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Et pourquoi pas l’Afrique au lieu des classiques îles atlantiques ? C’est après s’être posé cette question que Claire et Jalil, à bord de leur solide Anao, ont tiré sur la barre et opté pour le chemin des écoliers vers le Maroc, la Mauritanie,le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau et l’archipel des Bijagos, sans jamais le regretter ! ITINÉRAIRE BIS Du M aroc aux B ijagos ESPAGNE FRANCE MAROC Houat La Corogne Agadir Dakar Casamance Archipel des Açores Archipel des Canaries Archipel du Cap-Vert Archipel des Bijagos Salvador de Bahia Océan Atlantique 1000 milles 0 1000 milles 0

D Maroc Bijagos - Les longs Courriers

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Et pourquoi pas l’Afrique au lieu des classiques îles atlantiques ? C’est après s’être posé cette question que Claire et Jalil, à bord de leur solide Anao, ont tiré sur la barre et opté pour le chemin des écoliers vers le Maroc, la Mauritanie,le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau et l’archipel des Bijagos, sans jamais le regretter !

ITINÉRAIRE BIS

Du Maroc aux Bijagos

ESPAGNE

FRANCE

MAROC

Houat

La Corogne

Agadir

DakarCasamance

Archipel des Açores

Archipel des Canaries

Archipeldu Cap-Vert

Archipel des Bijagos

Salvador de Bahia

Océan Atlantique

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Texte et photos Claire Grimonprez et Jalil Schaff ar.

GRANDE CROISIÈRE 77

Carénage participatif. Devant le village de Bubaque (Bijagos), Anao profi te de la basse mer pour se refaire une beauté alors que les enfants prennent la pose.

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Les lumières d’Agadir peinent à percer la brume épaisse. La visi-bilité est nulle, on distingue tout juste l’étrave. Dans ce coton blanc, l’approche se fait à vitesse réduite au moteur pour ne pas

aborder l’un des nombreux bateaux de pêche dont on entend le ronronnement des moteurs sans les voir. Enfi n, le môle du port se dessine. Nous amarrons Anao sous les remparts illuminés de la casbah, l’ancienne forteresse qui sur-plombe la ville. Sur le versant de la col-line sont dessinées d’immenses lettres qui signifi ent en arabe «Dieu, la Patrie, le Roi». Avec un tel insigne au-dessus de nos têtes, on peut dormir en paix… La marina d’Agadir est l’une des meil-

leures du pays. Catways solides et bien entretenus, eau et électricité incluses, surveillance 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, douches, wi-fi, station gazole, boutiques et restaurants : le standing est le même qu’en Europe pour un tarif abordable – et négociable selon votre capacité à marchander.

L’AÏD-EL-KÉBIR EN GUISE DE BIENVENUE

A peine avons-nous posé pied à terre que Moustafa, notre voisin de pon-ton, nous invite à bord de sa vedette. Même s’il dispose d’un appartement en ville, il préfère «l’air frais de la mer et

le calme de la marina». On nous régale d’un délicieux thé à la menthe accom-pagné de fruits, de fromage blanc, de miel et de noix. «Vous tombez bien, c’est l’Aïd-el-Kébir dans trois jours. On tue un mouton dans chaque famille pour l’occa-sion, soit quatre millions de bêtes égorgées en un jour !» Dès le lendemain, nous verrons effectivement des moutons partout : dans les bus, les coffres de voiture et jusque sur les épaules des chauffeurs de Mobylette.

Nous sommes heureux d’arriver sans l’avoir prévu pour l’une des plus grandes fêtes musulmanes de l’année. Nous par-tons fl âner dans les médinas de Rabat et de Meknès, entre articles de maroquine-rie, tapis berbères, savon noir et huile

MarocMÉDINA, SOUK ET BRICOLAGE

Gorges de l’Atlas. Choc des couleurs, quand le minéral rouge succède au grand bleu…

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d’argan. Dans l’Atlas, le dépaysement est total : au cœur de cette immensité de cailloux et de poussière ocre, on en ou-blierait la mer. Nous visitons la specta-culaire mosquée Hassan II à Casablanca avant de découvrir le spot de surf de Bouznika. Grâce au bon réseau routier, il s’avère très facile de se déplacer au Maroc en bus ou en voiture de location. De re-tour à Agadir, c’est le moment d’une raz-zia au souk : pâtes, riz, sucre, thé, farine, semoule, épices, ustensiles de cuisine, linge de maison, fruits et légumes... On trouve de tout à des prix très compétitifs.

BÉQUILLES ET BATEAU-STOPPEURS

Nous souhaitons également faire réa liser deux béquilles pour Anao. En plus de constituer un gage de sécurité en cas d’échouement, il nous semble utile de pouvoir béquiller pour gratter les coquillages sur les œuvres vives ou plus prosaïquement vérifier coque et safran en cas de talonnage. C’est Moha-med, un soudeur conseillé par notre ami Moustafa, qui s’occupera de nous.

Il ne parle pas un mot de français, ne sait ni lire ni écrire, mais la mécano-soudure est un langage universel. En quatre jours, les béquilles sont prêtes.

La suite logique du programme ? Les Canaries, juste en face. La petite île de La Graciosa, au Nord de Lanzarote, n’est qu’à 215 milles d’Agadir. Quelques jours avant le départ, deux bateau-stoppeurs

polonais passent une tête à la marina en quête d’un embarquement. Ils deman-dent à être déposés à Fuerteventura. Leur bonne humeur communicative nous in-cite à accepter. Ils s’avéreront être deux boute-en-train fort sympathiques et met-tront leurs compétences de kinésithéra-peutes au service de l’équipage. Mode stretching sur la teugue d’Anao !

> Pas de visa pour les Français.> Formalités d’entrée et de sortie gratuites, faciles et rapides.> Bonne sécurité pour les voyageurs.> Bonnes marinas à des prix accessibles

(Bouregreg, Casablanca, Agadir…).> Possibilité de faire halte dans des ports de pêche.> Sites historiques et naturels remarquables.> Accueil chaleureux des Marocains.> Français compris ou largement parlé.> Approvisionnement varié et compétitif.> Possibilité de bricoler facilement : on trouve de tout dans

les grandes villes (batteries, matériaux divers, outillage…).> Bons artisans pour réaliser certains travaux à un coût avantageux.

Les plus Les moins> Pas de mouillages forains

ni de cabotage agréable : le littoral est monotone et ne présente aucun abri naturel.

> Navigation côtière compliquée : forte nébulosité, pêcheurs, fi lets dérivants.

> Présence parfois gênante de l’harmattan, vent qui dépose une fi ne poussière ocre sur le bateau.

> Pas de véritable shipchandler ou services spécifi ques aux plaisanciers : en cas de grosse réparation, il faudra faire envoyer du matériel de France.

Quartier des Oudayas. Au bout des ruelles tortueuses aux façades colorées et richement décorées, la mer et la ville de Salé.

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Après les Canaries et le Cap-Vert, c’est avec bonheur que nous remettons cap sur l’Afrique. Immense métro-pole, Dakar étale son ruban de lumières interminable le

long de la côte. Une odeur entêtante d’encens et d’épices monte jusqu’à nous. On imagine déjà les marchés colorés et les restaurants de rue qui servent le tieboudienne, plat national à base de riz et de poisson.

Il n’existe pas de marina au Sénégal mais les bateaux de passage relâchent gé-néralement au Club des voiliers de Dakar (CVD) dans la baie – polluée – de Hann. Accueil sympathique, eau, wi-fi, petits services de réparation, bar-restaurant : tout le nécessaire à un voilier de voyage est là… Le responsable du club nous informe : «Avant, on recevait le triple de voiliers étrangers, mais maintenant à peine une quarantaine passe ici par an, c’est dom-mage.» Nous faisons la rencontre de Dio-gop et Simon, un jeune couple franco-sénégalais. Ils se proposent de nous ac-compagner au marché pour nous aider à trouver – et négocier – ce dont nous avons besoin en vue de la transat. Un épicier chez qui nous faisons le plein de conserves en marchandant comme des diables nous conviera à manger un tieb derrière le comptoir. Le légendaire té-ranga sénégalais (hospitalité, en wolof) n’est pas un vain mot.

Pour autant, notre séjour à Dakar ne s’éternise pas : nous avons envie de

nature et d’eau douce. Cap sur la Casa-mance. Situé à 130 milles de Dakar, le fl euve Casamance est navigable sur 35 milles jusqu’à la capitale régionale, Ziguinchor. Une fois la barre passée, on oublie vite les vagues océanes et les embruns dans le calme des eaux in-térieures. De part et d’autre du fl euve principal, bien balisé, s’étend un im-mense labyrinthe de marigots dans lequel on navigue principalement au moteur, avec la marée comme alliée.

Le décor est fantastique : la mangrove au premier plan laisse ensuite place aux baobabs, fromagers, cocotiers et pal-miers. Une plage ou un ponton se des-sinent, annonçant l’escale. Des dizaines de petits villages et campements sont nichés au cœur des bolongs (Djogué, Karabane, Ehidj, Egueye, Nioumoune, Elinkine…), ces bras d’eau salée carac-téristiques de la région. Ces villages sont tantôt chrétiens, tantôt musulmans, mais animistes assurément, et on y est toujours bien accueillis. Le bateau constitue la meilleure manière de visiter ces régions fl uviales, diffi ciles d’accès par la terre. Cette navigation lente et calme, avec pour compagnie de gros dauphins placides et nonchalants, permet d’obser-ver la nature luxuriante et le ballet des oiseaux. D’un signe de la main, on salue les pêcheurs qui posent et remontent inlassablement leurs fi lets depuis leurs pirogues richement peintes et décorées.

Les possibilités d’escapades sont illimi-tées. Et c’est seulement la hauteur d’eau qui contraint à faire demi-tour. Car le principal «danger» demeure l’échoue-ment sur l’un des innombra bles bancs de sable. Il faut garder un œil sur le son-deur, mais à la longue on apprend que les bancs se forment quasi systémati-quement à l’intérieur des virages du bo-long. On peut aussi ruser en évaluant la hauteur d’eau grâce à une sonde à main depuis l’annexe. Anao cale 1,40 mètre dérive relevée et nous ne talonnerons qu’une fois grâce à cette pratique.

RENCONTRES ET COUTUMES

Au village de Kachouiane, Yann, la vingtaine, s’improvise spontanément comme notre guide. «Voici la place cen-trale avec le fromager sacré : les hommes y discutent, prennent le thé et jouent aux dames. Ici, c’est l’école, qui est ouverte aussi le samedi pour les élèves qui ont des diffi -cultés. Et là-bas, c’est la case des jeunes : on s’exerce à la lutte sénégalaise et aux danses traditionnelles. Il faut profiter de danser quand on est jeune, car une fois que l’on est marié, il n’est plus permis de danser qu’avec sa femme !» Nous passerons ensuite par les champs de riz où femmes et enfants nous invitent à déjeuner. Puis nous continuons à marcher sous un soleil de plomb le long des pistes de brousse.

Jeune penseur. Des Français sur

un voilier mouillé devant le village…

Surprenant !

Rizières de Kachouiane. C’est l’époque de la récolte du riz par les femmes du village.

Route sinueuse. Nous avons passé deux mois entre eau douce et eau salée, avant de partir pour la transat.

OcéanAtlantique

Dakar

Banjul

Ziguinchor

CasamanceCacheu Bissau

Îlot de Kéré

Orango

Conakry

Kachouiane

GAMBIE

GUINÉE-BISSAU

GUINÉE

SÉNÉGAL

Île d’Unhocomo Île de Bubaque

100 milles0

SenegalL’AFRIQUE NOIRE EN DOUCEUR

F. C

HEV

ALIE

R

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«On va aller voir les gars qui extraient le vin de palme deux fois par jour. C’est LA spécia-lité de Casamance.» Dans une petite oa-sis, trois hommes déjeunent. Adama, la cinquantaine, le corps musclé et svelte, nous salue. Il empoigne sa ceinture faite de lianes tressées, l’ouvre, y enserre le stipe d’un palmier puis la referme en la calant le long des reins. Agile comme un singe, il met moins d’une minute à monter en haut du palmier – à 15 mè-tres au-dessus du sol – pour récolter la sève écoulée dans la bouteille en plas-

tique prévue à cet effet. Il redescend aussi vite et nous tend la liqueur blan-châtre. C’est bon, laiteux et pétillant, ça descend tout seul.

Voyager en Casamance est syno-nyme d’immersion culturelle en pays diola, l’ethnie la plus traditionnelle du Sénégal. Le maraboutisme, les féti-ches et les croyances animistes y sont très présents. Si vous restez longtemps, les occasions de découvrir cette magie ne manqueront pas tant les fêtes de toutes natures sont nombreuses.

> Pas de visa pour les Français (trois mois gratuits en arrivant sur place).

> Formalités d’entrée plutôt faciles (mais pas forcément rapides) : visite de la police d’immigration et des douanes, ainsi que de la capitainerie qui délivre un permis de circulation d’un mois. Coût : 5 000 CFA, renouvelable.

> Formalités de sortie possibles dans de nombreuses villes.

> Pas d’insécurité ressentie pour les personnes ou le voilier.

> Sites historiques (Saint-Louis, île de Gorée), parcs naturels, plages.

> Superbes fl euves à découvrir (Sine Saloum et Casamance).

> Culture traditionnelle préservée et multiethnique.

> Accueil chaleureux des Sénégalais.

> Français compris ou parlé par beaucoup de gens.

> Approvisionnement varié, mais pas forcément bon marché (de nombreux produits sont importés d’Europe).

> Possibilité de bricoler : on trouve de tout à Dakar.

> Dakar est le seul port d’entrée (ce qui oblige à remonter si vous souhaitez visiter Saint-Louis en voilier).

> Pas de marina dans le pays, mais trois possibilités de mouillages à Dakar : l’ADP (Amicale des plaisanciers), le CVD (Club des voiliers de Dakar) et le Marinas (bateaux ayant un tirant d’eau inférieur à 1,30 mètre et pouvant s’échouer).

> Navigation côtière compliquée : forte nébulosité, pêcheurs.

> Présence parfois gênante de l’harmattan.

> Navigation plus diffi cile pendant la saison des pluies de juillet à septembre.

> Traitement contre le paludisme et vaccin fi èvre jaune recommandés.

Bonnes pêches ! Huîtres, crabes, crevettes et poissons foisonnent dans les bolongs.

Les plus

Les moins

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Nous venons de jeter l’ancre devant le fort de Cacheu, l’un des plus vieux comp-toirs portugais d’Afrique de l’Ouest. Les dernières lueurs solaires inondent de rose et

de violet la brume qui caresse l’eau. Nous arrivons à peine à croire que nous sommes enfin aux portes de l’archi-pel des Bijagos tant nous l’avons rêvé. De par leur beauté, leur éloignement et le peu d’informations disponibles à leur sujet, les Bijagos font figure de fantasme pour les rares plaisanciers qui en ont entendu parler. Seuls quatre à cinq voiliers étrangers s’y aventure-raient par an… Et pour cause, l’endroit est très mal cartographié, les bancs de sable sont nombreux, le marnage peut atteindre six mètres et les courants sept nœuds. Dans le fond, rien qui puisse effrayer les Bretons, qui se retrouveront en terrain connu ! Mais les tracasseries ne s’arrêtent pas là.

Il faut aussi mentionner les forma-lités compliquées et interminables, la corruption généralisée des fonction-naires, une population farouchement indépendante à l’histoire complexe, la présence de narcotrafiquants sud-améri cains ayant trouvé là une plate-forme de déchargement formidable, car non surveillée, des risques sani-taires importants en l’absence d’hô-pital correct et la présence  –  entre autres – de la malaria ainsi que de re-quins et de serpents venimeux… Par ailleurs, la Guinée-Bissau est l’un des pays les plus pauvres de la planète, avec pour seuls revenus ceux de l’ex-portation de noix de cajou, de l’huile de palme et de la pêche. Le tourisme s’y développe à peine, attirant avant tout les amateurs de pêche au gros.

LES MERVEILLES DES BIJAGOS

Tout ceci est vrai, mais ce n’est pas ce qu’il faut retenir. Les Bijagos, ce sont 88 îles et îlots préservés du modernisme, de la pollution, des constructions en dur et du tourisme de masse. Un tiers seulement de ces îles est habité et l’on se retrouve souvent seul au monde, sur des plages vierges inter minables bor-dées d’une végétation luxuriante. La partie Sud de l’archipel est une réserve

naturelle de l’Unesco, car elle abrite une faune et une flore marines excep-tionnelles dont font partie les hippopo-tames et les tortues de mer.

Notre première escale, nous la choi-sissons sur l’îlot de Kéré. L’île est para-disiaque et abrite un camp de pêche sportive tenu par Laurent, un Français installé depuis plus de vingt ans dans le pays. «Bienvenue à bord, les jeunes !» nous lance-t-il derrière le comptoir. Il est vrai que depuis ce petit coin de sable cerclé d’eau turquoise on se croirait sur le pont d’un voilier. «Avant, l’île était in-habitée car réservée aux rites d’initiation. Il n’était pas question qu’un étranger s’y installe. Mais avec le temps, j’ai appris les coutumes et les rites bijagos. Je me suis fait accepter par la communauté et j’ai fi ni par avoir la bénédiction de la prêtresse du vil-lage une fois mes rites d’initiation accom-plis.» Il ajoute en riant : «Il faut surtout ne pas lésiner sur le sacrifi ce des cochons et pouvoir honorer les ancêtres de quelques

litres de cana !» Laurent nous régalera de bien d’autres histoires sur ce peuple avec lequel il s’est lié d’amitié. On re-tiendra surtout que le spirituel occupe une place centrale dans la vie des habi-tants des Bijagos qui ont su conserver leur culture animiste millénaire en dépit de cinq siècles de colonisation. Ici, la plupart vivent en autarcie. Leurs villages, dont les cases sont construites en briques de terre et recouvertes de paille, sont parfaitement intégrés dans le milieu. Ils vivent de l’agriculture, de l’élevage d’animaux domestiques et de la pêche artisanale. Ce mode de vie simple et ancestral contribue à la pro-tection de la biodiversité.

Enchantés par l’endroit, nous passe-rons trois semaines à sillonner l’archi-pel. De temps à autre, une pirogue colo-rée passe au loin. A leur bord, une bande de pêcheurs aussi jeunes que bien bâtis. Curieux et souriants, ils s’approchent pour voir de plus près notre voilier qui

Plages d’Unhocomo. Au bout du bout de l’archipel des Bijagos, voici notre île préférée aux paysages rythmés par les marées.

Guinee -BissauROBINSONS POUR DE BON

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détonne dans le paysage. Mais la plu-part du temps, nous serons seuls. Un matin, nous mettons deux lignes à l’eau. Le temps de remonter un maquereau-bonite, la seconde ligne s’agite déjà. Se-cond maquereau-bonite ! Au loin, une centaine d’oiseaux tournoient dans les airs et plongent dans l’eau frétillante de poissons : impossible de louper une chasse pareille ! Nous faisons route sur la nuée d’oiseaux, nos deux cannes de traîne à l’eau. Notre alarme de sondeur sonne : plus que 70 centimètres d’eau sous la quille. Préoccupant, mais pas cri-tique. Un œil sur les cannes et l’autre sur le sondeur, on attend. La prise de risque a payé : on ramasse deux gros barracu-das de six et huit kilos sans talonner.

C’est sur l’île d’Unhocomo que nous aurons le plus de contacts avec les ha-bitants. Elle a été brûlée sur son plateau central pour laisser place aux champs de riz. Entre termitières géantes et porcs en liberté, les enfants nus jouent avec

ce qui leur tombe sous la main. On se débrouille comme on peut pour les sa-luer en crioulo (mélange de portugais et d’anciens dialectes africains). Ils nous invitent à nous asseoir et partager leur repas, veulent savoir d’où nous venons et si nous avons des médicaments. «Vous ne voudriez pas construire un hôtel sur notre île ?» nous demande un jeune qui parle français. A ses côtés, une jeune femme pile du riz sous l’œil sévère d’une mama âgée qui surveille l’opéra tion. Soudain, elle cesse son activité, ouvre un sac de toile et nous tend fi èrement une Bible. Nous sommes conviés pour Noël.

25 décembre : tout le village est en liesse. Les fi llettes portent des robes en dentelle et des jupons à tutus, les gar-çons arborent fièrement leurs maillots de foot. En chemin vers la case du chef, on crie sur notre passage : «Brancos, bem-vindo brancos.» Le chef est un drôle de luron, coiffé d’un bob de pêcheur et drapé d’une simple couverture. Il nous

fait les gros yeux et commence à débiter un fl ot de paroles incompréhensibles. Le jeune homme, qui maîtrise le français, traduit : «Vous auriez dû venir me saluer à votre arrivée ! Tout le monde vous connaît, sauf moi ! Ici, il n’y a pas de police, c’est moi la police, et je veux savoir qui est dans mon île.» Après excuses et palabres, tout rentre dans l’ordre et le chef nous offre une grosse courge de plusieurs kilos. En-suite, place à la messe évangéliste sans autel, crucifi x, ni communion. L’un des assistants porte un tee-shirt Carlsberg et le second un sweat de hard-rock avec des têtes de zombies. Le prêtre tient lui aussi à nous voir repartir avec une courge, si possible plus grosse que celle du chef ! C’est la tête pleine de souvenirs et la cambuse lourde de cucurbitacées que nous quitterons les Bijagos. Non sans re-gret : il y avait encore tant à couvrir. ■

www.leslongscourriers.fr

> Destination hors des sentiers battus, dépaysement total.

> Nature vierge, plages superbes et désertes.> Parcs naturels extraordinaires

pour leur faune et leur fl ore.> Nombreux animaux à observer :

tortues, requins, fl amants roses, pélicans, singes, hippopotames…

> Pêche miraculeuse.> Immersion en culture animiste et au cœur

d’une société matriarcale encore très préservée.> Français compris par quelques personnes.> Pas d’insécurité ressentie pour les personnes

ou le voilier.

> Visa obligatoire pour les Français (durée d’un à trois mois, coût très variable).

> Formalités d’entrée et de sortie «à la tête du client» selon les fonctionnaires et les lieux. Dans tous les cas, elles seront complexes, longues, coûteuses et changeantes.

> Pas de marina ou de services aux plaisanciers : en cas d’échouement demander assistance auprès d’un lodge de pêche ; en cas de casse, remonter à Dakar.

> Navigation compliquée : pas de guides nautiques récents, cartes très imprécises, hauts-fonds, bancs de sable et récifs, grand marnage, courants puissants, forte nébulosité, pêcheurs.

> Nécessité de se prémunir contre le paludisme.> Vaccin fi èvre jaune obligatoire.> Approvisionnement très pauvre

(même en fruits, légumes et œufs) et cher.> Fermeture de la plupart des hôtels, restaurants

et lodges de pêche durant la saison des pluies, qui est très forte (de juin à octobre).

Rio Cacheu. Mouillage paisible devant ce qui est le premier «port d’entrée», en arrivant par le Nord.

Pêche au gros. Des passionnés du monde entier viennent ici se mesurer aux barracudas et autres carnassiers pélagiques.

Les plus

Les moins

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