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Cyrano de Bergerac Edmond Rostand Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 50 établi par Denis Roger-Vasselin, professeur certifié de Lettres classiques, enseignant en École européenne

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Cyrano de Bergerac

Edmond Rostand

L i v r e t p é d a g o g i q u e correspondant au livre élève n° 50

établi par Denis Roger-Vasselin,

professeur certifié de Lettres classiques, enseignant en École européenne

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Sommaire – 2

S O M M A I R E

AV A N T - P R O P O S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

T A B L E D E S C O R P U S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Bilan de première lecture (p. 324)................................................................................................................................................................5

Acte I, scène 4 (pp. 42 à 67) .........................................................................................................................................................................7 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 68-69).............................................................................................................................7 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 70 à 79) ...........................................................................................................12

Acte IV, scène 7 (pp. 250 à 257) .................................................................................................................................................................16 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 258 à 270) ...................................................................................................................16 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 261 à 268) .......................................................................................................21

C O M P L É M E N T S A U X N O T E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

U N D E M I - S I È C L E D E M É T A M O R P H O S E S D É C I S I V E S ( C O M P L É M E N T H I S T O R I Q U E ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

S U G G E S T I O N S D E T R A V A U X S U R L E S I M A G E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

B I B L I O GR A P H I E C O M P L É M E N T A I R E , S I T E S I N T E R N E T , F I L M O GR A P H I E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2008. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com

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Cyrano de Bergerac – 3

A V A N T - P R O P O S

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand permettra d’étudier le genre théâtral, et plus précisément le drame romantique, le personnage de théâtre et l’utilisation du registre. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

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Table des corpus – 4

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus Composition du corpus Objet(s) d’étude

et niveau(x)

Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques

Les morceaux de bravoure (p. 70)

Texte A : Extrait de la scène 4 de l’acte I de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (p. 55, v. 310, à p. 59, v. 389). Texte B : Extrait de la scène 3 de l’acte V du Mariage de Figaro de Beaumarchais (pp. 70-73). Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte I de Dom Juan ou le Festin de pierre de Molière (pp. 73-75). Texte D : Extrait de la scène 3 de l’acte III de Lorenzaccio d’Alfred de Musset (pp. 75-76). Texte E : Extrait de la scène 2 de l’acte II de Ruy Blas de Victor Hugo (pp. 76-78).

Le théâtre : genres et registres (le comique et le tragique) (Seconde). Le théâtre : texte et représentation (Première).

Question préliminaire De quelle manière (avec quelles ressources ou armes) Cyrano joue-t-il ici les différents personnages qu’il énumère ? Commentaire Vous attacherez de l’importance à la théâtralité redoublée (théâtre dans le théâtre) de la scène.

L’ivresse dans tous ses états (p. 261)

Texte A : Extrait de la scène 7 de l’acte IV de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (p. 254, v. 2075, à p. 257, v. 2090). Texte B : Extrait du chapitre 5 de Gargantua de François Rabelais (pp. 262-263). Texte C : Extrait du chapitre 2 (livre IV, t. XII) des Misérables de Victor Hugo (pp. 263-264). Texte D : Extrait du chapitre VI de L’Assommoir d’Émile Zola (pp. 264-265). Texte E : Poème Enivrez-vous, extrait des Petits Poèmes en prose de Charles Baudelaire (p. 265). Document : L’Ivresse de Polichinelle de Joseph Faverot (p. 266).

L’éloge et le blâme (Seconde). L’argumentation : convaincre, persuader et délibérer (Première).

Question préliminaire Quel extrait préférez-vous ? Justifiez votre choix. Commentaire Vous montrerez notamment en quoi le texte B s’apparente à une scène de théâtre.

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Cyrano de Bergerac – 5

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 3 2 4 )

u Cf., dans le livre de l’élève, le tableau de la page 342. v

ACTES & TITRES LIEUX ANNÉES I

Une représentation à l’Hôtel de Bourgogne Paris

(au théâtre de l’Hôtel de Bourgogne) 1640

II La Rôtisserie des poètes

Paris (dans la boutique du rôtisseur-pâtissier

Ragueneau)

1640

III Le Baiser de Roxane

Paris (sous les fenêtres de Roxane)

1640

IV Les Cadets de Gascogne

Arras (au siège d’Arras face aux Espagnols)

1640

V La Gazette de Cyrano

Paris (dans le parc du couvent des Dames de la

Croix)

1655

w Si l’attention du public est surtout accaparée par Cyrano, souverainement omniprésent, le nœud principal de l’action se concentre ici (paradoxalement, puisqu’elle ne fait qu’une brève apparition) autour de Roxane, aimée tout à la fois de trois hommes – trois autres personnages principaux – et avec une égale détermination : Christian, De Guiche et Cyrano. Sans cette donnée fondamentale, l’action ne serait toujours pas nouée – la ballade de Cyrano contre Valvert ou le complot contre Lignière ne constituant que des péripéties. x Le paradoxe de Ragueneau est d’être un pâtissier qui se nourrit surtout de vers : lui qui dresse un portrait à la fois pittoresque et chaleureux de Cyrano à l’acte I confirme, en action, qu’il se contente de nourritures spirituelles et lyriques (alors qu’il nourrit les soi-disant poètes) ; homme public, il est le double « positif » de Cyrano : généreux sans agressivité, compréhensif sans illusion, admiratif sans jalousie. y Le vers résumant le pacte que Cyrano propose à Christian, en réponse à son manque d’éloquence mais au prix de mensonges lourds de menaces pour l’avenir, est le suivant : « Je serai ton esprit, tu seras ma beauté » (II, 11, v. 1146). Pacte destiné à conquérir leur blonde précieuse et scellé par la remise, à Christian, de la lettre que Cyrano avait écrite à Roxane sans la lui remettre, chez Ragueneau (II, 6). Mais, surtout, en proposant un tel pacte à Christian, Cyrano contrevient, pour la première fois, à la franchise dont il se prétendait « empanaché » (cf. « Empanaché d’indépendance et de franchise », I, 4, v. 376) : même si c’est pour la bonne cause, ce mensonge amoureux ne peut aboutir qu’à une mésalliance des cœurs et une déchirure des existences. U Roxane réserve d’abord un accueil glacial d’indifférence à De Guiche venu lui annoncer son départ pour Arras ; mais, apprenant que ce départ est aussi celui des Cadets, puisque De Guiche est nommé à la tête du régiment de Carbon, elle déploie des trésors d’invention pour le convaincre de punir Cyrano et ses compagnons en les privant de danger, donc en ne les emmenant pas avec lui à Arras ; mieux ou pis : elle laisse De Guiche voir, dans cette manœuvre complice, une preuve d’amour, que doit confirmer un rendez-vous nocturne. V et W Le pacte conclu entre Christian et Cyrano fonctionne à merveille, à en juger par les réactions enthousiastes de Roxane aux lettres qu’elle a reçues du duo : elle attend maintenant de Christian qu’il improvise brillamment sur l’amour. Cyrano, ravi, en informe son double ; mais Christian prétend se tirer seul d’affaire désormais. Vexé, Cyrano le laisse affronter Roxane : celle-ci, à la grande satisfaction de son cousin, déplore les pannes d’inspiration de son beau baron, qui rappelle son double à la rescousse. D’abord dans le rôle du souffleur, puis dans le rôle même de Christian, Cyrano, caché dans l’ombre nocturne du balcon de Roxane et vite dépassé par le jeu du double duo, se lance dans une

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Réponses aux questions – 6

bouleversante et enivrante déclaration d’amour qui fait passer sa cousine « du sourire au soupir, et du soupir aux larmes » et permet à Christian de venir cueillir le baiser tant désiré. Court bonheur néanmoins : un capucin « simple comme une chèvre », porteur d’un message de De Guiche fixant rendez-vous à Roxane dans un couvent voisin, réapparaît. Celle-ci réagit instantanément, en travestissant, à voix haute, le contenu du message : il lui faut se soumettre à la terrible épreuve d’épouser Christian sur l’heure ! Durant le quart d’heure que doit durer cette cérémonie, Cyrano est chargé de « distraire » et retenir De Guiche, qui surgit, masqué, pour son rendez-vous avec Roxane. Mission accomplie de la plus spectaculaire des manières : Cyrano feint de tomber de la Lune et transforme l’exaspération initiale de De Guiche en attention captivée, puis en stupéfaction face aux deux jeunes mariés. Mais court bonheur de nouveau : De Guiche se venge immédiatement en chargeant Christian de transmettre l’ordre de départ des Cadets. X De Guiche fait deux apparitions au camp. Au siège d’Arras, les cadets de Carbon crient famine : bien qu’assiégeant la ville aux mains des Espagnols, ils sont en effet eux-mêmes assiégés, une manœuvre de l’ennemi ayant coupé leur approvisionnement. Cyrano, lui, ne s’occupe que de faire acheminer les lettres que, chaque jour, dépassant sa promesse, il écrit à Roxane. Leur orgueil interdit toutefois aux Gascons de montrer qu’ils souffrent à De Guiche venant les voir une première fois. À leur colonel soulignant l’efficacité de sa dernière manœuvre militaire, Cyrano oppose le sens du panache et de l’action d’éclat (« Mais on n’abdique pas l’honneur d’être une cible ! », v. 1862), et joint le geste à la parole, rendant à De Guiche son écharpe tombée en un lieu « où nul ne peut aller la chercher ». Sans faiblir, De Guiche s’en sert aussitôt pour avertir un faux espion espagnol et lui signaler que l’ennemi peut désormais les attaquer ici, d’autant plus facilement que, partie escorter leur maréchal tentant une jonction avec les troupes de ravitaillement, « la moitié de l’armée est absente du camp » : De Guiche trouve ainsi le moyen d’assouvir sa vengeance. Cyrano l’en remercie et remet à Christian une lettre d’adieu écrite le matin même : Christian y décèle une larme, mais l’arrivée-surprise d’un carrosse royal interrompt l’explication. À la stupéfaction générale, le « service du Roi » annoncé a les traits de Roxane, venue à travers les lignes ennemies avec l’aisance de celle qui rejoint son « amant » et non pas son mari. Profitant d’une absence de De Guiche, Roxane provoque une seconde surprise : son carrosse est conduit par Ragueneau, et donc rempli de vivres ! Scène de liesse, à laquelle toutefois ne s’associent ni Christian, qui veut savoir pourquoi Roxane a pris de tels risques pour venir, ni Cyrano, qui veut prévenir Christian de la fréquence des lettres. À l’annonce du retour de De Guiche, donc pour sa seconde apparition, les affamés désormais rassasiés cachent toutes leurs vivres et reprennent leurs attitudes précédentes. Apprenant que Roxane a décidé, malgré le danger, de rester, De Guiche renonce aussi à partir et, à la faveur d’une pointe d’accent gascon dans son refus de toucher à leurs restes, conquiert tous les Cadets. at L’événement majeur qui fait de l’acte IV une tragédie est, bien sûr, la mort de Christian, « catastrophe » théâtrale amenée par les péripéties suivantes : dans la précipitation de la fin de l’acte IV, Cyrano révèle enfin son secret à Christian, qui y voit de plus en plus clair et qu’une longue déclaration de Roxane, l’assurant qu’elle l’aime désormais pour son âme et qu’elle l’aimerait même laid, achève de convaincre : sans le savoir, c’est Cyrano qu’elle aime. C’est ce dont Christian veut maintenant que Cyrano, qu’il informe avant de s’en aller, s’assure lui-même auprès d’elle. Mais, alors qu’il reçoit confirmation de l’évolution de Roxane et s’apprête à tout révéler à celle-ci, Cyrano apprend la blessure mortelle de Christian, qu’il rassure d’un ultime mensonge (« J’ai tout dit. C’est toi qu’elle aime encor », v. 2203) et dont Roxane prononce l’éloge funèbre, avant d’être « emportée » par De Guiche, au moment de l’assaut général. C’est Le Bret qui, sous la lapidaire didascalie « Il lui dit un mot tout bas » (v. 2192), apprend cette terrible nouvelle à Cyrano. Comme on le pressentait à la fin de l’acte III, « la fête est finie », et tristement : avec la mort de Christian, et malgré Ragueneau rassasiant joyeusement les Cadets affamés, la pièce a bien quitté les délices de la comédie pour les rigueurs de la tragédie. Pourtant, ce dénouement funèbre s’accompagne aussi d’une résolution des conflits intérieurs et d’une sorte d’apaisement intime généralisé, contrastant avec la guerre extérieure qui fait rage : Cyrano se sait aimé pour lui (« Mon Dieu, c’est vrai, peut-être, et le bonheur est là », v. 2191), son duo survit à la mort de Christian (« J’ai deux morts à venger : Christian et mon bonheur ! », v. 2228), Roxane a quitté les artifices de la préciosité (« Je viens te demander pardon

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Cyrano de Bergerac – 7

[…] / De t’avoir fait d’abord, dans ma frivolité, / L’insulte de t’aimer pour ta seule beauté ! », v. 2121 à 2134), et De Guiche n’est plus un rival (« Vous avez prouvé, Monsieur, votre valeur : / Fuyez en la [Roxane] sauvant ! », v. 2223-2224). ak Dans un couvent parisien, quinze ans après le siège d’Arras, ne restent que 5 des 6 protagonistes de la pièce, à savoir Roxane, De Guiche, Cyrano, Ragueneau et Le Bret. Roxane, inconsolable veuve, s’est retirée comme pensionnaire. Elle y reçoit la visite de De Guiche, devenu duc-maréchal de Gramont, désormais réconcilié avec elle et élogieux sur Cyrano qui « a vécu sans pactes, / Libre dans sa pensée autant que dans ses actes ». Chaque samedi, Cyrano vient voir sa cousine et lui tient sa « gazette », compte rendu ironique des cancans mondains. Pour la première fois, celui que son ami Le Bret, présent également, décrit comme très diminué physiquement mais toujours aussi enclin à se créer « des ennemis nouveaux », est en retard. Ragueneau sait pourquoi et l’annonce au seul Le Bret, avant qu’ils ne volent ensemble à son secours : accident ou attentat ? Les jours de Cyrano, qui a reçu « une pièce de bois » sur le crâne, sont en danger. al Malgré son état, Cyrano arrive, aidé d’une canne, et sa blessure dissimulée sous son feutre, puis s’installe dans son fauteuil habituel, sans que Roxane se retourne. Alors qu’il lui détaille sa gazette, Cyrano s’évanouit, puis se reprend. À sa demande, Roxane le laisse lire, à voix haute, la dernière lettre de Christian, qu’elle conserve sur elle depuis quinze ans ; mais, alors que « la nuit vient insensiblement » et ne permet donc plus de lire, Cyrano est trahi par sa voix, que Roxane reconnaît et qui révèle sa « généreuse imposture », malgré ses inutiles et contradictoires dénégations (« Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas ! », v. 2466). Alors que Roxane lui demande « pourquoi laisser ce sublime silence / Se briser aujourd’hui », reviennent Le Bret et Ragueneau : Cyrano « se découvre », laissant voir « sa tête entourée de linges », mais empêchant ses amis et sa cousine – qui a désormais tout compris mais dont l’ultime aveu (« Je vous aime, vivez ! », v. 2507) est inutile – d’appeler au secours. am Les deux derniers mots de la pièce sont « Mon panache », prononcés par Cyrano. En effet, pris de délire, Cyrano évoque son imminent départ au paradis, sur la Lune, énonce lui-même son épitaphe et se dresse, « l’épée haute », avant de tomber dans les bras de ses deux amis puis de disparaître, ayant reçu de Roxane un baiser sur le front et lui révélant, « en souriant », qu’il emporte avec lui « [son] panache ». Comme l’acte IV avec la mort de Christian, l’acte V – et donc la pièce –, avec la mort de Cyrano, s’achève tristement : de la comédie à la comédie héroïque et pathétique, nous sommes parvenus à la tragédie. Pourtant, là encore, ce dénouement funèbre s’accompagne d’une résolution des conflits intérieurs et d’une sorte d’apaisement intime généralisé : De Guiche n’est plus du tout un rival ; Cyrano meurt, mais aimé de Roxane en toute connaissance de cause désormais. En définitive, seule Roxane, qui, dans le même moment, découvre « toute la généreuse imposture » et la mort de celui qu’elle aime, en est réduite aux abîmes de la tragédie : « Je n’aimais qu’un seul être et je le perds deux fois ! »

A c t e I , s c è n e 4 ( p p . 4 2 à 6 7 )

◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 68-69)

La tirade du nez

u La tirade énumère exactement 20 tons différents, 19 étant qualifiés d’un adjectif (cf. v. 314, 316, 318, 320, 322, 325, 328, 330, 332, 335, 337, 339, 340, 341, 342, 343, 345, 347, 348), le dernier étant désigné par une périphrase (cf. v. 350). v L’ordre de leur succession n’est peut-être qu’apparemment aléatoire : « Agressif » (v. 314) et « Amical » (v. 316) s’opposent comme les deux termes d’une antithèse « sentimentale », puisqu’ils désignent deux sentiments respectivement hostile et favorable au nez de Cyrano ; « Descriptif » (v. 318) et « Curieux » (v. 320) se complètent dans une même désignation « extérieure », le second ajoutant une nuance affective, une volonté d’en savoir plus, que traduit le passage d’une forme affirmative à une forme interrogative ; « Gracieux » (v. 322), « Truculent » (v. 325), « Prévenant » (v. 328) et « Tendre » (v. 330) semblent constituer un « quatuor », de nouveau « sentimental », puisque se situant dans la bienveillance et l’admiration ; « Pédant » (v. 332) et « Cavalier » (v. 335) constituent une nouvelle antithèse « extérieure » ; « Emphatique » (v. 337),

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Réponses aux questions – 8

« Dramatique » (v. 339), « Admiratif » (v. 340) et « Lyrique » (v. 341) composent un nouveau « quatuor sentimental » élogieux, dans le même registre soutenu ; « Naïf » (v. 342), « Respectueux » (v. 343), « Campagnard » (v. 345), « Militaire » (v. 347), « Pratique » (v. 348) et « parodiant Pyrame en un sanglot » (v. 350) contrastent en faisant alterner formes interrogative et exclamative comme registres courant, soutenu et familier, mais se complètent dans l’extériorisation. On l’aura compris : l’apparent désordre de cette succession de tons recèle, en réalité, une savante alternance de considérations « sentimentales » et « extérieures ». w L’étroite conformité entre le titre de chaque ton et la réplique censée l’illustrer constitue la principale réussite de cette tirade : chaque ton, systématiquement annoncé en préalable, comme un programme, est parfaitement illustré, avec une extrême variété qui déjoue le piège d’une certaine répétitivité. Bien sûr, libre à chacun d’avoir ses préférences (la postérité semble avoir immortalisé le ton descriptif : cf. v. 318-319), mais on ne peut nier que, dans des genres très différents, les tons curieux (cf. v. 320-321), pédant (cf. v. 332 à 334), naïf (cf. v. 342) et campagnard (cf. v. 345-346) constituent des modèles de réussite. x D’une telle tirade, le vicomte ne peut sortir que « pétrifié » puis « suffoqué », car Cyrano ne s’est pas contenté de prononcer et réciter plus de 50 vers consécutivement ; il les a interprétés (et de quelle manière !), jouant la bagatelle de 20 rôles à la fois, en conjuguant répétitivité et variété. On dit que la pédagogie est l’art de la répétition, mais aussi que l’ennui naquit un jour de l’uniformité : avec une telle tirade, assurément Cyrano s’est montré à la fois très pédagogique et nullement ennuyeux ! En tout cas, suffisamment convaincant et efficace pour que le vicomte se retrouve « pétrifié » puis « suffoqué ». Bien sûr, on ne peut que suggérer de la faire apprendre par cœur aux élèves ! Complément / Étude stylistique de la tirade des nez : a) La tirade comporte exactement 54 vers (v. 311 à 364, pp. 55 à 57) mais un nombre de phrases difficile à déterminer, en raison de la ponctuation et du nombre élevé de propositions elliptiques et nominales ; néanmoins, on peut considérer que la tirade contient 38 phrases, ainsi comptabilisées : 1) Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! 2) On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme… 3) En variant le ton, – par exemple, tenez : 4) Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez, Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! » 5) Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse ! 6) Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! » 7) Descriptif : « C’est un roc ! 8) c’est un pic ! 9) c’est un cap ! 10) Que dis-je, c’est un cap ?… 11) C’est une péninsule ! » 12) Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ? 13) D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? » 14) Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux Que paternellement vous vous préoccupâtes De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? » 15) Truculent : « Çà, monsieur, lorsque vous pétunez, La vapeur du tabac vous sort-elle du nez Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? » 16) Prévenant : « Gardez-vous, votre tête entraînée Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! » 17) Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! » 18) Pédant : « L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane Appelle Hippocampéléphantocamélos Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os ! » 19) Cavalier : « Quoi, l’ami, ce croc est à la mode ? 20) Pour pendre son chapeau, c’est vraiment très commode ! » 21) Emphatique : « Aucun vent ne peut, nez magistral, T’enrhumer tout entier, excepté le mistral ! » 22) Dramatique : « C’est la mer Rouge quand il saigne ! » 23) Admiratif : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! » 24) Lyrique : « Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? » 25) Naïf : « Ce monument, quand le visite-t-on ? » 26) Respectueux : « Souffrez, monsieur, qu’on vous salue, C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! » 27) Campagnard : « Hé, ardé ! C’est-y un nez ? 28) Nanain ! 29) C’est queuqu’navet géant ou ben queuqu’melon nain ! » 30) Militaire : « Pointez contre cavalerie ! » 31) Pratique : « Voulez-vous le mettre en loterie ? 32) Assurément, monsieur, ce sera le gros lot ! » 33) Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot : 34) « Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître A détruit l’harmonie ! 35) Il en rougit, le traître ! » 36) – Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit : 37) Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres, Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot ! 38) Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries, Me servir toutes ces folles plaisanteries, Que vous n’en eussiez pas articulé le quart De la moitié du commencement d’une, car Je me les sers moi-même, avec assez de verve, Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. » b) La ponctuation, dans la répartition des différents types de phrases, fait ressortir l’abondance de propositions exclamatives (cf. v. 311, 315 à 319, 329, 331, 334, 336, 338, 339, 340,

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344 à 347, 349, 352) par rapport aux propositions interrogatives (cf. v. 320, 321, 324, 327, 335, 341, 342, 345, 348). c) On relève des enjambements aux v. 314-315, 322 à 324, 325 à 327, 328-329, 330-331, 332 à 334, 337-338, 343-344, 351-352, 353-354, 355 à 357 et 358 à 364. Ces très nombreux enjambements confirment que les limites respectives des phrases et des vers ne coïncident que rarement, ceux-ci ne marquant pas souvent la limite de celles-là. Mais on peut remarquer aussi que les places respectives des rimes et des vers ne coïncident pas non plus avec celles des différents tons, comme le récapitule le tableau suivant (dont les cases grisées révèlent que seuls les vers 335-336, 337-338, 343-344 et 345-346 marquent une parfaite coïncidence entre ton, rimes et vers) :

TON RIMES VERS

« Agressif » « nez / amputasse » v. 314-315

« Amical » « tasse /hanap » v. 316-317

« Descriptif » « cap / péninsule » v. 318-319

« Curieux » « capsule / ciseaux » v. 320-321

« Gracieux » « oiseaux / préoccupates / pattes » v. 322 à 324

« Truculent » « pétunez / nez / cheminée » v. 325 à 327

« Prévenant » « entraînée / sol » v. 328-329

« Tendre » « parasol / fane » v. 330-331

« Pédant » « Aristophane / […] camélos / os » v. 332 à 334

« Cavalier » « mode / commode » v. 335-336

« Emphatique » « magistral / mistral » v. 337-338

« Dramatique » « saigne » v. 339

« Admiratif » « enseigne » v. 340

« Lyrique » « triton » v. 341

« Naïf » « visite-t-on » v. 342

« Respectueux » « salue / rue » v. 343-344

« Campagnard » « Nanain / nain » v. 345-346

« Militaire » « cavalerie » v. 347

« Pratique » « loterie / lot » v. 348-349

« parodiant Pyrame » « sanglot / maître / traître » v. 350 à 352 • On relève des allitérations à presque tous les vers, mais les plus frappantes se trouvent : – aux v. 318-319 (en k : « Descriptif : “C’est un roc ! c’est un pic ! c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ?… C’est une péninsule !” », mais aussi en p : « Descriptif […] pic […] cap […] cap […] péninsule ») ; – aux v. 322 à 324 (en p : « Gracieux : “Aimez-vous à ce point les oiseaux Que paternellement vous vous préoccupâtes De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ?” », mais aussi en t : « […] paternellement […] préoccupâtes […] tendre […] petites pattes ») ; – aux v. 325 à 327 (simultanément en t : « Truculent : “Çà, monsieur, lorsque vous pétunez, La vapeur du tabac vous sort-elle du nez Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ?” », en r : « Truculent […] lorsque […] vapeur […] sort […] crie », en k : « Truculent […] lorsque […] qu’un […] crie », en p : « […] pétunez […] vapeur […] », et en n : « […] pétunez […] nez […] ne ») ; – aux v. 330-331 (en f : « Tendre : “Faites-lui faire un petit parasol De peur que sa couleur au soleil ne se fane !” », comme en p : « […] petit parasol […] peur », et en s : « parasol […] sa […] soleil […] se ») ; – aux v. 332-333 (en s : « Pédant : “L’animal seul, monsieur, qu’Aristophane Appelle Hippocampéléphanto-camélos Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d’os !” », mais aussi en f : « […] qu’Aristophane […] Hippocampéléphantocamélos […] front […] ») ; – aux v. 343-344 (en s : « Respectueux : “Souffrez, monsieur, qu’on vous salue, C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue !” », mais aussi en r : « Respectueux : “Souffrez […] avoir […] sur rue !” »).

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Réponses aux questions – 10

• On peut d’ailleurs souligner que des allitérations en r apparaissent à tous les vers sans exception, entre les v. 347 et 364, jusqu’à la fin de la tirade :

« Militaire : «Pointez contre cavalerie !» Pratique : «Voulez-vous le mettre en loterie ? Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !» Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot : «Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître A détruit l’harmonie ! Il en rougit, le traître !» – Voilà ce qu’à peu près, mon cher, vous m’auriez dit Si vous aviez un peu de lettres et d’esprit : Mais d’esprit, ô le plus lamentable des êtres, Vous n’en eûtes jamais un atome, et de lettres Vous n’avez que les trois qui forment le mot : sot ! Eussiez-vous eu, d’ailleurs, l’invention qu’il faut Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries, Me servir toutes ces folles plaisanteries, Que vous n’en eussiez pas articulé le quart De la moitié du commencement d’une, car Je me les sers moi-même, avec assez de verve, Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. »

d) Cette tirade illustre à merveille le précepte de Cyrano, énoncé au v. 246, évoquant « le vers qu’il faut laisser s’envoler ». La multiplication des enjambements contribue à cet envol du vers « cyranien ».

Les « élégances » de Cyrano y Les « élégances » de Cyrano (v. 368 à 382) reposent sur l’opposition moral / physique, comme l’indique le premier vers et comme le confirment les jeux de mots : « Un affront pas très bien lavé » (v. 372), « la conscience / Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil » (v. 372-373), « Un honneur chiffonné » (v. 374), « Mon âme que je cambre » (v. 378), « Retroussant mon esprit » (v. 380). U Le jeu de scène précis de Cyrano, indiqué par les didascalies, dans notre extrait comme dans ces deux scènes (I, 3-4), se limite à de rares mais décisives interventions, où alternent statisme et mouvements. Cyrano, qui n’est d’abord qu’« une voix, au milieu du parterre » (didascalie du v. 182), devient « une canne au bout d’un bras jailli[e] au-dessus des têtes » (didascalie du v. 189), avant de « [surgir] du parterre, debout sur une chaise, les bras croisés, le feutre en bataille, la moustache hérissée, le nez terrible » (didascalie du v. 190) : cette position « debout sur une chaise » accentue la théâtralisation de son irruption très mouvementée et le rôle central qu’y joue cette chaise1, confirmés par les interventions suivantes, plus statiques, où il « descend de sa chaise, s’assied au milieu du rond qui s’est formé, s’installe comme chez lui » (didascalie du v. 231), puis, « épanoui, se renverse sur sa chaise et croise ses jambes » (didascalie du v. 235), avant de s’adresser, « gracieux, toujours assis » (didascalie du v. 242), au jeune homme, puis de « [tourner] sa chaise vers le bourgeois, respectueusement » (didascalie du v. 248), et de faire de même « vers les loges, galant » (didascalie du v. 251), enfin « vers la scène » (didascalie du v. 255), à l’adresse de Bellerose, après quoi « il se lève, et [lance] un sac sur la scène » (didascalie du v. 258). Le rôle joué jusqu’alors par la chaise est ensuite dévolu à l’épée (cf. les didascalies des v. 268 et 271). Et, du statisme initial de la représentation autour de la chaise, on passe à un Cyrano en action, « marchant sur [le fâcheux] » (didascalie du v. 275), le souffletant (didascalie du

1. Chaise dont on peut se demander s’il s’agit de celle que réclamait un marquis (cf. v. 175) ; faisons surtout observer que cette chaise prise par le marquis, une fois qu’elle est « passée de main en main, au-dessus des têtes » (didascalie du v. 175), peut, rétrospectivement, sembler annoncer celle de Cyrano.

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Cyrano de Bergerac – 11

v. 298), puis qui, « le retourn[ant] par les épaules, joignant le geste à la parole » (didascalie du v. 301), lui botte les fesses. Face à Valvert, dans notre extrait, nous constatons de nouveau le statisme d’un Cyrano qui répond « gravement » et reste « imperturbable » (didascalies des v. 310-311), avant de pétrifier le vicomte avec la tirade des nez. Puis, il s’agit du retour au mouvement avec les assauts de la ballade de l’Hôtel bourguignon. Enfin, de rares mouvements empreints de délicatesse, vis-à-vis de la distributrice, pour conclure la scène (cf. toutes les didascalies de la fin de la scène 4) sur un baisemain (auquel répond une révérence). V La suite immédiate de ce « morceau de bravoure » aboutit à la « ballade du duel de l’hôtel bourguignon » (v. 394 à 434) : a) Son utilité dramatique est assez restreinte, dans la mesure où la seule tirade des nez constituait déjà une offense suffisante à l’encontre de Valvert, qui en était sorti « pétrifié » puis « suffoqué » ; néanmoins, cette précédente offense n’était que verbale, alors que la ballade permet à Cyrano de joindre le geste à la parole, et de le faire délibérément2 : offense plus grave que cette atteinte physique, et doublement, puisque non seulement Valvert est touché3 dans sa chair, mais qu’il l’est à l’épée, symbole et apanage de la noblesse (puisque le port en est réservé aux nobles) ; qui pis est, cette offense est subie publiquement, ce qui joint l’humiliation sociale et morale à l’atteinte physique. Sur le plan dramatique, dès lors que Valvert est verbalement puis physiquement « éliminé », alors que nous savons le rôle qu’il doit jouer dans la relation De Guiche / Roxane, la ballade et son issue « promettent » une réaction du redoutable De Guiche ; mais elle sert surtout à montrer le Cyrano-bretteur en action, après le Cyrano-rimeur de la tirade des nez. b) Les multiples sens du refrain sont : au sens propre, à la fin de l’envoi d’une ballade, Cyrano atteint physiquement son adversaire, en le blessant ou en le tuant ; au sens figuré, à la fin de l’envoi de ses mots, comme dans la tirade des nez, Cyrano blesse ou vexe ou désarme ses adversaires, comme il suscite l’admiration des spectateurs et de ses amis. La suite de la pièce montrera que ce qui est vrai de Cyrano à l’oral l’est aussi à l’écrit : à la fin de l’envoi de ses lettres, Cyrano touchera le cœur de Roxane. Mais ce refrain peut aussi revêtir deux autres significations : à la fin de l’envoi dans les airs, à la fin de son envol, Cyrano touchera à son but, c’est-à-dire la Lune ; et, pour nous spectateurs, à la fin de la pièce de Rostand, Cyrano nous aura durablement touchés. c) Les mots de ce refrain définissent particulièrement Cyrano, dans la mesure où leur polysémie coïncide parfaitement avec les multiples facettes du bretteur et rimeur, à la fois fanfaron et lyrique, provocateur et rêveur de voyages dans la Lune, habile à l’épée comme à la repartie, doublement donc souverain dans le maniement de la pointe. d) Le Bret est, au terme de cette ballade, « heureux et navré » : « heureux », parce que son ami a publiquement triomphé en faisant preuve d’un brio exceptionnel, mais « navré », parce qu’il l’a fait aux dépens d’un noble haut placé qu’il avait d’ailleurs provoqué. Ami de Cyrano, Le Bret ne peut que savourer un tel triomphe ; mais, double raisonnable du rimeur-bretteur, il sait bien que ce triomphe risque d’être de courte durée et que cette humiliation ne restera pas longtemps impunie. Ainsi la scène 4 se termine-t-elle sur trois contrastes : le triomphe public de Cyrano et sa ruine privée (cf. v. 447 à 450) ; le généreux buffet de la distributrice et l’appétit ridicule, « stupide » même (v. 458), de Cyrano ; la prétendue laideur de Cyrano et son succès manifeste avec la distributrice (cf. v. 451-452, 459-460). L’exposition n’est pas achevée à la fin de la scène 4, dans la mesure même où manque l’information essentielle, à savoir que Cyrano est amoureux de sa cousine. Pour l’instant, nous savons que Christian est amoureux de Roxane, laquelle ne paraît pas insensible à son charme ; mais qu’elle est elle-même « aimée » de De Guiche, qui, parce qu’il est lui-même marié, la destine à un mari de complaisance, Valvert, vicomte qui vient d’être publiquement humilié par Cyrano : tant qu’on ne sait pas que ce dernier est épris de sa cousine, l’exposition n’est donc pas achevée.

2. Soulignons que c’est Cyrano qui provoque Valvert (cf. v. 389 à 392), de même qu’il avait déjà provoqué le fâcheux (cf. v. 273-274). 3. Notons que la didascalie du vers 434 indique seulement : « Le vicomte chancelle. » Rien n’assure donc que Valvert est mort ; il n’est sans doute que blessé, ce que tend à confirmer la fin de la didascalie suivante (ibid.) : « Les amis du vicomte le soutiennent et l’emmènent. »

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Réponses aux questions – 12

Le théâtre dans le théâtre W Cet extrait et, plus globalement, ces deux scènes (I, 3-4) sont particulièrement théâtraux en raison même de leur surenchère en matière de théâtralité : le spectateur venu, au théâtre, assister à la pièce de Rostand se retrouve face à un décor figurant une salle de théâtre où commence à se jouer une représentation elle-même interrompue par un Cyrano s’offrant en représentation4… Procédé certes habituel, « baroque » (pensons à L’Illusion comique de Corneille) du théâtre dans le théâtre5 et de la mise en abyme, mais qui ici, avec ce triple niveau (Rostand, Baro-Montfleury et Cyrano), fait de ces deux scènes les plus théâtrales de l’acte et même de la pièce. Ces deux scènes illustrent la technique cinématographique du zoom dans la mesure où, au milieu de cette foule d’acteurs remuants, l’attention du spectateur est attirée sur plusieurs détails successifs : d’abord un gros plan sur De Guiche descendant de la loge de Roxane et dont « les beaux rubans » sont salués par les marquis (v. 144 à 152) ; puis sur Christian « qui tressaille en entendant [le] nom » de Valvert et prend en flagrant délit « le tire-laine en train de le dévaliser », qu’il ne lâche qu’après avoir eu révélation du lieu du guet-apens menaçant Lignière (v. 153 à 166) ; toujours sur Christian, « regardant Roxane avec amour » puis « regardant avec fureur Valvert », avant de sortir « en courant » (didascalie des vers 167-168) ; alors que « le parterre est complètement rempli, [qu’on ne trouve] plus aucune place vide aux galeries et aux loges », nouveau gros plan sur « un bourgeois dont la perruque s’envole au bout d’une ficelle, pêchée par un page de la galerie supérieure » (didascalie du vers 168) ; puis sur Le Bret s’étonnant de « ce silence soudain » (v. 170) et sur son voisin l’assurant de la présence, parmi l’assistance, de Richelieu ; autre gros plan, sur un marquis réclamant une chaise, et sur celle-ci passant « de main en main, au-dessus des têtes » (didascalie du vers 175) ; zooms successifs sur le rideau qui s’ouvre et sur Montfleury paraissant en scène ; enfin, successions de gros plans sur les différentes manifestations puis attitudes de Cyrano. Toutes les adaptations cinématographiques tirent, bien évidemment, parti de ces possibilités de multiplier les zooms, ce que le théâtre ne permet guère, hormis quelques jeux de lumière ; mais aucune, à notre connaissance, ne respecte scrupuleusement tous ces gros plans.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 70 à 79)

Examen des textes et de l’image u Les textes A (extrait de la scène 4 de l’acte I de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand) et E (extrait de la scène 2 de l’acte II de Ruy Blas de Victor Hugo) sont l’un et l’autre composés en vers (alexandrins) ; à l’inverse, les textes B (extrait de la scène 3 de l’acte V du Mariage de Figaro de Beaumarchais), C (extrait de la scène 2 de l’acte I de Dom Juan ou le Festin de pierre de Molière ) et D (extrait de la scène 3 de l’acte III de Lorenzaccio d’Alfred de Musset) sont tous les trois écrits en prose. On peut aussi souligner que, si seuls les textes B et E (sauf à la toute fin) constituent de véritables monologues (protagonistes seuls en scène), les autres extraits (A, C et D) sont, pour l’essentiel, des quasi-monologues, du moins de longues tirades. v Malgré leur opposition formelle (vers contre prose), les extraits A et B montrent que Cyrano et Figaro partagent le même goût de la provocation, de l’insoumission et de la passion théâtrale. Alors que Cyrano réussit son numéro étourdissant face à un noble (Valvert) de plus haut rang social que lui, protégé par De Guiche (neveu de Richelieu) présent lui aussi, un vicomte qu’il ose néanmoins qualifier de « jeune homme » (v. 311), Figaro se permet cette exclamation prérévolutionnaire : « Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » L’audace est plus grande encore chez Figaro qui, lui, n’a pas la moindre noblesse et risque donc bien davantage que Cyrano en faisant ainsi preuve d’une telle provocation et d’une telle insoumission. Le personnage de Rostand pourrait « signer » et reprendre à

4. Comme le montre notamment (détail trop souvent oublié par les metteurs en scène récents) la précision de la didascalie précédant le vers 190 : « debout sur une chaise ». 5. Les collègues intéressés par la question du théâtre dans le théâtre feront leur profit de la réédition de la thèse de George (sic) Forestier, Le Théâtre dans le théâtre sur la scène française du XVIIe siècle, coll. « Titre courant », Droz, 1996.

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Cyrano de Bergerac – 13

son compte bien des répliques rebelles ou désabusées de celui de Beaumarchais : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… […] sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. orateur selon le danger ; poète par délassement ; musicien par occasion ; amoureux par folles bouffées ; j’ai tout vu, tout fait, tout usé. » Enfin, Cyrano et Figaro partagent une même passion pour le théâtre : la tirade de Cyrano adoptant une vingtaine de tonalités différentes suffit à le confirmer ; quant à Figaro, il rappelle dans son monologue qu’il a fait profession de dramaturge, non sans essuyer les foudres de la censure la plus intolérante et inconséquente. Mais, en outre, son monologue multiplie aussi les tonalités et les postures les plus théâtrales, comme le confirment les rares mais décisives didascalies : « seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre », « Il s’assied sur un banc », « Il se lève », « Il se rassied », « Il se lève en s’échauffant », « Il retombe assis », « Il se retire près de la première coulisse à sa droite ». w Les textes C et D mettent chacun en scène deux personnages (Sganarelle et Don Juan dans l’extrait C, Philippe et Lorenzo dans le texte D) dont l’un n’est (ici du moins) que le faire-valoir de l’autre à qui il offre l’occasion d’une tirade aux allures de morceau de bravoure, à cette différence près que Sganarelle est le valet de Don Juan – avec qui il entretient donc un rapport hiérarchique de soumission sociale –, ce qui n’est pas exactement le cas de Philippe à l’égard de Lorenzo. Néanmoins, ces extraits ont aussi, voire surtout, pour point commun de mettre en évidence deux nobles particulièrement cyniques : Don Juan, « grand seigneur méchant homme », et Lorenzo, tout entier voué à son « apprentissage du vice ». Toutefois, si le cynisme de Don Juan se borne à une apologie de l’inconstance et de l’infidélité (« La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs »), le cynisme de Lorenzo se révèle, lui, bien plus criminel, puisqu’il l’engage sur la voie de l’homicide (« Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic, et que ce meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles ? »). On peut souligner enfin que ces deux regards cyniques témoignent d’une même vision désespérée de la nature humaine, essentiellement marquée par une incapacité à respecter une parole donnée ou à ne pas trahir (sacrement du mariage dans le cas de Don Juan, « épouseur du genre humain »), à ne pas s’adonner au vice et au mal (pour Lorenzo s’exclamant : « Oui, cela est certain, si je pouvais revenir à la vertu, si mon apprentissage du vice pouvait s’évanouir, j’épargnerais peut-être ce conducteur de bœufs »). x Arrière-plan historique prépondérant (la France de Louis XIII dans le texte A, l’Italie de la Renaissance dans l’extrait D, l’Espagne du XVIe siècle dans le texte E), focalisation sur un héros incompris de la société (respectivement Cyrano, Lorenzaccio et Ruy Blas – absent de l’extrait, mais présent à travers sa lettre que relit la reine), mélange des genres et des registres (du trivial et du burlesque au sublime, en passant par le polémique, le lyrique et le pathétique, ou encore l’héroï-comique puis l’héroïque) au profit du grotesque, référence assumée au modèle du drame shakespearien (texte D) : tels sont les traits communs aux drames romantiques, tant en prose qu’en vers, présents dans les textes A, D et E. À elle seule, la tirade du nez (texte A) de Cyrano, en une sorte de mise en abyme de toute la pièce, en concentrant tous les tons et registres, constitue une défense et illustration de ce genre littéraire éphémère mais marquant que Hugo – la référence de Rostand – définissait comme une « harmonie des contraires » consistant à mêler « sans pourtant les confondre, l’ombre à la lumière, le grotesque au sublime, en d’autres termes, le corps à l’âme, la bête à l’esprit ». Dans la Préface de Cromwell (1827), Hugo ajoutait, pour justifier le choix du modèle shakespearien, magistralement adopté par Musset, dans Lorenzaccio notamment : « Shakespeare, c’est le drame, et le drame qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie. »

Travaux d’écriture

Question préliminaire Parce qu’il s’agit d’un véritable monologue, qu’il se caractérise par une longueur exceptionnelle et qu’il n’offre pas les possibilités de mémorisation que permettent les vers, puisqu’il est écrit en prose, on peut

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Réponses aux questions – 14

penser que le texte B (extrait de la scène 3 de l’acte V du Mariage de Figaro de Beaumarchais) est l’extrait qui constitue le plus un « morceau de bravoure ». Toutefois, la véritable virtuosité d’acteur qu’impliquent la vingtaine de tons employés par Cyrano dans sa tirade du nez (texte A) plaide aussi en faveur de ce choix-là. Néanmoins, on ne doit pas sous-estimer la difficulté d’interprétation du monologue de la reine dans Ruy Blas (texte E), puisque à son propre rôle s’ajoute celui de l’auteur de la lettre (Ruy Blas) qu’elle lit pendant la scène. Les tirades de Don Juan (texte C) et Lorenzo (texte D) sont à la fois plus brèves et plus uniformes (même ton).

Commentaire

Situation du texte Notre extrait est tiré de la scène 3 de l’acte III, scène d’une longueur exceptionnelle (plus de 20 pages !), car constituant le pivot de la pièce. En effet, nous assistons, durant cette scène capitale, au dévoilement progressif de la réelle personnalité de Lorenzaccio. Avant notre extrait, qui n’en constitue que le dénouement dérisoire, la situation est la suivante : alors que les fils de Philippe Strozzi viennent d’être arrêtés par les hommes de main allemands du prince Alexandre de Médicis, Lorenzo est pris à partie par leur père, évidemment inquiet, et qui attend de celui pour lequel il s’est déshonoré en l’accueillant, qu’il l’aide en retour à libérer ses fils Pierre et Thomas. Face à Philippe qu’il considère et respecte comme un père adoptif, Lorenzo lève le voile sur sa véritable personnalité, celle d’un être voué au mal, totalement perverti, corrompu jusqu’à la moelle, qui ne peut que constater ces dégâts en lui sans être capable de les expliquer. Après une longue réflexion sur le comédien et les rapports entre masque et rôle, dissimulation et vérité, élargie à l’humanité entière, assimilée à un théâtre d’apparences trompeuses, en une vision infernale et désespérée de la condition humaine, Lorenzo souligne que le vice n’est plus chez lui une apparence dictée par les besoins de son projet homicide, mais qu’il en est désormais littéralement et irrémédiablement imprégné : ce n’est donc plus un masque dont il pourrait se défaire comme le souhaite tant Strozzi, c’est une véritable peau qu’il ne peut plus arracher. Juste avant notre passage, le dialogue entre les deux personnages est le suivant : « PHILIPPE. Tu me fais horreur. Comment le cœur peut-il rester grand avec des mains comme les tiennes ? LORENZO. Viens, rentrons à ton palais, et tâchons de délivrer tes enfants. PHILIPPE. Mais pourquoi tueras-tu le duc, si tu as des idées pareilles ? LORENZO. Pourquoi ? tu le demandes ? PHILIPPE. Si tu crois que c’est un meurtre inutile à ta patrie, pourquoi le commets-tu ? LORENZO. Tu me demandes cela en face ? Regarde-moi un peu. J’ai été beau, tranquille et vertueux. » C’est à cette ultime réplique désabusée de Lorenzo que répond l’exclamation de Philippe, première réplique de notre extrait : « Quel abîme ! quel abîme tu m’ouvres ! » Après notre extrait figure ce dialogue, qui conclut cette très longue scène 3 : « PHILIPPE. Tout cela m’étonne, et il y a dans tout ce que tu m’as dit des choses qui me font peine, et d’autres qui me font plaisir. Mais Pierre et Thomas sont en prison, et je ne saurais là-dessus m’en fier à personne qu’à moi-même. C’est en vain que ma colère voudrait ronger son frein ; mes entrailles sont émues trop vivement ; tu peux avoir raison, mais il faut que j’agisse ; je vais rassembler mes parents. LORENZO. Comme tu voudras ; mais prends garde à toi. Garde-moi le secret, même avec tes amis, c’est tout ce que je demande. (Ils sortent.) »

Pistes de commentaire de l’extrait

1. Une tirade délibérative marquée par les interrogations répétées de Lorenzaccio En guise de réponse à son interlocuteur Philippe Strozzi, il l’interpelle et ne répond à ses questions que par d’autres questions, notamment dans la première partie de la tirade, exclusivement interrogative (« Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? », « Veux-tu donc que […] ? » répété à quatre reprises au total, « Songes-tu que […] ? » à deux reprises, et « Crois-tu donc que […] ? »).

2. Une tirade délibérative en proie à une intense mais dérisoire agitation Formulations métaphoriques et concrètes, souvent antithétiques (« que je saute dans l’Arno ? […] ce squelette […] que je m’arrache le seul fil [image assimilant Lorenzo à une dérisoire marionnette, être déshumanisé par son propre orgueil] qui rattache aujourd’hui mon cœur à quelques fibres de mon cœur

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d’autrefois ? […] que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic […] que ce meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles ? […] ce conducteur de bœufs […] J’en ai assez d’entendre brailler en plein vent le bavardage humain […] Ceux qui tournent autour de moi avec des yeux louches, comme autour d’une curiosité monstrueuse apportée d’Amérique […] je leur ferai tailler leurs plumes si je ne leur fais pas nettoyer leurs piques […] sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits de sang […] à pile ou face sur la tombe d’Alexandre […] Que les hommes me comprennent ou non, qu’ils agissent ou n’agissent pas »), privilégiant la figure rhétorique du zeugma ou attelage, qui mêle le concret à l’abstrait (« que je laisse mourir en silence l’énigme de ma vie », « les républicains me couvrent de boue et d’infamie […] voilà assez longtemps que les oreilles me tintent, et que l’exécration des hommes empoisonne le pain que je mâche […] qui m’accablent d’injures pour se dispenser de m’assommer […] satisfaire leur gosier et vider leur sac à paroles […] je jette la nature humaine »).

3. Une tirade délibérative proche de l’exaspération Anaphores et termes hyperboliques : « Veux-tu donc […] ? » (à 3 reprises) ; « Songes-tu que […] ? » (à 2 reprises), « Crois-tu donc […] ? » et « veux-tu que […] ? » ; « que je n’aie plus d’orgueil, parce que je n’ai plus de honte ? » ; « Si tu honores en moi quelque chose, […] c’est mon meurtre que tu honores », « Voilà assez longtemps » (à 2 reprises) ; « J’en ai assez » (à 2 reprises). Oxymore tragique du meurtre vertueux : « Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ? Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un mur taillé à pic, et que ce meurtre est le seul brin d’herbe où j’aie pu cramponner mes ongles ? » Dilemme d’un héros romantique, personnage historique sommé de s’engager, ce qu’il fait d’abord par la tirade, forme préalable au passage à l’acte (cf. le modèle hugolien).

Dissertation

Introduction S’ils sont souvent à la fois désirés et redoutés des comédiens, les « morceaux de bravoure », monologues ou du moins tirades d’une longueur exceptionnelle, sont très appréciés du public de théâtre. Tel est le cas de la célèbre « tirade du nez » au début de Cyrano de Bergerac (I, 4) de Rostand, du très long monologue de Figaro à la fin du Mariage de Figaro (V, 3) de Beaumarchais, de la cynique apologie de l’inconstance et de l’infidélité de Don Juan dans le Dom Juan (I, 2) de Molière, de la non moins cynique apologie du vice prononcée par Lorenzo de Médicis dans Lorenzaccio (III, 3) de Musset, ou encore du monologue lyrique de la reine dans Ruy Blas (II, 2) de Victor Hugo. Quels avantages ces « morceaux de bravoure » offrent-ils, tant pour les comédiens que pour les spectateurs ou les lecteurs, sans oublier les auteurs ? Quels inconvénients présentent-ils aussi, en raison notamment de la disproportion et du déséquilibre qu’ils introduisent par nature dans les œuvres où ils prennent place ? C’est à ces questions que nous nous efforcerons de répondre, sans nous limiter toutefois ni à ce corpus dramaturgique ni même au seul genre théâtral.

1. Les avantages des « morceaux de bravoure » au théâtre A. Le comble du plaisir pour le public (lecteurs mais aussi et surtout spectateurs) Succès permanent de la « tirade du nez » dans Cyrano ou du monologue de Figaro, par exemple, célébrés comme autant d’exploits dramaturgiques et littéraires. On peut aussi songer au lamento du Jardinier dans Électre (1937) de Jean Giraudoux, servant d’entracte aux actes I et II de la pièce. B. Le comble du plaisir pour l’acteur Un « sommet » à conquérir et dominer, pour la plus grande gloire de l’interprète. On peut aussi penser au monologue de Béranger dans Rhinocéros (1959) d’Eugène Ionesco ou, hors théâtre, à celui du héros éponyme du roman Molloy (1951) de Samuel Beckett. C. Le comble du plaisir pour l’auteur Un exercice de style et d’écriture dramaturgique éprouvant mais gratifiant, car lui permettant, par sa longueur exceptionnelle, de prouver toute l’étendue et la variété de son talent littéraire, en multipliant les effets, les figures et les audaces, et sa capacité à surmonter toutes les difficultés techniques, a fortiori s’il compose en vers (comme Rostand et Hugo dans notre corpus).

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On peut ici évoquer en outre, hors théâtre, l’évidente jubilation d’écriture de Rabelais dans l’ensemble de son œuvre « gargantuesque » qui multiplie à loisir comme à plaisir les « morceaux de bravoure », ou, plus près de nous, les très longues descriptions, souvent ironiques, voire « assassines », des personnels diplomatiques dans le roman-fleuve Belle du Seigneur (1968) d’Albert Cohen.

2. Les inconvénients des « morceaux de bravoure » au théâtre A. Le risque du déplaisir pour le public (lecteurs mais aussi et surtout spectateurs) Risque pour le public si le « morceau de bravoure » est trop long (effet « tunnel »), ou s’il déséquilibre trop le reste de la pièce, ou s’il est mal interprété. C’est ce qui peut expliquer en partie la désaffection du public actuel pour les stances de Rodrigue dans Le Cid (1636) de Corneille, par exemple. B. Le comble de la difficulté pour l’acteur Un « sommet » parfois insurmontable, ou qui ne permet ni la moindre faiblesse ni la moindre faute ni la moindre déception, l’interprète se retrouvant « attendu au tournant » par un public exigeant connaissant souvent par cœur ces « morceaux de bravoure ». C. Le risque de l’impasse pour l’auteur Un exercice de style et d’écriture dramaturgique qui peut se retourner contre son auteur, si prédomine l’impression de vouloir à tout prix prouver toute l’étendue et la variété de son talent littéraire, en multipliant les effets, les figures et les audaces, aux dépens d’une réelle nécessité dramaturgique (reproche d’un brio artificiel et superficiel souvent adressé à Rostand et même à Hugo).

A c t e I V , s c è n e 7 ( p p . 2 5 0 à 2 5 7 )

◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 258 à 270)

Des didascalies révélatrices

u Cette didascalie révèle que c’est Christian qui prend ici l’initiative, et non pas Cyrano ; or un tel renversement des rôles est sans précédent dans la pièce. Pour la première fois, le timide Christian, si maladroit, si peu sûr de lui (sauf lors de son premier face-à-face provocateur avec Cyrano [II, 9]), si dépendant de Cyrano, va au devant de son ami ; à l’inverse, celui-ci, jusqu’alors si souverain, si maître des événements, si sûr de lui, est sur la défensive, et cherche à fuir. v L’adverbe « vivement » traduit la détermination de Christian à ne plus laisser Cyrano lui cacher plus longtemps la vérité ; détermination renforcée par l’impératif exclamatif : « Parle vite ! » Avec l’adverbe « violemment », c’est toute l’exaspération de Christian qui s’exprime, maintenant que, après avoir littéralement « arraché » à Cyrano l’aveu qui le trahit, il découvre à la fois toute la vérité et mesure, a contrario, l’énormité du mensonge de celui qui se piquait pourtant de franchise et de vérité. Christian, en passant ainsi de la vivacité à la violence, montre qu’il a tout compris, et que cette vérité de l’enivrement enfin mise au jour et à nue, reposant sur un mensonge et une trahison de Cyrano, ne peut offrir d’autre issue que celle, fatale mais inévitable, du dégrisement. w La didascalie entrecoupant le vers 2075 (« Au moment où Roxane paraît, sur la crête, les lances disparaissent, abaissées pour le salut, un cri s’élève : elle s’incline ») et celles du vers 2090, avant (« voyant Roxane qui revient ») et après (« Il rentre vivement dans sa tente ») la dernière réplique de Cyrano, soulignent à quel point celui-ci est amoureux de sa cousine, dont la seule présence, la seule vue suffisent à le troubler et à lui faire perdre ses moyens. Elles montrent non seulement l’amour mais aussi l’amour-propre de Cyrano, qui ne supporte pas de paraître ainsi diminué face à celle qu’il aime secrètement. x Le même adverbe « vivement » inaugure et clôture notre extrait : appliqué respectivement à Christian résolu à ne plus laisser Cyrano se taire davantage, puis à Cyrano pressé de se cacher « dans sa tente » afin d’échapper à Roxane « qui revient », il confirme l’intensité dramatique et psychologique de cette scène, véritable tournant de la pièce. En effet, tant que Christian ne connaissait pas la vérité de sentiments de Cyrano pour sa cousine, le pacte des deux amis (« Je serai ton esprit, tu seras ma beauté », v. 1146) pouvait continuer à fonctionner tant bien que mal ; dès lors que Christian a découvert

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l’énormité et la gravité de ce mensonge de Cyrano, le seul mode possible des rapports entre l’un et l’autre est celui de la tension qu’exprime cet adverbe « vivement », presque synonyme ici de « agressivement », puisque Christian ne peut vivre cette vérité-là autrement que comme une agression. Faut-il y voir une ironie tragique ? L’adverbe « vivement » exprime l’ultime réaction de Christian face à une vérité qui, au contraire de la vitalité que connote ce terme, va littéralement le tuer, à laquelle il ne survivra que par sa mort délibérément suicidaire. C’est d’ailleurs ce même adverbe qui qualifie Cyrano face à Roxane au moment de cette mort de Christian (didascalie du vers 2195).

Un renversement des rôles y Les points de suspension traduisent l’évident embarras de Cyrano : d’ordinaire si prompt à répliquer, et toujours brillamment, avec un art consommé de la pointe, ce « grand riposteur du tac au tac », comme il se définit lui-même dans son épitaphe « anthume » (V, 6, v. 2536), ne sait que dire ici, ou plutôt ne sait plus comment éviter d’avoir à dire à Christian la vérité de son « mensonge énorme » (v. 669), autant que l’est son nez. U Christian répète deux fois l’exclamation impérative « Parle vite ! » (v. 2075 et 2080). Cette répétition révèle à la fois l’impatience de Christian – justifiée par l’urgence des circonstances : la présence de Roxane et l’imminence de l’assaut contre les Espagnols – et son intelligence de la situation : il a parfaitement compris que Cyrano, loin d’aller « droit au but », cherche à éluder, à différer, à retarder l’échéance de l’aveu. V Cyrano emploie à deux reprises la formule « apaisante » « C’est tout simple » (v. 2079 et 2084), en une sorte d’antiphrase révélatrice de son malaise : rien de moins simple, au contraire, que ce mensonge par omission et que cette trahison, de la part de celui qui a fait de la sincérité et de la vérité ses vertus cardinales ! Christian en fait un usage d’une cinglante ironie, d’abord en interrompant Cyrano dans sa justification (cf. les points de suspension de la réplique de ce dernier au vers 2086, confirmant que celui-ci ne peut poursuivre son récit), ensuite en « se croisant les bras » (didascalie du même vers), enfin en tournant cette exclamation en interrogative : « Ah ! c’est tout simple encore ? » Interruption qui signale l’apogée de la maîtrise de Christian et, inversement, de la piteuse humiliation de Cyrano (situation constituant l’exact renversement réciproque de celle des deux personnages dans la scène 5 de l’acte III, ponctuée par le cinglant « C’est un succès » de Cyrano face à Christian humilié par Roxane quand il voulut s’émanciper de l’aide de son ami : cf. question 10). W Ce n’est qu’au vers 2088 (« Oui, tous les jours. Deux fois ») que Cyrano répond enfin à la question liminaire de Christian (« Quel était le secret ? »), soit un « délai » de 13 vers ! Ce délai, interminable et d’autant plus long que Cyrano est d’habitude fulgurant dans ses réponses, répliques et autres ripostes, confirme sa gêne et son embarras face à Christian : incapable de lui dire la vérité, ne pouvant plus toutefois la lui cacher plus longtemps, il lui faut tous ces tours et détours pour révéler enfin la réalité de ses envois de lettres à Roxane et, partant, l’énormité de son mensonge. X La dernière réplique de Cyrano (« Tais-toi ! Pas devant elle ! ») révèle la gêne et l’embarras de celui-ci qui, après avoir si laborieusement « accouché » de sa vérité mensongère face à Christian, ne se sent pas capable de l’assumer face à Roxane. Elle traduit aussi combien il est amoureux de sa cousine, en présence de qui l’homme intime et secrètement amoureux perd tous ses moyens. Cette réplique est inhabituelle de la part de Cyrano qui manifeste, d’ordinaire, à l’égard de la parole, une souveraine maîtrise. Rien de plus révélateur que cette exclamation impérative « Tais-toi ! » comme aveu d’impuissance : que le plus éloquent – de très loin ! – personnage de la pièce en appelle au silence de son interlocuteur, alors qu’il a plutôt l’habitude de faire taire autrui à force de brio et de verve oratoire, en dit précisément très long sur son état psychologique et affectif… La situation présente désarme littéralement Cyrano de l’une des ses armes d’habitude les plus acérées : l’éloquence. Pour autant, cette situation n’est pas sans précédent : à 4 reprises déjà, Cyrano n’a pas trouvé meilleure réponse que cette exclamation impérative « Tais-toi ! », à chaque fois face à son ami Le Bret, notamment après la déception de son entrevue avec Roxane (II, 6) ; ainsi en va-t-il de même dans la scène suivante (II, 7), aux vers 863, 870 et 883. Seule cette dernière intervention de Le Bret, qui a déjà tout compris, met fin à l’abattement de Cyrano, « tressaillant et se redressant vivement » (didascalie du vers 883) : « Sa moustache se hérisse ; il poitrine » (didascalie du vers 884). Cyrano est touché au vif par l’exclamation de Le Bret (« Tu parais souffrir ! »), lequel a vu juste, comme le prouve la réaction

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instantanée de son ami « tressaillant et se redressant vivement », qui redoute, plus que tout, que d’autres que son ami perçoivent sa souffrance (« Devant ce monde ? »). Plus révélatrice encore, et toujours face à Le Bret, c’est après son brillant éloge paradoxal du plaisir qu’il éprouve à déplaire (« Eh bien oui, c’est mon vice. / Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse », v. 1023 à 1040) – lui-même consécutif à sa tirade des « Non, merci » (v. 964 à 1022) –, que Cyrano, face à son ami lui répondant « Fais tout haut l’orgueilleux et l’amer, mais tout bas, / Dis-moi tout simplement qu’elle ne t’aime pas ! », réplique « vivement » (didascalie récurrente en ces circonstances d’extrême tension !) cette éloquente exclamation impérative : « Tais-toi ! » Le Bret joue ici les rôles décisifs de confident et de révélateur, qui sait démêler le moi social et le moi intime de son ami. Sa réplique finale (vers 1041-1042) dévoile la vérité de Cyrano, socialement en guerre contre les hypocrites et fier de multiplier les ennemis (« Fais tout haut l’orgueilleux et l’amer »), mais intimement dépité, blessé dans son amour (« mais tout bas, / Dis-moi tout simplement qu’elle ne t’aime pas ! »). Analyse confirmée par la réplique de Cyrano : « Tais-toi ! », prononcée donc « vivement » (v. 1043), appel révélateur au silence qui souligne, si besoin en était, combien Le Bret a vu juste et touché le point sensible de son ami, lequel, précisément, ne veut pas entendre cette vérité, prouvant par là même qu’il s’agit bien de la vérité de sa situation. Le Bret réduit ainsi l’éloge paradoxal de la haine par Cyrano à ses justes proportions (« tout simplement ») : fanfaronnade outrancière d’un cœur brisé qui, dans son refus d’écouter cette vérité, confirme qu’elle est la bonne, celle qui, seule, touche et blesse, comme le dit le proverbe (« Seule la vérité blesse »). Ce « Tais-toi ! » que lui réplique le si lyrique Cyrano, d’ordinaire si prompt à riposter, jamais à court d’arguments, est plus éloquent que toutes ses bravades, et constitue un appel au silence certes paradoxal chez un orateur si inspiré, mais révélateur de l’imposture dans laquelle Cyrano s’est empêtré et fourvoyé : celle de toutes ses postures publiques face à sa vérité privée. Ici (IV, 7), face à Christian le pressant de lui révéler la vérité de la fréquence des lettres à Roxane, la réplique « Tais-toi ! Pas devant elle ! » ne trahit pas la même dualité entre une vérité sociale fanfaronne et une vérité intime atteinte, mais signale simplement le souhait de Cyrano de « garder la face » devant Roxane, afin que celle-ci ne le voie pas souffrir et ne soit pas mise au courant (comme dans la scène 7 de l’acte II, v. 883, vis-à-vis des Cadets). Néanmoins, chez un tel amoureux des mots, ces appels au silence sont révélateurs d’un désarroi profond : seule la vérité blesse, et, plus que toute autre, celle de l’échec amoureux est indicible, tant elle est douloureuse. at Cette scène 7 traduit un renversement complet des rôles entre Christian et Cyrano : depuis leur pacte utopique (« Je serai ton esprit, tu seras ma beauté », II, 11, v. 1146), leurs rapports ont été ceux de « l’élève » Christian face au « maître » Cyrano. Apogée de cette relation de dépendance : le piteux échec de Christian décidant de s’émanciper de la tutelle de son ami, en tentant de s’adresser lui-même à Roxane (III, 3 à 6), sur lequel il convient de revenir d’abord pour mieux mesurer l’ampleur et l’étendue de ce renversement des rôles ici (IV, 7). En effet, les scènes 3 à 6 de l’acte III forment un tout, dans la mesure où elles contiennent le premier tête-à-tête de Roxane et Christian, en même temps que la première entorse au pacte scellé entre ce dernier et Cyrano. On pourrait ironiquement intituler l’ensemble Le Succès de Christian, pour reprendre la réplique très cinglante de Cyrano, après l’échec cuisant de Christian seul face à Roxane (cf. III, 5, v. 1344). La scène 4 est d’une importance dramaturgique inversement proportionnelle à sa longueur : alors qu’elle ne dépasse pas une quinzaine de vers, elle contient la première tentative d’émancipation de Christian, ce qui en fait un tournant. Sans cette rébellion de Christian, et l’échec par lequel elle se solde, nous n’aurions pas la suite, avec les « pleins pouvoirs » donnés à Cyrano pour s’adresser à une Roxane désormais déçue par les improvisations de Christian et qu’il faut donc reconquérir. L’attitude de Christian est psychologiquement vraisemblable, dans la mesure où lui-même s’était montré initialement réticent à la conclusion du pacte : alors que le duo fonctionne maintenant depuis plusieurs lettres, il est parfaitement normal que Christian désormais s’impatiente et cherche à « voler de ses propres ailes ». Et l’attitude de Cyrano, mélange d’incrédulité puis de dédain, n’est pas moins vraisemblable de sa part : la réaction de Christian le prive du plaisir quotidien qui était le sien jusqu’alors ; frustration d’autant plus vive ici, que Roxane vient de donner comme « sujet » de déclamation ce que Cyrano pouvait rêver de mieux pour son propre talent lyrique : improviser sur l’amour (cf. III, 3, v. 1305-1306). Les confirmations qu’apporte la scène 5, respectivement sur Christian et Roxane, sont les suivantes : il est pathétiquement incapable de lyrisme et de préciosité ; elle en est viscéralement ivre. Alors qu’il ne

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sait pas dire son amour autrement ni mieux qu’en répétant très simplement, sincèrement et directement : « Je vous aime » (v. 1329), « Je t’aime » (v. 1330, 1331 et 1337) ou « Je t’adore ! » (v. 1338), qu’il « dévore des yeux la nuque blonde » de Roxane et brûle de « l’embrasser » (v. 1337), elle lui intime, à lui pour qui l’amour est tout le contraire d’un labyrinthe sentimental, la plus « précieuse » des exhortations : « Délabyrinthez vos sentiments ! » (v. 1336). Rien de nouveau ici, à ceci près que, pour la première fois, ce que nous savions de chacun séparément est tragiquement confirmé dans leur premier tête-à-tête. L’intérêt psychologique du v. 1340 (« Comme il me déplairait que vous devinssiez laid ») est de montrer que Roxane accorde encore une grande place aux apparences, à la beauté extérieure : ce ne sera plus du tout le cas (ce sera même exactement l’inverse), à la fin de l’acte IV, juste après notre passage (IV, 7), lorsqu’elle s’apercevra – trop tard – de la superficialité d’une telle attitude (cf. IV, 8 et notamment v. 2145 à 2149). L’intervention de Cyrano (v. 1344), à la conclusion de cette scène 5, est parfaitement ironique : sa réplique « C’est un succès » constitue un modèle d’antiphrase, la « prestation » solitaire de Christian s’étant évidemment soldée par un véritable désastre, soit très exactement le contraire d’un « succès » ! La scène 6 constitue le verso de la scène 4, dans la mesure où situations et attitudes y sont exactement inversées : à la scène 4, Cyrano, excité par l’improvisation amoureuse demandée par Roxane, exhortait Christian à répéter sa déclaration, mais celui-ci se rebellait et prétendait voler désormais de ses propres ailes, provoquant le départ d’un Cyrano vexé et surtout frustré ; à la scène 6, Christian commence par appeler « Au secours ! » Cyrano (v. 1345) qui finit par accepter de lui venir en aide, en proposant de lui servir de souffleur (cf. v. 1349 à 1352). Il faut avoir présentes à l’esprit ces scènes décisives de l’acte III pour mesurer pleinement combien les rôles sont ici (IV, 7) renversés entre Christian et Cyrano : l’un n’appelle plus l’autre au secours après s’être ridiculisé à vouloir s’en émanciper prématurément, et l’autre ne triomphe plus de l’un en lui infligeant la cinglante antiphrase « C’est un succès » après son piteux échec, au contraire ! Ici, désormais, c’est Christian qui pousse Cyrano dans ses retranchements, et Cyrano qui se retrouve en situation de crier grâce pour que son ami l’épargne : à tous égards donc, ces quelques vers de la fin de cette scène constituent, en réalité, le véritable tournant de la pièce.

Les vertiges de l’enivrement ak La réplique de Christian au vers 2089 contient la redondance « t’enivrait » / « l’ivresse » qui, jointe à l’enjambement des vers 2089-2090 (« était telle / Que tu bravais la mort… ») reproduit en quelque sorte l’enivrement de Cyrano qui, comme le perçoit si bien Christian, ne se contrôle plus, de même que la phrase ne se limite plus à un vers mais déborde sur le suivant. al Selon Christian, cette « ivresse » dont est atteint Cyrano est l’ivresse amoureuse, celle de l’enivrement lyrique et affectif. Dans la pièce, c’est évidemment avec Cyrano que culminent toutes les formes d’enivrement. Ivre de joutes oratoires ou militaires, amoureux de la pointe (celle de l’épée comme celle de l’esprit), l’ami de Le Bret est d’abord ivre d’agressivité : « J’aime raréfier sur mes pas les saluts, / Et m’écrie avec joie : un ennemi de plus ! […] Eh bien, oui, c’est mon vice. / Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse. […] / Car, pareille en tous points à la fraise espagnole, / La Haine est un carcan, mais c’est une auréole ! » (II, 8, v. 1021-1022, 1023-1024, 1039-1040). Mais, ivre de gloire comme les Cadets (« De gloire, leur âme est ivrogne », II, 7, v. 909), Cyrano, lui aussi, est en proie à l’enivrement amoureux : « Alors, que la mort vienne ! Cette ivresse, c’est moi, moi qui l’ai su causer ! » (III, 7, v. 1478-1479). Enivrement amoureux réciproque de Christian/Cyrano et Roxane, perceptible quelques répliques plus haut : « Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon / Dé à coudre d’or fin, l’eau froide du Lignon, / Si l’on tentait de voir comment l’âme s’abreuve / En buvant largement au grand fleuve ! » (III, 7, v. 1419 à 1422). Enivrement confirmé par Cyrano lui-même évoquant le baiser inéluctable de Christian et Roxane : « Il viendra ce moment de vertige enivré / Où vos bouches iront l’une vers l’autre, à cause / De ta moustache blonde et de sa lèvre rose » (III, 9, v. 1500 à 1502). Enivrement confirmé a contrario par la didascalie du vers 1528 (« C’est vrai, je suis beau, j’oubliais », III, 10) : Cyrano « à part, dégrisé ». Enivrement amoureux enfin souligné dans la lettre posthume de Christian/Cyrano à Roxane, que Cyrano lit à l’acte V : « J’ai l’âme lourde encor d’amour inexprimée, / Et je meurs ! Jamais plus, jamais mes yeux grisés… » (V, 5, v. 2440-2441).

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am Nous assistons ici au tournant de la pièce, puisque, outre le renversement des rôles entre Christian et Cyrano, cette fin de scène va déterminer Christian à « disparaître », au propre comme au figuré, sous la forme d’un quasi-suicide (IV, 10). En effet, c’est pour avoir vite, sinon d’emblée, perçu le vertige de cette impasse de l’ivresse/enivrement que Christian, certes amoureux mais jamais tout à fait aveugle, comme le montre ici sa si lucide intervention ultime (« Et cela t’enivrait et l’ivresse était telle / Que tu bravais la mort… », v. 2089-2090), en tire la seule conclusion qui s’impose : recouvrer sa liberté en disparaissant (délibérément) volontairement, et en laissant, livrés à eux-mêmes, prisonniers des songes et des mensonges de leurs enivrements vains, et Roxane, et De Guiche, et Cyrano. Car Cyrano s’exclamait spectaculairement : « Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise, / Empanaché6 d’indépendance et de franchise. […] Je fais, en traversant les groupes et les ronds, / Sonner les vérités comme des éperons » (I, 4, v. 375-376 et 381-382). Le même Cyrano, dans sa célèbre tirade des « Non, merci » (II, 8, v. 964 à 1014), concluait fièrement : « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite, / Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul, / Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (v. 1012 à 1014). Or « le baiser de Roxane » (titre de l’acte III) est l’exact contraire de cette maxime, Christian ne montant évidemment pas « tout seul ». Tout le pacte avec Christian contredit, en réalité, l’indépendance et la franchise affichées par Cyrano, dont l’enivrement est tel qu’il écrit deux lettres par jour à Roxane sans même en prévenir Christian, sinon a posteriori (IV, 7, v. 2087-2088). Cyrano peut toujours, à la fin de la pièce, citer d’abord le « Mensonge » comme le premier de « tous [ses] vieux ennemis » (V, 6), immédiatement suivi des « Compromis » (v. 2559-2560), c’est bien au prix du compromis, voire de la compromission, d’un mensonge énorme et effarant – son pacte avec Christian – l’assimilant surtout aux Cadets « Bretteurs et menteurs sans vergogne » (II, 7, v. 893), qu’il déploie son enivrement lyrique et amoureux durant l’acte III. Le jeu du duo avec Christian lui offre l’occasion d’exprimer son amour aussi sincèrement et brillamment qu’il en avait été incapable à l’acte II – « Ah ! », répétait-il à huit reprises (II, 6) –, et la réaction de De Guiche humilié d’envoyer les Cadets au front ne peut que le conforter alors : en effet, Cyrano pourra assouvir sa passion des combats, sans éprouver de jalousie, puisque Christian part aussi pour Arras, et en pouvant continuer à exprimer librement son amour, puisque Cyrano a promis à Roxane que Christian lui écrirait « souvent » (III, 14, v. 1709). Ici, à la fin de l’acte IV, si Cyrano avoue enfin la vérité à Christian, c’est à l’initiative de celui-ci – et non pas de lui-même – et au prix d’un nouveau mensonge : « J’ai tout dit. C’est toi qu’elle aime encor ! » (IV, 10, v. 2203). Si l’impasse du duo lyrique et enivrant Christian/Cyrano est dénouée, c’est donc au prix de la mort de Christian qui ne peut plus qu’appeler celle de Cyrano, lequel a peut-être tout gagné alors, à commencer par le fait de se savoir aimé par Roxane malgré sa laideur. C’est ce qui lui inspire cette réplique la plus enivrée, « perdant la tête, à part » : « Mon Dieu, c’est vrai, peut-être, et le bonheur est là » (IV, 10, v. 2191). Sans doute Cyrano a-t-il aussi gagné une réconciliation avec De Guiche, mais il est désormais un vainqueur terrassé par son enivrante victoire. Car Christian, en choisissant de répliquer par sa disparition à l’enivrement de Cyrano écrivant ses lettres ou de Roxane les lisant, révèle toute sa lucidité : trop simple pour dire son amour autrement qu’en répétant « Je t’aime ! » ou « Je t’adore ! » (III, 6, v. 1337-1338) – au grand dam de Roxane (« Allez rassembler votre éloquence en fuite ! », III, 6, v. 1341) –, pas assez pour comprendre d’emblée que son pacte utopique avec Cyrano est voué à l’impasse, Christian donc, homme courageux mais sobre qui, de Lignière à Cyrano en passant par Roxane, est entouré et aimé d’êtres, à tous égards, ivres, sacrifie sa beauté aux impératifs du lyrisme, en une mort que son indépendance reconquise a sans doute transfigurée en suicide, ultime avatar de la liberté – mort qui ne peut plus qu’appeler celle, tôt ou tard, de son « double » Cyrano. Cette réponse extrême de Christian face à l’enivrement amène à souligner combien l’acte IV, contrastant avec le précédent, est celui de l’impasse ou de la vanité du lyrisme triomphant : à l’acte III, Cyrano pouvait « prêter » son esprit à Christian, mais évidemment pas en recevoir la beauté ; à l’acte IV, Christian – dont la beauté est désormais inutile, puisque Roxane n’aime plus que son âme, que son esprit, c’est-à-dire Cyrano – ne peut recevoir l’esprit de Cyrano, qu’il ne veut d’ailleurs plus emprunter. La raison de ce renversement tient à la métamorphose opérée en Roxane, par le lyrisme

6. Le terme « Empanaché » évoque inévitablement le dernier mot de Cyrano, et de la pièce : « Mon panache. »

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enivrant de Cyrano : d’une précieuse amoureuse du beau – lequel n’est réellement aimable que s’il est bien exprimé –, il a fait une quasi-mystique insensible à la beauté physique, en extase devant des mots beaux à lire et à entendre. Ce faisant, Roxane est passée d’un aveuglement ou d’un enivrement à l’autre, sacrifiant l’amour humain à la passion mystique. Symboliquement d’ailleurs – ultime renversement –, alors qu’à l’acte III, elle attendait de Christian une brillante déclaration dont il était incapable seul mais qu’il désirait réussir, c’est elle qui, à l’acte IV, se déclare à lui, mais c’est Christian qui n’est plus ni désireux ni preneur de cette déclaration. Triomphe de l’amour, enivrant mais désincarné, du seul lyrisme, l’acte IV consacre, avec la disparition de Christian, l’échec de l’amour humain à la fois physique et sentimental. La mort de Christian, confirmant que Cyrano n’a plus besoin de beauté, achève aussi de le priver de corps : en ce sens, Cyrano, comme Roxane qui n’est plus qu’une âme, est, lui aussi, veuf de Christian. Seule réalité physique aimable de Cyrano, lui reste la voix, située au carrefour du corps et de l’âme, corps paradoxalement impalpable et qui sert à dire l’âme : Cyrano n’a d’autre corps désirable que sa voix, que Roxane trouvait meilleure à l’acte III et qui le trahira à l’acte V, révélant sa « généreuse imposture » (V, 6, v. 2460). Paradoxe tragique pour Roxane : à l’acte IV, elle soulage et ressuscite ceux qui vont mourir, et pleure ensuite le corps de celui (Christian) qu’elle aime désormais de toute son âme – et qui est mort pour cette raison même ; à l’acte V, Roxane perd celui qu’elle aime (Cyrano) au moment même où elle découvre enfin la vérité de leur amour, ce qui la condamne à mourir deux fois. Cette seconde mort de Roxane, victime expiatoire de l’acte V et de la pièce, confirme aussi l’échec de l’amour humain terrestre, à la fois physique et sentimental et, inversement, le triomphe de l’amour « inhumain » qu’est celui du seul lyrisme enivrant, ici incarné par la voix de Cyrano. Est-ce un hasard si le seul personnage jamais ivre de toute la pièce, à savoir Le Bret, se révèle aussi le plus lucide, notamment face à toutes les fanfaronnades de Cyrano, lequel n’a d’autres ressources que de révélateurs « Tais-toi ! » pour oublier l’impuissance à laquelle le réduit son enivrement ? Pour notre part, nous ne croyons guère à la simple coïncidence qui fait osciller la pièce d’un bout à l’autre entre l’ivrognerie des personnages secondaires (Lignière, les Cadets, les poètes) et l’enivrement des personnages principaux (Cyrano, Roxane, De Guiche, Ragueneau). Nous y voyons, au contraire, un fil conducteur essentiel : sous sa double forme concrète et abstraite, l’ivresse, selon ce que paraît nous enseigner Rostand, est à la fois indispensable, inévitable – pour rendre la vie simplement supportable – et insuffisante car toujours inféconde – la griserie de l’ivresse ne pouvant jamais aboutir, tôt ou tard, qu’à la tristesse du dégrisement. Tel est, nous semble-t-il, le principal enseignement de Rostand dans cette pièce : l’ivresse, sous la forme de l’enivrement lyrique et amoureux, aussi généreuse et empanachée soit-elle, reste toujours une imposture. Elle est certes nécessaire à embellir la vie, mais elle est insuffisante à l’affronter, à l’assumer, à la vivre, tout simplement. Sous cet angle, nous partageons la conclusion de Denis Podalydès à la présentation de sa nouvelle mise en scène, montée à la Comédie-Française (mai 2006) : « Il est étrange, mais bien séduisant, que cette machine à succès soit, en son fond, un éloge de l’échec. » Il nous paraît difficile, en tout cas, de ne pas voir dans cet éloge paradoxal de l’ivresse vaine, dans cette défense et illustration de l’enivrement suicidaire, la mise en œuvre – dans tous les sens du terme –, voire une mise en abyme, de la vérité la plus intime de Rostand lui-même.

◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 261 à 268)

Examen des textes et de l’image u Les textes évoquant plutôt l’ivresse au sens propre d’« ivrognerie » sont les extraits B, C et D, tandis que ceux qui l’évoquent au sens figuré d’« enivrement » sont les extraits A et E. Encore faut-il souligner que le texte B (Rabelais) tend à ne prendre l’ivrognerie que comme un prétexte à une tout autre ivresse : celle de l’enivrement des mots, de l’évident plaisir jubilatoire de l’écrivain à nous saouler de formules ou de termes plus étourdissants les uns que les autres ! Inversement, le texte E (Baudelaire) n’exclut pas l’ivrognerie proprement dite (« De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous »), même s’il conjugue les deux formes d’ivresse (ivrognerie et enivrement). v Dans le texte A (Rostand), l’ivresse de Cyrano est celle de son enivrement amoureux et lyrique : c’est parce qu’il est fou amoureux, ou plutôt ivre amoureux, de sa cousine Roxane, qu’il court de tels risques et qu’il « brave la mort » jusqu’à lui écrire « tous les jours [d]eux fois ».

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Dans le texte B (Rabelais), la première motivation de l’ivresse est tout simplement l’amour du vin, sous des prétextes aussi divers que fallacieux : la soif (« – Trêve de soif ! »), la maladie ou la fièvre (« – Ah ! mauvaise fièvre, ne passeras-tu pas ? – Ma foi, ma commère, je n’arrive pas à me mettre en train. – Vous avez des frissons, m’amie ? – À foison ! »). Mais la motivation essentielle reste l’ivresse jubilatoire des mots qui disent l’enivrement, qu’il s’agisse de les échanger pour les protagonistes (« – Ventre saint Quenet, parlons boisson. – Je ne bois qu’à mes heures, comme la mule du pape. – Je ne bois qu’à mon livre d’heures, en bon père supérieur »), de les lire pour nous lecteurs et, bien sûr voire surtout, de les écrire pour Rabelais, dans ce passage qui regorge ou déborde (si l’on ose ainsi s’exprimer !) de jeux de mots, notamment dans la parodie des débats scolastiques : « – Qu’est-ce qui vint en premier lieu, avoir soif ou bien boire ? – Avoir soif : qui aurait bu sans soif à l’Âge d’innocence ? – Bien boire, car privation suppose possession, je suis clerc en la matière. – Une coupe féconde a toujours aux mortels donné grande faconde. – Nous autres, innocents, ne buvons que trop sans soif. – Moi, pauvre pécheur, ce n’est pas mon cas : faute de boire pour la soif du moment, je préviens celle à venir, vous saisissez ? Je bois pour les soifs de demain. Je bois éternellement. C’est pour moi une éternité de beuverie et une beuverie de toute éternité. – Chantons, buvons, entonnons un cantique ! – Où est mon entonnoir ? – Quoi ! je ne bois que par procuration ? » Dans le texte C (Hugo), la première motivation de l’ivresse est la tristesse : « Grantaire, triste, buvait. […] Grantaire avait entraîné Joly et Bossuet vers le vin ; Bossuet et Joly avaient ramené Grantaire vers la joie. » Mais l’ivresse de Grantaire va au-delà de l’ivrognerie, elle est celle, quasi suicidaire, du coma éthylique, ici motivé par la volonté de « s’emplir le cerveau de crépuscule ». Raison pour laquelle il délaisse le vin, « médiocre source de rêves » qui, « près des ivrognes sérieux, n’a qu’un succès d’estime ». Poétiquement, Hugo transfigure cette sordide et pathétique ébriété en opposant « la magie noire et la magie blanche », et en soulignant combien Grantaire est attiré par le vertige de cette descente aux enfers éthyliques : « Grantaire était un aventureux buveur de songes. La noirceur d’une ivresse redoutable entr’ouverte devant lui, loin de l’arrêter l’attirait. » Dans le texte D (Zola), la première motivation de l’ivresse est la misère sociale : « Le vin, elle le pardonnait, parce que le vin nourrit l’ouvrier. » En l’occurrence, Coupeau, un peu comme Grantaire dans le texte C, ne se contente pas du vin, il sombre dans un alcoolisme plus radical : « il en était donc à l’eau-de-vie, maintenant ! » Pour autant, la dimension sociale de cette ivrognerie aggravée est confirmée par l’exclamation finale : « les alcools, au contraire, étaient des saletés, des poisons qui ôtaient à l’ouvrier le goût du pain. Ah ! le gouvernement aurait bien dû empêcher la fabrication de ces cochonneries ! » Dans le texte E (Baudelaire), la première motivation de l’ivresse est « intellectuelle », il s’agit de lutter contre les outrages du temps qui passe : « Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. » Cette justification, donnée d’emblée, est réaffirmée à la fin du poème : « Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous. » C’est la raison pour laquelle les moyens d’enivrement proposés dépassent largement le seul alcoolisme ou les seules ressources de l’ivrognerie, comme l’indique la mention, elle aussi présente au début mais aussi à la fin du poème : « De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. » w Si les 4 textes sont en prose, les textes B (Rabelais) et E (Baudelaire) s’apparentent à des poèmes en prose : c’est explicitement le cas de l’extrait E, mais aussi de l’extrait B qui ressortit au genre du conte ; dans ces deux textes abondent les marques d’une approche poétique de l’ivresse. Quant aux extraits C et D, ils sont l’un et l’autre tirés de romans, avec les marques d’un narrateur omniscient et des passages au style direct (texte C : « – Enjolras me dédaigne, murmura-t-il. Enjolras a dit : Joly est malade, Grantaire est ivre. C’est à Bossuet qu’il a envoyé Navet. S’il était venu me prendre, je l’aurais suivi. Tant pis pour Enjolras ! je n’irai pas à son enterrement ») ou au style indirect libre (texte D : « c’était bien Coupeau qui se jetait son petit verre de schnick dans le gosier, d’un geste familier déjà. Il mentait donc, il en était donc à l’eau-de-vie, maintenant ! […] Le vin, elle le pardonnait, parce que le vin nourrit l’ouvrier ; les alcools, au contraire, étaient des saletés, des poisons qui ôtaient à l’ouvrier le goût du pain. Ah ! le gouvernement aurait bien dû empêcher la fabrication de ces cochonneries ! ») ; ils évoquent tous les deux implicitement ou explicitement les ravages de l’ivresse publique, avec un arrière-plan social très marqué (surtout dans le texte D). x Les textes A (Rostand) et E (Baudelaire) s’opposent sur la question de l’ivresse en ce que l’un dénonce l’ivresse et ses excès par la voix de Christian (v. 2089-2090), alors que l’autre, au contraire, recommande l’ivresse quelle qu’en soit la forme, la considérant comme le seul moyen « pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps ». y L’ivresse du personnage se manifeste à plusieurs indices : la bouteille de champagne renversée au bord de la table – laissant néanmoins clairement apparaître ou deviner la marque, ce qui est toutefois

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normal ici, puisque, rappelons-le, ce tableau illustre une publicité pour la célèbre maison Mumm ! –, la coupe qu’il tient assez fermement en sa main droite, son visage et surtout son nez d’un rouge quasiment bordeaux – ce qui, en noir et blanc, n’apparaît évidemment pas autrement que sous la forme d’une zone très assombrie et foncée –, enfin son rictus, sorte de (sou)rire figé dans l’évidence de la griserie, que souligne la fixité du regard, perdu dans le vide, tandis que son couvre-chef est nettement rejeté en arrière de sa tête, laissant largement apparaître sa chevelure. Autres indices : on peut constater aussi la présence d’autres coupes, vides, sur la table, et voir que Polichinelle est assis un peu n’importe comment, au bord de la chaise au dossier de laquelle il se rattache de la main gauche, non moins fermement : à défaut d’être « ivre mort » – s’il l’était, tiendrait-il encore assis, assez droit d’ailleurs comme il paraît l’être ? –, il est comme prostré dans la griserie. On peut enfin souligner le contraste global entre l’évidente griserie et la relative tenue du personnage, dans son magnifique costume de théâtre !

Travaux d’écriture

Question préliminaire Dans le texte A (Rostand), l’ivresse de Cyrano, celle de son enivrement amoureux et lyrique, a pour vertu de le rendre téméraire, au point de n’avoir aucune conscience, ou en tout cas aucune crainte, des risques qu’il court, puisqu’il « brave la mort » jusqu’à écrire « tous les jours [d]eux fois » à celle qu’il aime. Dans le texte B (Rabelais), l’ivresse est perçue comme la source des plus grands plaisirs, qu’elle permette d’étancher une soif ou de guérir une maladie ou, plus profondément, de partager la joie de vivre sans modération dans « une éternité de beuverie et une beuverie de toute éternité ». C’est dans ce texte que la dimension conviviale de l’ivresse est le plus soulignée, comme en témoigne la fréquence des verbes à la 1re personne du pluriel. Dans le texte C (Hugo), l’ivresse, poussée à l’ivrognerie la plus extrême, a pour vertu de tirer l’ivrogne de sa tristesse pour le faire plonger dans un gouffre peut-être plus terrible encore, mais perçu comme irrésistible, et comme le lien du corps à l’âme, mais dans une dimension autodestructrice prononcée : « La chope, c’est le gouffre. N’ayant sous la main ni opium, ni haschisch, et voulant s’emplir le cerveau de crépuscule, il avait eu recours à cet effrayant mélange d’eau-de-vie, de stout et d’absinthe, qui produit des léthargies si terribles. C’est de ces trois vapeurs, bière, eau-de-vie, absinthe, qu’est fait le plomb de l’âme. » Dans le texte D (Zola), l’ivresse est d’abord perçue comme un palliatif à la misère sociale, du moins lorsqu’il ne s’agit que du vin « nourricier » : « Le vin, elle le pardonnait, parce que le vin nourrit l’ouvrier. » Dans le texte E (Baudelaire), l’ivresse/enivrement a pour principale, sinon unique, vertu de permettre à celui qui s’enivre « de vin, de poésie ou de vertu » de surmonter les outrages du temps qui passe, selon une thématique quasi obsessionnelle chez Baudelaire.

Commentaire

Situation du texte Le poème Enivrez-vous est le 33e des 50 poèmes en prose (complétés d’un ultime poème, en vers celui-là : Épilogue) du recueil posthume Le Spleen de Paris. Petits Poèmes en prose (1869) dans lequel Baudelaire (1821-1867) entendait faire écho aux 100 poèmes en vers de son recueil majeur Les Fleurs du Mal (1857), et dénoncer notamment le mépris rencontré par l’artiste dans une société industrielle de plus en plus matérialiste sous le Second Empire. Mais au-delà de ce contexte politico-économique, on y retrouve plusieurs obsessions baudelairiennes, autour de l’antagonisme Spleen et Idéal, à commencer par la lutte contre le Temps, « ennemi » presque toujours mentionné avec une majuscule : l’ivresse ici préconisée, dès le titre à l’impératif provocateur en forme de slogan publicitaire ou de mot d’ordre subversif, voire insurrectionnel – malgré l’absence de point d’exclamation –, est motivée par ce souci de répondre aux outrages du temps qui passe, inéluctablement, et qui ravage des existences déjà misérables. Multiforme ou indéterminée, l’ivresse apparaît ici comme le seul palliatif de la tristesse humaine face au terrible Temps, triomphateur inhumain, car toujours indifférent à notre mortelle condition.

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Pistes de commentaire du poème

1. L’ivresse impérative face au Temps dévastateur A. Hantise baudelairienne L’Homme doit impérativement (cf. l’impératif du titre) échapper au Temps dévastateur, obsession soulignée au début comme à la fin du texte en deux formulations syntaxiques analogues, sinon semblables, dont la situation à l’incipit et à l’excipit du poème renforce l’effet d’écho : « Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre » et « Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps ». B. Le Temps dévastateur Ses ravages se lisent ici dans la silhouette implicite du vieillard courbé sous le poids des ans (périphrase pour désigner la vieillesse) avec la métaphore du « fardeau […] qui brise vos épaules et vous penche vers la terre », métaphore du Temps personnifié en impitoyable esclavagiste, filée avec la formule « les esclaves martyrisés du Temps », qui aggrave notre destinée mortelle en nous persécutant. C. L’obsession du Temps Elle est soulignée par le réseau des termes temporels au cœur du texte : « sans trêve », « quelquefois », « l’horloge », « tout ce qui fuit » (cf. le célèbre vers du poète latin Virgile, in Géorgiques, III, v. 284 : Fugit irreparabile tempus), « l’heure », de nouveau « l’horloge » (un poème du recueil Le Spleen de Paris. Petits Poèmes en prose porte ce titre, de même que pour « la solitude » évoquée ici au début du 3e paragraphe) qui, personnifiée puisque douée de parole, annonce qu’« il est l’heure de s’enivrer ». N.B. Impossible d’évoquer le Temps ou l’horloge sans faire référence au célèbre poème L’Horloge des Fleurs du Mal, où, tout au contraire de celle qui, complice de son désir d’évasion, invite ici l’Homme à se soustraire à la conscience de la durée, elle incarne le Temps, « joueur avide » dévastateur et mortifère, en une vision apocalyptique :

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi ! Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi Se planteront bientôt comme dans une cible ; Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ; Chaque instant te dévore un morceau du délice À chaque homme accordé pour toute sa saison. Trois mille six cents fois par heure, la Seconde Chuchote : Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voix D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois, Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor ! (Mon gosier de métal parle toutes les langues.) Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or ! Souviens-toi que le Temps est un joueur avide Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi. Le jour décroît ; la nuit augmente; souviens-toi ! Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard, Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,

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Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !), Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

L’Horloge, in Les Fleurs du Mal. Même vision apocalyptique du Temps dans le sonnet L’Ennemi – au titre éloquent ! –, tiré lui aussi des Fleurs du Mal, dont le dernier tercet résonne comme un cri de douleur :

– Ô douleur ! ô douleur ! Le temps mange la vie, Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

L’Ennemi, in Les Fleurs du Mal.

2. Une ivresse universelle A. L’incipit du poème prend la forme impersonnelle (« Il faut ») d’une généralisation à valeur universelle et permanente (« toujours »), sans la moindre distinction « Il faut être toujours ivre. » Le 1er paragraphe s’achève sur une reprise de cet incipit, avec un double glissement significatif : « Il faut vous enivrer sans trêve. » Le « vous » interpelle le lecteur, saisi dans sa condition d’être soumis, lui aussi, aux assauts du Temps, et « vous enivrer sans trêve », au lieu de « être toujours ivre », souligne le processus nécessaire pour obtenir le résultat souhaité. B. Cette impérative ivresse est universelle, car elle abolit les barrières sociales « Sur les marches d’un palais » suggère la figure d’un souverain ou d’un juge (palais de justice), tandis que, à l’extrême social inverse, « sur l’herbe verte d’un fossé » évoque un pauvre ou un vagabond (sur le thème, récurrent chez Baudelaire, de la pauvreté, cf. les poèmes Le Vieux Saltimbanque, Le Joujou du Pauvre, Les Yeux des pauvres ou Assommons les pauvres !, in Le Spleen de Paris), cependant que « dans la solitude morne de votre chambre » renvoie au lecteur lui-même, avec l’évident arrière-plan de l’ennui pascalien (déjà présent dans le poème La Solitude, ibid., qui s’achève ainsi : « “Presque tous nos malheurs nous viennent de n'avoir pas su rester dans notre chambre”, dit un autre sage, Pascal, je crois, rappelant ainsi dans la cellule du recueillement tous ces affolés qui cherchent le bonheur dans le mouvement et dans une prostitution que je pourrais appeler fraternitaire, si je voulais parler la belle langue de mon siècle »), et le thème du poète isolé, voire reclus, dans sa chambre, à la fois réelle et symbolique (comme dans le poème À une heure du matin, ibid. : « Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. / Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! D’abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde »). C. Une ivresse universelle Enfin, cette ivresse est universelle, car elle concerne non seulement tous les hommes mais la nature, et même l’univers entier, puisque tous les éléments s’unissent et se coalisent pour y exhorter chacun de nous : le « vent », « la vague », « l’étoile », « l’oiseau » (donc les éléments fondamentaux de l’air et de l’eau), et, plus universellement encore, « tout ce qui fuit » (l’éphémère), « tout ce qui gémit » (les peines de la nature), « tout ce qui roule » (les mouvements de la nature), « tout ce qui chante » (les joies de la nature), « tout ce qui parle » (la nature a son propre langage) – comme l’a déjà souligné Baudelaire dans son célèbre sonnet Correspondances, in Les Fleurs du Mal, illustration de sa conception esthétique fondamentale des synesthésies :

La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

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Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, – Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l’expansion des choses infinies, Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Correspondances, in Les Fleurs du Mal. Le mot d’ordre liminaire du poète (« Enivrez-vous » et « Il faut être toujours ivre ») se trouve ainsi mis en œuvre et comme à exécution par toutes les voix de la nature, en un lyrisme lui-même universalisant.

3. Une ivresse multiforme et indéterminée A. Le poète ne décrit pas les effets de l’ivresse, mais intime à l’Homme de fuir l’horreur de sa condition dans l’ivresse même, quelle qu’elle soit. « De vin, de poésie, ou de vertu » : s’il est bien évident que les moyens ici évoqués sont très différents, ils permettent tous d’échapper au Temps et de répondre à cette oppression permanente en étant systématiquement excessif, quelles que soient les formes de cet excès. B. La mention du « vin » est évidemment celle qui vient immédiatement à l’esprit en matière d’ivresse, surtout à l’époque de Baudelaire où le vin est associé à la misère sociale, comme dans le texte D (Zola), présentant l’ivresse d’abord comme un palliatif de la condition ouvrière, du moins lorsqu’il ne s’agit que du vin « nourricier » : « Le vin, elle le pardonnait, parce que le vin nourrit l’ouvrier. » C. Il faut ici rappeler que toute une section des Fleurs du Mal est d’ailleurs intitulée Le Vin, avec notamment le poème L’Âme du vin, vaste prosopopée du vin s’adressant ainsi à l’Homme, « ô cher déshérité » : « Car j’éprouve une joie immense quand je tombe / Dans le gosier d’un homme usé par les travaux. » D. L’apparente équivalence entre les trois procédés évoqués (« De vin, de poésie, ou de vertu ») appelle toutefois d’autres remarques : si le vin permet cette ivresse des sens qu’est l’ivrognerie et si la vertu aboutit à cette ivresse morale qu’est l’enivrement, si l’un apporte l’oubli de la misère matérielle et si l’autre assure une élévation au-dessus des contingences et des mesquineries du vulgaire, on peut aussi y voir, ironiquement de la part de Baudelaire, les armes respectives du peuple opprimé s’adonnant à l’ivresse publique et des puissants en quête de respectabilité et d’honorabilité bourgeoises, ironie soulignée par « à votre guise », comme si Baudelaire renvoyait dos à dos ces deux formes d’ivresse antagonistes, vin et vertu étant mis sur un pied d’égalité, sans la moindre considération morale, puisque l’important est d’oublier le réel et le Temps. E. Il n’est dès lors pas anecdotique que la poésie figure au centre du triptyque, en une sorte d’arbitre ou de juge souverain au-dessus de ces deux extrêmes, en permettant une ivresse synthèse des deux autres, en ce qu’elle est à la fois physique (ivrognerie) et morale (enivrement), comme l’âme située au carrefour du corps et de l’esprit : la poésie permet en effet l’ivresse de la beauté poétique, le seul véritable enivrement possible pour Baudelaire, celui de l’art. C’est ce qu’il souligne dans Une mort héroïque, autre poème en prose du Spleen de Paris : « […] l’ivresse de l’Art est plus apte que toute autre à voiler les terreurs du gouffre. »

Conclusion Ainsi transfigurée, l’ivresse n’est plus l’ivrognerie réprimée par les autorités de la société bourgeoise, mais le remède au mal métaphysique qui ronge nos existences : loin d’être punissable et dégradante, elle est paradoxalement la seule source de réelle noblesse de l’homme, celle de l’enivrement esthétique et poétique qu’apporte l’art. Joignant le geste à la parole, Baudelaire s’applique à lui-même cette exhortation et reproduit cette ivresse en composant, après deux paragraphes très courts, un 3e et dernier paragraphe constitué d’une seule et même très longue phrase, ponctuée par une insertion de discours direct reprenant l’impératif et le mot d’ordre du titre et du 2e paragraphe : ainsi la boucle de l’enivrement au moins poétique et de l’enthousiasme lyrique est-elle bouclée, de magistrale manière ! Dans Les Paradis artificiels, à la fin du Poème du haschisch, Baudelaire condamne les formes artificielles d’ivresse, notamment celle du haschisch, pour ne retenir que celle de l’art et de la création : « Ces

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infortunés [ceux qui recourent aux paradis artificiels] qui n’ont ni jeûné, ni prié, et qui ont refusé la rédemption par le travail, demandent à la noire magie les moyens de s’élever, d’un seul coup, à l’existence surnaturelle. La magie les dupe et elle allume pour eux un faux bonheur et une fausse lumière ; tandis que nous, poètes et philosophes, nous avons régénéré notre âme par le travail successif et la contemplation ; par l’exercice assidu de la volonté et la noblesse permanente de l’intention, nous avons créé à notre usage un jardin de vraie beauté » (Le Poème du haschisch, V. Morale, in Les Paradis artificiels).

Dissertation

Introduction Par-delà l’extraordinaire diversité des genres littéraires (du théâtre à la poésie, tant en vers qu’en prose, en passant par le roman, le conte, la nouvelle), la littérature, derrière l’apparente mais trompeuse unité de ce singulier (« la »), offre une multiplicité de contenus, liée surtout aux buts qu’elle poursuit, aux objectifs qu’elle se fixe. Amuser ? Distraire ? Plaire ? Séduire ? Enchanter ? Effrayer ? Expliquer ? Impliquer ? Engager ? Édifier ? Convaincre ? Convertir ? Polémiquer ? Condamner ? Notre histoire littéraire offrirait une tout autre présentation, loin des seuls genres et courants, si l’on choisissait de l’articuler autour de ces fins, qu’on peut regrouper sous cette alternative : littérature d’agrément ou de réflexion, selon qu’elle s’adresse d’abord à notre sensibilité ou à notre raison. Ainsi, pour le même thème de l’ivresse, le rire rabelaisien célébrant l’ivrognerie côtoie les graves réflexions hugoliennes (Les Misérables) ou zoliennes (Les Rougon-Macquart) face aux ravages de l’alcoolisme, ainsi que l’invitation baudelairienne (Le Spleen de Paris) à l’enivrement esthétique, contre les prestiges duquel Rostand (Cyrano de Bergerac) semble nous mettre en garde. Précisément, l’une des priorités de la littérature est-elle d’évoquer les réalités même les plus douloureuses (maladie, souffrance, mort) ? Ou doit-elle, au contraire, nous en éloigner, ou du moins ne nous les présenter que sous le masque du (sou)rire ? C’est à ces questions que nous nous efforcerons de répondre, à la lumière notamment de ce corpus et d’autres lectures personnelles.

1. La littérature face aux réalités douloureuses A. Pour mieux les connaître ? Tel est le credo du réalisme (Flaubert, Hugo) : avec Les Misérables, au titre éloquent, comme plus tard dans L’Homme qui rit, Hugo se propose de plonger au cœur de la plus noire misère sociale, afin de faire connaître à ses lecteurs une réalité presque toujours douloureuse qu’ils ignorent ou oublient ou préfèrent ne pas voir. Ainsi dans notre passage, où le romancier décrit la plongée de Grantaire dans l’alcoolisme le plus irrémédiable, véritable descente aux enfers sans aucun retour. Hugo agit ici en « éclaireur » de la société, comme dans son œuvre poétique (Châtiments, Les Contemplations, La Légende des siècles) et polémique (Napoléon-le-Petit), avec la conviction que la « fonction du poète » (titre d’un de ses plus célèbres poèmes) est d’éclairer et de guider la société. B. Pour mieux les affronter ? Telle est aussi, voire davantage encore, la vocation du naturalisme de Zola : la littérature se doit de témoigner des réalités les plus douloureuses. En sous-titrant Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire la fresque des 20 romans des Rougon-Macquart, Zola entend conférer à la littérature une rigueur quasi scientifique, destinée à mieux exposer, dénoncer et affronter les pires réalités de la société, qu’il s’agisse, comme ici dans L’Assommoir, des ravages de l’alcoolisme, ou, dans Germinal, de l’exploitation des mineurs ou encore, dans Au bonheur des Dames, de la naissance de la société de consommation et, plus largement, du matérialisme le plus effréné. Fidèle à cette conception esthétique et politique de l’engagement, Zola se signalera en outre avec son retentissant article « J’accuse… ! » (13 janvier 1898) dans L’Aurore, en faveur du capitaine Dreyfus, traditionnellement retenu comme l’acte de naissance de la notion d’« intellectuel engagé ». Si tout le XXe siècle voit ainsi se généraliser le concept de « littérature engagée », pour les prises de position politiques et sociales les plus antagonistes, d’Aragon, Sartre et Genet (entre autres) à Céline, Brasillach et Drieu La Rochelle, en passant par Gide, Malraux et Mauriac, on doit toutefois souligner que dès le XVIe siècle, à l’occasion des guerres de Religion, la littérature était utilisée comme une arme de polémique, opposant par exemple le catholique Ronsard (La Franciade) au protestant Agrippa d’Aubigné (Les Tragiques).

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Réponses aux questions – 28

C. Pour mieux les surmonter ? Néanmoins, comment se contenter de faire connaître ou de permettre d’affronter les réalités les plus douloureuses ? Par-delà leurs différences de siècles, de genres ou de positions, les partisans d’une telle approche de la littérature entendent ainsi aider leurs lecteurs (ou les auteurs eux-mêmes) à mieux surmonter le réel le plus éprouvant. Telle est, évidemment, la raison d’être de l’immense champ de la poésie lyrique, celle des sentiments personnels, qu’il s’agisse d’épancher un cœur souffrant de la maladie d’amour ou de la perte d’un être cher – parmi d’innombrables exemples, on peut citer les Sonnets de Louise Labé, ou, au théâtre, des tirades des héros et héroïnes de Corneille et Racine, ou quantité de vers des poètes romantiques (Lamartine, Vigny, Hugo, Musset, etc.), ou encore Apollinaire et Eluard –, ou de confier à ses vers ou proses toutes les blessures ou souffrances ou frustrations d’une existence (pour nous limiter à la fin du XIXe s. : Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé). (N.B. On pourra faire observer aux élèves, avec l’exemple de Montaigne célébrant le souvenir de son parfait ami La Boétie dans les Essais, que l’expression de sentiments personnels sincères et intenses n’est pas l’apanage de la poésie lyrique ; et que, réciproquement, quantité de vers, aux XVIe, XVIIe et surtout XVIIIe siècles, sont dépourvus du moindre lyrisme vraiment touchant.) Telle est aussi la vocation plus particulière du théâtre qui, en raison de sa réception spécifique (car collective) permettant une amplification et un retentissement considérables et quasi instantanés – qu’on songe à la seule « bataille d’Hernani » autour de la pièce de Victor Hugo en 1830 ! –, s’impose depuis toujours comme une « tribune » politique et sociale. C’est pourquoi l’Église s’y est si souvent opposée ; c’est pourquoi aussi les plus grands écrivains, même ceux dont nous n’étudions plus les pièces, s’y sont illustrés ou ont souhaité y briller, de Voltaire à Nerval en passant par Diderot, Balzac, Stendhal (ce que nos élèves ignorent trop souvent) ; c’est pourquoi enfin Sartre, au XXe siècle, a rencontré un large public grâce à ses pièces, qui lui ont permis de diffuser et d’illustrer sa doctrine de l’existentialisme, bien plus que par ses romans ou ses essais philosophiques, restés confidentiels. Dénoncer la réalité si redoutable, car si douloureuse pour la société de son temps, de l’hypocrisie des faux dévots fut le combat presque mortel de Molière (avec Le Tartuffe ou l’Imposteur et Dom Juan ou le Festin de Pierre). Plus près de nous, les dramaturges du XXe siècle, aussi divers que Adamov, Anouilh, Audiberti, Genet, Giraudoux, Montherlant, Sartre ou Césaire (La Tragédie du roi Christophe, contre le colonialisme), et surtout Ionesco (Rhinocéros) et Beckett (En attendant Godot), avec leur « théâtre de l’absurde » largement assimilable à un « anti-théâtre », ont magistralement utilisé la scène pour mieux dénoncer les réalités politiques et sociales, voire « existentielles », les plus douloureuses de leur temps.

2. La littérature loin des réalités douloureuses A. Pour mieux les oublier ? Néanmoins, bien des écrivains ont préféré, face aux épreuves du réel, leur « tourner le dos », ou du moins ne pas les prendre au sérieux. Ainsi de Rabelais qui, dans l’extrait de notre corpus, s’emploie à faire l’éloge le plus joyeux et le plus « enivrant » de l’ivrognerie ! Rien d’étonnant de la part d’un écrivain qui achevait son avis Au lecteur par ce célèbre distique : « Mieux est de ris que de larmes écrire / Pour ce que rire est le propre de l’homme. » Ainsi, alors que son siècle est certes celui de la Renaissance et de l’humanisme, mais aussi, voire surtout, celui des pires atrocités politiques (guerres de Religion), l’œuvre de Rabelais se présente (surtout pour Gargantua, Pantagruel et le Tiers Livre) comme un « gigantesque » – à l’image de ses « gigantesques » héros – éclat de rire, d’une rare liberté de ton et d’une débordante et contagieuse jubilation ! Telle est aussi l’approche retenue par les dramaturges du théâtre de Boulevard en général, et du vaudeville en particulier : dignes héritiers de Labiche, et Feydeau et Courteline ont choisi de « distraire » leurs contemporains en montrant sur scène leurs travers les plus évidents, ceux de l’humanité éternelle (infidélités, lâchetés, vices « ordinaires »), sans même la prétention de les en corriger vraiment, dans des pièces (souvent brèves) certes un peu désabusées sur la nature humaine mais d’une rare drôlerie… B. Pour mieux les affronter ? Les seuls Contes de Voltaire (Candide, L’Ingénu, Micromégas, notamment) tendent à illustrer que le détour par le (sou)rire face au réel le plus éprouvant se révèle souvent plus efficace qu’une confrontation directe et « sérieuse ». L’ironie voltairienne pour dénoncer le fanatisme religieux, l’absurdité des guerres

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ou l’irresponsabilité des souverains obéit certes à des préoccupations politiques (éviter la censure), mais répond aussi à une conviction esthétique et morale : la « légèreté » du (sou)rire est souvent plus efficace que la gravité de la condamnation au premier degré. Telle était déjà, dans les générations précédentes, et avec quelle réussite, la démarche de La Fontaine (mort un an après la naissance de Voltaire) dans ses Fables choisies mises en vers, ou celle de La Bruyère dans ses Caractères, d’une ironie dévastatrice – et qui contraste tant avec la gravité désabusée des Maximes de La Rochefoucauld ! –, ou encore celle de Montesquieu dans ses Lettres persanes. Telle est enfin le parti pris du théâtre de Marivaux, si singulier en ce qu’on y rit moins souvent qu’on n’y sourit, face aux subtilités du marivaudage (lointain ancêtre du cinéma d’Éric Rohmer ?) : loin d’être prérévolutionnaire comme le sera clairement celui de Beaumarchais (« Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus », osera s’exclamer Figaro cinq ans avant 1789 !), le théâtre « social » et utopique de Marivaux (L’Île des esclaves, L’Île de la raison) entend laisser chacun (maîtres et valets) à sa place, mais non sans rappeler à tous que les positions sociales respectives sont un fait de culture et non pas de nature, et qu’il leur faut conserver ou retrouver la part d’humanité sans laquelle aucune hiérarchie sociale ne saurait préserver sa cohésion. C. Pour mieux les surmonter ? C’est encore au théâtre que ce détour par le (sou)rire pour dénoncer et surmonter les réalités les plus éprouvantes se révèle le plus efficace, avec le triomphe de la comédie : c’est précisément, d’ailleurs, parce que ce genre a le grave tort de détourner, par le rire, de la salutaire crainte de Dieu tous les fidèles qui s’y pressent (cf., sur cet aspect historique, Le Nom de la Rose de Umberto Eco, adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud) que l’Église s’est si constamment et fermement opposée à la comédie ! En quittant les facilités souvent grossières de la farce pour les subtilités de la comédie de caractère (en 5 actes et en vers), Molière a donné ses lettres de noblesse à ce genre méprisé face à la tragédie, et fait sienne la devise Castigat ridendo mores (« Elle corrige les mœurs par le rire ») imaginée par Jean de Santeul (1630-1697) pour définir la comédie. Combat de très haute lutte dont il se justifia dans La Critique de « L’École des Femmes » et L’Impromptu de Versailles, véritable défense et illustration de sa démarche esthétique et sociale, annonçant la célèbre exclamation de Figaro chez Beaumarchais : « Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer. » C’est par la comédie satirique que Molière entend non seulement affronter mais surmonter les réalités les plus désagréables, même et surtout s’il s’agit des vices ou des ridicules les plus éternels : avarice (L’Avare, Les Fourberies de Scapin), hypocrisie (Le Tartuffe, Dom Juan), misogynie (L’École des femmes, Les Femmes savantes), misanthropie (Le Misanthrope), mégalomanie (Le Bourgeois gentilhomme), jalousie (Le Dépit amoureux, Sganarelle ou le Cocu imaginaire, L’École des maris, Amphitryon), charlatanisme (Le Médecin malgré lui, Le Malade imaginaire), entre autres. Synthèse esthétique des deux démarches, l’une frontale et « sérieuse », l’autre détournée et rieuse, face aux réalités douloureuses, le drame romantique, avec notamment Dumas, Hugo et Musset, ne s’imposera que quelques années, mais exercera une influence durable au XIXe siècle : avec Cyrano de Bergerac, Rostand ressuscita ce genre tombé dans l’oubli, et toute cette « comédie héroïque » peut se lire, ainsi que nous l’avons suggéré, comme une synthèse des deux démarches, notamment face à la question de l’ivresse. Dans l’extrait de notre corpus, Christian fait valoir l’impasse de l’ivresse morale (« Et cela t’enivrait, et l’ivresse était telle / Que tu bravais la mort… ») à laquelle Cyrano a succombé ; néanmoins, toute la pièce semble nous enseigner qu’on ne peut vivre sans ivresse face aux épreuves de la vie, mais qu’on ne peut pas davantage ne vivre que d’ivresse, qu’il faut donc comprendre à la fois Cyrano et Christian. Toujours est-il que, dans cette comédie de plus en plus tragique, Rostand a illustré que la meilleure façon d’affronter puis de surmonter les réalités douloureuses était peut-être de ne pas choisir entre larmes et rires, mais de les mêler comme nous l’impose si souvent la vie même.

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Compléments aux notes – 30

C O M P L É M E N T S A U X N O T E S

AVERTISSEMENT SUR LES NOTES • La majorité de nos définitions sont empruntées au Dictionnaire de la langue française de Paul-Émile Littré, dit le Littré (composé de 1859 à 1872, rééd. Encyclopædia Britannica, Chicago, 1991), d’une consultation typographiquement éprouvante, mais indispensable car le plus contemporain de Rostand. • Mais d’autres définitions, notamment pour les termes spécifiques au XVIIe siècle, proviennent du Dictionnaire universel d’Antoine Furetière (posthume, 1690, rééd. Dictionnaires Le Robert, 1978). • Nous avons fait aussi notre profit, ici et là, du Lexis, dictionnaire de langue française (Larousse, 1975), du Petit Robert 1 (langue française, Dictionnaires Le Robert, 1967, rééd. 1989, 1993) et du Petit Robert 2 (noms propres, Dictionnaires Le Robert, 1974, rééd. 1989, 1994).

Faute de place, nous avons dû abréger ou supprimer certaines notes dans le livre de l’élève ; on trouvera donc ici les compléments ou les ajouts correspondants. • Notre édition de référence reproduit la liste des personnages avec une abondance de majuscules, y compris pour les personnages constituant des « emplois » (marquis, fâcheux, mousquetaire, duègne, soubrette, etc.) et n’étant pas désignés par leur patronyme : nous n’avons conservé cette présentation « hyperbolique » que pour la présente distribution, ayant jugé plus pédagogique de réintroduire, dans le reste de la pièce, les usages typographiques réservant les majuscules aux seuls noms propres (en l’occurrence, nous avons composé en petites capitales les noms de tous les personnages, seuls ceux des personnages désignés par leur patronyme commençant par une grande capitale). Curieusement, parmi les éditions courantes actuelles, outre notre édition « Classiques Hachette » (Hachette, 1997) qui suit cette réédition de 1910, seules les éditions des collections « Folio » (n° 1487, Gallimard, 1983, rééd. « Folio classique » n°3246, 1999), « Le Livre de Poche classique » (n° 873, L.G.F., 1990), « Étonnants Classiques » (GF/Flammarion, 2000) et « Folioplus classiques » (n° 70, Gallimard, 2006), présentent cette même liste ; la plupart des autres éditions (collections « Classiques Larousse », Larousse, 1985, 1991, 2000, 2004 ; « Univers des Lettres Bordas », Bordas, 1988 ; « Lire et voir les classiques », Presses Pocket, 1989 ; « Les grands classiques Nathan », Nathan, 1991), même lorsqu’elles signalent (Presses Pocket, p. 388 ; Bordas, p. 254) qu’elles suivent ces mêmes rééditions de 1910, présentent une liste des personnages différente de celle arrêtée par Rostand, car complétée des mentions de « D’ARTAGNAN » (entre CUIGY et BRISSAILLE), et de « Une dame », « Une précieuse », « Une sœur » (après la bouquetière – l’édition Nathan, qui n’est d’ailleurs pas intégrale, rajoute la mention « D’ARTAGNAN » mais supprime la mention « Un mousquetaire », et ne rajoute pas les mentions « Une dame », « Une précieuse », « Une sœur »», tandis que la toute récente édition « Carrés classiques », Nathan, 2008, supprime purement et simplement la distribution !...). Or il est vrai que le personnage de D’Artagnan intervient (I, 4, v. 438 à 440), mais anonymement et sous la mention « Un mousquetaire » : c’est Cuigy qui révèle, à Cyrano qui la lui demande (v. 441), son identité. Rajouter la mention « D’ARTAGNAN » constitue donc une double erreur : infidélité au texte (à l’original comme à l’édition corrigée) de Rostand ; inattention au fait que c’est, en réalité, D’Artagnan qui est désigné, dans la distribution des personnages, par l’anonyme mention « Un mousquetaire » ; cette même mention désigne ensuite, à l’acte II, celui qui courtise Lise, la femme de Ragueneau. À la création de la pièce, c’est un même acteur (Carlit) qui interprétait les deux rôles. • Complément à la note 8 sur Lignière, p. 8 : Les commentateurs ne sont pas unanimes sur l’orthographe de ce patronyme : Antoine Adam écrit Lignières ; Jacques Truchet, Lignière. Après en avoir été longtemps l’ami, le poète fut pris pour cible par Nicolas Boileau dans L’Art poétique (chant II, vv. 191 à 194) : « Il faut même en chanson du bon sens et de l’art. / Mais pourtant on a vu le vin et le hasard / Inspirer quelquefois une Muse grossière, / Et fournir sans génie un couplet à Linière [sic]. » • Complément à la note 9 sur « Marquis », p. 8 : À l’origine, un marquis est un seigneur préposé à la garde des marches, c’est-à-dire des frontières d’un État ; ce titre de noblesse est hiérarchiquement supérieur à ceux de chevalier, vicomte et comte, mais inférieur à celui de duc. Néanmoins, dès le

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XVIIe s., le terme désigne, dans les comédies, un personnage appartenant à la noblesse, mais se révélant ridicule ; cf. Molière, L’Impromptu de Versailles, sc. 1 : « [Molière] Vous, prenez garde à bien représenter avec moi votre rôle de marquis. – [Mlle Molière] Toujours des marquis ! – [Molière] Oui, toujours des marquis. Que diable voulez-vous qu’on prenne pour un caractère agréable de théâtre ? Le marquis aujourd’hui est le plaisant de la comédie ; et, comme, dans toutes les comédies anciennes, on voit toujours un valet bouffon qui fait rire les auditeurs, de même, dans toutes nos pièces de maintenant, il faut toujours un marquis ridicule qui divertisse la compagnie » (« Classiques Hachette » n° 43, Hachette, 1994, p. 73). • Complément à la note 10 sur Montfleury, p. 8 : Sur la corpulence exceptionnelle du personnage, cf. « cette tonne » (v. 90), « Gros homme » (v. 192) et « Ce Silène / Si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril » (v. 484-485) ; cette corpulence lui valut les railleries de Molière dans L’Impromptu de Versailles (sc. 1), comme de Cyrano de Bergerac dans sa lettre Contre un gros homme (cf. notre extrait, à la note du vers 188). • Complément à la note 6 sur « Un mousquetaire », p. 9 : Inadvertance de Rostand ? Il se trouve que la pièce commence avec l’intrusion de deux « cavaliers » qui refusent de payer leur place, l’un parce qu’il est « chevau-léger de la maison du Roi » (v. 2), l’autre parce qu’il est « mousquetaire » (v. 3). Or la distribution ne mentionne aucun « cavalier », mais « un chevau-léger », puis « un mousquetaire » et « un autre ». Mais on trouve, en plus du « deuxième cavalier » qui prononce la réplique du vers 3, au moins deux autres mousquetaires par la suite : D’Artagnan, dont l’identité est révélée à Cyrano par Cuigy (I, 4, v. 438 à 441), et l’amant de Lise, épouse de Ragueneau (à l’acte II). Donc, soit Rostand n’a mentionné dans la distribution que deux mousquetaires au lieu de trois, soit il faut penser que ce mousquetaire qui refuse de payer sa place est D’Artagnan. • Complément à la note 7 sur « Un chevau-léger », p. 9 : Désigné par la mention « Le cavalier » au début de la pièce ; c’est seulement sa réplique du vers 2 qui l’identifie comme « chevau-léger ». • Ajouter, p. 9, en note, à « Deux musiciens » : Il s’agit exactement de « deux pages porteurs de théorbes » (III, 1, v. 1188, p. 167). • Ajouter, p. 10, en note, à « Une comédienne » : Désignée, en réalité, par la mention « une autre comédienne, sautant de la scène » (I, 7, v. 589). • Complément à la note 7 sur « La soubrette », p. 10 : Désignée, en réalité, par la mention « une comédienne, en costume de soubrette » (I, 7, v. 585). • Complément à la note 7, p. 17, à propos de la réplique située entre les v. 16 et 17 : C’est ici que la numérotation des vers devient inexacte et se trouve décalée d’un vers dans les éditions « Classiques Larousse » (Larousse, 2004, p. 38) et « Univers des Lettres Bordas » (Bordas, 1988, p. 24), qui ont, à tort, comptabilisé cette réplique des pages comme un vers, ce qu’elle n’est pas, puisqu’elle ne rime avec rien de ce qui précède ni de ce qui suit. • Ajouter, p. 18, en note au v. 23, à « Clorise » : C’est pour des raisons métriques que Rostand a écrit « Clorise » au lieu de « La Clorise » ; en effet, le mot « Clorise » compte déjà pour 3 syllabes, la dernière syllabe (« -se ») n’étant pas muette, puisqu’elle précède une consonne (« De » dans « De qui est-ce ? »), et devant donc être comptabilisée : en rajoutant « La », le vers aurait totalisé 13 syllabes, ce qui est évidemment impossible pour un alexandrin. • Ajouter, p. 25, en note au v. 68 : Singularité proche de l’invraisemblance : comment Christian, débarquant de sa Touraine à Paris depuis moins de trois semaines, sait-il déjà que Roxane, dans cette salle de l’Hôtel de Bourgogne, « est toujours à droite, au fond : la loge vide » ? • Ajouter, p. 26, en note au v. 72, à « ce rivesalte » : Avec une minuscule, selon l’usage typographique orthographiant les noms d’appellation et de cépage (un bordeaux, un bourgogne, de la syrah, du cabernet, des vins de pays des coteaux de l’Ardèche), contrairement aux noms des vins (châteaux, clos, domaines) qui s’écrivent avec une majuscule (le château Latour, le clos de Vougeot, le domaine de la Romanée-Conti) ; le mot est écrit avec une majuscule au vers 71 (« Rivesalte ? »), parce qu’il commence une réplique de la distributrice, mais, sans cela, on aurait, par exemple : « Du rivesalte ? » • Ajouter, p. 31, en note à la fin de la didascalie (« Christian, occupé à payer la distributrice, ne regarde pas ») entrecoupant le v. 122 : Pourquoi Christian paye-t-il la distributrice ? Sans doute pour les quatre verres (cf. la didascalie du v. 94 : « qui en est à son quatrième petit verre ») de rivesalte bus par son ami Lignière ; mais est-il vraisemblable qu’il la paye seulement maintenant (au v. 122, une

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Compléments aux notes – 32

trentaine de vers – et non de verres ! – plus tard), soit après un long portrait de Cyrano par Ragueneau et Le Bret ? En outre, est-il vraisemblable aussi que, malgré les rumeurs saluant l’apparition de Roxane et sous prétexte qu’il paye la distributrice, il ne lève pas aussitôt les yeux vers cette loge qu’il connaît d’ailleurs étrangement bien pour quelqu’un qui vient à peine de « débarquer » à Paris (cf. note complémentaire au v. 68) ? Guère vraisemblable assurément, même si, dès la didascalie du v. 126, il « lève la tête, aperçoit Roxane, et saisit vivement Lignière par le bras ». Pourtant, cette invraisemblance est nécessaire, puisqu’elle permet le coup de foudre de Roxane pour Christian, signalé par Lignière (v. 140 : « Restez. On vous regarde »), alors que, par définition, le coup de foudre inverse, de Christian pour Roxane, a déjà eu lieu, avant le lever de rideau de la pièce de Rostand. C’est même parce qu’il constate (v.141 : « C’est vrai ! ») que Roxane, qui le voit pour la première fois, le regarde sans qu’il la regarde, que Christian (et avec lui les spectateurs de la pièce de Rostand) peut penser qu’une réciprocité d’attirance existe entre eux, au moment précis où lui-même (et nous avec) apprend la double et redoutable rivalité (pour lui) des complices De Guiche et Valvert, et où vient de lui être confirmé (cf. v. 127-128) qu’à cet obstacle extérieur s’ajoute un obstacle intérieur : Roxane est aussi éprise d’esprit qu’il en est lui-même dépourvu, de son propre aveu (cf. v. 64 à 67). • Complément à la note 1, p. 32, à propos de la didascalie entrecoupant le v. 129 : Ordre d’autant plus prestigieux que les nominations pouvaient y être rares : une seule entre 1633 et 1643, intervalle dans lequel se situe l’action des quatre premiers actes de notre pièce. « S’il ne donne pas à la cour de France un rang particulier, le cordon bleu crée de facto, au XVIIe siècle, un rang social et mondain, intermédiaire entre le club fermé des ducs et ce qu’on peut appeler le tout-venant de la gentilhommerie » (François Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990, art. « Cordon bleu », p. 408 ; cf. aussi art. « Saint-Esprit », p. 1384). Le comte de Guiche, devenu duc de Gramont, ne fut décoré du cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit qu’en 1661, en même temps qu’il fut promu colonel des gardes françaises (en récompense, notamment, du succès de sa mission d’ambassadeur à Madrid pour négocier le mariage de Louis XIV avec l’infante Marie-Thérèse d’Espagne). • Complément à la note 1, p. 33, à propos du v. 131 : C’est en 1622 que Richelieu a été fait cardinal, et en 1631 qu’il est devenu duc. • Complément à la note 1, p. 35, à propos du v. 149 : Pour les citations mentionnant ces couleurs, cf. Agrippa d’Aubigné, Œuvres, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1969, I, 2, pp. 679-680. Si Ventre-de-Biche semble authentiquement attestée, il est probable qu’Agrippa d’Aubigné invente notamment Espagnol malade ; il est toutefois difficile de savoir à quelles teintes toutes correspondent exactement (cf. les éclaircissements des commentateurs de l’édition d’Agrippa d’Aubigné, op. cit., n. 3, p. 1354). • Complément à la note 2, p. 35, à propos du v. 151 : Pour la citation mentionnant la couleur « Espagnol mourant », cf. Agrippa d’Aubigné, op. cit., p. 680. • Complément à la note 2, p. 41, à propos du v. 188 : Pour la citation, cf. Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes, Belin, 1977, p. 90. • Complément à la note 2, p. 44, à propos de la réplique située entre les v. 212 et 213 : C’est ici que la numérotation des vers devient inexacte et se trouve décalée d’un vers dans les éditions « Folio » (n° 1487, Gallimard, 1983, rééd. « Folio classique » n°3246, 1999, p. 82), « Le Livre de Poche » (L.G.F., 1990, p. 63), « Étonnants Classiques » (GF/Flammarion, 2000, p. 54), « Folioplus classiques » (n° 70, Gallimard, 2006, p. 45) et « Carrés classiques » (Nathan, 2008, p. 40), et de deux vers dans les éditions « Classiques Larousse » (Larousse, 1985, p. 52, 1991, p. 55, 2004, p. 63) et « Univers des Lettres Bordas » (Bordas, 1988, p. 41) qui ont, à tort, comptabilisé cette réplique de toute la salle comme un vers, ce qu’elle n’est pas, puisque, malgré les apparences, elle ne rime avec rien de ce qui précède ni de ce qui suit ; en effet, cette réplique ne rime qu’apparemment avec le vers précédent (v. 212 : « On jouera La Clorise ! »), lequel répond, en fait, au v. 210 (« Vraiment nous tyrannise ») ; et cette réplique est d’autant plus isolée qu’elle constitue un heptasyllabe, la syllabe « se » du premier « Clorise » ne s’élidant pas devant consonne (le second « La ») et comptant donc pour une syllabe entière, contrairement à la même syllabe dans le second « Clorise » (« La/ Clo/ri/se,/ La/ Clo/rise !… »), alors que, au milieu des alexandrins de la pièce, les vers 209 à 212 sont des hexasyllabes. • Complément à la note 1, p. 48, à propos du v. 242 : Sur la réputation (infondée ?) de la bêtise de l’oie, cf. « bête comme une oie ».

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• Complément à la note 4, p. 91, à propos du v. 584 : Le témoignage de Boileau, à charge contre Lignière, précise : « la meilleure action [que Lignières] eût faite en sa vie était d’avoir bu toute l’eau d’un bénitier parce qu’une de ses maîtresses y avait trempé le bout du doigt » (cité dans l’édition de J. Truchet, 1983, p. 365). • Complément à la note 1, p. 157, à propos du v. 1183 : En revanche, une certaine « Cléomire » habitait bien le Marais : il s’agissait de la fameuse marquise de Rambouillet (1588-1665), alias « Arthénice » précédemment, qui tint salon dans son Hôtel de Rambouillet, véritable « temple » de la préciosité, notamment entre 1630 et 1645. Le Dictionnaire des Prétieuses [sic] de Somaize (1661) avait été réédité par Livet en 2 volumes (1856 et 1861), et Rostand en avait fait son profit. • Complément à la note 2, p. 170, à propos du v. 1297 : Paul Lacroix, alias le bibliophile Jacob, éditeur (1858) des Œuvres diverses de Cyrano de Bergerac, avait rapporté l’épisode du singe de Brioché, d’après les Variétés littéraires d’E. Fournier (1855), rapportant lui-même un récit publié en 1704 et attribué à D’Assoucy. • Complément à la note 3, p. 180, à propos du v. 1370 : Chez Marivaux, dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard (II, 3), le savoureux dialogue auquel fait songer ce vers est celui où, à Lisette lui objectant que son amour pour elle « ne saurait être bien fort ; [que] ce n’est tout au plus qu’un amour naissant », Arlequin répond : « Vous vous trompez, prodige de nos jours ; un amour de votre façon ne reste pas longtemps au berceau ; votre premier coup d’œil a fait naître le mien, le second lui a donné des forces, et le troisième l’a rendu grand garçon ; tâchons de l’établir au plus vite ; ayez soin de lui, puisque vous êtes sa mère » ; cf. « Classiques Hachette » n° 30 (Hachette, 1993), p. 47. • Complément à la note 2, p. 217, à propos du v. 1734 : La place d’Arras était défendue, pour les Espagnols, par l’Irlandais O’Neal. • Complément à la note 3, p. 244, à propos du v. 1997 : Cf. Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes, Belin, 1977, pp. 425 sqq. • Ajouter, p. 269, en note au v. 2094, à « Tu m’as rejoint ici ? » : Sur cette ponctuation, cf. la note du v. 1208. • Ajouter, p. 302, en note au v. 2358, à « ce dernier jour de septembre » : Négligence de Rostand ? Comme le précisent les vers 2426 et 2477, l’action de ce dernier acte se situe le 26 septembre 1655, ce qui n’est donc pas tout à fait le « dernier jour » du mois. • Complément à la note 2, p. 307, à propos du v. 2410 : Le seul samedi 19 de l’année 1655 fut le 19 juin ; le 19 septembre 1655 tomba un dimanche, de même donc que le 26 (cf. v. 2426 et 2477). • Ajouter, p. 313, en note à la didascalie précédant le v. 2455, à « Il tressaille » : Le tressaillement est d’ailleurs la réaction physique la plus répandue dans la pièce, tous personnages confondus : cf. didascalies des v. 129 (Christian, qui ne tressaille sans doute pas seulement parce qu’il voit ici que l’homme, à savoir De Guiche, « cause un instant avec Roxane », mais aussi parce que l’importance sociale et politique de cet homme se signale à son cordon bleu – d’autant plus impressionnant pour ce provincial de Christian qui, rappelons-le, « débarque de Touraine » [v. 43]), 152 (idem), 735 (Lise), 883 (Cyrano), 1225 (idem), 2450 (Roxane) et donc ici (Cyrano).

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U N D E M I - S I È C L E D E M É T A M O R P H O S E S D É C I S I V E S ( C O M P L É M E N T H I S T O R I Q U E )

Le demi-siècle (1868-1918) d’existence de Rostand coïncide avec une période de bouleversements politiques, économiques et sociaux majeurs pour la France et pour l’Europe, de la fin du Second Empire à la Première Guerre mondiale, en passant par l’avènement, particulièrement conflictuel et douloureux, de la IIIe République7.

La fin du Second Empire Lorsque Rostand naît en 1868, la France vit les dernières années du Second Empire : neveu de Napoléon Ier, Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la République en décembre 1848 à la suite de la révolution ayant substitué à la monarchie de Louis-Philippe Ier la Seconde République, a accompli un coup d’État (2 décembre 1851) qui a instauré, un an plus tard (2 décembre 1852), le Second Empire – le prince-président, devenu « empereur des Français », se rebaptisant Napoléon III. On distingue deux périodes dans cette vingtaine d’années (1852-1870) de régime impérial. D’abord celle de « l’Empire autoritaire » (1852-1860), où Napoléon III, réduisant l’opposition parlementaire et s’efforçant de museler la presse, exerce un pouvoir absolu en France, tout en menant une politique d’expansion à l’extérieur, avec notamment la guerre de Crimée (1854-1856), la prise de la Cochinchine (1859-1867), l’ouverture commerciale forcée de la Chine (sac du palais d’Été de Pékin, 1860), et le soutien apporté à l’Italie pour se libérer du joug de l’Autriche (1859), couronné par le rattachement de la Savoie et de Nice à la France (1860). Ensuite celle de « l’Empire libéral » (1860-1870), marquée par le rétablissement du droit d’adresse pour le Parlement, qui peut désormais discuter le programme gouvernemental, l’octroi du droit de grève, une liberté accrue de la presse et plus de libertés politiques, mais aussi par une politique extérieure malheureuse, notamment au Mexique (1862-1867), culminant par la défaite contre la Prusse, après le désastre de Sedan (1er-2 septembre 1870) – auquel la pièce Cyrano de Bergerac, moins de trente ans plus tard, fait indirectement, mais très clairement, écho.

L’expansion d’une France surtout bourgeoise et matérialiste Au total, le Second Empire aura été caractérisé à la fois par un incontestable essor économique et par un recul non moins flagrant des libertés individuelles. Certes, Napoléon III lance une politique ambitieuse de travaux publics (réseaux ferroviaires, transports en commun, ouvrages d’art), avec notamment le baron Haussmann, préfet de la Seine dès 1853, qui transforme alors durablement l’aménagement urbain de Paris : gares centrales, grands boulevards, aménagement ou création des bois (de Boulogne et de Vincennes), parcs et jardins (Monceau, Montsouris, Buttes-Chaumont), généralisation de l’éclairage public au gaz, assainissement des réseaux d’égouts, Halles de Baltard, Théâtre du Châtelet, Opéra Garnier (achevé seulement en 1875 mais commencé dès 1861). Certes, l’empereur, lui-même gagné aux doctrines saint-simoniennes8, préconisant de favoriser toutes les initiatives de développement économique, encourage l’agriculture face au dépeuplement des campagnes – entre 1851 et 1871, la proportion d’urbains passe d’un quart à un tiers de la population (30 millions d’habitants à la fin de l’Empire) –, et surtout l’industrie, avec les deux triomphales Expositions Universelles de 1855 et 1867, vitrines du dynamisme économique national ; mais il galvanise aussi le commerce, en renonçant au protectionnisme (traité de libre-échange avec l’Angleterre en 1860). Symbole de cette prospérité industrielle, économique et commerciale : la naissance des grands magasins (à Paris, Au Bon Marché de Boucicaut, et Le Printemps de Jaluzot) – dont Zola transposera le prodigieux essor dans son roman Au Bonheur des Dames (1883) –, aux techniques de vente révolutionnaires, toujours en vigueur dans la distribution moderne (prix affichés, articles échangeables, publicité, catalogues), et la création du réseau d’épiceries de Félix Potin. Certes,

7. Délibérément, nous mettons ici l’accent sur les événements historiques précédant la création de Cyrano de Bergerac (1897). 8. De l’économiste Saint-Simon (1760-1825), auteur du Catéchisme des industriels (posthume, 1826-1827).

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l’empereur encourage encore la finance, en multipliant les banques et établissements de crédit – les grands travaux du Second Empire génèrent d’immenses fortunes qui alimentent une intense spéculation, ce dont profite notamment la famille de Rostand, comptant plusieurs banquiers –, et il crée des institutions de bienfaisance.

Des artistes contestataires, partisans du réalisme Néanmoins, les artistes en général, et les écrivains en particulier, sont plutôt poursuivis dès lors qu’ils n’épousent pas l’idéal bourgeois et matérialiste du pouvoir en place. C’est ainsi que, la même année 1857, Flaubert pour son roman Madame Bovary et Baudelaire pour son recueil de poèmes Les Fleurs du Mal sont traînés devant les tribunaux impériaux pour « atteinte aux bonnes mœurs » – le romancier ne sera pas condamné, contrairement au poète. Seuls triomphent les artistes qui, loin de toute critique du régime, célèbrent la joie de vivre accompagnant l’essor économique de l’Empire – le couple impérial multiplie les fêtes les plus somptueuses, dans ses palais et résidences, aux Tuileries comme à Saint-Cloud, à Compiègne comme à Biarritz –, au premier rang desquels figure le célèbre compositeur allemand naturalisé français Jacques Offenbach (1819-1880), avec notamment ses opéras bouffes (opérettes légères et gaies) La Belle Hélène (1864) et La Vie parisienne (1866). Même s’ils ne revendiquent pas cette appellation, Flaubert et Baudelaire illustrent, chacun à sa manière, un courant artistique qui se révèle alors plus encore en peinture : le réalisme. Loin de l’exaltation lyrique de héros romantiques en quête d’exceptionnel, qui se veulent aux prises avec l’Histoire, les personnages de Flaubert incarnent la plus affligeante médiocrité, et les poèmes de Baudelaire, s’ils ne renoncent pas à une forme d’idéal, témoignent néanmoins d’un pessimisme viscéral face au mal de vivre et à l’ennui (le fameux Spleen) caractérisant la vie quotidienne dans une France, et une capitale, certes impériales mais de plus en plus matérialistes : contrepoint des 100 poèmes en vers des Fleurs du Mal, les 50 poèmes en prose du recueil de Baudelaire Petits Poèmes en prose (posthume, 1869) ont aussi été rassemblés sous le titre Le Spleen de Paris, et, largement consacrés à dépeindre la misère urbaine « oubliée » par les réalisations haussmanniennes, ils présentent les aspects les plus négatifs de l’industrialisation et de l’urbanisation du Second Empire. Au théâtre, les nombreuses comédies et vaudevilles d’Eugène Labiche (1815-1888), sous le masque du rire, n’en dénoncent pas moins férocement, et de manière très réaliste, la médiocrité des bourgeois alors triomphants, aux idées courtes, d’une rare mesquinerie, dont l’horizon se limite à la gestion de leur patrimoine. Montrer la réalité telle qu’elle est, sans plus la magnifier ni l’idéaliser, c’est révéler « l’envers du décor » de cette expansion économique du Second Empire qui constitue certes un Âge d’Or du capitalisme français, mais au profit surtout des capitalistes eux-mêmes et aux dépens des paysans et ouvriers, et dont le plus grave défaut, aux yeux des artistes, est de ne proposer qu’un idéal strictement matérialiste, celui-là même qui anime les personnages de Labiche – même si le dramaturge ne se réclame d’aucune école. Mais c’est en peinture que le réalisme, empreint de critique sociale, s’impose le plus largement, avec notamment le dessinateur et caricaturiste Honoré Daumier (1808-1879) et, surtout, les peintres Jean-François Millet (1814-1875), Gustave Courbet (1819-1877) et Édouard Manet (1832-1883), qui, loin des « mensonges romantiques » au sentimentalisme excessif, affirment la nécessité de montrer le réel tel qu’il est, à commencer par celui que subissent les classes sociales les plus défavorisées. Loin d’être des personnages idéalisés, les ouvriers ou les paysans qu’ils peignent sont montrés dans toute leur misère, leurs souffrances, voire leur laideur. Si Millet, peintre de la vie paysanne la plus humble, se défend de toute intention polémique ou militante, avec Le Vanneur (1848), Les Glaneuses (1857) ou L’Angélus (1859), Courbet, lui, socialiste actif, ne cache pas la dimension politiquement engagée de ses peintures alors jugées « scandaleuses », parce que faisant l’apologie du paupérisme (ou défense de la situation des plus pauvres), telles que Les Paysans de Flagey revenant de la foire, Les Casseurs de pierre et Un enterrement à Ornans (toutes les trois exposées au Salon de 1851), ou encore L’Atelier (sous-titrée Allégorie réelle, 1855). Quant à Manet, il entend, avec Le Déjeuner sur l’herbe (1862) ou Olympia (1863), « peindre ce que l’on voit ». Au même moment, Baudelaire rend hommage à l’aquarelliste Constantin Guys dans Le Peintre de la vie moderne (1863), véritable manifeste de l’art moderne, anti-officiel, c’est-à-dire anti-bourgeois et anti-impérial. Paradoxalement, c’est auprès de la propre cousine de l’empereur, la princesse Mathilde (1820-1904), alias « Notre-Dame-des-Arts » et dont le très couru salon parisien plutôt libre-penseur a été baptisé « l’académie mathildienne », que, durant un demi-siècle, artistes, écrivains (dont Flaubert), savants et

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intellectuels « contestataires » trouvent le meilleur accueil : les frères Goncourt, écrivains familiers des lieux, soulignant la liberté d’esprit et de parole qui y règne, notent dans leur Journal que « ce salon est le vrai salon du XIXe siècle, avec une maîtresse de maison qui est le type parfait de la femme moderne ».

L’essor de l’édition, notamment pour enfants C’est sous le Second Empire que se développent, à la faveur de la prospérité économique, de nombreuses maisons d’édition. Ainsi pour Hachette, fondée par Louis Hachette (1800-1864) dès 1826 : d’abord éditeur scolaire, la Librairie Hachette, à partir des années 1850, s’accroît considérablement, élargissant ses activités à la littérature générale et publiant notamment Lamartine, Michelet, Hugo, Gobineau, Fromentin, ou encore Taine. Proche du pouvoir, Louis Hachette ménage la situation de monopole de son entreprise et développe ses activités dans la presse et la distribution : il crée notamment, avec l’appui du duc de Morny, frère utérin (né de la même mère : Hortense de Beauharnais) de Napoléon III et ministre de l’Intérieur, la « Bibliothèque des chemins de fer » (1852), réseau de points de vente diffusant notamment les ouvrages de la maison ; il lance le premier magazine de distraction grand public, Le Journal pour tous (1855), ainsi que la collection de guides touristiques « Les Guides Joanne », confiée à Adolphe Joanne (à partir de 1855) ; il crée « La Bibliothèque rose » (1856), collection parrainée par la comtesse de Ségur, née Sophie Rostopchine (1799-1874), qui y fait triomphalement paraître ses romans pour enfants Les Petites Filles modèles, Les Malheurs de Sophie et Le Bon Petit Diable ; enfin, il publie la première édition du Dictionnaire Littré (1863). Si bien qu’à la mort de Louis Hachette (1864), la Librairie Hachette est le premier éditeur mondial. Autre éditeur majeur – dont Hachette absorbera d’ailleurs le fonds en 1914 –, la maison Hetzel, fondée par Pierre-Jules et reprise par son fils Louis-Jules, qui édita quantité d’auteurs classiques (Stendhal, Lamartine, Hugo, Sand, Nerval, Dumas fils, Daudet, Tourgueniev) avant de se spécialiser dans la littérature de jeunesse, en lançant un périodique, le Magazine d’éducation et de récréation (1864), et en publiant notamment Erckmann-Chatrian, André Laurie – auteur de 14 volumes d’une Vie de collège – et surtout Jules Verne (1828-1905), dont les 66 titres, notamment Cinq Semaines en ballon (1863), De la Terre à la Lune (1865) et Vingt Mille Lieues sous les mers (1869), parus durant le Second Empire, connurent une seconde vie florissante chez Hachette, au sein de la « Nouvelle Collection Jules Verne » et de « La Bibliothèque verte ».

L’exil exemplaire de Victor Hugo Le plus célèbre opposant au régime de Napoléon III n’est autre que Victor Hugo (1802-1885), véritable modèle littéraire pour l’auteur de Cyrano – qui célébrera le centenaire de sa naissance avec le long poème Un soir à Hernani (1902) –, et comme poète et comme dramaturge, frappé d’expulsion depuis le 9 janvier 1852, et qui s’est exilé dans les îles Anglo-Normandes, à Jersey puis à Guernesey, jusqu’à la fin du Second Empire. C’est durant cet exil exemplaire que Hugo publie des œuvres retentissantes contre l’empereur, présenté comme un usurpateur : le pamphlet en prose Napoléon-le-Petit (1852) et le virulent mais magistral recueil de poèmes Châtiments (1853 – rebaptisé Les Châtiments en 1870). Suivront le recueil majeur Les Contemplations (1856) et, surtout, le monumental roman Les Misérables (1862), d’abord intitulé Les Misères, chef-d’œuvre dont l’action se situe certes entre 1815 et 1832, mais qui, avec les figures inoubliables de Fantine, Gavroche et Valjean, transpose la réalité sociale subie par les femmes, les enfants et les parias des couches les plus défavorisées du Second Empire. Avant son retour d’exil, Hugo publiera encore L’Homme qui rit (1869), roman moins connu que Les Misérables mais qui se présente néanmoins comme un nouveau plaidoyer en faveur d’une plus grande justice sociale : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. » À bien des égards, la famille de Rostand, issue de la haute bourgeoisie marseillaise d’affaires et politiquement bonapartiste, est représentative de cette France prospère et transfigurée du Second Empire, mais, par son goût prononcé pour les arts y compris « modernes », elle s’en distingue nettement : si elle évolue dans une aisance matérielle évidente, elle n’est toutefois pas seulement matérialiste au sens le plus étroit et péjoratif du terme, bien au contraire. Même si Rostand n’est âgé que de 2 ans à la fin du régime impérial, il va néanmoins grandir dans une France très largement transfigurée par le Second Empire, dont Émile Zola, chef de file du naturalisme (doctrine appliquant au réalisme une rigueur quasi scientifique), auquel Rostand a consacré en partie son essai de jeunesse Deux Romanciers de Provence : Honoré d’Urfé et Émile Zola (1887), transposa magistralement les réussites

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et les méfaits dans les 20 volumes de son cycle romanesque Les Rougon-Macquart, sous-titré Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire (1871 à 1893).

L’avènement douloureux de la IIIe République Après le désastre de Sedan, marquant la fin du Second Empire, la République est proclamée (4 septembre 1870) : un gouvernement provisoire de « Défense nationale », animé notamment par Gambetta, est alors créé, afin de tenter de résister à l’ennemi. Principal résultat de cette cuisante défaite : la France perd l’Alsace et une partie de la Lorraine au profit de l’Allemagne – Guillaume Ier de Prusse, vainqueur de Napoléon III, ayant été proclamé empereur d’Allemagne à Versailles (1871). Au grand dam des républicains, et notamment des Parisiens, une Assemblée nationale à majorité monarchiste, favorable à la paix, est alors élue qui, s’étant installée à Versailles après la levée du siège de Paris par les Prussiens, choisit de réprimer très durement le gouvernement insurrectionnel de la Commune (du 18 mars au 27 mai 1871), notamment lors de l’effroyable « semaine sanglante » (du 21 au 27 mai) qui se traduit par quelque 20 000 exécutions sommaires dans les rangs des communards. Durant presque une décennie – coïncidant avec la petite enfance de Rostand –, le régime politique français hésite entre l’installation de la République et la restauration de la monarchie. Chef des « versaillais », Thiers, à la tête du pouvoir exécutif puis président de la République, qui réussit à acquitter rapidement la dette de guerre imposée par l’Allemagne, est renversé par les monarchistes au profit de Mac-Mahon (chef de l’État de 1873 à 1879), maréchal légitimiste qui met en œuvre une politique d’« Ordre moral » : surveillance des cafés et des journaux, rétablissement de la nomination des maires, épuration dans l’administration. En définitive, la restauration monarchique échoue, et la République est confortée par la Constitution de 1875, créée par l’adoption-surprise – à une voix de majorité ! – de l’amendement Wallon (30 janvier 1875) introduisant dans la loi le principe de la République : « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des Députés réunie en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. » Pour autant, la seule crise du 16 mai 1877 – vingt ans seulement avant Cyrano de Bergerac –, par laquelle Mac-Mahon et les conservateurs entendent défendre les positions cléricales et priver les républicains de leur victoire électorale aux législatives de 1876, montre que les monarchistes ne désarment pas et explique largement l’anticléricalisme des années 1880 et suivantes : saisissant le prétexte d’une loi sur les délits de presse, Mac-Mahon provoque la démission du républicain Jules Simon, qu’il remplace par le très conservateur duc de Broglie à la tête du gouvernement, auquel toutefois la Chambre, par le manifeste des 363 députés républicains, s’oppose. Mac-Mahon opte alors pour la dissolution, mais, à la suite d’une campagne électorale d’une rare violence, c’est une majorité républicaine à peine amoindrie qui est reconduite à la Chambre par les électeurs en octobre – un mois après le décès de Thiers (13 septembre), qui ne put assister à son triomphe –, contraignant Mac-Mahon à se soumettre (13 décembre). Après la trêve de l’Exposition Universelle de 1878 (marquée par l’inauguration du palais du Trocadéro à Paris), Mac-Mahon, mis en minorité par la victoire des républicains modérés au Sénat (janvier 1879), démissionne (30 janvier 1879), au profit du républicain Jules Grévy.

La République laïque des républicains Pour beaucoup d’historiens, la IIIe République ne commence réellement qu’en 1879, voire en 1880, avec le vote des lois fondamentales établissant les libertés publiques, notamment en matière d’éducation et de laïcité, à l’initiative d’une figure majeure du nouveau régime, Jules Ferry (1832-1893), trop souvent réduit néanmoins aux seules lois scolaires. Avocat et journaliste de formation, il est successivement ou simultanément député républicain de Paris, membre du gouvernement de la Défense nationale, maire de Paris assiégé, préfet de la Seine au début de la Commune, député des Vosges, ministre de l’Instruction publique, président du Conseil, candidat malheureux à la présidence de la République face à Sadi Carnot (1887), enfin sénateur des Vosges et même président du Sénat. Paradoxalement, malgré un rôle et une action politiques considérables dans l’avènement et la consolidation de la IIIe République, tant en matière éducative qu’en matière coloniale, il reste d’une rare impopularité, quittant la scène politique « détesté par une partie de la gauche et haï par la droite

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monarchique et cléricale »9, et meurt des séquelles d’un attentat au revolver remontant à fin 1887, avant de connaître une résurrection posthume d’autant plus exceptionnelle qu’elle est politiquement unanime.

L’École républicaine, c’est-à-dire laïque, de Jules Ferry Par l’un de ces trop fréquents raccourcis de l’Histoire, la postérité a tendance à réduire les grandes lois républicaines des années 1880, de même que l’œuvre législative et politique de Ferry, aux seules lois du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882. La première instaure la gratuité de l’enseignement primaire : la rétribution scolaire payée par les parents est supprimée, et les communes sont désormais tenues d’assurer la totalité du traitement des instituteurs, tandis que les religieux enseignant dans les écoles publiques sont obligés d’être titulaires, dans un délai de trois ans, du certificat d’aptitude. La seconde instaure l’obligation et la laïcité de l’enseignement primaire : pour les enfants de 6 à 13 ans, l’école publique est obligatoire et laïque, elle n’est donc plus confessionnelle ; l’enseignement religieux y est supprimé, de même que le droit d’inspection des ministres du culte. Il est vrai que ces deux lois sont d’autant plus considérables qu’elles ont définitivement bouleversé l’organisation de notre Éducation nationale et qu’elles continuent, de nos jours, à définir le cadre politique de l’École de la République. Néanmoins, l’œuvre législative et réglementaire de Jules Ferry comporte au moins une vingtaine d’autres lois, décrets, circulaires sans lesquels tout le nouvel édifice scolaire républicain n’aurait pu être durablement constitué10. Édifice assurément gigantesque et considérable – monumental, dans le double sens du terme –, et qui déborde largement les deux seules fameuses lois du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882 ! Néanmoins, abus révélateur des tentations et tentatives de reconstitutions « mythologiques » a posteriori, on a tendance à penser aujourd’hui que les lois scolaires de Ferry ont fait passer la France de la nuit de l’ignorance à la lumière de l’instruction… Or, pour ne prendre qu’un exemple, si le nombre de Français sachant lire a progressé de 20 % entre les lois Ferry et 1900, cette progression était déjà de 20 % sous le Second Empire. Car les enfants n’ont pas attendu que l’école devienne obligatoire pour la fréquenter, et plutôt massivement : plus de 80 % des jeunes Français sont déjà scolarisés de façon régulière avant 1882. Ils n’y vont guère davantage, d’ailleurs, juste après l’adoption de la loi, notamment parce que celle-ci autorise les élèves qui obtiendront leur certificat d’études dès 11 ou 12 ans à quitter l’école, et que la loi interdisant le travail des enfants de moins de 13 ans dans les manufactures ne sera promulguée qu’en 1892, dix ans après la loi sur l’obligation scolaire. De même pour la gratuité : elle est déjà effective pour les deux tiers des élèves en 1880, seules les familles riches ou aisées payant la contribution scolaire ; par définition, les plus démunies, pour qui la gratuité est acquise, ne s’empressent guère de se priver des ressources que constitue le travail des enfants, aux champs ou en usine. Il n’y a donc eu nulle rupture en ce double domaine (obligation et gratuité), mais plutôt accompagnement d’un mouvement séculaire, incluant tous les législateurs qui, depuis 1789, de Condorcet à Duruy en passant par Guizot et Falloux, ont tant bien que mal cherché à faire de l’instruction une affaire réellement publique, et y ont souvent réussi. En revanche, c’est évidemment sur la question de la laïcité que les lois républicaines en général, et les lois Ferry en particulier, ont apporté les innovations majeures. Comme le souligne très justement Mona Ozouf, « bien qu’autour des lois sur la gratuité et l’obligation, régulièrement qualifiées par la droite de lois scélérates, se déroulent des débats dont nous avons oublié aujourd’hui la violence, […] en ces deux matières Ferry ne fait que prolonger des entreprises déjà largement entamées par ses prédécesseurs, par Guizot, par Duruy. Dans ces domaines, Ferry s’est contenté de boucher les trous de la scolarisation, d’améliorer l’assiduité scolaire, d’accorder des crédits, des locaux, des maîtres. Tout cela en effet, si important soit-il, n’est pas nécessairement lié à un régime républicain. En revanche, ce qui est l’invention propre de Ferry, c’est l’école républicaine, c’est-à-dire laïque. Laïcité, pour Ferry, a un sens clair : l’indépendance du politique par rapport au théologique. »11

L’endoctrinement républicain Rostand avait déjà 13-14 ans au moment de la promulgation des deux principales lois Ferry relatives à l’enseignement primaire, qui ne le concernèrent donc pas directement, mais il fut, au contraire, pleinement touché par le double mouvement de laïcisation et de patriotisme de toute l’École de la

9. Claude Lelièvre, Jules Ferry. La République éducatrice, « Portraits d’éducateurs », Hachette Éducation, 1999, p. 3. 10. Pour plus de précisions, cf. Xavier Darcos, L’École de Jules Ferry 1880-1905, Hachette Littératures, 2005. 11. Mona Ozouf, Jules Ferry, Bayard / BNF, 2005, pp. 36-37.

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République, durant les deux dernières décennies du XIXe siècle. Ce mouvement s’appuya surtout sur les livres, la République des années 1880 étant largement celle des éditeurs, comme en témoigna le prodigieux triomphe du Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, alias Augustine Fouillée, paru à la Librairie classique Eugène Belin en 1877, exactement vingt ans avant Cyrano : Rostand n’était alors âgé que de 9 ans, soit un âge intermédiaire de celui des deux frères, héros de ces aventures patriotiques, André (14 ans) et Julien (7 ans), orphelins lorrains natifs de Phalsbourg, qui, après avoir franchi clandestinement la frontière allemande à l’automne 1871, errent des Vosges à Dunkerque en passant par les Pyrénées, bravant incendies, tempêtes, maladies, à la recherche d’un oncle portant le nom du père (Frantz – comme le duc de Reichstadt, Franz [sans t], alias L’Aiglon, chez Rostand) et d’une mère qui, en définitive, n’est autre que la France. Le sous-titre Devoir et Patrie souligne d’autant plus la dimension patriotique de l’ouvrage qu’il constitue également les derniers mots du texte : « Les années ont passé, mais leur cœur n’a point changé ; ils ont grandi en s’appuyant l’un sur l’autre et en s’encourageant sans cesse à faire le bien : ils resteront toujours fidèles à ces deux grandes choses qu’ils ont appris si jeunes à aimer : Devoir et Patrie. » Dimension affirmée en outre dès la préface, qui signale d’emblée : « Sans omettre dans cet ouvrage aucune des connaissances morales et pratiques que nos maîtres désirent trouver dans un livre de lecture courante, nous avons essayé d’en introduire une que chacun de nous considère aujourd’hui comme indispensable dans nos écoles : la connaissance de la patrie. » Dimension patriotique enfin scandée tout au long des 120 chapitres tous numérotés et titrés, mais aussi sous-titrés, du premier (titré Le départ d’André et de Julien et sous-titré « Rien ne soutient mieux notre courage que la pensée d’un devoir à remplir ») au 120e et dernier (patriotiquement titré J’aime la France et pédagogiquement sous-titré « Le travail est béni du ciel, car il fait renaître le bonheur et l’aisance là où la guerre ne laisse que deuil et misère »). Comment les spectateurs assistant à la création de Cyrano, à la toute fin de l’année 1897, tous imprégnés de cette lecture d’enfance, ne pouvaient-ils pas être particulièrement réceptifs aux accents patriotiques de l’acte IV (au siège d’Arras, où les Français sont aux prises avec les Espagnols) ?

S’inspirer de la Prusse pour mieux s’en venger En histoire, le contexte de la défaite de 1870, unanimement perçue comme un désastre, explique le caractère patriotique de l’enseignement dispensé dans les écoles : Rostand a 8 ans lorsque paraît le « petit Lavisse » (1876, réédition 1884 – conforme aux programmes de 1882), « manuel primaire qui répandit à des millions d’exemplaires un évangile républicain dans la plus humble des chaumières12 ». L’obsession de la revanche est, elle aussi, unanime, et chacun a fait sienne la célèbre interrogation du très conservateur duc d’Audiffret-Pasquier, à la tribune de l’Assemblée, en 1872, à propos des troupes humiliées de Napoléon III : « Qu’est-ce qui a fait l’éducation de ces gens-là ? » Même unanimité, jusqu’aux élites intellectuelles, de Renan avec La Réforme intellectuelle et morale de la France (1871) à Taine avec Les Origines de la France contemporaine (inachevé, 1875 à 1894), dans la réponse : l’humiliante défaite française de 1870 est d’abord perçue comme la victoire du système scolaire prussien, où l’école est gratuite et obligatoire, assurée par des instituteurs bien formés et bien payés, formant des élèves organisés, future élite patriotique et futurs soldats disciplinés. S’inspirer de la Prusse victorieuse pour mieux s’en venger : il n’est pas indifférent de relever à cet égard que, en dehors de ce patriotisme exacerbé, l’influence allemande est d’autant plus vive et sensible qu’une majorité de républicains sont des familiers, même des admirateurs, de la culture d’outre-Rhin, du Vosgien Jules Ferry au Haut-Rhinois Jean Macé (1815-1894), journaliste républicain et professeur, fondateur de la fameuse et puissante Ligue de l’Enseignement (1866), au rôle déterminant dans la diffusion de l’idéal scolaire des républicains, en passant par Jules Steeg, Félix Pécaut et Ferdinand Buisson (responsables décisifs de la nouvelle administration scolaire républicaine), associés à la fondation d’une Église protestante libérale à Neuchâtel. C’est pourquoi l’enseignement de l’allemand est alors très répandu – y compris pour l’élève Rostand, futur traducteur de Goethe.

12. Pierre Nora, article « Lavisse, instituteur national. Le “Petit Lavisse”, évangile de la République », in Les Lieux de mémoire, Gallimard, 1984 à 1992, rééd. « Quarto », Gallimard, 3 volumes, 1997, t. 1, p. 239.

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La République laïque des libertés publiques Cette laïcité militante des « républicains opportunistes » – ainsi qualifiés par l’opposition d’extrême gauche – est évidemment liée à l’essor de la libre-pensée comme du positivisme rationaliste d’Auguste Comte (1798-1857), rejetant toute investigation métaphysique, et de la franc-maçonnerie. Essor simultané que Ferry, franc-maçon lui-même, a résumé dans cette célèbre formule : « Si le positivisme a fait son entrée dans la maçonnerie, c’est que la maçonnerie était depuis longtemps positiviste sans le savoir. » Elle est aussi liée au protestantisme libéral dont se réclament quantité d’acteurs majeurs de l’École républicaine, dans le sillage d’Edgar Quinet (1803-1875), maître à penser de la République laïque, anticlérical proscrit après le coup d’État du 2 décembre 1851, rentré en France en 1870, élu député en 1871, et de Charles Renouvier (1815-1903), auteur important du Manuel républicain de l’homme et du citoyen (1848) et du Petit Traité de morale à l’usage des écoles primaires laïques (1879). On comprend mieux, dès lors, pourquoi cette laïcisation à marche forcée a concerné prioritairement l’École, mais pas exclusivement, puisque Ferry – qu’on réduit trop souvent au seul législateur de l’École républicaine – s’est employé, en sa qualité de président du Conseil, à promouvoir quantité d’autres libertés publiques : de réunion (loi du 30 juin 1881), de la presse (loi du 19 juillet 1881), syndicale (loi du 21 mars 1884, relative à la création des syndicats professionnels), municipale (loi du 5 avril 1884, sur l’organisation municipale), du divorce (loi du 27 juillet 1884). Voilà aussi pourquoi, jusqu’à la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, la plupart des dispositions législatives ou réglementaires consacrent une véritable sécularisation de l’École en particulier comme de la République en général : l’instruction religieuse est supprimée dans les écoles publiques (1882), de même que les aumôneries militaires (1883) et que les prières publiques au Parlement (1884) ; les religieux sont interdits d’enseignement dans le public (1886), tous les règlements d’État s’imposent désormais aux fabriques paroissiales (1893), et les assomptionnistes sont poursuivis (1900) ; enfin, la décisive loi Waldeck-Rousseau du 1er juillet 1901 sur les associations impose aux congrégations de déposer une demande d’autorisation – dans les faits, la plupart des demandes formulées par des congrégations enseignantes sont rejetées même sans examen. Cette laïcisation a pris enfin et surtout appui sur les grandes commémorations républicaines, véritables « messes laïques », comme le centenaire de la mort de Voltaire et de Rousseau (1878), la première célébration du 14 juillet 1789 (1880), les funérailles nationales de Victor Hugo et son entrée au Panthéon (1885), enfin le centenaire de la Révolution française (1889). Installé à Paris depuis son inscription au collège Stanislas (1884), puis étudiant en droit (1886), Rostand a entre 16 et 18 ans lorsque se déroulent ces manifestations républicaines, d’autant plus impressionnantes pour un adolescent.

Une république anticléricale mais aussi antirévolutionnaire Pour autant, aussi acharnés qu’ils aient pu être à imposer la République laïque à leurs adversaires conservateurs cléricaux, rien ne serait plus inexact que de faire passer les républicains des années 1880 pour des révolutionnaires. Si la quasi-totalité d’entre eux ont été des opposants résolus au Second Empire – refusant de prêter serment –, ils n’ont jamais été pour autant socialistes, au contraire : antijacobin et anticommunard, Ferry voit dans les socialistes, en raison même de leurs excès utopistes propres à effrayer paysans et bourgeois, des alliés objectifs de la droite cléricale et conservatrice (bonapartiste ou monarchiste) dont il est par ailleurs haï, en raison de sa vie (franc-maçon marié civilement) et de son œuvre (lois sur l’École laïque et sur le divorce) vouées à la laïcité. C’est Clemenceau, chef de la gauche radicale, qui provoque la chute de « Ferry-Tonkin » (30 mars 1885), en raison de sa politique coloniale aventureuse – désapprouvée aussi par une droite obsédée par la seule « ligne bleue des Vosges », horizon indépassable de la revanche tant attendue contre la Prusse devenue Allemagne, si proche face à la si lointaine Indochine –, qui se sera soldée par la constitution, en 1914, du deuxième Empire colonial mondial (avec 12,5 millions de km²), derrière l’Angleterre, notamment au Maghreb, en Afrique noire et en Asie (Union indochinoise en 1887). N’en déplaise à ceux qui voudraient faire croire, cent ans plus tard, pour les besoins de la cause édificatrice du « mythe Ferry », que l’École républicaine était alors résolument anticolonialiste, c’est l’inverse qui s’impose comme une évidence, sans susciter l’ombre d’un remords ni le début d’une mauvaise conscience parmi les nouveaux instituteurs et institutrices de la République, ces fameux « hussards noirs » célébrés par l’écrivain Charles Péguy (1873-1914) : « Nos jeunes maîtres étaient beaux

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comme des hussards noirs. Sveltes ; sévères ; sanglés. Sérieux, et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. […] Rien n’est beau comme un bel uniforme noir parmi les uniformes militaires. C’est la ligne elle-même. Et la sévérité. Porté par ces gamins qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces jeunes hussards de la République. Par ces nourrissons de la République. Par ces hussards noirs de la sévérité. »13

Une France au bord de la guerre civile Toutefois, dans la décennie précédant Cyrano de Bergerac, la France est secouée par une série de crises et de scandales qui la plongent au bord de la guerre civile : scandale du trafic des décorations de la Légion d’honneur, crise du boulangisme (1888-1889) – qui s’achève l’année même où Rostand accomplit ses difficiles débuts de dramaturge, avec l’échec de son vaudeville en 4 actes Le Gant rouge, et où l’inauguration de la tour Eiffel fait rayonner la gloire de la France lors de l’Exposition Universelle, organisée à Paris pour commémorer le centenaire de la Révolution française de 1789 –, scandale de Panamá (1892-1893), au milieu d’une série d’attentats terroristes anarchistes (1891 à 1894 – années durant lesquelles Rostand échoue avec Les Deux Pierrots, mais réussit avec Les Romanesques). Ministre de la Guerre (1886-1887), le général Boulanger, jouissant d’une immense popularité, regroupe autour de lui les mécontents les plus opposés, de l’extrême gauche à la droite la plus nationaliste, à la faveur notamment du scandale des décorations : parmi les corrompus assurant le trafic des décorations de la Légion d’honneur est impliqué Wilson, gendre du président de la République Jules Grévy, lequel est acculé à la démission (2 décembre 1887), au profit de Sadi Carnot. Bien que triomphalement élu à Paris (1889), après l’avoir été en province, Boulanger renonce au coup d’État (27 janvier 1889) auquel le poussent ses innombrables partisans, et s’enfuit à Bruxelles ; moins de dix mois plus tard, les élections législatives montrent que le boulangisme, avec 38 députés seulement contre 366 républicains, a vécu. Étouffé depuis 1889, un nouveau scandale, politico-financier, éclate (1892-1893) à propos du canal de Panamá, dont les travaux, entamés en 1881 par Ferdinand de Lesseps (déjà à l’origine du canal de Suez, 1869), ont été arrêtés en 1888, la Compagnie de Panamá étant alors mise en liquidation : des parlementaires ont été corrompus par un homme d’affaires, le baron de Reinach, agissant au nom de la Compagnie, pour voter la loi autorisant la Compagnie à lancer des obligations sur le marché, et une partie des fonds versés aurait servi à lutter contre le boulangisme. Le scandale éclabousse plusieurs ministres et le propre fils de Lesseps, condamnés à des peines de prison, et crée une vague d’antisémitisme, le baron de Reinach – qui se suicide alors – étant juif. Ce climat antiparlementaire culmine avec une série d’attentats terroristes anarchistes (1891 à 1894), commis notamment par Ravachol et Vaillant, condamnés à mort, mais dont le plus grave est dû à un Italien de 21 ans, Caserio, qui, déclarant vouloir venger l’exécution de Vaillant, assassine d’un coup de poignard le président de la République Sadi Carnot (24-25 juin 1894), auquel succède Casimir-Perier, pour moins d’un an, avant l’élection de Félix Faure (janvier 1895 – au nom de qui Rostand, qui obtient un succès d’estime, cette année-là, avec La Princesse lointaine, sera décoré de la Légion d’honneur par Cochery, ministre des Finances, avant même la fin de la première de Cyrano de Bergerac).

Les deux France de l’affaire Dreyfus C’est alors que commence la retentissante affaire Dreyfus, qui, de 1894 à 1906, va littéralement diviser le pays en deux France : celle des dreyfusards – au premier rang desquels Rostand – convaincus de l’innocence, et celle des antidreyfusards, certains de la culpabilité du capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935). Cet officier juif, accusé, à tort, d’espionnage et de trahison au profit de l’Allemagne, est condamné à la déportation perpétuelle en Guyane, à l’île du Diable, et publiquement dégradé dans la cour de l’École militaire (1894-1895) ; il faut attendre la publication, par Zola, de sa lettre ouverte au président de la République Félix Faure, sous le titre « J’accuse…! », dans le quotidien L’Aurore (13 janvier 1898) – soit deux semaines tout juste après la création de Cyrano de Bergerac –, pour que l’affaire Dreyfus éclate réellement dans l’opinion publique. Condamné par la justice, Zola est contraint de s’exiler à Londres, mais le suicide du colonel Henry (août 1898), auteur d’un faux destiné à accabler Dreyfus, aboutit à un second procès (septembre 1899), qui reconnaît au « traître juif » des circonstances atténuantes mais le condamne néanmoins à dix ans de détention. La grâce présidentielle

13. Péguy, L’Argent, in Cahiers de la Quinzaine, XIV, VI, 16 février 1913 (in Œuvres en prose complètes, III, « Pléiade », Gallimard, 1992, p. 801).

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immédiatement obtenue (1899) n’établissant pas, pour autant, l’innocence de Dreyfus, ses partisans attendront jusqu’en 1906 pour obtenir sa complète réhabilitation officielle : douze ans après sa première condamnation, le colonel Dreyfus est réintégré dans l’armée et reçoit la Légion d’honneur. Défenseurs de l’honneur de l’armée, en qui ils placent leurs espoirs de revanche face à l’Allemagne, et de l’intérêt national, les anti-dreyfusards, souvent catholiques et monarchistes, violemment antisémites, se regroupent autour de la Ligue des Patriotes (fondée en 1882) du nationaliste boulangiste Paul Déroulède – banni de 1900 à 1905 pour sa tentative de coup d’État à la mort du président Faure –, et celle de la Patrie française, puis du Comité de l’Action française. Défenseurs des droits individuels face à la raison d’État, les dreyfusards se groupent autour de la Ligue des droits de l’homme et du citoyen (créée en février 1898). À terme, l’affaire Dreyfus accentue le divorce entre une droite catholique et antisémite, patriotique et nationaliste, et une gauche antimilitariste et pacifiste – même si cette opposition, trop simpliste sinon caricaturale, connaît bien des exceptions, à l’exemple de l’écrivain Charles Péguy, ardent nationaliste de gauche (mort pour la France en 1914). Ainsi, la laïcisation à outrance des débuts de la IIIe République touche-t-elle désormais l’armée, réputée majoritairement cléricale, à plus forte raison depuis les déchaînements de la campagne de révision du capitaine Dreyfus, et se traduit par des mesures de tous ordres : le ministère de la Marine interdit aux vaisseaux de guerre de prendre le deuil le Vendredi saint, contrairement aux règlements jusqu’alors en vigueur (1900) ; le personnel religieux dans les hôpitaux de l’armée de terre est supprimé (1903) ; surtout, le général André, ministre de la Guerre, interdit aux soldats la fréquentation des cercles militaires catholiques (1903). Inversement, un drame comme l’incendie du Bazar de la Charité (4 mai 1897), survenu à Paris quelques mois avant la création de Cyrano et ayant fait 125 victimes, a été interprété par le cardinal de Paris, lors des obsèques à Notre-Dame, comme une punition divine contre la République athée !

De la Défense républicaine au Bloc des gauches (1899 à 1905) Dirigé par Waldeck-Rousseau, un gouvernement de Défense républicaine (juin 1899) rassemble gauche modérée et radicaux, et compte même, pour la première fois, un socialiste, Millerand – futur président de la République (1920 à 1924) –, qui, comme ministre du Commerce, engage d’importantes réformes sociales. C’est sous ce gouvernement qu’a lieu le second procès de Dreyfus à Rennes (été 1899), confirmant la déchirure des deux France, nation bien moins rieuse et apaisée que ne le fait croire l’image d’Épinal de la Belle Époque, selon laquelle la France de 1900 – l’année même où Sarah Bernhardt triomphe dans le rôle-titre de L’Aiglon de Rostand –, auréolée par l’organisation d’une nouvelle Exposition Universelle, ne serait que douceur de vivre en une paix durant depuis trente ans, forte d’une prospérité acquise à la faveur de la seconde révolution industrielle, fière de la constitution d’un immense empire colonial censé faire oublier l’humiliation de 1870, confiante dans la solidité de sa république laïque et convaincue enfin de son génie propre. Comment ne pas y souscrire, face à tant d’innovations décisives dues à des Français ? Le premier avion de Clément Ader (1890) – à rapprocher de Cyrano tombant de la Lune à l’acte III de la pièce de Rostand, qui rendra hommage aux premiers aviateurs dans le long poème Le Cantique de l’Aile (1911) – marque les débuts de l’aviation. Le pneumatique des frères Michelin (1891) généralise la bicyclette. Les frères Lumière (1895) inventent le cinématographe, et Méliès (1896 – un an avant Cyrano) réalise le premier film. Édouard Branly contribue à l’invention du télégraphe sans fil (ancêtre du téléphone), et Peugeot (1897), à la naissance de l’automobile. On inaugure la première ligne du métro parisien (1900), on crée le Tour de France cycliste (1903), et la France obtient, entre 1901 et 1915, 11 prix Nobel scientifiques (dont celui, de physique, de Pierre et Marie Curie, avec leur maître Henri Becquerel, en 1903) et 3 prix Nobel de littérature, aux poètes Sully Prudhomme (1901) et Mistral (1904) puis au romancier Romain Rolland (1915). Tout autre est la réalité, bien plus contrastée en tout cas. Certes, la France contemporaine de Cyrano de Bergerac voit éclore, dans tous les domaines artistiques, des créateurs d’une exceptionnelle diversité. En littérature, les romanciers Anatole France (1844-1924), Pierre Loti (1850-1923), Paul Bourget (1852-1935), et Maurice Barrès (1862-1923) – tous retombés aujourd’hui dans un oubli presque complet – sont alors parmi les plus lus ; exacts contemporains de Rostand (né en 1868), des débutants qui deviendront vite célèbres commencent à se faire connaître, de Jules Renard (1864-1910) – fervent admirateur de Cyrano – à Marcel Proust (1871-1922) en passant par Paul Claudel (1868-1955) et André Gide (1869-1951), tandis qu’ont récemment disparu des génies aussi importants que

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les poètes Arthur Rimbaud (1854-1891) ou Paul Verlaine (1844-1896). Même diversité en peinture et en sculpture avec des créateurs aussi différents et décisifs que Edgar Degas (1834-1917), Paul Cézanne (1839-1906), Auguste Rodin (1840-1917), Paul Gauguin (1848-1903), Vincent Van Gogh (1853-1890), Aristide Maillol (1861-1944), Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Camille Claudel (1864-1943 – sœur aînée de l’écrivain) ou encore Henri Matisse (1869-1954). L’architecture voit alors éclore l’Art Nouveau ou Modern Style, grâce notamment à Hector Guimard (1867-1942). La bande dessinée n’est pas en reste, avec Christophe (1856-1945), auteur de la Famille Fenouillard (1889 à 1893) et des Facéties du sapeur Camember (1890 à 1896), puis avec Caumery (scénariste) et Pinchon (dessinateur) qui créent l’immortel personnage de Bécassine (1905), servante bretonne au grand cœur, dans l’hebdomadaire La Semaine de Suzette, fondé par Gautier-Languereau. C’est aussi l’Âge d’Or de la chanson poétique, avec le célèbre cabaret Le Chat Noir, les chanteurs Paul Delmet, Yvette Guilbert, Théodore Botrel, parmi tant d’autres, sans oublier le triomphe des danseuses du french-cancan. Enfin, le public se régale des vaudevilles du théâtre du Boulevard, dont les maîtres incontestés sont alors les deux Georges : Courteline (1858-1929), avec notamment Les Gaîtés de l’escadron (1886), Monsieur Badin (1897), Les Boulignrin (1898), ou encore La Paix chez soi (1903), et Feydeau (1862-1921), avec Un fil à la patte (1894), Le Dindon (1896), La Dame de chez Maxim (1899 – le célèbre restaurant parisien Maxim’s ayant ouvert en 1892), La Puce à l’oreille (1907) ou encore Occupe-toi d’Amélie (1908) – auteurs de pièces assurément très différentes de celles de Rostand ! Néanmoins, cette effervescence artistique ne saurait masquer que, toujours scindée et traumatisée par l’affaire Dreyfus, la France de 1900 – humiliée par les Britanniques lors de la récente affaire de Fachoda (1898-1899), au Soudan, opposant la mission française de Marchand à l’expédition de Kitchener, et qui l’a contrainte à reconnaître l’autorité britannique sur tout le bassin du Nil – l’est aussi et surtout par la laïcisation croissante de la société et des institutions, ces deux confrontations se recouvrant largement : les dreyfusards sont volontiers, sinon anticléricaux, du moins partisans d’une république laïque, tandis que les antidreyfusards sont, pour la plupart, hostiles à cette laïcisation généralisée. Cet apogée de l’anticléricalisme coïncide avec le ministère d’Émile Combes, alors président du Conseil (1902 à 1905), après la victoire du Bloc des gauches aux élections législatives : le « petit père Combes » est à l’origine de la suppression de l’ambassade de France au Vatican (1903), de l’expulsion des congrégations religieuses, interdites d’enseignement par la loi du 7 juillet 1904, et, surtout, de la loi du 9 décembre 1905 (votée dès juillet par l’Assemblée mais adoptée seulement en décembre par le Sénat) proclamant la séparation des Églises et de l’État, prélude à une guerre incessante entre l’école publique et l’école catholique, entre l’instituteur et le curé, au moins jusqu’à la Première Guerre mondiale. Durant ces années décisives si conflictuelles, Rostand, élu dès 1901 à l’Académie française (après le triomphe de L’Aiglon) mais souffrant d’une mauvaise santé qui l’empêche d’y être reçu avant 1903, acquiert le terrain de son futur domaine d’Arnaga au Pays basque et se consacre à l’écriture de Chantecler.

Des républicains très « fanatiques » Autre idée reçue : présenter les partisans de la République laïque comme des exemples de tolérance pacifique face aux fanatiques cléricaux… Or la laïcité républicaine, instaurée dans l’École par la loi du 28 mars 1882 et élargie à l’État par celle du 9 décembre 1905, si elle est aujourd’hui synonyme de tolérance, de liberté de conscience et de garantie du respect des convictions personnelles de chaque citoyen, en est alors l’exact et violent contraire. Aucune neutralité idéologique, politique ou culturelle dans l’école de Jules Ferry, a fortiori dans la France de 1905. Au contraire, un combat acharné : celui de la République contre la monarchie et le cléricalisme à droite, contre les menaces socialistes et révolutionnaires à gauche – le Parti socialiste français (réformiste) du député Jean Jaurès, fondateur du quotidien L’Humanité, et le Parti socialiste de France (révolutionnaire) de Jules Guesde fusionnent (1905) pour devenir la Section française de l’Internationale ouvrière (S.F.I.O.). Combat acharné jusqu’à l’intolérance, assurément, mais durant moins d’un demi-siècle au total (de 1875 à 1925 – soit deux générations), pour mettre un terme à des siècles d’intolérance et d’obscurantisme d’un côté, et en prévenir les risques imminents de l’autre. Le catéchisme enseigné dans les classes n’est plus celui de l’Église, mais celui de l’État républicain, dont les « missels » ou les « bibles » sont désormais Le Tour de la France par deux enfants ou le « petit Lavisse », qui inculquent aux élèves le triple amour de la patrie, de l’ordre et de l’autorité, plus volontiers que le

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triptyque inscrit au fronton des mairies, et avec une « foi » qui, pour être républicaine, est tout aussi fervente, ombrageuse et « fanatique », en fait, que celle des religieux.

La France agitée de Clemenceau et Briand (1906 à 1913) Chef de la gauche radicale, Georges Clemenceau (1841-1929), d’une éloquence passionnée, s’est déjà fait connaître pour avoir combattu la politique coloniale de « Ferry-Tonkin » (1885), puis pour avoir publié dans son quotidien L’Aurore l’article « J’accuse… ! » de Zola (1898) lors de l’affaire Dreyfus, quand il accède au pouvoir. Ministre de l’Intérieur puis président du Conseil (1906), il crée le ministère du Travail chargé des questions ouvrières, projette d’ambitieuses réformes (retraites ouvrières, journée de travail de 8 heures, impôt sur le revenu, statut des fonctionnaires, rachat des Chemins de fer de l’Ouest) qui ne seront guère concrétisées, mais se signale surtout par la dureté avec laquelle il brise les grèves ou réprime les conflits sociaux (fonctionnaires, ouvriers, vignerons) qui se multiplient jusqu’à la démission de celui qui se disait lui-même « le premier flic de France » (1909 – l’année même où meurt brutalement, en pleines répétitions de Chantecler, Constant Coquelin, créateur du rôle de Cyrano et acteur fétiche de Rostand). C’est le socialiste Aristide Briand (1862-1932 – il fut 25 fois ministre, surtout des Affaires étrangères, et 11 fois président du Conseil) qui succède à Clemenceau, dans une volonté d’apaisement, vite contredite toutefois par une violente grève des cheminots (automne 1910), qu’il brise non moins énergiquement que son prédécesseur. Cette même année, Rostand fait enfin jouer Chantecler (7 février 1910), alors que Paris doit faire face à des inondations historiques, et le navire Pourquoi pas ? du commandant Charcot revient en juin de deux années d’expéditions au pôle Sud. Pacifiste convaincu et partisan d’une politique d’apaisement avec l’Allemagne, Briand, futur prix Nobel de la Paix (1926), doit, pour l’heure, contrecarrer les ingérences allemandes au Maroc : soucieux de briser l’Entente cordiale entre la France et l’Angleterre (1904), l’empereur d’Allemagne Guillaume II est venu à Tanger (1905) soutenir l’indépendance du Maroc ; la conférence d’Algésiras (1906) a conforté la position française, mais les tentions restent très vives entre les deux pays, jusqu’à la crise d’Agadir (1911) – un navire de guerre allemand stationne en rade d’Agadir – et à l’accord franco-allemand (4 novembre 1911), selon lequel l’Allemagne reconnaît le protectorat français sur le Maroc en échange d’un territoire grand comme la moitié de la France au Congo. L’année même où Rostand écrit son ultime pièce, La Dernière Nuit de Don Juan (1911, publication posthume 1921), et où il rencontre l’écrivaine Anna de Noailles, la « crise marocaine » trouve son épilogue provisoire au prix d’une instabilité gouvernementale : à Briand, démissionnaire (février 1911), ont succédé Monis (mars), Caillaux (juin) et enfin Poincaré (janvier 1912). Juriste et financier, ce dernier constitue un gouvernement d’Union nationale face à la montée des menaces et des tensions : rien que pour l’année 1912, crise avec l’Italie en guerre contre les Turcs ; constitution de la Ligue balkanique entre Serbie, Bulgarie, Grèce, Monténégro, déclenchant une première guerre balkanique contre la Turquie ; révolte au Maroc contre le protectorat français, réprimée par le général Lyautey – sans parler des « exploits », en France, de la « bande à Bonnot », groupement hétéroclite de malfaiteurs plus ou moins anarchistes qui innovent en recourant à l’automobile pour leurs hold-up souvent sanglants (5 morts entre décembre 1911 et avril 1912).

La France revancharde de Poincaré (1913) Surtout, la « crise marocaine » a ravivé et exacerbé les nationalismes des deux côtés du Rhin, comme un peu partout en Europe. C’est notamment parce qu’il est lorrain, et fervent patriote, que Raymond Poincaré (1860-1934 – cousin du célèbre mathématicien Henri Poincaré) est élu président de la République (janvier 1913 – l’année où Rostand, familier du couple présidentiel, célèbre la 1.000e triomphale représentation de Cyrano, le 26 avril) : c’est Poincaré qui a décrété (2 mai 1912) fête nationale la fête de Jeanne d’Arc – héroïne lorraine de l’histoire de France. Ce réveil des nationalismes dépasse les clivages politiques traditionnels : en France, il est alors aussi bien le fait des monarchistes antidreyfusards de l’Action française de Charles Maurras (1868-1952) que des républicains laïques et dreyfusards comme Poincaré, ou des ex-socialistes dreyfusards et pacifistes comme Charles Péguy, qui publie Notre Patrie (1905) dès l’affaire de Tanger, sans cesser de célébrer la Pucelle d’Orléans, de Jeanne d’Arc (1897 – l’année même de Cyrano) au Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910 – l’année de Chantecler).

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Depuis Les Oberlé (1901) de René Bazin (1853-1932), écrivain de « la revanche » contre l’Allemagne, toute une littérature exalte le nationalisme patriotique et « revanchard ». Vosgien, donc Lorrain, Barrès a un retentissement considérable dans la France patriotique, « orpheline » de la perte de l’Alsace-Lorraine, et incarne alors l’écrivain officiel de la nation, avec Les Déracinés (1897, apologie de l’enracinement nécessaire à la formation de l’identité nationale, publiée la même année que Cyrano) – premier volume d’une trilogie romanesque comprenant en outre L’Appel au soldat (1900, chronique du boulangisme) et Leurs Figures (1902, dénonciation du scandale de Panamá), et très éloquemment intitulée Le Roman de l’énergie nationale. Barrès récidive avec Au service de l’Allemagne (1905, évocation du service militaire accompli par un jeune Alsacien dans l’armée allemande d’occupation) – premier volume d’une autre trilogie comprenant en outre Colette Baudoche (1909, histoire d’une jeune Lorraine refusant d’épouser un Allemand) et Le Génie du Rhin (1912), et intitulée Les Bastions de l’Est –, si bien que, élu entre-temps à l’Académie française (1906) et réélu député, il devient une sorte de « monument » du patriotisme officiel. Dans la même veine, Ernest Psichari (1883-1914), petit-fils de Renan, fait, dans L’Appel des armes (1913), le portrait d’un intellectuel dreyfusard devenu officier et exaltant la grandeur de l’armée, contre le pacifisme humanitariste, tandis que le très populaire dessinateur et caricaturiste alsacien Hansi (1873-1951) ne cesse de ridiculiser l’occupant allemand dans ses divers albums délibérément polémiques, dont L’Histoire d’Alsace racontée aux petits enfants de France par l’oncle Hansi (1912). Avec plus de distance et d’ironie, et sans aucun parti pris nationaliste, au contraire, Jean-Paul Sartre (1905-1980), dans son autobiographie Les Mots (1964), attestera ce même climat de revanche, en évoquant les chefs-d’œuvre de Rostand : « Huit ans avant ma naissance, Cyrano de Bergerac avait éclaté “comme une fanfare de pantalons rouges” [formule du critique Émile Faguet à la création de la pièce]. Un peu plus tard, l’Aiglon fier et meurtri n’avait eu qu’à apparaître pour effacer Fachoda [...]. L’agressivité nationale et l’esprit de revanche faisaient de tous les enfants des vengeurs. Je devins un vengeur comme tout le monde : séduit par la gouaille, par le panache, ces insupportables défauts des vaincus, je raillais les truands avant de leur casser les reins » (Jean-Paul Sartre, Les Mots, Gallimard, 1964).

L’inexorable marche à la guerre En ayant adopté la loi portant le service militaire à 3 ans (juillet 1913), le gouvernement français entend répondre à la course aux armements entreprise en Allemagne, à la tête de la Triple-Alliance (avec l’Autriche-Hongrie et l’Italie) face à la Triple-Entente (France, Grande-Bretagne, Russie). Une deuxième guerre balkanique (été 1913), aux dépens de la Bulgarie, confirme l’aggravation des tensions en Europe. La nette victoire électorale du Bloc des gauches (socialistes et radicaux, hostiles au service de 3 ans), aux législatives du printemps 1914, intervient dans un climat national et international explosif : l’épouse du ministre des Finances Caillaux, pacifiste violemment mis en cause par Le Figaro, assassine Calmette, directeur du quotidien (mars) ; surtout, l’archiduc héritier d’Autriche, François-Ferdinand, est assassiné à Sarajevo par un nationaliste serbe d’origine bosniaque (juin). Le jeu des alliances diplomatiques précipite alors l’Europe dans la Première Guerre mondiale ; l’assassinat de Jaurès (31 juillet) par Raoul Villain confirme que le pacifisme est, pour l’heure, vaincu par les nationalismes : le lendemain, la mobilisation générale est décrétée des deux côtés du Rhin ; l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août. Parmi les premières victimes figurent les écrivains Péguy, Psichari et Alain-Fournier (1886-1914), auteur du Grand Meaulnes (1913). De cette guerre que tout le monde prévoyait brève – à laquelle Rostand, volontaire malgré son âge (46 ans) mais déclaré inapte, a participé notamment par un vibrant recueil de vers patriotiques, Le Vol de la Marseillaise (posthume, 1919) et durant laquelle il a en outre perdu successivement son père (1915) et sa mère (1916) –, tout a été dit désormais, à commencer par l’effroyable bilan humain : plus de 8 millions de morts ! La France a certes pris sa « revanche » contre l’Allemagne et effacé l’humiliation de 1870 en récupérant l’Alsace et la Lorraine, mais au prix d’un affaiblissement considérable. Surtout, en imposant aux vaincus des conditions de paix jugées humiliantes, elle et ses alliés ont favorisé un esprit de revanche qui conduira, seulement vingt ans plus tard, à une Seconde Guerre mondiale (1939-1945) encore plus meurtrière, avec plus de 50 millions de victimes. L’armistice du 11 novembre 1918 officialise l’écroulement des empires austro-hongrois, ottoman, russe et, bien sûr, allemand. L’avant-veille, le poète Guillaume Apollinaire (1880-1918), qui a été mobilisé sur le front, est mort d’une épidémie de grippe espagnole – dont meurt probablement aussi Rostand quelques semaines plus tard (2 décembre).

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Pour beaucoup d’historiens, la modernisation économique de la France remonte au Second Empire, mais c’est avec la Première Guerre mondiale que s’achève vraiment le XIXe siècle politique et diplomatique, celui des dynasties impériales, et que commence réellement le XXe siècle : Rostand, durant son bref demi-siècle d’existence, aura donc vécu ces métamorphoses décisives.

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S U G G E S T I O N S D E T R A V A U X S U R L E S I M A G E S

◆ Cyrano par Rostand (p. 5) L’œuvre Sans titre précis, il s’agit d’un dessin de Cyrano de Bergerac vu par son créateur.

Travaux proposés – Que met en évidence la disposition choisie par Rostand pour présenter Cyrano ? Sur quels éléments ou attributs notre œil est-il attiré ? – Quels traits de caractère de Cyrano sont-ils ainsi d’emblée suggérés, malgré la sobriété de ce traitement en noir et blanc ?

◆ Constant Coquelin (p. 12) Travaux proposés – Quelle impression générale se dégage de cette photographie ? Est-ce ainsi que vous vous figuriez Cyrano ? Pourquoi ? – Quel accessoire pousse ici le personnage de Cyrano vers une certaine solennité presque excessive, sinon ridicule ?

◆ Gérard Depardieu (p. 67) Travaux proposés – Quel geste semble faire ici Cyrano ? Que pourrait traduire son large sourire ? – D’après ces deux indices, à quel acte, sinon à quelle scène, selon vous, cette photographie a-t-elle été prise ? Essayez de situer le plus précisément possible ce document. – Quel détail vestimentaire contredit-il la « rigidité », voire la « raideur », revendiquée par Cyrano ?

◆ Charlotte De Turckheim et Jacques Weber (p. 169) Travaux proposés – En quoi ce document souligne-t-il à la fois ce qui rapproche et ce qui sépare les deux personnages ? Observez notamment les gestes et les regards, pour répondre précisément à cette question. – Selon toute vraisemblance, à quel moment précis (acte, scène) de la pièce cette photographie se situe-t-elle ?

◆ Michel Vuillermoz et Éric Ruf (p. 255) Travaux proposés – Quels contrastes relevez-vous dans les attitudes respectives des deux personnages ? Que révèlent-ils ? – Quels indices vous permettent de situer au moins l’acte auquel a été prise cette photographie ? Plus précisément, comment pourriez-vous situer même la scène ?

◆ L’Ivresse de Polichinelle par Joseph Faverot (p. 266) Le peintre Joseph Faverot (1862- ?), peintre de diverses scènes de genre, notamment d’animaux de basse-cour, qui, après une jeunesse passée parmi les gens du cirque, se spécialisa à Montmartre dans la peinture de panneaux décoratifs figurant des clowns et des acrobates.

Travaux proposés – Analysez la disposition des principaux éléments du tableau : que cherche-t-elle à mettre en évidence ? – Malgré le titre du tableau, quels indices incitent à évoquer ici une profonde griserie plutôt qu’une totale ivresse ?

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Suggestions de travaux sur les images – 48

◆ Anne Brochet (p. 278) Travaux proposés – Dans quelle mesure le masque que porte Roxane vous permet-il de préciser au moins l’acte auquel cette photographie a été prise ? – Roxane regarde manifestement « droit dans les yeux » l’objectif de la caméra ou de l’appareil : à quelle réplique, prononcée par Lignière, cette attitude fait-elle écho ? Située donc dans quelle scène plus précisément ? – Plus symboliquement, que révèle cette présence du masque, par rapport à la signification de toute la pièce ? – Même si la photo n’est qu’en noir et blanc, quel détail physique caractéristique de Roxane est-il ici sacrifié ? – Est-ce ainsi que vous imaginiez la précieuse Roxane ?

◆ Anne Suarez et Jacques Weber (p. 310) Travaux proposés – Quels indices vous permettent de situer au moins l’acte auquel a été prise cette photographie ? Plus précisément, comment pourriez-vous situer même la scène ? – Dans quelle mesure cette vue du personnage de Cyrano est-elle particulièrement frappante par rapport à toutes ses apparitions antérieures dans la pièce ?

◆ Cyrano par Hermann Vogel (p. 351) Travaux proposés – Commentez la composition du tableau. Que pensez-vous notamment des éléments en arrière-plan ? – Quel est l’attribut de Cyrano le plus mis en évidence ici ? Quel autre document, présent dans notre édition, souligne ce même attribut ? Est-ce ainsi que vous caractériseriez Cyrano ?

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Cyrano de Bergerac – 49

B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E , S I T E S I N T E R N E T , F I L M O G R A P H I E

N.B. Pour toutes les références ici rassemblées, le lieu d’édition n’est précisé que s’il ne s’agit pas de Paris. Hormis les éditions de la pièce de Rostand et des œuvres de Cyrano de Bergerac, présentées ici par ordre chronologique, les références sont classées par ordre alphabétique de nom d’auteur. Nous avons présenté en gras celles qui nous paraissent les plus profitables ou les plus accessibles.

◆ Bibliographie sur Cyrano de Bergerac Éditions de la pièce

– Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac, illust. par François Flameng, Albert Besnard, Augustin-F. Gorguet, Paul-Albert Laurens, « Œuvres complètes illustrées d’Edmond Rostand », Pierre Lafitte et Cie, 1910 : l’édition de référence (c’est celle que suit notre édition), publiée du vivant de Rostand et très richement illustrée, mais disponible uniquement chez des bibliophiles ou des bouquinistes. – Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac, « Collection du Répertoire » n° 15, Fasquelle et Comédie-Française, 1976 : édition n’offrant ni vers numérotés ni la moindre note, mais dont l’intérêt est de fournir la liste des comédiens ayant tenu les divers rôles de la pièce depuis la création de celle-ci à la Comédie-Française en 1938. – Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac, éd. de Jacques Truchet, illustré par Jean-Denis Malclès, « Lettres françaises », Imprimerie nationale, 1983 : de très loin la meilleure édition savante actuelle (qui reprend celle de 1910), quoique très coûteuse (plusieurs centaines de francs) et insuffisamment pratique, ses indications bibliographiques, classées par ordre chronologique (pp. 55 à 57), ne précisant pas les éditeurs. – Jacques Weber présente Edmond Rostand, « Cyrano de Bergerac », éditions Vent d’Ouest, 1986 : l’intégralité de la pièce de Rostand mise en bande dessinée par Lionel Garcia, Michel Rodrigue, Jean-Claude Vruble. Tentative intéressante, cette B.D., préfacée par celui qui tint le rôle-titre dans la mise en scène de Jérôme Savary, au Théâtre Mogador, à Paris, d’octobre 1983 à décembre 1984, et postfacée par les dessinateurs, se caractérise par trois modifications majeures : abandon des didascalies, disparition des numéros de scènes et suppression de la disposition des vers en rimes. – Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac, éd. de Denis Roger-Vasselin, « Classiques Hachette » n° 90, Hachette, 1997 : édition très annotée, que nous avons procurée pour le centenaire de la pièce. – Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac, revue Avant-Scène n° 101, 1997.

Études de la pièce – Philippe DURANT, Belmondo, Robert Hossein, « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand, « Les Trois Coups », Éditions Sévigny, Clamart, 1990 : édition intégrale n’offrant ni vers numérotés ni la moindre note, mais dont l’intérêt réside, d’une part, dans une très riche préface recensant un historique (agrémenté d’entretiens passionnants) des principaux interprètes du rôle-titre depuis la création de la pièce et détaillant la genèse de la version mise en scène par Robert Hossein et jouée par Jean-Paul Belmondo, à Paris, au Théâtre Marigny, en 1990, et, d’autre part, dans un splendide cahier iconographique d’une vingtaine de photographies en couleurs de ce qui reste, à nos yeux, l’une des meilleures interprétations récentes de la pièce. – Francis HUSTER, Cyrano. À la recherche du nez perdu, Ramsay/Archimbaud, 1997 : livre très original, d’abord dans sa démarche, puisque l’auteur, « monstre sacré » de la scène française, qui y raconte, en une sorte de journal, son expérience quotidienne d’apprentissage du rôle-titre, le publie avant même (mi-septembre 1997) la première de cette nouvelle mise en scène de Jérôme Savary, au Théâtre national de Chaillot, à Paris (27 septembre 1997), pour le centenaire de la pièce ; original aussi en ce que l’auteur s’en prend, à juste titre, aux déformations durables imprimées au rôle-titre par l’interprétation initiale de Coquelin. Ses détracteurs ne manqueront pas de relever ce que cette

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démarche contient à la fois de narcissique et de prétentieux (Huster a raison de « dénoncer l’infâme coquelinade » [p. 107], mais tort de se présenter comme le premier à y avoir mis fin : dès 1928, Pierre Fresnay, premier Cyrano « jeune » à la fois d’âge – 30 ans – et de jeu, imposait une interprétation « anti-Coquelin »), comme pourra vite lasser la systématisation de formules paradoxales et antithétiques ou de jeux de mots qui finissent par ne plus rien signifier (cf. p. 66 : « Il sait tout, c’est-à-dire qu’il sait ne rien savoir parce qu’il ne sait tout que sur rien » et p. 69 : « Il faut être supérieur en tout à Cyrano, sauf à Cyrano ») : néanmoins, hormis l’aspect évidemment psychanalytique de la démarche, ce témoignage reste très intéressant (cf. notamment les pp. 90 à 94). – Peter JERNDORFF-JESSEN, Cyrano de Bergerac : historiens, legends og Rostands Cyrano de Bergerac : en biografi, Hernov, Kœbenhavn [Copenhague], 1984 : la plus récente confrontation entre le Cyrano historique et celui de Rostand, mais écrite en… danois et accessible à la BNF (cote [8 Ln27 94 858). – Émile MAGNE, Les Erreurs de documentation de «Cyrano de Bergerac », Éditions de la Revue de la France, 1898, rééd. sous le titre Le Cyrano de l’histoire, 1903 : un relevé méthodique, et peu polémique à l’origine (mais pas toujours pertinent, Magne commettant lui-même des erreurs…), des anachronismes et autres erreurs de Rostand, lequel y répondit très ironiquement. – Denis PODALYDÈS, Scènes de la vie d’acteur, Seuil/Archimbaud, 2006 : par le plus récent metteur en scène de Cyrano à la Comédie-Française en 2006 (couronné par un Molière de la meilleure mise en scène en 2007), des mémoires souvent émouvants, complétés depuis par Voix off (livre-CD), coll. « Parallèles », Mercure de France, 2008. – Jehan RICTUS, Un « bluff » littéraire : le Cas Edmond Rostand, Sevin et Rey, 1903 : une charge assez violente contre l’auteur de Cyrano. – Denis ROGER-VASSELIN, « Cyrano de Bergerac ou la Tragédie de l’ivresse », in Edmond Rostand. Renaissance d’une œuvre, actes du colloque international des 1er et 2 juin 2006, réunis par Guy LAVOREL et Philippe BULINGE, C.E.D.I.C./Centre Jean Prévost, Université Jean Moulin Lyon 3, 2007, pp. 131 à 142 : notre plus récente contribution, sur ce qui nous paraît constituer la thématique majeure de toute la pièce. – Paul VERNOIS, « Architecture et écriture théâtrale dans Cyrano de Bergerac », in Travaux de linguistique et de littérature de l’Université de Strasbourg (IV, 2), Strasbourg, 1966.

◆ Bibliographie sur Edmond Rostand et son époque Œuvres d’Edmond Rostand

– Edmond ROSTAND, Deux Romanciers de Provence, Honoré d’Urfé et Émile Zola, rééd. Champion, 1921 : la fameuse étude qui valut à Rostand d’être récompensé par l’Académie de Marseille en 1890 et dont la lecture aide à comprendre les partis pris de l’auteur de Cyrano. – Edmond ROSTAND, Choix de poésies, « Bibliothèque Charpentier », Fasquelle, 1925 : malheureusement épuisé, ce recueil offre un panorama passionnant des manières poétiques de l’auteur, des Musardises à La Dernière Nuit de Don Juan. – Edmond ROSTAND, Théâtre complet, Omnibus, 2005 : le seul mérite de cette édition est d’offrir en un volume toutes les pièces de Rostand, mais l’appareil critique est indigent. N.B. Il n’existe pas encore d’édition courante des œuvres complètes d’Edmond ROSTAND : seules sont aisément disponibles les pièces Cyrano de Bergerac (surtout), L’Aiglon et Chantecler, en diverses collections parascolaires et de poche, notamment « Folio » (Gallimard), « Le Livre de Poche » (L.G.F.), « Pocket » et « GF » (Flammarion – pour Chantecler, dans l’excellente édition de notre collègue Philippe Bulinge), ainsi que La Samaritaine, L’Harmattan, 2004 (commentée par ce même spécialiste).

Ouvrages sur Edmond Rostand et son époque – Marc ANDRY, Edmond Rostand. Le Panache et la Gloire, Plon, 1986 . – Pierre APESTEGUY, La Vie profonde d’Edmond Rostand, Charpentier et Fasquelle, 1929 : une biographie publiée à peine plus de dix ans après la mort de Rostand, et dont les pp. 135 à 173 sont entièrement consacrées à la pièce.

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– Sacha BERNARD, Ghylaine MANET, À l’ombre de Marcel Proust : Robert de Montesquiou, Sarah Bernhardt, les Rostand, Nizet, 1980. – Maïté DABADIE, Lettre à ma nièce sur Edmond Rostand, Privat, Toulouse, 1970. – Guy DUREAU, Combo, Arnaga, Rostand, Lavielle, 1990 : moins de 50 pages illustrant la propriété de Rostand dans les Pyrénées. – Paul FAURE, Vingt Ans d’intimité avec Edmond Rostand, Plon, 1928 : un témoignage irremplaçable. – Carole GARCIA, Roland DARGELÈS, Edmond Rostand : panache et tourments, J. Curutchet, E. Harriet, 1997 : l’une des plus récentes biographies. – Rosemonde GÉRARD, Edmond Rostand, Charpentier, 1935, rééd. Grasset, 1967 : biographie d’autant plus intéressante qu’elle est due à l’épouse même de l’écrivain. – Jules HARASZTI, Edmond Rostand, Fontemoing & Cie, 1913 : malheureusement épuisée, la seule biographie écrite du vivant de Rostand, loin des excès hagiographiques posthumes. – Jean-Claude LASSERRE, Arnaga, musée Edmond Rostand, Combo-les-Bains, photographies de Bernard Chabot, Le Festin, 1993 : guide très accessible et illustré sur le « palais » pyrénéen de Rostand. – Edmond Rostand. Renaissance d’une œuvre, actes du colloque international des 1er et 2 juin 2006, réunis par Guy Lavorel et Philippe Bulinge, C.E.D.I.C./Centre Jean Prévost, Université Jean Moulin Lyon 3, 2007 : la plus récente « photographie » des études rostandiennes universitaires, réhabilitant enfin l’auteur de Cyrano, jusqu’alors aussi populaire que souverainement ignoré des universitaires – ceci expliquant peut-être cela ?… – Jacques LORCEY, Edmond Rostand, coll. « Empreinte », Éd. Atlantica, Anglet (Pyrénées-Atlantiques), 3 vol. (t. 1 : « Cyrano »-« L’Aiglon » 1868-1900) : une somme magistrale, digne de Rostand, la plus complète à ce jour ! – Sue LLOYD, The Man who was Cyrano. A Life of Edmond Rostand, Creator of « Cyrano de Bergerac », Unlimited Publishing, Bloomington, Indiana, 2002 : en anglais, une excellente biographie, qui plus est récente. – Anne DE MARGERIE, Edmond Rostand ou le Baiser de la gloire, Grasset, 1997 : une biographie due à l’une des descendantes (arrière-petite-nièce) de Rostand et éclairée d’extraits de correspondance inédits. – François MAURIAC, La Vie et la Mort d’un poète, Plon 1924 : hommage sincère et talentueux d’un futur prix Nobel de littérature. – Marcel MIGEO, Les Rostand, Stock, 1973 : intéressante biographie consacrée non pas au seul Edmond Rostand mais aussi à son épouse et à leurs deux fils, et qui vaut également pour son iconographie. – Émile RIPERT, Edmond Rostand, 1930, rééd. Hachette, 1968 : globalement, encore l’une des meilleures biographies à ce jour.

Histoires et anthologies littéraires

sur Edmond Rostand et son époque – Roger CHARTIER et Henri-Jean MARTIN, Histoire de l’édition française au XIXe siècle, t. I : Le Livre triomphant (1660-1830), t. II : Le Temps des éditeurs, du romantisme à la Belle Époque, Fayard, 1985 : une somme pour comprendre la réalité des conditions matérielles des écrivains, depuis les « protecteurs » que refuse Cyrano (t. I) jusqu’aux éditeurs du début du XXe siècle (t. II). – Michel DÉCAUDIN, Daniel LEUWERS, De Zola à Guillaume Apollinaire, in Claude PICHOIS (dir.), Littérature française, t. 8, « Artaud Poche », Artaud, 1990, rééd. « GF », Flammarion, 1998 : l’une des meilleures synthèses d’histoire littéraire pour comprendre l’époque de Rostand. – Monique DESYEUX-SANDOR, Anthologie de la littérature française, XIXe siècle, « Le Livre de Poche classique » n° 9603, L.G.F., 1995 : en plus de 850 pages, dans une collection, à tous égards, très accessible, des extraits des textes les plus représentatifs du siècle de Rostand, lequel n’a droit qu’à quelques pages (pp. 488 à 491) réduites à des extraits de L’Aiglon. À recommander néanmoins aux

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élèves, qui y trouveront aussi des extraits des modèles chers à Rostand, de Hugo à Dumas en passant par Gautier. On regrettera toutefois l’absence d’un index des noms cités. – Jean-Marie MAYEUR, Les Débuts de la Troisième République (1871-1898), in Nouvelle Histoire de la France contemporaine, « Points » n° 110, Seuil, 1973 : synthèse historique très utile pour comprendre l’époque de Rostand. – Max MILNER, Claude PICHOIS, De Chateaubriand à Baudelaire, in Claude PICHOIS (dir.), Littérature française, t. 7, « Artaud Poche », Artaud, 1990, rééd. « GF », Flammarion, 1998 : l’une des meilleures synthèses d’histoire littéraire pour comprendre le romantisme, si cher à Rostand. – Gérard PEYLET, La Littérature fin de siècle de 1884 à 1898, « Thémathèque Lettres », Vuibert, 1994 : utile pour connaître un aspect essentiel (la littérature dite « décadente ») du climat intellectuel et culturel dans lequel Rostand composa son œuvre, à contre-courant de son époque, même si l’auteur de Cyrano n’est pas même mentionné ni dans le tableau chronologique à l’année 1897 (p. 165) ni dans l’index, ce qui est pour le moins étonnant ! – Madeleine REBÉRIOUX, La République radicale ? (1899-1914), in Nouvelle Histoire de la France contemporaine, « Points » n° 110, Seuil, 1973 : suite du titre de Jean-Marie Mayeur, tout aussi utile pour comprendre l’époque de Rostand.

◆ Bibliographie sur Cyrano de Bergerac et son œuvre Œuvres de Cyrano de Bergerac

– Œuvres comiques, galantes et littéraires de Cyrano de Bergerac, nouvelle édition revue et publiée avec des notes par P.-L. Jacob [Paul Lacroix, alias le bibliophile Jacob], bibliophile, Paris, Adolphe Delahays, 1858, rééd. « La Renaissance des Lettres », Galic, 1962 : l’intérêt de cette réédition (anthologie constituée de « lettres diverses », « lettres amoureuses » et « autres poésies », à savoir les œuvres théâtrales — et qui fait suite, comme le signale l’avertissement de l’éditeur, à une « nouvelle édition » de l’Histoire comique des États et Empires de la Lune et du Soleil) est de nous mettre en présence d’une édition des œuvres de Cyrano, telle qu’a pu en disposer Rostand pour écrire sa pièce (cette édition a aussi paru chez Garnier frères). – Œuvres libertines de Cyrano de Bergerac, première édition contenant les passages supprimés, éd. de Frédéric Lachèvre, Champion, 1921, rééd. « Reprints », Slatkine, Genève, 1968 : malheureusement très coûteuse, mais une édition de référence. – Cyrano de Bergerac, Histoire comique des État [sic] et Empire [sic] de la Lune et du Soleil, Jean-Jacques Pauvert et Club des Libraires de France, 1962 : très riche et belle édition, soigneusement annotée et illustrée. – Cyrano de Bergerac, Les États et Empires de la Lune et du Soleil, Lettre pour les sorciers, Lettre contre les sorciers, extraits choisis et commentés par Jean-Paul Collet et Madeleine Alcover, « Classiques Larousse », Larousse, 1968 : malheureusement épuisée, mais disponible encore d’occasion, cette édition est, de très loin, la meilleure synthèse scolaire sur les œuvres du modèle de Rostand. – Cyrano de Bergerac, Voyage dans la Lune (L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune), éd. de Maurice Laugaa, « GF » n° 232, Flammarion, 1970. – Cyrano de Bergerac, Œuvres complètes, éd. de Jacques Prévot, Belin, 1977 : édition qui a le mérite d’offrir l’intégralité des œuvres de Cyrano en un seul volume, et dans l’orthographe d’origine, mais presque sans aucun appareil critique et au prix de quelques choix d’établissement de texte qui ont été contestés. – Cyrano de Bergerac, L’Autre Monde, éd. d’Henri Weber, « Les Classiques du Peuple », Éditions sociales, 1978. – Cyrano de Bergerac, L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune, éd. de Madeleine Alcover, S.F.T.M., 1978 : la meilleure édition savante. – Cyrano de Bergerac, La Mort d’Agrippine, « La Petite Vermillon » n° 49, La Table Ronde, 1995.

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– Paul ELUARD, La Poésie du passé, vol. 2 : De Joachim Du Bellay à Cyrano de Bergerac, « Poésie Seghers », Seghers, 1979 : un choix de poésies de Cyrano de Bergerac, par un des plus grands poètes français.

Études sur Cyrano de Bergerac et son œuvre – Antoine ADAM, Les Libertins au XVIIe siècle, « Le vrai savoir », Buchet-Chastel, 1964 : notamment les pp. 159 à 192, entièrement consacrées à Cyrano, par l’un des meilleurs spécialistes universitaires de la littérature française du XVIIe siècle. – Madeleine ALCOVER, La Pensée philosophique et scientifique de Cyrano de Bergerac, Droz, 1970 : une excellente synthèse, par l’une des meilleures spécialistes universitaires. – Pierre BRUN, Savinien de Cyrano de Bergerac, gentilhomme parisien, l’Histoire et la légende, de Lebret à M. Rostand, « Bibliothèque du vieux Paris », Paris, Daragon, 1909 : malheureusement épuisé, cet ouvrage est absolument indispensable pour qui veut démêler entre le Cyrano historique et le héros de Rostand (cf. les pp. 1 à 37 notamment) ; sa lecture est d’autant plus précieuse et intéressante que l’auteur avait initialement publié une thèse universitaire intitulée Savinien de Cyrano de Bergerac, sa vie et ses œuvres en 1894 (rééd. « Reprints », Slatkine, Genève, 1970), soit trois ans avant la création de la pièce de Rostand (lequel, curieusement, selon Jacques Truchet, ne l’avait pas consultée) et que sa publication de 1910 tient compte du triomphe alors tout récent remporté par Cyrano. – Michel CARDOZE, Cyrano de Bergerac, libertain libertaire, Archimbaud et Lattès, 1994 : biographie sans intérêt « scientifique » mais d’une lecture agréable, due à un Gascon, ancien « Monsieur météo » de TF1. – Rose-Marie CARRÉ, Cyrano de Bergerac, Voyages imaginaires à la recherche de la vérité humaine, « Archives des Lettres modernes » n° 172, Minard, 1977. – Théophile GAUTIER, Les Grotesques, 1844, rééd. « La Petite Librairie du XIXe siècle, Gens singuliers », Plein Chant, Bassac (Charente), 1993 : œuvre décisive, puisque c’est elle qui a « créé » le nez de Cyrano, que Rostand s’employa ensuite à immortaliser. – Anne GERMAIN, Monsieur de Cyrano-Bergerac, Paris, Maisonneuve & Larose, Lausanne, Acatos, 1996 : biographie romancée valant surtout par sa riche iconographie (en noir et blanc). – Jeanne GOLDIN, Cyrano de Bergerac et l’Art de la pointe, Les Presses de l’Université de Montréal, 1973. – Louis-Raymond LEFÈVRE, La Vie de Cyrano de Bergerac, Gallimard, 1927 : une courte mais sérieuse biographie, écrite juste trente ans après la pièce de Rostand, à la lumière de l’édition Lachèvre de 1921. – Georges MONGRÉDIEN, Cyrano de Bergerac, Berger-Levrault : une bonne synthèse, due à l’un des plus grands spécialistes du théâtre du XVIIe siècle. – Charles NODIER, Bonaventure Desperiers [sic], Cyrano de Bergerac, Paris, 1841, rééd. « Reprints », Slatkine, Genève, 1967 : une curiosité que cette courte étude comparative, due à un écrivain méconnu qui fut pourtant l’un des « pères » du romantisme français. – Jacques PRÉVOT, Cyrano de Bergerac romancier, Belin, 1977, et Cyrano de Bergerac poète et dramaturge, Belin, 1978 : forment le commentaire complémentaire à l’édition des œuvres complètes due au même universitaire. – Willy DE SPENS, Cyrano de Bergerac, l’esprit de révolte, « Les Infréquentables », Éditions du Rocher, 1989.

◆ Bibliographie sur l’époque de Cyrano de Bergerac – Antoine ADAM, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, 5 vol. ; l’étude de Cyrano et de son œuvre ne requiert de consulter que les t. I et II, mais l’édition complète comprend aussi : t. III, L’Apogée du siècle (Boileau, Molière), Domat, 1952 ; t. IV, L’Apogée du siècle (La Fontaine, Racine, La Rochefoucauld, Mme de Sévigné), Domat, 1954 ; t. V, La Fin de l’époque classique (1680-1715), Domat, 1951. Les 5 tomes de cette édition des années 1950 ont été réédités en 3 tomes, le nouveau

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tome 2 regroupant les anciens tomes 2 et 3, et le nouveau tome 3, les anciens tomes 4 et 5, coll. « Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité », Albin Michel, 1997. – Yves-Marie BERCÉ, La Naissance dramatique de l’absolutisme (1598-1661), in Nouvelle Histoire de la France moderne, « Points » n° 209, Seuil, 1992 : synthèse historique très utile pour comprendre l’époque de Cyrano de Bergerac. – Simone BERTIÈRE et Lucette VIDAL, Anthologie de la littérature française, XVIIe siècle, « Le Livre de Poche classique » n° 9601, L.G.F., 1993 : en quelque 800 pages, dans une collection, à tous égards, très accessible, des extraits des textes les plus représentatifs du siècle de Cyrano, lequel a quand même droit à 11 pages (pp. 361 à 371) ; à recommander aux élèves, d’autant plus qu’ils y trouveront aussi des extraits des auteurs cités dans la pièce (et rarement édités dans des éditions courantes) : notamment Rotrou (pp. 279 à 284 ; cf. notre pièce, v. 15), Corneille (pp. 285 à 346 ; cf. v. 15), Urfé (et la fameuse Astrée, pp. 51 à 66 ; cf. vers 24, 176, 411, 653, 817), Viau (pp. 165 à 184, avec des extraits de sa tragédie de Pyrame et Thisbé, dont Cyrano parodie un vers en concluant sa tirade des nez, vers 350 à 352), Malherbe (pp. 67 à 88 ; cf. v. 626), Benserade et son sonnet de Job, comme les « acteurs » du sonnet d’Uranie de Voiture (pp. 256-257 ; cf. v. 748), Saint-Amant (pp. 191 à 206 ; cf. v. 753), Descartes (pp. 231 à 246 ; cf. v. 1826), etc. On regrettera toutefois l’absence d’un index des noms cités. – François BLUCHE (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990 : véritable bible, absolument irremplaçable pour tout l’arrière-plan historique de l’œuvre de Rostand. – René BRAY, La Formation de la doctrine classique en France, Nizet, 1951 : ouvrage certes érudit, mais indispensable pour comprendre, dans toute sa complexité, l’émergence du classicisme littéraire ; on lira notamment les pp. 114 à 139. – Claude DULONG, La Vie quotidienne des femmes au Grand Siècle, Hachette, 1984 : un classique indispensable pour connaître la réalité de la condition féminine au XVIIe siècle, et pas seulement celle de la préciosité, très clairement recadrée dans les pp. 124 à 161. – Alexandre DUMAS, Les Trois Mousquetaires, 1844, « Le Livre de Poche classique » n° 667, L.G.F., 1995 : le meilleur accès littéraire à l’arrière-plan historique de la pièce, dont la lecture est d’autant plus indispensable que Rostand s’en est beaucoup inspiré, dans une édition riche notamment, entre autres, de notes et d’un répertoire des personnages. – Théophile GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, « Le Livre de Poche classique » n° 6138, L.G.F., 1985 : autre accès littéraire indispensable, puisque Rostand s’en est également inspiré, dans une édition riche de quelques notes et surtout d’un glossaire et d’un index des noms propres. – Georges MONGRÉDIEN, grand universitaire spécialiste du théâtre du XVIIe siècle et dont on lira avec profit : • Le XVIIe Siècle galant : libertins et amoureuses, Librairie académique Perrin, 1952 ; • « Chronologie des troupes qui ont joué à l’Hôtel de Bourgogne de 1598 à 1680 », in Revue d’histoire du théâtre, III, 1953, pp. 160 à 174 ; • Dictionnaire biographique des comédiens français du XVIIe siècle, suivi d’un inventaire des troupes (1590-1710), CNRS, 1961, rééd. 1980 : véritable bible en la matière ; • Madeleine de Scudéry et son salon, documents inédits, Tallandier : ouvrage très… précieux pour comprendre la préciosité ; • La Vie quotidienne des comédiens au temps de Molière, Hachette, 1966 : véritable classique à recommander aux élèves, qui en feront leur profit, notamment pour les pp. 5 à 46, 63 à 86, 157 à 200. – Daniel MORNET, Histoire de la littérature classique, 1660-1700, Colin, 1940 : la seule lecture de l’introduction, sobrement intitulée Avant 1660 (pp. 7 à 45), est indispensable pour comprendre notamment la réalité de la préciosité. – René et Suzanne PILORGET, France baroque, France classique, 1589-1715, 2 vol. (I. Récit - II. Dictionnaire), « Bouquins », Laffont, 1995 : autre bible, à la fois complète et pratique, indispensable pour mieux connaître l’époque de Cyrano, sur tous les plans (économie, politique, culture) ; on lira avec profit les pp. 194 à 685 du vol. I (sur Cyrano même, les pp. 401-402) et l’article consacré à Cyrano, pp. 314-315 du vol. II.

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◆ Lectures complémentaires – Jacqueline DE JOMARON (dir.), Le Théâtre en France, du Moyen Âge à nos jours, Armand Colin, 1992, rééd. « Encyclopédies d’aujourd’hui / La Pochothèque / Le Livre de Poche », L.G.F., 1993 : une bible pour connaître le théâtre et de l’époque de Richelieu (cf. pp. 129 à 266) et de celle de Rostand (cf. pp. 703 à 868, et, sur Cyrano de Bergerac, les pp. 846 à 849). – Agnès PIERRON, Le Théâtre, ses métiers, son langage, lexique théâtral, « Classiques Hachette », Hachette, 1994 : très complémentaire du précédent ; en une centaine de pages, l’essentiel du vocabulaire théâtral. – Jean ROSTAND, Pages d’un moraliste, Fasquelle, 1952 : les réflexions du fils cadet de Rostand, par ailleurs biologiste de renommée mondiale. – Bernard SALLÉ, Histoire du théâtre, Paris, Librairie théâtrale, 1990 : de cette succincte histoire universelle du théâtre, on lira notamment les pp. 79 à 126 et 197 à 216. – Georges VERSINI, Le Théâtre français depuis 1900, « Que sais-je ? », PUF, 1970, rééd. 1991 : les pp. 7 à 15 en général, et les pp. 9-10 en particulier, consacrées à Rostand. – La Sincérité, l’insolence du cœur, « Série Morales », n° 18, Autrement, 1995 : un recueil d’articles consacrés à ce qui constitue la qualité la plus revendiquée et la plus controversée du personnage de Rostand.

◆ Sites Internet Parmi les innombrables sites consacrés à Rostand et/ou à Cyrano, on se limitera aux suivants, de loin les plus complets : – www.edmond-rostand.com : site exhaustif sur Edmond Rostand. – www.cyranodebergerac.fr : le meilleur site consacré à Cyrano, qu’il s’agisse du personnage créé par Rostand ou de l’écrivain historique, avec une bibliographie aussi exhaustive que possible, reproduisant la couverture de chaque référence. – www.arnaga.com : site consacré au domaine extravagant mais merveilleux que Rostand se fit construire au Pays basque, à Cambo-les-Bains.

◆ Filmographie On trouvera le détail des adaptations cinématographiques ou télévisuelles, ainsi que des discographies, dans l’édition de Jacques Truchet (op. cit., pp. 390-391) et dans l’ouvrage de Philippe Durant (op. cit., pp. 23-24). Pour nous en tenir à l’essentiel (et pour ne parler que des adaptations de la seconde moitié du XXe siècle), les films à voir ou à revoir sont (en VHS ou DVD selon les cas) : • Cyrano de Bergerac, film d’Augusto Genina, 1923, avec Pierre Magnier et Linda Moglie, coll. « Cinéma muet », Arte vidéo, 2000 : une version certes muette, mais néanmoins très émouvante, dont Jean-Paul Rappeneau déclara : « De toutes les versions cinématographiques de Cyrano, celle de Genina est la seule qui m’ait tout de suite intéressé. » • Cyrano, film américain de Michael Gordon, 1950, avec José Ferrer (41 ans, lequel remporta un Oscar pour ce rôle) et Mala Powers. • Cyrano de Bergerac, téléfilm (en noir et blanc) de Claude Barma, 1960, avec l’inoubliable Daniel Sorano (40 ans) et Françoise Christophe, rééd. coll. « Les grandes fictions de la télévision », INA, 2008 : une version importante pour la diffusion de masse de la pièce et dont le principal mérite est la fidélité à l’œuvre de Rostand. • Cyrano et d’Artagnan, film (en couleurs) d’Abel Gance, 1963, avec José Ferrer (Cyrano) et Jean-Pierre Cassel (D’Artagnan) : adaptation très plaisante non pas de la pièce – et pour cause : D’Artagnan n’y

Page 56: Cyrano de Bergerac - BIBLIO - HACHETTE · Cyrano de Bergerac Edmond Rostand Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 50 ... Texte B : Extrait de la scène 3 de l’acte

Bibliographie complémentaire, sites Internet, filmographie – 56

apparaît, presque anonymement, que pour une réplique –, mais des données que Rostand n’a pas exploitées. • Roxanne, film de Fred Schepisi, 1987, Columbia Tristar, 1999, avec Steve Martin et Daryl Hannah : version hollywoodienne où Cyrano est devenu un commandant de sapeurs-pompiers... • Cyrano de Bergerac, vidéo du spectacle du Théâtre Mogador, mise en scène de Jérôme Savary, avec Jacques Weber et Nicole Jamet, « TF1 Vidéo », TF1-ALAP VIDÉO, 1989 : une interprétation de Cyrano – et de Roxane – qui aura fait date, malgré les partis pris, très contestables selon nous, de Savary dans le traitement notamment de De Guiche, outrancièrement ridicule, à contresens. • Cyrano de Bergerac, film (en couleurs) de Jean-Paul Rappeneau, 1990, avec Gérard Depardieu (42 ans) et Anne Brochet : une version certes très réussie – qui obtint 10 Césars en 1991, dont celui du meilleur acteur pour Gérard Depardieu –, car globalement assez peu « coquelinesque » et cinématographiquement somptueuse, mais dont on peut regretter qu’elle ne soit qu’une adaptation vraiment trop lointaine, à force d’infidélités souvent graves – beaucoup de répliques importantes ont disparu, au profit d’autres, purement et simplement (la plupart, médiocrement) réécrites, ce qui est un comble ! –, alors même qu’elle constitua l’un des plus gros budgets du cinéma français ; autre intérêt : Jacques Weber, qui était alors le dernier grand triomphateur du rôle-titre à Mogador, tient ici – parfaitement – le rôle de De Guiche (assurément moins ridicule et plus convaincant que celui qui lui donnait la réplique dans la mise en scène de Savary en 1983 !). On peut s’étonner que cette adaptation cinématographique de Rappeneau, aux moyens absolument exceptionnels pour l’époque, ait néanmoins choisi de tronquer le texte et même de le transformer, en créant de nouvelles répliques, au lieu d’opter pour l’exhaustivité, si difficile à respecter au théâtre. Au demeurant, cette version de la pièce étant l’une des plus connues et des plus aisément accessibles, sous la forme d’un DVD, il importe pédagogiquement de souligner auprès des élèves combien cette adaptation, qui constitue d’ailleurs incontestablement un très beau film, est infidèle à la pièce de Rostand, au point de la défigurer : certes, les morceaux de bravoure sont presque tous préservés

14, mais beaucoup de répliques sont supprimées ou déplacées, d’autres sont créées, et nombre de faits sont transformés

15. Transformations d’autant moins judicieuses et compréhensibles (justifiées sans doute par

la seule volonté de ne pas se borner à filmer la pièce) que ce film constitua l’un des plus gros budgets du cinéma français. Surtout, entre les pièces souvent tronquées et les adaptations cinématographiques très infidèles, il devient impossible de faire connaître aux élèves une version authentique et intégrale de la pièce. • Le « Cyrano » de Portland (Bigger than the Sky), film de Al Corley, 2005, MGM/Sony, avec John Corbett, Amy Smart et Sean Astin, 2006 : une adaptation très libre, car assez lointaine, de la pièce. • Enfin, pour rester dans l’atmosphère de cape et d’épée de la pièce, et même s’il ne s’agit nullement d’une adaptation de l’œuvre de Rostand, on peut signaler Le Bossu, film (en couleurs) de Philippe de Broca, 1997, d’après l’œuvre de Paul Féval, avec Daniel Auteuil, Fabrice Luchini et Philippe Noiret, où sont mises en scène les aventures de Lagardère.

14. Pas tous, puisque même l’illustre tirade de l’acte III, scènes 7 à 10, est amputée et transformée ! 15. Entre bien d’autres exemples, c’est la perruque d’un académicien, et non celle d’un bourgeois, qui est pêchée par des enfants ; la réponse de Cyrano à la réplique de Montfleury (v. 200 sqq.) est supprimée ; toute la fin de l’acte I a lieu non plus dans la salle de l’Hôtel de Bourgogne, mais en extérieur, à ses abords, si bien que ce ne sont plus des comédiens en train de répéter, mais des vagabonds en train de dormir, qui demandent à Cyrano, transporté de joie après le rendez-vous transmis par la duègne, de faire moins de bruit ; au lieu d’arriver une heure avant son rendez-vous, donc à 6 heures du matin, Cyrano arrive à 7 heures, et trouve à peine le temps de rédiger sa lettre ; le mousquetaire, amant de Lise, n’existe plus ; lorsque Roxane arrive, les très beaux vers par lesquels Cyrano accueille sa cousine (II, 6, v. 758 à 760) sont platement transformés, de même qu’au vers 765, « madame » est remplacé par « cousine » ; toute la fin de l’acte II se déroule non plus dans la boutique de Ragueneau mais dans l’immense salle d’armes des Cadets ; De Guiche félicite directement, et non plus de la part du maréchal de Gassion, Cyrano pour son dernier exploit ; c’est Le Bret, et non plus Cyrano, qui commence à présenter les Cadets ; même l’illustre tirade de l’acte III, scènes 7 à 10, est amputée de certains vers, dont le très célèbre vers 1534 (« – Baiser, festin d’amour dont je suis le Lazare ! ») ; les deux joueurs de théorbe, censés escorter Cyrano à la suite de son pari gagné contre D’Assoucy et qui interrompent la tirade lyrique pour annoncer la venue du capucin, n’apparaissent qu’en escorte de… De Guiche masqué se rendant à son rendez-vous nocturne avec Roxane ; le capucin n’apparaît d’ailleurs qu’une seule fois ; plus aucune trace des « six moyens de violer l’azur vierge » (III, 13, v. 1645), la scène étant notoirement sacrifiée ; etc.