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019 1-6599/wcr20123-1oso2.al/0 1981 Pcrgamon Press Lrd CRITIQUE DU SIGNE ET DE LA REPRESENTATION DE ROUSSEAU A AU JOURD’HUI* JEAN-MARIE BENOIST “II est dan$veux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes. car il n’y obtit qu’8 cause qu II les croit justes. C’est pourquoi il hi faut dire en meme temps qu’il y faut obCir parce qu’elles sont lois. comme il faut obkir aux suphieurs. non parce qu’ils sont justes. mais parce qu’ils sont suphieurs. Par II. voile route skdition prevenue si on peut faire entendre cela et ce que c’est proprement que la dCfinition de la justice”. PASCAL. PensPes. ‘La justice et Ia rakon des effets’ (3X-66). 1. L’on connait la defiance que Rousseau professait vis-a-vis de la represen- tation politique dans les democraties non soumises a la critique et a I’exigence de legitimite du Conrrut Social. Elle s’exprime en des phrases cinglantes a I’encontre de l’election de ses representants au Parlement par le peuple britan- nique: “Le peuple anglais croit Ptre libre; il ne lest qu’au moment de ses elections g&t&ales, et I’usage qu’il fait alors de sa liberte lui fait bien meriter de la perde”. Cette critique de la representation est ancree au caeur de la meditation politique de Rousseau et constitue une piece maitresse de I’analyse de la volontt g&kale. Quelle est en effet la caracteristique principale de la volonte g&t&ale? C’est, outre son indivisibilite, son inalienabilite. “La volonte getterale peut seule diriger les forces de I’Etat selon la fin de son institution, qui est le bien commun; car, si I’opposition des inter&s particuliers a rendu necessaires I’etablissement des societts, c’est I’accord de ces memes interets qui I’a rendu possible. C’est ce qu’il y a de commun dans ces differents inter&s qui forme le lien social: et s’il n’y avait pas quelque point dans lequel tous les interets s’accordent. nulle societe ne saurait exister. Or, c’est uniquement sur cet interet commun que la societe doit Ctre gouvernee. “Je dis done que la souverainete. n’itant que I’exercice de la volonte getterale. ne peut jamais s’aliener. et que le souverain. qui n’est qu’un Ctre collectif. ne peut Ctre represente que par lui-meme: le pouvoir peut se trans- mettre, mais non pas la volonte” (Conrruf Social, Livre II, chap. Ier ‘Que la souverainete est inalienable’). Par ce passage. qui scelle une fois pour toutes le rapport du Contrat, de la volonte gentkale. de I’interet general, se trouve posee une theorie sub- sfanrialisfe du consensus qui ne peut souffrir de mediation a I’interieur de soi. Tout se passe en effet comme si la forme et la structure du contrat. forme circulaire, immanente et immediate. se repttait dans la construction de la cite juste. et assurait, grace a un principe d’immediatete. precisement, la garantie que la justice sera preservee: le contrat, “fiction theorique”. ou plus precise- ment. forme d’un horizon conceptuel normatif dans lequel doit Ctre pens6 tout Etat existant (dont le Contrat constitue a la fois la structure generative ’ Present6 au Colloque de Florence sur “Langage et Poiitique.” Insrintre. Ma i I Y7Y. European D’niver.vir> 123

Critique du signe et de la representation de rousseau a aujourd'hui∗

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CRITIQUE DU SIGNE ET DE LA REPRESENTATION DE ROUSSEAU A AU JOURD’HUI*

JEAN-MARIE BENOIST

“II est dan$veux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes. car il n’y obtit qu’8 cause qu II les croit justes. C’est pourquoi il hi faut dire en meme temps qu’il y faut obCir parce qu’elles sont lois. comme il faut obkir aux suphieurs. non parce qu’ils sont justes. mais parce qu’ils sont suphieurs. Par II. voile route skdition prevenue si on peut faire entendre cela et ce que c’est proprement que la dCfinition de la justice”.

PASCAL. PensPes. ‘La justice et Ia rakon des effets’ (3X-66).

1. L’on connait la defiance que Rousseau professait vis-a-vis de la represen- tation politique dans les democraties non soumises a la critique et a I’exigence de legitimite du Conrrut Social. Elle s’exprime en des phrases cinglantes a I’encontre de l’election de ses representants au Parlement par le peuple britan- nique: “Le peuple anglais croit Ptre libre; il ne lest qu’au moment de ses elections g&t&ales, et I’usage qu’il fait alors de sa liberte lui fait bien meriter de la perde”. Cette critique de la representation est ancree au caeur de la meditation politique de Rousseau et constitue une piece maitresse de I’analyse de la volontt g&kale. Quelle est en effet la caracteristique principale de la volonte g&t&ale? C’est, outre son indivisibilite, son inalienabilite. “La volonte getterale peut seule diriger les forces de I’Etat selon la fin de son institution, qui est le bien commun; car, si I’opposition des inter&s particuliers a rendu necessaires I’etablissement des societts, c’est I’accord de ces memes interets qui I’a rendu possible. C’est ce qu’il y a de commun dans ces differents inter&s qui forme le lien social: et s’il n’y avait pas quelque point dans lequel tous les interets s’accordent. nulle societe ne saurait exister. Or, c’est uniquement sur cet interet commun que la societe doit Ctre gouvernee.

“Je dis done que la souverainete. n’itant que I’exercice de la volonte getterale. ne peut jamais s’aliener. et que le souverain. qui n’est qu’un Ctre collectif. ne peut Ctre represente que par lui-meme: le pouvoir peut se trans- mettre, mais non pas la volonte” (Conrruf Social, Livre II, chap. Ier ‘Que la souverainete est inalienable’).

Par ce passage. qui scelle une fois pour toutes le rapport du Contrat, de la volonte gentkale. de I’interet general, se trouve posee une theorie sub- sfanrialisfe du consensus qui ne peut souffrir de mediation a I’interieur de soi. Tout se passe en effet comme si la forme et la structure du contrat. forme circulaire, immanente et immediate. se repttait dans la construction de la cite juste. et assurait, grace a un principe d’immediatete. precisement, la garantie que la justice sera preservee: le contrat, “fiction theorique”. ou plus precise- ment. forme d’un horizon conceptuel normatif dans lequel doit Ctre pens6 tout Etat existant (dont le Contrat constitue a la fois la structure generative

’ Present6 au Colloque de Florence sur “Langage et Poiitique.”

Insrintre. Ma i I Y7Y. European D’niver.vir>

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profonde. juste ou device. et la norme. la Pierre de touche a la mesure de laquelle s’eprouve sa legitimite) le contrat permet que I’on ne sorte pas de I’immanence et de l’immediat: “l’acte d’association renferme un engagement reciproque du public avec les particuliers, et chaque individu, contractant pour ainsi dire avec lui-meme. se trouve engage sous un double rapport: savoir. comme membre du souverain envers les particuliers. et comme membre de I’Etat envers le souverain” (I. vii); “chacum se donnant g tous ne se donne a personne” (I. vi). Cette circularite entre les sujets des lois et les sujets auteurs des memes lois garantira done la liberte; et permettra cette definition elle- meme circulaire: “l’obeissance a la loi qu’on s’est prescrite est liberte”.

Or, cette liberte produite et sans cesse consolidee par le lien social engendre par I’acte d’association qu’est le contrat. prend naissance dans le paradoxe d’une “alienation liberatrice”: “Ces clauses. bien entendues, se reduisent toutes a une seule: savoir, I’alienation totale de chaque associe avec tous ses droits a toute la communaute: car. premierement. chacun se donnant tout entier. la condition est egale pour tous; et la condition &ant Cgale pour tous, nul n’a interet de la rendre onereuse aux autres” (I, vi).

Par rapport a ce maintien dans le circulaire et dans I’immediat. toute delega- tion. toute “representation” apparait done comme une expropriation. une alienation insupportable: “la volonte generale ne s’aliene pas, le souverain ne peut Ctre represente que par lui-meme”. Jacques Derrida a caracterise comme necessite d’une prkence d soi cette forrne du maintien de la volonte generale dans I’auto-affection. J’y verrai pour ma part une construction du mythe du propre. au sens de ce qui se r&up&e dans I’illusion d’une essentielle proximite a soi.

A contrario, c’est done le concept d’alienation qui gouveme cette probiema- tique du propre: en effet. si Rousseau critique la representation par delegation du souverain. c’est sans doute parce qu’il craint le retour de I’interet particulier - sous la forme de “brigues” et de partis -qui entameraient, fractionneraient I’intCrCt general et la volonte g&t&ale: “11 importe done. pour avoir bien l’enond de la volonte generale. qu’il n’y ait pas de societe partielle dans I’Etat. et que chaque citoyen n’opine que d’apres lui” (II. iii). Et Rousseau de titer en note ce texte de Machiavel. tout-&fait idoine ici: “Vera cosa t: the alcuni divisioni nuocono alle republiche e alcune giovano: quelle nuocono the sono dalle sette e da partigiani accompagnate: quelle giovano the senza sette. senza partigiani si mantengono. Non potendo adunque provedere une fondatore d’una republica the non siano nomizcie in quella, ha da proveder almeno the non vi siano sette.” (Hist. Florenr. lib VII).

Mais. outre ce risque de fractionnement et de morcellement qui ressus- citerait le pullulement des interets particuliers a I’encontre de I’interet genCral. ce que Rousseau redoute dans la representation, c’est une depossession globale de la volonte gentkale, un decalage mortel par rapport a soi qui peut debaucher sur la tyrannie: toute representation, toute delegation de souverainete est percue par Jean-Jacques Rousseau comme brochant sur l’horizon ultime dune alienation politique majeure, celle du Prince Hobbesien qui a certes le mtrite de faire cesser le bellurn omnium contra omnes et la dissemination de chaquejus in omnia. mais qui s’assure une sorte de monopole de la violence et de la puissance publique en regnant sur une multitude dissoluta

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de sujets desarmes par un contrat ieonin. Cette figure hante la pensee du Contrat social: eiie en est la iimite negative et maigre ies arguments “onto- logiques” par iesqueis on pourrait prouver seion la preuve u priori que parce qu’ii est tout puissant, ie prince ou souverain de Hobbes est necessairement bon, Rousseau craint une dtpossession radicaie de la iiberte par ies citoyens qui. se donnant sans contrepartie s’identifient a ses yeux a des esciaves. Toute amorce de representaiton de la voiontt gentraie ne peut que se maximaiiser en position hobbesienne de depossession, done d’aiienation. On sait la post&it6 dune teile anaiyse dans la construction - ou piutot dans ie refus de construc- tion de I’Europe institutionneiie d’aujourd’hui. Ce n’est ni ie lieu ni i’heure d’en parier. mais nous pouvons saiuer au passage comme de purs descendants de Rousseau ces augures qui confondent encore ies necessaires “transferts de competence” des nations au profit des institutions confederaies avec des “ab- dications de souverainete”. Le concept ambigu de I’aiitnation. par opposition au reve de comcidence avec un “propre”. gouveme done toute la probiema- tique de la representation dans ie Contrat social. La representation afikne la presence. On ie voit surgir a trois niveaux oh il apparait tantot comme peril, tantot comme mecanisme reparateur. i’un de ces roles fonctionnant comme ‘3upplCment” de I’autre sous certaines conditions qu’ii faudra rappeier.

(1) L’alitnation sans reserve des sujets a un despote est d&on&e par la

metaphore de i’esciavage au Livre I chapitre IV du Contrar: “Dire qu’un homme se donne gratuitement. c’est dire une chose absurde et inconcevabie; un tei acte est iiiegitime et nui. par ceia seui que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens. Dire la meme chose de tout un peupie, c’est supposer un peupie de fous: la foiie ne fait pas droit.

Quand chacun pourrait s’aiiener iui-meme, ii ne peut aiiener ses enfants: iis naissent hommes et iibres: ieur iiberte ieur appartient. nui n‘a ie droit d’en disposer qu’eux.” Rousseau que d’aucuns presentent parfois avec queique fondement comme i’andtre des totaiitarismes modemes presente ici une critique de toutes ies formes de despotisme, anciennes ou contemporaines. Mais ce qui nous importe davantage. c’est d’apercevoir que i’afitfnution. dans son sens pathoiogique de foiie borde comme une iimite uitime i’aiienation sans contrepartie. Le mythe du tyran fou. spectre piatonicien, se redouble aiors d’une autre foiie. ceiie par iaqueiie. “voiontairement”. des sujets se reduiraient eux-memes a i’impuissance en se donnant a iui sans reserve et sans contrepartie. Queiie plus belie iecon de resistance a la “servitude voiontaire” pour nous qui vivons a une Cpoque ou i’asiie psychiatrique menace ceux qui aujourd’hui se dressent en brandissant i’arme de la ioi et de la iegitimite contre ie totaiitarisme sans appei. “Renoncer a sa iiberte, c’est renoncer a sa quaiite d’homme, aux droits de l’humanite, meme a ses devoirs. ” “Soit d’un homme a un homme. soit d’un homme a un peupie. ce discours sera toujours Cgaiement insense. Je fais avec toi une convention toute a ta charge et toute a mon profit, que j’observerai tant qu’ii me piaira. et que tu observeras tant qu’il me piaira.” Ces phrases de Jean Jacques peuvent encore aujourd’hui servir de preface a la iutte de ceux qu’ecrasent ies regimes dictatoriaux et ies totaiitarismes sans appei.

(2) Or. Ctrangement. i’un des remedes. sinon ie seui. apporte par Rousseau a cette alienation de la servitude volontaire. consistera en une alienation

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complete ou totafe: le pacte social. liberateur et fondateur d’une legitimite consiste en effet en: “l’alienation totale de chaque associe avec tous ses droits a toute la communaute”. Fragilite de cette convention globale qui n’a pour tout

garde-fou que la certitude d’une Cgalite devant la communaute qui n’est autre que soi-m&me: “car premierement. chacun se donnant tout entier. la condition est egale pour tous: et la condition Ctant egale pour tous, nul n’a interet ti la rendre onereuse aux autres.

De plus, I’alienation se faisant sans reserve. I’union est aussi parfaite qu’elle peut I’Ctre. et nul associe n’a plus rien a reclamer: car, s’il restait quelques droits aux particuliers. comme il n’y aurait aucun superieur commun qui put prononcer entre eux et le public. chacun Ctant en quelque point son propre juge. pretendrait bientot I’Ctre en tous: l&tat de nature subsisterait. et I’association deviendrait necessairement tyrannique ou vaine.”

Pour Ctre liberatrice. et meme institutrice de liberte par la loi soutenue par le contrat. I’alienation doit Ctre sans reserve, et reposer sur une egalite. Elle doit certes se faire au profit d’un tout dont I’on fait partie, et ne pas se laisser guetter par un risque de retour a une transcendance alienatrice.

(3) En effet. toute representation, nous I’avons vu. confisque la volonte generale et la fait deriver hors de soi, dans une exteriorid qui I’arrache a I’espace du propre. D’ou les precautions prises par Rousseau pour empecher toute reapparition de representants ou de deputes qui entament et entachent la volonte g&&ale de fractionnisme et de dissolut;on possible.

La volonte generale est done d&lake inalienable. et le souverain est decrete ne pouvoir se rep&enter que par lui-meme parce que l’alienation totale et globale du pacte social est sans cesse menacee d’etre debordee et bouleversee par I’alienation definie dans la refutation de I’esclavage. En definitive. le spectre de la folie qui hante I’arbitraire politique ne peut Ctre exorcise ici que par une alienation sans reserve de chacun a toute la communaute. Comme en un refoulement mal conduit, il convient de se demander ce qui opere dans le risque d’un retour perpetuel a I’alienation de la servitude. Et nous nous apercevons que le remtde propose par Rousseau est d’autant plus fragile qu’il fonde I’octroi de la libertt sur une pensee de I’Pgalitk. “La condition &ant &gale pour tous, nul n’a inter&t a le rendre onereuse aux autres”. Ou plutot qu’un engendrement circulaire a lieu entre liberte et Cgalite. N’y a-t-il pas lieu de se demander aujourd’hui si ce nexus de liberte et d’egalite n’a pas trouve sa limite dans I’existence de cites qui ne permettent plus a la difference de parler. de s’exprimer, et qui, ayant pousse jusqu’a leur terme les consequences de I’egalite dans I’alienation globale miconnaissent ce qui fait la richesse des societes lib&ales, c’est-a-dire un plurafisme non dkduit d’un pacte. fut-il une simple fiction theorique? Or. c’est prtcisement la representation et la delegation qui est ici en cause.

Or, il convient de s’apercevoir que cette theorie critique de la representation est ancree dans une problematique plus gemkale du signe qui relie le Contrat Social, la Lettre h d’Alembert sur les spectacles et le Discours sur les sciences et Zes arts. II y a une linguistique et une semiologie dans le Contrat Social. et la charnitre de cette linguistique avec les theories “esthetiques” de Rousseau se trouve precisement dans le concept de la reprksentation.

3. Tout autant que dans I’Essai sur i’origine des langues, c’est en effet dans

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ces (Euvres consacrCes g l’esthttique et au thiatre que se trouve dtployke une critique de la reprksentation dont nous pouvons affirmer qu’elle illustre la m@me obsession de ramener le signe 8 la prksence. par rapport g laquelle toute derive. toute fuite hors de I’immanence peut constituer un danger. C’est dans une ontologie de I’immCdiat et de la prksence que Rousseau cherche en effet. comme Derrida I’a montrk 2 enraciner le langage et le signe.

Les exemples foisonnent de cet ancrage de I’esthCtique Rousseauiste dans une mktaphysique du Propre, de la purete et de I’essence: m&me dknonciation de I’alitnation que dans le Contrat Social (sans pour autant que le terme soit ici employk): “Au premier coup d’aeil jet6 sur ces institutions, je vois d’abord qu’un spectacle est un amusement, et s’il est vrai qu’il faille des amusements $ I’homme. vous conviendrez au moins qu’ils ne sont permis qu’autant qu’ils sont nkcessaires. et que tout amusement inutile est un ma1 pour un Ctre dont la vie est si courte et le temps si prkcieux”, Ccrit Rousseau dans la Lettre ci d’Alembert. “Aussi voit-on constamment que l’habitude du travail rend I’inac- tion insupportable, et qu’une bonne conscience eteint le gotit des plaisirs frivoles: mais c’est le mkcontement de soi-m&me, c’est le poids de l’oisivete, c‘est I’oubii des goiits simples et naturels, qui rendent si ntcessaire un amuse- ment &ranger.” Un amusement &ranger, estrangement: nous avons 18 la definition mCme de I’aliCnation. Et Rousseau enchaine immkdiatement: “Je n’aime point qu’on ait besoin d’attacher incessament son cuzur sur la sckne, comme s’il Ctait ma1 2 son aise au-dedans de nous.” La scene. coupure, separation entre la Salle et le spectacle opere d’abord une separation qui al&e la coincidence de I’bme avec soi; la prksence 21 soi se trouve entrainke dans une dangereuse dkrive.

Mais ce n’est pas seulement au sein de I’gme humaine qu’elle pratique ce clivage et cette fracture de l’aliknation que dkplore Rousseau. C’est au sein du corps politique lui-m&me dont la dissolution est & craindre par l’effet du spectacle: “L’on croit s’assembler au spectacle. et c’est 18 que chacun s’isole; c’est Ii qu’on va oublier ses amis, ses voisins, ses proches. pour s’inttkesser ?I des fables. pour pleurer les malheurs des marts, ou rire aux dCpens des vivants.” L’argument est ici le mCme que celui qui anime la critique du contrat IConin ou du pactum subjectionis par lequel s’institue le prince de Hobbes: ce qui se passe sur sctne, c’est-i-dire la reprksentution. captant les forces de chacun, atomise le corps social: la collection des spectateurs n’est plus une association. un corps politique. mais la juxtaposition de solitudes, une multi- tudo dissoluta soumise au bon vouloir des fables de la sctne. C’est la mCme multitude kparse que celle qui gCmit dans la division et la dissolution sous le rkgne de ce prince hobbesien qui aux yeux de Rousseau fonctionne comme un “signifiant usurpateur”. une persona representativa engagke dans une derive d’exttkiorite P :r rapport A I’ontologie de la prksence.

Toute une dCfiance vis-8-vis du signe et de son arbitraire. toute une critique de la representation non gagCe sur la prksence s’expriment ici: “Outre ces effets du th&re relatifs aux chases reprksentkes, il y en a d’autres non moins ntkessaires, qui se rapportent directement g la sckne et aux personnages reprksentants: et c’est A ceux-18 que les Genevois dCjS cites attribuent le goiit de luxe, de parure et de dissipation. dont ils craignent avec raison I’intro- duction parmi nous. . . il n’est pas possible que la commoditk d’aller tous les

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jours regulierement au meme lieu s’oublier soi-meme et s’occuper d’objets &rangers ne donne au citoyen d’autres habitudes et ne lui forme de nouvelles moeurs.” Dissipation, luxe. parure, oubli de soi et souci d’objets Ptrangers vont de pair: par le spectacle, par la representation. s’opere une alienation par le signifiant qui s’echappe a I’espace de la presence a soi. qui derive par rapport au recueillement dans la purete de I’espace propre.

C’est exactement le meme langage que celui du chapitre XV du livre III oti les reprhentants sont stigmatists: ‘Des d&put& ou reprksentants”. “La

souverainete ne peut Ctre representee, par la meme raison qu’elle ne peut etre alienee; elle consiste seulement dans la volonte generale. et la volonte ne se represente point: elle est la meme ou elle est autre: il n’y a pas de milieu.” Traduisons: si la volonte g&r&ale ne demeure pas immanente et presente a soi. si elle ne demeure pas dans I’identite a soi. dans I’espace du propre a soi-meme. elle s’aliene. elle devient autre. “les deputes du peupie ne sont done ni ne peuvent etre ses representants, ils ne sont que ses commissaires: ils ne peuvent rien conclure definitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiee est nulle: ce n’est point une loi. Le peuple anglais pense Ctre libre. il se trompe fort; ii ne I’est que durant I’election des membres du parlement; sit& qu’ils sont Clus. il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberte. I’usage qu’il en fait merite bien qu’il la perde.”

Referendum contre deputation parlementaire, expression directe de la democratic contre delegation de souverainete a des assemblees: on voit la post&it6 moderne de cette pen&e de Rousseau dans le gaullisme et dans ceux qui se t&lament de lui en France Q propos de I’Europe en particulier.

Cette critique de la representation s’aggrave puisque Rousseau va jusqu’h prononcer le terme d’usurpation a son sujet: “L’idee des representants est moderne: elle nous vient du gouvernement dans lequel I’espece humaine est degradee. et ou le nom d’homme est en dbhonneur. . . II est tres singulier qu’h Rome ou les tribuns Ctaient si sacks. on n’ait pas meme imagine qu’ils pussent usurper les fonctions du peuple. et qu’au milieu d’une si grande multitude ils n’aient jamais tente de passer de Ieur chef un seul plebiscite.”

Mais ce qui rend prtcieux ce chapitre XV, c’est que la critique de la represen- tation. c’est-a-dire du “signifiant superflu et usurpateur” s’y rassemble sur les trois plans ou une fonction dusigne existe: le spectacle. le politique et la finance (signum = signe monetaire). “L’attiedissement de I’amour de la patrie. I’activite de Tint&et prive. I’immensite des Etats, les conquetes. I’abus du gouvernement, ont fait imaginer la voie des deputes ou representants du peuple dans les assemblees de la nation. ” Cette phrase qui introduit la critique de la representation politique fait echo a une deploration du “tracas du com- merce et des arts”. elle-meme en rapport avec les passages de la Lerrre h d’Alembert que nous venons de lire. La critique de la representation theatrale. la critique de la representation politique vont de pair avec la critique de cette troisieme forme de mediation: lafinance, I’echange monetaire, derniere cause de derive dans I’exteriorite. “C’est le tracas du commerce et des arts. c’est I’avide interet du gain, c’est la mollesse et I’amour des commodites. qui changent les services personnels en argent. On cede une partie de son profit pour I’augmenter a son aise. Donnez de I’argent, et bientot vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave: il est inconnu dans la cite. Dans un pays

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vraiment libre. les citoyens font tout avec leurs bras. et rien avec de l’argent.” En termes marxistes. faisant I’apologie de la corvee “moins contraire B la

liberte que les taxes”, Rousseau opte pour la valeur d’usage et trahit sa defiance envers la valeur d’echange symbolisee par l’echange monetaire, mediation dangereuse.

L’antidote de I’alienation par les representants et les princes consistera a rapatrier le souverain dans une identite tautologique avec le peuple: ce sera le Contrat social, ou chacun sera a la fois sujet-auteur et sujet-oblige des lois.

De m&me, les spectacles preconises par Rousseau dans la cite juste consisteront a rapatrier le spectateur et l’acteur dans une identite, ou plutot dans un recroisement de l’un B I’autre: ce sera laf&e, equivalent structural du contrat: “Quoi, ne faut-il done aucun spectacle dans une republique? Au contraire, il en faut beaucoup. C’est dans les republiques qu’ils sont n&s. A quels peuples convient-il mieux de s’assembler souvent et de former entre eux les doux liens du plaisir et de la joie, qu’a ceux qui ont tant de raison de s’aimer et de rester 2 jamais unis? Nous avow deja plusieurs de ces fetes pubfiques: ayons-en davantage encore. je n’en serai que plus charme. Mais n’adoptons point ces spectacles exclusifs qui renferment tristement un petit nombre de gens dans un antre obscur; qui les tiennent craintifs et immobiles dans le silence et I’inaction; qui n’offrent aux yeux que cloisons, que pointes de fer, que soldats, qu’affligeantes images de la servitude et de l’inbgalit6”. La boucle est bouc1Ce: I’antre du theatre n’est autre que l‘antre du Cyclope evoquc au livre I chapitre II du Contrat: “Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu’au desir d’en sortir; ils aiment leur servitude comme les compagnons d’Ulysse aimaient leur abrutissement.” Par la fete comme par le contrat, Ie peuple demeurera present a soi-meme sous la forme d’un recroisement de soi a soi: “Donnez les spectateurs en spectacle: rendez-les acteurs eux-memes; faites que chacun se voie et s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis. *’

3. Traduisons cette critique de la representation alienatrice en termes linguistiques: afin de conjurer la derive du signifiant dans l’exteriorite, afin d’empecher que le signe ne s’egare dans le superflu ou le “‘luxueux”, Rousseau propose de le greffer dans une ontologie de la prksence ci soi. Le signe pour Rousseau ne peut qu’etre ichzigue au sens de Peirce, comme la democratie ne peut qu’etre directe. comme le langage ne peut qu’etre Cratylique.

Ces remarques pennettent de faire trois mises au point que, pour la com- moditi: de I’expose. je propose de synthetiser sous forme de propositions susceptibles de discussion ulterieure:

(a) Le contrat social et poiitique de Rousseau est loin d’etre identifiable au contrat linguistique. Darts I’altemative de I’arbitraire du signe (le signe im- motive selon I’autre Genevois Saussure) et de sa naturalite, Rousseau tranche en faveur de Cratyle: la conventionality d‘l-lermogene lui parait etre un danger de derive vers I’artifice. L’arbitraire du politique et le spectre du tyran fou d’un tote. et I’arbitraire du signe sont deux formes du mauvais contrat. deux aspects

semblables de I’alit%zafiun. Par opposition a ces dangers, il faudra greffer le signe et le poiitique dans l’ontologie dune presence a soi. II faudra que l’ordre du contrat social, simple changement de man&e d’etre, preserve l’indepen- dance de I’etat de nature et lui donne simplement la garantie de la loi. L’interet

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general va reproduire les exigences de la pitie et de I’amour de soi, par opposition au mauvais infini de I’amour-propre, du self-interest que I’on retrouve dans les inter&s particuliers. Par le contrat. on sera “aussi libre qu’auparavant”.

Done la conventionalite des noms. principe hermogenique est I’ennemi du contrat social et poiitique.

(b) Cette proposition n’est pas contradictoire avec les Cnonces de I’Essaisur I’origine des hngues seion lesqueis le sens metaphorique est venu le premier, et ie sens propre est derive, ou second. Cette propriete des noms n’est qu’un effet de convention appauvrissante qui n’est - tout comme le signe Ccrit - qu’un Ctat derivatif par rapport a un processus ou I’enonciation oraie est portee par une adequation ontoiogique sctllte entre le signifiant et le referent dans une perspective iconique ou la metaphore est reglee par une mimesis vis-8-vis de la nature.

(c) L’espace du langage, qui est done. pour anticiper sur la phrase de Hiiideriin, ‘Ye danger par excellence”, se trouve horde par deux silences contradictoires: le silence du bienltre et du repos, ceiui de la coincidence muette avec soi dans le bonheur ontologique de I’ineffabie, ce “cogito existen- tiel” de i’ile Saint-Pierre, et I’autre silence celui de I’oppression et de la mort du corps politique par degenerescence et dissolution hors de la portee de la voix. Entre ies deux. ii faut que la voionte generale parle. il faut qu’elle se d&fare. Le signe vocal, se trouve a la fois convoque dans la designation des suffrages comme autant de v0i.x: il donne la mesure de I’extension des democraties qui sont viabies iorsqu’elies demeurent le propre des communautes dont les membres sont a portee de voix les uns des autes; et enfin. la voix. le signe oral dont Derrida a montre qu’ii Ctait doue d’une presence privilegiee par rapport B I’ame, ce signe vocal ou phonetique. plus adequat au signifit que le signe Ccrit est la marque de la liberte par opposition aux edits et decrets, formes &rites qui servent a lever des impots ou des hommes pour la conscription. Envoi uni- lateral du message, sans feed-back, dont les fameux placards appliques au coin des rues iiiustrent dans le silence de la dispersion du corps social la fonction tyrannique sans appel (Essai sur I’Origine des Langues).

Le mauvais silence, le silence de I’abyme. qui rehabilite done a contrario le langage, c’est le silence de I’oppression: “Ainsi la loi de I’ordre public dans les assembiees n’est pas tant d’y maintenir la volonte g&t&ale que de faire qu’elle soit toujours consultee et qu’elle reponde toujours” (IV. I). Sous peine de voir s’instalier I’oppression: “A I’autre extrtmite du cercle, I’unanimite revient: c’est quand les citoyens, tomb& dans la servitude, n’ont plus ni liberte ni voiontt. Aiors la crainte et la flatterie changent en acclamations les suffrages, on ne delibere plus, on adore ou I’on maudit” (IV. II). Un tel tumulte de la masse, une teiie ochiocratie gouvemement par la populace, Cquivaut au silence de I’oppression qui se traduit par les placards silencieux apposes au coin des rues.

Rousseau nous introduit ici a un corollaire de la derive vers I’exteriorite aiienatrice; c’est le bruit qui couvre I’information: “Tacite observe que sous Othon. les stnateurs, accablant Vitellius d’extcrations, affectaient de faire en mCme temps un bruit tpouvantabie afin que, si par hasard il devenait le maitre, ii ne put savoir ce que chacun d’eux avait dit.” Stroboscopic du bruit et de

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Critique du signe et de la reprksentation de Rousseau ci aujourd’hui. I31

l’enonciation brouillte qui forme comme l’abime et le mauvais infini de la declaration de soi ?I soi de la volontt &n&ale, de m&me que I’amour-propre est le mauvais infini de I’amour de soi.

4. Cette mise en garde contre I’unilat~raiitC du message est moderne en cette tpoque de dCmagogie, de personnalisation du pouvoir et de la vie politique que nous connaissons aujourd’hui par les media, comme au moment du Bas-Empire. Cette alienation de la volontC g&&ale est accentute par I-usage des media. circulation du message sans feed-back et sans appel. Big brother.

Mais pour des raisons de conditions techniques et politiques, dues en particulier B I’accroissement des dimensions des soci&& dkmocratiques, les clauses du pacte social ne peuvent plus fonctionner pour nous 2 titre de principes corzhuti~, mais seulement h titre de principes riguloreurs. La critique de la reprksentation dans la Lettre ci d’Alembert, I’Cnonciation de son pouvoir dissolvant pourraient. B la lettre. se trouver transf&Ces au monde des media qui menace de dissolution le corps social: de mCme. I’appel g la dCclaration directe de la volontC g&&ale soutient et justifie les procCdures rCf&endaires dont la Ve rCpubiique en France a su faire usage; de m&me encore les principes d’@alitC apportCs par le pacte social sont traduisibles dans le langage des relations intemationales et permettent alors de rCt5quilibrer ce qu’ont de IConin ou de Hobbesien des conventions telles que le trait6 de non-prolif&ation des armes nuclCaires ou les accords SALT (voir J. M. Benoist “Pavane pour une Europe difunte”). Comment ne pas puiser dans “le gouvemement de Pologne”, ou meme dans le r6le du Iegislateur d&it par le Contrat Social des exemples vivants et techniquement transposables et viables pour la construction constitutionnelle et contractuelle que nous recherchons pour la Communaut6 Europienne?

Certes; mais ici. la penste de Rousseau ne peut fonctionner que sous la forme de pr6l&vements partiels, de principes rCgulateurs ou de m&aphores fondatrices. Elle ne peut itre constitutive. dans la mesure oh. reposant sur une critique de la repr&entation et sur une conception cratylique et ic6nique du signe et du langage, elle exclut la prise en compte inCvitable de certains phtnom&nes d’aujourd’hui auxquels le IibCralisme doit faire face sous peine de pCrir:

La disstmination des pBles de dCcision qui inCvitablement morcelle !a cite. L’extension des chenaux d’information et des boucles et graphes de circula-

tion de cette information qui complexifie tellement le champ politique que c’est 2 Leibniz davantage qu’5 Rousseau qu’il faut s’adresser.

La rGcessitt5 de rihabiliter I’individu et le secteur privC contre l’invasion de I’Etat des mCcanismes totalitaires de la transparence politique telle que nous la connaissons dans les versions marxistes leninistes du Panoptikon de Bentham, et dont le mythe de la presence et du “propre” chez Rousseau Porte partielle- ment la responsabilitC. en particulier avec la glorification fondatrice de 1’aliCnation sans rkserve g toute la communautC des attributs propres.

Le recours B la fonction ironique, polys6mique et mCme contradictoire avec soi de la loi. que est la garantie de I’existence d’une separation des pouvoirs, voire des nCcessaires contre-pouvoirs pour maintenir le IibCralisme politique comme une tension dynamique et non une minimalisation du politique.

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Enfin. la nCcessit6 de respecter les niveaux d’integration. les perspectives “naturelles” ou en tout cas historiques d’un paysage peupk de difference et de relais qui font, au sens proche de Montesquieu la vkritable dkmocratie par opposition au monologue ou au monolithisme du paysage rousseauiste insuf- fisamment peuplk de diffkrences et recourant trop A I’CgalitC.

En conclusion. I’Age du Tout ou rien issu de Descartes est pCrim6. Nous sommes A la veille de la renaissance. nkcessaire au libkralisme politique. d’un monde nuance. fait de respect des diffkrences. fait des multiples facettes de la tradition et des textes prolifkrants et baroques de la loi. Cette polyphonie qui est la source nouvelle des dkmocraties. y compris de I’exercice de la dCmocratie europkenne. est une polyphonie culturelle et linguistique qui prend sa source dans la diversit de nos langues et de nos coutumes. dans la critique de tout ethnocentrisme, et dans le respect de I’autre en tant qu’autre au sein de hierarchies, sans recours 2 une CgalitC assimilatrice. L’ige de Rousseau et de Descartes s’achkve g cause de la necessite de lutter contre le culte de la masse fasciste ou totalitaire. L’Age de Leibniz, de Orwell. et de Montesquieu (re)commence. II a nom dkmocratie.

Jean-Marie Benoist.

Colltige de France