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Écrits de Y. B. Éditions Kalki

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Écrits

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Y. B.

Éditions Kalki

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Table des matières

L‟alchimie humaine et les quatre éléments ................................... 4

Courrier des lecteurs ................................................................... 17

Un exemple de perfection dans l‟art de la calligraphie islamique

(yantra et sciences traditionnelles) ............................................. 19

Métaphysique et sciences traditionnelles .................................... 24

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L‟ALCHIMIE HUMAINE

ET LES

QUATRE ÉLÉMENTS*

Au chapitre VIII de l‟Introduction à l‟enseignement et au mystère de René

Guénon, C.-A. Gilis évoque une orientation plus islamique de Guénon, sous

prétexte qu‟il n‟aurait pas achevé son étude sur « Les conditions de l‟existence

corporelle » :

« Il ne fait aucun doute que Guénon, à la suite du texte publié en janvier et

février 1912, devait aborder l‟étude de la “condition vitale”, en correspondance

avec les données traditionnelles qui, dans l‟Hindouisme, se rapportent à Têjas, le

Feu. Rappelons que celui-ci apparaît comme “actif” par rapport à l‟Eau (Ap), qui

est l‟élément “passif” complémentaire, l‟un et l‟autre étant produits par

polarisation à partir de l‟élément “neutre”, qui est l‟Air. Or, selon la tradition

islamique, la “vie” n‟est pas liée à la réalité archétypale du Feu, mais bien à

celle de l‟Eau. Ainsi qu‟il est dit dans le Coran : “Et Nous avons fait à partir de

l‟Eau toute chose vivante” (Cor., 21, 30). On constate donc, dans le symbolisme

utilisé par ces deux traditions, une certaine “inversion des pôles” qui s‟explique

avant tout par des raisons d‟ordre cyclique : parmi les formes traditionnelles qui

subsistent encore, c‟est en effet l‟Hindouisme qui représente de la manière la

plus directe la Tradition primordiale ainsi que le pôle essentiel et “actif” de notre

état d‟existence, alors que l‟Islam, en tant que révélation finale du présent cycle

humain, représente tout au contraire le pôle substantiel et “passif” »1.

Or, dans son ouvrage sur le Vêdânta2, Guénon affirme que « L‟eau est

regardée par beaucoup de traditions comme le milieu originel des êtres », et ce

n‟est pas C.-A. Gilis qui peut remettre cette donnée en question, puisqu‟il a lui-

même cité ce passage, en se servant à nouveau du verset coranique mentionné,

dans un autre ouvrage3 ; sans en tirer pour autant les conclusions qui

s‟imposent : d‟une part il ne s‟agit pas d‟une conception spécifiquement

islamique, et d‟autre part, le changement d‟orientation de Guénon n‟existe que

dans l‟esprit de M. Gilis.

« Par deux fois, explique l‟auteur dans le premier livre cité, la réalisation

[de la rédaction complète des « Conditions de l‟existence corporelle »] est

* [Publié dans Vers la Tradition, n

o 116, juin-juillet-août 2009.]

1 1986, p. 68.

2 Ch. XX, p. 163, n. 1.

3 Marie en Islam, 1990, ch. V, p. 53.

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empêchée : en 1912 à la suite d‟un événement apparemment fortuit, du fait que

La Gnose cesse d‟être publiée ; après 1932 parce que, cette fois de manière

délibérée, Guénon renonce à son projet » dans La théorie hindoue des cinq

éléments. Cela n‟empêche que dans Le Symbolisme de la Croix, à propos du

symbolisme de l‟étoile à cinq branches, Guénon écrivait qu‟elle représente le

microcosme et « aussi l‟homme individuel (lié aux cinq conditions de son état,

auxquelles correspondent les cinq sens et les cinq éléments corporels) »4, et qu‟il

est question des conditions de l‟existence dans Le Règne de la Quantité et les

Signes des Temps, bien que son auteur les envisage d‟un autre point de vue que

celui des éléments.

Du reste, si la question de l‟élément Feu est à ce point controversée, on est

en droit de se demander pourquoi Guénon écrivait en 1947 : « Le terme

d‟“ascèse”, tel que nous l‟entendons ici, est celui qui, dans les langues

occidentales, correspond le plus exactement au sanscrit tapas ; il est vrai que

celui-ci contient une idée qui n‟est pas directement exprimée par l‟autre, mais

cette idée n‟en rentre pas moins strictement dans la notion qu‟on peut se faire de

l‟ascèse. Le sens premier de tapas est en effet celui de “chaleur” ; dans le cas

dont il s‟agit, cette chaleur est évidemment celle d‟un feu intérieur qui doit

brûler ce que les Kabbalistes appelleraient les “écorces”, c‟est-à-dire en somme

détruire tout ce qui, dans l‟être, fait obstacle à une réalisation spirituelle ; c‟est

donc bien là quelque chose qui caractérise, de la façon la plus générale, toute

méthode préparatoire à cette réalisation, méthode qui, à ce point de vue peut être

considérée comme constituant une “purification” préalable à l‟obtention de tout

état spirituel effectif »5 ?

En réalité, Guénon dit que la « voie sèche » des alchimistes correspond à

la voie purement intellectuelle où prédomine l‟élément feu, et la « voie humide »

à celle où intervient un élément affectif symbolisé, entre autre chose, par

l‟aspect féminin de la Shakti, représenté par l‟élément eau6, et il semblerait que

4 Ch. XXVIII, p. 188, n. 1. Dans la maçonnerie, ces considérations se rapportent au

grade de compagnon. On peut noter que les éléments sont aussi en relation avec les cinq

« grandes années » de 12 960 ans qui composent le Manvantara de 64 800 ans. On sait, par

ailleurs, que le nombre 7 est en rapport avec les « cieux » et les « terres » qui « permutent »,

selon l‟expression coranique (14, 48 : yubaddalu), autour de la montagne « sacrée » ; et on

pourrait considérer que le « renversement des pôles » présente une certaine analogie avec le

« retournement » initiatique, puisque dans l‟ordre cyclique, la « Jérusalem céleste »

correspondra au « Paradis terrestre » du cycle futur, et que dans l‟ordre initiatique, le Ciel et la

Terre servent aussi à désigner la tête et les pieds de l‟« Homme véritable ». 5 Initiation et Réalisation spirituelle, ch. XIX : Ascèse et ascétisme, pp. 159-160.

6 Aperçus sur l‟ésotérisme chrétien, ch. IV : Le langage secret de Dante et des

« Fidèles d‟Amour » (I), p. 64.

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M. Gilis a tendance à faire de sa conception de la voie initiatique une généralité.

Mais de quelle voie parle-t-on au juste7 ?

Dans René Guénon et l‟avènement du troisième Sceau, M. Gilis écrivait :

« La tradition islamique est, à tous degrés, axée sur le Tawhîd, c‟est-à-dire la

doctrine de l‟Unité principielle [ce qui, du reste, est le cas de toutes les

traditions]. Or, celle-ci exclut, de par sa nature même, le recours au symbolisme

qui implique nécessairement une dualité [il faudrait nous expliquer comment on

peut remonter à l‟unité sans passer par la dualité, ce qui constitue le ternaire

dont il existe de nombreux exemples en islam] : celle du symbole et, d‟autre

part, des réalités principielles [pourquoi seulement “principielles” ?]. Ce recours

ne peut se justifier qu‟au niveau des moyens de grâce qu‟Allâh utilise pour

permettre à ceux qui en ont besoin Ŕ c‟est-à-dire, aujourd‟hui, la très grande

majorité des hommes Ŕ de se rapprocher de lui »8.

En fait de moyen de grâce, Guénon écrit dans les Aperçus sur l‟Initiation :

« … la simple communication avec les états supérieurs ne peut pas être regardée

comme une fin, mais seulement comme un point de départ : si cette

communication doit être établie tout d‟abord par l‟action d‟une influence

spirituelle, c‟est pour permettre ensuite une prise de possession effective de ces

états, et non pas simplement, comme dans l‟ordre religieux, pour faire descendre

sur l‟être une “grâce” qui l‟y relie d‟une certaine façon, mais sans l‟y faire

pénétrer »9.

Seulement, on est en droit de se demander si M. Gilis sait vraiment de

quoi il parle, car lorsque Ibn Arabî envisage la Terre comme se trouvant au

centre de la circonférence10

, il s‟agit d‟un symbolisme dont Guénon a donné une

représentation (la figure 8 de La Grande Triade), et qui se rapporte autant à

l‟« Homme véritable », si on désigne par ce symbolisme un état d‟existence, et à

l‟« Homme transcendant », si on désigne la manifestation universelle. D‟autre

part, lorsqu‟il affirme que « les Cieux planétaires correspondent à la modalité

subtile de l‟état humain »11

, on retrouve la même incompréhension, car, toujours

7 Dans Les Sept Étendards du Califat (1993), M. Gilis affirme que « nous sommes

obligés de “croire” en Allâh » (p. 35), comme si il ignorait tout de l‟intuition intellectuelle, et

il parle aussi de « réalisation suprême » (p. 139, n. 8) pour désigner la servitude, confondant

ainsi le moyen avec la fin. Dès lors, on peut comprendre qu‟il refuse la distinction entre

exotérisme et ésotérisme, sans tenir compte, d‟une part, qu‟il y a plus d‟exotéristes que

d‟ésotéristes parmi les musulmans, et d‟autre part, que les rites appartenant aux deux

domaines ne sont pas du tout effectués de la même manière dans l‟usage pratique. 8 (1991) pp. 33-34.

9 Ch. III, p. 27.

10 Les Sept Étendards du Califat, p. 127.

11 Les Sept Étendards du Califat, pp. 15, 64 et 308 ; signalons que le mot « vicaire »

pour désigner le khalîfah est de Guénon (Symboles de la Science Sacrée, ch. XLV : El-Arkân,

p. 282) et non pas de Vâlsan (ibid., p. 129, n. 3) ; cf. aussi Marie en Islam, ch. VII, p. 69.

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du point de vue de La Grande Triade, l‟Homme représente le domaine

intermédiaire par rapport au Ciel et à la Terre.

Il faut dire que nous avons toujours été surpris de constater que Guénon

considérait les deux traditions extrême-orientale et islamique comme insistant

plus particulièrement sur la réintégration dans l‟état primordial, et de ne rien

trouver de comparable chez les « spécialistes » de la doctrine akbarienne,

auxquels on pourrait peut-être rappeler cette tradition prophétique : « Cherchez

la science jusqu‟en Chine ».

Ceci étant, il n‟y a pas seulement la polarisation de l‟air en feu et en eau à

considérer, mais aussi celle du feu en chaleur par le sang et en lumière par les

nerfs12

; et cela nous amène à une des raisons pour lesquelles Guénon n‟a peut-

être pas souhaité terminer son étude, bien qu‟il semble avoir donné tous les

éléments pour la rédiger.

Dans la maçonnerie, l‟ordre de succession des épreuves par les éléments

ne reproduit ni celui de leur production, ni celui de leur résorption ; mais il

existe une conception platonicienne suivant laquelle le corps est l‟enveloppe du

souffle qui est l‟enveloppe de l‟âme qui est l‟enveloppe de l‟intellect.

Si on fait correspondre le corps à la terre, le souffle à l‟air, l‟âme à l‟eau et

l‟intellect au feu13

, on retrouve l‟exacte succession des épreuves initiatiques ; ce

qui pose la question de l‟usage du « souffle » (l‟apprenti doit avoir « un bon

souffle », selon le Dumfries), qui n‟a jamais cessé d‟interpeller Guénon puisque

le texte intitulé « La prière et l‟incantation » était initialement une planche

maçonnique.

Cette incantation, qu‟il appelle aussi « alchimie humaine » est

« essentiellement une aspiration de l‟être vers l‟Universel, ayant pour but

d‟obtenir une illumination intérieure, quels que soient d‟ailleurs les moyens

extérieurs, gestes (mudrâs), paroles ou sons musicaux (mantras), figures

12 Là aussi l‟incompréhension de C.-A. Gilis est flagrante, car il semble considérer

cette polarisation comme une spécificité de certaines formes traditionnelles, sans autre

précision (Les Sept Étendards, p. 129, n. 23), alors qu‟elle concerne le domaine physiologique

et que, de surcroît, elle est perceptible dans les phases préliminaires de l‟initiation effective. 13

Corpus Hermeticum, Tome I, p. 121. En considérant la réalisation comme une

remontée des cycles, on pourrait faire un rapprochement entre le corps et l‟âge de fer, le

souffle et l‟âge d‟airain, l‟âme et l‟âge d‟argent et l‟intellect et l‟âge d‟or. D‟après ces

indications et celles figurant à la note (4), on peut aisément déduire que les 3 degrés de la

maçonnerie bleue réalisent respectivement la « mesure » du Manvantara, suivant des

modalités différentes. En outre, nous nous situons au milieu du Kalpa qui se compose de 7

Manvantaras descendants et de 7 Manvantaras ascendants ; et comme Guénon envisage « un

double sens à la solidification », dont la descente de la « Jérusalem céleste » représente un

aspect bénéfique, on peut se demander s‟il n‟y a pas dans notre localisation cyclique une

réalité spirituelle d‟une autre portée.

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symboliques (yantras) ou autres, qui peuvent être employés accessoirement

comme supports de l‟acte intérieur, et dont l‟effet est de déterminer des

vibrations rythmiques qui ont une répercussion à travers la série indéfinie des

états de l‟être »14

.

« … dans la tradition hindoue, il est dit que les Dêvas, dans leur lutte avec

les Asuras, se protégèrent (achhan dayan) par la récitation des hymnes du Vêda,

et que c‟est pour cette raison que les hymnes reçurent le nom chhandas, mot qui

désigne proprement le “rythme”. La même idée est d‟ailleurs contenue dans le

mot dhikr, qui, dans l‟ésotérisme islamique, s‟applique à des formules rythmées

correspondant exactement aux mantras hindous, formules dont la répétition a

pour but de produire une harmonisation des divers éléments de l‟être, et de

déterminer des vibrations susceptibles, par leur répercussion à travers la série

des états, en hiérarchie indéfinie, d‟ouvrir une communication avec les états

supérieurs, ce qui est d‟ailleurs, d‟une façon générale, la raison d‟être essentielle

et primordiale de tous les rites »15

.

Il nous faudrait une autre occasion pour aborder l‟absurde question de la

« greffe » islamique, que certains n‟hésitent pas à réduire à une « regrettable

polémique », ce qui ne manque pas d‟ironie, vu que c‟est eux qui l‟ont

provoquée. Pour le moment, nous ferons seulement remarquer que Guénon n‟a

jamais parlé de la transmission d‟un Nom islamique à des non-musulmans, car

celle-ci est la caractéristique des chaînes initiatiques vivifiées par un Maître

vivant, à l‟aide de laquelle il guide ses disciples à travers les voiles de lumières

qui enveloppent l‟« Esprit muhammadien » (ou le « Centre du Monde » de la

tradition islamique) ; et vers lequel la pratique de ce Nom aide ceux-ci à

s‟acheminer suivant des modalités incantatoires extérieures et surtout

intérieures.

D‟autre part, ce n‟est pas parce que ce Nom est pratiqué par des chrétiens

orientaux, qu‟il faut pour autant faire la confusion entre celui-ci et l‟influence

spirituelle dont il est le véhicule, car celle-ci appartient à la forme islamique

avec tout ce que cela implique.

Enfin, cette transmission est elle-même subordonnée au rattachement à

une organisation initiatique ; si bien que, pour donner une équivalence analogue

dans le domaine hiérarchique, recevoir cette transmission sans être rattaché à

l‟organisation correspondante, reviendrait, pour un profane, à recevoir la

communication de hauts-grades maçonniques sans avoir été initié aux degrés

antérieurs. Nous sommes quelque peu surpris de constater que notre prétendu

« imâm es tassarruf » n‟ait pas abordé ce genre de considération, mais nous

pouvons assurer les non-musulmans, parmi les plus qualifiés, qui ont reçu la

transmission de ce Nom, qu‟ils risquent de subir une « réaction concordante » du

14 L‟Homme et son devenir selon le Vêdânta, ch. XX, p. 164.

15 Symboles de la Science sacrée, ch. VII : La Langue des Oiseaux.

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« Centre » mentionné vis-à-vis duquel ils n‟ont aucune appartenance

traditionnelle. Cela leur donnera peut-être l‟occasion de se rendre compte que ce

dernier est bien vivant, mais à quel prix ?

Dans les Aperçus sur l‟Initiation, on apprend que « les épreuves sont

essentiellement des rites de purification ; et c‟est là ce qui donne l‟explication

véritable de ce mot même d‟“épreuves”, qui a ici un sens nettement

“alchimique”(…) la purification s‟opère par les “éléments”, au sens

cosmologique de ce terme, et la raison peut en être exprimée très facilement en

quelques mots : qui dit élément dit simple, et qui dit simple dit incorruptible.

Donc, la purification rituelle aura toujours pour “support” matériel les corps qui

symbolisent les éléments et qui en portent les désignations (car il doit être bien

entendu que les éléments eux-mêmes ne sont nullement des corps prétendus

“simples”, ce qui est d‟ailleurs une contradiction, mais ce à partir de quoi sont

formés tous les corps) ». D‟un point de vue initiatique, « il s‟agit de ramener

l‟être à un état de simplicité indifférenciée, comparable (…) à celui de la

materia prima (entendue naturellement ici en un sens relatif), afin qu‟il soit apte

à recevoir la vibration du Fiat Lux initiatique (…) ce qui, si l‟on veut bien y

réfléchir un instant, montre assez clairement que le processus initiatique et le

“Grand Œuvre” hermétique ne sont en réalité qu‟une seule et même chose : la

conquête de la Lumière divine qui est l‟unique essence de toute spiritualité »16

.

Dans son étude intitulée Les dualités cosmiques17

, Guénon écrivait :

« nous prendrons comme exemple la théorie des éléments telle que la

concevaient les Grecs, Aristote en particulier, et telle qu‟elle se transmit au

moyen âge ; on y trouve deux quaternaires, comprenant chacun deux dualités :

d‟une part, celui des qualités, chaud et froid, sec et humide, et, d‟autre part, celle

des éléments, feu et eau, et air et terre. Or, les couples d‟éléments opposés ne

coïncident pas avec les couples de qualités opposées, car chaque élément

procède de deux qualités combinées, appartenant à deux dualités différentes : le

feu, du chaud et du sec ; l‟eau, du froid et de l‟humide ; l‟air, du chaud et de

l‟humide ; la terre, du froid et du sec. Quant à l‟éther, considéré comme

cinquième élément, et que les alchimistes appelaient pour cette raison

“quintessence” (quinta essentia), il contient toutes les qualités dans un état

d‟indifférenciation et d‟équilibre parfait ; il représente l‟homogénéité

primordiale dont la rupture déterminera la production des autres éléments avec

leurs oppositions. Cette théorie est résumée dans la figure, d‟un symbolisme

d‟ailleurs purement hermétique, que Leibnitz a placée en tête de son De arte

combinatoria.

16 Ch. XXV.

17 Études Traditionnelles, n

os 428-429-430-431.

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10

« Maintenant, le chaud et le froid sont respectivement des principes

d‟expansion et de condensation, et correspondent ainsi rigoureusement aux

forces antagonistes du dualisme mécanique ; mais pourrait-on en dire autant du

sec et de l‟humide ? Cela paraît bien difficile, et c‟est seulement par leur

participation du chaud et du froid qu‟on peut rattacher les éléments, feu et air

d‟une part, eau et terre d‟autre part, à ces deux tendances expansive et attractive

(…) Et ce qui complique encore la question, c‟est que, à des points de vue

différents, des oppositions également différentes peuvent être établies entre les

mêmes choses : c‟est ce qui arrive, pour les éléments, suivant que l‟on s‟adresse

à l‟alchimie ou à l‟astrologie, car, tandis que la première fait appel aux

considérations précédentes, la seconde, en répartissant les éléments dans le

zodiaque, oppose le feu à l‟air et la terre à l‟eau [voir, par exemple, la figure de

l‟archéomètre] ; ici, par conséquent, l‟expansion et la condensation ne figurent

même plus dans une opposition ou une corrélation quelconque (…).

« Signalons encore que les deux phases [« ascendante » et

« descendante »] (…) se retrouvent (…) dans les théories hermétiques, où elles

sont appelées “coagulation” et “solution” : en vertu des lois de l‟analogie, le

“grand œuvre” reproduit en abrégé l‟ensemble du cycle cosmique [également

caractérisé par ces deux phases]. Ce qui est assez significatif, au point de vue où

nous venons de nous placer, c‟est que les hermétistes, au lieu de séparer

radicalement ces deux phases, les unissaient au contraire dans la figuration de

leur androgyne symbolique Rebis (res bina, chose double), représentant la

conjonction du soufre et du mercure, du fixe et du volatil, en une matière

unique ». (Note de Guénon : « Voir l‟Amphitheatrum Sapientiae Aeternae de

Khunrath, les Clefs d‟alchimie de Basile Valentin, etc. » [On pourra aussi se

reporter aux Théories & Symboles des Alchimistes d‟Albert Poisson, qui nous

paraît être une excellente synthèse sur la question.])

« Mais revenons à l‟opposition du chaud et du froid (…) : l‟abaissement

de la température traduit une tendance à la différenciation, dont la solidification

marque le dernier degré, le retour à l‟indifférenciation devra, dans le même

ordre d‟existence, s‟effectuer corrélativement, et en sens inverse, par une

élévation de température (…) si la chaleur paraît représenter la tendance qui

mène vers l‟indifférenciation, il n‟en est pas moins vrai que, dans cette

indifférenciation même, la chaleur et le froid doivent être également contenus de

façon à s‟équilibrer parfaitement ; l‟homogénéité véritable ne se réalise pas dans

un des termes de la dualité, mais seulement là où la dualité a cessé d‟être.

D‟autre part, si l‟on considère le milieu du cycle cosmique en regardant les deux

tendances comme agissant simultanément, on s‟aperçoit que, loin de marquer la

victoire complète, au moins momentanément, de l‟une sur l‟autre, il est l‟instant

où la prépondérance commence à passer de l‟une à l‟autre : c‟est donc le point

où ces deux tendances sont dans un équilibre qui, pour être instable, n‟en est pas

moins comme une image ou un reflet de cet équilibre parfait qui ne se réalise

que dans l‟indifférenciation ; et alors ce point, au lieu d‟être le plus bas, doit être

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11

véritablement moyen sous tous les rapports (…). D‟ailleurs, pour toute

individualité, il y a en quelque sorte un point d‟arrêt dans la limitation, à partir

duquel cette individualité même peut servir de base à une expansion en sens

inverse [au processus d‟individualisation ou d‟involution] ; nous pourrions citer

à ce propos telle doctrine arabe suivant laquelle “l‟extrême universalité se

réalise dans l‟extrême différenciation” parce que l‟individualité disparaît, en tant

qu‟individualité, par là même qu‟elle a réalisé la plénitude de ses

possibilités »18

.

On pourrait encore exprimer les choses autrement en disant que « le Ciel,

en tant que pôle “positif” de la manifestation, représente d‟une façon directe le

Principe par rapport à celle-ci, tandis que la Terre, en tant que pôle “négatif”, ne

peut en présenter qu‟une image inversée. La “perspective” de la manifestation

rapportera donc assez naturellement au Principe même ce qui appartient

réellement au Ciel, et c‟est ainsi que le “mouvement” du Ciel (mouvement au

sens purement symbolique, bien entendu, puisqu‟il n‟y a là rien de spatial) sera

attribué d‟une certaine façon au Principe, bien que celui-ci soit nécessairement

immuable. Ce qui est plus exact au fond, c‟est de parler (…) des attractions

respectives du Ciel et de la Terre, s‟exerçant en sens inverse l‟une de l‟autre :

toute attraction produit un mouvement centripète, donc une “condensation”, à

laquelle correspondra, au pôle opposé, une “dissipation” déterminée par un

mouvement centrifuge, de façon à rétablir ou plutôt à maintenir l‟équilibre total.

Il résulte de là que ce qui est “condensation” sous le rapport de la substance est

au contraire une “dissipation” sous le rapport de l‟essence, et que, inversement,

ce qui est “dissipation” sous le rapport de la substance est une “condensation”

sous le rapport de l‟essence ; par suite, toute “transmutation”, au sens

hermétique de ce terme [c‟est-à-dire en ce qui concerne les modalités et états de

l‟individualité], consistera proprement à “dissoudre” ce qui était “coagulé” et,

simultanément, à “coaguler” ce qui était “dissous”, ces deux opérations

apparemment inverses n‟étant en réalité que les deux aspects complémentaires

d‟une seule et même opération.

« C‟est pourquoi les alchimistes disent fréquemment que “la dissolution

du corps est la fixation de l‟esprit” et inversement, esprit et corps n‟étant en

somme pas autre chose que l‟aspect “essentiel” et l‟aspect “substantiel” de

l‟être ; ceci peut s‟entendre de l‟alternance des “vies” et des “morts”, au sens le

plus général de ces mots, puisque c‟est là ce qui correspond proprement aux

“condensations” et aux “dissipations” de la tradition taoïste, de sorte que,

pourrait-on dire, l‟état qui est vie pour le corps est mort pour l‟esprit et

inversement19

; et c‟est pourquoi “volatiliser (ou dissoudre) le fixe et fixer (ou

18 Toutes ces citations sont tirées du n

o 430.

19 On pourrait rappeler ici une autre tradition prophétique de l‟islam suivant laquelle :

« Les gens dorment et quand ils meurent [par la “troisième naissance”], ils se réveillent ».

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coaguler) le volatil” ou “spiritualiser le corps et corporifier l‟esprit”, est dit

encore “tirer le vif du mort et le mort du vif”, ce qui est aussi, par ailleurs, une

expression qorânique »20

.

D‟autre part « les alchimistes “entendent par les eaux, les rayons et la

lueur de leur feu”, et (…) ils donnent le nom d‟“ablution”, non pas à l‟“action de

laver quelque chose avec de l‟eau ou autre liqueur”, mais à une purification qui

s‟opère par le feu, de sorte que “les anciens ont caché cette ablution sous

l‟énigme de la salamandre, qu‟ils disent se nourrir dans le feu, et du lin

incombustible, qui s‟y purifie et s‟y blanchit sans s‟y consumer” [les citations

viennent de Pernéty]. On peut comprendre par là qu‟il soit fait de fréquentes

allusions, dans le symbolisme hermétique, à un “feu qui ne brûle pas” et à une

“eau qui ne mouille pas les mains”, et aussi que le Mercure “animé”, c‟est-à-dire

vivifié par l‟action du Soufre, soit décrit comme une “eau ignée”, et parfois

même comme un “feu liquide” »21

.

En note, Guénon signale aussi que « la pluie doit en effet, pour représenter

les influences spirituelles, être regardée comme une eau “céleste”, et l‟on sait

que les Cieux correspondent aux états informels ; l‟évaporation des eaux

terrestres par la chaleur solaire est d‟ailleurs l‟image d‟une “transformation”, de

sorte qu‟il y a là comme un passage alternatif des “eaux inférieures” aux “eaux

supérieures” et inversement » ; ce qui nous amène assez naturellement à aborder

un dernier aspect du symbolisme des éléments.

En 1929, Guénon écrivait : « Il est intéressant de remarquer que les

foudres de Jupiter sont forgées par Vulcain, ce qui établit un certain rapport

entre le “feu céleste” et le “feu souterrain”, … [ce dernier], en effet, était en

relation directe avec le symbolisme métallurgique, spécialement dans les

mystères kabiriques »22

; et il précisait, dans Le Règne de la Quantité et les

Signes des Temps (ch. XXII) : « Pour comprendre ceci, il faut avant tout se

souvenir que les métaux, en raison de leurs correspondances astrales, sont en

quelque sorte les “planètes du monde inférieur” ; ils doivent donc naturellement

avoir, comme les planètes elles-mêmes dont ils reçoivent et condensent pour

ainsi dire les influences dans le milieu terrestre, un aspect “bénéfique” et un

aspect “maléfique”. De plus, puisqu‟il s‟agit en somme d‟un reflet inférieur, ce

que représente nettement la situation même des mines métalliques à l‟intérieur

de la terre, le côté “maléfique” doit facilement devenir prédominant ; il ne faut

20 La Grande Triade, ch. VI.

21 Symboles de la Science sacrée, ch. LX : La lumière et la pluie. Pour un

enseignement similaire, voir aussi La Grande Triade, ch. XII, où Guénon fait un

rapprochement entre la « pierre brute » et l‟individualité, la « pierre cubique » et le Sel, et la

« pierre cubique à pointe » et la « pierre philosophale ». 22

Symboles de la Science sacrée, ch. XXV : Les pierres de foudre.

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pas oublier que, au point de vue traditionnel, les métaux et la métallurgie sont en

relation directe avec le “feu souterrain”, dont l‟idée s‟associe sous bien des

rapports à celle du “monde infernal” (…) En ce qui concerne cette relation avec

le “feu souterrain”, la ressemblance manifeste du nom de Vulcain avec celui du

Tubalcaïn biblique est particulièrement significative ; tous deux sont d‟ailleurs

représentés également comme des forgerons ; et, précisément au sujet des

forgerons, nous ajouterons que cette association avec le “monde infernal”

explique suffisamment (…) le côté “sinistre” de leur métier. Ŕ Les Kabires,

d‟autre part, tout en étant aussi des forgerons, avaient un double aspect terrestre

et céleste, les mettant en rapport à la fois avec les métaux et avec les planètes

correspondantes ».

D‟un point de vue initiatique, il faut se rappeler, en considérant le

symbolisme de la montagne et de la caverne, que dans notre situation cyclique :

« le centre, pourrait-on dire, n‟abandonna pas la montagne, mais se retira

seulement de son sommet à son intérieur ; d‟autre part, ce même changement est

en quelque sorte un “renversement” par lequel, (…) le “monde céleste” (auquel

se réfère l‟élévation de la montagne au-dessus de la surface terrestre) est devenu

en un certain sens le “monde souterrain” (bien qu‟en réalité ce ne soit pas lui qui

ait changé, mais les conditions du monde extérieur, et par conséquent son

rapport avec celui-ci) ; et ce “renversement” se trouve figuré par les schémas

respectifs de la montagne et de la caverne, qui expriment en même temps leur

complémentarisme »23

.

Il faut bien comprendre que le sens inférieur des ténèbres « représente

proprement le “chaos”, c‟est-à-dire l‟état d‟indifférenciation ou d‟indistinction

qui est au point de départ de la manifestation, soit dans sa totalité, soit

relativement à chacun de ses états ; et ici nous voyons immédiatement apparaître

l‟application de l‟analogie en sens inverse, car cette indifférenciation, qu‟on

pourrait appeler “matérielle” en langage occidental, est comme le reflet de

l‟indifférenciation principielle du non-manifesté, ce qui est au point le plus haut

se réfléchissant au point le plus bas, comme les sommets des deux triangles

opposés dans le symbole du “sceau de Salomon” (…) cette indistinction, quand

elle s‟applique à la totalité de la manifestation universelle, n‟est autre que celle

même de Prakriti, en tant que celle-ci s‟identifie à la hylè primordiale ou à la

materia prima des anciennes doctrines cosmologiques occidentales ; en d‟autres

termes, c‟est l‟état de potentialité pure, qui n‟est en quelque sorte qu‟une image

réfléchie, et par là même inversée, de l‟état principiel des possibilités non-

manifestées »24

… On pourrait voir dans ces indications « polaires », comme une

justification métaphysique de la « descente aux enfers » qui se déroule au début

du processus initiatique, et Guénon précise encore que « le “noir plus noir que le

23 Ibid., ch. XXXI : La montagne et la caverne.

24 Initiation et Réalisation spirituelle, ch. XXXI : Les deux nuits, pp. 240-241.

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noir” (nigrum nigro nigrius), suivant l‟expression des hermétistes, est

assurément, quand on le prend dans son sens le plus immédiat et en quelque

sorte le plus littéral, l‟obscurité du chaos ou les “ténèbres inférieures” ; mais il

est aussi et par là même (…) un symbole naturel des “ténèbres supérieures”. De

même que le “non-agir” est véritablement la plénitude de l‟activité, ou que le

“silence” contient en lui-même tous les sons dans leur modalité parâ ou non-

manifestée, ces “ténèbres supérieures” sont en réalité la Lumière qui surpasse

toute lumière, c‟est-à-dire, au-delà de toute manifestation et de toute

contingence, l‟aspect principiel de la lumière elle-même ; et c‟est là, et là

seulement, que s‟opère en définitive la véritable jonction des extrêmes »25

.

Ainsi, « le centre est, en raison de son caractère principiel, ce qu‟on pourrait

appeler le “lieu” de la non-manifestation ; comme tel, la couleur noire, entendue

dans son sens supérieur, lui convient donc réellement. Il faut d‟ailleurs

remarquer que, par contre, la couleur blanche convient aussi au centre sous un

autre rapport, nous voulons dire en tant qu‟il est le point de départ d‟une

“irradiation” assimilée à celle de la lumière ; on pourrait donc dire que le centre

est “blanc” extérieurement et par rapport à la manifestation qui procède de lui,

tandis qu‟il est “noir” intérieurement et en lui-même ; et ce dernier point de vue

est naturellement celui des êtres qui (…) se situent symboliquement dans le

centre même »26

.

Pour conclure, nous voudrions donner un exemple de la manière dont

M. Gilis se sert des citations de Guénon, car elle nous paraît illustrer, par reflet,

l‟usage qu‟il fait de la doctrine akbarienne afin d‟imposer sa manière

d‟envisager les choses : « À cette première limitation [la « spéculative » sur

laquelle nous allons revenir] s‟en ajoute une autre, inhérente à la nature de

l‟initiation maçonnique qui est une initiation de métier. En effet, comme René

Guénon l‟a rappelé à maintes reprises (en se référant typologiquement à ce que

représente la caste des Vaishyas dans l‟hindouisme), une initiation de ce type ne

peut transmettre que “les connaissances qui lui conviennent spécialement” ; et

celles-ci ne représentent, en principe tout au moins, qu‟une portion restreinte des

“petits mystères” tels que nous venons de les définir »27

. C‟est assez habile de se

servir de cette citation que Guénon poursuit en disant : « mais nous n‟avons pas

à insister sur ce point, puisque le sujet de la présente étude [Autorité spirituelle

et pouvoir temporel, ch. II, Fonctions du Sacerdoce et de la Royauté] ne

comporte proprement que la considération des rapports des deux premières

castes ». En fait, dans Mélanges, Guénon écrit : « Si maintenant nous voulons

25 Ibid., p. 228 : La jonction des extrêmes.

26 Symboles de la Science sacrée, ch. XVI : Les « têtes noires ».

27 Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. II, cité dans Ordo ab chao, La Franc-

Maçonnerie dans la Lumière du Prophète, pp. 44-45.

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définir plus rigoureusement le domaine de ce qu‟on peut appeler les initiations

de métier, nous dirons qu‟elles appartiennent à l‟ordre des “petits mystères”, se

rapportant au développement des possibilités qui relèvent proprement de l‟état

humain, ce qui n‟est pas le but dernier de l‟initiation, mais en constitue du moins

obligatoirement la première phase » (p. 76 : L‟Initiation et les Métiers). Et dans

les Aperçus sur l‟Initiation : « Pour les Vaishyas à plus forte raison encore que

pour les Kshatriyas, le domaine initiatique qui leur convient proprement est celui

des “petits mystères” ; cette communauté de domaine, si l‟on peut dire, a

d‟ailleurs amené fréquemment des contacts entre les formes d‟initiation

destinées aux uns et aux autres [comme la maçonnerie et la chevalerie], et par

suite, des relations assez étroites entre les organisations par lesquelles ces

formes sont pratiquées respectivement »28

. Poursuivons la citation de C.-A.

Gilis : « Cette définition doit également être rappelée, car la confusion est

grande sur ce point essentiel. Il s‟agit, d‟un côté, d‟une “connaissance de la

nature” primordiale, ou encore de l‟ordre “physique” ou “cosmologique”

opposée à l‟ordre métaphysique ; de l‟autre, des mystères qui “concernent

seulement les possibilités de l‟état humain” par opposition à ceux qui se

rapportent à ce qui est au delà, c‟est-à-dire la réalisation des états supra-

individuels et surtout la réalisation métaphysique, qui seule importe

véritablement. [En réalité, M. Gilis nous fait ici l‟aveu d‟un modernisme bien

profane en voyant des « oppositions » là où il n‟y a que différents aspects

complémentaires de la doctrine et de la réalisation ; et, en fait de « confusion

essentielle », il n‟est pas difficile de se rendre compte que c‟est lui qui la

commet entre la Lumière du Prophète, et sa perception, somme toute, très

sommaire. Du reste, suivant une dernière parole prophétique qui va nous

ramener au début de notre étude, le Prophète a dit : « J‟ai été conçu avant

qu‟Adam soit entre l‟eau et l‟argile ». Or, si on met en relation l‟eau et l‟argile

avec les éléments qui leurs correspondent, on peut dire que l‟Esprit

muhammadien est créé d‟air et de feu.] Cette seconde limitation est plus

essentielle que la première, car elle tient, non pas à un état passager de

dégénérescence auquel il serait possible de remédier, tout au moins en principe,

mais bien à la constitution même de la Maçonnerie. Lorsque, dans le même

chapitre, René Guénon écrit : “Nous devons insister sur le fait qu‟une telle

dégénérescence d‟une organisation initiatique ne change pourtant rien à sa

nature essentielle, et que même la continuité de la transmission suffit pour que,

si des circonstances plus favorables se présentaient, une restauration soit

toujours possible, cette restauration devant alors nécessairement être conçue

comme un retour à l‟état „opératif‟”29

on ne voit pas ce que ce retour pourrait

signifier d‟autre, en l‟occurrence, que l‟exercice traditionnel du métier de

28 Aperçus sur l‟Initiation, ch. XXXIX, p. 251.

29 Ibid., ch. XXIX, p. 196.

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maçon ; ni par quel miracle l‟initiation maçonnique pourrait ouvrir aux “grands

mystères”, même au cas où cette hypothèse, qui apparaît à la fois comme la plus

favorable et la plus improbable, était effectivement réalisée ».

Dans les faits, « le mot “opératif” ne doit pas être considéré exactement

comme un équivalent de “pratique”, en tant que ce dernier terme se rapporte

toujours à l‟“action” (…) de sorte qu‟il ne saurait être employé ici sans

équivoque ni impropriété ; en réalité, il s‟agit de cet “accomplissement” de l‟être

qu‟est la “réalisation” initiatique, avec tout l‟ensemble des moyens de divers

ordres qui peuvent être employés en vue de cette fin ; et il n‟est pas sans intérêt

de remarquer qu‟un mot de même origine, celui d‟“œuvre”, est aussi usité

précisément en ce sens dans la terminologie alchimique »30

.

Dans le même ouvrage, Guénon précise d‟ailleurs que l‟hermétisme peut

« fournir tout un symbolisme qui, par une transposition convenable, a pu même

y servir parfois de véhicule à des vérités d‟un ordre plus élevé (…) une telle

transposition est en effet toujours possible, dès lors que le lien avec un principe

supérieur et véritablement transcendant n‟est pas rompu, et nous avons dit que le

“Grand Œuvre” hermétique lui-même peut être regardé comme une

représentation du processus initiatique dans son ensemble… » (ch. XLI, p. 261).

Ce n‟est pas parce que Michel Vâlsan n‟avait pas vu cela que nous devons nous

limiter à sa lecture contestable de l‟œuvre de Guénon, car cette transposition

constitue, en réalité, une des raisons profondes de toute une partie de celle-ci,

comme l‟aperçu que nous avons donné dans cette étude le montre clairement.

Quant à la limitation « spéculative », on peut encore dire qu‟« en dehors

de toute déviation, on peut toujours, d‟une façon très exacte, appliquer les

termes “opératif” et “spéculatif”, à l‟égard d‟une forme initiatique quelle qu‟elle

soit, et même si elle ne prend pas un métier comme “support”, en les faisant

correspondre respectivement à l‟initiation effective et à l‟initiation virtuelle »31

.

Les citations tronquées dont M. Gilis donne l‟exemple dans la partie d‟un

livre intitulée Les Maîtres akbariens, et dont le sous titre est René Guénon,

montrent la légèreté avec laquelle il se sert de différentes autorités pour mieux

asseoir la sienne ; et du point de vue de l‟initiation, il ne fait aucun doute que la

dégénérescence de la Maçonnerie n‟a rien à envier à celle des « semi-profanes »

qui font une identification toute « spéculative » entre la shariyah et la haqîqah.

Y. B.

30 Ibid., p. 195.

31 Ibid., p. 197.

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COURRIER DES LECTEURS*

Nous avons reçu de la part d‟un lecteur la remarque suivante :

« (…) Le texte « L‟alchimie et les quatre éléments »… attribue à Michel

Vâlsan une position qu‟il n‟a pas. On y expose, en effet, page 64, un passage de

René Guénon dans lequel il évoque la possibilité de transposer les données de

l‟hermétisme dans un ordre plus élevé Ŕ donc, dépassant le domaine des petits

mystères Ŕ , et à cela on oppose une lecture contestable de l‟œuvre de René

Guénon par Michel Vâlsan qui n‟aurait pas vu cette possibilité. Le problème est

que cette affirmation est totalement fausse. Afin de prouver ce que j‟avance, je

vous donne ci-dessous les références qui conviennent…

Dans son article inachevé Les derniers hauts grades de l‟Écossisme et la

réalisation descendante, M. Vâlsan écrivait : « de même qu‟il y a des initiations

de caractère spécifiquement cosmologique, il peut y avoir des formes

traditionnelles réduites, sinon par leur définition première, du moins, à

certaines époques, par l‟effet des vicissitudes cycliques, à un point de vue

cosmologique, et dont le domaine normal est alors celui des “petits mystères” ».

Il ajoutait en note, ce qui suit : « Un cas de ce genre est celui de l‟hermétisme,

en tant que réadaptation des traditions grecque et égyptienne, à l‟époque

alexandrine, dont le caractère cosmologique et d‟initiation de l‟ordre des

“petits mystères” ne fait pas de doute (cf. René Guénon, Aperçus sur

l‟Initiation, ch. XLI), bien qu‟une tradition de cet ordre devait se rattacher elle-

même originellement et par ses principes à une doctrine réellement

métaphysique, et que de ce fait une ouverture restait, malgré tout, possible,

quoique de façon moins directe, pour ceux qui avaient les qualifications

nécessaires, vers une réalisation de l‟ordre des “grands mystères” » (Études

Traditionnelles, 1953, p. 224).

Ainsi, dans la partie finale de sa note, M. Vâlsan envisageait-il une telle

transposition. Plus exactement, et cela me semble particulièrement important à

souligner, il parlait même, pour l‟aspect doctrinal, d‟un “rattachement” à la

métaphysique, et, pour l‟aspect initiatique, d‟« une réalisation de l‟ordre des

“grands mystères” ». M. Vâlsan avait donc bien compris Guénon sur ce point

précis, et il en tirait aussi des “applications” dans le domaine de la réalisation

initiatique ».

* [Paru dans Vers la Tradition, n

o 118, décembre 2009, janvier-février 2010.]

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Réponse de Y. B.

Nous nous sommes effectivement mal exprimé sur ce que Michel Vâlsan

n‟aurait pas vu, mais il envisage l‟hermétisme gréco-égyptien comme un courant

« mineur », comparable à l‟aristotélisme, le néo-platonisme et la Kabbale ; et il

nous semble que cette définition devrait plutôt correspondre à la « Kabbale

chrétienne » ; tandis que Guénon parle principalement de l‟hermétisme chrétien,

qui a été véhiculé par différents courants initiatiques, lesquels occupent, au sein

de l‟ésotérisme, une position vraiment « centrale » puisqu‟ils étaient en relation

avec le Centre suprême, le symbolisme du « Temple de Salomon » et le

« pouvoir des clés ».

Dès lors que les transpositions doctrinales qu‟il opère peuvent être

considérées comme un prolongement de ces courants, il n‟y aurait eu aucun

inconvénient à ce que Michel Vâlsan n‟y fasse pas allusion, s‟il ne s‟était

exprimé sur des questions relatives à l‟Occident.

Seulement, nous devons dire que cet aspect de la doctrine concerne aussi

le rôle des intermédiaires, tant sur le plan initiatique que sur celui de l‟exposé

des doctrines orientales, car c‟est le premier qui ordonne le second ; et ce dernier

pourrait même avoir un effet positif, bien que plus contingent, sur l‟utilisation à

rebours qui est faite de l‟hermétisme, depuis l‟apparition de l‟occultisme dont

l‟inspiration n‟est pas seulement pseudo-initiatique. Or, c‟est dans le « domaine

intermédiaire », qui est le sujet de notre précédent texte, que nous pouvons

envisager une action sur la « minorité dirigeante » qui véhicule une idéologie

dissolvante afin de nous entraîner insensiblement dans un « trou noir ». Nous ne

savons pas ce que représente la prétendue « fonction » de René Guénon, mais sa

conception unitive engage tous les ordres de réalité, sans en exclure aucun, parce

qu‟elle est initiatique et universelle et, comme ce domaine concerne aussi le

passage dans le cycle à venir, tout cela ne peut décemment pas être qualifié de

mineur.

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UN EXEMPLE DE PERFECTION

DANS L‟ART DE LA CALLIGRAPHIE ISLAMIQUE

(YANTRA ET SCIENCES TRADITIONNELLES)*

L‟illustration de couverture du présent numéro est une sorte de yantra

formé à partir du nom du Prophète Muhammad inscrit en style koufique. Elle se

présente sous la forme d‟un carré dont le côté vaut 19, nombre qui, multiplié par

lui-même est égal à 361, c‟est-à-dire les 360° du cercle auxquels s‟ajoute l‟unité

de son centre, établissant ainsi une relation évidente entre ce carré et la forme

géométrique circulaire qui est celle de la perfection et de la Totalité universelle

qui s‟irradie dans les six directions de l‟espace. D‟ailleurs, le rapport existant

entre l‟unité et le dernier nombre de la série décimale est aussi celui qui mesure

le point figurant le centre et la périphérie définissant le cercle.

En outre, 19 est le nombre des termes Wâhad et Wujûd qui servent à

désigner l‟unicité de l‟existence (Wahdât al-wujûd) qui exprime aussi

l‟immanence des attributs divins par les 7 planètes auxquelles doivent s‟ajouter

les 12 signes du Zodiaque. C‟est également le nombre des lettres de la formule

bismillah er-Rahman er-Rahîm, et celui des 19 gardiens du Paradis, de ce bas-

monde et de l‟enfer, comme le signale une étude intitulée « Quelques aspects de

* [Publié dans Vers la Tradition, n

o 116, juin-juillet-août 2009.

Signé FOULAN.]

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la matrice miraculeuse des attributs divins »1 où M. Abdelbaqi Meftah analyse

un carré de côté 10 contenant les 99 Noms d‟Allâh et celui de Son Prophète, et

dans lequel la somme des valeurs numériques des noms contenus dans chaque

ligne, colonne ou diagonale du tableau est égale à 3394, réductible par addition à

19, lui-même réductible à 10. On pourrait donc dire que le nombre 19 constitue

la « signature » de la figure que nous allons considérer maintenant.

À partir du centre de notre yantra, le

nom de Muhammad se déploie quatre fois,

comme les fleuves du « Paradis terrestre »

dont la sortie pourrait déterminer les points

cardinaux formant une croix

« dynamique », mais on aperçoit aussi

l‟ébauche d‟un swastika dans les lettres dal

figurant aux quatre coins du carré. Ce

swastika peut aussi être réduit à une croix

« statique » qui, avec la croix

« dynamique », forme une figure à huit

rayons, évoquant les idées de « justice » et

d‟« équilibre ».

On peut d‟ailleurs remarquer que la décomposition de la figure nous

montre le tracé géométrique de l‟ensemble reproduisant la triple enceinte, à

propos de laquelle Guénon dit que « la division de l‟initiation en trois grades est

(…) la plus fréquente et (…) la plus fondamentale ; toutes les autres ne

représentent en somme, par rapport à celle-là, que des subdivisions ou des

développements plus ou moins compliqués », en faisant allusion à des

documents maçonniques de hauts-grades qui « décrivent précisément ces grades

1 Voir la revue Horizons maghrébins, numéro de janvier 1999.

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comme autant d‟enceintes successives tracées autour d‟un point central »2. Il

établit aussi une correspondance avec les « trois mondes » de la tradition

hindoue où « les trois cercles célestes sont parfois représentés comme autant

d‟enceintes concentriques entourant le Mêru, c‟est-à-dire la Montagne sacrée qui

symbolise le “Pôle” ou l‟“Axe du Monde” ». Or, la dix-neuvième lettre de

l‟alphabet arabe, dont le nombre caractérise la figure, est le Qâf, initiale du

« Pôle » (Qutb).

« Loin de s‟exclure, les deux explications s‟harmonisent parfaitement, et

l‟on pourrait même dire qu‟elles coïncident en un certain sens, car, s‟il s‟agit

d‟initiation réelle, ses degrés correspondent à autant d‟états de l‟être, et ce sont

ces états qui, dans toutes les traditions, sont décrits comme autant de mondes

différents, car il doit être bien entendu que la “localisation” n‟a qu‟un caractère

purement symbolique. Nous avons déjà expliqué, à propos de Dante, que les

cieux sont proprement des “hiérarchies spirituelles”, c‟est-à-dire des degrés

d‟initiation ; et il va de soi qu‟ils se rapportent en même temps aux degrés de

l‟existence universelle, car, (…) en vertu de l‟analogie constitutive du

Macrocosme et du Microcosme, le processus initiatique reproduit

rigoureusement le processus cosmogonique »3.

Du reste, les huit lettres mîm, stylisées en forme de carrés dans l‟arabe

koufique, plus le centre, pourraient représenter les neuf cieux (en fait, il y a dix

carrés, si on compte celui de l‟encadrement [1+2+3+4]) ou les neuf salles du

Ming-tang, mais aussi la projection plane d‟une construction pyramidale.

En effet, à la périphérie de la figure, on retrouve douze éléments de lettres

qui symbolisent les signes du Zodiaque ; ce qui nous renvoie aussi au

symbolisme de la « Jérusalem céleste ». Or, Guénon dit que les formes circulaire

et carrée « se rapportent respectivement au symbolisme du Paradis terrestre et à

celui de la Jérusalem céleste (…). En effet, il y a toujours analogie et

correspondance entre le commencement et la fin d‟un cycle quelconque, mais, à

la fin, le cercle est remplacé par le carré, et ceci indique la réalisation de ce que

les hermétistes désignaient symboliquement comme la “quadrature du cercle” »,

ce qui nous semble indiqué par le nombre 19 multiplié par lui-même.

« Dans le premier cas, le centre de la figure serait alors la source de la

doctrine, tandis que, dans le second, il en serait plus proprement le réservoir,

l‟autorité spirituelle ayant surtout ici un rôle de conservation ; mais,

naturellement, le symbolisme de la “fontaine d‟enseignement” s‟applique à l‟un

2 Symboles de la Science sacrée, ch. X : La triple enceinte druidique. Bien que la

figure présente une forme carrée, son aspect rectiligne pourrait aussi faire penser au « pavé

mosaïque » de la maçonnerie, sous forme de labyrinthe ; et à une sorte d‟illustration de

l‟expression Darkness visible, dont M. Bachelet a donné une étude qui en développe le

symbolisme (La Lettre G, nos

6 et 7). 3 Ibid.

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et l‟autre cas »4, et à cet égard, on peut noter qu‟il y a quatre noms de quatre

lettres (MHMD), et que la seizième lettre de l‟alphabet arabe est le „ayn, qui est

aussi un terme désignant les mots « essence », « source » et « œil ».

Dans le même article, Guénon dit encore que « la forme circulaire doit

représenter le point de départ d‟une tradition, ce qui est bien le cas en ce qui

concerne l‟Atlantide [relativement tout au moins, puisqu‟elle est bien

postérieure à la tradition primordiale], et la forme carrée son point

d‟aboutissement » ; et de ce point de vue, le centre de la figure pourrait

représenter le ghawth (Adam, selon Guénon), et les quatre awtâd de la dînul-

hanifiyya5.

En raison de sa forme carrée, on pourrait dire que cette calligraphie

symbolise la « projection » terrestre du « Centre du Monde », cœur de la wahdât

al-wujûd dont les lettres forment le « tissu ».

Les lettres mîm extérieures sont décalées, l‟une par rapport à l‟autre,

comme pour souligner l‟éloignement du « centre » qui désigne ici les « ténèbres

supérieures » ou l‟Unité (Ahadiyyah) qui, en tant que principe de la

manifestation, est non manifestée ; le reste de la figure représentant la dualité du

yin-yang.

Du reste, on pourrait considérer que cette calligraphie montre deux voies :

l‟une qui est « polaire » et continue en suivant le tracé noir, et l‟autre qui est

« solaire » et discontinue en suivant le tracé blanc (l‟espace blanc dans les carrés

noirs pourrait aussi représenter l‟existence enveloppée par le non-manifesté).

Enfin, on pourrait encore envisager deux « rotations » de la figure : l‟une

qui est solaire, centripète et compressive, correspondant au Mercure, et l‟autre

qui est « polaire », centrifuge et expansive, correspondant au Soufre6 ; car vu de

loin, le centre des mîm (dans la figure décomposée) donne l‟impression

d‟ébaucher le mouvement d‟une hélice.

C‟est aussi la respiration de l‟« Homme Universel », car on pourrait y voir

une représentation symbolique de la Nûr al-muhammadî (lumières noire et

blanche).

En effet, « la Lumière intelligible est l‟essence (dhât) de l‟“esprit” (Er-

Rûh), et celui-ci, lorsqu‟il est envisagé au sens universel, s‟identifie à la Lumière

elle-même ; c‟est pourquoi les expressions En-Nûr el-muhammadî et Er-Rûh el

4 Ibid. À cet égard, on peut noter que la manière dont la lettre mîm du centre est

stylisée pourrait donner l‟impression que le point suscrit du centre permet de lire une lettre

fâ : fahamd, c‟est-à-dire « alors, louange ! ». La décomposition en fah (88) et Mad (44)

pourrait aussi donner des indications intéressantes (66 multiplié par 2). 5 Il s‟agit de Seyidna El Khidr, qui présente une relation avec l‟eau (nord), Seyidna

„Aissa, qui présente une relation avec l‟air (est), Seyidna Ilyâs, qui présente une relation avec

le feu (sud), et Seyidna Idris (Hénoch), que l‟on peut situer à l‟ouest (Atlantide). 6 La Grande Triade, ch. IX.

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muhammadiyah sont équivalentes, l‟une et l‟autre désignant la forme

principielle et totale de l‟“Homme Universel”, qui est awwalu khalqi‟Llah, “le

premier de la création divine”. C‟est là le véritable “Cœur du Monde”, dont

l‟expansion produit la manifestation de tous les êtres, tandis que sa contraction

les ramène finalement à leur Principe ; et ainsi il est à la fois “le premier et le

dernier” (el-awwal wa el-akher) par rapport à la création, comme Allah Lui-

même est le “Premier et le Dernier” au sens absolu. “Cœur des cœurs et Esprit

des esprits” (Qalbul-qulûbi wa Rûhul-arwâh), c‟est en son sein que se

différencient les “esprits” particuliers, les anges (el-malâïkah) et les “esprits

séparés” (el-arwâh el-mujarradah), qui sont ainsi formés de la Lumière

primordiale comme de leur unique essence, sans mélange des éléments

représentant les conditions déterminantes des degrés inférieurs de l‟existence »7.

FOULAN

7 Aperçus sur l‟Initiation, ch. XLVII, pp. 295-296. Guénon ajoute en note, « Tout ceci

a également un rapport avec le rôle de Metatron dans la Kabbale hébraïque ». Nous

n‟insisterons pas ici sur la relation de ce dernier avec le « mot sacré » de l‟ancienne

Maçonnerie opérative, mais il n‟est pas difficile de comprendre ce que Guénon avait en vue

en parlant de la transmission du Nom divin.

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24

MÉTAPHYSIQUE

ET

SCIENCES TRADITIONNELLES*

Dans l‟article qui suit, nous avons choisi quelques enseignements

fondamentaux de René Guénon volontairement disposés de manière à nous

dispenser de tout commentaire superflu.

La première partie concerne la métaphysique et le rôle de l‟intuition

intellectuelle, qui semble ne pas devoir être confondue avec la notion de „Aql

dans les doctrines du taçawwuf, où elle désigne la buddhi, en tant qu‟Intellect

premier ; mais aussi la « raison », du moins quand elle est opposée à la sharia,

puisque celle-ci concerne le domaine de l‟action dont il est également question

ici. Bien que Guénon se serve du sanscrit buddhi pour désigner l‟intuition

intellectuelle, celle-ci ne nous paraît pas devoir être considérée comme la

première production de Prakriti, car elle est au-delà de l‟identité entre le sujet et

l‟objet qui peuvent symboliser l‟Essence et la Substance. Celles-ci sont la

première polarisation de l‟Être en tant qu‟il ne se manifeste pas ; et c‟est dans ce

non-manifesté que l‟intuition est reliée, sous la forme du « rayon lumineux »

(sutrâtmâ) à Âtmâ, c‟est-à-dire l‟Esprit universel (Er-Rûh). D‟ailleurs, comme le

précise Guénon, « non seulement Buddhi, en tant qu‟elle est la première des

productions de Prakriti, constitue le lien entre tous les états de manifestation,

mais d‟un autre côté, si l‟on envisage les choses à partir de l‟ordre principiel,

elle apparaît comme le rayon lumineux directement émané du Soleil spirituel,

qui est Âtmâ lui-même ; on peut donc dire qu‟elle est aussi la première

manifestation d‟Âtmâ, quoiqu‟il doive être bien entendu que, en soi, celui-ci ne

pouvant être affecté ou modifié par aucune contingence demeure toujours non

manifesté »1.

Selon la perspective adoptée, l‟Esprit est à la fois « Cœur du Monde »,

Lumière, Souffle, Intellect et vibration ; et du point de vue « muhammadien »,

c‟est dans la relation qui existe entre le cœur et l‟âme qu‟il faudrait envisager un

complémentarisme en se référant à une sunnah elle aussi très proche des

conceptions taoïstes : « Qui connaît son âme, connaît son Seigneur » ; car c‟est

le « domaine intermédiaire » qui est évoqué ici ; et bien que le terme nafs

permette une transposition dans un ordre supérieur, c‟est à ce domaine auquel

* [Préparé initialement pour Vers la Tradition, inédit.]

1 Esprit et Intellect, dans le recueil Mélanges.

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l‟initié est d‟abord confronté par le « souffle vibratoire » de l‟incantation qui le

« transforme ».

Ceci étant, nous ne comprenons vraiment pas pour quelle raison la

sunnah : Inna Allâh khalaqa Adama „alâ sûratihi est le plus généralement

traduite par « Allâh a créé Adam selon Sa forme » sans chercher à déterminer à

quoi cette « forme » peut correspondre dans la terminologie guénonienne où elle

a pourtant un sens très précis. S‟il y a là l‟intention de se distinguer de la

tradition biblique suivant laquelle « Dieu a créé l‟homme à son image », elle

nous paraît vraiment inappropriée, car la notion d‟« image », que l‟on retrouve

dans la racine dont dérive le terme çûra, implique tout un symbolisme commun

aux doctrines akbariennes et guénoniennes, lié aux idées de « miroir », de

« reflet », d‟« inversion » , et même d‟« union », qui semblent décidément poser

un grand nombre de difficultés de conceptualisation.

Mais qu‟on ne s‟y trompe pas : tous les thèmes abordés ici ont une

relation plus ou moins directe avec l‟aspect « substantiel » des réalités, et nous

nous permettons de renvoyer le lecteur à notre remarque de la note 17 ci-

dessous, car on dirait bien qu‟il y a là un résidu du dualisme cartésien qui

persiste encore dans l‟hérédité psychique de certains musulmans d‟origine

occidentale, lequel est la cause d‟un grand nombre d‟atrophies des facultés

intellectuelles qui sont les seules à pouvoir « ordonner » le domaine

intermédiaire, à condition de ne pas être affecté par la mentalité religieuse qui

préfère le laisser « à la charge d‟Allâh ».

Les deuxième et troisième parties concernent les « sciences

traditionnelles », et développent quelques applications d‟ordre cyclique dont

Guénon n‟a donné que des indications sommaires, et qui semblent avoir été

véhiculées par différentes organisations initiatiques occidentales sur lesquelles

nous ferons quelques remarques dans la quatrième partie.

I. De la métaphysique

« Dans toute doctrine qui est métaphysiquement complète, comme le sont

les doctrines orientales, la théorie est toujours accompagnée ou suivie d‟une

réalisation effective, dont elle est seulement la base nécessaire : aucune

réalisation ne peut être abordée sans une préparation théorique suffisante, mais

la théorie tout entière est ordonnée en vue de la réalisation, comme le moyen en

vue de la fin, et ce point de vue est supposé, au moins implicitement, jusque

dans l‟expression extérieure de la doctrine. »2 « Seulement, il faut faire ici une

distinction entre la métaphysique elle-même, en tant que conception

2 Introduction générale à l‟étude des doctrines hindoues, p. 146.

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intellectuelle pure, et son exposition formulée : tandis que la première échappe

totalement aux limitations individuelles, donc à la raison, la seconde, dans la

mesure où elle est possible, ne peut consister qu‟en une sorte de traduction des

vérités métaphysiques en mode discursif et rationnel, parce que la constitution

même de tout langage humain ne permet pas qu‟il en soit autrement. »3

« La métaphysique affirme l‟identité foncière du connaître et de l‟être, qui

ne peut être mise en doute que par ceux qui ignorent ses principes les plus

élémentaires ; et, comme cette identité est essentiellement inhérente à la nature

même de l‟intuition intellectuelle, elle ne l‟affirme pas seulement, elle la réalise

(…) »

« La conséquence immédiate de ceci, c‟est que connaître et être ne sont au

fond qu‟une seule et même chose ; ce sont, si l‟on veut, deux aspects

inséparables d‟une réalité unique, aspects qui ne sauraient même plus être

distingués vraiment là où tout est “sans dualité”. »4

En effet, le « non-dualisme » ou la « doctrine de la non-dualité » (en

sanscrit adwaita-vâda) « envisage l‟un et l‟autre aspect simultanément dans

l‟unité d‟un principe commun, d‟ordre plus universel, et dans lequel ils sont

également contenus, non plus comme opposés à proprement parler, mais comme

complémentaires, par une sorte de polarisation qui n‟affecte en rien l‟unité

essentielle de ce principe commun »5.

« L‟intuition intellectuelle est (…) plus immédiate encore que l‟intuition

sensible, car elle est au delà de la distinction du sujet et de l‟objet que cette

dernière laisse subsister ; elle est à la fois le moyen de la connaissance et la

connaissance elle-même, et, en elle, le sujet et l‟objet sont unifiés et identifiés.

D‟ailleurs, toute connaissance ne mérite vraiment ce nom que dans la mesure où

elle a pour effet de produire une telle identification, mais qui, partout ailleurs,

reste toujours incomplète et imparfaite ; en d‟autres termes, il n‟y a de

connaissance vraie que celle qui participe plus ou moins à la nature de la

connaissance intellectuelle pure, qui est la connaissance par excellence. Toute

autre connaissance, étant plus ou moins indirecte, n‟a en somme qu‟une valeur

surtout symbolique ou représentative ; il n‟y a de connaissance véritable et

effective que celle qui nous permet de pénétrer dans la nature même des choses,

et, si une telle pénétration peut déjà avoir lieu jusqu‟à un certain point dans les

degrés inférieurs de la connaissance, ce n‟est que dans la connaissance

métaphysique qu‟elle est pleinement et totalement réalisable. »6

3 Ibid., p. 120.

4 Ibid., pp. 144-145.

5 Ibid., p. 129.

6 Ibid., p. 143 (« ce qui constitue l‟objet propre d‟une spéculation, ce ne sont pas

précisément les choses mêmes qu‟elle étudie, mais c‟est le point de vue sous lequel elle étudie

les choses. La logique (…) concerne les conditions de l‟entendement humain ; ce qui peut être

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« (…) Dès lors que le sujet connaît un objet, si partielle et si superficielle

même que soit cette connaissance, quelque chose de l‟objet est dans le sujet et

est devenu partie de son être ; quel que soit l‟aspect sous lequel nous

envisageons les choses, ce sont bien toujours les choses mêmes que nous

atteignons, au moins sous un certain rapport, qui forme en tout cas un de leurs

attributs, c‟est-à-dire un des éléments constitutifs de leur essence (…) l‟acte de

la connaissance présente deux faces inséparables ; s‟il est identification du sujet

à l‟objet, il est aussi, et par là même, assimilation de l‟objet par le sujet ; en

atteignant les choses dans leur essence, nous les “réalisons” dans toute la force

de ce mot, comme des états ou des modalités de notre être propre ; et, si l‟idée,

selon la mesure où elle est vraie et adéquate, participe de la nature de la chose,

c‟est que, inversement, la chose elle-même participe aussi de la nature de l‟idée.

Au fond, il n‟y a pas deux mondes séparés et radicalement hétérogènes, tels que

les suppose la philosophie moderne en les qualifiant de “subjectif” et

d‟“objectif”, ou même superposés à la façon du “monde intelligible” et du

“monde sensible” de Platon ; mais, comme le disent les Arabes, “l‟existence est

unique”, et tout ce qu‟elle contient n‟est que la manifestation, sous des modes

multiples, d‟un seul et même principe, qui est l‟Être universel. »7

« En tout cas, il faut toujours se souvenir que, de tous les moyens

préliminaires, la connaissance théorique est le seul vraiment indispensable, et

qu‟ensuite, dans la réalisation même, c‟est la concentration qui importe le plus et

de la façon la plus immédiate, car elle est en relation directe avec la

connaissance (…) l‟action ne peut avoir pour effet de nous faire sortir du

domaine de l‟action, [or, c‟est cela] qu‟implique, dans son but véritable, une

réalisation métaphysique »8. En d‟autres termes, « l‟action ne peut avoir de

conséquences que dans le domaine de l‟action, et (…) son efficacité s‟arrête

précisément où cesse son influence ; l‟action ne peut donc avoir pour effet de

libérer de l‟action et de faire obtenir la “délivrance” ; aussi une action, quelle

qu‟elle soit, ne pourra tout au plus conduire qu‟à des réalisations partielles,

correspondants à certains états supérieurs, mais encore déterminés et

conditionnés. Shankarâchârya déclare expressément qu‟“il n‟y a point d‟autre

moyen d‟obtenir la „délivrance‟ complète et finale que la connaissance ; l‟action,

envisagé logiquement, c‟est donc tout ce qui est objet de l‟entendement humain, en tant qu‟on

le considère effectivement sous ce rapport (…) la logique hindoue envisage, non pas

seulement la façon dont nous concevons les choses, mais bien les choses en tant qu‟elles sont

conçues par nous, notre conception étant véritablement inséparable de son objet, sans quoi,

elle ne serait rien de réel ; et, à cet égard, la définition scolastique de la vérité comme

adæquatio rei et intellectus, à tous les degrés de la connaissance est, en Occident, ce qui se

rapproche le plus de la position des doctrines traditionnelles de l‟Orient, parce qu‟elle est ce

qu‟il y a de plus conforme aux données de la métaphysique pure. » (ibid., pp. 214, 217, 218). 7 Ibid., p. 218.

8 Ibid., p. 237.

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qui n‟est pas opposée à l‟ignorance, ne peut l‟éloigner, tandis que la

connaissance dissipe l‟ignorance comme la lumière dissipe les ténèbres” ; et,

l‟ignorance étant la racine et la cause de toute limitation, lorsqu‟elle a disparu,

l‟individualité qui se caractérise par ses limitations, disparaît par la même. »9

D‟autre part, « tandis que le point de vue religieux implique

essentiellement l‟intervention d‟un élément d‟ordre sentimental, le point de vue

métaphysique est exclusivement intellectuel (…) [et] comprend tout ce qui est

nécessaire pour qu‟[il] soit vraiment [universel] »10

.

Le domaine de la métaphysique « est essentiellement constitué par ce dont

il n‟y a aucune expérience possible : étant “au delà de la physique”, nous

sommes aussi, et par la même, au delà de l‟expérience. (…) Donc, quand il

s‟agit de la métaphysique, ce qui peut changer avec les temps et les lieux, ce

sont seulement les modes d‟exposition, c‟est-à-dire les formes plus ou moins

extérieures dont la métaphysique peut être revêtue, et qui sont susceptibles

d‟adaptations diverses, et c‟est aussi, évidemment, l‟état de connaissance ou

d‟ignorance des hommes, ou du moins de la généralité d‟entre eux, à l‟égard de

la métaphysique véritable ; mais celle-ci reste toujours, au fond, parfaitement

identique à elle-même, car son objet est essentiellement un, ou plus exactement

“sans dualité”, comme le disent les Hindous, et cet objet, toujours par là même

qu‟il est “au delà de la nature”, est aussi au delà du changement : c‟est ce que les

Arabes expriment en disant que “la doctrine de l‟Unité est unique”. »11

« Il est vrai, d‟autre part, que la compréhension, même théorique, et à

partir de ses degrés les plus élémentaires, suppose un effort personnel

indispensable, et est conditionnée par les aptitudes réceptives spéciales de celui

à qui un enseignement est communiqué ; il est trop évident qu‟un maître, si

excellent soit-il, ne saurait comprendre pour son élève, et que c‟est à celui-ci

qu‟il appartient exclusivement de s‟assimiler ce qui est mis à sa portée. S‟il en

est ainsi, c‟est que toute connaissance vraie et vraiment assimilée est déjà par

elle-même, non une réalisation effective sans doute, mais du moins une

réalisation virtuelle (…) ; autrement, on ne pourrait dire avec Aristote qu‟un être

“est tout ce qu‟il connaît”. (…) [C‟est pourquoi,] dans une doctrine qui est

métaphysiquement complète, le point de vue de la réalisation réagit sur

l‟exposition même de la théorie, qui le suppose au moins implicitement et ne

peut jamais en être indépendante, car la théorie, n‟ayant en elle-même qu‟une

valeur de préparation, doit être subordonnée à la réalisation comme le moyen

l‟est à la fin en vue de laquelle il est institué. »12

9 Ibid., pp. 254-255.

10 Ibid., pp. 87-89.

11 Ibid., pp. 90-91.

12 Ibid., pp. 250-252. Puisque Guénon a fait allusion au maître, précisons encore que

« la fonction de l‟instructeur est véritablement (…) une “paternité spirituelle”, et c‟est

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On peut encore dire que : « la métaphysique ne saurait être contraire à la

raison, mais elle est au-dessus de la raison, qui ne peut intervenir là que d‟une

façon toute secondaire, pour la formulation et l‟expression extérieure de ces

vérités qui dépassent son domaine et sa portée (…) et cela parce que la raison est

évidemment faillible par suite de son caractère discursif et médiat. »13

Seulement, « le point de vue intellectuel est le seul qui soit immédiatement

abordable, parce que l‟universalité des principes les rend assimilables pour tout

[individu], à quelque race qu‟il appartienne, sous la seule condition d‟une

capacité de compréhension suffisante. (…) Tout ce qui peut être développé sans

réserve, c‟est-à-dire tout ce qu‟il y a d‟exprimable dans le côté purement

théorique de la métaphysique, est encore plus que suffisant pour que, à ceux qui

peuvent le comprendre, même s‟ils ne vont pas au delà, les spéculations

analytiques et fragmentaires de l‟Occident moderne apparaissent telles qu‟elles

sont en réalité, c‟est-à-dire comme une recherche vaine et illusoire, sans principe

et sans but final, et dont les médiocres résultats ne valent ni le temps ni les

efforts de quiconque a un horizon intellectuel assez étendu pour n‟y point borner

son activité. »14

II. Des sciences traditionnelles

« Une science quelconque, suivant la conception traditionnelle, a moins

son intérêt en elle-même qu‟en ce qu‟elle est comme un prolongement ou une

branche secondaire de la doctrine (…) »15

: [elle concerne] « les connaissances

se rapportant au domaine du relatif, et qui (…) ne peuvent être envisagées que

comme de simples dépendances (…) ou des reflets de la connaissance absolue et

principielle. »16

« C‟est là aussi ce qui explique que les sciences traditionnelles

pourquoi l‟acte rituel et symbolique par lequel elle débute est une “seconde naissance” pour

celui qui est admis à recevoir l‟enseignement par une transmission régulière. C‟est cette idée

de “paternité spirituelle” qu‟exprime très exactement le mot guru qui désigne l‟instructeur

chez les Hindous, et qui a aussi le sens d‟“ancêtre” ; c‟est à cette même idée que fait allusion,

chez les Arabes, le mot sheikh, qui, avec le sens propre de “vieillard”, a un emploi identique »

(ibid., pp. 261-262).

Pour la Maçonnerie, on pourrait faire un rapprochement avec la tradition extrême-

orientale, où l‟instructeur est un « “frère aîné”, guide et soutien naturel de ceux qui le suivent

dans la voie traditionnelle, et qui ne deviendra un “ancêtre” qu‟après sa mort » ; mais sans

l‟enseignement oral et direct, « le rattachement d‟une “filiation spirituelle” régulière et

continue ferait inévitablement défaut » (ibid., p. 262). 13

Ibid., pp. 94-95. 14

Ibid., pp. 314-315-317. 15

La Crise du Monde moderne, p. 62. 16

Ibid., p. 53.

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secondaires, qui ne sont que des applications contingentes, ne soient pas, sous

leur forme orientale, entièrement assimilables pour les Occidentaux ; quant à en

constituer où à en restituer l‟équivalent dans un mode qui convienne à la

mentalité occidentale, c‟est là une tâche dont la réalisation ne peut apparaître

que comme une possibilité fort éloignée, et dont l‟importance, d‟ailleurs, bien

que très grande encore, n‟est en somme qu‟accessoire. »17

« [Mais] s‟il en est qui veulent, dès maintenant l‟entreprendre (non dans

leur intégralité (…) mais dans certains éléments tout au moins), [cela] nous

paraît une chose digne d‟être approuvée, (…) à la double condition que cette

étude soit faite avec des données suffisantes pour ne point s‟y égarer, ce qui

suppose déjà beaucoup plus qu‟on ne pourrait le croire, et qu‟ elle ne fasse

jamais perdre de vue l‟essentiel. »18

« Ce que nous avons fait nous-même, il n‟y a pas de raisons, en somme,

pour que d‟autres ne le fassent pas aussi ; (…) ce ne seront sans doute que des

exceptions, mais il suffit qu‟il se rencontre de telles exceptions, même peu

nombreuses, pour que (…) les possibilités que nous indiquons soient

susceptibles de se réaliser tôt ou tard. D‟ailleurs, tout ce que nous ferons et

dirons aura pour effet de donner, à ceux qui viendront ensuite, des facilités que

nous n‟avons pas trouvées pour notre propre compte ; en cela comme en toute

autre chose, le plus pénible est de commencer le travail, et l‟effort à accomplir

doit être d‟autant plus grand que les conditions sont plus défavorables. »19

Seulement, « ceux qui entreprendraient une œuvre comme celle dont nous

parlons ne devraient pas s‟attendre à obtenir immédiatement des résultats

apparents ; mais leur travail n‟en serait pas moins réel et efficace, bien au

contraire, et, tout en n‟ayant nul espoir d‟en voir jamais l‟épanouissement

extérieur, ils n‟en recueilleraient pas moins personnellement bien d‟autres

satisfactions et des bénéfices inappréciables. Il n‟y a même aucune commune

mesure entre les résultats d‟un travail tout intérieur, et de l‟ordre le plus élevé, et

tout ce qui peut être obtenu dans le domaine des contingences (…) Mais, dira-t-

on peut-être, s‟il en est ainsi, et si ce travail intérieur par lequel il faut

commencer est en somme le seul vraiment essentiel, pourquoi se préoccuper

d‟autre chose ? C‟est que (…) dès lors que nous sommes dans le monde

manifesté, nous ne pouvons nous en désintéresser entièrement ; et d‟ailleurs,

puisque tout doit dériver des principes, le reste peut être obtenu en quelque sorte

17 Introduction générale, p. 314. Cette remarque ne semble d‟ailleurs pas totalement

s‟appliquer à la doctrine d‟Ibn Arabî qui se sert de la cosmologie occidentale afin d‟exposer

certains enseignements. Par un curieux retour des choses, la « condescendance » ressenties

par certains auteurs à l‟égard de cette cosmologie retombe donc sur leur exposé des doctrines

akbariennes. 18

Orient et Occident, p. 167. 19

Ibid., p. 224.

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“par surcroît”, et on aurait grand tort de s‟interdire d‟envisager cette

possibilité. »20

« Quand on a pour soi la puissance de la vérité, n‟eût on rien d‟autre pour

vaincre les plus redoutables obstacles, on ne peut céder au découragement, car

cette puissance est telle que rien ne saurait prévaloir finalement contre elle ; il

n‟y a, pour en douter, que ceux qui ne savent pas que tous les déséquilibres

partiels et transitoires doivent nécessairement concourir au grand équilibre total

de l‟Univers. »21

Les sciences traditionnelles ont deux rôles complémentaires, « d‟un côté,

comme applications de la doctrine, elles permettent de relier entre eux tous les

ordres de réalité, de les intégrer dans l‟unité de la synthèse totale ; de l‟autre,

elles sont, pour certains tout au moins, et en conformité avec les aptitudes de

ceux-ci, une préparation à une connaissance plus haute, une sorte

d‟acheminement vers cette dernière, et, dans leur répartition hiérarchique selon

les degrés d‟existence auxquels elles se rapportent, elles constituent alors

comme autant d‟échelons à l‟aide desquels il est possible de s‟élever jusqu‟à

l‟intellectualité pure ».

Il existe une certaine nécessité de convenance à procéder d‟abord dans le

sens « ascendant », et Guénon se sert de l‟image de la « roue cosmique » pour

illustrer ceci : « la circonférence n‟existe (…) que par le centre ; mais les êtres

qui sont sur la circonférence doivent forcément partir de celle-ci, ou plus

exactement du point de celle-ci où ils sont placés, et suivre le rayon pour aboutir

au centre. D‟ailleurs, en vertu de la correspondance qui existe entre tous les

ordres de réalité, les vérités d‟un ordre inférieur peuvent être considérées comme

un symbole de celles des ordres supérieurs, et, par suite, servir de “support” pour

arriver analogiquement à la connaissance de ces dernières ; c‟est là ce qui

confère à toute science un sens supérieur ou “anagogique”, plus profond que

celui qu‟elle possède par elle-même, et ce qui peut lui donner le caractère d‟une

véritable “science sacrée”. » Un des types les plus complets de science

traditionnelle est l‟alchimie qui se définit comme « une science d‟ordre

cosmologique (…) applicable aussi à l‟ordre humain, en vertu de l‟analogie du

“macrocosme” et du “microcosme” ; (…) [Elle est] constituée expressément en

vue de permettre une transposition dans le domaine purement spirituel, [qui

confère] à ses enseignements une valeur symbolique et une signification

supérieure »22

. « L‟alchimie a bien en effet le caractère d‟une application de la

doctrine ; et les moyens de l‟initiation, si on les envisage en se plaçant à un point

de vue en quelque sorte “descendant”, sont évidemment une application de son

principe même, tandis qu‟inversement, au point de vue “ascendant”, ils sont le

20 Ibid., pp. 159-160.

21 Ibid., p. 228.

22 La Crise du Monde moderne, respectivement pp. 63, 65, 61.

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“support” qui permet d‟accéder à celui-ci ». C‟est pourquoi, « il ne faut pas

confondre les moyens d‟une réalisation initiatique, quels qu‟ils puissent être,

avec son but, qui, en définitive, est toujours de connaissance pure » …

L‟alchimie envisage la manifestation corporelle en tant qu‟elle se rattache à la

manifestation subtile comme à son principe immédiat : elle se rapporte au

« monde intermédiaire » où se situent « les prolongements extra-corporels de

l‟individualité humaine, ou les possibilités mêmes dont le développement

concerne proprement les “petits mystères”. »23

Elle comporte essentiellement la

connaissance de la nature pouvant être considérée comme le symbole de la

manifestation toute entière24

, et vise principalement les possibilités de l‟« état

primordial » : « puisque l‟être qui y est parvenu est déjà virtuellement

“délivré”… on peut dire qu‟il est aussi virtuellement “transformé” par là même ;

[et] il est bien entendu que sa “transformation” ne peut être effective, puisqu‟il

n‟est pas encore sorti de l‟état humain, dont il a seulement réalisé intégralement

la perfection ; mais les possibilités qu‟il a dès lors acquises reflètent et

“préfigurent” en quelque sorte celles de l‟être véritablement “transformé”,

puisque c‟est en effet au centre de l‟état humain que se reflètent directement les

états supérieurs. L‟être qui est établi en ce point occupe une position réellement

“centrale” par rapport à toutes les conditions de l‟état humain, de sorte que, sans

être passé au delà, il les domine pourtant d‟une certaine façon, au lieu d‟être au

contraire dominé par elles comme l‟est l‟homme ordinaire ; et cela, est vrai

notamment en ce qui concerne la condition temporelle aussi bien que la

condition spatiale. »25

On peut encore dire que « l‟être doit avant tout identifier le centre de sa

propre individualité (représenté par le cœur dans le symbolisme traditionnel)

avec le centre cosmique de l‟état d‟existence auquel appartient cette

individualité, et qu‟il va prendre comme base pour s‟élever aux états supérieurs.

C‟est en ce centre que réside l‟équilibre parfait, image de l‟immutabilité

principielle dans le monde manifesté ; c‟est là que se projette l‟axe qui relie

entre eux tous les états, le “rayon divin” qui, dans son sens ascendant, conduit

directement à ces états supérieurs qu‟il s‟agit d‟atteindre. Tout point possède

virtuellement ces possibilités et est, si l‟on peut dire, le centre en puissance ;

mais il faut qu‟il le devienne effectivement par une identification réelle, pour

rendre actuellement possible l‟épanouissement total de l‟être »26

;

épanouissement qui peut ainsi être défini : « l‟être qui a réalisé l‟intégralité d‟un

état s‟est fait lui-même le centre de cet état, et, comme tel, on peut dire qu‟il

remplit cet état tout entier de sa propre irradiation : il s‟assimile tout ce qui y est

23 Aperçus sur l‟Initiation, respectivement pp. 263, 261.

24 Ibid., p. 250.

25 Ibid., pp. 270-271.

26 L‟Ésotérisme de Dante, ch. VIII, p. 65.

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33

contenu, de façon à en faire comme autant de modalités secondaires de lui-

même, à peu près comparables à ce que sont les modalités qui se réalisent dans

l‟état de rêve. »27

III. De quelques applications cycliques

On sait que l‟hermétisme désigne « une tradition d‟origine égyptienne,

revêtue par la suite d‟une forme hellénisée, sans doute à l‟époque alexandrine, et

transmise sous cette forme, au moyen âge, à la fois au monde islamique et au

monde chrétien, et, ajouterons-nous, au second en grande partie par

l‟intermédiaire du premier »28

… Seulement, Guénon précise que « quelles que

soient les affinités qui existent entre [l‟hermétisme chrétien et la Maçonnerie

proprement dite] il n‟est cependant pas possible de les considérer comme

identiques, car, même lorsqu‟ils font jusqu‟à un certain point usage des mêmes

symboles, ils n‟en procèdent pas moins de “techniques” initiatiques notablement

différentes à bien des égards »29

.

Or, en ce qui concerne l‟expression de l‟ésotérisme islamique El Kebrîtul-

ahmar (Le Soufre Rouge), il parle d‟une « désignation indiquant une

assimilation (…) de la “science des lettres” avec l‟alchimie. En effet, ces deux

sciences, entendues dans leur sens profond, n‟en sont qu‟une en réalité ; et ce

qu‟elles expriment l‟une et l‟autre, sous des apparences très différentes, n‟est

rien d‟autre que le processus même de l‟initiation, qui reproduit d‟ailleurs

rigoureusement le processus cosmogonique, la réalisation totale des possibilités

d‟un être s‟effectuant nécessairement en passant par les mêmes phases que

celles de l‟Existence universelle » et il ajoute en note : « (…) le symbolisme

maçonnique lui-même, dans lequel la “Parole perdue” et sa recherche jouent

d‟ailleurs un rôle important, caractérise les degrés initiatiques par des

expressions manifestement empruntées à la “science des lettres” : épeler, lire,

écrire. »30

Seulement, il précise encore ailleurs que « dans la tradition islamique,

Seyidna Idris est identifié à la fois à Hermès et à Hénoch ; cette double

assimilation semble indiquer une continuité de tradition qui remonterait au delà

du sacerdoce égyptien, celui-ci ayant dû seulement recueillir l‟héritage de ce que

représente Hénoch, qui se rapporte manifestement à une époque antérieure »31

;

27 Les États Multiples de l‟être, ch. XIV, p. 84.

28 Aperçus sur l‟Initiation, ch. XLI, p. 259.

29 Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome II, art. Parole perdue

et mots substitués, pp. 43-44. 30

Symboles de la Science sacrée, ch. VI : La science des lettres (ilmul-hurûf). 31

Formes traditionnelles et cycles cosmiques, art. Hermès, p. 133.

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c‟est-à-dire l‟époque atlantéenne, et non pas seulement alexandrine comme c‟est

le cas pour l‟hermétisme gréco-égyptien.

D‟un point de vue abrahamique, la civilisation atlantéenne commence

avec Adam et se termine avec Noé, en passant par Hénoch ; et d‟un point de vue

islamique, le culte d‟Abraham s‟appelait la dînul-hanîffiyya, terme dont la racine

ne se distingue de la transcription hébraïque d‟Hénoch (Hanouq) que par la

substitution de la lettre qâf par la lettre fâ‟ qui se distinguent, en langue arabe,

par deux points suscrits sur la première, et un seul sur la seconde, la forme de la

lettre étant identique.

Guénon fait d‟ailleurs remarquer que les deux langues arabes et

hébraïques, « qui ont la plupart le leurs racines communes, peuvent très souvent

s‟éclairer l‟une par l‟autre »32

et il fait remonter ces deux langues « à une source

“abrahamique”, qui se rattache vraisemblablement surtout elle-même (comme le

suggèrent d‟ailleurs les noms mêmes des Hébreux [abrani] et des Arabes [eber])

au courant traditionnel venu de l‟“île perdue de l‟Occident” »33

. Pour être

complet sur cette question, nous rappellerons que la tradition abrahamique est

d‟origine chaldéenne, elle-même résultant de la jonction entre le courant

atlantéen (ouest) et un courant venu du nord, et la tradition égyptienne le produit

entre ce même courant venu de l‟ouest et un autre venu du sud34

.

On pourrait donc envisager un courant alchimique remontant à Abraham

par sa filiation arabe. Mais ce qui est peut-être encore plus remarquable, c‟est

que dès qu‟il est question de la science des lettres dans l‟œuvre de Guénon,

l‟Atlantide y apparaît de manière plus ou moins directe : nous pensons au point

central de la figure du Soleil formée par la réunion de la lettre occidentale nûn et

32 Ibid., art. Qabbalah, p. 62, n. 1.

33 Ibid., art. Kabbale et science des nombres, p. 80.

34 Ibid., p. 153 (Études Traditionnelles, novembre 1937, comptes rendus de livres,

Enel Ŕ A Message from the Sphinx) avec « une antériorité de la tradition chaldéenne par

rapport à la tradition égyptienne » (art. Le tombeau d‟Hermès, p. 147, note) ; si bien que

lorsqu‟on se trouve en présence de termes communs aux deux traditions abrahamique et

égyptienne (tebt et Amon pour l‟Égypte, tabût pour l‟arabe, tebah pour l‟hébreu ; et A M N

pour les langues sémitiques), on peut en déduire qu‟elles ont une origine atlantéenne, et non

pas égyptienne comme le suggère Michel Vâlsan qui a été induit en erreur par une note tirée

de l‟étude de la revue La Gnose intitulée L‟Archéomètre. Du reste, à propos d‟Amon, Guénon

emploie des guillemets pour parler de la connexion « égyptienne » de la Maçonnerie.

On notera également que dans les rapprochements entre des termes appartenant à des

langues différentes, seules les consonnes importent réellement (Anubis, l‟Hermès

« psychopompe » se dit Anoupou dans l‟ancienne langue égyptienne, terme également très

proche de celui de hanîf ; la lettre p n‟existant pas dans les langues sémitiques).

D‟autre part, Guénon indique, en note, une identification entre Idris et Budha,

l‟« équivalent hindou d‟Hermès » (ibid., art. Hermès, pp. 132-133), sans guère plus de

précision, alors que certains aspects de ses écrits concernent précisément cette adaptation

orientale de la doctrine hermétique.

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35

de la lettre orientale na, qui symbolisent respectivement les traditions initiale et

finale entre lesquelles le courant atlantéen occupe une position intermédiaire ;

ainsi qu‟à la figure de l‟Androgyne formée par les noms d‟Adam et Ève qui,

inscrits en lettres arabes, font apparaître le vocable Aum qui témoigne aussi de

cette jonction entre l‟ouest et le nord.

Ceci étant, il résulte des données cycliques transmises par Guénon que la

période atlantéenne correspond à une durée d‟une « grande année » (12 960), et

que sa disparition s‟est produite 7 200 ans avant l‟année 720 du Kali-Yuga,

c‟est-à-dire l‟année 6 480 avant l‟âge de fer. En d‟autres termes, la civilisation

atlantéenne chevauche 6 480 ans du Trêtâ-Yuga, ou âge d‟argent, qui en compte

le triple (19 440 ans), et 6 480 ans du Dwâpara-Yuga, ou âge d‟airain, qui en

compte le double (12 960 ans). Si on considère que les traditions issues du

courant abrahamique représentent la jonction entre le courant atlantéen venu de

l‟ouest et un courant venu du nord35

, le passage cyclique du Trêtâ-Yuga au

Dwâpara-Yuga pourrait correspondre à la prédominance de l‟Atlantide

méridionale sur l‟Atlantide septentrionale, et, du point de vue de la tradition

abrahamique, à la « chute » d‟Adam hors du Paradis terrestre36

.

En outre, le Kali-Yuga ou âge de fer commence avec l‟édification de la

Tour de Babel et la confusion des langues37

. Nous ne sommes pas parvenus à

déterminer si cet événement se rapporte à l‟année 720 de ce Yuga, mais si on

additionne ce nombre à l‟année 3 761 A. C. qui correspond au début connu de

l‟ère juive38

, nous obtenons comme fin de l‟âge de fer l‟an 1 999 de notre ère

(6 480 Ŕ (3 761 + 720))39

.

35 Ibid., pp. 50 (art. Place de la tradition atlantéenne dans le Manvantara) et 153

(compte rendu du livre de Enel indiqué plus haut). 36

Ibid., art. Atlantide et Hyperborée, p. 37. Michel Vâlsan lui-même rapporte une

tradition musulmane rattachant Adam à la race rouge ; cf. L‟Islam et la fonction de René

Guénon (1982) p. 87. 37

Le Roi du Monde, p. 68, n. 1. 38

Le Théosophisme, p. 410 : Études Traditionnelles, décembre 1937, comptes rendus

de livres, Paul Le Cour Ŕ L‟Ère du Verseau (L‟Avènement de Ganimède). 39

À une décennie près, cette date correspond à ce que dit Guénon sur la fin du

bolchévisme : « …si les éléments sociaux les plus inférieurs accèdent au pouvoir d‟une façon

ou d‟une autre, leur règne sera vraisemblablement le plus bref de tous [72 ans, ce qui

correspond à un nombre cyclique], et il marquera la dernière phase d‟un certain cycle

historique [correspondant probablement à la fin de l‟hégémonie occidentale sur le monde],

puisqu‟il n‟est pas possible de descendre plus bas ; si même un tel événement n‟a pas une

portée plus générale, il est donc à supposer qu‟il sera tout au moins, pour l‟Occident, la fin de

la période moderne. » (Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel, ch. VII). On pourrait donc

considérer que l‟année 1989 marque le début du « changement de direction » auxquelles sont

subordonnées les trois hypothèses qui conditionnent l‟Occident. Étant donné que celles-ci

peuvent se dérouler simultanément et que celui-là peut durer plusieurs décennies, nous nous

garderons bien de spéculer sur les possibilités qu‟il comprend et qui doivent inclure « la

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36

Maintenant, si on ajoute aux 4 481 ans (3 761 + 720) les 570 ans qui

marquent la naissance du Prophète Muhammad, on peut considérer qu‟il est né

en l‟an 5 051 de l‟âge de fer, date à laquelle il nous faut retrancher les 78 000

ans pour connaître la période de son existenciation spirituelle (Ŕ 72 949). Le

nombre des trois cycles antérieurs à l‟âge de fer (25 920 + 19 440 + 12 960)

totalisent 58 320 ans ; c‟est-à-dire que cette existenciation (72 949 Ŕ 58 320)

correspond à l‟an Ŕ 14 629 du Manvantara précédent, et plus précisément

encore à l‟an 1 669 (14 629 Ŕ 6 480 de l‟âge de fer, et Ŕ 6 480 ans de la moitié

de l‟âge d‟airain), avant la période qui correspond dans notre Manvantara au

déluge biblique, à la suite duquel se rejoignent les traditions boréenne et atlante.

Bien qu‟il ne s‟agisse que d‟une correspondance analogique, la

coïncidence nous paraît suffisamment significative pour souligner l‟importance

de l‟Atlantide comme nouveau point de départ pour les formes traditionnelles

issues de la jonction entre le nord et l‟ouest40

. Par ailleurs, dans Les Sept

Étendards du Califat41

, M. Gilis signale que 78 est le nombre triangulaire de 12

(1 + 2 + 3 + 4 + … + 12), mais il est aussi un multiple de 13, ce qui semble

indiquer qu‟Ibn Arabî prend pour base la « “grande année” des Perses et des

Grecs, évaluées souvent par approximation à 12 000 ou 13 000 ans »42

.

La totalité du cycle temporel (dawrâtu-z-zamân) comprend donc 6

« grandes années » correspondant aux directions de l‟espace et aux jours de la

semaine. Du reste, la base principale des périodes cycliques dans l‟ordre

cosmique « est la période de la précession des équinoxes, dont la durée est de

25 920 ans, de telle sorte que le déplacement des points équinoxiaux est d‟un

degré en 72 ans » (360° multipliés par 72 donne 25 920 ans)43

. Trois précessions

des équinoxes totalisent 77 760 ans ou 72 ans multipliés par le nombre 1 080,

autre nombre cyclique, c‟est-à-dire 360°, formant le cercle zodiacal, multiplié

par trois révolutions complètes [+ 240 ans (pour retrouver les 78 000 ans)

divisés par 72, c‟est-à-dire 3°333…].

préparation sans doute à longue échéance, mais néanmoins effective, d‟un rapprochement

intellectuel entre l‟Orient et l‟Occident » (Introduction générale à l‟étude des doctrines

hindoues, p. 303). 40

C‟est aussi l‟année 4 811 de l‟âge d‟airain du cycle précédent, mais le nombre 1 669

nous paraît plus parlant : c‟est le nombre d‟Allâh (66) entre l‟unité, correspondant à l‟intérieur

du Prophète, et la multiplicité correspondant à son extérieur. En outre, l‟addition de ces 4

nombres donne 22, c‟est-à-dire le nombre des lettres communes à l‟arabe et à l‟hébreu et qui

correspondent à l‟alphabet wattan. 41

Ch. XXXIII. 42

Formes traditionnelles et cycles cosmiques, art. Quelques remarques sur la doctrine

des cycles cosmiques, p. 23. 43

Ibid., p. 22.

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37

Enfin, dans L‟Islam et le signe zodiacal de la balance44

, Michel Rouge a

traduit un extrait du Kitâb‟Uqlât al mustawfiz où Ibn Arabî donne la procession

des nombres correspondant à chaque signe en partant de l‟axe équinoxial, dont

la prédominance témoigne de la subordination à la tradition hyperboréenne45

.

Nous n‟entrerons pas dans le détail de cette question, mais nous ferons

remarquer que la procession des nombres, dont la somme vaut 78 000, est

solaire, alors qu‟Ibn Arabî en fait le décompte en mode polaire en prenant

comme point de départ le signe de la Balance qui correspond à l‟est « céleste »

et à l‟ouest « terrestre », ce qui témoigne, une fois de plus, de l‟importance de

l‟« île perdue de l‟Occident ».

D‟autre part, les décimales « paires » correspondent à l‟aspect diurne

(nahar) du jour (yawm), c‟est-à-dire « descendant », et aux éléments feu et air,

tandis que les décimales « impaires » correspondent à l‟aspect nocturne (layla)

du jour, c‟est-à-dire « ascendant », et aux éléments eau et terre. En effet, à

propos d‟Hermès, Guénon dit que ses « deux fonctions de messager des Dieux et

de “psychopompe” pourraient, astrologiquement, être rapportées respectivement

à un aspect diurne et à un aspect nocturne ; on peut aussi, d‟autre part, y

retrouver la correspondance des deux courants descendant et ascendant que

symbolisent les deux serpents du caducée »46

.

La difficulté des sciences traditionnelles réside dans les développements

indéfinis qu‟elles peuvent connaître, impliquant une progression graduelle qui

peut facilement dévier si toutes les étapes intermédiaires ne sont pas franchies.

Nous nous arrêterons donc ici, non sans rappeler que, selon les « anciens

devoirs », Adam et Ève étaient les Surveillants de la première Loge47

; et que

Guénon rapprochait le terme Cable-tow de l‟arabe qabeltu qui signifie « j‟ai

accepté »48

. Il se trouve que ce verbe est de la même racine de ceux qui dérivent

de Q B L49

qui sert aussi à désigner Caïn (Qâbil), car comme le signale Guénon,

« la Thorah hébraïque se rattache proprement au type de la loi des peuples

nomades : de là la façon dont est présentée l‟histoire de Caïn et d‟Abel qui, au

point de vue des peuples sédentaires, apparaîtrait sous un autre jour et serait

susceptible d‟une autre interprétation »50

. Il semblerait bien que l‟intégration de

44 Vers La Tradition, n

o 81.

45 Formes traditionnelles et cycles cosmiques, art. Place de la tradition atlantéenne

dans le Manvantara, p. 47. 46

Ibid., art. Hermès, p. 131, n. 1. 47

Denys Roman, Réflexions d‟un Chrétien sur la Franc-Maçonnerie, p. 90, n. 2. 48

La Grande Triade, ch. II, p. 28. 49

Formes traditionnelles et cycles cosmiques, art. Qabbalah, pp. 65-66 : qabbalah,

mais aussi qiblah, et par interversion des deux dernières lettres qalb (cœur). 50

Le Règne de la Quantité et les Signes du Temps, ch. XXI. Voir aussi Réflexions d‟un

Chrétien sur la Franc-Maçonnerie, p. 114, n. 22. On pourrait aussi rappeler le rôle de

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l‟héritage atlantéen au sein du courant abrahamique concerne aussi la

Maçonnerie, car cette interprétation pourrait se rapporter à la correspondance

que Guénon établit entre le sacrifice végétal de Caïn et l‟ordre de

Melchissédec51

.

Nemrod dans les « Anciens devoirs », et celui de la Tour de Babel dans la transmission du

« Mot de Maître ». 51

Articles et Comptes Rendus tome I, p. 236 : Études Traditionnelles, novembre 1938,

comptes rendus de revues.

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39

IV. Sur la nature de l‟O. T. R. et de la « constitution d‟une

élite en dehors de tout milieu défini »

Pour conclure, nous ferons quelques remarques sur l‟Ordre du Temple

Rénové, car il nous paraît vraiment contestable de penser que cette organisation

procède d‟une initiation en dehors de tout milieu défini. En effet, le contenu des

conférences de l‟O. T. R. se rapporte à des considérations d‟ordre symbolique

sur l‟Archéomètre, la science des lettres et des nombres, les données cycliques et

la maçonnerie qui concernent plusieurs courants bien définis, mais dont seule la

réunion pose ici difficulté.

En fait, Guénon envisage non seulement la possibilité de la constitution

d‟une élite en dehors de tout milieu défini, ce qui pourrait se rapporter à autre

chose52

; mais aussi celle d‟une « initiation obtenue en dehors des moyens

52 On peut se demander si, par « élite (…) en dehors de tout milieu défini » (cf. La

Crise du Monde moderne, ch. IX), Guénon ne visait pas un courant intellectuel du genre de

celui qui relie Fabre d‟Olivet à Guaïta, et par l‟intermédiaire duquel Saint-Yves d‟Alveydre

allait entrer en relation avec des Hindous.

À l‟exception de Guaïta qui était initié à la H. B. of L. et qui rencontra un des Hindous

chez d‟Alveydre, rien n‟indique que ce dernier et Fabre d‟Olivet ont reçu une initiation

occidentale et, malgré quelques réserves, qui pourraient d‟ailleurs s‟appliquer en partie au

jeune Guénon lui-même, celui-ci reconnaît à l‟œuvre de l‟occultiste « une “tenue” qui

n‟admet aucune comparaison avec d‟autres productions de la même école ».

Dans Le Problème du Mal, « le point de vue de Guaïta est (…), comme celui de Fabre

d‟Olivet lui- même, essentiellement cosmologique, et l‟on peut même dire métaphysique dans

une certaine mesure, car la cosmologie, envisagée traditionnellement, ne saurait jamais être

séparée des principes métaphysiques, dont elle constitue même une des applications les plus

directes » (René Guénon, Comptes Rendus, p. 111 : Études Traditionnelles, janvier-février

1950, comptes rendus de livres). On peut y trouver une figuration de la « dyade

androgynique », avec des lettres hébraïques, qui semble être tirée de l‟Amphithéâtre de

l‟Éternelle Sapience de Kunrath, dont la traduction par Grillot de Givry est postérieure aux

reproductions publiées par Guaïta dans son premier livre intitulé Au Seuil du Mystère. En

outre, le premier article connu de Guénon, Le Démiurge, traite d‟un thème similaire à celui du

livre dont il fait le compte rendu et à propos duquel il écrit : « il y a fort longtemps, à peu près

un quart de siècle [en 1950], que nous avions eu connaissance de ces commentaires ».

Seulement, dans la « dyade androgynique » où n‟apparaît pas le vocable Aum, la disposition

des noms hébraïques d‟Adam et Ève ne permet pas des développements aussi riches que ceux

de leur transposition en langue arabe, telle qu‟elle fut transmise par Guénon à Vâlsan, en

1945.

Quoiqu‟il en soit, on peut s‟étonner que ce dernier ait consacré près de 7 pages à la

possibilité d‟une élite en dehors de tout milieu défini (La fonction de René Guénon et le sort

de l‟Occident, in Études Traditionnelles (1951), pp. 233-234, 244, 246, 248-249, 250), qui

occupe seulement 11 lignes dans La Crise du Monde moderne, p. 130) sans la relier à ce

courant intellectuel que Guénon n‟a jamais remis en question, en dépit des imperfections liées

aux individualités qui l‟ont incarné, contrairement à ce qu‟il en est pour l‟O. T. R.

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ordinaires et normaux », comme l‟illustre l‟exemple de Jacob Boehme qui était

initié au compagnonnage53

; mais cette initiation ne concerne manifestement pas

une collectivité, et comme toute initiation implique une chaîne initiatique, il y a

bien « milieu défini », même si celui-ci n‟est pas perceptible par les sens

extérieurs54

.

Voici ce qu‟il est rapporté sur son initiation : « un étranger vêtu très

simplement, mais ayant une belle figure et un aspect vénérable » dit « d‟une

voix haute et ferme : “Jacob, Jacob viens ici”. Boehme fut d‟abord surpris et

effrayé d‟entendre cet étranger qui lui était tout à fait inconnu, l‟appeler ainsi par

son nom de baptême ; mais s‟étant remis, il alla à lui. L‟étranger, d‟un air

sérieux et amical, porta les yeux sur les siens, les fixa avec un regard étincelant

de feu, le prit par la main droite, et lui dit : “Jacob, tu es peu de chose, mais tu

seras grand, et tu deviendras un autre homme, tellement que tu seras pour le

monde un sujet d‟étonnement. C‟est pourquoi sois pieux, crains Dieu, et révère

sa parole ; surtout lit soigneusement les Écritures Saintes, dans lesquelles tu

trouveras des consolations et des instructions, car tu auras beaucoup à souffrir ;

tu auras à supporter la pauvreté, la misère et des persécutions ; mais sois

courageux et persévérant, car Dieu t‟aime et t‟est propice”. Sur cela, l‟étranger

lui serra la main, le fixa encore avec des yeux perçants, et s‟en alla, sans qu‟il y

ait d‟indices qu‟ils se soient jamais revus. »55

En dehors de quelques recommandations générales, qui devaient

nécessairement « parler » à l‟« être » de Boehme, on peut remarquer que cette

initiation n‟est pas véhiculée par la transmission d‟un mantra et qu‟elle est de

nature « silencieuse », c‟est-à-dire qu‟elle ne peut-être accomplie que par une

certaine catégorie d‟être réalisé, comme le Maharshi, par exemple, qui semble

l‟avoir donnée à certains de ses disciples qui devaient participer, d‟une manière

ou d‟une autre, à la même « nature » que lui. Étant donné que Guénon est resté

« silencieux » sur la « chaîne initiatique » qui le relie à ses Maîtres hindous,

nous avons de nombreuses raisons de penser que c‟est cette initiation qu‟il a

reçue par l‟un de ses Maîtres Orientaux, et probablement aussi Saint-Yves

53 Initiation et réalisation spirituelle, ch. V : À propos du rattachement initiatique, pp.

55 à 58. 54

Une étude récente et très documentée évoque désormais la notion d‟« agrégat

intellectuel » qui se serait cristallisé autour le la lettre T., signataire de l‟étude sur

l‟Archéomètre dans La Gnose, afin de cautionner la thèse d‟une initiation en dehors de tout

milieu défini ; seulement cette notion d‟agrégat se rapporte à une « fonction intellectuelle »

qui se perpétue à travers les générations, voire les siècles, comme cela existe chez les uwayssî

de l‟ésotérisme islamique, et non pas à un « groupe d‟études » formé par différents individus

vivants à la même époque. En outre, l‟étude en question s‟appuie partiellement, et même

partialement, sur le témoignage de P. Genty qui était affilié à l‟Ordre, car elle ne mentionne

pas l‟opinion de Guénon sur l‟importance exagérée que l‟occultiste accordait à cette affaire. 55

Le Voile d‟Isis, numéro spécial sur Jacob Boehme, pp. 230-231.

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d‟Alveydre. Celle-ci n‟est actuellement connue qu‟en Orient, et pour notre part,

nous savons qu‟elle est aussi transmise au sein de la tradition islamique, puisque

nous connaissons au moins deux musulmans qui ont assisté à ce genre

d‟initiation par un être réalisé qui leur a demandé d‟en être les témoins ; mais il

va sans dire qu‟elle n‟a rien à voir avec la filiation « akbarienne » de Guénon,

car il recommande à ceux qui pourraient recevoir une « initiation en dehors des

moyens ordinaires et normaux » de « régulariser » leur rattachement au sein

d‟une lignée conventionnelle et de s‟intégrer dans un courant intellectuel

préexistant. Quoi qu‟il en soit, ceux qui s‟intéressent aux sources de Guénon

avec une curiosité profane peuvent toujours étaler leurs spéculations sur

plusieurs centaines de pages : ils perdent leur temps, car il s‟agit d‟une initiation

universelle et antérieure à toutes les formes traditionnelles particulières.

Pour comprendre la « mise en sommeil » de l‟O. T. R., il faudrait prendre

en considération une succession d‟événements qui remontent au XVIIIe siècle,

dans la simultanéité des antagonismes qu‟ils ont engendrés.

Dans sa jeunesse, Guénon s‟est intéressé de près à la constitution de

l‟Ordre des Élus Cohen et de la Stricte Observance Templière, dont la doctrine

et les rituels ont inspiré la réforme willermozienne appelée Régime Écossais

Rectifié qui a été réveillé en France à la même époque.

Ce contexte est d‟ailleurs évoqué indirectement par les références aux

Convents des Gaules et de Wilhelmsbad dans la revue Hiram, sous la signature

de Téder, représentant temporaire d‟une filiation contre-initiatique qui semble

avoir accordé un intérêt tout particulier à cette résurgence de la réforme

willermozienne, non seulement parce que celle-ci nie la filiation templière de la

Maçonnerie, mais aussi parce qu‟elle présente une apparence plus « christique »

que les branches marginales de Memphis-Misraïm.

Du reste, c‟est à partir de la manifestation de l‟O. T. R. que cette filiation

s‟acharnera à discréditer l‟autorité de Guénon ; et son origine sabbataïste ou

frankiste, qui remonte probablement, elle aussi, à l‟Allemagne du XVIIIe siècle,

semble être la même que celle du courant qui propagea les mystifications

taxiliennes ; amenant Clarin de la Rive, qui s‟en était d‟abord fait le porte-

parole, à s‟allier avec Guénon afin de combattre des « influences » apparemment

contradictoires, mais qui partageaient un intérêt commun d‟infiltration au sein

des institutions maçonniques et catholiques56

.

Pour compléter le tableau, il faudrait aussi envisager le rôle plus ou moins

direct joué par la Hermetic Brotherhood of Louxor dans l‟apparition du

spiritisme et de l‟occultisme. Seulement, cette confrérie semble aussi avoir

constitué, au sein des « cercles » implantés dans différents pays, un lieu de

56 Actuellement, ces deux courants connaissent encore des prolongements qui se sont

adaptés à certains aspects de la terminologie guénonienne pour en faire un usage à rebours en

jouant sur l‟ambivalence des symboles.

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rencontre d‟une part, entre des Maçons opératifs et des Maçons spéculatifs, et

d‟autre part entre des Orientaux et des Occidentaux, parmi ceux qui pouvaient

représenter autre chose que leur propre individualité.

À cette caractéristique, s‟ajoute un certain nombre de conceptions

tournant autour de la figure de l‟Archéomètre, que l‟on retrouve également dans

les procès verbaux des séances de l‟O. T. R., qui insistent, à plusieurs reprises,

sur l‟importance prioritaire que les « entités » accordaient à Charles Barlet,

responsable officiel de la H. B. of L. pour la France, ainsi que sur leur défiance à

l‟égard de Max Théon et de son « mouvement cosmique » qualifié de

« manichéisme ».

Or, il est possible que certaines origines de la H. B. of L. remontent à

l‟Allemagne du début du XIXe siècle, et bien que rien ne l‟atteste actuellement,

il se pourrait qu‟il faille les chercher dans un des systèmes de hauts grades qui

gravitaient autour de la Stricte Observance Templière (S. O. T.), comme le fit

Guénon suite à la publication du livre sur le Marquis de Chefdebien, dans La

France Antimaçonnique57

.

Du reste, cet Ordre présente une autre similitude avec la H. B. of L. et

certains systèmes de hauts grades de la S. O. T. : il s‟agit des rites magiques

d‟apparence spirite. Dès lors on peut comprendre que l‟« entité » appelée

Jacques de Molay ait déclaré : « J‟ai encore un mot à vous dire ce soir. Celui qui

doute le plus parmi vous est, au contraire, celui qui devrait avoir le plus de

confiance en nous, pour des raisons que je ne puis vous donner encore, mais que

je vous ferai savoir dans quelques temps ; vous comprendrez alors pourquoi sa

présence à la table est nécessaire… et pourquoi nous ne pouvons nous adresser

qu‟à vous »58

.

Aujourd‟hui, il est facile de reprocher à Guénon d‟être sorti indemne

d‟une entreprise qui laissa des traces sur les autres affiliés de l‟Ordre (ou

d‟abandonner des projets avec des collaborateurs qui n‟étaient pas initiés à la

Maçonnerie) ; seulement, il n‟a jamais contraint personne à participer à ces rites,

et comme ceux qui sont exécutés traditionnellement contiennent leur propre

protection, il est fort probable que l‟origine de ces traces doit être rapportée aux

attaques de la contre-initiation qui persistent encore aujourd‟hui à l‟encontre de

l‟œuvre de Guénon.

Par ailleurs, dans certaines conférences, on retrouve les thèmes qui seront

intégrés dans l‟œuvre de Guénon, mais cela ne signifie rien quant à la nature de

57 Dans L‟Erreur spirite (p. 27), Guénon fait allusion à la haute maçonnerie allemande

avant de donner des indications sur les origines présumées de la H. B. of L. 58

Ainsi donc, Guénon aurait fait preuve de scepticisme à l‟égard de « l‟ancien centre

retiré de la tradition occidentale » ? Il serait peut-être plus opportun de s‟interroger sur

l‟intérêt que peut présenter l‟hypothétique cessation d‟une telle possibilité pour certains

« intermédiaires ».

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l‟O. T. R., car c‟est bien son auteur qui en restituera le sens métaphysique en

l‟attribuant d‟ailleurs à ses Maîtres Orientaux. Du reste, à propos des influences

psychiques appelées improprement « égrégores », il parle d‟un « élargissement »

de l‟individualité auquel pourraient être appliquées les données cycliques qui se

rapportent à la « nature adamique », car la magie elle-même peut être considérée

d‟un tout autre point de vue de celui qui caractérise son aspect « inférieur »,

comme il le précisera d‟ailleurs en 1937 : « … la magie, d‟ordre si inférieur

qu‟elle soit en elle-même, est cependant une science traditionnelle authentique ;

comme telle, elle peut légitimement avoir une place parmi les applications d‟une

doctrine orthodoxe, pourvu que ce ne soit que la place subordonnée et très

secondaire qui convient à son caractère essentiellement contingent. D‟autre part,

étant donné que le développement effectif des sciences traditionnelles

particulières est déterminé en fait par les conditions propres à telle ou telle

époque, il est naturel et en quelque sorte normal que les plus contingentes

d‟entre elles se développent surtout dans la période où l‟humanité est la plus

éloignée de l‟intellectualité pure, c‟est-à-dire dans le Kali-Yuga, et qu‟ainsi elles

y prennent, tout en restant dans les limites qui leurs sont assignées par leur

nature même, une importance qu‟elles n‟avaient jamais pu avoir dans les

périodes antérieures. Les sciences traditionnelles, quelles qu‟elles soient,

peuvent toujours servir de “supports” pour s‟élever à une connaissance d‟ordre

supérieur, et c‟est cela qui, plus que ce qu‟elles sont en elles-mêmes, leur

confère une valeur proprement doctrinale ; mais, comme nous le disons d‟autre

part, de tels “supports”, d‟une façon générale, doivent devenir de plus en plus

contingents à mesure que s‟accomplit la “descente” cyclique, afin de demeurer

adaptés aux possibilités humaines de chaque époque. Le développement des

sciences traditionnelles inférieures n‟est donc en somme qu‟un cas particulier de

cette “matérialisation” nécessaire des “supports” dont nous avons parlé ; mais,

en même temps, il va de soi que les dangers de déviation deviennent d‟autant

plus grands qu‟on va plus loin dans ce sens, et c‟est pourquoi une science telle

que la magie est manifestement parmi celles qui donnent lieu le plus facilement

à toute sorte de déformations et d‟usages illégitimes ; la déviation, dans tous les

cas, n‟est d‟ailleurs imputable, en définitive, qu‟aux conditions mêmes de cette

période d‟“obscuration” qu‟est le Kali-Yuga. »59

59 Études sur l‟Hindouisme, art. Tantrisme et magie, pp. 83-84. Autrefois, nous avons

fréquenté un initié, au sein du taçawwuf, qui entretenait des relations désintéressées avec les

jinn afin de soigner les âmes des individus que ceux-ci lui signalaient. Il s‟agit là d‟une

fonction psychique un peu particulière, car elle se transmet à travers les générations, lorsque

décède le membre de la famille qui la détient. Mais, de son propre aveu, elle comportait plus

d‟inconvénients que d‟avantages, car il l‟accomplissait de manière anonyme, sans réclamer de

rétribution et en manipulant des forces qu‟il n‟était pas toujours aisé de contrôler, surtout pour

les individus victimes d‟un envoûtement. Certains de ces musulmans possèdent une

perception grâce à laquelle ils peuvent répondre à certaines questions de Maîtres, en

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Cet extrait nous paraît expliquer l‟intérêt porté par Guénon à certaines

organisations, y compris celle du groupe des Polaires ; et correspondre

également à l‟ambivalence du « double sens de la solidification » évoquée

ailleurs. Nous admettrons volontiers qu‟il faut une mentalité spéciale pour

appliquer ce genre de science traditionnelle allant à rebours des méthodes qui

visent la contemplation puisqu‟elle cherche à susciter la réaction d‟un objectif

particulier ; mais dans le cas présent, il s‟agit principalement de considérations

d‟ordre cyclique et symbolique ; et ce n‟est pas parce que certains veulent

désormais réduire la tradition à son application religieuse qu‟il faut pour autant

occulter certains aspects particuliers de notre situation cyclique, au nom d‟une

morale surtout soucieuse de trouver des justifications d‟orthodoxie à

l‟enseignement de Guénon.

Quant à la « mise en sommeil » de l‟O. T. R., on pourrait l‟expliquer en

ces termes : « par un phénomène assez étrange, on voit parfois reparaître, d‟une

façon plus ou moins fragmentaire, mais néanmoins très reconnaissable, quelque

chose de ces traditions diminuées et déviées qui furent, en des circonstances fort

diverses de temps et de lieux, le produit de la révolte des Kshatriyas, et dont le

caractère “naturaliste” constitue toujours la marque principale [en note : « … de

nos jours encore, elles sont fort loin d‟avoir cessé bien qu‟elles aient

généralement un caractère très caché … »]. Sans y insister davantage, nous

signalerons seulement la prépondérance accordée fréquemment, en pareil cas, à

un certain point de vue “magique” (et il ne faut d‟ailleurs pas entendre

exclusivement par là la recherche d‟effets extérieurs plus ou moins

extraordinaires, comme il en est lorsqu‟il ne s‟agit que de pseudo-initiation

[souligné par nous]), résultat de l‟altération des sciences traditionnelles séparées

de leur principe métaphysique. ». [en note : « Il faut ajouter que ces initiations

inférieures et déviées sont naturellement celles qui donnent le plus facilement

reproduisant la voix du jinn auquel elle s‟adresse, et dont, pour leur part, ils ne conservent

aucun souvenir. Il y a beaucoup de choses de cet ordre dans une tradition complète où elles ne

dépassent pas le cadre inférieur qui leur est réservé, sauf dans les voies qui sont déviées ; mais

il y a tellement de légendes populaires sur cette question, que certains Maîtres se sentent

parfois contraints de déclarer à un aspirant, qu‟auprès de lui il ne trouvera pas de guérison de

cette nature. Il faut d‟ailleurs dire que, en dépit de l‟envahissement de la mentalité moderne

qui est généralement superficiel dans le monde oriental, la séparation entre le domaine

corporel et le domaine subtil n‟y est pas aussi tranchée que dans le monde occidental.

Seulement, comme la majorité des voyageurs attirent à eux des mentalités qui leur

correspondent et qu‟ils ont des échanges en rapport avec la leur, ils ne sont peut-être pas les

mieux placés pour s‟en rendre compte. Du reste, il n‟est pas nécessaire d‟assimiler l‟idéologie

moderne pour adopter les « progrès » des sciences modernes, qui sont très relatifs puisqu‟ils

ont tous un impact sur l‟organisme humain ; et rien ne permet d‟affirmer que les tentatives

d‟« uniformisation » actuelles se fassent à l‟avantage du monde occidental.

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prise à l‟action d‟influences émanant de la contre-initiation… »]60

. S‟il n‟y avait

pas eu cette « mise en sommeil », l‟O. T. R. aurait pu devenir comparable au

« Grand Lunaire » auquel ce passage s‟applique également, bien que Guénon lui

attribue un point de vue « dualiste » qu‟on ne trouve pas dans les conférences.

Cette remarque n‟est nullement hors de propos ici, puisque c‟est précisément au

sein de cette « initiation luciférienne » que le courant contre-initiatique prendra

finalement refuge afin de s‟attaquer à Guénon61

.

À propos de cette période, Denys Roman a évoqué l‟idée d‟une « descente

aux enfers » qui pourrait même être envisagée d‟un point de vue purement

symbolique, car Guénon s‟est volontairement placé au centre des antagonismes

qui, quelle que soit leur contingence, peuvent servir de symboles aux dualités

cosmiques ; et, en raison de son « envergure », il est normal que cette

élimination de certaines possibilités inférieures ait eu des répercussions

publiques qui sont les seules à pouvoir être exploitées par ses adversaires au

nom d‟une prétendue « erreur » spirite . D‟ailleurs, dans ce domaine, on pourrait

dire que Guénon a assumé une véritable fonction de Kshatriya, et même de

« gardien de la Terre sainte », sous l‟angle de laquelle son passage dans

l‟occultisme, qui était son kshatra, mériterait d‟être revisité car, comme tous les

véritables initiés, il s‟est placé au « centre » des réalités sans se prendre pour le

centre des choses ; et il y a dans cette distinction toute la différence qui existe

entre l‟« identification » et l‟« association ». En d‟autres termes, ce n‟est pas le

comportement de Guénon qui est ambigu, mais l‟« ambiance cosmique » dans

laquelle il a été manifesté.

C‟est par la H. B. of L., qui relie Guénon à Barlet et à Guaïta, qu‟on peut

trouver des éclaircissements sur son passage au sein de l‟occultisme. Cette

filiation semble aussi avoir eu des incidences sur sa relation avec Oswald Wirth,

qui était le secrétaire du second, et sur son initiation à la Maçonnerie du

R. E. A. A. ; mais ce qu‟il importe de retenir ici, c‟est une cause unique aux

multiples effets ; et plus précisément encore, un dépôt relevant de l‟hermétisme,

et même de l‟alchimie orientale, qui est lié à la figure de l‟Archéomètre et à

celle de l‟Androgyne, et qui est développé dans la série d‟études sur le

symbolisme de la Montagne et de la caverne, qui se succèdent entre la fin de

l‟année 1937 et le début de l‟année 1939, et dans laquelle figure l‟article intitulé

Les mystères de la lettre nûn, tel un joyau sur une couronne.

Désormais, l‟Archéomètre de Saint-Yves d‟Alveydre et celui de La Gnose

apparaissent comme les « écorces » desséchées de l‟Arbre du Monde rendu

intelligible par l‟œuvre de Guénon, qui commente sa figure sans vraiment la

60 Aperçus sur l‟Initiation, p. 257.

61 Sur le « Grand Lunaire », voir Comptes Rendus, p. 46 (Études Traditionnelles,

mars-avril 1946, comptes rendus de livres), où Guénon y fait allusion en parlant du contenu

du livre intitulé : Dans l‟ombre des Cathédrales, de Robert Ambelain qui en faisait partie.

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mentionner puisqu‟elle est composée d‟éléments qui sont aussi des symboles

universels. Si elle a failli être récupérée, détournée, voire déviée, c‟est parce

qu‟elle présente la particularité de provenir d‟une région où les Rose-Croix

auraient établi leur dernière retraite ; et il y a là l‟indice irréfutable de ce

« mouvement qui demeure encore imprécis, mais qui peut et doit même

normalement aboutir à la reconstitution d‟une élite intellectuelle »62

. Derrière ce

mouvement, il y a un « Ordre » qui ne dépend pas des individualités humaines et

par rapport auquel l‟œuvre de Guénon a un rôle précurseur (sâbiq), comme

l‟indique d‟ailleurs son identité musulmane (Yahya) qui lui est subordonnée au

même titre que sa signification chrétienne et maçonnique.

Y. B.

62 La Crise du Monde moderne, p. 131. Cette citation fait d‟ailleurs suite à celle qui est

relative à « la constitution d‟une élite en dehors de tout milieu défini ».