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COURS DE PHILOSOPHIE Pour toutes les sections de l’enseignement secondaire Albert MENDIRI

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COURS DE PHILOSOPHIE

Pour toutes les sections de lenseignement secondaire

Albert MENDIRI

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COURS DE PHILOSOPHIE

Pour toutes les sections de lenseignement secondaire

Albert MENDIRI

Professeur agrg de philosophie

a

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AVANT-PROPOS

Ce cours de philosophie est destin tous les lycens de classes terminales, quelle que soit leur section, L, ES, S, sections technologiques. Il et t plus opportun ou tout le moins plus adapt de prvoir un cours spcifique pour chacune de ces sections. Mais ignorant laccueil qui serait rserv ce genre de production solitaire, non sollicit par une maison ddition et dont le mode dexposition ne rpondait gure aux normes habituelles de ce type douvrage depuis quelques dcennies, lentreprise aurait t trop risque.

En effet, la quasi totalit des manuels de philosophie se prsente davantage comme des

recueils de textes choisis que comme des cours en bonne et due forme. Certes, ils contiennent presque tous des introductions plus ou moins toffes pour chacun de leurs chapitres, ces dernires se voyant ingalement accessibles la moyenne des lves des classes concernes. Mais les textes illustrant ces introductions ne sont pas intgrs aux cours eux-mmes, mme si la plupart du temps ils y renvoient, et sont rarement accompagns par des commentaires suffisamment clairants. Notre exprience de lenseignement nous a confirm que ces manuels pouvaient tre, au mieux, de bons outils de travail en classe mais quils ne remplissaient aucunement la fonction dun vritable manuel, savoir la possibilit dtre un recours pour le lycen ayant mal compris un cours ou bien pour des familles dsirant apporter une aide leurs enfants.

Or, cette fonction du manuel, oublie aujourdhui dans le cadre de ldition habituelle,

influence en cela par les modes pdagogiques officielles et dominantes, nous semble capitale dun point de vue dmocratique. Nous rpondons ce titre aux proccupations vigoureusement proclames par Condorcet en son temps. Car la vritable cole prive nest pas linstitution officielle laquelle on prte cette appellation, mais les cours individuels, privs, rmunrs, gnralement rservs ce titre aux familles les plus aises, de surcrot souvent de manire non dclare au fisc, ce qui ne fait dailleurs quen aggraver le caractre anti-dmocratique.

Tel est le premier objectif de cet ouvrage. Cest assurment le plus noble et le plus urgent.

De manire plus immodeste, nous pensons quil peut tre, avant quils ne tracent leurs propres sillons, une bonne base de travail ou une source de repres utiles pour de jeunes collgues, riches de leur culture universitaire, mais pauvres de leur indigence en termes de formation pdagogique et ignorant par l mme le niveau exigible auprs dun jeune public.

Certes, ce cours ne se prsente pas comme un paradigme et encore moins comme une

norme destine tre suivie aveuglment. Tous les enseignants savent, et ceci, sans doute, plus particulirement lorsquil sagit de philosophie, combien un cours quelconque revt un caractre personnel, porte la marque de prfrences, de conceptions, de choix minemment subjectifs. Qui ne voit combien cest ici le cas concernant les regroupements des thmes oprs, leur enchanement, le dtail des questions abordes pour chacun deux, le choix des propositions de sujets, les conseils mthodologiques ou bibliographiques ainsi que la dmarche adopte ?

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Ajoutons qu limage de la plupart des enseignants, son auteur na eu de cesse de remanier chaque anne les cours proposs tout au long de sa longue carrire. Ce cours nest donc quun des derniers avatars de tous ces remaniements successifs. Il et t publi il y a quelques annes ou dans un futur proche, son contenu et t diffrent, non pas dans son armature gnrale mais dans de multiples dtails qui, regroups, lui donneraient une tonalit diffrente. A cet gard, il est possible de faire un rapprochement entre la cration dune uvre dart et llaboration dun cours de philosophie. Tous deux sont des crations uniques, dun auteur unique, ralis dans des circonstances uniques. Mme si leur ralisation respective est sous-tendue par la rflexion la plus rigoureuse, luvre acheve porte la marque de ces multiples singularits contingentes.

Mais au-del de cet aspect vivant et donc volutif que peut revtir un cours, demeure

cependant une certaine disposition desprit qui en guide les changements effectus ou seulement potentiels. Nombre de puristes souligneront le caractre excessivement simplifi de telle ou telle analyse, de telle ou telle dfinition, de telle ou telle grande conception dauteur, sans compter les quelques remarques particulirement brves concernant lhistoire de la pense philosophique. Il sagit l de choix dlibrs et revendiqus comme tels. Nous nous sommes toujours refuss pratiquer un enseignement litiste, centr sur les exigences les plus leves de la discipline enseigne, sacrifiant sur lautel de ce rigorisme intellectuel les auditoires auxquels ce discours se voit adress.

Ce cours propos na de sens et dintrt, en tant quexemple dune dmarche possible, un

peu limage de la morale provisoire de Descartes, qui se prsentait modestement comme une philosophie provisoire de vie trs personnelle, que si nous conservons en tte les objectifs qui ont guid sa conception : en premier lieu, il sagit de susciter lintrt ou de rveiller la capacit dtonnement de jeunes esprits pour des questions quils nont jamais eu loccasion daborder, tout au moins en ces termes ; en second lieu et par corollaire en quelque sorte, dvelopper par ce moyen leur esprit critique ; enfin, de manire plus prosaque clturer le programme qui nous est propos.

Lensemble de ces exigences claire notre manire de prsenter ce cours, ses dimensions et

son contenu. Les textes choisis afin dillustrer ou de prolonger le propos sont intgrs au sein mme de nos analyses, sont constitutifs part entire de ce dernier. Lattention du lecteur concernant nos commentaires ou les textes qui les accompagnent est sollicite par le soulignement des passages importants, des expressions cls, permettant ainsi une ventuelle lecture en diagonale ou favorisant des recherches rapides dinformation.

Ce cours tant destin lensemble des sections de lenseignement secondaire, nous nous

sommes permis dindiquer, en exergue des sous-titres, ce qui, nos yeux et au regard des instructions officielles nous semblait plus particulirement correspondre au programme de telle ou telle section. Bien entendu, et au risque de surprendre certains confrres philosophes, ce contenu mrite dtre allg au niveau des notes effectivement conserves par les auditoires. Le temps allou pour le traitement du programme officiel et qui, rappelons-le, doit intgrer en sus de lanalyse de ses notions, ltude, si possible non bcle puisque destine en premier lieu aux lves le plus en difficult, dextraits de texte en vue de lventuel second groupe dpreuves du baccalaurat, sans compter le temps consacr aux questions mthodologiques, aux corrigs de devoirs ou mme le temps dvolu la rdaction de certains dentre eux en classe, doit prendre en compte tous ces impratifs, rduisant dautant les ambitions concernant ltendue du contenu culturel quil est raisonnablement possible de transmettre.

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Les documents regroups en annexe du cours ont pour fonction dinformer les lycens sur le contenu officiel de leur programme, de leurs conseiller quelques brves indications de lecture de passages clbres de lhistoire de la philosophie, de mettre leur disposition un vocabulaire simplifi et essentiel, de leur rappeler quelques traits schmatiques de doctrines dauteurs en se limitant celles que nous avons utilises et sur les seules questions par lesquelles nous les avons abordes, enfin en leur indiquant des conseils mthodologiques prcis concernant la rdaction de leurs preuves crites ou la passation de leurs ventuelles preuves orales, ponctuant le tout par lexpos des types de sujets pouvant illustrer de manire significative les thmes traits et susceptibles, sous des formes approches, de faire lobjet de leur preuve dexamen.

Bref, cet ouvrage propose non seulement un cours mais se veut galement un outil de

travail qui, nous lesprons, rpondra au mieux aux attentes des jeunes auditoires, beaucoup plus ouverts aux grandes questions philosophiques et leurs exigences, beaucoup plus assoiffs de savoir et de dcouverte que nombre dans ne sont parfois disposs ladmettre.

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SOMMAIRE

Avant-propos 5

Quest-ce que la philosophie ? 19

I La nature de la philosophie 19 1- Tout homme possde une philosophie spontane (L, ES, S, Tech.) 19 2- Philosophie spontane et philosophie critique (L, ES, S, Tech.) 19 3- La naissance de la philosophie et le rle de la raison (L, ES, S) 20 II Lutilit de la philosophie 22 1- Lutilit de la philosophie dans la recherche de notre bien (L, ES, S, Tech) 22 2- La philosophie comme besoin spirituel, comme expression de la curiosit naturelle de lesprit (L) 24

Quest-ce que lhomme ? 27 I La conscience constitue-t-elle loriginalit de lhomme ? (L, ES, S) 27 1- La conscience immdiate et la conscience rflchie 27 2- Pourquoi refuse-t-on ordinairement la conscience lanimal ? 28 Le psychisme animal 28 Loriginalit de la conscience 29 3- Peut-on dfinir la conscience ? (L) 29 4- Quentend-on exactement par la pense ? (L, ES, S, Tech.) 30 5- La conscience est-elle la source dun statut mtaphysique privilgi de lhomme ? (L) 30

II Lhomme est un tre culturel 32

1- Les relations entre nature et culture (L, ES, S, Tech.) 32

Quentendre par nature et culture ? 32 Quappelle-t-on instincts ? 33 Lintelligence comme capacit dapprentissage 33 Il faut distinguer instincts et besoins 33 Lhomme ne devient homme quau contact des hommes 34 Il est difficile de distinguer entre les influences respectives de lhrdit et du milieu 35 La culture transfigure les besoins naturels 38 Lhomme a vocation se dpasser indfiniment 39

2- La culture exclut-elle toute ide de nature humaine ? (L, Tech.) 39 Lhypothse de ltat de nature 39

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Existe-t-il des prdispositions naturelles en matire de comportement chez lhomme ? 41 Nature humaine et transcendance 43 Le rationnel et le raisonnable 44 Le refus de la transcendance conduit-il la ngation de la nature humaine ? 45 Lide de norme sur les plans biologique, sociologique, moral (L) 46 Lhomme est un mystre (L) 47

La question morale 49 I Loriginalit de linterrogation morale (L, ES, S) 49 1- Espace public et espace priv 49 2- Lide de valeur 49 3- La raison dtre ventuelle dune morale provisoire (L) 50 II Peut-on dgager une essence de la morale ? (L, ES, S) 53 1- Lacte moral est dsintress 53 2- Lacte moral dsintress prend pour fin la personne humaine 54 3- La raison, et non le sentiment, est la source de lacte moral 55 4- Lintrt de la morale authentique 56

La moralit rside dans lintention et non dans lacte 56 Le sujet moral gagne son autonomie par rapport aux traditions 57 La morale authentique est une garantie contre la barbarie 58 La raison morale peut juger de la valeur des traditions 58 Morale et bonheur sont deux finalits distinctes 58

III Les limites des analyses de Kant ou les doutes concernant lautorit de la raison 59 1- Peut-on renoncer toute forme dintrt ? (L) 59 2- La raison peut-elle rsoudre le conflit des valeurs ? 59

Peut-on viter le conflit des valeurs ? (L, ES, S, Tech.) 59 La charit comme fondement de la morale (L) 60 Le refus de la transcendance ou lhomme condamn inventer des valeurs (L, ES, S) 61

3- Lintrt peut-il tre un fondement de lacte moral ? (L) 64 IV La morale confronte la philosophie du soupon (L) 66 1- Quappelle-t-on philosophie du soupon ? 66 2- La morale est-elle lexpression dune idologie, des intrts dune classe dominante ? 67 3- Le procs de la morale ou la qute de la valeur de la valeur 68

La morale est fonde sur lide artificielle dgalit (Callicls) 68 Il ny a pas que la morale qui est un danger mais toute forme de vrit (Nietzsche) 70

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Conscience de soi et connaissance de soi 72 I La conscience est-elle la seule forme de psychisme ? (L, ES, S) 72 1- Les enjeux de la critique de la valeur de la conscience 72 2- La notion dinconscient 72

Son quivocit 72 Les expriences mettant en vidence un inconscient psychique 73 Lapport spcifique de Freud : le rle de la sexualit dans linconscient psychique 74 Les manifestations de linconscient psychique 75 Les manifestations pathologiques de linconscient psychique 76

3- Les implications philosophiques de la thorie de linconscient psychique 77 Nous ne nous connatrions pas 77 La conscience rgnerait mais ne gouvernerait pas. 78 Linconscient psychique serait lorigine de la culture 79

II Linconscient psychique : hypothse ou ralit ? (L, ES, S) 80 1- Rappel de lintrt de cette notion dinconscient psychique 80 2- Les interrogations philosophiques suscites par les thories de Freud 81

La critique de la notion de censure (Sartre) 81 Le prtendu inconscient psychique ne serait jamais quun inconscient corporel (Alain) 82

3- Les critiques de nature scientifique 83 Lefficacit pratique de la psychanalyse en question 83 La psychanalyse ne peut tre rfute, donc ce nest pas une science (Popper) 84

III Qui suis-je ? (L) 86 Lhomme est un tre de dsir 88 I Besoin et dsir (L, ES, S, Tech) 88 1- Les besoins humains 88

Les besoins communs avec lanimal 88 Les besoins propres lhomme 88 Existe-t-il des besoins naturels ? 89 La notion de pauvret (ES) 89

2- Dsir et conscience 90 Le dsir comme source de dpassement et de richesse 90 Le dsir comme source dinsatisfaction et de nostalgie 91 Le dsir comme source de ngation des valeurs et de dsenchantement (L) 91 Lambivalence du dsir (L) 92

3- Quelle attitude adopter face au dsir ? 92 Il convient de laisser libre cours ses dsirs 92 Le dsir nest que souffrance. Il faut lradiquer. 93 Le dsir na de lgitimit que si lintelligence tient le gouvernail 94

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II Le dsir dtre reconnu au cur de la relation avec autrui (L, ES) 96 1- Autrui est constitutif de mon humanit et de ma singularit 96

Autrui est constitutif de mon humanit 96 Autrui est constitutif de ma singularit 96

2- Les limites de la relation avec autrui 97 La solitude irrductible de la subjectivit 97 La rsistance dautrui ma volont et la tentation de la violence 98

3- Le dsir est-il, par essence, de nature mimtique ? (L) 100 III Le dsir ultime de lhomme : tre heureux (L, ES, S, Tech.) 101 1- La notion de bonheur na de sens que pour lhomme adulte 101 2- Il ne faut pas confondre le bonheur et lidal de vie 102

La plnitude dexistence 102 Les attitudes spcifiquement humaines face lexistence 102 La satisfaction de ces attentes doit obir un certain nombre dexigences 104

3- Le bonheur nest pas li la ralisation de toutes mes aspirations 106 4- Le bonheur est-il vraiment lobjectif poursuivi par les hommes ? (L) 108 La libert du sujet : A-t-elle pour fondement la volont ou le dsir ? 109 I Examen de la notion de libert intrieure (L, ES, S, Tech.) 109 1- Libre-arbitre et libert intrieure 109 2- Libert intrieure, indpendance et libert politique 110 II La libert intrieure en question 111 1- La remise en cause radicale de lide mme de libert (L) 112 2- La remise en cause du seul libre-arbitre (L, ES, S, Tech.) 114 III La proclamation de la libert radicale 116 1- Le dterminisme ne ruine pas lide de libert (L) 117

Le problme de la libert dans le cadre des sciences humaines 117 Loi morale et libert 119

2- Le libre-arbitre est une vidence et la libert une libration (L, ES, S, Tech.) 120 Le libre-arbitre est infini 120 La libert est une libration 121

3- Nous sommes condamns la libert (L, ES, S, Tech.) 123

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La libration de lhomme face son environnement : la pense symbolique et la technique 128 I Le langage, tmoignage de la pense 128 1- Les deux proprits essentielles du langage 128

Le caractre conventionnel du langage 128 Parler, cest crer 130 Les limites de la communication animale 132

2- Le langage comme outil de communication 133 Langage, langue, parole 133 Une langue nest pas un instrument neutre de communication 134 Instrument social, une langue est surtout adapte pour la communication pratique 137 Le langage ne sert pas ncessairement communiquer des informations 139

3- Le langage crit, source des progrs de lhumanit 141 La langue crite comme mmoire collective de lhumanit 141 Lcrit ou le langage ltat pur 142

II La technique comme prolongement du corps et incarnation des projets de la pense 143 1- La nature de la technique (L, ES, S, Tech.) 143

Lorigine de la technique 143 Les caractristiques de la pense technique 144

2- La technique dvoile la nature de lactivit humaine, savoir le travail (L, ES, S) 146 Le travail est-il lessence vritable de lhomme ? 146 Le travail incarne-t-il la valeur et lhorizon indpassables de lhomme ? 148

3- La technique est-elle un facteur de libration pour lhomme ? (L, ES, S, Tech.) 152 Les trois perspectives ouvertes par lutilisation des techniques 152 La technique comme facteur de libration de lhomme : possibilits et perversions 154

4- Les ncessits de la vie collective sexpriment par des changes de nature trs diverse (ES, Tech.) 156

Les changes conomiques 156 Les changes non conomiques 159

Lhomme comme animal politique : les fins de la cit et les moyens pour y parvenir 161 I Lorganisation de lautorit politique 161 1- La ncessit de la socit et des lois

Lhomme est un tre social (L, ES, S) 161 Ltat social est artificiel mais ncessaire (L, ES, S, Tech.) 162

2- Origine et fonction des lois 164 Les domaines de la loi (L, ES, S, Tech.) 164 LEtat source des lois (L, ES, S) 165 LEtat de droit (L, ES, S, Tech.) 166 La loi est contre-nature (L, ES, S, Tech.) 166

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LEtat arbitre partial du conflit de classe (L, ES, S) 167 LEtat proltarien est provisoire (L, ES, S) 169 Les anarchistes ou le refus de tout Etat (L, ES, S) 170 LEtat totalitaire (L, ES, S) 171

II Le bien commun 172 1- La scurit, premire des liberts 173 2- La libert comme expression de lintrt gnral 174

La dmocratie idale ou la conciliation de la libert et de la loi (L, ES S, Tech.) 174 La conciliation du pouvoir et de la libert (L, ES S, Tech.) 178

3- La justice ou le respect de lgalit (L, ES, S, Tech.) 180 Justice et nature de lhomme 180 Valeur et insuffisance de lgalit de droit 181 Les ncessaires et lgitimes ingalits 184

III Politique et Ethique 188 1- Bonheur et politique 189 2- Morale et politique 190

La politique est trangre la morale 190 La dmocratie est dessence morale 193

3- La distinction entre le droit naturel et le droit positif (L, ES, S, Tech.) 195 Les sources de la lgitimit 195 La comptence politique est-elle dordre technique ? (L, ES, S) 197 Le droit la rvolte : lgitimit et limites (L, ES, S, Tech.) 198

Lart : vasion du monde ou dvoilement du sens ? 200 I Loriginalit de luvre dart et de sa cration 200 1- Quest-ce quune uvre dart ? (L, ES, S, Tech.) 200

La naissance de lart 200 Les critres dune uvre dart 201

2- Lartisan et lartiste (L, ES, S, Tech.) 202 La cration artisanale 203 Le talent du crateur 204 La cration artistique 204

3- Lart est un langage (L) 206 Loriginalit du langage de lart 206 Activit artistique et activit ludique 207 Art et philosophie 208 Art et spiritualit 209 Lart et les sciences objectives 209

II Les fonctions possibles de lart 210 1- Art et ralit (L, ES, S, Tech.) 210

Lart doit-il exprimer une ralit vraie ? 210

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Lart doit-il tre simple imitation de la ralit sensible ? 211 Luvre dart svade du monde quotidien 213 Lart comme dvoilement du rel peru 214

2- Art et engagement (L, ES, S) 216 Lart engag et lart pour lart 216 Lart peut-il tout dire ? 218

3- Art et beaut (L, ES, S) 219 Origine et porte mtaphysique de lide de beaut 219 Peut-on dgager des critres de beaut ? 221 Beaut naturelle et beaut esthtique 221 La place de la beaut dans lart 223

III La lgitimit du jugement de got (L, ES, S, Tech.) 224 1- La reconnaissance empirique de la qualit 224

Le got comme capacit de discerner la qualit 224 Le got sduque 224 Le crateur nest pas le propritaire du sens de son uvre 225

2- Luniversalit des chefs-duvre 226 Le beau et lagrable 226 Le sentiment de beaut et luniversalit de la condition humaine 228

3- La beaut sprouve, elle ne se prouve pas 228 Le savoir objectif ou la connaissance simposant tous les esprits 231 I Les sciences formelles (L, ES, S) 231 1- La logique ou la science du raisonnement correct

Lorigine de la logique 231 Le principe de non-contradiction et la dduction 232 Le caractre formel de la logique 233 Du faux on peut tout dduire 233 Linduction est un faux raisonnement 234 La logique contemporaine 234

2- Les mathmatiques, science des formes et des nombres 235 Lobjet des mathmatiques 235 La dmonstration (+Tech.) 235 Les propositions indmontrables 236 Les relations entre les mathmatiques et la nature 237 La vrit mathmatique (+Tech.) 238 Les fondements des mathmatiques 239

II Les sciences de la nature ou les sciences exactes 240 1- La naissance de la science exprimentale (L) 240

Les mathmatiques sont-elles le langage de la nature ? 240 La ncessit de lexprimentation (+Tech.) 241 Le rle central de la raison (+Tech.) 243

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2- Les obstacles pistmologiques (L) 245 Le premier obstacle : la confiance accorde aux sens 245 Lobstacle du bon sens 246 Lobstacle du prjug idologique 247 La rsistance aux nouveaux paradigmes 247 Les opinions nont pas droit de cit dans les sciences 248

3- Les limites de la vrit exprimentale (L) 249 Les vrits scientifiques sont provisoires 249 Les thories sont-elles des reprsentations de la ralit ? 251

4- La biologie ou ltude de cet trange objet (L, S) 253 Loriginalit de ltre vivant 253 Lexprimentation en biologie 254 Explication par les causes et non par la finalit 256 La confusion entre les exigences mthodologiques et les conclusions philosophiques 257

III Les sciences de lhomme ou les sciences dinterprtation 261 1- Le dbat propos des mthodes dtude (L, ES, Tech.) 261 2- Une science de lhomme fort singulire : lhistoire (L, ES) 264

Les deux sens du mot histoire 264 Lhistoire traditionnelle 265 La nouvelle histoire 269

3- Les drives vers la philosophie de lhistoire (L, ES) 271 Lide de loi de lhistoire nest pas scientifique 271 Quentendre par sens de lhistoire ? 271 Le dveloppement de la raison est la clef de lhistoire 272 La lutte des classes conduit la libration de lhumanit 273 Les dangers des philosophies de lhistoire 273

Lhomme face son destin ou les interrogations mtaphysiques 275 I La raison permet-elle daccder la vrit ? (L, ES, S, Tech.) 275 1- Les diffrentes approches de la vrit

La vrit est un jugement 275 La pense humaine est parente de la pense divine 276 Le procs de lide de vrit 276 Lhomme intermdiaire entre lignorance et le savoir 277

2- Les exigences de la pense renvoient aux exigences de la ralit 278 Percevoir est un acte de la pense. Le morceau de cire 278 Le rel se pense, il ne se peroit pas. Lallgorie de la caverne 279 Lide dinfini conduit Dieu 282 Le scientisme est un dogmatisme 282

3- La critique du savoir mtaphysique 283 La critique de lempirisme 283 Les usages lgitimes et illgitimes de la raison 284 La morale nous sauve du scepticisme 285

4- La vrit a une histoire 286

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5- La connaissance intuitive 286 6- Le Cogito , seule connaissance absolue ? 288 II Le temps, la matire, lesprit : trois nigmes mtaphysiques 289 1- Ltat actuel du questionnement mtaphysique (L) 289 2- Lnigme du temps et de son irrationalit (L) 289

Le temps vcu 289 Peut-on penser le devenir ? 291 La nature du temps 291 Les implications mtaphysiques du temps 292 Le problme de la finitude et de la mort 294

3- Deux notions aussi familires quobscures : la matire et lesprit (L, ES, S) 295 Lopposition entre lidalisme et le matrialisme 295 Les conceptions trangres cette opposition 296 Les fondements de lidalisme 297 Matire et esprit ne sont pas des concepts scientifiques 297

4- La matire et lesprit la lumire de la science contemporaine (L) 298 Le principe anthropique ou le principe de complexit 298 Lhomme est-il seul dans lunivers ? 301 Les NDE et le caractre nigmatique de la conscience 302

III La dmarche religieuse 303 1- Quest-ce quune religion ? (L, ES, S) 303

Le rle social des religions 304 Les croyances communes 305

2- La foi nest pas une simple croyance (L, ES, S, Tech.) 306 Lexprience spirituelle et la Rvlation 306 Le langage symbolique 307

3- Les drives du sentiment religieux 308 La magie et la superstition 308 Lidoltrie 309 Le refus ou le mauvais usage de la raison 309 La conception nave de la Providence 310

DOCUMENTS ANNEXES 313 Les programmes officiels 315 I Programme des sries gnrales 315 II Programme des sries technologiques 316 III Auteurs en vue des preuves orales 317 IV Coefficients et horaires 318 Quelques pistes de lecture 319 Documents gnraux 319 Extraits conseills chapitre par chapitre 320 Documents utiles pour les classes prparatoires 322

18

Elments de vocabulaire 323 Brves informations sur quelques auteurs abords dans ce cours de philosophie 336 Panorama historique des doctrines et contexte culturel 340 Mthodologie des preuves dexamen 348 I Mthodologie de la dissertation 348 1- Choix du sujet 348 2- Analyse plus approfondie des termes du sujet choisi 348 3- Amasser des lments dinformation 349 4- Elaboration dun plan 350 5- Lintroduction 353 6- La structure du dveloppement 355 7- La conclusion 358 II Mthodologie de ltude de texte 359 1- Les objectifs de ce sujet 359 2- Comment faciliter la comprhension du texte ? 360 3- Lintroduction 362 4- Quel plan choisir pour une tude de texte ? 362 5- Comment expliquer le texte ? 363 III Lpreuve doral de rattrapage 367 Quelques repres concernant la notation 369 Exemples de sujets thme par thme 372 Quest-ce que la philosophie ? 372 Quest-ce que lhomme ? 374 La question morale 378 Conscience de soi et connaissance de soi 382 Lhomme est un tre de dsir 384 La libert du sujet a-t-elle pour fondement la volont ou le dsir ? 388 La libration de lhomme face son environnement : La pense symbolique et la technique 393 Lhomme comme animal politique. Les fins de la Cit et les moyens pour y parvenir 399 Lart : vasion du monde ou dvoilement du sens ? 408 Le savoir objectif ou la connaissance simposant tous les esprits 413 Lhomme face son destin ou les interrogations mtaphysiques 422

19

QUEST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ?

I La nature de la philosophie

1 Tout homme possde une philosophie spontane (TL, TES, TS, Sections technologiques) La philosophie est pour vous une discipline nouvelle. Vous avez peut-tre remarqu

quelle suscite dans votre entourage la fois curiosit mais aussi moqueries diverses. De la curiosit car nombreux sont ceux qui pressentent quelle touche des questions essentielles sans savoir exactement lesquelles. Des moqueries, car le philosophe est rput pour tre une personne souvent inadapte la vie ordinaire, se posant des questions loignes des proccupations de la vie quotidienne et proposant des rponses complexes et incomprhensibles pour le commun des mortels.

Afin de dissiper tout malentendu, partons dun constat simple : vous-mmes et toutes les

personnes que vous connaissez possdent des opinions dans des domaines trs varis. Quelles soient croyantes, athes, indiffrentes, toutes se prononcent leur manire sur les questions religieuses et sur le sens de lexistence humaine. Mme si elles nont pas dengagement politique ou syndical prcis, toutes ont des prfrences en la matire et portent des apprciations sur lactualit. Chacun dentre nous se rfre des valeurs morales lorsque nous admirons ou nous nous scandalisons sur tel ou tel comportement, lorsque nous nous prononons sur des questions sensibles comme la peine de mort, leuthanasie, la protection de lenvironnement, les murs sexuelles etc. Toutes ces opinions sont guides par une certaine ide du bien et du mal, par des convictions intimes, hrites certes de notre ducation, de notre milieu, mais que nous avons fait ntres. Lensemble de ces opinions, que nous estimons sincrement justifies, qui guident et structurent notre vie, constitue une philosophie. A ce titre, tout homme est philosophe et fait de la philosophie comme monsieur Jourdain faisait de la prose, cest--dire sans le savoir.

2 Philosophie spontane et philosophie critique (L, ES, S, Tech)

Lensemble de ces opinions constitue une philosophie spontane. Cela ne signifie pas que

les personnes concernes ne rflchissent pas mais leurs opinions sont la plupart du temps assises sur la tradition, lducation reue, lexprience vcue, les influences subies et non sur une rflexion systmatique et personnelle qui mettrait en relation ces diffrentes opinions et les rattacherait des principes communs et mrement rflchis et quon a coutume de dsigner par le nom de fondements. Non seulement ces opinions sont atomises, indpendantes les unes des autres mais elles ne trouvent pas leur justification, leur cohrence, leur unit par rapport des principes premiers dont nous sommes conscients, qui rsultent de notre rflexion personnelle et auxquels nous adhrons de manire rflchie et raisonne.

En revanche, si nous effectuons cette dmarche de retrouver les racines communes de

lensemble de nos opinions, dune philosophie spontane, inconsciente delle-mme, nous sommes passs une philosophie explicite, consciente delle-mme, bref une posture intellectuelle laquelle on rserve habituellement le nom de philosophie.

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Voici ce qucrit Gramsci, philosophe italien du XX sicle ce propos : Il faut dtruire le prjug fort rpandu selon lequel la philosophie serait quelque chose de trs difficile, tant donn quelle est lactivit intellectuelle propre dune catgorie dtermine de savants spcialiss ou de philosophes professionnels et faiseurs de systmes. Il faut donc dmontrer au pralable que tous les hommes sont philosophes , en dfinissant les limites et les caractres de cette philosophie spontane qui est celle de tout le monde , autrement dit de la philosophie qui est contenue : 1) dans le langage mme, lequel est un ensemble de notions et de concepts dtermins, et non pas seulement un ensemble de mots grammaticalement vides de contenu ; 2) dans le sens commun et le bon sens ; 3) dans la religion populaire

Ayant dmontr que tous les hommes sont philosophes, ft-ce leur manire propre, inconsciemment, ds lors que dans la plus petite manifestation dune activit quelconque, le langage , se trouve contenue une conception dtermine du monde, on passe au second moment, au moment de la critique et de la conscience, cest--dire quon passe la question suivante : est-il prfrable de penser sans en avoir une conscience critique, dune faon dsagrge et occasionnelle, cest--dire de participer une conception du monde impose mcaniquement par le monde extrieur, autrement dit par lun des nombreux groupes sociaux dans lesquels chacun se voit automatiquement impliqu depuis son entre dans le monde conscient ou bien est-il prfrable dlaborer sa propre conception du monde de faon consciente et critique et ainsi, en connexion avec ce travail que lon doit son propre cerveau de participer activement la production de lhistoire du monde, dtre le guide de soi-mme au lieu daccepter passivement et lchement que le sceau soit mis de lextrieur notre propre personnalit ?. 3 La naissance de la philosophie et le rle de la raison (L, ES, S)

Nous comprenons un peu mieux en quoi consiste la philosophie. Ltymologie dune part,

ses origines historiques dautre part vont en prciser le sens. Philosophie signifie tymologiquement amour ou qute (philo) de la sagesse (sophia) . Traditionnellement, la sagesse est un ensemble de savoirs, souvent rputs tre dtenus par des anciens ou par les gnrations prcdentes, ceux qui ont lexprience de la vie et qui a pour objet de nous guider dans notre existence, de savoir comment nous comporter afin de lassumer de la meilleure manire et de nous apporter le plus de satisfactions possibles. Toutes les civilisations ont labor des sagesses ainsi comprises, souvent inspires, pour lessentiel, des croyances religieuses dominantes. Cest le cas par exemple de la sagesse hindoue, inspire par la religion des brahmanes et reposant sur les Vdas , livre sacr.

Or, la philosophie est traditionnellement considre comme tant linvention des grecs du

V sicle av JC. Cette civilisation aurait invent la philosophie comme elle aurait invent la dmocratie et les mathmatiques. Cette affirmation peut tonner alors mme que nous savons bien quil existe des sagesses antrieures trs riches, au mme titre que la plupart des civilisations antrieures aux grecs du V sicle possdaient des connaissances mathmatiques comme peuvent en tmoigner leurs ralisations architecturales souvent remarquables ou bien encore leurs connaissances cosmologiques leur permettant de dresser des cartes du ciel ou dlaborer des calendriers.

Do vient alors cet honneur rserv aux grecs de cette poque ? Ils ont invent les

mathmatiques dans la mesure o une proposition est considre comme telle si elle peut faire lobjet dune dmonstration. Les Grecs ont invent la dmonstration. Jusque l, les

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connaissances mathmatiques avaient pour sources lexprience, lobservation, bref taient ce titre de nature empirique.

Il en va de mme propos de la philosophie. La sagesse labore ne repose plus sur la

tradition, sur des croyances religieuses, sur lexprience de la vie, mais sur une rflexion exclusivement rationnelle. Est-ce dire que la raison nous dlivre un savoir en la matire ou simplement des croyances rationnelles ? Les conclusions ont t varies sur ce point. Mais ce qui demeure commun tous les philosophes, quils fassent confiance la raison afin de parvenir laborer une sagesse ou bien quils critiquent ses possibilits ou la remettent radicalement en cause, tous lutilisent afin de parvenir leurs conclusions.

Cependant, au cours de cette dmarche, tous se sentent profondment concerns par la

recherche dune forme de vrit. Leur dmarche nest pas quintellectuelle. Elle est mue par une grande passion. Tous utilisent la raison dans leur qute , mme lorsquils en contestent la validit en vue de parvenir des conclusions. Cest en ce sens que la philosophie a pu tre dfinie comme un amour ou une qute de la sagesse, entendue comme une dmarche guide par la raison et alimente par une grande passion en vue de tenter de dvoiler le sens de laventure humaine et au-del, de la ralit dans laquelle elle se voit insre.

On comprend ds lors loriginalit du discours philosophique. Ce dernier se donne pour

fonction dexpliciter et de justifier ces fameux principes premiers, ces racines, ces fondements qui conduisent ordonner toutes nos conclusions dans quelque domaine que ce soit, leur donner cohrence et rigueur, les relier entre elles, leur donner ainsi un caractre systmatique. A ce titre, la philosophie se distingue de la simple littrature, y compris celle qui sengage, qui exprime des convictions religieuses, politiques, morales etc. loccasion dun roman, dune pice de thtre, dune autobiographie, dun rcit historique etc. car lensemble des ides mises au fil des pages ne revtent pas ce caractre systmatique, ordonn et exclusif de toute autre considration, notamment esthtiques ou romanesques. La philosophie qui y est contenue doit tre explicite, synthtise, mise en perspective.

A plus forte raison, la philosophie ainsi dfinie se distingue-t-elle des simples opinions

hrites de notre ducation ou exprience personnelle, de ce que nous avons appel la philosophie spontane. Kant qualifiait juste titre cette dernire de philodoxie , cest--dire dami (philo) de lopinion (doxa).Car il ny a pas de philosophie vritable sans une rflexion mene sur les fondements de nos opinions et conduite par la raison. Nos opinions ne sont plus alors considres comme telles mais comme une forme de savoir, contestable certes, mais nanmoins un savoir si nous entendons par l des affirmations dont nous connaissons les justifications ultimes ou les fondements ainsi que la cohrence de leurs noncs dans la diversit des domaines sur lesquels nous nous prononons

Au XVIII sicle, Kant a propos de regrouper les questions philosophiques autour de trois

ples : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que mest-il permis desprer ? Il ajoutait que ces trois questions essentielles pouvaient elles-mmes se rsumer par celle-ci : Quest-ce que lhomme ?

Que puis-je savoir ? Autrement dit, quelles sont les capacits de la pense humaine en vue

de rpondre aux questions quelle se pose sur les mystres de la nature et en particulier sur les possibilits et les limites de la science, sur le sens de la destine humaine, notamment la mort, sur lexistence ou non dun ou de plusieurs dieux, sur les origines de lunivers, des organismes vivants, sur la nature de lesprit etc.

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Que dois-je faire ? Il sagit ici de toutes les questions relatives au bonheur individuel, aux valeurs morales, aux objectifs politiques, aux problmes de socit comme le clonage, leuthanasie, lhomoparentalit, la peine de mort, lutilisation des techniques nouvelles par exemple lnergie nuclaire ou les OGM etc.

Que mest-il permis desprer ? Cette question est relative au sens de lexistence. Que

peut-on en attendre ? Les valeurs morales les plus hautes, la beaut, les plaisirs sensibles, les joies de la connaissance, le bonheur daimer et dtre aim et reconnu etc., tout cela renvoie-t-il un sens qui nous dpasse, une transcendance, une esprance fonde que tout mal, cest--dire tout ce qui dtruit ces sources de sens est appel tre surmont, la mort en particulier ? Ou bien tout cela est-il phmre, sans relle signification au-del de la sphre humaine, le mal ayant toujours le dernier mot et nos proccupations, nos raisons de vivre tant drisoires au regard du vaste monde au sein duquel elles sinscrivent ?

Ces dernires questions touchent donc des proccupations religieuses. Mais la dmarche

philosophique, dans son souci dlaborer son discours en ayant recours la raison et non la foi ou des croyances quelconques, quelle quen soit la nature, ft-ce la croyance en lincroyance comme le dit Nietzsche, reprend de telles questions mais sa manire. Il sagit alors de ce quon a coutume de dsigner comme tant les questions mtaphysiques. Ces questions sont les plus radicales, celles qui vont le plus loin dans le questionnement, qui soulvent le problme du pourquoi , de la raison dtre de toutes choses, de leur nature intime, de leur valeur, de leur sens relativement laventure humaine. A cet gard, tout questionnement philosophique qui va jusquau bout de son entreprise, qui ne sarrte pas en chemin, aboutit forcment aux questions mtaphysiques.

Gusdorf, philosophe franais du XX sicle, dfinit ainsi le questionnement mtaphysique :

Chaque fois quon interprte la nature de lhomme et son destin, chaque fois quon met une hypothse sur la ralit de lunivers, chaque fois que lon parie pour Dieu ou contre lui, on extrapole, on se prononce sur les fins dernires de lhomme. On donne un sens lexistence, en posant la question du pourquoi et non plus celle du comment . Il ne semble pas que cette question du pourquoi puisse jamais tre dpasse

Remarquons qu lorigine, le terme de mtaphysique est n de circonstances

anecdotiques. Aristote, philosophe du V-IV sicles avant JC, aprs avoir remis son diteur des tudes sur la nature, sur la phusis en grec, lui avait confi les rflexions proprement philosophiques souleves par cette dernire et portant sur les raisons dtre de cette phusis . En consquence, lditeur dnomma ces dernires considrations comme ce qui vient aprs la phusis , comme mta-phusis ou mtaphysique. La tradition conserva ce terme pour signifier toute dmarche philosophique sinterrogeant sur les raisons dtre de toutes choses, sur leur existence ou non dabord et sil y a lieu, sur leur nature II Lutilit de la philosophie

1 Lutilit de la philosophie dans la recherche de notre bien (L, ES, S, Tech.)

Lenseignement de la philosophie doit les lycens qui attendent de cette tude des

rponses aux questions quils se posent. La philosophie ne leur apportera pas des rponses mais de nouvelles questions ou plus prcisment de nouvelles manires de se poser des questions et de rflchir de manire critique sur nos tentatives de rponses. Bref, la

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philosophie nest pas un savoir universel dans ses conclusions et simposant tous les esprits comme peuvent ltre par exemple les sciences de la nature ou les mathmatiques.

Cest bien ce que lui reprochent ses dtracteurs. Cette impuissance nous apporter des

rponses certaines, cette strilit la rendraient vaine et pour tout dire inutile. Toute la question est de savoir ce quon entend par utilit. Spontanment, lutilit rpond la question brutale A quoi cela sert-il ? . Afin de vivre le mieux possible, nous sommes tents de croire quil importe de connatre lexprience des gnrations passes, de bien sintgrer dans la socit au sein de laquelle on vit, et donc den connatre les usages, les lois, voire les moyens de contourner ces dernires lorsque cela nous arrange, de se situer le plus haut possible dans la hirarchie sociale, dacqurir le plus de plaisirs possible sans sembarrasser de principes contraignants, et pour prparer tout cela de recevoir une bonne ducation o la philosophie peut ventuellement avoir sa place si elle favorise notre agilit desprit.

Tel est dailleurs le point de vue soutenu par Callicls, personnage dune uvre de Platon,

Gorgias et qui exprime la thse de lopinion commune propos de lutilit de la philosophie en sopposant celle de Socrate, qui incarne la philosophie, qui en est son hraut :

La philosophie, Socrate, nest sans doute pas sans charme, si lon sy livre avec

modration dans la jeunesse : mais si lon sy attarde au-del dune juste mesure, cest une calamit. Quelque bien dou que soit un homme, sil continue philosopher dans son ge mr, il est impossible quil ne se rende pas tranger toutes les choses quil faut connatre pour devenir un homme bien lev et considr.

Le philosophe ignore les lois qui rgissent la cit ; il ignore la manire dont il faut parler aux autres dans les affaires prives et publiques ; il ne sait rien des plaisirs ni des passions, et, pour tout dire dun mot, sa connaissance de lhomme est nulle. Aussi, quand il se trouve ml quelque affaire publique ou prive, il fait rire de lui, de mme que les hommes dEtat, je suppose, lorsquils abordent vos entretiens et vos discussions, sont ridicules

Mais le mieux, suivant moi, est de ntre tranger ni aux unes ni aux autres. La philosophie est bonne connatre dans la mesure o elle sert lducation, et il ny a pas de honte, quand on est jeune, philosopher. Mais lhomme mr qui continue philosopher fait une chose ridicule, Socrate, et pour ma part jprouve lgard de ces gens-l le mme sentiment qu lgard dun homme fait qui bgaie et qui joue comme un enfant. Quand je vois un enfant qui bgaie et qui joue, cest de son ge, jen suis ravi, je trouve cela charmant, tout fait convenable lenfance dun homme libre ; tandis que si jentends un bambin sexprimer avec nettet, cela me chagrine, cela blesse mon oreille et me parat avoir quelque chose de servile. Un homme fait qui bgaie et qui joue est ridicule ; ce nest pas un homme, on a envie de le fouetter.

Cette analyse, qui semble relever du simple bon sens, comporte la rflexion plusieurs insuffisances majeures. Elle est, en effet, centre sur les meilleurs moyens en vue de parvenir ses fins. Or, quelle est la fin ultime que poursuit tout homme, si ce nest le bonheur, son bien ou tout au moins les satisfactions les plus hautes que peut lui apporter lexistence ? Tous, tant que nous sommes, nous voulons tre heureux proclame Platon. Pour ce faire, il nous faut rflchir sur les objectifs que nous devons nous fixer ainsi que sur les meilleurs moyens pour y parvenir. Fins et moyens nont rien dvidents.

A ce titre, cette rflexion nest pas rserve la priode de la jeunesse. Qui ne voit que

chaque priode de la vie soulve des problmes spcifiques ? Ceux de ladolescence, ceux de

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lentre dans la vie active, ceux lis la fondation dun foyer, ceux de la maturit, de la retraite, de la vieillesse ne sont pas lvidence de mme nature. Lexigence de rflexion savre donc permanente. Cest bien ce que soutient Epicure dans sa clbre Lettre Mnce : Quand on est jeune il ne faut pas hsiter sadonner la philosophie, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser den poursuivre ltude. Car personne ne peut soutenir quil est trop jeune ou trop vieux pour acqurir la sant de lme. Celui qui prtendrait que lheure de philosopher nest pas encore venue ou quelle est dj passe, ressemblerait celui qui dirait que lheure nest pas encore arrive dtre heureux ou quelle est dj passe. Il faut donc que le jeune homme aussi bien que le vieillard cultivent la philosophie .

Mais, dira-t-on, lducation, lexprience personnelle pourvoient cette qute sans passer par la philosophie. Or, le philosophe se refuse penser par procuration ou bien se fier une exprience bien limite de la vie. Il veut penser par lui-mme et cet effet a recours la rflexion rationnelle, cette lumire naturelle qui peut et doit nous clairer dans nos choix. Telle est la voie propose par Descartes dans la Prface aux Principes de la philosophie : Pour chaque homme en particulier, il nest pas seulement utile de vivre avec ceux qui sappliquent cette tude, mais quil est incomparablement meilleur de sy appliquer soi-mme, comme sans doute il vaut beaucoup mieux se servir de ses propres yeux pour se conduire, et jouir par mme moyen de la beaut des couleurs et de la lumire, que non pas de les avoir ferms et suivre la conduite dun autre ; mais ce dernier est encore meilleur que de les tenir ferms et navoir que soi pour se conduire. Or, cest proprement avoir les yeux ferms, sans tcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher ; et le plaisir de voir toutes choses que notre vue dcouvre nest point comparable la satisfaction que donne la connaissance de celles quon trouve par la philosophie ; et, enfin, cette tude est plus ncessaire pour rgler nos murs et nous conduire en cette vie, que nest lusage de nos yeux pour guider nos pas. Les btes brutes, qui nont que leur corps conserver, soccupent continuellement chercher de quoi le nourrir ; mais les hommes, dont la principale partie est lesprit, devraient employer leurs principaux soins la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture .

2 La philosophie comme besoin spirituel, comme expression de la curiosit naturelle de lesprit (L)

Penser par soi-mme afin de conduire sa vie, afin de guider ses pas est dj un objectif

minemment noble et utile. Mais cette entreprise npuise pas lintrt de la philosophie. La rflexion philosophique se hisse un objectif encore plus lev, plus profond, en harmonie avec les exigences les plus hautes de lesprit. Il est vrai quaux questions que se pose lhomme sur son destin et celui du monde, aucune rponse certaine ne vient rcompenser sa recherche. Mais elle lui apporte des satisfactions spirituelles irremplaables que B. Russell, philosophe britannique du XX sicle a su parfaitement exprimer dans Problmes de philosophie : La philosophie comprend de nombreuses questions (dont certaines sont du plus profond intrt pour notre vie spirituelle), qui, pour autant quon puisse le prvoir, doivent demeurer insolubles, moins que les facults de lesprit humain ne deviennent tout autres que ce quelles sont prsent. Lunivers comporte-t-il une unit de plan et de but, ou bien nest-ce quune rencontre fortuite datomes ? La connaissance fait-elle partie de lunivers titre permanent, donnant ainsi lespoir dun accroissement indfini de la sagesse, ou est-ce un accident transitoire particulier une petite plante o la vie deviendra certainement impossible plus tard ? Le bien et le mal ont-ils de limportance pour lunivers ou seulement pour lhomme ? De telles questions sont poses par la philosophie et rsolues de faons diffrentes par des philosophes diffrents. Or, que des rponses soient possibles ou non, celles

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que propose la philosophie ne sont jamais dune vrit dmontrable. Pourtant, si faible que soit lespoir de dcouvrir une rponse valable, lexamen persvrant de telles questions fait partie des tches dvolues la philosophie ; celle-ci nous fait prendre conscience de limportance de tels problmes ; elle examine toutes les faons de les traiter et elle garde intact cet intrt spculatif pour lunivers qui est en danger dtre ananti si nous nous bornons la recherche dun savoir la certitude bien tablie .

Lexamen des questions qui se posent lhomme, des rponses possibles que lesprit peut

leur apporter conduit galement sinterroger sur les voies permettant de conduire de telles conclusions. La philosophie tente de ce fait de cerner lessence de chacune des activits humaines lamenant connatre et agir, cest--dire les caractristiques spcifiques, originales de chacune de ces activits, celles qui les distinguent des autres, avec leurs possibilits, leurs finalits, leurs limites. Cest ainsi quelle rflchit sur elle-mme et donc sur les capacits de la raison en vue de se poser avec pertinence les bonnes questions et sur la valeur et la porte des rponses imagines ; quelle sinterroge sur la nature exacte de la politique, de la morale, de lart, de la science, de la technique, de la religion. La philosophie, dans sa qute raisonne de rponses aux nigmes de lexistence, doit, par exigence mthodologique, cerner de manire rigoureuse et critique les fonctions des diffrents domaines de la culture.

Aristote faisait de la capacit dtonnement la vertu majeure du philosophe. Ce dernier

conserve la fracheur de lenfant de trois ans qui sans cesse smerveille et stonne face sa dcouverte du monde. Pour lenfant, il ny a rien dvident, de naturel, il ny a rien qui va de soi. Le philosophe est quelquun qui a toujours une me denfant mais avec lesprit dun adulte. Il incarne lunion de lmerveillement et de la rigueur de la raison. Cest trs exactement ce que rappelle Russell dans ce texte : La valeur de la philosophie doit en ralit rsider dans son caractre incertain mme. Celui qui na aucune teinture de philosophe traverse lexistence, prisonnier des prjugs drivs du sens commun, des croyances habituelles son temps et son pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopration ni le consentement de la raison.

Pour un tel individu, le monde tend devenir dfini, fini, vident : les objets ordinaires ne font pas natre de questions et les possibilits peu familires sont rejetes avec mpris. Ds que nous commenons penser conformment la philosophie, au contraire, nous voyonsque mme les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problmes auxquels on ne trouve que des rponses trs incompltes. La philosophie, bien quelle ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la rponse aux doutes qui nous assigent, peut tout de mme suggrer des possibilits qui largissent le champ de notre pense et dlivre celles-ci de la tyrannie de lhabitude. Tout en branlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accrot normment notre connaissance dune ralit possible et diffrente ; elle fait disparatre le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui nont jamais parcouru la rgion du doute librateur, et elle garde intact notre sentiment dmerveillement en nous faisant voir les choses familires sous un aspect nouveau .

Comme on le voit, la philosophie a, en-dehors de toute autre considration, un intrt

spirituel. Sur ce plan, son utilit est comparable celle que peuvent prsenter les arts. La musique, la peinture, la posie etc., nont aucune utilit pratique. Mais ils nous permettent de nous arracher au mode du quotidien, de nous merveiller, de nous faire goter les joies de lesprit face ces mondes prodigieux que cre lartiste. Il en va de mme du philosophe, qui par la rigueur de ses penses, par leur radicalit nous fait pntrer dans des mondes ignors, nous dvoile des horizons insouponns qui, vrai dire sont sans doute la matrice du rel

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authentique, celui qui chappe laction et la rflexion ordinaires, accapares par les soucis pratiques et les limites offertes par la perception et le bon sens.

Les analyses qui prcdent soulignent que la rflexion philosophique nest pas mme

dapporter des rponses mais en revanche quelle a pour mission de prendre conscience et donc de poser les questions pertinentes que soulvent le destin de lhomme et de lunivers au sein duquel ce destin sinsre. Platon, dans le Banquet cernait bien le problme lorsquil prtait un de ces personnages, Diotime, dans son dialogue avec Socrate, les propos suivants en vue de dfinir la nature et les objectifs de la philosophie : Aucun des dieux ne philosophe et ne dsire devenir savant, car il lest : et en gnral, si lon est savant, on ne philosophe pas ; les ignorants non plus ne philosophent pas et ne dsirent pas devenir savants ; car lignorance a prcisment ceci de fcheux que, nayant ni beaut, ni bont, ni science, on sen croit suffisamment pourvu. Or, quand on ne croit pas manquer dune chose, on ne la dsire pas . Je demandai (Socrate) : quels sont donc, Diotime, ceux qui philosophent, si ce ne sont ni les savants ni les ignorants ?

Un enfant mme, rpondit-elle, comprendrait tout de suite que ce sont ceux qui sont entre les deux

Ces remarques rejoignent la rflexion polmique de Schopenhauer (XIX sicle) qui

proclamait que plus un homme est infrieur par lintelligence, moins pour lui, lexistence a de mystre . Nietzsche ajoutait de manire plus directe encore que le but de la philosophie consistait lutter contre la btise, cette absence de rflexion qui conduit trop souvent une forme indue et dsolante de contentement de soi. Lutter contre la btise : vaste programme. Cest prcisment celui que vous propose cette anne dinitiation la rflexion philosophique, certes limite, mais qui, il faut lesprer, vous la fera aimer et peut-tre cultiver le restant de votre vie.

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QUEST-CE QUE LHOMME ?

I La conscience constitue-t-elle loriginalit de lhomme ? 1 La conscience immdiate et la conscience rflchie (L, ES, S)

Le terme de conscience a un sens plus ou moins tendu et cela nest pas sans provoquer

des confusions ou des difficults de comprhension lorsquon lvoque. Si on se rfre son tymologie, conscience signifie cum scientia cest--dire accompagn de savoir . Dans la conversation courante, lorsque nous disons par exemple que nous avons conscience dun problme, cela signifie que nous savons que ce problme se pose, que nous en connaissons la nature. La conscience renvoie donc un savoir.

Il nous faut donc rflchir sur la nature exacte de ce savoir. En effet une simple

observation de notre vie intrieure, ce quon appelle une introspection, nous conduit distinguer des degrs diffrents de conscience. Il est clair que lintensit de notre conscience nest pas la mme lorsque nous sommes concentrs, lorsque nous rvassons, lorsque nous accomplissons un geste mcanique comme pdaler, geste auquel nous ne prtons plus aucune attention. Cest ce titre quil est devenu classique de distinguer entre la conscience immdiate et la conscience rflchie.

La conscience immdiate nous distingue en quelque sorte dune pierre : sans vraiment y

rflchir, je sais que je suis prsent au monde, que telle ou telle ralit mentoure. En revanche, lorsque je prte attention une ide, un sentiment, une intention etc., je prends du recul par rapport moi-mme, ma propre vie intrieure, je me vois en quelque sorte en train dexaminer cette ide, ce sentiment, cette intention. Je ne me contente pas dtre prsent au monde, je men rends compte, je sais que je le sais. Il sagit alors de la conscience rflchie. Cette dernire dfinit la conscience par excellence. Etre conscient ce nest pas seulement savoir quon est prsent au monde, cest savoir quon le sait.

La conscience rflchie conduit donc distinguer un contenu de conscience, un objet

(ide, sentiment, intention, etc.) et un sujet , cest--dire un tre qui sait quil rflchit sur cet objet de conscience. La conscience rflchie entrane quintrieurement nous sommes doubles, cest--dire sujet et objet. Nous sommes en quelque sorte spectateur de nous-mmes ; nous nous percevons en train davoir une ide, un sentiment, une intentionCe savoir sur nous-mmes, cette perception de nous-mmes remettent en cause linnocence premire, labsence de savoir, autrement dit ce qui nous caractrise lorsque nous faisons corps avec nous-mmes, lorsque nous navons pas ce type de recul. Cette perte dinnocence amne Sartre proclamer que toute conscience est comdie . Parce que nous sommes conscients, nous sommes condamns tre en reprsentation, choisir une certaine image de nous-mmes, lincarner en quelque sorte. Notre personne, cest--dire cet tre capable de dire Je devient par la force des choses un personnage de composition comme lest un comdien. Dans LEtre et le Nant , Sartre illustre bien cette manire dtre originale du sujet conscient : Considrons ce garon de caf. Il a le geste vif et appuy, un peu trop prcis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs dun pas un peu trop vif, il sincline avec un peu trop dempressement, sa voix, ses yeux expriment un intrt un peu trop

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plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voil qui revient, en essayant dimiter dans sa dmarche la rigueur inflexible don ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de tmrit de funambule, en le mettant dans un quilibre perptuellement instable et perptuellement rompu, quil rtablit perptuellement dun mouvement lger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il sapplique enchaner ses mouvements comme sils taient des mcanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix mme semblent des mcanismes ; il se donne la prestesse et la rapidit impitoyable des choses. Il joue, il samuse. Mais quoi joue-t-il ? Il ne faut pas lobserver longtemps pour sen rendre compte : il joue tre garon de caf .

2 Pourquoi refuse-t-on ordinairement la conscience lanimal ? (L, ES, S)

Le psychisme animal

Partageons-nous avec le monde animal la conscience ainsi dfinie ? Cette question fait

lobjet dun dbat dont il est difficile de dire avec certitude sil est dorigine uniquement smantique (quelle dfinition donnons-nous ce terme de conscience ?) ou bien idologique (quelle ide nous faisons-nous de lhomme et de sa place dans lunivers ?) ou bien encore scientifique (que peut nous enseigner la biologie ou la neurologie en la matire ?).

Les animaux les plus proches de lhomme, notamment les animaux domestiques qui nous

entourent, possdent incontestablement une vie intrieure riche : ils ont des motions (ils manifestent leurs joies, leurs peurs, leurs envies, leur attachement etc.) ; ils ont des souvenirs et sont capables de certains apprentissages. Sans ces capacits, le cirque nexisterait pas. Le sens commun a tendance dire quil ne leur manque que la parole , sous-entendu pour devenir lgal de lhomme. Aussi a-t-on tendance leur accorder une forme de conscience et de pense et considrer quil ny a entre eux et nous, au pire, quune diffrence quantitative au niveau des facults.

Cette conception gradualiste de la prsence de la conscience de la bactrie lhomme est

aprs tout une thse quon ne peut exclure dun revers de main. Elle est en vogue une poque o laffectivit pour lanimal dans les pays riches est particulirement dveloppe et o lhomme est accus de dtruire la nature, ce qui amne certains, dans le cadre du procs instruit, relativiser limportance de lhomme pour mieux souligner limposture de ses agissements. Bref, lidologie de lhomme roi de la cration soutenu notamment par le christianisme, au culte de lhomme dvelopp par lhumanisme classique, tend se substituer un anti-humanisme gnreux dans ses intentions parce que color de proccupations cologiques.

Ce dbat prend surtout une importance sur le plan purement thorique. A supposer que

nous partagions la conscience avec le monde animal, la diffrence quantitative avec ce dernier savre incontestable. Il suffit pour sen convaincre de prendre en considration la civilisation et ses prodigieuses ralisations. Les efforts faits par certains chercheurs pour se mettre en qute des rares et limites crations dans le monde animal afin dy dceler des traces dune culture et le rapprocher du monde humain savrent assez drisoires.

Dailleurs la biologie claire sans ambiguts possibles cet cart bant entre les deux

mondes . Seul lhomme moderne possde une partie suprieure du cerveau aussi dveloppe, ce que lopinion commune dsigne sous le nom de matire grise . Le cerveau de lhomme possderait 100 milliards de neurones alors que le cerveau de lanimal le plus

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dvelopp aprs lhomme, savoir celui du chimpanz, nen prsente que 9 milliards. Cet cart arithmtique est de plus insuffisamment significatif ds lors que lon rappelle que chaque neurone tablit dinnombrables connexions avec dautres neurones. Il est ais de mesurer le gouffre anatomique et fonctionnel entre les deux espces, rendant compte des diffrences dans les capacits de cration entre monde animal et monde humain.

Loriginalit de la conscience

A partir de ces considrations, il ny a rien dillgitime davancer lhypothse selon

laquelle la conscience incarnerait une dimension spcifique de la ralit qui serait lapanage de lhumanit. De mme que la vie incarne un niveau spcifique dorganisation par rapport la matire inerte, de mme en irait-il de la conscience par rapport aux modes dorganisation des systmes nerveux donnant naissance aux diffrentes formes de psychisme animal.

Si cette hypothse se voit fonde, cela entrane une grande consquence sur le plan

thorique : la diffrence entre le monde animal et le monde humain nest plus seulement quantitative mais qualitative. Cette conclusion rejoint les analyses classiques en la matire concernant les diffrences affectant les vies intrieures des deux mondes en question. Lanimal prouve et exprime ses besoins par exemple : il a faim ou soif ; il a peur ou il exprime sa joie ; il se souvient de situations prcises. Il sait tout cela (tout au moins les espces ayant un systme nerveux dvelopp). Mais il ne sait pas quil le sait. Il ne sen rend pas compte. On a coutume de dire que lanimal, qui possde tous ces vcus, vit prcisment mais il nexiste pas si on entend par exister savoir quon vit . Cest cela la conscience : ce nest pas seulement savoir, cest savoir quon sait.

3 Peut-on dfinir la conscience ? (L)

La question peut surprendre. Quelle est loriginalit de la conscience ? Quelle est la

caractristique qui en fait sa spcificit ? Bref, quelle est son essence ? On dfinit souvent la conscience par une capacit de recul par rapport soi-mme ; dans la mesure o un tre est conscient, il ne concide plus avec lui-mme ; il ne se contente plus davoir des vcus, de penser etc., il se voit en train davoir peur, dexprimer sa joie, de penser, etc. Mais cela ne suffit pas pour dfinir la conscience.

En effet, une machine peut-tre programme en vue dacqurir, dans le cadre des limites de

sa programmation, des capacits semblables. Searle, dans Du cerveau au savoir (1984-1985) souligne que lon peut crire un programme qui permette un ordinateur de simuler la comprhension du chinois. Ds lors, si lon pose lordinateur une question en chinois, celui-ci va la confronter sa mmoire, ou sa base de donnes, et fournir les rponses en chinois. Pourtant, il va de soi que lordinateur ne comprend pas le chinois. Il naccde pas au sens. Ainsi, la conscience ou ce quon appelle encore la subjectivit, consistent dans cette capacit accder au sens. Or, cette capacit, dans sa nature intime, chappe ce jour notre comprhension. Le neurobiologiste peut toujours lui associer telles ou telles structures crbrales prcises sans pour autant rendre compte de laspect qualitatif de ce vcu, de cet accs au sens. La nature intime de la conscience demeure bien ce jour un mystre mtaphysique.

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4 Quentend-on exactement par la pense ? (L, ES, S) La notion de pense est plus prcise que celle de conscience, mme si elle est lie cette

dernire. La pense dsigne une capacit propre lhomme de se reprsenter la ralit sans tre exclusivement tributaire des informations dlivres par son corps ou ses organes des sens (vue, oue, toucher, odorat etc.).

En effet, un animal dvelopp sur le plan du systme nerveux, limage des animaux

familiers qui nous entourent, possde des reprsentations du rel. Do proviennent ces dernires ? Uniquement des informations sensibles, des informations quil reoit par la mdiation de son corps. Il est en quelque sorte prisonnier de son corps.

En revanche, un sujet conscient peut prendre un recul intrieur par rapport ces

informations sensibles, les modifier mentalement et par l mme distinguer le rel peru dun rel possible. Lhomme peut exercer son imagination. Lide de possible le conduit faire des hypothses scientifiques et mtaphysiques, crer des uvres dart, imaginer des techniques etc. bref utiliser des capacits de cration sans commune mesure avec celles des autres espces. Il peut galement faire preuve dabstraction, autrement dit il peut sparer mentalement ce qui est indissociablement uni dans la ralit. Le sujet peroit une fleur mais il peut distinguer sa forme, sa couleur, son odeur, sa consistance etc. Comme on le voit, abstraire ne consiste pas sombrer dans lirralit mais se reprsenter distinctement des aspects diffrents de cette ralit qui se prsentent indissociables au sein de cette dernire. Si on entend par la pense ces capacits dabstraction et cette possibilit dlaborer mentalement un univers intrieur distinct de lunivers peru, il va de soi que seul lhomme pense. Lhomme nest plus prisonnier de son corps et des informations que ce dernier propose. La pense, dit Platon, nous libre de la prison du corps .

5 La conscience est-elle la source dun statut mtaphysique privilgi de lhomme ? (L)

Ce dbat autour de la nature et de limportance de la conscience est capital si lon souhaite

se prononcer sur le statut de lhomme dans lunivers. Voil ce que Kant crit ce propos : Possder le Je dans sa reprsentation : ce pouvoir lve lhomme au-dessus de tous les autres tres vivants sur la terre. Par l, il est une personne ; et grce lunit de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et mme personne, cest--dire un tre entirement diffrent, par le rang et la dignit de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer sa guise ; et ceci, mme lorsquon ne peut pas encore dire le Je, car il la cependant dans sa pense.

Il faut remarquer que lenfant, qui sait dj parler assez correctement, ne commence quassez tard dire Je ; avant, il parle de soi la troisime personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumire vienne de se lever quand il commence dire Je ; partir de ce jour, il ne revient jamais lautre manire de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il pense . (Anthropologie du point de vue pragmatique)

Pascal va dans le mme sens lorsquil proclame dans les Penses : La grandeur de

lhomme est grande en ce quil se connat misrable. Un arbre ne se connat pas misrable. Cest donc tre misrable que de se connatre misrable ; mais cest tre grand que de

connatre quon est misrable. Penser fait la grandeur de lhomme.

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Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tte (car ce nest que lexprience qui nous apprend que la tte est plus ncessaire que les pieds). Mais je ne puis concevoir lhomme sans pense : ce serait une pierre ou une brute.

Lhomme nest quun roseau,, le plus faible de la nature ; mais cest un roseau pensant. Il ne faut pas que lunivers entier sarme pour lcraser : une vapeur, une goutte deau, suffit pour le tuer. Mais, quand lunivers lcraserait, lhomme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce quil sait quil meurt, et lavantage que lunivers a sur lui, lunivers nen sait rien.

Toute notre dignit consiste donc en la pense Ainsi, la conscience et la pense donnent lhomme une dignit particulire par rapport

toutes les autres espces animales. Car la conscience rvle tout homme sa propre existence mais aussi sa dimension morale. La conscience semble lui donner la libert qui lui permet de surmonter, sil le veut, ses intrts gostes au nom de valeurs suprieures. Cette possibilit qui lui est offerte le rend responsable de ses actes. La perte de linnocence animale et la noblesse ventuelle de ses choix moraux lui valent le respect qui est attach toute personne humaine.

A cette conception classique de lhomme, qui fait de la conscience et de la pense les

fondements de sa dignit et de sa supriorit, soppose un autre courant de pense dont Nietzsche est un des plus illustres reprsentants : Nous considrons que cest par une conclusion prmature que la conscience humaine a t si longtemps tenue pour le degr suprieur de lvolution organique et la plus surprenante des choses terrestres, voire comme leur efflorescence suprme et leur terme. Ce qui est plus surprenant, cest bien plutt le corps.

La splendide cohsion des vivants les plus multiples, la faon dont les activits suprieures et infrieures sajustent et sintgrent les unes aux autres, cette obissance multiforme, non pas aveugle, bien moins encore mcanique, mais critique, prudente, soigneuse, voire rebelle,- tout ce phnomne du corps est, au point de vue intellectuel, aussi suprieur notre conscience, notre esprit , nos faons de penser, de sentir et de vouloir, que lalgbre est suprieure la table de multiplication. ( La volont de puissance )

Dans Le Gai Savoir , Nietzsche relativise limportance de la pense et de la conscience :

Nous pourrions en effet penser, sentir, vouloir, nous ressouvenir, nous pourrions de mme agir dans tous les sens du terme : tout ceci naurait nullement besoin d entrer dans notre conscience . La vie entire serait possible sans pour autant se voir rflchie : cest effectivement ainsi dailleurs que pour nous la majeure partie de la vie continue scouler sans pareille rflexion- y compris mme notre vie pensante, sensible, voulante - si malsonnant que puisse tre ceci aux oreilles dun ancien philosophe. Pourquoi dailleurs absolument de la conscience, ds lors quelle est superflue lessentiel ?

A cette dernire question, Nietzsche y rpond de la manire suivante : Je me trouve en

droit de supposer que la conscience ne sest dveloppe que sous la pression du besoin de communiquer ; quelle ntait ncessaire et utile au dbut que dans les rapports dhomme homme (notamment pour le commandement), et quelle ne sest dveloppe que dans la mesure de cette utilit. La conscience nest quun rseau de communications entre hommes ; cest en cette seule qualit quelle a t force de se dvelopper : lhomme qui vivait solitaire, en bte de proie, aurait pu sen passer. Si nos actions, penses, sentiments et mouvements parviennent - du moins en partie la surface de notre conscience, cest le rsultat dune terrible ncessit qui a longtemps domin lhomme, le plus menac de tous les animaux : il

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avait besoin de secours et de protection, il avait besoin de son semblable, il tait oblig de savoir dire ce besoin, de savoir se rendre intelligible ; et pour tout cela, en premier lieu, il fallait quil et une conscience , quil st lui-mme ce qui lui manquait, quil st ce quil sentait, quil st ce quil pensait. Car comme toute crature vivante, lhomme, je le rpte, pense constamment, mais il lignore ; la pense qui devient consciente ne reprsente que la partie la plus infime, disons la plus superficielle, la plus mauvaise, de tout ce quil pense : car il ny a que cette pense qui sexprime en paroles, cest--dire en signes dchanges, ce qui rvle lorigine mme de la conscience. Bref le dveloppement du langage et le dveloppement de la conscience vont de pair. ()

Je pense comme on le voit, que la conscience nappartient pas essentiellement lexistence individuelle de lhomme, mais au contraire la partie de sa nature qui est commune tout le troupeau ; quelle nest, en consquence, subtilement dveloppe que dans la mesure de son utilit pour la communaut, le troupeau ; et quen dpit de la meilleure volont quil peut apporter se connatre , percevoir ce quil a de plus individuel, nul de nous ne pourra jamais prendre conscience que de son ct non individuel et moyen .

Ces textes de Kant, Pascal, Nietzsche, mettent en vidence les ambiguts propos de la

dfinition et de la nature mme de la conscience et de la pense. Il est clair que pour Nietzsche la conscience, la pense sont assimiles au psychisme en gnral. La conscience et la pense ne sont que des aspects superficiels de ce psychisme, les aspects communs tous les membres de lespce et qui napparaissent que sous la pression du besoin et par lintermdiaire du langage. Ce qui est remarquable, cest le corps et cette complexit du corps nest pas le propre de lhomme.

En revanche, pour la pense classique, non seulement la conscience et la pense ne se

rduisent pas un psychisme plus dvelopp mais se prsentent comme des dimensions nouvelles de la ralit, fondements de la spcificit et de la dignit particulires de lhomme. Comme nous le verrons, ces deux interprtations diffrentes propos du statut de la conscience et de la pense claireront nombre de conclusions propos des capacits daction et de connaissance de lespce humaine.

II LHomme est un tre culturel

1 Les relations entre la nature et la culture (L, ES, S, Tech.)

Quentendre par nature et culture ? La nature renvoie lensemble des ralits qui nont pas t cres par lhomme, que ce

soit le monde de la matire inerte, les tres vivants et donc les caractristiques hrditaires de notre corps. A loppos, la culture est lensemble des ralits matrielles et spirituelles cres par lhomme. La culture devient donc synonyme de la civilisation et non, comme on lentend frquemment, ltendue plus ou moins importante de nos connaissances.

De ce point de vue, tous les aspects de la vie humaine se rattachent la culture, que ce soit

nos habitudes alimentaires, vestimentaires, le type dhabitat, nos techniques, nos traditions profanes ou religieuses, nos croyances, les modes dorganisation des socits, lensemble de nos savoirs, nos uvres dart, nos langues de communicationetc. A ce titre, il ny a pas dhomme sans culture. Tout homme possde peu ou prou des savoirs et des pratiques dans les diffrents domaines voqus.

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Quappelle-t-on instincts ? Si les caractristiques corporelles de lespce humaine se rattachent la nature, il nen irait

pas de mme concernant ses comportements. En effet, lhomme se verrait dpourvu dinstincts. Cette affirmation se heurte des rsistances dans la mesure o la notion dinstinct a un sens plus ou moins large.

Dans la conversation courante, nous attribuons gnralement des instincts lhomme. On

voque linstinct maternel, linstinct sexuel, linstinct de survie etc. Mais il sagit l dune extension abusive du sens de ce terme. Quest-ce quun instinct au sens rigoureux du terme ? Il sagit de comportements inns, uniformes chez tous les membres de la mme espce, parfaitement adapts leur objectif et non susceptibles dvoluer sous leffet dun apprentissage. Lexemple type est celui de laraigne, lpeire diadme de nos jardins, qui tisse sa toile hexagonale et ce ds la naissance, compose de fils successifs dont alternativement lun adhre aux pattes de linsecte et lautre non, ce qui explique que laraigne en question ne se rend pas prisonnire de sa propre toile. Linstinct renvoie donc des comportements complexes, prcis, incarnant une mmoire hrditaire et autorisant ladaptation de lanimal concern son environnement.

Lintelligence comme capacit dapprentissage

Certes, lexemple de laraigne apparatra extrme et en fin de compte peu significatif. Ce

qui est vrai pour des espces dont le systme nerveux est rudimentaire peut-il sappliquer lensemble des espces animales, notamment les animaux domestiques qui nous entourent ? Car ces derniers sont capables dapprentissage. Si on considre que lintelligence se dfinit par la capacit dapprentissage, alors ces animaux possdent une forme dintelligence. Cependant, il est galement incontestable quils adoptent des comportements identiques tous les membres de leur espce, comportements qui ne rsultent pas dun apprentissage. A ct de lintelligence, ils se voient donc pourvus dinstincts.

En somme, au fur et mesure du dveloppement du systme nerveux la part dintelligence

et donc la capacit dapprentissage croissent et la part dinstincts ou de comportements inns et rigides dcrot, dans la mesure o ces derniers deviennent moins indispensables ladaptation leur environnement et leur survie. Il y a donc l une logique de lvolution, qui vraisemblablement sous la pression de la slection naturelle, ne conserve dans lorganisation des tres vivants que les caractristiques utiles cette survie.

Or, si lon poursuit dans cette logique, on comprend que lhomme, dont le cerveau est

capable de tout apprendre soit dpourvu dinstincts. Ces derniers, sils existaient, loin de le favoriser, deviendraient de par leur rigidit et leur caractre strotyp, des obstacles son progrs. Il semblerait que lhomme moderne, lhomo sapiens sapiens, ne possde quun seul instinct,- et encore cela est-il sujet discussion chez les anthropologues, cest--dire les spcialistes tudiant lhomme- savoir celui de succion. En effet, un enfant, ds la naissance, doit tre capable de tter sa mre, de se nourrir sans passer par le pralable dun apprentissage en la matire.

Il faut distinguer instincts et besoins

Mais alors quen est-il des instincts que lopinion commune attribue lhomme ? Peut-on

contester lexistence dun instinct maternel ou sexuel par exemple ? Il convient, afin

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dclairer ce dbat, de bien distinguer les notions de besoin et dinstinct. Lhomme, au mme titre que laraigne, possde des besoins, par exemple le besoin de se nourrir. Ce besoin se traduit par un certain nombre de sensations dordre physiologique.

En revanche, linstinct renvoie non lexistence mme du besoin, mais la manire de

satisfaire ce besoin, aux moyens utiliss cet effet. Laraigne tisse une toile afin de capturer ses proies. Toutes les araignes de la mme espce font de mme, en ralisant exactement la mme toile, sans jamais lavoir appris et sans que cette technique naturelle soit perfectible grce un apprentissage. Si lhomme possdait un instinct en vue de se nourrir, cela signifierait que tous les hommes, de toutes les poques, de tous les milieux, utiliseraient des techniques naturelles identiques, non apprises par consquent et non susceptibles de progresser.

Labsurdit dune telle hypothse apparat alors clairement. Par rapport au besoin de se

nourrir, la diversit des moyens pour y parvenir, que ce soit dans les techniques utilises ou bien dans le choix mme de la nourriture, est patente. Il en va de mme concernant la satisfaction du b