60795098 Rene Guenon 1964 Etudes Sur La Franc Maconnerie Et Le Compagnonnage

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    Ren Gunon

    TUDESSUR LA

    FRANC-MAONNERIEET LE

    COMPAGNONNAGETOMES I & II

    - 1964 -

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    COLOGNE OU STRASBOURG ?Publi dans Voile d'Isis , janvier 1927.

    La question qui a t envisage dans le numro d'octobre 1926 du Voile d'Isis doit, ous semble, tre divise en deux : une question d'ordre historique et une question dre symbolique ; et la divergence signale ne porte, en somme, que sur le premier de ces deux points de vue. D'ailleurs, la contradiction n'est peut-tre qu'apparente la cathdrale de Strasbourg est bien le centre officiel d'un certain rite compagnonnique, celle de Cologne ne serait-elle pas de mme le centre d'un autre rite ? Et n'aurait-il pas, prcisment pour cette raison, deux chartes maonniques distinctes, ldate de Strasbourg et l'autre de Cologne, ce qui pourrait avoir donn lieu une c

    sion ? Ce serait vrifier, et il faudrait savoir aussi si ces deux chartes portentla mme date ou des dates diffrentes. La chose est intressante surtout au point dvue historique ; celui-ci n'est pas pour nous le plus important, mais il n'est pas sans valeur non plus, parce qu'il est li d'une certaine faon au point de vue symbollui-mme : ce n'est pas arbitrairement, en effet, que tel ou tel lieu a t choisi e centre par des organisations comme celles dont il s'agit. Quoi qu'il en soit, noussommes tout fait d'accord avec M. Albert Bernet, lorsqu'il dit que le point sene doit exister dans toutes les cathdrales qui ont t construites suivant les rgtables de l'art, et aussi lorsqu'il dclare qu' il faut surtout en user au point de ymbolique . Il y a, ce sujet, un rapprochement curieux faire : Wronski affirmaiqu'il y a dans tout corps un point tel, que, s'il est atteint, le corps tout entierest par l mme dsagrg aussitt, volatilis en quelque sorte, toutes ses molculeies ; et il prtendait avoir trouv le moyen de dterminer par le calcul la positio

    ce centre de cohsion. N'est-ce pas l, surtout si on l'envisage symboliquement comous pensons qu'on doit le faire, la mme chose exactement que le point sensible dcathdrales ? La question, sous sa forme la plus gnrale, est celle de ce qu'on pout appeler le nud-vital , existant dans tout compos, comme point de jonction de ents constitutifs. La cathdrale construite selon les rgles forme un vritable ensemle organique, et c'est pourquoi elle a, elle aussi, un nud vital . Le problme qrapporte ce point est le mme que celui qu'exprimait, dans l'antiquit, le fameux e du nud gordien ; mais, assurment, les maons modernes seraient bien surpris leur disait que leur pe peut jouer rituellement, cet gard, le mme rle que celndre On peut dire encore que la solution effective du problme en question se rattache au pouvoir des clefs (potestas ligandi et solvendi) entendu dans sa 1

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    signification hermtique mme, qu'elle correspond la seconde phase du coagula, soles alchimistes. Il ne faut pas oublier que, comme nous le faisions remarquer dans l'article de Regnabit auquel se rfre M. Paul Redonnel, Janus, qui tait chez les ains le dieu de l'initiation aux Mystres, tait en mme temps le patron des Collegibrorum, des corporations d'artisans qui se sont continues travers tout le moyen gt, par le compagnonnage, jusque dans les temps modernes ; mais bien peu nombreuxsans doute sont ceux qui, aujourd'hui, comprennent encore quelque chose du symbolisme profond de la Loge de Saint Jean .

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    PROPOS DES CONSTRUCTEURS DU MOYEN-GEPubli dans Voile d'Isis , janvier 1927.

    Un article de M. Armand Bdarride, paru dans le Symbolisme de mai 1929, et auquelnous avons dj fait allusion dans notre chronique des revues, nous parat susceptibde donner lieu quelques rflexions utiles. Cet article, intitul Les Ides de nos rseurs, concerne les corporations du moyen ge considres comme ayant transmis quele chose de leur esprit et de leurs traditions la Maonnerie moderne. Notons tout dbord, ce propos, que la distinction entre Maonnerie oprative et Maonnerie nous parat devoir tre prise en un tout autre sens que celui qu'on lui attribue naire. En effet, on s'imagine le plus souvent que les Maons opratifs n'taient

    mples ouvriers ou artisans, et rien de plus ni d'autre, et que le symbolisme aux significations plus ou moins profondes ne serait venu qu'assez tardivement, par suite de l'introduction, dans les organisations corporatives, de personnes trangres de construire. Tel n'est d'ailleurs pas l'avis de M. Bdarride, qui cite un assez gnombre d'exemples, notamment dans les monuments religieux, de figures dont le caractre symbolique est incontestable ; il parle en particulier des deux colonnes dela cathdrale de Wurtzbourg, qui prouvent, dit-il, que les Maons constructeurs dXIVe sicle pratiquaient un symbolisme philosophique , ce qui est exact, la condion, cela va de soi, de l'entendre au sens de philosophie hermtique , et non pas l'acception courante o il ne s'agirait que de la philosophie profane, laquelle, dueste, n'a jamais fait le moindre usage d'un symbolisme quelconque. On pourrait multiplier les exemples indfiniment ; le plan mme des cathdrales est minemment symbol, comme nous l'avons dj fait remarquer en d'autres occasions ; et il faut ajouter

    i que, parmi les symboles usits au moyen ge, outre ceux dont les Maons modernes oconserv le souvenir tout en n'en comprenant plus gure la signification, il y en a ien d'autres dont ils n'ont pas la moindre ide1. Il faut notre avis, prendre en quue sorte le contre-pied de l'opinion courante, et considrer la Maonnerie spculaomme n'tant, bien des

    Nous avons eu dernirement l'occasion de relever, la cathdrale de Strasbourg et suutres difices d'Alsace, un assez grand nombre de marques de tailleurs de pierres, datant d'poques diverses, depuis le XIIe sicle jusqu'au dbut du XVIIe ; parmi ces ms, il en est de fort curieuses, et nous avons notamment trouv le swastika, auquelM. Bdarride fait allusion, dans une des tourelles de la flche de Strasbourg.

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    points de vue, qu'une dgnrescence de la Maonnerie oprative . Cette dernire, vraiment complte dans son ordre, possdant la fois la thorie et la pratique corondante, et sa dsignation peut, sous ce rapport, tre entendue comme une allusion aux oprations de l' art sacr , dont la construction selon les rgles traditioune des applications. Quant la Maonnerie spculative qui a d'ailleurs pris naun moment o les corporations constructives taient en pleine dcadence, son nom indue assez clairement qu'elle est confine dans la spculation pure et simple, c'edans une thorie sans ralisation ; assurment, ce serait se mprendre de la plus tfaon que de regarder cela comme un progrs . Si encore il n'y avait eu l qu'un ement, le mal ne serait pas si grand qu'il l'est en ralit ; mais, comme nous l'avodj diverses reprises, il y a eu en outre une vritable dviation au dbut du XV

    le, lors de la constitution de la Grande Loge d'Angleterre, qui fut le point de dpart de toute la Maonnerie moderne. Nous n'y insisterons pas davantage pour le moment, mais nous tenons faire remarquer que, si l'on veut comprendre vraiment l'esprit s constructeurs du moyen ge, ces observations sont tout fait essentielles ; autrement, on ne s'en ferait qu'une ide fausse ou tout au moins fort incomplte. Une autde qu'il n'importe pas moins de rectifier, c'est celle d'aprs laquelle l'emploi de mboliques aurait t simplement impos par des raisons de prudence. Que ces raisons ent exist parfois, nous ne le contestons pas, mais ce n'est l que le ct le plus r et le moins intressant de la question ; nous l'avons dit propos de Dante et des idles d'Amour 2, et nous pouvons le redire en ce qui concerne les corporations de nstructeurs, d'autant plus qu'il a d y avoir des liens assez troits entre toutes crganisations, de caractre en apparence si diffrent, mais qui toutes participaientaux mmes connaissances traditionnelles 3. Or le symbolisme est prcisment le mode

    pression normal des connaissances de cet ordre ; c'est l sa vritable raison d'treela dans tous les temps et dans tous les pays, mme dans les cas o il n'y avait nulment lieu de dissimuler quoi que ce soit, et tout simplement parce qu'il y a des choses qui, par leur nature mme, ne peuvent s'exprimer autrement que sous cette forme. La mprise qu'on commet trop souvent cet gard, et dont nous trouvons jusqu' un point l'cho dans l'article de M. Bdarride, nous parat avoir deux motifs principont le premier est que, gnralement, on conoit assez mal ce qu'tait le catholicismoyen ge. Il ne faudrait pas oublier que, comme il y a un sotrisme musulman, il y vait aussi cette poque un sotrisme catholique, nous voulons dire un sotrisme sa base et son point d'appui dans les symboles et les rites de la religion catholique, et se superposant celle-ci sans s'y opposer en aucune faon ; et il n'est pasteux que certains Ordres religieux furent fort loin d'tre trangers cet sotrismtendance de la plupart des catholiques actuels

    Voir le Voile d'Isis de fvrier 1929. [Note de l'diteur : Cet article forme maintenle chapitre IV de Aperus sur l'sotrisme chrtien.] 3 Les Compagnons du Rite de ont conserv jusqu' nos jours le souvenir de leur connexion avec l'Ordre du Temple.2

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    est de nier l'existence de ces choses, cela prouve seulement qu'ils ne sont pas mieux informs cet gard que le reste de nos contemporains. Le second motif de l'erreue nous signalons, c'est qu'on s'imagine que ce qui se cache sous les symboles, ce sopresque uniquement des conceptions sociales ou politiques4 ; il s'agit de bien autre chose que cela en ralit. Les conceptions de cet ordre ne pouvaient avoir, auxyeux de ceux qui possdaient certaines connaissances, qu'une importance somme toutetrs secondaire, celle d'une application possible parmi beaucoup d'autres ; nous ajoerons mme que, partout o elles en sont arrives prendre une trop grande place et enir prdominantes, elles ont t invariablement une cause de dgnrescence et de d. N'est-ce pas l, prcisment, ce qui a fait perdre la Maonnerie moderne la compde ce qu'elle conserve encore de l'ancien symbolisme et des traditions dont, malgr

    outes ses insuffisances, elle semble tre, il faut bien le dire, l'unique hritire le monde occidental actuel. Si l'on nous objecte, comme preuve des proccupations sociales des constructeurs, les figures satiriques et plus ou moins licencieusesqu'on rencontre parfois dans leurs uvres, la rponse est bien simple : ces figures nt surtout destines drouter les profanes, qui s'arrtent l'apparence extrieurnt pas ce qu'elles dissimulent de plus profond. Il y a l quelque chose qui est d'aieurs loin d'tre particulier aux constructeurs ; certains crivains, comme Boccace, belais surtout et bien d'autres encore, ont pris le mme masque et us du mme procaut croire que ce stratagme a bien russi, puisque, de nos jours encore, et sans doute plus que jamais, les profanes s'y laissent prendre. Si l'on veut aller au fond des choses, il faut voir dans le symbolisme des constructeurs l'expression de certaines sciences traditionnelles, se rattachant ce qu'on peut, d'une faon gnrale, ar le nom d' hermtisme . Seulement, il ne faudrait pas croire, parce que nous par

    ici de sciences , qu'il s'agit de quelque chose de comparable la science profaule connue de presque tous les modernes ; il semble qu'une assimilation de ce genre se soit faite dans l'esprit de M. Bdarride, qui parle de la forme changeante deconnaissances positives de la science , ce qui s'applique proprement et exclusivement la science profane, et qui, prenant la lettre des images purement symboliques, croit y dcouvrir des ides volutionnistes et mme transformistes , ides ntradiction absolue avec toute donne traditionnelle. Nous avons dvelopp longuemendans plusieurs de nos ouvrages, la distinction essentielle de la science sacre ou traditionnelle et de la science profane ; nous ne pouvons songer reproduire ici toutes ces considrations, mais du moins avons-nous jug bon d'attirer l'attention fois de plus sur ce point capital.

    Cette faon de voir est en grande partie celle d'Aroux et de Rossetti, en ce qui con

    cerne l'interprtation de Dante, et on la rencontre aussi en bien des passages de l'stoire de la Magie d'liphas Lvi. 5 L'exemple de certaines organisations musulmanesns lesquelles des proccupations politiques ont en quelque sorte touff la spirituat originelle, est trs net cet gard.

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    Nous n'ajouterons que quelques mots pour conclure : ce n'est pas sans raison que Janus, chez les Romains, tait la fois le dieu de l'initiation aux mystres et le dies corporations d'artisans ; ce n'est pas sans raison non plus que les constructeursdu moyen ge conservrent les deux ftes solsticiales de ce mme Janus, devenues, ave Christianisme, les deux Saint-Jean d'hiver et d't ; et, quand on connat la connde saint Jean avec le ct sotrique du Christianisme, ne voit-on pas immdiatementque, sous une adaptation requise par les circonstances et par les lois cycliques, c'est bien toujours de la mme initiation aux mystres qu'il s'agit effectivemen

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    UN PROJET DE JOSEPH DE MAISTRE POUR L'UNION DES PEUPLESPubli dans Vers l'Unit , mars 1927.

    M. mile Dermenghem, qui l'on devait dj une remarquable tude sur Joseph de Maisique, a publi un manuscrit indit du mme auteur : c'est un mmoire adress en 1782on du Convent de Wilhelmsbad, au duc Ferdinand de Brunswick (Eques a Victoria),Grand-Matre du Rgime cossais Rectifi. Celui-ci, dsirant porter l'ordre et la ns l'anarchie maonnique , avait, en septembre 1780, adress toutes les Loges de ience le questionnaire suivant : 1 L'Ordre a-t-il pour origine une socit ancienquelle est cette socit ? 2 Y a-t-il rellement des Suprieurs Inconnus et lesqueluelle est la fin vritable de l'Ordre ? 4 Cette fin est-elle la restauration de l'O

    des Templiers ? 5 De quelle faon le crmonial et les rites doivent-ils tre orgaur tre aussi parfaits que possible ? 6 L'Ordre doit-il s'occuper des sciences secr C'est pour rpondre ces questions que Joseph de Maistre composa un mmoire partr, distinct de la rponse collective de la Loge La Parfaite Sincrit de Chambry le il appartenait, et o, en sa qualit de Grand Profs ou membre du plus haut gu Rgime Rectifi (sous le nom d'Eques a Floribus), il se proposait d'exprimer les de quelques Frres plus heureux que d'autres, qui paraissent destins contempler dits d'un ordre suprieur ; ce mmoire est mme, comme le dit M. Dermenghem, le vrage important qui soit sorti de sa plume . Joseph de Maistre n'admet pas l'origintemplire de la Maonnerie, et il mconnat l'intrt rel de la question qui s'y ramme jusqu' crire : Qu'importe l'univers la destruction de l'Ordre des T. ? eaucoup, au contraire, puisque c'est de l que date la rupture de l'Occident avec sa ropre tradition initiatique, rupture qui est vritablement la premire cause de tout

    e la dviation intellectuelle du monde moderne ; cette dviation, en effet, remonteplus haut que la Renaissance, qui en marque seulement une des principales tapes,et il faut aller jusqu'au XIVe sicle pour en trouver le point de dpart. Joseph de Mistre, qui d'ailleurs n'avait alors qu'une connaissance assez vague des choses du mon ge, ignorait quels avaient t les moyens de transmission de la doctrine initiatie et les reprsentants de la vritable hirarchie spirituelle ; il n'en affirme pas ms nettement l'existence de l'une et de l'autre, ce qui est dj beaucoup, car il fause rendre compte de ce qu'tait, la fin du XVIIIe sicle, la situation des multiporganisations maonniques, y compris celles qui prtendaient donner leurs membres

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    une initiation relle et ne pas se borner un formalisme tout extrieur : toutes chchaient se rattacher quelque chose dont la nature exacte leur tait inconnue, ouver une tradition dont les signes existaient encore partout, mais dont le principe tait perdu ; aucune ne possdait plus les vritables caractres , comme on ette poque, et le Convent de Wilhelmsbad fut une tentative pour rtablir l'ordre auilieu du chaos des Rites et des grades. Certainement, dit Joseph de Maistre, l'Ordre n'a pu commencer par ce que nous voyons. Tout annonce que la FrancMaonnerie vulgaire est une branche dtache et peut-tre corrompue d'une tige ancienne et respectab C'est la stricte vrit ; mais comment savoir quelle fut cette tige ? Il cite un ait d'un livre anglais o il est question de certaines confrries de constructeurs, il ajoute : Il est remarquable que ces sortes d'tablissements concident avec la

    truction des T. Cette remarque aurait pu lui ouvrir d'autres horizons, et il est nnant qu'elle ne l'ait pas fait rflchir davantage, d'autant plus que le seul fait ir crite ne s'accorde gure avec ce qui prcde ; ajoutons d'ailleurs que ceci ne cqu'un des cts de la question si complexe des origines de la Maonnerie. Un autre cette mme question est reprsent par les essais de rattachement de la Maonnerie austres antiques : Les Frres les plus savants de notre Rgime pensent qu'il y a des raisons de croire que la vraie Maonnerie n'est que la Science de l'homme par exceence, c'est--dire la connaissance de son origine et de sa destine. Quelques-uns ajtent que cette Science ne diffre pas essentiellement de l'ancienne initiation grecque ou gyptienne . Joseph de Maistre objecte qu'il est impossible de savoir exactemt ce qu'taient ces anciens Mystres et ce qui y tait enseign, et il semble ne s'equ'une ide assez mdiocre, ce qui est peut-tre encore plus tonnant que l'attitudee qu'il a adopte l'gard des Templiers. En effet, alors qu'il n'hsite pas affi

    ent qu'on retrouve chez tous les peuples des restes de la Tradition primitive , cment n'est-il pas amen penser que les Mystres devaient prcisment avoir pour bupal de conserver le dpt de cette mme Tradition ? Et pourtant, en un certain sens, l admet que l'initiation dont la Maonnerie est l'hritire remonte l'origine decommencement du monde : La vraie religion a bien plus de dix-huit sicles : ellenaquit le jour que naquirent les jours. L encore, ce qui lui chappe, ce sont les oyens de transmission, et il est permis de trouver qu'il prend un peu trop facilement son parti de cette ignorance ; il est vrai qu'il n'avait que vingt-neuf ans lorsqu'il crivit ce mmoire. La rponse une autre question prouve encore que l'initiaJoseph de Maistre, malgr le haut grade qu'il possdait, tait loin d'tre parfaite bien d'autres Maons des grades les plus levs, alors comme aujourd'hui, taient exdans le mme cas ou mme en savaient encore beaucoup moins ! Nous voulons parler dela question des Suprieurs Inconnus ; voici ce qu'il en dit : Avons-nous des M

    ? Non, nous n'en avons point. La preuve est courte, mais dcisive. C'est que nous ne es connaissons pas Comment pourrions-nous avoir contract quelque engagement taciteenvers des Suprieurs cachs, puisque dans le cas o ils se seraient fait connatres nous auraient peut-tre dplu, et nous nous 8

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    serions retirs ? Il ignore videmment de quoi il s'agit en ralit, et quel peut de d'action des vritables Suprieurs Inconnus ; quant au fait que ceux-ci n'taonnus des chefs mmes de la Maonnerie, tout ce qu'il prouve, c'est que le rattachemeffectif la vraie hirarchie initiatique n'existait plus, et le refus de reconnates Suprieurs devait faire disparatre la dernire chance qui pouvait encore subsistde le rtablir. La partie la plus intressante du mmoire est sans doute celle qui ntient la rponse aux deux dernires questions ; et il faut y noter tout d'abord ce qi concerne les crmonies. Joseph de Maistre, pour qui la forme est une grande cho, ne parle cependant pas du caractre essentiellement symbolique du rituel et de sa porte initiatique, ce qui est une lacune regrettable ; mais il insiste sur ce qu'on pourrait appeler la valeur pratique de ce mme rituel, et ce qu'il en dit est d

    grande vrit psychologique : Trente ou quarante personnes silencieusement rangelong des murs d'une chambre tapisse en noir ou en vert, distingues elles-mmes pas habits singuliers et ne parlant qu'avec permission, raisonneront sagement sur tout objet propos. Faites tomber les tapisseries et les habits, teignez une bougie de neuf, permettez seulement de dplacer les siges : vous allez voir ces mmes hommese prcipiter les uns sur les autres, ne plus s'entendre, ou parler de la gazette etdes femmes ; et le plus raisonnable de la socit sera rentr chez lui avant de rfqu'il a fait comme les autres Gardons-nous surtout de supprimer le serment, commequelques personnes l'ont propos, pour des raisons bonnes peut-tre, mais qu'on ne spas comprendre. Les thologiens qui ont voulu prouver que notre serment est illicite ont bien mal raisonn. Il est vrai que l'autorit civile peut seule ordonner et revoir le serment dans les diffrents actes de la socit ; mais l'on ne peut disputetre intelligent le droit de certifier par le serment une dtermination intrieure

    son libre arbitre. Le souverain n'a d'empire que sur les actions. Mon bras est lu; ma volont est moi Ensuite vient une sorte de plan de travaux pour les diffregrades, dont chacun doit avoir son objet particulier, et c'est l ce sur quoi nous voulons insister plus spcialement ici ; mais, tout d'abord, il importe de dissiper une confusion. Comme la division adopte par Joseph de Maistre ne comporte que trois grades, M. Dermenghem semble avoir compris qu'il s'agissait, dans son intention, de rduire la Maonnerie aux trois grades symboliques ; cette interprtation est incoiliable avec la constitution mme du Rgime cossais Rectifi, lequel est essentiellt un Rite de hauts grades. M. Dermenghem n'a pas remarqu que Joseph de Maistre crigrades ou classes ; la vrit, c'est bien de trois classes qu'il s'agit, chacune vant se subdiviser en plusieurs grades proprement dits. Voici comment cette rpartition parat s'tablir : la premire classe comprend les trois grades symboliques : econde classe correspond aux grades capitulaires, dont le plus important et peut

    -tre mme le seul pratiqu en fait dans le Rgime Rectifi est celui d'cossais de ; enfin, la troisime classe est forme par les grades suprieurs de Novice, cuyer,Grand Profs ou Chevalier Bienfaisant de la Cit Sainte. Ce qui prouve encore que c't bien ainsi qu'il faut l'entendre, c'est que, en parlant des travaux de la troisimasse, l'auteur du mmoire s'crie : Quel vaste 9

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    champ ouvert au zle et la persvrance des G. P. ! Il s'agit videmment des Gradont il tait, et non des simples Matres de la Loge bleue ; il n'est donc nullemuestion ici de supprimer les hauts grades, mais au contraire de leur donner desbuts en rapport avec leur caractre propre. Le but assign la premire classe est d'abord la pratique de la bienfaisance, qui doit tre l'objet apparent de tout l'; mais cela ne suffit pas, et il faut y joindre un second but qui est dj plus intellectuel : Non seulement on formera le cur du Maon dans le premier grade, mais onlairera son esprit en l'appliquant l'tude de la morale et de la politique qui est morale des tats. On discutera dans les Loges des questions intressantes sur ces deux sciences, et l'on demandera mme de temps autre l'avis des Frres par crit Mad objet des Frres sera surtout de se procurer une connaissance approfondie de leu

    r patrie, de ce qu'elle possde et de ce qui lui manque, des causes de dtresse et dmoyens de rgnration. La seconde classe de la Maonnerie devrait avoir pour bant le systme propos, l'instruction des gouvernements et la runion de toutes les es chrtiennes. En ce qui concerne le premier point, on s'occuperait avec un soifatigable carter les obstacles de toute espce interposs par les passions entre it et l'oreille de l'autorit Les limites de l'tat ne pourraient borner l'activitonde classe, et les Frres des diffrentes nations pourraient quelquefois, par un accord de zle, oprer les plus grands biens. Et voici pour le second objet : Ne st-il pas digne de nous de nous proposer l'avancement du Christianisme comme un desbuts de notre Ordre ? Ce projet aurait deux parties, car il faut que chaque communion travaille par elle- mme et travaille se rapprocher des autres Il faut tades comits de correspondance composs surtout des prtres des diffrentes communioue nous aurons agrgs et initis. Nous travaillerons lentement mais srement. Nous

    eprendrons aucune conqute qui ne soit propre perfectionner le Grand uvreTout ci peut contribuer l'avancement de la religion, l'extirpation des opinions dangers, en un mot lever le trne de la vrit sur les ruines de la superstition et du pnisme, sera du ressort de cette classe. Enfin, la troisime classe aura pour objetce que Joseph de Maistre appelle le Christianisme transcendant qui, pour lui, est la rvlation de la rvlation et constitue l'essentiel de ces sciences seces il tait fait allusion dans la dernire question ; par l, on pourra trouver laution de plusieurs difficults pnibles dans les connaissances que nous possdons. il prcise en ces termes : Les Frres admis la classe suprieure auront pour objleurs tudes et de leurs rflexions les plus profondes, les recherches de fait et les connaissances mtaphysiques Tout est mystre dans les deux Testaments, et les lul'une et l'autre loi n'taient que de vrais initis. Il faut donc interroger cette vAntiquit et lui demander comment elle entendait les allgories sacres. Qui peut do

    er que ces sortes de recherches ne nous fournissent des armes victorieuses contre les crivains modernes qui s'obstinent ne voir dans l'criture que le sens litt

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    Ils sont dj rfuts par la seule expression des Mystres de la Religion que nous emns tous les jours sans en pntrer le sens. Ce mot de mystre ne signifiait dans le incipe qu'une vrit cache sous des types par ceux qui la possdaient. . Est-il poffirmer plus nettement et plus explicitement l'existence de l'sotrisme en gnral,trisme chrtien en particulier ? l'appui de cette affirmation sont rapportes divcitations d'auteurs ecclsiastiques et juifs, empruntes au Monde Primitif de Court Gbelin. Dans ce vaste champ de recherches, chacun trouvera d'ailleurs s'employervant ses aptitudes : Que les uns s'enfoncent courageusement dans les tudes d'rudqui peuvent multiplier nos titres et claircir ceux que nous possdons. Que d'autres ue leur gnie appelle aux contemplations mtaphysiques cherchent dans la nature mme es choses les preuves de notre doctrine. Que d'autres enfin (et plaise Dieu qu'il

    existe beaucoup !) nous disent ce qu'ils ont appris de cet Esprit qui souffle o ilveut, comme il veut et quand il veut. L'appel l'inspiration directe, exprim date dernire phase, n'est pas ce qu'il y a ici de moins remarquable. Ce projet ne futamais appliqu, et on ne sait mme pas si le duc de Brunswick put en prendre connaissance ; il n'est pourtant pas aussi chimrique que certains pourraient le penser, etnous le croyons trs propre susciter des rflexions intressantes, aujourd'hui auen qu' l'poque o il fut conu : c'est pourquoi nous avons tenu en donner d'assets. En somme, l'ide gnrale qui s'en dgage pourrait tre formule ainsi : sans prment nier ou supprimer les diffrences et les particularits nationales, dont il faut au contraire, en dpit de ce que prtendent les internationalistes actuels, prendre conscience tout d'abord aussi profondment que possible, il s'agit de restaurer l'supranationale plutt qu'internationale, de l'ancienne Chrtient, unit dtruite ptes multiples qui ont dchir la robe sans couture puis de s'lever de l l'un

    lisant le Catholicisme au vrai sens de ce mot, au sens o l'entendait galement Wroni, pour qui ce Catholicisme ne devait avoir une existence pleinement effective que lorsqu'il serait parvenu intgrer les traditions contenues dans les Livres sacre tous les peuples. Il est essentiel de remarquer que l'union telle que l'envisage Joseph de Maistre doit tre accomplie avant tout dans l'ordre purement intellectuel ;c'est aussi ce que nous avons toujours affirm pour notre part, car nous pensons qul ne peut y avoir de vritable entente entre les peuples, surtout entre ceux qui appartiennent des civilisations diffrentes, que celle qui se fonderait sur des principes au sens propre de ce mot. Sans cette base strictement doctrinale, rien desolide ne pourra tre difi ; toutes les combinaisons politiques et conomiques setoujours impuissantes cet gard, non moins que les considrations sentimentales, ndis que, si l'accord sur les principes est ralis, l'entente dans tous les autres ines devra en rsulter ncessairement. Sans doute la Maonnerie de la fin du XVIIIe

    le n'avait-elle dj plus en elle ce qu'il fallait pour accomplir ce Grand uvretaines conditions chappaient d'ailleurs trs probablement Joseph de Maistre lui-mest-ce dire qu'un tel plan ne pourra jamais tre repris sous une forme ou sous uneutre, par quelque organisation ayant un caractre vraiment initiatique et possdantle fil 11

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    d'Ariane qui lui permettrait de se guider dans le labyrinthe des formes innombrables sous lesquelles est cache la Tradition unique, pour retrouver enfin la Paroleperdue et faire sortir la Lumire des Tnbres, l'Ordre du Chaos ? Nous ne vouement prjuger de l'avenir, mais certains signes permettent de penser que, malgr leapparences dfavorables du monde actuel, la chose n'est peuttre pas tout fait impble ; et nous terminerons en citant une phrase quelque peu prophtique qui est encore de Joseph de Maistre, dans le IIe entretien des Soires de Saint-Ptersbourg : l faut nous tenir prts pour un vnement immense dans l'ordre divin, vers lequel noarchons avec une vitesse acclre qui doit frapper tous les observateurs. Des oraclredoutables annoncent dj que les temps sont arrivs.

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    LE COMPAGNONNAGE ET LES BOHMIENSPubli dans Voile d'Isis , octobre 1928.

    Dans un article de M. G. Milcent, publi dans le journal Le Compagnonnage de mai 1926, et reproduit dans le Voile d'Isis de novembre 1927, nous avons not cette phrase : Ce qui m'a surpris et mme rendu un peu sceptique, c'est quand le C\ Bernet noqu'il prside annuellement, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, l'lection du Roi des B. Il y a longtemps que nous avions fait la mme remarque, mais nous n'avions pas vlu tout d'abord soulever la question ; maintenant qu'elle a t pose ainsi publiquenous n'avons plus aucune raison de ne pas en dire quelques mots, d'autant plus que cela pourrait contribuer lucider certains points qui ne sont pas sans intrt. D'a

    ce n'est pas un Roi qu'lisent les Bohmiens, mais une Reine, et ensuite cette lectse renouvelle pas tous les ans ; ce qui a lieu annuellement, c'est seulement, avec ou sans lection, la runion des Bohmiens dans la crypte de l'glise des Saintes--de-la-Mer. D'autre part, il est fort possible que certains, sans appartenir la race bohmienne, soient admis, en raison de leurs qualits ou de leurs fonctions, asster cette runion et aux rites qui s'y accomplissent ; mais, quant y prsiderne tout autre affaire, et le moins que nous en puissions dire est que cela est d'une extrme invraisemblance. Comme l'assertion en question s'est rencontre, en premiieu, dans une interview parue il y a assez longtemps dj dans l'Intransigeant, nousoulons croire que ce qu'elle renferme d'inexact doit tre mis tout simplement sur leompte du journaliste qui, comme il arrive bien souvent, aura forc la note pour piquer la curiosit de son public, aussi ignorant que lui-mme des questions dont il sgit, et par consquent incapable de s'apercevoir de ses erreurs. Aussi n'entendons-n

    s pas insister l dessus plus qu'il ne convient ; ce n'est pas l qu'est le vritabll'affaire, mais bien dans la question beaucoup plus gnrale des rapports qui peuveexister entre les Bohmiens et les organisations compagnonniques. M. Milcent, dans son article, continue en disant que les Bohmiens pratiquent le rite juif et qu'pourrait y avoir des rapports avec les C\ tailleurs de pierre trangers du Devoir de Libert . La premire partie de cette phrase nous parat contenir encore une inextude, ou tout au moins une quivoque : il est vrai que la Reine des Bohmiens portele nom ou plutt le titre de Sarah, qui est aussi le nom donn la sainte qu'ils reaissent pour leur patronne et dont le corps repose dans la crypte des Saintes-Maries : il est vrai aussi que ce titre, forme fminine de Sar, est hbraque et signie princesse ; mais cela est-il suffisant pour qu'on puisse, ce 13

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    propos, parler de rite juif ? Le Judasme appartient en propre un peuple chez la religion est troitement solidaire de la race ; or les Bohmiens, quelle que puisse tre leur origine, n'ont certainement rien de commun avec la race juive ; mais n'urait-il pas, malgr cela, des rapports dus certaines affinits d'un ordre plus myux ? Quand on parle des Bohmiens, il est indispensable de faire une distinction qu'on oublie trop souvent : il y a en ralit deux sortes de Bohmiens qui semblent tfait trangres l'une l'autre et se traitent mme plutt en ennemies ; elles n'ont caractres ethniques, ne parlent pas la mme langue et n'exercent pas les mmes mtIl y a les Bohmiens orientaux ou Zingaris, qui sont surtout montreurs d'ours et chaudronniers ; et il y a les Bohmiens mridionaux ou Gitans, appels Caraques dananguedoc et en Provence, et qui sont presque exclusivement marchands de chevaux

    ; ce sont ces derniers seuls qui s'assemblent aux Saintes-Maries. Le marquis de Baroncelli-Javon, dans une trs curieuse tude sur Les Bohmiens des Saintes-Maries-dea-Mer, indique de nombreux traits qui leur sont communs avec les Peaux-Rouges d'Amrique, et il n'hsite pas, en raison de ces rapprochements et aussi par l'interprtatde leurs propres traditions, leur attribuer une origine atlantenne ; si ce n'est u'une hypothse, elle est en tout cas assez digne de remarque. Mais voici autre chose que nous n'avons vu signaler nulle part, et qui n'est pas moins extraordinaire : comme il y a deux sortes de Bohmiens, il y a aussi deux sortes de Juifs, Ashkenazim et Sephardim, pour lesquelles on pourrait faire des remarques analogues en cequi concerne les diffrences de traits physiques, de langue, d'aptitudes, et qui, elles non plus, n'entretiennent pas toujours les rapports les plus cordiaux, chacuneayant volontiers la prtention de reprsenter seule le pur Judasme, soit sous le rport de la race, soit sous celui de la tradition. Il y a mme, au sujet de la lang

    ue, une similitude assez frappante : ni les Juifs ni les Bohmiens n'ont, vrai dirune langue complte qui leur appartienne en propre, du moins pour l'usage courant ;ils se servent des langues des rgions o ils vivent, en y mlant certains mots quieur sont spciaux, mots hbreux pour les Juifs, et, pour les Bohmiens, mots provenaaussi d'une langue ancestrale et qui en sont les derniers restes ; cette particularit peut d'ailleurs s'expliquer par les conditions d'existence des peuples qui sonrcs de vivre disperss parmi des trangers. Mais voici qui est plus difficilement elicable : il se trouve que les rgions parcourues par les Bohmiens orientaux et parles Bohmiens mridionaux sont prcisment les mmes que celles qu'habitent respectles Ashkenazim et les Sephardim : ne serait-ce pas une attitude par trop simpliste que celle qui se bornerait ne voir l qu'une pure concidence ? Ces remarquesisent penser que, s'il n'y a pas de rapports ethniques entre les Bohmiens et les s, il y en a peut-tre d'autres, des rapports que, sans en prciser davantage la nat

    e, nous pouvons qualifier de traditionnels. Or ceci nous ramne directement au sujet de cette note, dont nous ne nous sommes cart qu'en apparence : les organisationcompagnonniques, pour lesquelles la question ethnique ne se pose videmment pas, ne pourraient-elles pas, elles aussi, avoir des rapports du mme ordre, soit avec les Juifs, soit avec les Bohmiens, soit mme la fois avec les 14

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    uns et les autres ? Nous n'avons pas, pour le moment tout au moins, l'intention de chercher expliquer l'origine et la raison de ces rapports ; nous nous contenteronsd'appeler l'attention sur quelques points plus prcis. Les Compagnons ne sont-ils padiviss en plusieurs rites rivaux, et qui se sont souvent trouvs en hostilit plus moins ouverte ? Leurs voyages ne comportent-ils pas des itinraires suivant les rites, et avec des points d'attache galement diffrents ? N'ont-ils pas en quelque sune langue spciale, dont le fond est assurment form par la langue ordinaire, maiqui se distingue de celle-ci par l'introduction de termes particuliers, exactementcomme dans le cas des Juifs et des Bohmiens ? Ne se sert-on pas du nom de jargon pour dsigner la langue conventionnelle en usage dans certaines socits secrtesotamment dans le Compagnonnage, et les Juifs ne donnent-ils pas aussi parfois le

    mme nom la langue qu'ils parlent ? D'autre part, dans certaines campagnes, les Bns ne sont-ils pas connus sous l'appellation de passants sous laquelle ils sont lleurs confondus avec les colporteurs, et qui est, comme on sait, une dsignations'appliquant galement aux Compagnons ? Enfin, la lgende du Juif errant ne serae pas, comme beaucoup d'autres, d'origine compagnonnique ? Nous pourrions sans doutemultiplier encore ces points d'interrogation, mais nous estimons que ceux-l suffisent, et que des recherches diriges dans ce sens pourraient clairer singulirement rtaines nigmes. Peut-tre pourrons-nous, du reste, revenir nous-mme sur la questios'il y a lieu et apporter encore certaines indications complmentaires ; mais les Compagnons d'aujourd'hui s'intressent-ils vraiment tout ce qui touche leurs tradi

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    UN NOUVEAU LIVRE SUR L'ORDRE DES LUS COENSPubli dans Voile d'Isis , dcembre 1929.

    M. R. Le Forestier, qui s'est spcialis dans les tudes historiques concernant les nisations secrtes, maonniques et autres, de la seconde moiti du XVIIIe sicle, a pi il y a quelques mois un important volume sur La Franc-Maonnerie occultiste au XVIIIe sicle et l'Ordre des lus Coens1. Ce titre appelle une lgre rserve, car le mltiste , qui semble bien n'avoir jamais t employ avant liphas Lvi, y apparat un anachronisme ; peut-tre aurait-il mieux valu trouver un autre terme, et cecin'est pas une simple question de mots, car ce qui s'est appel proprement occultismst vraiment un produit du XIX e sicle. L'ouvrage est divis en trois parties : la p

    mire traite des doctrines et pratiques des lus Coens ; la seconde, des rapporttre les lus Coens et la tradition occultiste (et, ici, c'est le mot sotriquit t certainement le mieux appropri) ; la troisime, enfin, de l' organisation ere de l'Ordre . Tout ce qui est proprement historique est fort bien fait et appuy r une tude trs srieuse des documents que l'auteur a pu avoir sa disposition, et ne saurions trop en recommander la lecture. ce point de vue, il n'y a gure regrr que quelques lacunes en ce qui concerne la biographie de Martines de Pasqually, o il reste encore certains points obscurs ; le Voile d'Isis publiera d'ailleurs pchainement de nouveaux documents qui contribueront peut-tre les claircir. La preme partie est une excellente vue d'ensemble sur le contenu du Trait de la Rintgratdes tres, ouvrage assez confus, crit en un style incorrect et parfois peu intelligible, et qui d'ailleurs est rest inachev ; il n'tait pas facile de tirer de l unhrent, et il faut louer M. Le Forestier d'y tre parvenu. Il subsiste cependant une

    ertaine ambigut quant la nature des oprations des lus Coens : taient-ellehurgiques ou seulement magiques ? L'auteur ne semble pas s'apercevoir qu'il y hoses essentiellement diffrentes et qui ne sont pas du mme ordre ; il est possibleque cette confusion ait exist chez les lus Coens eux-mmes, dont l'initiation semre toujours demeure assez incomplte bien des gards, mais il aurait du moins t le faire remarquer. Nous dirions volontiers qu'il parat s'agir d'un rituel de magielle prtentions thurgiques, ce qui laissait la porte ouverte bien des

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    Dorbon An, diteur.

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    illusions ; et l'importance attribue de simples manifestations phnomniques , e Martines appelait les passes , n'tait pas autre chose, prouve bien en effet qudomaine de l'illusion n'tait pas dpass. Ce qu'il y a de plus fcheux dans cette hnotre avis, c'est que le fondateur des lus Coens ait pu se croire en possession deconnaissances transcendantes, alors qu'il s'agissait seulement de connaissances qui,quoique relles, n'taient encore que d'un ordre assez secondaire. Il a d y avoir chez lui, et pour les mmes raisons, une certaine confusion entre le point de vue initiatique et le point de vue mystique , car les doctrines qu'il exprime ont turs une forme religieuse, alors que ses oprations n'ont nullement ce caractre st regrettable que M. Le Forestier semble accepter cette confusion et n'avoir paslui-mme une ide assez nette de la distinction des deux points de vue en question.

    D'ailleurs, il est remarquer que ce que Martines appelle rintgration ne dpas possibilits de l'tre humain individuel ; ce point est nettement tabli par l'autais il y aurait eu lieu d'en tirer des consquences trs importantes quant aux limitde l'enseignement que le chef des lus Coens pouvait donner ses disciples, et, pasuite, de la ralisation mme laquelle il tait capable de les conduire. La sertie est la moins satisfaisante, et M. Le Forestier, peut-tre malgr lui, n'a pas tjours su s'y dgager d'un certain esprit que nous pouvons qualifier de rationalistqu'il doit trs probablement sa formation universitaire. De certaines ressemblancentre les diverses doctrines traditionnelles, il ne faut pas conclure ncessairement des emprunts ou des influences directes ; partout o les mmes vrits se trxprimes, il est normal que de telles ressemblances existent ; et ceci s'applique enparticulier la science des nombres, dont les significations ne sont nullement une invention humaine ou une conception plus ou moins arbitraire. Nous en dirons

    autant pour ce qui est de l'astrologie ; il y a l des lois cosmiques qui ne dpendepas de nous, et nous ne voyons pas pourquoi tout ce qui s'y rapporte devrait tre emprunt aux Chaldens, comme si ceux-ci avaient eu tout d'abord le monopole de leur nnaissance ; il en est de mme pour l'anglologie, qui s'y rattache d'ailleurs assezment, et qu'il n'est pas possible, moins d'accepter tous les prjugs de la critne, de regarder comme ayant t ignore des Hbreux jusqu' l'poque de la captivitAjoutons encore que M. Le Forestier ne parat pas avoir une notion tout fait justede ce qu'est la Kabbale, dont le nom signifie simplement tradition au sens le ps gnral, et qu'il assimile parfois un certain tat particulier de la rdaction els ou tels enseignements, si bien qu'il lui arrive de dire que la Kabbale naquitdans la France du Sud et dans l'Espagne septentrionale et d'en dater l'origine du Xe sicle ; l aussi, l'esprit critique , qui ignore de parti pris toute transmissale, est vraiment pouss un peu loin. Notons enfin ici un dernier point : le mot P

    ardes (qui est, comme nous l'avons expliqu en d'autres circonstances, le sanscrit Padsha, contre suprme , et non un mot perse signifiant parc des animaux ce s parat pas avoir grand sens en dpit du rapprochement avec les Kerubim d'zchiel)gne point une simple spculation mystique , mais bien l'obtention relle d'un cerqui est la restauration de l' tat primordial ou 17

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    dnique ce qui n'est pas sans prsenter une troite similitude avec la rinte l'envisageait Martines2. Toutes ces rserves faites, il est bien certain que la forme dont Martines a revtu son enseignement est d'inspiration proprement judaque, cqui d'ailleurs n'implique pas que lui-mme ait t d'origine juive (c'est l un de ci n'ont pas encore t suffisamment claircis jusqu'ici), ni qu'il n'ait pas t sinM. Le Forestier a raison de parler ce propos de Christianisme sotrique , maine voyons pas pourquoi on refuserait aux conceptions de cet ordre le droit de se dire authentiquement chrtiennes ; s'en tenir aux ides modernes d'une religion exivement et troitement exotrique, c'est dnier au Christianisme tout sens vraiment ond, et c'est aussi mconnatre tout ce qu'il y et d'autre au moyen ge, et dont, pus trouvons peut-tre les derniers reflets, bien affaiblis dj, dans des organisati

    s comme celle des lus Coens 3 . Nous savons bien ce qui gne ici nos contemporains: c'est leur proccupation de tout ramener une question d' historicit , proccuemble tre commune maintenant aux partisans et aux adversaires du Christianisme, bien que les adversaires soient certainement les premiers avoir port le dbat sur terrain. Disons-le trs nettement, si le Christ devait tre envisag uniquement commun personnage historique, cela serait bien peu intressant ; la considration du Christprincipe a une tout autre importance ; et d'ailleurs l'une n'exclut nullement l'e, parce que, comme nous l'avons dj dit souvent, les faits historiques eux-mmes one valeur symbolique et expriment les principes leur faon et dans leur ordre ; nous ne pouvons pour le moment insister davantage sur ce point, qui nous semble dureste assez clair. La troisime partie est consacre l'histoire de l'Ordre des l, dont l'existence effective fut assez brve, et l'expos de ce qu'on peut savoir els de ses diffrents grades, qui semblent n'avoir jamais t entirement achevs et

    point, pas plus que ceux des fameuses oprations . Il n'est peut-tre pas trs exler cossais , comme le fait M. Le Forestier, tous les systmes de hauts grades mques sans exception, ni de voir en quelque sorte un simple masque dans le caractre maonnique donn par Martines aux lus Coens ; mais la discussion approfondie de cquestions risquerait de nous entraner trop loin4. Nous

    ce propos, nous avons relev une mprise assez amusante dans une des lettres de Wiermoz au baron de Turkeim publies par M. mile Dermenghem la suite des Sommeils : illermoz proteste contre l'assertion d'aprs laquelle le livre des Erreurs et de la Vt de Saint-Martin venait des Parthes ; ce qu'il a pris pour le nom de ce peuple en effet n'avait rien faire l-dedans, c'est videmment le mot Pardes, qui lui tdoute tout fait inconnu. Comme le baron de Turkeim avait parl ce sujet du Pas, ouvrage classique des Cabbalistes , nous pensons que ce dont il s'agit en ralit

    it tre l'ouvrage intitul Pardes Rimonim. 3 Au lieu de Christianisme sotrique ait d'ailleurs mieux dire sotrisme chrtien , c'est--dire prenant sa base dans nisme, ceci pour marquer que ce dont il s'agit n'appartient pas au domaine religieux; la mme remarque s'applique naturellement l'sotrisme musulman. 4 propos desstmes de hauts grades nous sommes un peu surpris de voir attribuer l'aristocratiee naissance et d'argent l'organisation du Conseil des Empereurs d'Orient et d'Ocont le fondateur semble bien avoir t tout simplement le sieur Pirlet, tailleur dits , comme disent les documents de l'poque ; si

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    voulons seulement appeler l'attention, d'une faon plus spciale, sur la dnominatiou-Croix donne par Martines au grade le plus lev de son rgime , comme on diset dans laquelle M. Le Forestier ne veut voir que l'imitation ou mme la contrefaode celle de Rose-Croix ; pour nous, il y a autre chose. Dans l'esprit de Martinele Rau-Croix devait tre, au contraire, le vritable Rose-Croix . tandis ququi portait cette dernire appellation dans la Maonnerie ordinaire n'tait qu' apsuivant l'expression qu'il emploie trs souvent ; mais d'o vient ce nom bizarre de ix et que peut-il bien signifier ? D'aprs Martines, le vrai nom d'Adam tait Rongue vulgaire et Rau en hbreu , signifiant Homme-Dieu trs fort en sagesse, verpuissance , interprtation qui, premire vue tout au moins, parat assez fantaisia vrit est qu'Adam signifie bien littralement rouge ; adamah est l'argile rou

    ah est le sang, qui est rouge galement ; Edom, nom donn Esa, a aussi le sens de x ; cette couleur rouge est le plus souvent prise comme un symbole de force ou de puissance, ce qui justifie en partie l'explication de Martines. Quant la forme Ru, elle n'a certainement rien d'hbraque ; mais nous pensons qu'il faut y voir une lation phontique avec le mot roh, voyant , qui fut la premire dsignation des pet dont le sens propre est tout fait comparable celui du sanscrit rishi : cettesorte de symbolisme phontique n'a rien d'exceptionnel, comme nous l'avons indiqu erses occasions 5 , et il n'y aurait rien d'tonnant ce que Martines s'en soit serpour faire allusion l'un des principaux caractres inhrents l' tat dnique pour signifier la possession de cet tat mme. S'il en est ainsi, l'expression Rapar l'adjonction de la Croix du Rparateur ce premier nom de Rau, indique queur rtabli dans ses prrogatives , pour parler le langage du Trait de la Rintgrs tres, c'est-dire l' homme rgnr , qui est effectivement le second Adam

    i est aussi le vritable Rose-Croix 6 . Il s'agit donc en ralit, non pas d'une de ce terme Rose-Croix , qu'il aurait t beaucoup plus facile de s'approprier put simplement comme tant d'autres l'ont fait, mais d'une des nombreuses interprtatiou adaptations auxquelles il peut lgitimement donner lieu, ce qui, bien entendu, ne veut pas dire que les prtentions de Martines en ce qui concerne les effets relsde son ordination de Rau-Croix , aient t pleinement justifies. Pour terminer en trop sommaire, signalons encore un dernier point : M. Le Forestier a tout fait raison de voir dans l'expression forme glorieuse , employe frquemment par Maret o glorieuse est en quelque sorte synonyme de lumineuse , une allusion nah (ce que quelques vieux rituels

    mal inform que Thory ait pu tre sur certains points, il n'a certainement pas invenette indication (Acta Latomorum, t. I, p. 79). 5 M. Le Forestier en signale d'aill

    eurs un autre exemple chez Martines lui-mme : c'est l'assimilation qu'il tablit pasorte d'anagramme, entre Noachites et Chinois . 6 La croix est d'ailleurs par le symbole de l' Homme Universel et l'on peut dire qu'elle reprsente la forme mme ramen son centre originel, dont il a t spar par la chute , ou, suivant re de Martines, par la prvarication .

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    maonniques, par une dformation assez bizarre, appellent le Stekenna)7 ; mais il enest exactement de mme de celle de corps glorieux , qui est courante dans le Chrtianisme, mme exotrique, et cela depuis saint Paul : Sem dans la corruption, il suscitera dans la gloire , et aussi de la dsignation de la lumire de gloire uelle, selon la thologie la plus orthodoxe, s'opre la vision batifique . Cela mien qu'il n'y a nulle opposition entre l'exotrisme et l'sotrisme ; il y a seulemesition de celui-ci celui-l, l'sotrisme donnant, aux vrits exprimes d'une favoile par l'exotrisme, la plnitude de leur sens suprieur et profond.

    Le mot gloire , appliqu au triangle portant le Ttragramme et entour de rayons, igure dans les glises aussi bien que dans les Loges, est effectivement une des dsi

    gnations de la Shekinah, ainsi que nous l'avons expliqu dans Le Roi du Monde.7

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    PROPOS DES ROSE-CROIX LYONNAIS Publi dans Voile d'Isis , janvier 1930.

    Les tudes sur Martines de Pasqually et ses disciples se multiplient en ce momentd'assez curieuse faon : aprs le livre de M. Le Forestier dont nous parlions ici le ois dernier, voici que M. Paul Vulliaud, son tour, vient de faire paratre un volume intitul Les Rose-Croix lyonnais au XVIIIe sicle1. Ce titre ne nous semble d'ailurs pas trs justifi, car, vrai dire, si l'on met part l'introduction, il n'est t question de Rose-Croix dans cet ouvrage ; aurait-il t inspir par la fameuse dnation de Rau-Croix , dont M. Vulliaud, du reste, ne s'est pas proccup de chercication ? C'est bien possible ; mais l'emploi de ce terme n'implique aucune filiatio

    historique entre les Rose-Croix proprement dits et les lus Coens, et, en tout cas, il n'y a aucune raison d'englober sous le mme vocable des organisations telles qula Stricte Observance et le Rgime cossais Rectifi, qui, ni dans leur esprit ni daleur forme, n'avaient assurment aucun caractre rosicrucien. Nous irons mme plus : dans les Rites maonniques o il existe un grade de Rose-Croix , celui-ci n'a t au Rosicrucianisme qu'un symbole, et qualifier ses possesseurs de Rose-Croix plus d'explications, serait une assez fcheuse quivoque ; il y a quelque chose du mgenre dans le titre adopt par M. Vulliaud. Pour celui-ci, d'autres termes encore,comme celui d' Illumins par exemple, ne semblent pas avoir non plus un sens bien s ; ils apparaissent un peu au petit bonheur et se substituent indiffremment lesuns aux autres, ce qui ne peut que crer des confusions dans l'esprit du lecteur, qui aura pourtant dj bien assez de peine s'y reconnatre dans la multitude des Ritdes Ordres existant l'poque en question. Nous ne voulons cependant pas croire que

    . Vulliaud lui-mme ne s'y soit pas trs bien reconnu, et nous prfrons voir, dans ploi inexact du vocabulaire technique, une consquence presque oblige de l'attituderofane qu'il se plat afficher, ce qui n'a pas t sans nous causer quelque surpjusqu'ici, nous n'avions rencontr des gens mettant une sorte de gloire se dire nes que dans les milieux universitaires et officiels , pour lesquels, croyons-ns, M. Vulliaud n'a pas beaucoup plus d'estime que nous n'en avons nous-mme. Cette aude a encore une autre consquence : c'est que M. Vulliaud a cru devoir adopter presque constamment un ton ironique qui est assez gnant, et qui

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    Bibliothque des Initiations modernes . .Nourry, diteur.

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    risque de donner l'impression d'une partialit dont un historien devrait se garder sgneusement. Dj, le Joseph de Maistre Franc-Maon du mme auteur donnait un peu tromme impression ; serait-il donc si difficile un non-Maon (nous ne disons pas un rofane ) d'aborder les questions de cet ordre sans employer un langage de polmiqueu'il conviendrait de laisser aux publications spcifiquement antimaonniques ? notonnaissance, il n'y a que M. Le Forestier qui fasse exception ; et nous regrettonsde ne pas trouver une autre exception en M. Vulliaud, que ses tudes habituellesauraient d pourtant disposer plus de srnit. Tout cela, bien entendu, n'enlve leur ni l'intrt des nombreux documents publis par M. Vulliaud, quoique d'ailleuues-uns de ceux-ci ne soient pas aussi compltement indits qu'il a pu le croire2 ; nous ne pouvons nous empcher de nous tonner qu'il ait consacr un chapitre aux

    ls sans mme mentionner qu'il a dj paru sur ce sujet, et prcisment sous ce titrage de M. mile Dermenghem. Par contre, nous croyons que les extraits des cahiersinitiatiques transcrits par Louis-Claude de Saint-Martin sont vraiment indits ;le caractre trange de ces cahiers soulve d'ailleurs bien des questions qui n'ont t claircies. Nous avons eu jadis l'occasion de voir quelques-uns de ces documentles griffonnages bizarres et inintelligibles dont ils sont remplis nous ont donntrs nettement l'impression que l' agent inconnu qui en fut l'auteur n'tait rienomnambule (nous ne disons pas un mdium , ce qui serait un grave anachronisme) ; s reprsenteraient donc tout simplement le rsultat d'expriences du mme genre que mmeils ce qui diminue beaucoup leur porte initiatique . En tout cas, ce qu'il ycertain, c'est que cela n'a absolument rien voir avec les lus Coens, qui d'aillee moment, avaient dj cess d'exister en tant qu'organisation ; et nous ajouterons a l rien non plus qui se rapporte directement au Rgime cossais Rectifi, malgr q

    oit frquemment question de la Loge de la Bienfaisance . La vrit, pour nous, esWillermoz et d'autres membres de cette Loge, qui s'intressaient au magntisme, avaid former entre eux une sorte de groupe d'tudes , comme on dirait aujourd'hui, as avaient donn le titre quelque peu ambitieux de Socit des Initis : ce titregure dans les documents, ne saurait s'expliquer autrement, et il montre trs clairement, par l'emploi mme du mot socit , que le groupement en question, bien que cMaons, n'avait en lui-mme aucun caractre maonnique. Actuellement encore, il arrivemment que des Maons constituent, pour un but quelconque, ce qu'on appelle un groe fraternel , dont les runions sont dpourvues de toute forme rituelle ; la SociInitis ne dut pas tre autre chose que cela ; elle est du moins la seule solutionlausible que nous puissions voir cette question assez obscure.

    Ainsi les cinq Instructions dans le chapitre IX ont dj t publies en 1914 da

    ce Antimaonnique ; rendons chacun ce qui lui appartient. [Note de l'diteur : On vera le texte de ces instructions dans le deuxime volume du prsent recueil, chapitre Quelques documents indits sur l'Ordre des lus Coens.]

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    Nous pensons que les documents qui se rapportent aux lus Coens ont une autre importance au point de vue initiatique, malgr les lacunes qui ont toujours exist cet rd dans l'enseignement de Martines et que nous signalions dans notre dernier article. M. Vulliaud a tout fait raison d'insister sur l'erreur de ceux qui ont voulu fre de Martines un kabbaliste ; ce qu'il y a chez lui d'inspiration incontestablementjudaque n'implique en effet aucune connaissance de ce qui doit tre proprement dsar le terme de Kabbale, qu'on emploie trop souvent tort et travers. Mais, d'autrrt, la mauvaise orthographe et le style dfectueux de Martines, que M. Vulliaud souligne un peu trop complaisamment, ne prouvent rien contre la ralit de ses connaissances dans un certain ordre ; il ne faut pas confondre l'instruction profane et le savoir initiatique ; un initi d'un ordre trs lev (ce que ne fut certainement p

    tines) peut mme tre tout fait illettr, et cela se voit assez souvent en Orient. semble d'ailleurs que M. Vulliaud se soit complu prsenter sous son plus mauvais jr le personnage nigmatique et complexe de Martines ; M. Le Forestier s'est montr aurment beaucoup plus impartial ; et, aprs tout cela, il reste encore bien des points lucider. Ces obscurits persistantes prouvent la difficult de ces tudes sur doses qui semblent parfois avoir t embrouilles plaisir ; aussi faut-il savoir grulliaud d'y avoir apport sa contribution, et, bien qu'il s'abstienne de formuler auconclusion, son travail fournit tout au moins une documentation nouvelle en grande partie et, dans son ensemble, fort intressante3. Aussi, puisque ce travail doit avoir une suite, nous souhaitons que M. Vulliaud ne la fasse pas trop longtemps attendre ses lecteurs, qui y trouveront certainement encore beaucoup de choses curieuses et dignes d'attention, et peut-tre le point de dpart de rflexions queeur, se renfermant dans son rle d'historien, ne veut pas exprimer lui-mme.

    Signalons en passant une erreur historique qui est vraiment trop grosse pour n'trepas l'effet d'une simple distraction : M. Vulliaud crit qu' Albric Thomas, par op Papus, fonda avec quelques autres le Rite de Misram (note de la p. 42) ; or ce ite fut fond en Italie vers 1805 et introduit en France en 1814 par les frres Bdaide.

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    PROPOS DES PLERINAGESPubli dans Voile d'Isis , juin 1930.

    La rcente reproduction, dans le Voile d'Isis, du remarquable article de M. Grillotde Givry sur les lieux de plerinages nous amne revenir sur cette question laqunous avons dj fait ici quelques allusions, ainsi que M. Clavelle le rappelait dans sa prsentation de cet article. Notons tout d'abord que le mot latin peregrinus, dvient plerin , signifie la fois voyageur et tranger . Cette simple remeu dj des rapprochements assez curieux : en effet, d'une part, parmi les Compagnil en est qui se qualifient de passants et d'autres d' trangers , ce qui corisment aux deux sens de peregrinus (lesquels se trouvent d'ailleurs aussi dans l'hb

    gershn) ; d'autre part, dans la Maonnerie, mme moderne et spculative , les poliques de l'initiation sont appeles voyages . D'ailleurs, dans beaucoup de traddiverses, les diffrents stades initiatiques sont souvent dcrits comme les tapes voyage ; parfois, c'est d'un voyage ordinaire qu'il s'agit, parfois aussi d'une navn, ainsi que nous l'avons signal en d'autres occasions. Ce symbolisme du voyage esteut-tre d'un usage plus rpandu encore que celui de la guerre, dont nous parlions ds notre dernier article ; l'un et l'autre, du reste, ne sont pas sans prsenter entreux un certain rapport, qui s'est mme traduit parfois extrieurement dans les faits istoriques ; nous pensons notamment ici au lien troit qui exista, au moyen ge, entre les plerinages en Terre Sainte et les Croisades. Ajoutons encore que, mme dansle langage religieux le plus ordinaire, la vie terrestre, considre comme une priod'preuves, est souvent assimile un voyage, et mme qualifie plus expressment e, le monde cleste, but de ce plerinage, tant aussi identifi symboliquement la

    Sainte ou Terre des Vivants 1. L'tat d' errance , si l'on peut dire, ou de mdonc, d'une faon gnrale, un tat de probation ; et, ici encore, nous pouvonsque tel est bien en effet son caractre dans des organisations comme le Compagnonnage. En outre, ce qui est vrai cet gard pour des individus peut l'tre aussi, daertains cas tout au moins pour des peuples pris collectivement : un exemple trs net est celui des Hbreux errant pendant quarante ans dans le dsert avant d'atteindrla Terre

    Pour ce qui concerne le symbolisme de la Terre Sainte nous renvoyons notre tuur le Roi du Monde, et aussi notre article paru dans le numro spcial du Voile d'consacr aux Templiers. [Note de l'diteur : Voir aussi le chapitre III de Aperus l'sotrisme chrtien et le chapitre XI de Symboles fondamentaux de la Science sacr

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    promise. Il faut d'ailleurs faire ici une distinction, car cet tat, essentiellementtransitoire, ne doit pas tre confondu avec l'tat nomade qui est normal certains ples : mme arrivs la Terre promise, et jusqu'au temps de David et de Salomon, leeux furent un peuple nomade, mais, videmment, ce nomadisme n'avait pas le mme carae que leur prgrination dans le dsert2. Il y a mme lieu d'envisager un troisime nce , que l'on peut dsigner plus proprement par le mot de tribulation : c'est s Juifs aprs leur dispersion, et aussi selon toute vraisemblance, celui des Bohmiens ; mais ceci nous entranerait trop loin, et nous dirons seulement que ce cas aussi est applicable galement des collectivits et des individus. On voit par l n ces choses sont complexes et combien il peut y avoir de distinctions faire parmi des hommes se prsentant extrieurement sous les mmes apparences, confondus avec

    es plerins au sens ordinaire de ce mot, d'autant plus qu'il faut encore ajouter cec: il arrive parfois que des initis, parvenus au but, des adeptes mme, reprennepour des raisons spciales, cette mme apparence de voyageurs . Mais revenons auxins : on sait que leurs signes distinctifs taient la coquille (dite de saint Jacques) et le bton ; ce dernier, qui a aussi un troit rapport avec la canne compagnonnique, est naturellement un attribut du voyageur, mais il a bien d'autres significations, et peut-tre consacrerons-nous quelque jour cette question une tude spciQuant la coquille, en certaines rgions, elle tait appele creusille et ce mre rapproch de celui de creuset ce qui nous ramne l'ide d'preuves, envisagirement selon un symbolisme alchimique, et entendue dans le sens de la purification , la Katharsis des Pythagoriciens, qui tait prcisment la phase prparatoire diation3. La coquille tant regarde plus spcialement comme l'attribut de saint Jacqnous sommes amens faire ce propos une remarque concernant le plerinage de Sai

    acques de Compostelle. Les routes que suivaient autrefois les plerins sont souvent appeles, aujourd'hui encore, chemins de saint Jacques ; mais cette expressionn mme temps une tout autre application : le chemin de saint Jacques , en effet ds le langage des paysans, c'est aussi la Voie Lacte ; et ceci semblera peut-tre mos inattendu si l'on observe que Compostelle, tymologiquement, n'est pas autre chose ue le champ toil . Nous rencontrons ici une autre ide, celle des voyages cleurs en corrlation avec les voyages terrestres ; c'est encore l un point sur lequeil ne nous est pas possible d'insister prsentement, et nous indiquerons seulement que l'on peut pressentir par l une certaine correspondance entre la situation gograpique des lieux de plerinages et l'ordonnance mme de la sphre cleste ; ici, la gsacre laquelle nous avons fait allusion s'intgrera donc dans une vritable ie sacre .2

    La distinction des peuples nomades (pasteurs) et sdentaires (agriculteurs), qui remonte aux origines mmes de l'humanit terrestre, a une grande importance pour la cprhension des caractres spciaux des diffrentes formes traditionnelles. 3 On poure reporter ici ce que nous avons dit dans Le Roi du Monde sur la dsignation des initis, dans des traditions diverses, par des termes se rapportant l'ide de pur

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    Encore propos des routes de plerinages, il convient de rappeler que M. Joseph Bdr a eu le mrite de reconnatre le lien existant entre les sanctuaires qui en marquaient les tapes et la formation des chansons de geste. Ce fait pourrait tre gnralous semble-t-il, et l'on pourrait dire la mme chose en ce qui concerne la propagation d'une multitude de lgendes dont la relle porte initiatique est malheureusement sque toujours mconnue des modernes. En raison de la pluralit de leurs sens, les rts de ce genre pouvaient s'adresser la fois la foule des plerins ordinaires et utres ; chacun les comprenait suivant la mesure de sa propre capacit intellectuelle, et quelques-uns seulement en pntraient la signification profonde, ainsi qu'il rive pour tout enseignement initiatique. Il y a lieu de noter aussi que, si divers que fussent les gens qui parcouraient les routes, y compris les colporteurs e

    t mme les mendiants, il s'tablissait entre eux, pour des raisons sans doute assez fficiles dfinir, une certaine solidarit se traduisant par l'adoption en commun dngage conventionnel spcial, argot de la Coquille, ou langage des prgrins . Cessante, M. Lon Daudet a fait remarquer dans un de ses rcents livres que beaucoupde mots et de locutions appartenant ce langage se rencontrent chez Villon et chez Rabelais4 ; et, au sujet de ce dernier, il indique aussi, ce qui est assez digne de remarque au mme point de vue, que, pendant plusieurs annes, il prgrina le Poitou, province ce moment-l clbre par les mystres et les farces qu'on y int et aussi par les lgendes qui y couraient ; dans Pantagruel, on retrouve trace de ces lgendes, de ces farces, et un certain nombre de termes appartenant en propre aux Poitevins 5. Si nous citons cette dernire phrase, c'est que, outre qu'il y eait mention de ces lgendes dont nous parlions tout l'heure, elle soulve encore uutre question en liaison avec ce dont il s'agit ici, celle des origines du thtre :

    elui-ci, tout d'abord, fut d'une part essentiellement ambulant, et d'autre part revn caractre religieux, au moins quant ses formes extrieures, caractre religieuest rapprocher de celui des plerins et des gens qui en prenaient les apparences.Ce qui donne encore plus d'importance ce fait, c'est qu'il n'est pas particulier du moyen ge ; l'histoire du thtre dans la Grce antique est tout fait analogue, ourrait aussi trouver des exemples similaires dans la plupart des pays d'Orient. Mais il faut nous borner, et nous envisagerons seulement encore un dernier point, propos de l'expression de nobles voyageurs applique aux initis, ou tout au mrtains d'entre eux, prcisment en raison de leurs prgrinations. Ldessus, M. O. VMilosz a crit ce qui suit : Les nobles voyageurs , c'est le nom secret des inil'antiquit, transmis par la tradition orale ceux du moyen ge et des temps modernIl a t prononc pour la dernire fois en public le 30 mai 1786, Paris, au cours ce du Parlement consacre l'interrogatoire d'un accus clbre (Cagliostro), victi

    hltaire Thveneau de Morande. Les prgrinations des initis ne se distinguaient denaires voyages d'tudes que par le fait que leur itinraire concidait rigoureusemenous ses apparences de course4 5

    Les Horreurs de la Guerre, pp. 145, 147 et 167. Ibid. p. 173.

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    aventureuse, avec les aspirations et les aptitudes les plus secrtes de l'adepte. Les exemples les plus illustres de ces plerinages nous sont offerts par Dmocrite, initi aux secrets de l'alchimie par les prtres gyptiens et le mage Ostans, comme atrines asiatiques par ses sjours en Perse et, selon quelques historiens, aux Indes ; Thals, form dans les temples d'gypte et de Chalde ; Pythagore, qui visita topays connus des anciens (et trs vraisemblablement l'Inde et la Chine) et dont le sour en Perse fut marqu par les entretiens qu'il y eut avec le mage Zaratas, en Gaule par sa collaboration avec les Druides, enfin en Italie par ses discours l'Assemble des Anciens de Crotone. ces exemples, il conviendrait d'ajouter les sjours deacelse en France, Autriche, Allemagne, Espagne et Portugal, Angleterre, Hollande, Danemark, Sude, Hongrie, Pologne, Lithuanie, Valachie, Carniole, Dalmatie, Russ

    ie et Turquie, ainsi que les voyages de Nicolas Flamel en Espagne, o Maistre Canches lui apprit dchiffrer les fameuses figures hiroglyphiques du Livre d'Abraham . Le pote Robert Browning a dfini la nature secrte de ces plerinages scientifiquans une strophe singulirement riche d'intuition : Je vois mon chemin comme l'oisea route sans trace ; quelque jour, Son jour d'heur, j'arriverai. Il me guide, Il guide l'oiseau. Les annes de voyage de Wilhelm Meister ont la mme signification iniique 6 . Nous avons tenu reproduire ce passage en entier, malgr sa longueur, enaison des exemples intressants qu'il renferme ; sans doute pourrait-on en trouver encore beaucoup d'autres plus ou moins connus, mais ceux-l sont particulirement cartristiques, encore qu'ils ne se rapportent peut-tre pas tous au mme cas parmi ceue nous avons distingus plus haut, et qu'il ne faille pas confondre les voyages d', mme rellement initiatiques avec les missions spciales des adeptes ou mme de ns initis d'un moindre degr. Pour en revenir l'expression de nobles voyageurs

    quoi nous voulons surtout attirer l'attention, c'est que l'pithte nobles semblqu'elle doit dsigner, non pas toute initiation indistinctement, mais plus proprement une initiation de Kshatriyas, ou ce qu'on peut appeler l' art royal suivant le able conserv jusqu' nos jours par la Maonnerie. En d'autres termes, il s'agirait e initiation se rapportant, non l'ordre mtaphysique pur, mais l'ordre cosmologiaux applications qui s'y rattachent, ou tout ce qui en Occident, a t compris soppellation gnrale d' hermtisme 7 . S'il en est ainsi, M. Clavelle a eu parfaiton de dire que, tandis que saint Jean correspond au point de vue purement mtaphysique de la Tradition, saint Jacques correspondrait plutt au point de vue des sciences traditionnelles ; et, mme sans voquer le rapprochement, cependant fort plauble, avec le matre Jacques du compagnonnage, bien des indices concordants tendrent prouver que cette correspondance est effectivement justifie. C'est bien ce dine, que l'on peut qualifier d' intermdiaire , que se rfre en effet tout ce qui

    g par la

    Les Arcanes, pp. 81-82. Sur la distinction des deux initiations sacerdotale et royale, nous renverrons notre dernier livre, Autorit spirituelle et pouvoir temporel.7

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    voie des plerinages, aussi bien que les traditions du Compagnonnage ou celles desBohmiens. La connaissance des petits mystres qui est celle des lois du devequiert en parcourant la roue des choses mais la connaissance des grands mystrnt celle des principes immuables, exige la contemplation immobile dans la grandesolitude au point fixe qui est le centre de la roue, le ple invariable autour duquel s'accomplissent, sans qu'il y participe, les rvolutions de l'Univers manifest

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    L'NIGME MARTINES DE PASQUALLYPubli dans tudes Traditionnelles , mai juillet 1936.

    L'histoire des organisations initiatiques est souvent fort difficile claircir, etela se comprend facilement par la nature mme de ce dont il s'agit, car il y a l trd'lments qui chappent ncessairement aux moyens d'investigation dont disposent lriens ordinaires. Il n'y a mme pas besoin, pour s'en rendre compte, de remonter dques trs recules ; il suffit de considrer le XVIIIe sicle, o l'on voit, coexistre avec les manifestations de l'esprit moderne dans ce qu'il a de plus profane et deplus anti-traditionnel, ce qui semble bien tre les derniers vestiges de divers courants initiatiques ayant exist jadis dans le monde occidental, et au cours duqu

    el apparaissent des personnages qui ne sont pas moins nigmatiques que les organisations auxquelles ils se rattachaient ou qu'ils ont inspires. Un de ces personnagesest Martines de Pasqually ; et, propos des ouvrages publis en ces dernires annur lui et sur son Ordre des lus Coens par MM. R. Le Forestier et P. Vulliaud, nous avons eu dj l'occasion de remarquer combien de points de sa biographie demeuraieobscurs en dpit de tous les documents mis au jour 1 . M. Grard van Rijnberk vientencore de faire paratre sur ce sujet un autre livre2, qui contient galement une documentation intressante et en grande partie indite ; mais devons-nous dire que, malgr cela, ce livre pose peut-tre encore plus de questions qu'il n'en rsout3 ? L'ait d'abord remarquer l'incertitude qui rgne sur le nom mme de Martines, et il nummultiples variantes qu'on trouve dans les crits o il en est question ; il est vraqu'il ne faut pas attacher ces diffrences une importance excessive, car, au XVIIIsicle, on ne respectait gure l'orthographe des noms propres ; mais il ajoute : Q

    l'homme lui-mme qui, mieux que tout autre, aurait d connatre l'orthographe exaon propre nom ou de son pseudonyme de chef d'initiation, il a toujours sign : Don Martines de Pasqually (une seule fois : de

    Un nouveau livre sur l'Ordre des lus Coens (n de dcembre 1929) ; propos des Rx lyonnais (n de janvier 1930). 2 Un thaumaturge au XVIIIe sicle : Martines de Pqually, sa vie, son uvre, son Ordre (Felix Alcan, Paris). 3 Signalons incidemmentune petite erreur : M. van Rijnberk, en parlant de ses prdcesseurs, attribue M. en Philipon les notices historiques signes Un Chevalier de la Rose Croissante ervant de prfaces aux ditions du Trait de Ia Rintgration des tres de Martines ally et des Enseignements secrets de Martines de Pasqually de Branz von Baader publies dans la Bibliothque Rosicrucienne . tonn de cette affirmation, nous ava question M. Philipon lui-mme ; celui-ci nous a rpondu qu'il a seulement tradui

    uscule de von Baader, et que, comme nous le pensions, les deux notices en question sont en ralit d'Albric Thomas.

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    Pascally de La Tour). Dans l'unique acte authentique que l'on connat, l'acte de bape son fils, son nom est ainsi formul : Jaques Delivon Joacin Latour de La Case, don Martinets de Pasqually. Il est inexact que l'acte en question, qui a t publi apus4, soit l'unique acte authentique que l'on connat , car deux autres, qui ont doute chapp l'attention de M. von Rijnberk, ont t publis ici mme5 : l'acte dartines, et le certificat de catholicit qui lui fut dlivr lors de son dpart pnt-Domingue. Le premier porte : Jaque Delyoron Joachin Latour De la Case Martines Depasqually, fils lgitime de feu M. Delatour de la Case et de dame Suzanne Dumas de Rainau 6 ; et le second porte simplement : Jacques Pasqually de Latour ; qnt la signature de Martines lui-mme, elle est, sur le premier, Don Martines Depqually et, sur le second, Depasqually de la Tour . Le fait que son pre, dans l

    de Mariage, est nomm simplement Delatour de la Case (de mme d'ailleurs que son dans l'acte de baptme, bien qu'une note marginale l'appelle de Pasqually sans dce que ce nom tait plus connu), parat venir l'appui de ce qu'crit ensuite M. vark : On serait tent d'en dduire que son vritable nom tait de La Case, ou de Laet que Martines de Pasqually n'a t qu'un hironyme. Seulement, ce nom de La Las Cases qui peut tre une forme francise du nom espagnol de Las Casas, soulve enre d'autres questions ; et, tout d'abord, il faut remarquer que le second successeurde Martines comme Grand Souverain de l'Ordre des lus Coens (le premier ayant tet de Lestre) s'appelait Sbastien de Las Casas ; y avait-il quelque parent entre et Martines ? La chose n'a rien d'impossible : il tait de Saint-Domingue, et Martins'tait rendu dans cette le pour y recueillir un hritage, ce qui peut faire suppoqu'une partie de sa famille s'y tait tablie7. Mais il y a encore autre chose de beup plus trange : L.-Cl. de Saint-Martin, dans son Crocodile, met en scne un Juif

    spagnol nomm lazar, auquel il prte visiblement beaucoup de traits de son ancieMartines ; or voici en quels termes cet lazar explique les raisons pour lesquelles il avait t oblig de quitter l'Espagne et de se rfugier en France : J'avois mi chrtien, appartenant la famille de Las-Casas, laquelle j'ai, quoiqu'indirectles plus grandes obligations. Aprs quelques prosprits dans le commerce, il fut sdainement ruin de fond en comble par une banqueroute frauduleuse. Je vole l'instachez lui, pour prendre part sa peine, et lui offrir le peu de ressources dont ma mdiocre fortune me permettoit de disposer ; mais ces ressources tant trop lgreur le mettre au pair de ses affaires, je cdai l'amiti

    Martines de Pasqually, pp. 10-11. Le mariage de Martines de Pasqually (n de janvier 1930). 6 On remarquera qu'il y a ici Delyoron, alors que l'acte de baptme porte Dlivon (ou peut-tre Delivron) ; ce nom tant intercal entre deux prnoms, ne semble

    leurs pas tre un nom de famille. D'autre part, il est peine besoin de rappeler qula sparation des particules (qui ne constituent pas forcment un signe nobiliaire) ait alors tout fait facultative. 7 Il est vrai qu'il y avait aussi Saint-Domingudes parents de sa femme, de sorte qu'il se pourrait que l'hritage ft venu de ce cendant, la lettre publie par Papus (Martines de Pasqually, p. 58), sans tre parfaitement claire, est bien plutt en faveur de l'autre hypothse, car il n'apparat pases deux beaux-frres qui taient Saint-Domingue aient eu un intrt quelconque danonation qui lui avait t faite.5

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    que je lui portois, et me laissai entraner ce mouvement, jusqu' faire usage de ques moyens particuliers, qui m'aidrent dcouvrir bientt la fraude de ses expoliaet mme l'endroit cach o ils avoient dpos les richesses qu'ils lui avoient enles mmes moyens, je lui procurai la facilit de recouvrer tous ses trsors, et de les aire revenir chez lui, sans que mme ceux qui les lui avoient ravis puissent souponner qui que ce ft de les en avoir dpouills leur tour. J'eus tort, sans doute, de usage de ces moyens pour un pareil objet, puisqu'ils ne doivent s'appliquer qu' listration des choses qui ne tiennent point aux richesses de ce monde ; aussi, j'enfus puni. Mon ami, instruit dans une foi timide et ombrageuse, souponna du sortilge dans ce que je venais de faire pour lui ; et son zle pieux l'emportant sur sa connaissance, comme mon zle officieux l'avoit emport sur mon devoir, il me dnona

    ise, la fois comme sorcier et comme juif. Sur le champ, les inquisiteurs en sontinstruits ; je suis condamn au feu, avant mme d'tre arrt, mais au moment o l'devoir de me poursuivre, je suis averti par cette mme voie particulire du sort qui me menace ; et sans dlai, je me rfugie dans votre patrie 8. Sans doute, il y a dns le Crocodile beaucoup de choses purement fantaisistes, o il serait bien difficile de voir des allusions prcises des vnements et des personnages rels, il ns moins fort invraisemblable que le nom de Las Casas se retrouve l par l'effet d'un imple hasard. C'est pourquoi nous avons cru intressant de reproduire le passage entier, malgr sa longueur : quels rapports pouvait-il y avoir au juste entre le Juiflazar, qui ressemble tant Martines par les pouvoirs et la doctrine qui lui ttribus, et la famille de Las Casas, et quelle pouvait tre la nature des grandes bligations qu'il avait celle-ci ? Pour le moment, nous ne faisons que formuler cquestions, sans prtendre y apporter une rponse quelconque ; nous verrons si la su

    ite nous permet d'en envisager une plus ou moins plausible9. Passons d'autres poinde la biographie de Martines, qui ne rservent pas moins de surprises : M. van Rijnberk dit qu' on ignore compltement l'anne et le lieu de sa naissance ; mais iemarquer que Willermoz crit au baron de Turkheim que Martines est mort avanc en ; et il ajoute : Au moment o Willermoz crivit cette phrase, il avait lui-mme 91 ; comme les hommes ont la tendance gnrale d'valuer l'ge des autres mortels selosure qui s'accrot avec leurs propres annes, on ne doit point douter que l'ge avanbu Martines par le nonagnaire Willermoz ne devait gure atteindre moins de 70 anomme Martines est mort en 1774, il doit tre n tout au plus dans les dix premires nes du XVIIIe sicle. Aussi penche-t-il pour l'hypothse de Gustave Bord, qui faiMartines vers 1710 ou 1715 ; mais, mme en prenant la premire date, cela8 9

    Le Crocodile, chant 23. Encore un rapprochement bizarre : Saint-Martin reprsenteLas Casas, l'ami du Juif lazar, comme ayant t spoli de ses trsors ; Martines, ttre que nous avons dj mentionne, dit : On m'a fait dans ce pays-l (c'est-dirngue) une donation d'un grand bien que je vais retirer des mains d'un homme qui le retient injustement ; et il se trouve que cette lettre a t crite, sous la dictertines, par Saint-Martin lui-mme.

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    le ferait mourir 64 ans, ce qui, vrai dire, n'est pas encore un ge avanc surapport celui de Willermoz Et puis, malheureusement, un des documents dont M. vanRijnberk ne parat pas avoir eu connaissance donne cette hypothse un dmenti form: le certificat de catholicit a t dlivr en 1772 Mr Jacques Pasqually den Grenoble, g de 45 ans ; il faudrait conclure de l qu'il est n vers 1727 mort Saint-Domingue deux ans plus tard, en 1774, il n'atteignit que l'ge bien peanc de 47 ans ! Ce mme document confirme en outre que, comme beaucoup l'avaient , mais contrairement l'avis de M. van Rijnberk qui se refuse l'admettre, Martinet n Grenoble. Cela ne s'oppose d'ailleurs pas, videmment, ce qu'il ait t d'o, puisque, parmi toutes celles qu'on a voulu lui assigner, c'est en faveur de celle-l qu'il semble y avoir le plus d'indices, y compris, bien entendu, le nom mme de L

    asas ; mais il faudrait alors admettre que son pre tait dj tabli en France avanaissance, et que peut-tre mme c'est en France qu'il s'tait mari. Ceci trouve d'aconfirmation dans l'acte de mariage de Martines, car le nom de sa mre, tel qu'il y et indiqu, dame Suzanne Dumas de Rainau , ne peut, gure, ce qu'il nous semble,e chose qu'un nom franais, tandis que celui de Delatour de la Case peut tre simnt francis. Au fond, la seule raison vraiment srieuse qu'on puisse avoir de douterue Martines soit n en France (car on ne peut gure prendre en considration les asstions contradictoires des uns et des autres, qui ne reprsentent toutes que de simples suppositions), ce sont les particularits de langage qu'on relve dans ses crimais, en somme, ce fait peut trs bien s'expliquer en partie par l'ducation reue espagnol, et en partie aussi par les sjours qu'il fit probablement en divers pays ;nous reviendrons plus tard sur ce dernier point. Par une concidence assez curieuse, et qui ne contribue gure simplifier les choses, il parat tabli qu'il y avai

    oble, la mme poque, une famille dont le nom tait rellement Pascalis ; mais Mar en juger par les noms ports sur les actes qui le concernent, doit lui avoir t ltement tranger. Peut-tre est-ce cette famille qu'appartenait l'ouvrier carrossin Pascalis, qu'on a appel aussi Martin Pascal ou mme Pascal Martin (car, l-dessun plus, on n'est pas trs bien fix), si toutefois celui-ci est bien vritablement ursonnage distinct, et si ce n'est pas tout simplement Martines lui-mme qui, un ceain moment, dut exercer ce mtier pour vivre, car apparemment, sa situation de fortune ne fut jamais trs brillante ; c'est l encore une chose qui semble n'avoir jamlaircie d'une faon bien satisfaisante. D'autre part, beaucoup ont pens que Martinet Juif ; il ne l'tait certainement pas de religion, puisqu'il est surabondamment prv qu'il tait catholique ; mais il est vrai que, comme le dit M. van Rijnberk, cee prjuge en rien de la question de race . Il y a bien en effet, dans la vie de Martines, quelques indices qui pourraient tendre faire supposer qu'il tait d'origine

    ve, mais qui n'ont pourtant rien de dcisif, et qui peuvent tout aussi bien s'expliqr par des affinits d'un tout autre genre qu'une communaut de race. Franz von Baadet que 32

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    Martines fut la fois juif et chrtien ; cela ne rappelle-t-il pas les rapportsJuif lazar avec la famille chrtienne de Las Casas ? Mais le fait mme de prsentecomme un Juif espagnol peut trs bien tre une allusion, non pas l'origine perde Martines, mais l'origine de sa doctrine, dans laquelle, en effet, les lmentsaques prdominent incontestablement. Quoiqu'il en soit, il reste toujours, dans la ographie de Martines, un certain nombre d'incohrences et de contradictions, parmi lesquelles la plus frappante est sans doute celle qui se rapporte son ge ; mais peut-tre M. van Rijnberk indique-til la solution, sans s'en douter, en suggrant que rtines de Pasqually tait un hironyme c'est--dire un nom initiatique. En effoi ce mme hironyme n'aurait-il pas servi, comme cela s'est produit dans d'autrilaires, plusieurs individualits diffrentes ? Et qui sait mme si les grandes

    tions que le personnage que Saint-Martin appelle le Juif lazar avait la famillLas Casas n'taient pas dues ce que celle-ci avait fourni, d'une faon ou d'une aue sorte de couverture son activit initiatique ? Il serait sans doute imprudenvouloir prciser davantage ; nous verrons cependant si ce qu'on peut savoir de l'orine des connaissances de Martines ne serait pas susceptible d'apporter encore quelques nouveaux claircissemen