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Pierre-Antoine Cousteau APRÈS LE DÉLUGE

Cousteau Pierre-Antoine - Après Le Déluge

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  • Pierre-Antoine Cousteau

    APRS LE DLUGE

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  • dition originelle : Diffusion LA LIBRAIRIE FRANAISE

    Achev d'imprimer le 22 Novembre 1956sur les presses des Imprimeries Runies, 22, rue de Nemours, Rennes

    Dpt lgal : 4e trimestre 1956

    Mai 2007

    Pierre-Antoine Cousteau

    APRS LE DLUGE

    2e dition

  • En guise d'avant-propos :

    LA TERRE EST RONDE

    Le 23 novembre 1946 un grand monsieur glabre, revtu d'une ravissante roberouge agrmente de lapin blanc m'annona assez schement que j'taiscondamn mort.

    C'tait dplaisant, mais c'tait srieux. Trs srieux. Je ne connais rien de plussrieux que des canons de fusil convenablement orients.

    Cinq mois plus tard, un petit monsieur glabre mais sans robe, celui-l vint m'informer dans ma cellule que, tout bien rflchi, la Rpublique feraitl'conomie de ses douze balles et que ma peine tait commue en travaux forcs perptuit.

    C'tait plaisant. Mais a n'tait pas srieux. Plus srieux du tout. Avec cette grce , on retombait lourdement dans les fariboles. Le langage de mestourmenteurs avait cess d'tre plausible. Je pouvais croire la ralit dupeloton d'excution. Je ne pouvais pas croire ma perptuit : moinsd'endosser la bure un ge trs avanc, on finit bien par sortir du bagne.

    Et gnralement, lorsqu'on en sort, on ne dgouline pas de misricorde.Imagine-t-on d'ailleurs systme rpressif plus saugrenu ? Car il peut treraisonnable cela s'est toujours fait avec plus ou moins d'hypocrisie et dediscernement dans les socits polices de supprimer physiquement desadversaires. Et il est sans doute encore plus raisonnable de les rallier ou de lesneutraliser, l'heure du triomphe, en s'abstenant de leur faire des misres. Maisil est tout fait draisonnable, il est proprement dmentiel de tourmenter desvaincus avec lesquels tt ou tard il faudra de nouveau compter.

    la minute mme o le petit monsieur m'annona que j'allais vivre (et finirma vie au bagne, mais cela c'tait tout fait incroyable), je compris que, dansmon cas du moins, l'puration tait rate. Les seuls vainqueurs, expliquel'Hector de Giraudoux, sont ceux qui ont encore leurs yeux pour voir le soleil.

    Ds cette minute, il tait clair que, ds ma leve d'crou, je rcidiverais. Nonpoint je me hte de le dire par ressentiment : cette longue dtention m'aplutt flatt qu'aigri. Et point, non plus, dans l'espoir tout fait utopique dedissiper les tnbres contemporaines. Simplement parce que je suis ainsi fait qu'

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    la longue j'en arrive ne plus pouvoir supporter d'entendre rabcher que laterre est plate et que j'prouve l'irrsistible besoin d'affirmer qu'elle est ronde.

    Or c'est cela, la dmocratie : le rabchage tenace d'un copieux assortiment decontre-vrits. C'est de cela que la France s'alimente depuis prs de deux sicles.C'est de cela qu'elle a fini par se pntrer force d'entendre les pontifes prsentercomme des vidences ce que rejetterait le simple bon sens d'un gamin de dix ansou d'un bon sauvage.

    Des contre-vrits de base celles des immortels principes dcoulent ausurplus, tout naturellement, d'autres contre-vrits circonstancielles que leuractualit rend encore moins comestibles mais qu'il faut avaler en vrac avec toutle reste. Car les mythomanes ne font pas le dtail. Du mme souffle, ils nousassnent que les triangles ont quatre angles, que de Gaulle est intelligent, que leshommes sont naturellement bons, que Paris s'est libr tout seul, que les Russesprotgent la Hongrie, que les Boches ont la tte carre, qu'un cannibale vaut bienun Breton, que le parlement est une auguste institution, que les Anglais sont nosamis, que la gu-guerre de 39 tait indispensable et qu'une majorit d'imbciles atoujours raison.

    Je sais qu'on peut fort bien vivre et faire carrire en s'abstenant de rfuter cespaisses menteries, en feignant d'ignorer les faux et usages de faux dont lesrigolos de la dmocratie tirent un si grand profit. Mais ces rigolos sont sicocassement dcontenancs, si joliment exasprs ds qu'on leur rplique que laterre est ronde, que, bien avant la guerre, j'avais pris l'habitude de m'offrirchaque semaine, dans Je Suis Partout ce divertissement subversif. Et, ma foi,lorsqu'on a pris pareille habitude, on persvre. Je persvrai donc pendantl'occupation : quoiqu'en pussent dire les intrpides combattants radiophoniquesde la B.B.C, la prsence des Allemands Paris ne confrait aucune vracit auxcontre-vrits. La terre tait toujours ronde, l'lection toujours nfaste, M. deGaulle toujours demeur, les hommes toujours ingaux, et les bolcheviks toujoursdots du numro un dans la hirarchie des prils, ces bolchevicks dont soit diten passant les jobards de la gauche ne dcouvrent qu'aujourd'hui, aulendemain des carnages de Budapest ; la malfaisance, que nous fltrissions,nous, lorsque la Rsistance les couvrait de fleurs et que Roosevelt leur livraitl'Europe. Parce que hier comme aujourd'hui c'tait trs exactement la mmeignominie avec laquelle aucun honnte homme ne peut composer...

    Ensuite, bien sr, lorsque les efforts conjugus des bombardiers U.S. et desfantassins U.R.S.S. eurent restaur les amateurs de phantasmes dans leurmandarinat parisien, je fus, avec beaucoup d'autres ingnus, svrement chti.Mais point convaincu pour autant que la terre est plate, de plus en plusconvaincu qu'elle est ronde, et bien rsolu le rpter ds ma sortie de prison.

    Je dois dire que lorsque cet vnement faste finit par se produire, laconjoncture tait telle qu'il semblait presque superflu d'accabler les nouveauxmessieurs. Ils s'accablaient d'eux-mmes.

    J'avais quitt en aot 1944 une France prive de transports, de gaz,d'lectricit, de tlphones et de service postal. Je retrouvais en aot 1953 uneFrance prive de transports, de gaz, d'lectricit, de tlphones et de service

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    postal. Rien en somme de chang, en neuf ans, au dcor de la vie. Avec, toutefois,cette diffrence que ce qui tait, en 1944, la consquence normale d'une guerreplantaire tait, en 1953, l'effet d'une grve, dsastre artificiel gratuitementprfabriqu par les farfelus des autos cocardes.

    J'avais quitt une France, la France du Marchal qui, outre l'amorce d'unredressement spirituel, avait sauvegard, dans la dfaite, l'essentiel dupatrimoine national et prserv la valeur du franc bien qu'elle ft contrainte deverser l'occupant cinq cents millions par jour. Je retrouvais une France, laFrance issue de la Rsistance, qui ne payait plus aux Allemands cinq centsmillions par jour, qui empochait par contre cinq cents millions par jour desAmricains et qui, dans la victoire, n'en avait pas moins trononn cinq ou sixfois la monnaie, qui s'tait garde de relever ses ruines, d'acheter des machines,de se refaire une arme, qui se prparait allgrement fourguer l'empire ets'brouait avec une sereine suffisance dans un gchis dshonorant.

    Ds lors, puisque ce pays semblait s'accommoder de cette sanie, quoi bons'indigner, quoi bon discuter ? Il ne manquait pas de gens pour me conseillerl'abstention. En premier lieu, des bien-pensants si de ces inimitables bien-pensants qui furent si joliment marchalistes en 40 et si finement gaullistes en44, qui mettent un si bel acharnement toujours se renier, toujours se rallier, toujours trembler que les gesticulations des nergumnes de la droite ne lescompromettent, toujours rserver l'exclusivit de leurs sourires et de leursenveloppes leurs pires ennemis. Ces gens-l voulaient tout prix que je me fisseoublier. Et ils ajoutaient :

    Surtout, ne dites pas que vous sortez de prison. C'est trs mal vu dans labonne socit. Les baronnes rsistantes du rseau Rumpelmeyer ont horreur dea. Elles ne vous le pardonneraient pas. Et puis, quoi bon remuer toutes cesvieilleries ? Le pass est mort, pas vrai ? C'est vers l'avenir, vers le constructifqu'il faut se tourner, en rendant inlassablement hommage aux rsistants dudernier bateau, en collaborant sans arrire-pense avec les hommes de bonnevolont que le suffrage universel a mis la tte du pays. Et d'ailleurs les chosesvont-elles si mal ? Les Russes ne sont tout de mme pas Strasbourg, pour lespirituel nous avons Antoine Pinay et Billy Graham, et l'Esso Standard vient defaire une hausse bien consolante. Alors, de quoi se plaint-on ? Pour l'amour deDieu, tenez-vous tranquille. Surtout, pas de vagues.

    Pour des raisons bien diffrentes, un de mes grands amis le polmiste le plusdou de ce temps me conseillait, lui aussi l'abstention :

    Voyons, tu ne vas pas recommencer te salir les mains dans cette sordidebagarre. Polmiquer ? Avec qui ? quoi bon ? Mais elle est morte, la polmique.Les gens de la IVe l'ont tue. Regarde un peu leurs gueules. Impossible d'accolerdes adjectifs ces gens-l : les adjectifs les plus forts seraient trop faibles. Pourdmantibuler ces pitres, inutile de les injurier, il sufft de les dcrire, de lesphotographier et de reproduire stnographiquement leurs propos. Rien de plusaccablant. La ralit propre de ces individus les anantit...

    Voire. Suffit-il vraiment, pour discrditer des grotesques, de les laissergesticuler en silence, de les laisser mentir en silence ? Ce serait faire une part

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    bien belle ce fameux sens critique du peuple le plus spirituel dont on peut sedemander ce qu'il en subsiste aprs tant de dcades d'intoxication. Prenons unpetit exemple : il n'y a gure longtemps, m par son zle fellagha, M. Mends aproclam avec un aplomb fantastique :

    Jamais une arme rgulire n'est venue bout d'une insurrection nationale.

    la suite de quoi, que croyez-vous qui se soit pass ? Rien. Je veux dire que lesol ne s'est point entrouvert, que le ciel ne s'est point entnbr, que M. Mends aconserv la stupfiante audience dont il jouit au sein de la bourgeoisieintelligente . L'affirmation du Superman est pourtant le type mme de lacontre-vrit insoutenable. Quelle contre-vrit, d'ailleurs serait plusinsoutenable ? Vingt sicles d'histoire en hurlent l'absurdit et les plus cancresdes potaches savent que, contrairement ce qu'affirme M. Mends, c'est presquetoujours, d'Alesia Budapest l'arme rgulire qui triomphe del'insurrection. Sauf, videmment, si l'arme rgulire est battue sur un autrechamp de bataille, comme celle de Napolon qui perdit l'Espagne sur la Brsina,ou si l'arme rgulire est au service d'un gouvernement qui n'a pas envie devaincre, comme ce fut le cas de notre arme d'Indochine.

    Mais qui prit la peine de plonger le nez de M. Mends dans sa grosse salet ?Personne, bien sr, la radio, personne au parlement, personne dans la massecompacte de la presse rampante. Personne, sauf un franc-tireur du journalismequi accabla M. Mends sous le poids d'un manuel d'histoire pour la classe desixime. Sans corner, j'en conviens le crdit du personnage. Mais du moins cepolmiste isol avait-il sauv l'honneur.

    C'est dans cet ambitieux dessein, pour tcher moi aussi de sauver un petit peul'honneur, et aussi par fidlit pour les camarades d'infortune qui n'ont pasrenonc leur idal, que sitt franchies les grilles du bagne, je me suis senti, endpit de tous les conseils adverses, une furieuse dmangeaison de recommencer imprimer que la terre est ronde. C'est dire de recommencer polmiquer.Puisque c'est cela aujourd'hui, la polmique : le retour aux truismes.

    Mais matriellement, a n'tait pas commode. Pendant que j'expiais mescrimes, les porteurs de brassards des lendemains qui chantent avaient pris leursprcautions ; ils ne s'taient pas contents de scalper les demoiselles sur lesplaces publiques, ils avaient, par surcroit, rafl les imprimeries, toutes lesimprimeries, colonis les journaux, tous les journaux. N'tait-ce point d'ailleursla sagesse mme ? Comment l'imposture se ft-elle perptue sans cette razziaqui supprime toute vellit de controverse ? En mon absence, la presse franaises'tait faite monolithique. Car de l'Huma au Figaro, en dpit des escarmouches deparade dont on amuse le public, ds qu'il s'agit de l'essentiel, c'est--dire de laconservation des dpouilles, on se retrouve au coude coude. Et sur tous lesbastions de la presse-rfle, des guetteurs attendent l'hrtique, l'escopette aupoing. Il fallait beaucoup moins de quartiers de noblesse pour souper avec le roi-soleil qu'il ne faut de quartiers de rsistance, dans un quotidien-issu, pour treadmis l'ineffable honneur de dcrire le trpas d'un chien cras.

    Mon cas et donc t dsespr, j'eusse t condamn remchersilencieusement mes impertinences s'il n'y avait eu Rivarol. Mais il y avait

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    Rivarol. Le miracle de Rivarol. Le miracle d'un hebdomadaire maudit, cr dansun dnuement hroque par une petite quipe d'irrductibles qui dressaient leurallgre insolence, seuls, tout seuls, face la meute hargneuse des nantis. Bienavant que je fusse libr, ces vaillants avaient recommenc imprimer que laterre est ronde. Et comme j'avais envie de le dire aussi, ils m'accueillirent avecune fraternelle gentillesse. D'o les textes blasphmatoires que l'on va lire. quiles offrirais-je sinon aux chers complices qui m'ont permis de les crire ?

    P.-A. C. novembre 1956

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  • En guise d'introduction :

    ET LES AUTRES ?

    Je tiens reproduire, en tte de ce recueil, et sans y changer une virgule,l'article qui marqua ma rentre dans le journalisme. Car bien que trois annes sesoient coules, cet article demeure tristement actuel. Sans doute la Rpubliquea-t-elle lch, depuis, plusieurs centaines de ses captifs. Mais elle s'est garde deles librer tous. Ce geste d'lmentaire quit ne parlons pas de clmence elle ne se rsigne pas le faire. Il semble qu'elle prouve le besoinphysique de maintenir en prison ne serait-ce qu'un chantillonnage de rprouvsqui sont, si l'on ose dire, la justification de son rle historique. Combien de tempsencore le confort intellectuel des messieurs-issus exigera-t-il que la MaisonCentrale d'Eysses soit peuple de collabos sans relations ?

    e premier article que j'cris librement, dans un journal libre, moi qui ne suisplus en prison, pour qui serait-il sinon pour ceux qui sont toujours en prison ?L

    Car il y a toujours des gens en prison. J'entends des gens que l'on a accabls desrigueurs lastiques de l'article 75, des tratres, intelligents avec l'ennemi. Pasbeaucoup, bien sr, un millier tout au plus. Mais si peu qu'ils soient ils existent. Etpour chacun d'eux, la tragdie intime est l'chelle du monde.

    Les Franais l'ignorent. Depuis que la Rpublique s'est lasse de m'hberger, jesme la stupfaction dans mon sillage : Vous sortez de prison ? Il y a encore descollabos en prison ? Pas possible !

    C'est possible. Plt au ciel que Jacques Benoist-Mchin et moi-mme je parlede nous puisque nous avons fait l'un et l'autre l'objet de communiqus officiels fussions les derniers librs de l'puration. Mais il y a les autres, ceux dontpersonne ne parlera le jour de leur sortie, les obscurs, les sans-grade, les oublis,le rsidu.

    * * *

    La thse officielle, c'est que ces laisss pour compte sont les grands coupables,qu'ils sont en tout cas, de bien plus grands coupables que les un petit peu moinsgrands coupables dont une justice pointilleuse a finement chelonn les

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    librations en dosant au quart de semaine l'tendue du chtiment adquat leursforfaits.

    Cette thse-l est burlesque. Et je rougis pour les matres de ce pays d'avoir larfuter. Car il est inconcevable qu'ils puissent y croire un seul instant. Tropd'vidences s'y opposent. Je sais un peu trop, pour ma part, comment les choses sesont passes, pendant mes huit annes de bagne, avec quelle aimable fantaisienous avons fait l'objet de mesures de clmence qui tombaient au petit bonheurla chance comme auparavant les condamnations selon qu'on avait de la veineou des relations, sans qu'il ft possible de rien distinguer dans cette loterie quiressemblt un souci d'quit cohrente.

    Certains, parmi les premiers librs, se sont autoriss de cette hirarchie duhasard pour se convaincre qu'ils taient effectivement plus innocents, ou, si l'onveut, moins coupables que ceux qui restaient. Je veux bien. Mais si j'acceptevolontiers d'tre plus coupable , moi, simple journaliste, que tel ministre librdepuis plusieurs annes (et qui finit par se prendre de ce fait pour un hros de larsistance), je me refuse, par contre jouer le mme jeu avec les mille pauvresbougres du rsidu. Si culpabilit il y a (moi, ce mot me ferait plutt rire), je suissans aucun doute plus coupable que ces gens-l, et puisque je suis dehors, il estmonstrueux qu'ils soient dedans.

    * * *

    Ces pauvres diables qui poursuivent actuellement leur expiation Eysses, Oermingen, Casabianda, je les connais presque tous, je sais ce qu'ils sont, cequ'ils valent. Il y a parmi eux des mauvais garons et des garons magnifiques, desgarons mdiocres et des garons brillants. Il y a des miliciens, des gestapistes, desP.P.F., des policiers. Il y a des patriotes ombrageux et des tratres authentiques,des hros du front de l'Est et des dnonciateurs de village. Il y a le meilleur et lepire. Mais dans cet assemblage htroclite, rien qui ressemble une hirarchiedans la culpabilit. Au dbut de l'puration, dans les prisons surpeuples par leslibrateurs, l'assemblage tait tout aussi htroclite. Ce n'est pas la qualit qui s'estmodifie, c'est la quantit. Il ne reste plus beaucoup de monde dans les bagnes dela dmocratie franaise, mais ceux qui y restent ne sont ni plus ni moins coupables que ceux qui ont retrouv la libert au cours des cinq derniresannes. Pour ceux qui restent, un seul dnominateur commun : le manque dechance, le manque de relations.

    Mme et surtout, dirai-je, en ce qui concerne les mauvais garons. Car lesmauvais garons sont comme les bons garons : ils ont ou ils n'ont pas derelations. Le premier dtenu qui, Clairvaux, bnficia de la loi instaurant leslibrations anticipes (il gagnait quatorze ans, un record), tait un petit truandgestapiste nanti d'une jolie brochette de condamnations antrieures et qui rptaitvolontiers : Moi, la politique, je m'en tape, ce qui m'intresse, c'est lajonquaille . Rebatet et moi le vmes partir sans jalousie, sans non plus parvenir nous convaincre qu'il tait moins coupable que nous. Mais le petit truandconnaissait trs bien un ministre. Le coup tait rgulier.

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    * * *

    Sur un diptyque qui symboliserait l'puration, je verrais assez bien en regard dupetit truand, le cas du chef La Guillaumette. La Guillaumette (c'est, on le pensebien, un nom factice) tait un petit bonhomme malingre qui avait fait carriredans l'arme sans jamais parvenir dpasser le grade de caporal. Rejet par ladfaite dans la vie civile, il finit par chouer la milice de Paris o on lui donnal'quivalence de son grade (chef de main) et un poste de garon de bureau.Pendant trois mois, La Guillaumette fit remplir des fiches : nom du visiteur, objetde la visite, etc.. En aot 44, lorsque la milice quitta Paris, La Guillaumette avait sibonne conscience qu'il jugea superflu de s'expatrier. Que pouvait-on reprocher un garon de bureau ? On le lui fit bien voir en le passant tabac et en le jetantdans un cul de basse-fosse. Puis, lorsque commencrent les grands procs del'puration, les librateurs s'aperurent avec consternation que leurchantillonnage de tratres tait incomplet. Ils avaient des gens de la rueLauriston, ils avaient Paul Chack, Suarez et Brasillach, ils avaient des policiers,mais ils n'avaient pas un seul chef milicien. Fcheuse lacune. De quoi auraitl'air la Cour de Justice sans miliciens dvorer. C'est alors qu'un magistratingnieux dcouvrit qu'on avait La Guillaumette en rserve. Il tait milicien, et iltait chef , chef de main. Franc-Tireur pourrait tirer : Le chef milicienLa Guillaumette va rpondre de ses crimes . Ce qui fut fait. Le chef La Guillaumette fut proprement condamn mort. Certes, on ne l'excuta point,mais il n'en est pas moins rest plus de huit ans en prison. Ce coup-l aussi estrgulier. La Guillaumette n'avait absolument aucune relation.

    * * *

    Je ne prtends pas, bien sr, que tous les gens du rsidu soient tous aussiparfaitement innocents que l'infortun La Guillaumette. Mais ils sont presque tousaussi tragiquement abandonns. Sinon, ils seraient libres.

    Et libres aussi seraient les mauvais garons. Pour ces derniers je plaide poureux aussi, puisque les purateurs nous ont systmatiquement confondus, nous ontrendus, que nous le voulions ou non, solidaires la situation s'aggrave du faitqu'au lieu d'avoir t condamns, comme ils y auraient eu droit, par les Coursd'Assises, ils sont tiquets politiques . Contrairement ce qu'on imagine, c'estloin d'tre un avantage. Voyez les statistiques judiciaires : il est tout faitexceptionnel qu'un malfaiteur ordinaire reste neuf ans en prison ; il faut pour celaqu'il ait assassin pour le moins toute sa famille. Par le jeu normal des grces, desremises de peine, des librations conditionnelles, un vritable condamn de droitcommun doit, en principe, retrouver sa libert quitte se refaire prendreensuite pour un autre crime bien avant neuf ans. Mais les purateurs savaient cequ'ils faisaient : ils ont maintenu en prison un certain nombre de truands-tmoins,dpourvus de relations mais ployant sous de redoutables dossiers. Ce quipermettait de rpondre, lorsqu'on demandait la libration de Maurras, de l'amiral

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    de Laborde ou de Benoist-Mchin : Vous n'y pensez pas ! Aprs tout ce que ces gens-l ont fait ! .

    * * *

    L'poque de ces subtilits est rvolue. Il n'y a plus, dans les prisons de laRpublique, une seule de ces vedettes de la collaboration dont on prtendaitjustifier le maintien en dtention, en les entourant de truands-tmoins et d'unecertaine figuration de pauvres bougres. Il ne reste plus que les truands-tmoins etles pauvres bougres.

    J'aimerais bien que l'on m'expliqut quoi peut bien servir le prolongement decette situation absurde. Et qui est-ce que cela peut bien amuser. La valeur del'exemple ? Non, puisque le public ignore jusqu' l'existence de cet exemple. Etceux qui pouvaient se divertir M. Sartre, entre autres, ou M. Claude Bourdet, ouM. Roger Stphane, ou Mme Madeleine Jacob de nous imaginer, Rebatet etmoi, revtus de bure, au fond d'un bagne, sont dsormais privs de ce plaisirdlicat. Je ne suppose tout de mme pas que ce soit pour ces raffins, uneconsolation suffisante de savoir que le milicien Tartempion de Chantecoucou-sur-Lignon continue, neuf ans aprs le triomphe de la dmocratie, confectionner deschaussons de lisire.

    Il faut que le milicien Tartempion sorte lui aussi de prison. Et sans attendre. Onn'a que trop attendu. L'lyse n'est plus occup par un Monsieur la vindicteinfatigable. Les efforts de ceux des membres du Conseil de la Magistrature quisont parfaitement conscients de l'absurdit de cette situation, ne risquent plusd'tre systmatiquement contraris. Mais puisque le septennat de M. Coty doitvoir la fin du cauchemar, que ce ne soit pas en sept ans, ni en sept mois, ni mmeen sept jours. Il ne faut pas sept minutes pour remettre en libert des garons qui, coupables ou non, n'ont que trop pay.

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  • I AMI, ENTENDS-TULE VOL LOURD...

  • PITI POUR LA RSISTANCE !

    ujourd'hui je commence un peu m'y habituer. Mais au dbut ce fut dur.J'avais retrouv la libert dans les meilleures dispositions d'esprit.

    Compltement rgnr, compltement amend par les mditations carcrales.Tout pntr de l'normit de mes crimes. Bien convaincu qu'il avait t sacrilgede s'opposer aux restaurateurs de la Dmocratie. Sachant une bonne fois pourtoutes que la Rsistance tait absolument sacre. Honteux d'avoir pu mettre endoute, jadis, les vertus fulgurantes des preux librateurs qui m'avaient incarcr.Et bien dcid ne plus jamais retomber dans d'aussi excrables erreurs.

    A

    Or, le premier garon qui pronona devant moi le nom du gnral de Gaulle medit tout naturellement, comme une chose qui allait de soi : Ce con de DeGaulle .

    Je fus scandalis.D'abord parce que j'ai horreur des vocables grossiers. Et surtout parce qu'il me

    paraissait inimaginable qu'on pt traiter avec une pareille dsinvolture l'hommedu 18 juin. D'autant que le garon qui blasphmait ainsi n'tait point un fascistehitlro-nippon. C'tait un mdaill de la Rsistance.

    Mais a ne faisait que commencer. Depuis il ne s'est point pass de jour sansque j'entendisse dire et dire par des gens qui avaient vcu les quatre annesd'occupation dans l'attente mystique du sauveur bibiciste exactement la mmechose dans les mmes termes. Jamais une fausse note. Jamais une protestation.L'pithte s'impose ce point qu'elle a fini par se souder au patronyme et que desgens qui chtient habituellement leur langage sacrifient la vulgarit par soucid'exactitude.

    On pourrait s'tonner sans doute, que l'on continut tenir pour exemplairel'initiative prise le 18 juin par un personnage dont on admet si communment ladbilit mentale. Mais mon intention n'est point de relever cette contradiction, nide me lancer dans des dveloppements subversifs. Je le rpte : je suis amend. Jeme borne enregistrer des propos dont je demeure choqu.

    Je constate aussi avec un chagrin sincre que l'homme qui vient tout de suiteaprs De Gaulle dans la hirarchie de la Rsistance n'est pas, dans le clan desvainqueurs, en bien meilleure posture. J'ai eu sous les yeux en son temps un longreportage du magazine anglais Tribune qui portait pour titre : The most hatedman in France . Il ne s'agissait plus ici de dficience intellectuelle, il s'agissait dehaine. Et l'homme le plus ha c'tait M. Georges Bidault, c'tait le prsident dece glorieux C.N.R. en qui s'incarnait, aux heures noires, l'esprance des patriotes.Sans doute le jugement du magazine anglais tait-il excessif. Mais pendant la

  • APRS LE DLUGE

    guerre d'Indochine M. Vallon n'hsitait pas accuser M. Bidault de forfaiture ,M. Bourdet crivait qu'il dirigeait le parti du crime et M. Mauriac expliquaitaux lecteurs de l'Express que ce ministre des Affaires trangres tait un tratre.Des centaines de parlementaires pensaient de mme, des douzaines de journauxont imprim ces amnits.

    Encore une fois, je m'abstiens d'adhrer un pareil point de vue. Je constate ceque disent des masses de Franais qui ne sont ni des repris de cours de justice nides indignes nationaux.

    Je constate que, pendant son septennat, lorsque M. Vincent Auriol, premierprsident de la IVe issue de la Rsistance, paraissait sur les crans, l'hilarit taitgnrale. Et que lorsqu'on voque Monsieur Paul ou Madame Jacqueline, lamalveillance ne l'est pas moins. J'en suis froiss, je l'avoue. Dans mon thique moi ni Csar, ni sa femme, ni son fils, ni sa bru ne doivent tre souponns.

    Je constate avec non moins de peine, que ds qu'il est question de M. Gouin, quiprsida l'Assemble d'Alger cette premire incarnation lgislative de laRsistance, cet minent aropage d'irrprochables Solons les gens ont tout desuite un drle d'air pour vous parler d'histoires de vin auxquelles, pour ma part, jene comprends goutte.

    Je constate avec douleur qu'il fut un temps o M. Pleven, qui figure sur toutesles photos du Comit de Londres, qui est donc un des prioritaires immaculs de laRsistance, ne pouvait plus se montrer en public sans recevoir des gifles, nidclencher des temptes d'imprcations.

    Je constate avec gne que M. Laniel, photographi lui aussi aux cts duPremier Rsistant de France, sur les Champs-lyses, au moment de la paraded'inauguration libratoire, est caricatur par le Canard Enchan avec une tte debuf et qu'avant d'tre renvers, il se faisait donner des coups de pied dans lestibias lorsqu'il avait l'imprudence de retourner sur les mmes Champs-lysessans protection policire suffisante.

    Je constate c'est tout fait choquant que le Grand Chancelier de l'Ordre dela Libration, l'intrpide et pieux amiral-moine Thierry d'Argenlieu a t dnoncpar M. Emile Roche, prsident du Conseil conomique, comme le premierresponsable des dsastres d'Indochine.

    Je constate que s'il est l'idole des Jacobins de Passy, M. Mends-France hrosbrevet des F.F.L. est, par contre, tenu par des millions de citoyens pourresponsable de la dsagrgation de l'empire et couramment assimil unpouvantable flau.

    Je constate, en crasant une larme furtive, que les communistes qui furent lachair et l'me de la Rsistance sont maintenant considrs comme des ennemispublics par la majorit des Franais. Je constate qu'on a mis en prison paslongtemps bien sr le chef du parti, M. Duclos, et le rdacteur en chef dujournal du parti, M. Stil. Si peu que ces intressants personnages soient rests sousles verrous, c'est la preuve que leur activit tait juge criminelle par ungouvernement qui n'tait point compos, que je sache, de fascistes ou de nazis. Etau sein mme du parti, on met normment d'insistance nous convaincre que lesrsistants Marty, Tillon et Lecur sont dcidment des pas grand chose et des va-de-la-gueule.

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  • APRS LE DLUGE

    Je constate que les compagnons de route des camarades-cocos, les chersprogressistes qui furent eux aussi la pointe des combats clandestins ne valentgure mieux au regard de l'opinion et au regard de la loi. Il a fallu toutel'obligeante insistance de M. Mitterand pour que M. d'Astier de la Vigerie,directeur de Libration, chappt aux foudres du tribunal des fuites. Quant MM. Claude Bourdet et Roger Stphane qui oprent dans les mmes eaux, ils onteu un petit peu moins de chance : l'un et l'autre ont t incarcrs. Le premierpendant quelques heures, le second pendant quelques jours. Ce qui est drisoire,videmment, pour des citoyens du tout venant, mais norme pour des citoyens depremier choix que les grands cordons maquisards mettent au-dessus des lois.Fallait-il que l'intelligence avec l'ennemi de ces pontifes ft clatante pour que lesmagistrats de la IV se fussent rsigns leur montrer ne serait-ce que pour unevision fugitive l'intrieur des prisons de Fresnes ! Encore une fois je n'exprimepas une opinion, j'enregistre des dcisions prises par des juges d'instructionrpublicains.

    Du ct des grands penseurs de la Rsistance intellectuelle, c'est encore plusconsternant. Voyez comment M. Jean Paulhan a dculott ses ex-camarades derseau dans sa Lettre aux Directeurs de la Rsistance . Voyez avec quelleassurance le marchal Juin a expliqu en pleine Acadmie que M. FranoisMauriac tait un voyou. Voyez comment avant de se rconcilier avec lui, l'Huma atrait M. Sartre d'intellectuel-flic . Et comment M. Sartre a trait M. Camus depauvre idiot.

    Dans ce tour d'horizon des figures de proue, je n'aurai pas le mauvais gotd'voquer de Rcy ou Dordain, ou Guingouin, ou quelques autres indlicats demoindre relief. Les causes les plus nobles ont leurs abcs purulents. Ces abcs dela France ne prouvent rien contre la Rsistance. Ou plutt ils ne tireraient pas consquence si les grands chefs conservaient un prestige intact. Or que reste-t-ilde ce prestige aprs douze annes de lendemains chantants ?

    Il se forme, gmissait rcemment un certain M. Hertz dans Franc-Tireur, descabales et des bandes pour les insulter et les renier (les rsistants) chaque jourdavantage.

    Et M. Rmy Roure de dplorer, lui aussi, que le pyjama ray soit ce point passde mode.

    Mes minents confrres-issus ne me croiront pas, bien sr, si je leur dis que,dans une certaine mesure, je partage leur indignation. Mais je le leur dis tout demme.

    D'abord parce qu'il est toujours choquant de voir un peuple renier ses idoles. Neserait-ce que par simple pudeur, les fanatiques 40-44 de M. de Gaulle devraientnous laisser, nous, le monopole des sarcasmes et s'abstenir de rabcher que leursauveur est un grand imbcile.

    Et ensuite parce que ce discrdit gnral dans lequel ont chu les inventeurs etles animateurs de la Rsistance rejaillit de la faon la plus injuste sur l'ensembled'un mouvement qui comptait tout de mme pas mal de braves garons.

    Pour ma part, bien que je n'volue gure dans ces eaux-l, j'en connais au moinsdeux ou trois. Je pense surtout mon ami Jacques Perret qui est vraimentl'homme le plus estimable, le plus respectable que l'on puisse imaginer.

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  • APRS LE DLUGE

    Perret, caporal pingle , s'est vad quatre fois de son stalag. Pas seulementpour retrouver sa famille. Pour reprendre le combat. Il voulait tout prix bouter leBoche hors de France. Il s'interdisait de voir, au-del de ce point de dpart, ce quenous, nous apercevions clairement : la dmocratie, le bolchevisme. Mais c'tait sonide. Je ne la discuterai pas. Ds qu'il eut enfin russi fausser compagnie sesgardiens, Perret gagna aussitt un maquis o l'on ne se contentait pas de tondredes femmes et de piller les bureaux de tabac, o l'on se battait vraiment. Tout celame parat autrement honorable que le dcoupage des tickets de mtro en V qui fut,dans la plupart des cas, la plus grande des audaces que se sont autorises ceux quinous infligent aujourd'hui des leons de patriotisme. Plus honorable que larsistance de M. Sartre qui donnait la comdie aux Allemands. Plus honorable quela rsistance de M. Cayatte qui fabriquait des scnarios pour l'hitlrienne Continental .

    Et la preuve que la rsistance de Jacques Perret fut vraiment tout faithonorable et d'une irrprochable authenticit, c'est que le caporal pingle atermin la campagne avec le grade de sergent.

    Sergent ! Vous vous rendez compte ! Alors qu'il lui suffisait de dvaliser, commetout le monde, une boutique de passementerie pour devenir colonel.

    Grce quoi, je suis fier d'tre l'ami du sergent maquisard Jacques Perret. Mais tout en l'admirant je le plains. Je le plains d'avoir risqu sa vie pour une

    cause dont les grands chefs sont, tort ou raison (moi, je ne juge pas), siuniversellement dcris. Et je suis rvolt qu'on puisse confondre des garonscomme Jacques Perret avec des gens dont on dit si communment (pas nous, lesFranais dans leur ensemble) qu'ils sont stupides ou incapables, ou tratres oucorrompus.

    Ces garons valent tout de mme mieux que a.Ils ne mritent pas qu'on les assimile au Premier Rsistant de France, ou au

    Premier Prsident de la Rpublique Quatrime, ou au Prsident du C.N.R. ou auGrand Chancelier de l'Ordre de la Libration, ou au ministre de la Guerre descuvettes, ou au dserteur hmiplgique du P.C. ou au naufrageur de l'Empire, ouaux intellectuels de l'affaire des fuites.

    Mais ces choses, aprs tout, regardent d'abord les honntes garons de laRsistance que leurs chefs discrditent en vrac.

    C'est eux de jeter ces chefs par-dessus bord.Et il sera plus ais ensuite si jamais cela se fait de parler de la Rsistance

    non plus avec compassion mais avec quit.

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  • LES FAUX VRAIS ET LES VRAIS FAUX

    l y avait une fois Lavit-de-Lomagne (Tarn-et-Garonne) un notaire quis'appelait Me Dumas.ILe 15 mars 1945 (sept mois donc aprs le dpart des Allemands), cinq hommes

    arms arrivent en auto chez ledit notaire. Nous venons, expliquent-ils, perquisitionner au nom de la Rsistance.Et ils ajoutent, trs classiquement : O sont les bijoux ?Le notaire montre peu d'empressement. Pour lui apprendre demeurer dans le

    courant de l'histoire, les cinq braves lui mettent son compte de plomb dans la tte.Fin du notaire.

    Tout cela, videmment, ne serait pas bien grave et serait mme une de cesactions hroques que l'on donne en exemple aux enfants des coles (et qui fontdire M. Andr Rousseaux que les hommes du maquis se situent sur le mme planque les croiss ou les soldats de l'An II) si l'on avait pu dmontrer que Me Dumasavait collabor. Ne serait-ce qu'un tout petit peu. En adhrant par exemple laLgion des Combattants. Ou en ayant dans sa salle manger le portrait duMarchal. Ou en indiquant son chemin un militaire vert de gris.

    Rien de semblable, hlas ! Tout ce qu'on peut relever contre le dfunt, c'est que,peu de temps avant sa mort, il avait fait arrter un de ses assassins nomm Alvarezqui avait vol un ciboire l'glise de Lavit. Et certes, cette initiative tait bienprsomptueuse. Car comment affirmer, a priori, que le voleur de ciboire n'avaitpas en vue la libration du territoire ? Mais, en dfinitive, il parat que a n'taitpas le cas. De sorte que, mme en s'en tenant la pointilleuse thique patriotiquede Mme Madeleine Jacob, Me Dumas pouvait tre autoris conserver sa vie et sesbijoux.

    Or, on s'est tout de mme dcid avec normment de retard, bien sr faire des misres juridiques aux excuteurs du notaire, ou du moins celui quisemble avoir t leur chef, un Espagnol de l'arme (rpublicaine) en droute,appel Villadiel.

    Le compte rendu de cette affaire tait titr en gros caractres par le Figaro : L'assassinat par de FAUX rsistants du notaire Dumas . On lisait l'article quirelatait en substance ce que je viens de dire, et l'on arrivait ainsi aux lignes deconclusion : Xavier Jorda-Villadiel a t condamn cinq ans de rclusion,mais la Cour l'a sur-le-champ amnisti en RAISON DE SA PARTICIPATION LA RSISTANCE .

  • APRS LE DLUGE

    Voil videmment de quoi plonger les lecteurs de M. Pierre Brisson dans unabme de perplexit dont toute la savante subtilit de M. Champagne aura eu dumal les tirer. Car, en somme, si l'intrpide M. Villadiel a tu en qualit de fauxrsistant, c'est en qualit de vrai rsistant qu'il a t amnisti. Dans ces conditions,comment le situer, et qu'est-il au juste ? Un vrai faux rsistant ? Ou un faux vrairsistant ? Et faut-il conclure des dcisions de la Cour d'Assises du Tarn-et-Garonne que le faux peut ne pas tre seulement vraisemblable, mais vrai,purement et simplement ? Et rciproquement, que le vrai peut treauthentiquement faux ? Les citoyens franais se trouvent-ils autoriss par ceverdict qui ne manquera pas de faire jurisprudence couler de faux billets de5.000 francs et exiger que les commerants les encaissent comme s'ils taientvrais ? Et que penser dsormais de ce Salon du Faux qu'a organis Paris lePrfet de police avec des toiles objectivement fausses que les impratifs de laconjoncture politique et du devenir historique peuvent trs bien nous contraindreun jour accepter comme subjectivement vraies ?

    Il va de soi, d'ailleurs, que de pareilles contradictions ne peuvent embarrasserque les esprits demeurs dont je suis, c'est--dire les individus insuffisammentfrotts de dialectique hglienne. Aux Deux Magots et dans les antichambresde l'Express ou de France-Observateur, on sait depuis longtemps qu'il n'y a pas lamoindre incompatibilit entre le vrai et le faux, que le cas du maquisard Villadielne heurte nullement la raison, qu'il se situe dans le droit fil du relativismeeinsteinien, qu'il n'est, en somme, qu'une simple application des lgitimesdistinctions entre l'en soi et le pour soi.

    Lorsque, par exemple, M. Franois Mauriac ddicaait affectueusement sonlivre La Pharisienne au lieutenant Heller de la Propaganda Staffel, ou lorsqueM. Claudel crivait son Ode au Marchal et conviait l'ambassadeur Otto Abetzau Soulier de Satin, ou lorsque M. Jean-Paul Sartre faisait jouer les Mouches etHuis clos devant des parterres feldgrau, ou lorsque M. Pierre Brisson louait Vichyde son statut des Juifs (Figaro 20-11-41), ou lorsque M. Francisque Gay crivait le7 avril 1944 une lettre destine la Gestapo pour affirmer son collaborationnismeet rprouver la rsistance, ou lorsque M. douard Herriot adjurait ses collgues, le9 juillet 1940, de voter pour Ptain, ou lorsque M. Vincent Auriol engageait leshabitants de Muret s'unir derrire le chef de l'tat franais, il est bien videntque ce n'taient point l des actes de vraie rsistance et que les intressantspersonnages sus-numrs se comportaient plutt, dans ces circonstances biendtermines l'instar de Villadiel butant son notaire comme de fauxrsistants.

    Et pourtant qui oserait prtendre que MM. Mauriac, Claudel, Sartre, Brisson,Gay, Herriot et Auriol ne sont pas de purs, de vrais, d'authentiques rsistants ? Illeur a suffi de le proclamer en temps opportun (c'est--dire aprs le 32 aot) et dele rpter avec assez d'obstination pour que tout le monde en soit convaincu. an'tait pas plus difficile que a...

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  • QUI FUT LE PREMIER ?

    l est un titre qui prte contestation, c'est on le sait, le plus beau de tous lestitres, celui de premier rsistant . Jusqu' la visite solennelle que fit Paris

    S.M. Hal-Salassi, roi des rois et empereur d'thiopie, la comptition semblait selimiter deux candidats galement valeureux :

    IMM. de Gaulle (Charles) et Thorez (Maurice). Mais lequel de ces deux grands

    Franais tait vraiment le premier rsistant ? Celui qui avait dsert la France deDaladier ou celui qui avait dsert la France de Ptain ? L'ami de M. Staline, oul'ami de M. Churchill ?

    Douloureuse incertitude qui ne pouvait qu'assombrir l'me de tous les vraisdmocrates et qui sembla se dissiper le jour o le Ngus fit son apparition dans lacapitale franaise. Ce jour-l, en effet, le gouvernement de la rpublique renvoyados dos les deux favoris, l'un la littrature, l'autre l'hmiplgie, en dcernantla palme, de la faon la plus solennelle l'outsider couronn.

    Le texte de cette conscration c'est celui de la citation qui accompagne l'octroide la mdaille militaire est sans quivoque :

    Symbolisant le premier l'esprit de rsistance qui, plus tard, fit se dresser lespeuples injustement opprims, il (le ngus) ne cessa, jusque dans l'exil, de lutterpour la libration de son pays.

    Ainsi se trouvent limins dans la course au N 1 deux personnages minents,certes, et bien sympathiques, mais dont la rsistance apparat un peu jeunette ct de celle de l'Empereur d'thiopie.

    Est-ce dire pour cela qu'en dfendant une civilisation noblement esclavagisteet gentiment cannibale contre la barbarie des Blancs d'Italie, S.M. Hal Slassi avritablement symbolis LE PREMIER, l'esprit de rsistance ?

    Ce serait ramener l'histoire et la gographie des proportions bien triques. Lepetit-fils de la reine de Saba a eu, Dieu merci sans quitter le cadre de l'Empirefranais, sans aller jusque chez nos amis hrditaires, voquer les Cipayes, lesDerviches et les Mau-Maus quelques devanciers illustres qu'un gouvernementaussi pris que le ntre de justice et de progrs se devrait de ne point rayer de sonpalmars.

    Abd-el-Kader en Algrie, Abd-el-Krim au Maroc, la reine Ranavalo Madagascar, Behanzin au Dahomey, Samory en A.O.F. n'ont-ils pas eux aussijoliment symbolis l'esprit de rsistance ? N'ont-ils pas galvanis des peuplesinjustement opprims avec une noblesse et un courage qui selon les proprestermes de la citation du Ngus soulvent l'admiration de tous les hommeslibres ?

  • APRS LE DLUGE

    Il est sans doute malais aujourd'hui de rparer tout fait l'injustice que lescolonialistes franais infligrent ces preux. La mdaille militaire titre posthumeserait insuffisante. Reste le Panthon. On ne comprendrait pas qu'aprs avoiraccord au roi des rois la dcoration qu'elle a retire Ptain, la patriereconnaissante n'accueillt pas dans le sanctuaire de ses grands hommes tous ceuxqui luttrent intrpidement contre les brutes militaires franaises.

    Et j'espre qu'alors, aprs avoir honor les chefs prestigieux, on n'oubliera pasles obscurs, les humbles, les sans-grade.

    Plus spcialement les patriotes anonymes qui combinrent si plaisamment larsistance, la gastronomie et la dfense de la lacit en croquant les missionnaires belles dents.

    Le tout serait couronn naturellement par un monument au colouredmaquisard inconnu.

    Celui, par exemple, qui a mang Bougainville.Il n'en est pas qui symbolise de faon plus raliste l'esprit de rsistance.Que l'empereur Hal Slassi se fasse une raison : il n'est pas le premier.

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  • POUR DU BEURRE

    ertes, nos grands anctres sans culottes se sont fait casser la tte pour qu'oninondt de lumire le cabinet noir du Roi-libertin, pour qu'on fracturt

    l'armoire de fer du Roi-serrurier, pour que la diplomatie se transportt sur la placepublique. C'est l un des immortels principes, un des plus universellement admis.Mais cela n'a pas empch sir Winston Churchill de piquer une grosse colrelorsque, conformment cet immortel principe, les Amricains ont publi lesprocs-verbaux des entretiens de Yalta. Sir Winston et prfr que l'on attendtune bonne cinquantaine d'annes avant de livrer la curiosit publique les proposaprs boire des distingus charcutiers de la World War N II.

    C

    On comprend sir Winston. Dsormais le plus obtus des lecteurs de France-Soirne peut plus ignorer que l'oncle Jo, l'oncle Franklin et l'oncle Winston n'taientdcidment pas contrairement aux affirmations premptoires de la Bibicivesprale des annes de guerre le Pre Nol en trois personnes. Et mme queces paladins de la dmocratie se comportrent, entre six yeux, comme d'asseztristes sires, buvant la sant des pelotons d'excution, tranchant dans la chairvive des nations, bafouant le droit des peuples disposer d'eux-mmes, sans lemoindre remords, sans le moindre scrupule. Si vilainement que le journalCombat, auquel je laisse bien entendu la responsabilit de ses propos sacrilges,n'a pas hsit crire : Maintenant, ne rions plus ; on se prend prfrer,parfois, le cynisme avou de Hitler . Je ne suivrai videmment pas notreconfrre rsistant sur un terrain aussi savonneux.

    Je m'abstiendrai galement d'insister sur l'opinion que les Trois Grands pourune fois ils taient merveilleusement d'accord avaient les facults intellectuellesde M. de Gaulle. Si l'on excepte M. Malraux, M. Palewski et une douzained'hurluberlus du mme mtal, cette opinion est aujourd'hui trop gnralementadmise en France pour que sa divulgation puisse choquer les plus ombrageux despatriotes.

    Ce qui est plus pnible, c'est le jugement que nos trois grands allis portent surla rsistance franaise. Comme il y a aujourd'hui, en France, quarante-troismillions d'anciens rsistants, on pourrait penser qu'une masse aussi fantastique aapport la cause allie une assistance inapprciable. Or MM. Staline, Rooseveltet Churchill (d'accord une fois de plus) en parlent trs exactement comme si an'avait compt que pour du beurre.

    Et tous trois galement tombent d'accord sur le fait que, de tous les paysoccups, c'est la France qui a le moins souffert, sauf ils le reconnaissent bienvolontiers du fait des bombardements allis.

  • APRS LE DLUGE

    Je vois bien ce que de mauvais esprits qui ne seraient pas, comme moi,compltement rgnrs par la dmocratie tireraient de ces constatations. Ils nemanqueraient pas de prtendre vilainement que si la France a beaucoup moinssouffert que les autres pays, c'est parce qu'elle avait le gouvernement du Marchal.

    quoi les bons esprits rtorqueraient que si la France a t relativement bientraite aprs la guerre, c'est en hommage sa rsistance .

    Mais les mauvais esprits rpondraient aussitt que ce critrium n'a absolumentpas compt dans la distribution des prix, que le pays dont les trois grandsopposaient, dans leurs colloques, les vertus rsistantes au manque de combativitdes Franais n'tait autre que la Pologne et qu'on sait comment elle a t paye deses peines et de ses souffrances : en tant jete en pture aux ogres bolcheviques.Que, par consquent, l'important avait t de souffrir le moins possible pendantles annes noires.

    Sir Winston Churchill a d'ailleurs proclam Yalta, avec une dsinvolture quiira droit au cur des mobiliss de 39, qu'il se fichait pas mal de la Pologne et desPolonais.

    Moins brutalement Marcel Dat avait dit qu'il n'tait peut-tre pas absolumentindispensable de mourir pour Dantzig.

    Marcel Dat tait un tratre.Sir Winston Churchill, lui, demeure une figure de proue.Il y a Paris une place Stalingrad et une station de mtro Franklin D. Roosevelt.

    Et il y aura ds qu'il consentira trpasser une avenue Churchill. C'est tout.

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  • II

    AU DEL DU PRE UBU

  • 14 JUILLET 1954

    e 14 juillet 1954 est le premier, depuis dix ans, que je fte (si j'ose dire) endehors d'une prison.C

    Comme le disait si justement mon bon matre Victor Hugo : Oui, la chute decette Bastille, c'tait la chute de toutes les bastilles... c'tait l'croulement detoutes les tyrannies. C'tait l'closion de l'homme... Le 14 juillet a marqu la finde tous les esclavages. 1

    Ces lignes de l'immortel pontife, c'est en prison que je les ai copies. C'estseulement lorsqu'on est soi-mme en prison qu'elles prennent toute leur saveur. ct des gants de la pense dmocratique, quel est l'humoriste de profession quisupporte la comparaison ?

    * * *

    Cette anne, pour l'anniversaire de la prise de la Bastille, je ne suis pas enprison.

    Ou plus exactement, on a nglig de m'y remettre. Ce qui chagrine fortMM. Lecache, Bourdet et Deb-Bridel, ces personnalistes.

    Mais Bardche, lui, est en prison. Et c'est l'essentiel. La Dmocratie franaise abesoin, pour s'panouir, d'un contingent d'hrtiques emprisonns.

    La vertu de l'exemple : voyez ce qui vous arrivera si vous pensez mal.

    * * *

    J'ai cherch en vain dans toute la presse-issue que j'ai le triste devoir de lirechaque jour une seule ligne en faveur de Bardche.

    Une seule ligne d'un honnte journaliste qui conviendrait honntement que,tout de mme, dans ce cas prcis, les gens du Systme vont un peu fort. Mais tousles dtenteurs de rubriques se sont tus. Cette iniquit-l ne les concerne pas. Et ilsn'prouvent mme pas le besoin de s'en laver les mains. Peut-tre ignorent-ils eux-mmes qu'ils ont les mains sales.

    * * *

    1 Discours au Snat, 3 juillet 1880.

  • APRS LE DLUGE

    Les mains sales de M. Mauriac se sont jointes pour prier Dieu qu'on accorde uneamnistie complte aux assassins de couleur.

    Aux assassins des colons franais. ceux-l seulement.Pas un crivain franais qui s'est permis de dire sur les monstruosits

    juridiques du procs de Nuremberg ce que cent juristes trangers, neutres ouallis, ont dit dans leurs pays respectifs sans soulever la moindre protestation.

    Et pas d'amnistie non plus pour les malheureux pauvres bougres peau blanchequi demeurent dans les prisons franaises le rsidu de l'puration.

    Comme il est crit l'entre du pont de Kehl, pour l'dification de tous ceux quiviennent en France : Ici commence le pays de la libert.

    * * *

    Il est symbolique que la lettre de cachet qui prive Maurice Bardche de sa libertait t rendue excutoire la veille du 14 juillet.

    a me dispense de prendre les dmocrates franais au srieux.Il est vrai que je n'avais jamais eu cette tentation-l.

    * * *

    chacun des huit quatorze juillet que j'ai passs en prison, je me suispermis de soumettre mes gardiens au mme petit test qui a donn invariablementles mmes rsultats.

    Moi. Tiens vous avez mis des drapeaux aux fentres !Le maton. Bien sr, voyons.Moi. Qu'est-ce qui se passe donc ?Le maton. Vous vous foutez de moi. Vous n'allez pas me faire croire que vous

    ignorez que nous sommes le quatorze juillet.Moi. Je le sais bien. Mais vous, savez-vous ce que c'est que le quatorze juillet ?Le maton. La fte nationale, parbleu.Moi. Mais encore ?Le maton. Euh..., la fte nationale..., enfin..., oui..., la fte nationale...Moi. Mais plus spcialement, que clbre-t-on ce jour-l ?Le maton. Euh... la libert... enfin... quelque chose comme a...Moi. Eh bien, je vais vous le dire ce que vous clbrez aujourd'hui avec vos

    drapeaux. Vous ftez l'assassinat d'un directeur de prison qui s'appelait de Launayet l'gorgement d'un certain nombre d'agents de l'administration pnitentiaire.Vous pavoisez parce qu'on a massacr vos ans. a n'est pas gentil. a n'est pasconfraternel. Je comprendrais la rigueur que les autres Franais, surtout ceuxqui ont des difficults avec la justice, manifestent quelque allgresse. Mais vousautres ! Vous n'avez pas honte ?

    Et chaque fois huit annes de suite j'ai vu dans la prunelle de mes gardiensla mme lueur de dsarroi. Ils n'avaient jamais rflchi au sens trs prcis de cette

    30

  • APRS LE DLUGE

    fte nationale. Ils n'avaient jamais souponn qu'ils clbraient leur propreanantissement. Et cette dcouverte les consternait.

    Mais comme je suis plutt bienveillant de nature, je me htais de les rassurer. Allons ! ne vous frappez pas. De toute faon, c'est du bidon. Le 14 juillet a t

    pour votre corporation un malheureux accident. Mais sans lendemain. Il n'ajamais t srieusement question de vous ter le pain de la bouche. La preuve,c'est que je suis ici, moi qui ai mal pens. Et que vous tes pay pour m'empcherd'tre libre. Croyez-moi : il y a encore de beaux jours pour la pnitentiaire dans ladmocratie franaise. Continuez, si a vous amuse, faire claquer vos drapeaux, faire partir vos ptards. Ils ne signifient rien...

    * * *

    Pourtant, ils signifient quelque chose.Ils ne signifient pas la fin des lettres de cachet.Ils ne signifient pas que les Franais sont libres de vivre en dehors de

    l'orthodoxie.Le sens de cette fte nationale est autre. C'est le symbole d'un choix, d'un parti

    pris, d'une prfrence.Ce n'est pas par hasard que le rgime a dcid de se reconnatre dans cette

    journe-l dont toutes les circonstances sont en effet merveilleusement conformes son style de vie.

    Le 14 juillet, c'est le triomphe officiel de l'imposture, du mensonge et de lafrocit.

    On nous raconte que les vainqueurs de la Bastille furent des hros. En ralit lacitadelle capitula sans combat ( De Launay avait perdu la tte avant qu'on ne lalui coupt , a crit Rivarol) et la gloire des vainqueurs est aussi factice que celled'autres insurgs parisiens plus rcents que je n'ose dsigner de peur qu'on meremette en prison.

    On nous raconte que la chute de la Bastille marqua la fin des dtentionsarbitraires. Il y avait huit prisonniers la Bastille, dont deux fous. Et la rvolution,inaugure le 14 juillet, dclencha des massacres sans prcdent et fit jeter enprison des centaines de milliers d'innocents.

    On nous raconte que c'est le peuple de Paris qui s'est insurg ce jour-l. Maistous les documents historiques nous montrent que les mutins taient la lie de lapopulation. Ils nous montrent aussi que, ds le lendemain de la victoire, les anciens combattants de la Bastille taient dix fois plus nombreux qu'ilsn'avaient t sous les murs de la forteresse. Ce phnomne de multiplication deslibrateurs ne vous rappelle rien ?

    Enfin, si l'exploit est militairement nul, et nul aussi (ou plutt ngatif) dans sesconsquences politiques et humanitaires, il s'accompagne d'actes de sauvageriequi donnent la nause. On avait promis la vie sauve aux dfenseurs de la Bastille.Et tout de suite aprs on les massacre, on les coupe en morceaux, on promne leurviande hache au bout des piques. C'est ce carnage bestial, cette explosion decannibalisme que l'on clbre tous les ans.

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  • APRS LE DLUGE

    * * *

    Un rgime qui aurait quelque pudeur rougirait du 14 juillet.On en fait la fte nationale. a n'est pas la mienne.

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  • LES BONS TUEURS ET LES MAUVAIS

    es massacres d'Afrique du Nord auront eu, du moins, une consquencerconfortante. Ils auront dmontr quel point les mes gnreuses qui

    s'identifient avec le Rgime demeurent fermes dans leurs principes, inbranlablesdans leurs convictions.

    LOn eut pu craindre, en effet, que la vivisection de nos compatriotes (adultes ou

    enfants, hommes ou femmes, pour moi c'est tout aussi horrible) provoqutquelque flottement dans les cohortes compactes des personnalistes. Ne serait-ceque par pudeur. Mais, Dieu merci, ces gens ont tenu bon, ils ne se sont pas laisssentamer, ils ont sauvegard l'essentiel qui est la distinction entre le terrorismeventuellement bnfique et le contre-terrorisme, phnomne fatalementhassable.

    L'tonnant, c'est que priodiquement, des crivains de droite s'tonnent de cettedistinction. Et s'en indignent. Comme si cette distinction tait une nouveaut ! Enprenant parti pour les tueurs de Franais contre les Franais qui ripostent,M. Mauriac et ses amis demeurent dans la plus pure orthodoxie dmocratique. Ilsne font que suivre une tradition consacre par tous les manuels d'histoire deslyces et collges.

    A priori, en effet, le terrorisme commande l'examen. Il lui arrive d'tre gnant,mal inspir, inopportun. Mais il peut aussi acclrer la marche inluctable del'histoire. Harmodius, Aristogiton et Brutus faisaient verser des larmes attendriesaux lecteurs de la Nouvelle Hlose.

    Rien de tel avec le contre-terrorisme qui, par dfinition mme, est le mal en soi,puisqu'il trahit chez ceux qui s'y livrent une absence de rsignation, unemconnaissance du devoir et un ddain de la perfectibilit de la personne humainequi les excluent automatiquement des circonstances attnuantes.

    Et, certes, dans la longue srie des rglements de comptes qui jalonnent notrehistoire, il est souvent bien malais de s'y reconnatre, et de distinguer aveccertitude si tel ou tel acte de violence est terroriste ou contre-terroriste, c'est--dire louable ou condamnable. Brunehaut tait-elle terroriste ou contre-terroriste ?Et Simon de Montfort ? Et Montluc ? Et le baron des Adrets ? Et Henri III butantle Balafr (Scarface) ? Et Jacques Clment butant Henri III sur sa chaise perce ?

    La question ne se pose pas, par contre, dans l'affaire tienne Marcel. L, pointde perplexit. Lorsqu'il refroidit le marchal de Champagne et le marchal deNormandie sous les yeux du Dauphin, tienne Marcel commet un acte terroriste,donc lgitime, et s'assure ainsi la reconnaissance de la postrit qui a donn sonnom une rue. Mais lorsque l'chevin Jean Maillart tue tienne Marcel, il se

  • APRS LE DLUGE

    comporte en atroce contre-terroriste. Il n'y aura jamais Paris de rue JeanMaillart.

    Toutefois, un cas aussi net est exceptionnel aux sicles d'obscurantisme. Il fautattendre que notre pays entre dans l're des lumires, c'est--dire 89, pourqu'aussitt tout devienne clair et simple. La terreur n'est plus un expdientinavouable. C'est un procd de gouvernement dont les plus hautes autoritsproclament les vertus. On connat sans quivoque les bons et les mchants. On saitque les terroristes sont des patriotes amis du peuple et que les contre-terroristessont l'opprobre du genre humain. On sait qu'il est indispensable au salut de laFrance de promener les ttes de Berthier et de Foulon au bout des piques,d'exhiber le sexe mutil de la princesse de Lamballe, de couper le cou du roi et dela reine, de dcerveler en septembre 92 les pensionnaires des prisons, de fusillerles migrs de Quiberon auxquels le loyal gnral Hoche avait promis la vie sauve.

    Mais on sait aussi que le garde du corps Paris est inexcusable d'avoir sivilainement trucid le rgicide Le Peletier de Saint-Fargeau. Et pas plus qu'il n'y ade rue Jean Maillart, il n'y a nulle part de rue Charlotte Corday. Des statues pourles Septembriseurs. Pas de plaques bleues pour les contre-terroristes.

    Ensuite, l'impulsion est donne, et la mme sgrgation s'tablit de gnrationen gnration. Qui reproche srieusement aujourd'hui aux vaillants insurgs de 71d'avoir dgringol les gnraux Thomas et Lecomte, puis les Dominicainsd'Arcueil, puis l'archevque de Paris, le cur de la Madeleine, le premier prsidentde la Cour des Comptes, les cinquante otages de la rue Haxo, etc., etc. ? C'tait duterrorisme et il n'y avait donc pas de quoi fouetter un communard. Tandis que larpression versaillaise, elle, tait contre-terroriste et le gnral de Galliffet en serafltri jusqu' la consommation des sicles...

    De mme, les miliciens de Darnand, qui avaient l'outrecuidance de lutter contrele terrorisme, n'ont pas la plus petite chance d'chapper la fltrissure del'histoire, alors qu'il est solidement tabli que les excuteurs terroristes dePhilippe Henriot sont des assassins bien sympathiques et bien mritants.

    Au surplus, quelle est notre fte nationale ? Le Quatorze-Juillet. C'est--direl'anniversaire d'un raid noblement terroriste men avec une exceptionnellefrocit contre les gardiens ractionnaires d'une forteresse pratiquementdsaffecte.

    Dans ces conditions, l'tonnant serait que les gens du Systme fussent svrespour ceux qui, s'inspirant d'exemples aussi illustres, tirent sur les Franais.

    Et qu'ils ne fussent pas impitoyables pour les salauds de Franais qui mettentun empressement insuffisant se laisser gorger.

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  • LE RGNE DE LA VERTU

    ien sr, lorsqu'une nation gmit dans les fers, il y a toutes sortes de chosestrs laides qui se perptuent sans qu'on en sache rien. Mais qu'un vaste

    souffle dmocratique balaie les tnbres de la tyrannie et, tout de suite, on se sentpris de vertige devant les abmes d'abjection o croupissaient les faux grandsbonshommes qui avaient spoli le peuple de sa sacre souverainet.

    B

    C'est trs exactement ce qui s'est pass en Argentine lorsque l'horrible Peron futdboulonn par les vaillants sans-culottes de l'tat-major et de l'piscopat.

    C'est ce qui s'est pass en Allemagne, lorsque le vilain petit monsieur moustache se crmatorisa dans son bunker. Et en Italie lorsque le vilain grandmonsieur aux mchoires carres fut suspendu par les pieds une pompe essence.

    Du coup, on apprit des choses atroces. Le vilain grand monsieur frquentait unednomme Clara qui, de ce fait, fut elle aussi trucide par les hroques partisani.Quant au vilain petit monsieur, il avait galement une bonne amie et ce n'est pointle mariage tardif beaucoup trop tardif clbr dans le bunker, qui pouvaitfaire pardonner des annes d'un concubinage discret certes, mais moralementinadmissible. Eva fut consquemment livre, sur pellicule de 3 mm., la vervesculire de M. Jean Marin qui n'eut point de peine dmontrer qu'un personnage(Adolf) qui n'hsitait pas photographier une dame (Eva) en maillot de bainatteignait ainsi les derniers degrs de la perversion sexuelle.

    C'est donc sans surprise aucune que nous avons enregistr les rvlations de lapresse mondiale sur les stupres de l'ex-prsident Juan Peron. Pouvait-il en treautrement ? Le plus mal dgrossi des disciples de Jean-Jacques Rousseau saitqu'en accdant au pouvoir personnel l'homo sapiens se dgrade automatiquementau point de perdre jusqu' la notion de ce qui est socialement acceptable. Ledictateur (ou le monarque absolu) est un individu marginal et inadapt, hriss depassions motionnelles dviantes et qui s'installe dans l'aberration commed'autres dans la norme. Toute chaleur humaine se retire de lui, son cur prend larigidit du silex et tous les mauvais instincts soudainement dbrids affleurenttumultueusement. Surtout les mauvais instincts sexuels.

    Les pionniers de notre premire libration (celle de 89) et leurs continuateurs,les prodigieux gants barbus de quarante-huit, connaissaient bien ce phnomne,encore que le vocabulaire freudien ne leur ft pas encore et pour cause familier. Mais avec quelle superbe ces chastes ne fltrissaient-ils pas les orgies del' Autrichienne et les dbauches du Bien-Aim ! Et tous les romantiques ces versificateurs des droits de l'homme et du citoyen de renchrir sur les

  • APRS LE DLUGE

    vaticinations no-romaines des Conventionnels. Ce que Hugo, qui fut un modlede continence, ne pardonne point au Franois Ier du Roi s'amuse , ce sont sesfredaines. Et si Musset, cet ascte, ce puritain, approuve si fort les coups depoignard de Lorenzaccio, ce n'est point tellement parce que le tyran pitine lapersonne humaine des Florentins, c'est parce qu'il a tendance culbuter un peutrop souvent la personne humaine des Florentines. La bagatelle, voill'inexpiable !

    Qui s'en tonnerait puisque, comme l'a si lumineusement dmontrMontesquieu, la dmocratie est le rgne de la vertu ! Et l'on est bien excusable,lorsqu'on est soi-mme rigidement vertueux, de juger avec svrit ceux qui ne lesont pas. J'aime les accents qu'a su trouver le Figaro pour nous rvler leshorribles dtails de la vie prive du prsident Peron.

    D'abord qu'il avait de l'argent, beaucoup d'argent, ce qui n'est jamais le cas deschefs d'tat (ou de gouvernement) dans les libres dmocraties, ni le cas d'aucun deleurs ministres.

    Et ensuite que Peron insultait la misre des descamisados en roulant enCadillac, alors que M. Edgar Faure, M. Mollet, M. Mends-France ou plussimplement M. Pierre Brisson vont, comme on le sait, leur bureau en mobylette.

    Enfin et c'est l le pire, bien sr que le don Juan justicialiste avait uncertain penchant pour des demoiselles qui n'taient point fatalementcontemporaines de Ccile Sorel ou de Mistinguett. Et qu'il avait mme crit l'uned'elles de ne pas oublier le petit chien lorsqu'elle viendrait le retrouver auParaguay.

    Devant de pareilles monstruosits, on fait comme les employs de M. PierreBrisson, on reste sans voix, on se voile la face, on remercie l'heureux destin qui, ennous comblant des bienfaits du scrutin de liste (ou du scrutin d'arrondissement,peu importe) et en nous dotant d'assembles lgislatives que l'univers nous envie,nous prserve radicalement et tout jamais de ces turpitudes.

    Car nos grands hommes, nous, ceux qui sont bien de chez nous , bienintgrs dans le rgime, il n'est pas pensable qu'on puisse jamais les souponnerdu moindre accroc au sixime et au neuvime commandement. Ils arrivent viergesau mariage et ils font ensuite l'dification des masses par leur fidlit conjugale etleur pudibonderie. Et a n'est pas l l'un des moindres joyaux de la dmocratie quipurifie tout ce qu'elle touche.

    Certes, des censeurs atrabilaires prtendent le contraire. Il faut se garder de lescroire. D'autant que les fables de ces malveillants ne sont mme pasvraisemblables. Vraisemblable le trpas lysen de l'infortun prsident FlixFaure ! Vraisemblable l'accident qui arracha le regrett Antonin Dubost, prsidentdu Snat (en subsistance provisoire rue des Martyrs) l'affection des vraisrpublicains ? Vraisemblables les jappements bien innocents que poussait levnr Louis Barthou pour se donner une contenance rue Furstenberg ?Vraisemblables les transports de la nuit du Quatre-Aot ? Et tous lestransports des messieurs-dames qui encombrent aujourd'hui, comme on dit, lesavenues du pouvoir ?

    Non, aucune de ces infmes rumeurs ne peut tre fonde. Les dictateurs seulsont, par dfinition mme, le monopole des incartades sexuelles. Et aussi le

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  • APRS LE DLUGE

    monopole de la rprobation que dispensent, en faisant bonne mesure, les prixMontyon qui rdigent la presse dure et pure issue de la rsistance.

    Il est donc heureux que Peron puisse servir d'ilote-lubrique et stimuler par sondtestable exemple, l'horreur du vice chez les Spartiates de la Quatrime. Harodonc sur Peron ! Car, comme le disait feu Berthelot (qui s'y connaissait) : Ladmocratie, c'est le droit pour les poux de dvorer les lions. Que M. PierreBrisson en profite.

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  • LA PAILLE ET LES POUTRES

    e rappelle-t-on encore les dsordres universitaires qui survinrent Madrid audbut de cet an 56 ? Et la joie pileptode des pontifes de la presse parisienne :

    C'est le commencement de la fin ! (Pour Franco, c'est toujours, depuis vingtans, le commencement de la fin). Et surtout la superbe indignation des ditspontifes.

    S

    C'est que ces troubles avaient t provoqus par une entorse la loi du nombre.Le gouvernement franquiste avait annul l'lection des dlgus universitaires etinstall la place des lus des hommes de sa convenance.

    Ce qui tait bien, en effet, l'abomination de la dsolation. Aussi queldchanement dans les journaux franais ! Les plus pugnaces voulaient quel'Espagne ft chasse de l'O.N.U., o sa prsence risque de contaminer des nationsaussi idalement dmocratiques que le Yemen et l'Arabie soudite. D'autres secontentaient d'expulser l'Espagne de l'U.N.E.S.C.O.. D'autres demandaient quel'on interdt l'importation des oranges espagnoles, que l'on boycottt les filmsespagnols.

    On n'allait pas jusqu' prconiser une intervention arme, mais c'tait tout juste.Et, de toute faon, les gens du Systme taient bien d'accord : l'Espagne, d'unemanire ou d'une autre, devait tre punie. Car il est tout fait intolrable que l'onprenne la moindre libert avec les rsultats d'un scrutin.

    Moi, je veux bien. Mais ces vertueuses imprcations auraient tout de mme euun autre poids si dans le temps mme o surgissait la paille espagnole, deuxnormes poutres n'taient apparues dans les prunelles franaises.

    Il y avait d'abord le cas de nos compatriotes d'Algrie qui ne sont point que l'onsache, une petite poigne d'nergumnes, qui constituent un gros paquet d'unmillion et demi d'mes, qui sont plus nombreux et tout aussi franais que noscompatriotes d'Alsace et de Lorraine, dont la perte, en 71, fut ressentie par toute lanation comme un rapt intolrable.

    Or la premire consquence spectaculaire de l'annexion de l'Alsace et de laLorraine par Bismarck fut le dpart des dputs qui reprsentaient ces deuxprovinces l'Assemble nationale. Ce fut un dpart dchirant dont les imagesd'pinal et les complaintes populaires nous permettent de mesurer quel point ilbouleversa les Franais.

    Mais, sans guerre, sans uhlans, sans annexion, les Franais d'Algrie se trouventaujourd'hui dmocratiquement parlant dans la mme situation que lesAlsaciens-Lorrains de 71. M. Edgar Faure (pas Bismarck) leur a retir leursdputs et M. Guy Mollet ne les leur a pas rendus.

  • APRS LE DLUGE

    C'est l, soit dit en passant, une sorte de catastrophe qui me touche peu. Jamaisun dput de mon choix ne m'a reprsent la Chambre. Et je m'en accommodefort bien. Mais enfin, ce systme reprsentatif, c'est la rgle d'or de la dmocratie,c'est, pour les vrais rpublicains, le pralable de tout confort intellectuel.Priver tout un peuple un million et demi d'individus c'est un peuple de sareprsentation parlementaire, c'est le plus monstrueux attentat que l'on puisseperptrer, c'est le sacrilge majeur, c'est un coup de force impardonnable, lamanifestation la plus caractrise d'un despotisme atroce. Du point de vue del'orthodoxie, la destitution de Necker ou les ordonnances de Juillet n'taientqu'arbitraire anodin ct de l'limination des dputs de l'Algrie.

    Pourtant je ne constate point que cette situation proprement scandaleuseprovoque le moindre moi parmi les purs, si empresss contrler la rgularitdes scrutins madrilnes. Quinze cent mille Franais ont t privs de leursreprsentants, ni plus ni moins que si leurs provinces eussent t conquises parl'ennemi, et les questions les plus graves sont tranches l'Assemble sans que cesquinze cent mille Franais aient d'autre moyen de s'exprimer que de projeter, lecas chant, des tomates sur le prsident du Conseil, et aucun des gardiens de ladoctrine ne fronce mme les sourcils. Simple bagatelle. Et qui ne saurait tirer consquence. Le scandale, le seul scandale, c'est que les pensionnaires de la Cindad Universitaria ne soient point reprsents dans leur syndicat par desdlgus non-phalangistes.

    Et ce scandale, par son normit mme, ramne leurs justes proportions lesmenus amnagements du suffrage universel auxquels la nouvelle Assemblenationale franaise s'est hte de se livrer ds qu'elle s'est trouve runie. Elles'tait mue, cette Assemble, justement mue, de quelques erreurs (une douzaineen tout) commises par le peuple souverain. En effet, le peuple souverain peut biense tromper. Tout le monde est faillible. L'essentiel est d'en convenir de bonnegrce et de ne pas persvrer dans l'erreur.

    Une supposition, par exemple, que le peuple souverain ait accord 40.000suffrages un personnage peu recommandable dont la tripe est, de toute vidence,insuffisamment rpublicaine, et 17.000 suffrages seulement a un petit copain duSystme, dot par surcrot, d'un patronyme de satiriste romain. Il saute aux yeuxqu'un pareil rsultat ne pourrait tre qu'un accident et que la pire injustice seraitde consacrer l'accident en l'acceptant pour cinq annes. Ici, le devoir est clair. Ilconsiste, dans l'intrt mme du peuple souverain, proclamer nuls les 40.000suffrages fruit de l'aberration et dclarer rgulirement lu le petit copain aux17.000 suffrages.

    Toute autre procdure serait de la dmagogie. Ce serait choir dans leformalisme, dans on ne sait trop quel ftichisme arithmtique absolumentcontraire, sinon la lettre, du moins l'esprit des institutions.

    De mme, en effet, qu'il ne saurait y avoir de libert pour ceux qui ne dfendentpas convenablement la libert, il ne saurait y avoir de siges au Parlement quepour des gens qui manent non d'une multitude aveugle et pour tout dire d'unepopulace irresponsable mais d'lecteurs rpublicains vritablement clairs. Letotal alors compte peu. Tout est dans la qualit.

    Sur ce point, les Pres de l'glise dmocratique sont formels et ils n'ont jamaisvari : les plbiscites impriaux et les scrutins consacrant le pouvoir des dictateurs

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  • APRS LE DLUGE

    sont trs exactement comme s'ils n'avaient jamais eu lieu et ne sauraient, sousaucun prtexte, reprsenter la volont du peuple.

    Ce qui n'empche pas, bien entendu, de fltrir les gens des gouvernementsautoritaires, si d'aventure ils tripatouillent eux aussi les bulletins de vote. Car cesgens-l, par dfinition, ont toujours tort. Ils ont tort s'ils s'imposent par la force, ettort s'ils se font lire.

    Tandis que les vrais rpublicains ont toujours raison. Raison, s'ils sontmajoritaires. Et raison aussi, s'ils sont minoritaires.

    Ce pourquoi il n'y a nullement lieu de s'mouvoir des criailleries des mauvaisesprits qui prennent prtexte de l'invalidation des lus poujadistes et del'limination des lus algriens pour tenter de discrditer le rgime.

    Seuls les obscurantistes croient encore que deux poutres sont plus grossesqu'une paille.

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  • CES JOLIS MOUVEMENTS DU MENTONQUE LE MONDE NOUS ENVIE

    rois semaines peine avant le retour Rabat du Magnanime, M. Edgar Faurejurait, croix de bois, croix de fer, sur la tte de sa Nef et en crachant six

    pas dans la direction de la ligne bleue de l'Atlas, que jamais, au grand jamais,parole d'homme, le dnomm Youssef ne reposerait son derrire sur le trne deses pres. Or le dpos l'y a repos. Au milieu de l'allgresse gnrale. Dans uneeuphorie de coronation rendre jalouses leurs Gracieuses Majests britanniqueselles-mmes. la satisfaction tumultueuse des vrais rpublicains et des vraislgitimistes et de M. Jacques Duclos. Trs exactement, comme si l'on n'avaitattendu que ce retour providentiel pour tre enfin heureux.

    T

    De sorte que les malveillants n'ont point manqu de moquer M. Edgar Faure. Etde faire remarquer qu' l'instar du cher Ike qui a fait broder avec tant de tact surses chemises Much better, thanks M. Faure eut pu faire broder sur les siennes : J'ai bonne mine. Merci .

    Est-il besoin de dire que je rprouve totalement ces sortes de sarcasmes ?Comme je rprouve que l'on raille M. Pinay d'avoir proclam la veille durfrendum sarrois, qu'en cas de vote ngatif, le statu quo subsisteraitternellement. Comme je rprouve que l'on s'acharne tourner le vnr prsidentAlbert Sarraut en drision, simplement parce qu'au lendemain de la roccupationde la Rhnanie par Hitler, il a si gaillardement jet la face de l'ennemihrditaire : Nous ne discuterons jamais, tant que Strasbourg sera sous le feudes canons allemands . Comme je rprouve galement que l'on accable le petitsongeur Paul Raynaud d'une vieille histoire de route du fer qui devait restercoupe...

    Qu'est-ce que tout cela prouve ? De quel droit s'autorise-t-on des contradictionsapparentes entre certains actes et certains engagements solennels, pour railler leshommes qui ont pris ces engagements et qui ont accompli ces actes ? Comme s'ilne s'agissait pas de deux ordres de phnomnes totalement distincts, totalementindpendants et dont l'antagonisme ne prend une tonalit thique que dans lescerveaux anachroniques entachs de formalisme petit-bourgeois !

    Il y a ce que l'on dit. Et il y a ce que l'on fait. Dans un cas comme dans l'autre, an'est pas sans raisons. Et dans l'intervalle qui spare le verbe de l'action, desraisons diffrentes peuvent trs bien s'tre substitues aux raisons originelles.C'est mme ce qui arrive le plus souvent. Car l'action est habituellementcommande par des considrations d'un utilitarisme grossier. Tandis que le verberelve presque toujours de la posie, de ce dsir qu'a l'homme de se dpasser, de

  • APRS LE DLUGE

    donner son comportement une coloration avantageuse. Le panache est, avanttout, une affaire de vocabulaire. Et lorsqu'il lui arrive de s'exprimer enalexandrins, il atteint alors la perfection.

    Je vais plus loin : dans un pays comme le ntre, dont l'histoire estharmonieusement jalonne de jolis mouvements du menton, ce qui a vraiment del'importance, ce qui prime tout, c'est ce qu'on dit, ce n'est pas ce qu'on fait. Lesactes s'envolent, les paroles restent.

    La Rochelle, on montre aux touristes la table de bois que le maire Guitton(assig par les trois mousquetaires et accessoirement par Richelieu) entailla d'unfurieux coup de dague. Je poignarderai ainsi, avait-il proclam, quiconqueparlera de capituler ! Puis il capitula bien gentiment, et comme ce parpaillottait dou de beaucoup de sens pratique, il se fit garantir, dans l'acte decapitulation, qu'il conserverait ses fonctions de maire. Mais ce que l'histoireretient, c'est le coup de dague du rsistant intraitable.

    Que dit Louis XIV, en 1709 au marchal de Villars ? Qu'il est prt mourir la tte de l'arme . Noble rsolution. Seulement les circonstances ne se sont pasprtes l'accomplissement de ce souhait et l'on ne saurait dcemment reprocherau roi-soleil d'avoir trpass dans son lit, six ans plus tard.

    Pas plus qu'on ne saurait reprocher aux marins du Vengeur d'avoir amen leurpavillon au soir du combat d'Ouessant en 1794. Qui sait d'ailleurs aujourd'hui, l'exception de quelques maniaques, que ce pavillon ft amen ? Pour l'imageriepopulaire, ces marins se sont laisss couler bas en criant Vive la Rpublique , etc'est l l'essentiel. Qu'ils se soient rendus, capitaine en tte, c'est l'accessoire.

    Et il est accessoire galement que le brave gnral Cambronne soit mort dansson lit en 1842, muni par surcrot d'une pouse anglaise. Ce qui compte c'estqu'avant de remettre docilement son pe au major hanovrien Halkett, au soir du18 juin 1815, il ait jet la face des habits rouges La garde meurt et ne se rendpas ! C'est cela seulement que retient l'Histoire, c'est cela seulement qu'elleretiendra jusqu' la consommation des sicles.

    Comme elle saura gr au marchal Ney (mort un peu plus tard, pas sur unchamp de bataille et pas d'accord) d'avoir proclam en ce mme 18 juin (datedcidment nfaste pour notre pays) : Venez voir comment meurt un marchalde France sur un champ de bataille !

    Son empereur lui avait d'ailleurs donn l'exemple Fontainebleau, la veille dela premire abdication : On verra ce que c'est que la mort d'un grand homme .On l'a vu, mais sept ans plus tard Sainte-Hlne.

    Et l'adversaire de Napolon, Louis XVIII n'tait pas moins prodigue de sublimesacrifice dans sa rhtorique. Le 16 mars 1815, aprs le retour de l'le d'Elbe et sur lepoint d'aller attendre Gand que les Anglais aient prpar les fourgons de ladeuxime restauration, il annonait la Chambre : L'ennemi public a pntrdans une partie de mon royaume. Pourrais-je, soixante ans mieux terminer macarrire qu'en mourant pour sa dfense ?

    Ensuite, c'est Charles X (mort en 1836, lui aussi dans son lit) disant sesministres le 7 juillet 1830 : On ne nous conduira pas l'chafaud, on nous tuera cheval .

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  • APRS LE DLUGE

    C'est Lamennais (mort en 1854) crivant Victor Hugo au lendemain du 2dcembre 1851 : Tchez donc de m'employer quelque chose, ne ft-ce qu'mourir .

    C'est Jules Favre, proclamant le 6 septembre 1870 : Ni un pouce de territoireni une pierre de nos forteresses et allant signer ensuite les prliminaires deVersailles qui nous privaient mais a n'enlve rien la puret antique del'apostrophe de pas mal de pouces de territoires et de pas mal de pierres de nosforteresses.

    C'est Gambetta haranguant la Garde Nationale Rouen, le 8 octobre 1870 : J'ai contract un pacte avec la victoire ou avec la mort ! Pacte qui n'aempch Gambetta ni d'tre battu quatre mois aprs, ni de mourir que douze ansplus tard.

    C'est le gnral Ducrot partant pour la troue du 30 novembre 1870 etannonant, sons de trompe : Je ne rentrerai dans Paris que mort ouvictorieux. Vous pouvez me voir tomber, mais vous ne me verrez pas reculer .Puis le gnral Ducrot rentra dans Paris, vivant et vaincu, nul ne l'avait vu tomber,tout le monde l'avait vu reculer. Mais l'essentiel tait sauf puisqu'il avait dit ce qu'ilfallait dire, puisqu'il avait parl comme un personnage de Corneille ou plussimplement comme Tartarin de Tarascon dont seule une absurde pudeur nous aempchs jusqu' prsent, de faire notre hros national.

    C'est pour cela que j'envisage avec une extrme confiance l'avenir historique desgrands hommes de la IVe. On oubliera vite, que Ben Youssef est remont sur letrne, et que la Sarre est redevenue allemande. Mais on se souviendraternellement de la crnerie bien franaise des irrductibles en complets-vestonqui, lorsqu'il le fallait, ont lanc avec tant de force le jamais ! que tous lespatriotes attendaient.

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  • CONTE ARMAGNAC ET BOURGUIGNON

    n ce temps-l, les Franais jouissaient d'une dlicieuse flicit ! Ils n'avaientpoint encore t rduits au mme dnominateur par une absurde

    centralisation, leurs capitales taient fluides et varies, et les bienfaits d'unrgionalisme vivace s'tendaient l'ensemble de l'hexagone.

    ELes Bretons avaient leur duc, ils ne gmissaient point sous le joug des Gaulois.

    Le Dauphin n'tait point devenu l'apanage d'un fils de famille. Les anctres deM. Mauriac n'avaient point t arrachs l'allgeance britannique. La Franche-Comt tait comme son nom l'indique, franchement indpendante. Et au sein dece qui tait nominalement la France, Armagnacs et Bourguignons n'avaient pointt frustrs des plaisirs exaltants du provincialisme intgral.

    C'tait vraiment une poque bnie et l'on comprend aisment qu'elle inspireaujourd'hui tant de nostalgie aux historiens hardis qui dcouvrent dans le passles vrits de l'avenir. Les Franais dfendaient alors avec une vigilanceombrageuse la diversit de leurs institutions. Leurs particularismess'panouissaient. Et au lieu d'une libert abstraite, qui ne peut tre que duperie, ilsbnficiaient d'une multitude de liberts succulentes qui sauvegardaient les droitsimprescriptibles de leurs personnes humaines.

    La libert, entre autres liberts, de s'entrgorger librement et sans mauvaiseconscience, de ville ville, de duch duch, pour l'honneur de leurs chefs-lieuxde cantons respectifs.

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    Ce systme, qui rpondait si bien aux aspirations profondes du pays, et pu seperptuer ainsi pendant des sicles. Hlas, des politiciens possds par le dmon,qui battaient la campagne sicut leo qurens quem devoret, s'irritaient de ce belquilibre franais. Ils imaginaient, dans leurs cerveaux fumeux, qu'il tait possiblede substituer cet ordre videmment dfinitif on ne sait trop quelle constructionde l'esprit dans laquelle Marseillais et Brestois se confondraient au sein d'unepatrie commune. Ce qui tait bien, on en conviendra, le comble de l'aberration.

    Ces utopistes invoquaient, pour tayer leurs vues sacrilges, les outrages dontles Anglais accablaient l'antique terre des Gaules. Ces outrages ne dataient pas dela veille. Depuis prs de cent ans, les goddams se promenaient leur guise deCalais Bordeaux. Ils avaient inflig aux brevets de l'tat-major de Philippe VI etde Jean le Bon, de douloureuses blessures d'amour-propre. Et dans les rgions

  • APRS LE DLUGE

    qu'ils n'occupaient pas directement, ils taient servis par une cinquime colonnequi prenait selon les circonstances des visages divers. Elle tait aristocratique etractionnaire avec Charles le Mauvais, proltarienne et progressiste avec SimonCaboche, mais toujours, en dfinitive, cette cinquime colonne servait lesentreprises britanniques.

    Que cela ft triste, nul n'en disconvenait. Le remde imagin par d'incurablesrveurs n'en tait pas moins pire que le mal. Ils proposaient, ces rveurs, de fondreles diverses bandes que menaait l'imprialisme anglais, dans une sorte de Communaut franaise de dfense dote d'un commandement unique etpourvue d'une arme intgre.

    Cette plaisante suggestion commena par provoquer les lazzis des habitants del'hexagone qui sont, comme chacun sait, les plus spirituels du monde. Paris,dans les cabarets de la Grande Truanderie, on en fit des chansons. Et l'on crut quel'affaire tait rgle.

    Mais les