvoirs et comme les défenderesses insistent sur la distinction entre les pouvoirs conférés à la Syndique dans la LDPSF et ceux dévolus à un syndic nommé en vertu du Code des Professions86, il est utile de revenir d’abord brièvement sur l’arrêt pour énoncer, par la suite, certains principes pertinents d’interprétation.

2) L’arrêt Pharmascience

[143] Dans Pharmascience, la Cour supérieure avait prononcé une injonction enjoignant à Pharmascience, un fabricant de médicaments génériques, de fournir à Jocelyn Binet, syndic de l’Ordre des pharmaciens du Québec, des renseignements à propos d’allégations de paiements de rabais, ristournes et avantages illégaux à des pharmaciens propriétaires.

[144] Le syndic Binet avait entrepris un processus d’enquête susceptible de conduire à des plaintes disciplinaires contre des pharmaciens qui auraient accepté de telles ristournes à l’encontre du Code de déontologie des pharmaciens87.

[145] Dans le cadre de son enquête, le syndic demanda à Pharmascience de lui fournir tout document indiquant que des ristournes avaient été accordées à des pharmaciens. Sa demande se fondait sur l’article 122 du Code des Professions qui se lisait alors comme suit :

122. Le syndic et les syndics adjoints peuvent, à la suite d’une information à l’effet qu’un professionnel a commis une infraction visée à l’article 116, faire une enquête à ce sujet et exiger qu’on leur fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête. . .

L’article 114 s’applique à toute enquête tenue en vertu du présent article.

[146] Le juge Déziel de la Cour supérieure estima, notamment, que l’utilisation du pronom « on » à l’article 122 suggère que le législateur n’entendait pas soumettre uniquement les professionnels à l’obligation de fournir des renseignements au syndic.

[147] La Cour d’appel accueillit le pourvoi de Pharmascience, notamment parce que l’article 122 limitait, selon elle, l’étendue du pouvoir du syndic aux « ordres professionnels et à leurs membres88 ».

85 Idem. 86 Précité, note 32. 87 R.R.Q. 1981, ch. P-10, r.5. 88 Art. 2 du Code des Professions.

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500-17-069553-116 PAGE : 28 [148] L’appel à la Cour suprême fut autorisé afin de déterminer si l’article 122 du Code des professions assujettissait les tiers à l’obligation de communiquer les renseignements requis par le syndic et, le cas échéant, si ce dernier avait droit à l’injonction pour forcer la transmission des documents.

[149] Après avoir résumé le cadre législatif, soit les règles applicables aux professions en vertu du Code des professions, la Cour suprême s’attarde à l’organisation de la discipline en vertu de ce code et rappelle la distinction entre l’inspection professionnelle, préventive, et le système disciplinaire, « qui remplit une fonction curative et répressive89 ».

[150] Le juge LeBel, qui écrit pour la majorité, les juges Abella et Fish étant dissidents, rappelle le rôle du syndic dans le système disciplinaire créé par le Code des Professions :

27 . Le syndic joue un rôle crucial dans le fonctionnement du système disciplinaire créé par le Code des professions. Le syndic enquête sur la conduite d’un professionnel avant qu’une plainte formelle ne soit portée contre ce dernier devant le comité de discipline. Le syndic ouvrira une enquête sur la base d’une information selon laquelle un professionnel a commis une infraction visée à l’art. 116. Cette information pourra lui provenir de sources diverses. Comme il a été souligné précédemment, elle pourra lui être fournie par le comité d’inspection professionnelle. Un autre professionnel, une personne du public et le Bureau de l’ordre peuvent également demander au syndic de tenir une enquête. Enfin, le syndic a le droit d’agir de sa propre initiative, par exemple lorsqu’il constate lui-même une situation susceptible de fonder une plainte disciplinaire; un syndic pourrait par exemple visionner une publicité faite par un professionnel en contravention avec les règles prescrites en cette matière (Khalil c. Corporation professionnelle des opticiens d’ordonnances, [1991] D.D.C.P. 316 (T.P.); Delisle c. Corporation professionnelle des arpenteurs-géomètres, [1991] D.D.C.P. 190 (T.P.), répertoriés dans S. Poirier, La discipline professionnelle au Québec : principes législatifs, jurisprudentiels, et aspects pratiques (1998), p. 81). Comme il le fait pour l’enquête du comité d’inspection professionnelle, le législateur impose une obligation de collaborer à l’enquête du syndic à l’art. 122 C. prof. dont l’interprétation se situe au cœur du présent litige :

[…]

[151] Quant à l’interprétation de l’article 122, le juge LeBel mentionne d’abord que l’analyse grammaticale du texte, complétée par l’évaluation des aspects contextuels pertinents, tel l’objet de la loi, confirme l’intention du législateur d’assujettir les tiers au pouvoir d’enquête du syndic prévu à l’article 12290.

89 Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, par. 18. 90 Pharmascience, précité, note 28, par. 29.

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500-17-069553-116 PAGE : 29 [152] Il réfère par la suite au sens ordinaire des mots, qui peut varier suivant le contexte de leur emploi, et rappelle, notamment, que le juge Gonthier parlait du « sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition91 ».

[153] Il mentionne ensuite que, lorsqu’il entend limiter le champ d’application d’un article de loi, le législateur s’exprime habituellement de façon claire92 et que ce dernier, qui aurait pu rédiger l’article 122 de façon à restreindre l’obligation de fournir des renseignements aux professionnels (et non aux tiers), ne l’a pas fait93.

[154] Le juge LeBel souligne enfin que l’interprétation textuelle connait des limites et que, au-delà des définitions tirées de dictionnaires et des illustrations d’usage des mots, la Cour suprême « considère désormais que, même en présence d’un texte en apparence clair et concluant, il importe néanmoins d’examiner le contexte global dans lequel s’inscrit la disposition sous étude94 ».

[155] C’est ce que fait ensuite le juge LeBel.

[156] En effet, vu l’interprétation contextuelle, il se refuse, compte tenu du choix du législateur québécois de protéger le public par le Code des professions, de restreindre, par l’article 2, l’effet des lois professionnelles aux seuls membres des ordres régis par ce code. Il écrit :

34. Cette conclusion ne tient pas suffisamment compte de l’objectif de protection du public poursuivi par le Code des professions. La réalisation de cet objectif implique nécessairement que les tiers soient visés ou touchés par certaines dispositions du Code des professions. Par exemple, les art. 188.1 à 189 prohibent l’exercice illégal de la profession par des tiers non-membres. L’article 188 prévoit quant à lui l’imposition d’amendes à toute personne commettant une infraction. Comme son libellé l’indique, l’art. 2 vise à établir le caractère général du Code, son statut de loi cadre pour l’exercice des professions au Québec et la préséance des lois particulières à chaque ordre professionnel en cas d’incompatibilité. Le contexte dans lequel fut adopté le Code, que j’ai rappelé précédemment, confirme ce constat. L’article 2 ne prévoit pas que le Code ne s’applique qu’aux membres des ordres professionnels, mais vient plutôt confirmer que le Code s’applique à tous les membres de tout ordre professionnel, en établissant des règles de fonctionnement et des moyens d’action homogènes dans ce domaine. Cette interprétation fut d’ailleurs acceptée par la Cour d’appel du Québec dans un arrêt récent : Ordre des comptables généraux licenciés du Québec c. Québec (Procureur général), [2004] R.J.Q. 1164 , par. 18-19.

91 Idem, par. 30; Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée, c. Assoc. Canadienne des pilotes de lignes

aériennes, [1993], 3 R.C.S. 724, p. 735. 92 Idem par. 31; Glykis c. Hydro-Québec, [2004] 3 R.C.S. 285, par. 13; Merk c. Association

internationale des travailleurs en pont, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, [2005] 3 R.C.S. 425, par. 3.

93 Idem, par. 31. 94 Idem, par. 32; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141.

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35. Les principes d’interprétation suggèrent qu’en cas d’ambiguïté, l’interprétation la plus favorable à l’objet de la loi doit primer. Le professeur P.-A. Côté résume ainsi cette règle :

Il est en effet incontestable qu’on peut, lorsque la formule soulève une difficulté d’interprétation, lorsqu’elle n’est pas claire, se référer à la finalité de la loi ou de la disposition examinée pour choisir celui des sens possibles qui est le plus propre à réaliser cette finalité.

(Interprétation des lois (3e éd. 1999), p. 496; voir également Sullivan, p. 219-221.)

[…]

[157] Dans l’analyse de la « finalité de la loi ou de la disposition examinée » , le juge LeBel rappelle l’importance de la fonction des ordres professionnels, leur rôle dans la protection de l’intérêt public et la nécessité d’une interprétation souple des pouvoirs de surveillance qui leurs sont dévolus. Quant au double rôle du syndic nommé en vertu du Code des professions, soit celui d’enquêter, et, le cas échéant, de dénoncer en portant une plainte, il écrit :

38. L’importance de ce « double rôle » doit nécessairement guider l’interprétation de l’art. 122. Le dépôt d’une plainte devant le comité de discipline peut constituer l’aboutissement de l’enquête du syndic. Pour le professionnel en cause, ce seul dépôt entraîne parfois des conséquences graves pour sa réputation et pour l’exercice de ses activités professionnelles. Pour agir avec efficacité, mais dans le souci et le respect des droits de tous les intéressés durant son enquête, le syndic doit être en mesure d’exiger les documents et renseignements pertinents de toute personne et non seulement d’un professionnel, comme le conclut la Cour d’appel. L’obtention de renseignements en possession de tiers paraît souvent essentielle à la conduite efficace de l’enquête du syndic. Bien que seul le professionnel accusé d’une infraction déontologique puisse éventuellement être cité devant le comité de discipline les situations susceptibles de provoquer des plaintes disciplinaires impliqueront fréquemment une tierce partie, d’une manière ou d’une autre.

[158] Outre ces enseignements utiles tirés de Pharmascience, il convient maintenant d’aborder certains principes pertinents d’interprétation.

3) Les principes pertinents d’interprétation

[159] Pierre-André Côté95 réfère à la montée de l’interprétation contextuelle, préconisée par le juge LeBel, de la façon suivante :

157. L’interprétation de la loi exige la prise en considération d’une série de facteurs qui font l’objet d’une pondération en vue d’arriver au vrai sens ou au

95 L’interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, p. 52.

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meilleur sens d’un texte. Dans l’histoire, la gamme de ces facteurs s’est tantôt étendue et tantôt restreinte. La période récente est marqués par une extension de la gamme des facteurs qu’il est non seulement possible, mais aussi recommandé de prendre en compte dans l’interprétation.

158. Cette extension est associée à la montée de l’interprétation contextuelle, qui est de plus en plus favorisée par la doctrine et par la jurisprudence. On reconnaît aujourd’hui que le sens des mots ne peut pas être déterminé en dissociation du contexte. La règle du sens clair des textes, la Plain Meaning Rule, qui voulait restreindre l’interprète à la considération du seul sens littéral du texte lorsqu’il est clair est maintenant, on peut le dire, tombée en discrédit.

159. Aucun texte n’est plus représentatif de ce mouvement d’élargissement des sources d’interprétation et n’a plus contribué à le promouvoir que le passage suivant, extrait de la deuxième édition du traité d’Elmer A. Driedger, et connu sous l’appellation de « principe moderne d’interprétation » :

« Aujourd’hui il n’y qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »132.

160. Cet extrait a été cité pas moins de 59 fois à la Cour suprême du Canada entre 1984 et le début de 2006133. Il a été présenté par celle-ci comme l’expression de LA méthode à suivre dans l’interprétation des lois au Canada. La formule de Driedger peut difficilement prétendre exprimer, à elle seule, tous les principaux éléments de la méthode d’interprétation que devraient suivre les juristes canadiens134. Néanmoins, il faut reconnaître qu’elle a fortement contribué à faire sauter le verrou que constituait la Plain Meaning Rule et à promouvoir une méthode d’interprétation contextuelle, faisant appel à une gamme étendue de facteurs et ouverte notamment à la prise en compte des objectifs des dispositions et des lois interprétées.

161. S’inscrivant dans le mouvement favorable à l’interprétation contextuelle, l’abandon progressif de la règle qui interdisait le recours aux travaux préparatoires a révolutionné le travail des juristes en matière d’interprétation135. Il n’y a pas aujourd’hui de plaideur prudent qui ne vérifie si les débats entourant l’adoption d’une loi ne contiendraient pas des éléments susceptibles d’éclairer le sens et les tribunaux sont quotidiennement en contact avec la relation des débats en chambre ou les discussions en comité ou commission parlementaire. ______________________

132 Elmer A. DRIEDGER, The Construction of Statutes, 2e éd. Toronto, Butterworths, 1983, p.

87, traduction tirée de Castillo c. Castillo, [2005] 3 R.C.S. 870, par. 22. 133 S. BEAULAC et P.-A. CÔTÉ, « Driedger’s “Modern Principle” at the Supreme Court of

Canada : Interpretation, Justification, Legitimization», (2006) 40 R.J.T. 131, 136. 134 Id., p. 166 et suiv. 135 Infra, p. 501 et suiv.

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500-17-069553-116 PAGE : 32 [160] Il décrit aussi, en référant notamment au « sens naturel qui se dégage de la simple lecture de la disposition96 », la mise en œuvre de la méthode grammaticale d’interprétation des textes en suggérant trois modes d’application97 :

1. Donner aux mots le sens qu’ils ont dans la langue courante;

2. Donner aux mots le sens qu’ils avaient le jour de l’adoption de la loi; et

3. Éviter d’ajouter aux termes de la loi ou encore de les priver d’effet.

[161] Ensuite, malgré la règle d’interprétation contextuelle maintenant préconisée, laquelle est large, libérale, moderne et requiert une vue d’ensemble de la législation applicable, reste que certains paramètres fondamentaux doivent être respectées.

[162] D’abord, le texte d’une disposition n’est pas infiniment élastique98 :

1010. Felix Frankfurter a écrit : « Si les tribunaux ne se limitent plus au texte, ils sont encore limités par le texte.»73 On reconnaît au texte de la loi deux fonctions principales : il permet de découvrir l’objet général de la communication législative et il restreint la gamme des sens que l’interprète peut donner à cette communication74. La grande plasticité du langage humain fait qu’il est illusoire d’espérer interpréter correctement un texte avec un dictionnaire dans une main et une grammaire dans l’autre. Les mécanismes de la communication sont trop subtils pour se prêter à ce genre d’exercice. Cependant, si les mots sont malléables et flexibles, ils ne sont pas infiniment élastiques… ______________________________

73 Felix FRANKFURTER, «[traduction] Some Reflexions on the Reading of Statutes», (1947) 47

Col. L.Rev. 527, 543. Pour une illustration, voir la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans 1390957 Ontario Limited c. Acchione, (2002) 209 D.L.R. (4th) 248, par. 15 (C.A. Ont.) : « There is no mystery to the ordinary meaning of the word “before”. To adopt the interpretation favoured by the respondent would require the court to ignore the word or interpret it as bearing its ordinary meaning and its antonym. In other words, the court would have to interpret “before” as meaning “before or after”. The provision cannot fairly bear such an interpretation».

74 R. DICKERSON, The Interpretation and Application of Statutes, Boston, Toronto, Little, Brown & Co., 1975, p.63; H. jr. HART et A. SACKS, The legal Process: Basic Problems in the Making and Application of Law, Cambridge, Tentative Edition, 1958, p. 1411 et 1412.

[163] Enfin, le législateur est sensé maintenir, dans l’ensemble des lois qu’il adopte sur un sujet donné, une cohérence à la fois dans la formulation des textes et dans les politiques que ces textes mettent en œuvre99.

[164] L’interprète du texte doit favoriser l’harmonie des lois entre elles plutôt que leur contradiction100.

96 Précité, note 91. 97 Précité, note 95, p. 299, par. 994. 98 Idem, p. 304. 99 Idem, p. 395, par. 1271. 100 Idem, par. 1269.

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4) Conclusion sur les pouvoirs de la Syndique

[165] La lecture de l’article 340 LDPSF, détachée de contexte, pourrait amener à conclure que seuls les documents en possession de Placements, comme courtier en épargne collective, sont visés par ses dispositions.

[166] En effet, d’une part, cette interprétation est cohérente avec l’obligation qui incombe à ce courtier, en vertu de l’article 337 LDPSF, de transmettre au syndic tout document ou renseignement qu’il requiert sur les activités d’un RCEC.

[167] D’autre part, le texte même de l’article 340, occulté de contexte, n’apparait viser que les documents se rapportant aux activités de l’une des quatre entités spécifiquement nommées à l’article, ce qui exclurait les documents et renseignements afférents aux activités de la Banque et de ses clients.

[168] Cependant, quatre facteurs, importants, font accroc à une interprétation aussi stricte de l’article.

[169] D’abord, le mandat de la Syndique. Ses pouvoirs ne sauraient être analysés en faisant abstraction du fait que la CSF a pour mission d’assurer la protection du public101 et qu’elle nomme un syndic102 chargé de faire enquête en cas d’allégation d’infraction à la LDPSF103 en vue d’un éventuel dépôt de plainte devant un comité de discipline104.

[170] Deuxièmement, comme le reconnaissent d’ailleurs les défenderesses, le pouvoir de la Syndique d’enquêter sur l’intégrité, l’honneur et la dignité des RCEC ne saurait se limiter à leurs activités de courtier. La Cour d’appel105 a d’ailleurs déjà rappelé que l’on ne peut « sectoriser » ou découper la probité selon les disciplines :

[14] […] le manque de probité dont un individu fait preuve en enfreignant, comme en l'espèce, la Loi sur les valeurs mobilières se répercute nécessairement sur sa capacité à exercer ses fonctions de représentant en assurance, les mêmes qualités d'honnêteté, de loyauté, de professionnalisme et de compétence étant requises pour toutes les activités rattachées à la distribution des produits ou services financiers.

[171] Les défenderesses plaident que l’AMF, et non la CSF, a les pouvoirs d’enquête nécessaires pour exiger les renseignements et les documents requis en l’instance et que c’est elle qui s’acquitte de l’obligation de protéger le public.

101 LDPSF, art. 312. 102 Idem, art. 327. 103 Idem, art. 329. 104 Idem, art. 349. 105 Mastrocola c. Autorité des marchés financiers, 2011 QCCA 995.

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500-17-069553-116 PAGE : 34 [172] Il est vrai que l’AMF peut, de sa propre initiative ou sur demande, faire enquête s’il elle a des motifs raisonnables de croire à un manquement de certaines lois dont la LDPSF106.

[173] Cependant, adopter l’interprétation suggérée par les défenderesses équivaudrait à amputer le pouvoir de la Syndique d’enquêter en « sectorisant » la probité selon le champ d’activité du courtier. Cela priverait la loi de son effet, au détriment des personnes qui doivent être protégées.

[174] Troisièmement, le législateur a permis, exceptionnellement, aux RCEC d’exercer leurs activités à ce titre dans une place d’affaires au Québec d’une institution financière et d’être à l’emploi de cette institution107. Sans que ce facteur ne soit à lui seul déterminant, le Tribunal y voit l’expression par le législateur d’une acceptation d’une certaine intégration des activités des RCEC visés avec les activités « bancaires » qu’ils exercent comme employés de l’institution financière. L’exception de l’article 149, dernier alinéa LVM, ne change bien sûr rien au cadre législatif et règlementaire applicable aux RCEC; cependant, cette exception ne saurait certainement pas avoir comme conséquence de créer un cloisonnement entre les activités de courtage et les activités bancaires qui priverait la Syndique d’enquêter sur l’ensemble des activités des RCEC.

[175] La question se pose en effet : les pouvoirs du syndic nommé en vertu de la LDPSF sont-ils restreints du fait que les RCEC visés par une enquête sont employés d’une institution bancaire plutôt que d’un courtier? Manifestement, telle n’était pas la conséquence visée par le législateur en prévoyant l’exception de l’article 149 LVM.

[176] Se rattache à ce troisième facteur le libellé du dernier alinéa de l’article 340 LDPSF, qui interpelle. S’Il est vrai qu’on y lit « la garde, la possession ou le contrôle de ces livres, registres, etc…», ce qui réfère aux items du paragraphe 2 de l’article, l’obligation de fournir ces documents est imposée à « toute personne », sans préciser de lien avec les quatre entités visées au paragraphe 1. Le législateur aurait fort bien pu intégrer le dernier alinéa de l’article au paragraphe 3 de façon à ce qu’il se lise « exiger de toute personne qui a la garde, la possession ou le contrôle …» de donner accès aux documents relatifs aux activités. Or, il a choisi de réserver un paragraphe distinct à l’obligation imposée à « toute personne ». Cette rédaction de l’article est l’expression d’une volonté de ratisser, volontiers, large. Cette volonté s’arrime à l’intention du législateur de permettre l’exception de l’article 149 LVM.

[177] Quatrièmement, s’il est vrai que la Syndique n’est pas syndic au sens du Code des Professions et qu’une distinction s’applique avec le syndic d’une corporation professionnelle, (comme le syndic de l’arrêt Pharmascience), reste que le législateur a,

106 Loi sur l’AMF, art. 12, 7 et Annexe 1. 107 LVM, art. 149.

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500-17-069553-116 PAGE : 35 par la LDPSF, voulu doter le syndic nommé en vertu de cette loi des pouvoirs requis pour assurer sa mission de protéger le public.

[178] Il serait insensé, voire absurde, que le législateur ait prévu que le syndic nommé en vertu de la LDPSF puisse jouer son rôle de dénonciateur sans l’avoir pourvu des moyens d’enquêter et d’obtenir les informations pertinentes pour décider s’il y a lieu ou non de porter plainte. L’argument des défenderesses voulant qu’il soit suffisant pour la Syndique en l’instance de se fier sur les informations, et les seules informations, colligées à la BDNI pour décider ou non de porter plainte est réducteur. Il vide de son contenu le rôle d’enquêteur de la Syndique. Le Tribunal n’adhère pas plus à l’argument des défenderesses voulant que les documents requis par la Syndique puissent de toute façon être obtenus par le seul pouvoir de contrainte des tiers qu’elles reconnaissent au syndic, soit celui du comité de discipline108. Ce pouvoir de contrainte s’exerce lors de l’instruction de la plainte; il ne saurait servir au syndic pour déterminer s’il y a lieu d’en déposer une!!!

[179] Vu ce contexte général, le Tribunal conclut que les pouvoirs que lui confère la LDPSF permettent à la Syndique d’exiger la production des documents et renseignements visés dans les dossiers à l’origine du recours. Le pouvoir d’enquête ne doit pas être vide de sens et le rôle de protection du public assumé par la Syndique inclut le droit d’exiger de la Banque les documents qui lui permettront d’accomplir sa mission.

[180] Cette conclusion ne tranche pas complètement la question de l’apparence de droit de la Syndique car la Banque soutient qu’elle ne peut transmettre l’information requise sans enfreindre ses obligations de conserver la confidentialité des informations de ses clients.

ii) Les obligations de protection des renseignements personnels applicables à la Banque lui interdisent-elles de communiquer à la Syndique, sans le consentement des personnes concernées, les renseignements qu’elle détient au sujet de ses employés et clients?

[181] La Banque soutient que l’article 7 de Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques ( « LPRDE » )109 l’empêche de communiquer les renseignements personnels d’individus qui sont clients de la Banque à qui que ce soit, sauf exception qui ne trouve application en l’instance.

[182] La LPRDE vise à fixer des règles régissant, notamment, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tienne compte du droit des individus à la vie privée à l’égard de leurs renseignements personnels et du

108 Art. 376 LDPSF et 146 Code des professions. 109 L.C. 2000 c. 5.

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500-17-069553-116 PAGE : 36 besoin des organisations de les recueillir, utiliser et communiquer à des fins acceptables110.

[183] Le renseignement personnel est tout renseignement concernant un individu identifiable111.

[184] Le champ d’application de la LRPDE vise donc les renseignements personnels qu’une banque recueille, utilise ou communique112. Cette loi l’oblige à se conformer à certaines obligations113, mentionnées à l’Annexe 1, qui constitue, en fait, un énoncé de principes. Un de ces grands principes est le consentement114 de l’intéressé, dont la forme et les modalités sont aussi prévues à l’Annexe 1.

[185] Ce principe du consentement souffre certaines exceptions quant à la collecte115, l’utilisation116 ou la communication117 de renseignements personnels.

[186] L’exception relative à la communication, qui est pertinente en l’instance, est formulée ainsi :

7 (3) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :

a) la communication est faite à un avocat — dans la province de Québec, à un avocat ou à un notaire — qui représente l’organisation;

b) elle est faite en vue du recouvrement d’une créance que celle-ci a contre l’intéressé;

c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal,

d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents;

c.1) elle est faite à une institution gouvernementale — ou à une subdivision d’une telle institution — qui a demandé à obtenir le renseignement en mentionnant la source de l’autorité légitime étayant son droit de l’obtenir et le fait, selon le cas :

(i) qu’elle soupçonne que le renseignement est afférent à la sécurité nationale, à la défense du Canada ou à la conduite des affaires internationales,

110 LPRDE, art. 3. 111 Idem, art. 2. 112 Idem, art. 4(b) et 2. 113 Idem, art. 5. 114 Idem, annexe 1, art. 4.3. 115 Idem, art. 7(1). 116 Idem, art. 7(2). 117 Idem, art. 7(3).

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500-17-069553-116 PAGE : 37

(ii) que la communication est demandée aux fins du contrôle d’application du droit canadien, provincial ou étranger, de la tenue d’enquêtes liées à ce contrôle d’application ou de la collecte de renseignements en matière de sécurité en vue de ce contrôle d’application,

(iii) qu’elle est demandée pour l’application du droit canadien ou provincial;

d) elle est faite, à l’initiative de l’organisation, à un organisme d’enquête, une institution gouvernementale ou une subdivision d’une telle institution et l’organisation, selon le cas, a des motifs raisonnables de croire que le renseignement est afférent à la violation d’un accord ou à une contravention au droit fédéral, provincial ou étranger qui a été commise ou est en train ou sur le point de l’être ou soupçonne que le renseignement est afférent à la sécurité nationale, à la défense du Canada ou à la conduite des affaires internationales;

e) elle est faite à toute personne qui a besoin du renseignement en raison d’une situation d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de toute personne et, dans le cas où la personne visée par le renseignement est vivante, l’organisation en informe par écrit et sans délai cette dernière;

f) elle est faite à des fins statistiques ou à des fins d’étude ou de recherche érudites, ces fins ne peuvent être réalisées sans que le renseignement soit communiqué, le consentement est pratiquement impossible à obtenir et l’organisation informe le commissaire de la communication avant de la faire;

g) elle est faite à une institution dont les attributions comprennent la conservation de documents ayant une importance historique ou archivistique, en vue d’une telle conservation;

h) elle est faite cent ans ou plus après la constitution du document contenant le renseignement ou, en cas de décès de l’intéressé, vingt ans ou plus après le décès, dans la limite de cent ans;

h.1) il s’agit d’un renseignement réglementaire auquel le public a accès;

h.2) elle est faite par un organisme d’enquête et est raisonnable à des fins liées à une enquête sur la violation d’un accord ou la contravention du droit fédéral ou provincial;

i) elle est exigée par la loi.

[187] La LRPDE prévoit que le gouverneur en conseil peut, par règlement, préciser la sphère de certaines applications de la loi :

26. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

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a) préciser, pour l’application de toute disposition de la présente partie, les institutions gouvernementales et les subdivisions d’institutions gouvernementales, à titre particulier ou par catégorie;

a.01) préciser, pour l’application des alinéas 7(3)d) ou h.2), les organismes d’enquête, à titre particulier ou par catégorie;

a.1) préciser tout renseignement ou toute catégorie de renseignements pour l’application des alinéas 7(1)d), (2)c.1) ou (3)h.1);

b) prendre toute mesure d’application de la présente partie.

(2) Il peut par décret :

a) prévoir que la présente partie lie tout mandataire de Sa Majesté du chef du Canada qui n’est pas assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels;

b) s’il est convaincu qu’une loi provinciale essentiellement similaire à la présente partie s’applique à une organisation — ou catégorie d’organisations — ou à une activité — ou catégorie d’activités — , exclure l’organisation, l’activité ou la catégorie de l’application de la présente partie à l’égard de la collecte, de l’utilisation ou de la communication de renseignements personnels qui s’effectue à l’intérieur de la province en cause.

[188] Il ressort donc que la Banque ne peut divulguer d’informations sur ses clients qu’avec leur consentement ou si l’une des exceptions de l’article 7(3) le lui permet.

[189] Elle soutient qu’aucune ne s’applique.

[190] En effet, elle plaide que les renseignements recherchés par la Syndique concernent des clients de la Banque qui sont des personnes physiques et par conséquent ne peuvent être divulgués que lorsque :

- la Banque détient le consentement des personnes concernées118;

- la divulgation est requise en vertu de l’exercice d’un pouvoir de contraindre119;

- la divulgation est faite à un organisme d’enquête identifié par décret du gouverneur en conseil120;

- la communication est faite en vertu d’autres exceptions non applicables et énumérées à l’article 7(3) LPRDE.

118 Idem, art. 7. 119 Idem, art. 3(3)(c). 120 Idem, art. 7(3)(d), 7(3)(h.2) et 26.

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500-17-069553-116 PAGE : 39 [191] La Banque ajoute que la CSF n’est pas une « institution gouvernementale » au sens de l’article 7(3)c.1) de cette loi. Elle conclut donc qu’elle ne peut divulguer les informations demandées par la Syndique.

[192] Le Tribunal ne souscrit pas à la position de la Banque.

[193] Tout d’abord, rappelons, d’entrée de jeu, que si les renseignements requis par la Syndique étaient en possession de Placements, ils auraient été communiqués à la Syndique. Le problème découle du fait qu’ils seraient en possession de la Banque et traiteraient d’activités dites bancaires.

[194] Or, premièrement, le client donne à la Banque son consentement, tacite, à l’utilisation des renseignements personnels dans certaines circonstances. La Politique de la Banque CIBC sur la protection des renseignements personnels121 prévoit, au titre « Utilisation et communication des renseignements », ce qui suit :

Nous utilisons et communiquons vos renseignements personnels aux fins énumérées ci-dessous.

[…]

Pour gérer nos activités :

- exécuter nos activités et opérations courantes, dont la tenue de dossier et l’établissement de rapports internes (par exemple, si vous avez fourni votre NAS, il peut servir de numéro d’identification interne pour vous identifier correctement par rapport à d’autres clients portant le même nom ou un nom similaire);

- comprendre et mieux gérer les activités du Groupe CIBC et concevoir des produits et des services, entre autres en menant des études de marché ou en analysant les données que nous possédons sur vous;

- administrer les ententes de recommandations;

- avoir recours à des tiers fournisseurs de services pour assurer des services pour notre compte;

- mettre à jour périodiquement vos renseignements auprès des agences d’évaluation du crédit pendant que vous détenez un produit ou un service à la Banque CIBC et pendant une période raisonnable par la suite;

- gérer les risques de crédit, d’affaires et autres du Groupe CIBC comme peut l’exiger l’exploitation efficace, efficiente et prudente sur le plan financier d’une institution financière;

- respecter nos obligations fiscales ou juridiques et réglementaires;

- vous protéger et nous protéger nous-mêmes contre les erreurs et les activités criminelles, notamment au moyen de la prévention, de la détection et des enquêtes relatives à la fraude, au blanchiment d’argent,

121 P-74.

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aux cybermenaces et aux autres risques et menaces de ce genre (par exemple, nos examens et nos analyses de vos demandes, de vos opérations et d’autres renseignements nous aident à identifier divers types de menaces et de risques liés notamment au crédit, à la fraude et au blanchiment d’argent).

[soulignement ajouté]

[195] Un peu plus loin à ce chapitre, cette même politique prévoit ce qui suit :

[…]

Notre protection : Nous communiquons des renseignements pour protéger nos droits et nos intérêts. Par exemple, si nous sommes appelés à participer à des procédures judiciaires, administratives ou réglementaires ou à d’autres instances similaires, notamment pour faire valoir nos droits (par exemple, pour le recouvrement d’une créance). De même, nous communiquons des renseignements pour respecter nos obligations juridiques et réglementaires, notamment si nous recevons une assignation, un mandat ou tout autre type de demandes ou d’ordres administratifs ou judiciaires.

[soulignement ajouté]

[196] Le Code of Conduct122 de la Banque, qui s’applique aux employés de la Banque et de ses filiales, prévoit que ces derniers doivent protéger les renseignements personnels des clients. Il prévoit notamment ce qui suit :

6.1 Protecting Confidentiality and Privacy

[…]

We will access and use this information only for the purposes intended, as directed by our manager or business unit procedures. We will share it only with those who have a need to know, consistent with thoses purposes. [soulignement ajouté]

[197] Le même document prévoit, au chapitre « Cooperating with Internal and Regulatory Investigations », ce qui suit :

We will cooperate unconditionally with any CIBC department that audits, tests or investigates issues within CIBC.

We will also cooperate with lawful investigations and inquiries from third parties, including regulators, enforcement agencies, or parties involved in litigation. If we receive any kind of demand or request for information form a third party, we must contact the appropriate CIBC department as follows :

for seach warrants in Canada, contact Corporate Security immediately, and in all other jurisdictions, contact the Legal Department;

122 P-60, p. 21.

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for regulatory requests or notices of investigation, contact the Legal Department or Compliance Department (Code of Conduct, Mailbox) immediately;

[soulignement ajouté]

[…]

[198] Le Tribunal ne conclut pas de ces documents que les clients de la Banque consentent sans restriction à la communication de leurs renseignements personnels. Il retient cependant que des circonstances existent, notamment en matière de détection et enquête relatives à la fraude, pour lesquelles les clients s’attendent à ce que leurs renseignements personnels puissent être divulgués.

[199] Deuxièmement, le Tribunal aborde spécifiquement l’article 7(c) de la LPRDE.

[200] Le Tribunal estime que les lettres de la Syndique à Placements et à la Banque dans le cadre de son enquête sont de la nature d’une ordonnance. L’article 340 de la LDPSF prévoit que l’enquêteur peut exiger tout document; l’article 343 prévoit que les documents doivent être fournis; l’article 468 prévoit une infraction pénale pour quiconque ne fournit pas un document exigé par cette loi. Il y a donc un pouvoir de contrainte qui accompagne la demande de l’enquêteur. Les demandes de la Syndique sont de la nature d’ordonnances.

[201] L’article 7(3)c.i)ii) est aussi applicable. La CSF se qualifie en effet comme institution gouvernementale.

[202] La notion d’institution gouvernementale n’est pas définie par la LDPSF. Il faut donc se rapporter au sens général des mots. Or, la CSF n’est pas un organisme privé; elle est instituée par la LDPSF123. Elle est soumise à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels124; le législateur la considère donc comme un organisme public.

[203] La CSF exerce une mission étatique, d’intérêt public, qui lui est conférée par la loi. Raymonde Crête125 assimile les Chambres, dont la CSF, à des organismes similaires aux ordres professionnels :

[…]

Bien qu’ils ne soient pas assujettis au Code des professions, l’encadrement juridique des prestataires de services de placement s’apparente à celui prévu pour les professionnels reconnus en vertu de ce Code. Ces intermédiaires sont régis à la fois par les lois d’application générale de même que par la législation financière particulière, comme la Loi sur les valeurs mobilières, la Loi sur la

123 Art. 284. 124 Art. 286. 125 Précité, note 45, p. 272-273.

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distribution de produits et services financiers, et par les règles adoptées par les organismes d’autoréglementation, comme la CSF et l’OCRCVM. Cet environnement juridique prévoit des conditions d’accès à l’industrie, des normes de conduite ainsi que des mécanismes de surveillance et de contrôle.

Par ailleurs, comme nous l’avons déjà souligné à quelques reprises dans ce texte, la réglementation financière applicable aux prestataires de services de placement a une portée plus large que celle visant les membres des ordres professionnels reconnus en vertu du Code des professions. Cette portée plus vaste apparaît dans les dimensions à la fois institutionnelle et individuelle de la réglementation financière, laquelle couvre tant les entreprises de services de placement que les représentants qui agissent pour le compte de celles-ci de même que les personnes physiques agissant de manière autonome. Par l’intégration des aspects de nature institutionnelle, la réglementation financière se distingue de façon importante de la réglementation professionnelle classique dont la portée se limite à un encadrement de nature individuelle visant uniquement les personnes physiques exerçant une profession reconnue.

[204] La mission de la CSF, comme celle des ordres professionnels, est une mission étatique126 :

Personne n’ose plus contester aujourd’hui que la loi confie aux ordres professionnels une véritable mission de service public. Ce sont des personnes morales publiques créées par une loi spéciale ou en vertu d’une loi générale régies par le droit public, dont la fonction est de régir la profession pour le compte de l’État, c’est-à-dire de la collectivité, dans l’intérêt général.

Ces ordres sont régis par le droit public : c’est ainsi que l’inscription du tableau de l’ordre est obligatoire et soumise à un encadrement juridique précis. Ceux-ci possèdent un véritable pouvoir de taxation et celui d’imposer des pénalités sanctionnées par les tribunaux; ils possèdent le pouvoir de faire des règlements qui ont force de loi, qui sont pour la plupart soumis au contrôle gouvernemental et qui affectent non seulement les professionnels mais aussi le public; leurs registres, règlements, archives et documents sont considérés comme des actes authentiques, comme ceux des corporations publiques. Ils constituent enfin des juridictions disciplinaires considérées comme des tribunaux statutaires.

[205] Les défenderesses opposent à la Syndique que la CSF n’a pas demandé d’être reconnue, au sens de l’article 26 de la LPRDE, comme institution gouvernementale.

[206] Elle n’a pas à le faire. Il est optionnel de faire cette demande.

[207] L’exception de l’article 7(3)c.i)iii) s’applique aussi. La communication par la Syndique est demandée pour l’application du droit provincial, soit la LDPSF et le Règlement sur la déontologie dans les disciplines des valeurs mobilières127.

126 Patrice GARRANT, Droit administratif, 6e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 119. 127 Précité, note 48, art. 2, 6 à 11, 13, 14, 16 et 17.

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500-17-069553-116 PAGE : 43 [208] Enfin, l’exception de l’article 7(3)i) s’applique également. L’information requise par la Syndique en vertu de l’article 340 satisfait cette condition.

[209] Le Tribunal ne peut donc trouver d’assise dans la LPRDE qui empêche la Banque de communiquer à la Syndique les documents qu’elle a requis dans le cadre de son enquête.

iii) La Syndique a-t-elle droit à l’injonction?

[210] Les défenderesses plaident que le recours dont dispose le syndic à qui l’on refuse d’obtempérer à une demande valablement fournie aux termes de l’article 340 LDPSF est le dépôt d’une plainte pour entrave128 aux fonctions du syndic plutôt que l’injonction. Elles plaident que le recours à l’injonction est approprié non pas au stade de l’enquête mais lorsqu’une partie refuse de se plier de façon répétée à une disposition déontologique dont la contravention systématique met en danger le public.

[211] Elles plaident aussi, et à nouveau, que c’est plutôt l’AMF et non la Syndique qui a le pouvoir de demander une injonction129 et que c’est comme autorité publique investie du pouvoir de protéger l’intérêt public que cette dernière possède cet intérêt130.

[212] Le Tribunal ne souscrit pas à ces arguments.

[213] D’abord, quant à ce dernier argument, la CSF est elle aussi investie de la mission d’assurer la protection du public131.

[214] Le pouvoir spécifiquement reconnu à l’AMF de s’adresser aux tribunaux pour demander une injonction ne saurait priver la Syndique de son droit d’intenter elle-même une procédure d’injonction si les conditions d’exercice du recours sont satisfaites. Or, dans le contexte révélé par la preuve, elles le sont.

[215] La Syndique a l’intérêt et la capacité juridique pour défendre en justice les principes évoqués à sa requête.

[216] Le Tribunal rejette aussi l’argument de la nécessité pour la Syndique d’intenter au préalable des plaintes d’entrave.

[217] D’une part, la plainte d’entrave n’est pas un passage obligé132. Il est manifeste, vu le nombre de demandes faites par la Syndique et la nature des réponses des défenderesses, que les parties ont bien campé leurs positions quant aux pouvoirs de la Syndique, que ces positions sont sérieuses et qu’elles seraient invoquées à nouveau dans le cadre de procédures pour entrave.

128 Art. 342 LDPSF. 129 Art. 229 LDPSF. 130 Art. 184 LDPSF. 131 Art. 312 LDPSF. 132 Pharmascience, précité, note 28, par. 57.

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500-17-069553-116 PAGE : 44 [218] Le recours à des plaintes d’entrave serait inutile.

[219] D’autre part, la théorie dite de l’épuisement des recours n’est pas en soi un critère additionnel à l’octroi à l’autorité publique d’une injonction mais participe plutôt de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans l’application des critères usuels en matière d’injonction : l’apparence de droit, le préjudice irréparable et la balance des inconvénients133.

[220] Le Tribunal aborde maintenant ces critères.

[221] Quant à l’apparence de droit, elle découle de l’analyse que fait le Tribunal des pouvoirs et du droit de la Syndique d’obtenir de la Banque les informations et documents qu’elle a requis.

[222] Quant au préjudice sérieux, il est manifeste. Les enquêtes de la Syndique sont paralysées; en date de l’audience, 33 dossiers, dont ceux qui sont en litige, étaient suspendus et d’autres qui pourraient soulever les mêmes enjeux le seront. La mission d’intérêt public confiée à la Syndique, dont celle de s’assurer de la probité des RCEC qui transigent avec les citoyens, ne peut donc être remplie.

[223] Enfin, la balance des inconvénients favorise la Syndique, notamment à cause des enjeux d’intérêt public qui découlent de son mandat.

[224] Par ailleurs, le Tribunal n’accueillera pas la demande de la Syndique qui, pour la majorité des dossiers visés, exige « tout autre document ou renseignement susceptible d’être utilisé à l’enquête » . Cette demande est trop vague et, de toute façon, non susceptible d’être sanctionnée par un outrage au tribunal.

[225] Les défenderesses insistent pour que, si la demande d’injonction est accueillie, les informations et documents recueillis par la Syndique demeurent confidentiels.

[226] La LDPSF134 prévoit que l’article 124 du Code des professions s’applique aux membres et aux secrétaires des comités de discipline de même qu’aux syndics, aux adjoints des syndics et aux membres de leur personnel.

[227] L’article 124 se lit comme suit :

Les membres et le secrétaire du conseil de discipline, un syndic, un expert qu'il s'adjoint ainsi qu'une autre personne qui l'assiste en vertu de l'article 121.2 et les membres du comité de révision doivent prêter le serment contenu à l'annexe II. Le serment ne peut cependant être interprété comme interdisant l'échange de renseignements ou de documents utiles au sein de l'ordre, pour les fins de protection du public.

133 Paul-Arthur GENDREAU, France THIBEAULT, Denis FERLAND, Bernard CLICHE et Martine GRAVEL, L’injonction, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1998, p. 183. 134 Article 366.1.

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500-17-069553-116 PAGE : 45 [228] Le serment de l’annexe II est un serment de discrétion. Il se lit comme suit :

SERMENT DE DISCRÉTION.

Je, A.B. déclare sous serment que je ne révélerai et ne ferai connaître, sans y être autorisé par la loi, quoi que ce soit dont j’aurai eu connaissance dans l’exercice de ma charge.

[229] Le Tribunal n’a pas à ordonner ce que la loi prévoit. Il souligne cependant l’importance de l’impératif de confidentialité dans le contexte suivant.

[230] En cours d’audience, deux articles du 14 mai 2012 publiés dans Finance et investissement et Les affaires.com135 ont été produits, qui réfèrent à une lettre de Me Dominic Paradis de la Banque nationale à la CSF136, avec copie à la Syndique. Comme Me Paradis n’a jamais divulgué ou permis que ne soit divulguée cette lettre, qui explique la position des banques dans son contentieux avec la CSF, il n’en fallait pas davantage pour que les défenderesses insinuent que la fuite de la lettre était imputable à la CSF.

[231] Le Tribunal n’a pas, pour les fins de ce litige, à tirer de conclusion sur cette question. L’épisode est quand même un rappel à tous de leur devoir.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[232] ACCUEILLE la requête introductive d’instance en injonction permanente;

[233] ORDONNE aux défenderesses de communiquer à la demanderesse les documents et renseignements relatifs aux évènements qui ont mené aux congédiements de J.F.M.T., A.D., M.G., R.C., R.G., A.A., L.L. et J.B., à savoir :

1. Dans le dossier concernant J.F.M.T. et portant le numéro 2010-0003 :

a) Le nom et les coordonnées de tout client visé par les agissements de J.F.M.T.;

b) Une copie recto-verso de tous les chèques ou effets de commerce provenant de clients que J.F.M.T. a déposés dans un compte à son nom;

c) La nature des comptes de J.F.M.T. dans lesquels les chèques ou effets de commerce provenant de clients auraient été déposés et la liste des signataires autorisés au moment des dépôts ainsi qu’une copie de tous les relevés bancaires mensuels de ces comptes pour chacun des mois où il y a eu des dépôts de chèques ou d’effets de commerce provenant de clients;

135 D-3 a) et b). 136 D-32.

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d) La preuve que des remboursements ont été faits aux clients, incluant l’identité du payeur, le montant et la date du remboursement, le cas échéant;

e) Une copie de toutes les déclarations écrites ou verbales que J.F.M.T. aurait faites en rapport avec les évènements qui ont mené à son congédiement;

f) Une copie du rapport d’enquête relatif aux évènements qui ont mené au congédiement de J.F.M.T.;

2. Dans le dossier concernant A.D. et portant le numéro 2010-0008 :

a) Le nom et les coordonnées de tous les clients visés par les agissements de A.D.;

b) Tous les documents qui démontrent que A.D. a inscrit des informations fausses ou trompeuses dans le but de faire approuver des prêts;

c) Tous les documents liés à la transaction personnelle effectuée par A.D.;

d) Tous les documents liés à la demande d’un client de fermer son compte de fonds mutuels qui n’a pas été traitée par A.D., incluant la demande écrite du client et les notes de A.D., le cas échéant;

e) La preuve que A.D. a bénéficié d’un avantage pécuniaire ou d’autres avantages à la suite de ces agissements;

f) Le nom et les coordonnées de tous les autres employés impliqués dans les transactions;

g) Une copie de toutes les déclarations écrites ou verbales que A.D. aurait faites en rapport avec les évènements qui ont mené à son congédiement;

h) Une copie du rapport d’enquête relatif aux évènements qui ont mené au congédiement de A.D.;

3. Dans le dossier concernant M.G. et portant le numéro 2010-0059 :

a) Le nom et les coordonnées du client visé par ces agissements de M.G.;

b) Tous les documents liés à la demande de prêt pour la consolidation des dettes du client de M.G., incluant le document d’approbation et les conditions demandées au client pour obtenir ce prêt;

c) Une copie des notes de M.G. confirmant que la limite de la carte de crédit du client a été réduite à 2 000 $;

d) Une copie de toutes les déclarations écrites ou verbales que M.G. aurait faites en rapport avec les évènements qui ont mené à son congédiement;

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e) Une copie du rapport d’enquête relatif aux évènements qui ont mené au congédiement de M.G.;

4. Dans le dossier concernant R.C. et portant le numéro 2010-0121 :

a) Tous les documents liés aux prêts pour lesquels il est allégué que le représentant R.C. n’a pas respecté les politiques de crédit afin que ces prêts soient approuvés;

b) Tous les documents liés à l’allégation voulant que R.C. n’a pas tenu ses dossiers en règle;

c) Tous les documents liés à la transaction effectuée par R.C. pour un membre de sa famille;

d) Tous les documents liés à l’allégation voulant que R.C. a agi en dehors de ses fonctions de représentant;

e) Tous les documents liés à l’allégation voulant que R.C. a induit en erreur un client relativement à son pouvoir de signer pour l’ouverture d’un compte;

f) Tous les documents liés à l’allégation que R.C. a procédé à des transactions sans y être autorisé;

g) Tous les documents liés à l’allégation que R.C. a utilisé illégalement ou illégitimement les fonds de la CIBC et tous les documents liés à cette transaction;

h) Le nom et les coordonnées de tous les autres employés impliqués dans les transactions;

i) Une copie de toutes les déclarations écrites ou verbales que R.C. aurait faites en rapport avec les évènements qui ont mené à son congédiement;

j) Une copie du rapport d’enquête relatif aux évènements qui ont mené au congédiement de R.C.;

5. Dans le dossier concernant R.G. et portant le numéro 2010-0578 :

a) La lettre ou le document transmis ou remis à R.G. lui expliquant les motifs de son congédiement;

b) Le nom et les coordonnées de toutes les personnes rencontrées ou contactées dans le cadre de l’enquête qui a mené à son congédiement;

c) Toute la correspondance échangée avec R.G. dans le cadre de cette enquête;

d) Toutes les déclarations écrites que R.G. aurait faites en rapport avec les évènements qui ont mené à son congédiement;

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e) Les notes ou enregistrements d’entrevues ou de conversations téléphoniques avec R.G. qui auraient été recueillis dans le cadre de l’enquête;

f) Les déclarations écrites de toutes les personnes ayant été rencontrées ou contactées dans le cadre de l’enquête;

g) Les notes ou enregistrements d’entrevues ou de conversations téléphoniques avec toutes les personnes ayant été rencontrées ou contactées dans le cadre de l’enquête;

h) Tous les documents liés aux demandes de prêts traitées par R.G. dans lesquelles des documents faux ou frauduleux ont été découverts;

i) Tous les documents liés à la demande de prêt pour laquelle R.G. a modifié à plusieurs reprises la valeur de la propriété du client;

j) Tous les documents démontrant que R.G. a permis que des frais soient remboursés à des clients sans que les procédures de la CIBC soient suivies;

k) Tous les documents démontrant que des transferts de fonds ont été faits dans des comptes clients, à l’insu de ces derniers et sans qu’aucune autorisation n’ait été complétée;

l) Tous les documents démontrant que R.G. a autorisé la libération de fonds qui par la suite ont occasionné des pertes à la CIBC;

m) Le nom et les coordonnées du client ayant versé la somme de 17 235 $ à R.G. ou à sa conjointe;

n) Une copie des chèques totalisant 17 235 $ tirés du compte bancaire de ce client et qui ont été déposés dans le compte bancaire de la conjointe de R.G.;

o) Tous les documents démontrant l’ouverture d’un compte client à l’insu et sans l’autorisation de ce dernier ainsi que le nom et les coordonnées complètes de ce client;

p) Une copie du rapport d’enquête relatif aux évènements qui ont mené au congédiement de R.C.;

6. Dans le dossier concernant A.A. et portant le numéro 2011-0131 :

a) Une copie du rapport d’enquête relatif aux évènements qui ont mené au congédiement de A.A.;

7. Dans le dossier concernant L.L. et portant le numéro 2010-0154 :

a) La preuve documentaire au moyen de laquelle les défenderesses ont conclu qu’il y a eu vol de la part de L.L.;

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b) L’historique des transactions qui ont eu lieu dans la caisse de L.L. entre le 1er août 2010 et le 31 janvier 2011;

c) Une copie des bordereaux qui ont permis les transactions dans la caisse de L.L. et qui ont justifié le congédiement de L.L.;

d) Les dates de chaque incident;

e) L’historique des transactions qui ont eu lieu dans le compte grand-livre (« branch suspense account ») entre le 1er août 2010 et le 31 janvier 2011;

f) Une copie des bordereaux qui ont permis les transactions dans le compte grand-livre et qui ont justifié le congédiement de L.L.;

g) La confirmation que le montant transféré est bel et bien 550$, tel qu’il appert de l’inscription dans la BDNI;

h) Une copie de toutes les déclarations écrites ou verbales que L.L. aurait faites en rapport avec les évènements qui ont mené à son congédiement;

i) Une copie du rapport d’enquête relatif aux évènements qui ont mené au congédiement de L.L.;

8. Dans le dossier concernant C.F. et portant le numéro 2011-0445 :

a) Les faits ayant mené au congédiement de C.F. par la CIBC;

b) Le nom et les coordonnées des clients concernés par les agissements de C.F.;

c) Le nom des clients concernés qui ont été informés par la CIBC ou qui ont été questionnés au sujet des faits ayant mené au congédiement de la représentante;

d) Les dates auxquelles se sont déroulés les événements;

e) Les montants volés;

f) Les noms et les coordonnées des consommateurs qui ont porté plainte contre C.F., le cas échéant;

g) Les préjudices subis par les consommateurs en raison des actes posés par C.F., le cas échéant;

h) Les préjudices subis par la CIBC en raison des actes posés par C.F., le cas échéant;

i) Les dédommagements versés aux consommateurs, le cas échéant;

j) Les procédures judiciaires intentées par les consommateurs, le cas échéant;

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k) Les numéros de compte dans lesquels la représentante aurait volé des sommes;

l) Les numéros de compte démontrant la destination des fonds volés, le cas échéant;

m) La preuve au moyen de laquelle la banque a conclu qu’il y a eu vol de la part de C.F.;

n) L’historique des transactions démontrant le(s) vol(s) commis par C.F.;

o) Une copie des déclarations obtenues des consommateurs concernés, le cas échéant;

p) Une copie de toute déclaration (écrite et/ou enregistrée) que la représentante aurait donnée à la Banque CIBC au sujet de ses agissements;

q) Une copie de votre rapport d’enquête interne, le cas échéant;

r) Une copie des relevés bancaires de tous les comptes touchés par les agissements de la représentante démontrant les vols effectués;

s) Une copie des chèques;

t) Une copie des procédures judiciaires intentées, le cas échéant;

9. Dans le dossier concernant J.B. et portant le numéro 2012-0070 :

a) Les faits ayant mené au congédiement de J.B.;

b) Les dates des évènements reprochés;

c) Les montants en litige;

d) Les préjudices subis par la CIBC ou par Placements CIBC en raison des actes posés par J.B.;

e) Le titre du poste de J.B.;

f) Les noms des employeurs de J.B. au moment des évènements reprochés;

g) Une copie de toute la preuve documentaire au moyen de laquelle les défenderesses ont conclu qu’il y avait eu cavalerie de chèques;

h) Une copie de toute déclaration que J.B. aurait donnée à la CIBC ou à Placements CIBC;

i) Une copie des chèques et un historique des transactions effectuées par J.B. au moment des infractions alléguées;

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500-17-069553-116 PAGE : 51 [234] LE TOUT avec dépens.

__________________________________ LOUIS LACOURSIÈRE, J.C.S.

Me Raymond Doray Me Loïc Berdnikoff LAVERY DE BILLY Procureurs de la demanderesse Me Christine A Carron NORTON ROSE FULBRIGHT Procureurs des défenderesses Dates d’audition : Les 24, 25, 26, 27 et 28 novembre 2014 Pris en délibéré : Le 12 décembre 2014