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CULTURE ET CLÔTURE Paul Herman De Boeck Supérieur | Pensée plurielle 2001/1 - no 3 pages 7 à 8 ISSN 1376-0963 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2001-1-page-7.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Herman Paul, « Culture et clôture », Pensée plurielle, 2001/1 no 3, p. 7-8. DOI : 10.3917/pp.003.0007 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - McGill University - - 132.206.27.25 - 16/04/2013 16h38. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - McGill University - - 132.206.27.25 - 16/04/2013 16h38. © De Boeck Supérieur

Culture et clôture

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CULTURE ET CLÔTURE Paul Herman De Boeck Supérieur | Pensée plurielle 2001/1 - no 3pages 7 à 8

ISSN 1376-0963

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2001-1-page-7.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Herman Paul, « Culture et clôture »,

Pensée plurielle, 2001/1 no 3, p. 7-8. DOI : 10.3917/pp.003.0007

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Culture et clôturePAUL HERMAN

Le plan de systématisation des villages roumains en 1988 et le siège deSarajevo de 1992 à 1995 n’étaient pas des crimes culturels uniquement parce queici on mettait à bas du patrimoine séculaire et que, là-bas, on bombardait une bi-bliothèque exceptionnelle. Ces crimes étaient culturels en cela qu’ils détruisaient àla fois ce qui est unique et ce qui est public, ce qui est intime et ce qui est collectif.Pour atteindre l’homme, la destruction de son espace - architectural, social, poli-tique, psychologique, environnemental - est indispensable. L’annihilation desespaces est toujours la première marque des assassinats culturels. Se battre pourle maintien ou la construction d’espaces individuels, publics et collectifs est selonmoi une donnée profondément culturelle. Elle sort du champ humanitaire. Elle n’estpas seulement citoyenne. Elle n’est pas exclusivement politique.

Ces derniers jours, sans doute parce que la période le veut et que mes lec-tures actuelles 1 m’y amenaient assez bien, j’en étais arrivé à imaginer que l’inven-tion majeure de ce siècle que nous quittons, ce n’est pas la télévision ou la piluleou les biotechnologies, quoi qu’on veuille, mais le fil barbelé. Lorsque le mur deBerlin est tombé, nous avons vécu sur l’illusion que notre ennemi était un mur etqu’il était vaincu. On ne voit pas au travers d’un mur, c’est opaque, c’est dense, c’estépais. Quand il tombe, on voit bien qu’il n’est plus là. Le fil barbelé, c’est différent.Il est plus retors, il laisse de la place au paysage. Il admet la transparence, exacte-ment comme les gens qu’il enferme, dont on peut voir à travers la peau et les os.Le fil barbelé — celui qui a divisé la Grande Prairie américaine, qui a servi d’enclosde concentration et d’extermination, qui a séparé l’Europe jusqu’en 1989 — peutreprésenter, à ce titre, une métaphore presque parfaite de notre siècle. Le fil bar-belé crée des espaces en réduction, que ce soit des champs ou des camps. Le filbarbelé protège l’extérieur de la contamination culturelle, des échanges, des ren-contres. Il n’y a pas de meilleur ami des génocides que le fil barbelé. Il n’y a pas nonplus de meilleur ennemi de la complexité.

À voyager ainsi entre culture et clôture, je me suis demandé si, par hypothèse,ce qui était cultivé n’était pas également obligatoirement clôturé. Je me suis encoredemandé si le tableau du paysage culturel dressé par Jeremy Rifkin dans " l’Age del’ Accès " 2 - la culture comme premier matériau de la mutation de l’ère capitaliste -n’était pas, également par hypothèse, une reproduction, une copie, un multiple del’Âge du Barbelé.

En soi, la proposition paraît excessive. Pourtant, le passage d’une économie

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________1 J. KOTEK ET P .RIGOULOT , S. LINDGUIST, O.RAZAC – cf. bibliographie.2 J. RIFKIN, L'âge de l'accès, La découverte, 2000.

Paul HERMANT a milité dans l’ «Opération Villages Roumains» et est actuellement respons-able de «Causes Communes» (mouvement visant la création de liens intercitoyens enEurope et en Belgique). Il réfléchit ici au rôle de la culture : refuser la clôture en luttant pourun espace public d'altérité et de complexité.Le fil barbelé, n'est-il pas l'ennemi de la culture… de la complexité ?

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de la production à une économie du service va évidemment influencer la culture,pas uniquement du point de vue des comportements, mais également des con-tenus. On connaît la thèse de Rifkin : cette mutation du capitalisme qui ne fait plusde la propriété individuelle une fin sociale, mais qui la remplace par ce qu’il appelle«l’accès» - c’est-à-dire par l’abonnement, par la location ou par l’usage - permet pareffet rebond la concentration - chez les grands groupes - des moyens de la pro-duction et la monopolisation de la propriété de la propriété, si j’ose dire.

Car la propriété c’est désormais le vol de votre propriété. Qui peut évidem-ment être immatérielle. Qui, souvent, est également vous-même. C’est précisémentde votre expérience que souhaite se nourrir ce nouveau capitalisme afin de mieuxvous la revendre. Aussi vous retrouvez-vous à acheter progressivement des chosesque vous produisiez auparavant de manière gratuite. Les rapports humains, parexemple. Et on pourrait se demander, à quel type de rapports culturels serait vouéeune société où le plus souvent, les nouveaux outils de communication ne vous sug-gèrent que d’aller rencontrer ce qui vous ressemble le plus. Premier rôle de la cul-ture donc, reconstruire de l’altérité. Ce n’est pas le seul. On parle beaucoup aujour-d’hui de l’égalité aux accès en craignant un phénomène d’exclusion et une sociétéà plusieurs vitesses entre les connectés et les non-connectés. C’est une vraie ques-tion, mais elle est insuffisante si on oublie que ces accès, pour les raisons que jeviens de dire, ne vous autorisent à pénétrer que des parties et non le tout.C’est l’espace public qui est ici en question. S’il est vrai qu’il n’est pas d’hommesans société, où va-t-on désormais faire société ? Cet aspect de sectorisation, dedécoupage, de catégorisation est capital si l’on parle de la culture, cet entrelacsd’espaces intimes et collectifs.

La parcellisation des contenus parcellise aussi les espaces, parcellise aussi lapensée. Cela fait des siècles que les raisonnements mécanistes s’opposent et s’im-posent à la pensée complexe. Devons-nous nous déprendre de l’idée que des ou-tils pourtant fabriqués de façon complexe et doté de fonctions complexes nous ren-dent conséquemment complexes ou devons-nous convenir qu’ils nous renvoientsimplement à un fonctionnement fondamentalement mécaniste ? La pensée com-plexe, celle qui est aujourd’hui en cause, est, pour moi, la vraie maison de la cul-ture.

J’ai donc dit altérité, espace public, complexité, dressant une diagonale insen-sée entre l’Âge barbelé et l’Age des accès. Là où, en tant qu’acteur des droits del’homme ou de la citoyenneté, j’ai fréquenté les barbelés, en tant qu’acteur culturel,je côtoie désormais la fragmentation et la segmentation. Il y aurait d’ailleurs beau-coup à dire sur une époque où nous apprenons à vivre simultanément dans cesdeux Âges. Le rôle de la culture, ce serait donc cela, de résister aux attaques con-tre l’altérité, contre l’espace public et contre la complexité. Ne pas redécouper laGrande Prairie, message au XXIème siècle.

Bibliographie :1. JOËL KOTEK & PIERRE RIGOULOT, Le siècle des camps, J-C Lattès, 2000.

SVEN LINDQVIST, Exterminez toutes ces brutes, Le Serpent à Plumes, 1999.OLIVIER RAZAC, Histoire politique du barbelé, La Fabrique, 2000.

2. JEREMY. RIFKIN, L'âge de l'accès, La découverte, 2000.

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