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/D SXOVLRQ LQYRFDQWH FH TXH OHV 6RXUGV QRXV HQVHLJQHQW« André Meynard Que nous enseignent ceux que l’on dit d’ordinaire « sourds » de leur inscription en langage et de leur attirance vers des modes de dire gestuels ? En tant que « parlêtres » que peuvent-ils nous apprendre ? Et quel écho faisons-nous à de telles modalités du dire ne passant pas par le sonore ? Qu’un mode de parler ait pu être interdit à des garçons et filles Sourds 1 jusque dans la fin du XX e siècle au nom d’idéaux tendus vers la nécessité d’acquérir la bonne langue, la « pure », celle de l’effort et de l’ascèse, celle du pur esprit censé dompter la sensualité gestuelle, mérite en soi déjà une certaine attention. Que cela se poursuive de nos jours, que sous des formes larvées ces sujets soient considérés au sein de nos modernités néolibérales comme des « handicapés du langage de la parole », porteurs d’une « maladie de santé publique » par nos experts sanitaires du moment soulève de sérieuses interrogations. Que ces parlêtres donc soient à présent, en toute légalité, dépistés 2 au deuxième jour de leur naissance, implantés avant la fin de leur première année, « inclus » dans des dispositifs éduca- tifs sourds à leur particularité langagière et ainsi séparés des langues qui 1. Majuscule pour rompre avec la logique déficitaire et souligner dans l’écriture la dimension de l’entendement à la parole et au langage. Cf. A. Meynard, « Parler avec les mains, entendre avec les yeux », Essaim, n° 20, Toulouse, érès, printemps 2008, p. 149-164. 2. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025794966&dateTexte=&categ orieLien=id. Dépistage non fiable et fortement iatrogène induisant des suspicions de surdité à un âge où celle-ci ne peut être avec certitude affirmée ! Son coût annuel est de de 17 millions d’euros. Il va donc s’imposer chaque année aux 800 000 naissances (à J + 2) dans notre pays. Sur dix enfants suspectés sourds, un seul sera confirmé au troisième mois. Ayant fait l’objet de multiples tentatives par voie législative (censurées par le Conseil constitutionnel), ce dépistage sera finalement imposé par l’arrêté du 23 avril 2012. L’abord sanitaire saisit ici le vif du sujet : « Le dépistage précoce de la surdité permanente néonatale constitue un programme de santé au sens de l’article L.1411-6 du Code de la santé publique. » Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.153.215.237 - 13/04/2014 09h44. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.153.215.237 - 13/04/2014 09h44. © ERES

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André Meynard

Que nous enseignent ceux que l’on dit d’ordinaire « sourds » de leur inscription en langage et de leur attirance vers des modes de dire gestuels ? En tant que « parlêtres » que peuvent-ils nous apprendre ? Et quel écho faisons-nous à de telles modalités du dire ne passant pas par le sonore ? Qu’un mode de parler ait pu être interdit à des garçons et filles Sourds 1 jusque dans la fin du XXe siècle au nom d’idéaux tendus vers la nécessité d’acquérir la bonne langue, la « pure », celle de l’effort et de l’ascèse, celle du pur esprit censé dompter la sensualité gestuelle, mérite en soi déjà une certaine attention. Que cela se poursuive de nos jours, que sous des formes larvées ces sujets soient considérés au sein de nos modernités néolibérales comme des « handicapés du langage de la parole », porteurs d’une « maladie de santé publique » par nos experts sanitaires du moment soulève de sérieuses interrogations. Que ces parlêtres donc soient à présent, en toute légalité, dépistés 2 au deuxième jour de leur naissance, implantés avant la fin de leur première année, « inclus » dans des dispositifs éduca-tifs sourds à leur particularité langagière et ainsi séparés des langues qui

1. Majuscule pour rompre avec la logique déficitaire et souligner dans l’écriture la dimension de l’entendement à la parole et au langage. Cf. A. Meynard, « Parler avec les mains, entendre avec les yeux », Essaim, n° 20, Toulouse, érès, printemps 2008, p. 149-164.

2. www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025794966&dateTexte=&categorieLien=id. Dépistage non fiable et fortement iatrogène induisant des suspicions de surdité à un âge où celle-ci ne peut être avec certitude affirmée ! Son coût annuel est de de 17 millions d’euros. Il va donc s’imposer chaque année aux 800 000 naissances (à J + 2) dans notre pays. Sur dix enfants suspectés sourds, un seul sera confirmé au troisième mois. Ayant fait l’objet de multiples tentatives par voie législative (censurées par le Conseil constitutionnel), ce dépistage sera finalement imposé par l’arrêté du 23 avril 2012. L’abord sanitaire saisit ici le vif du sujet : « Le dépistage précoce de la surdité permanente néonatale constitue un programme de santé au sens de l’article L.1411-6 du Code de la santé publique. »

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leur parlent, réclame décidément un examen attentif 3. Si la SPN 4 participe pleinement de cette médicalisation de l’existence touchant dorénavant l’en-fance de plein fouet, elle mérite de figurer en bonne place dans la liste des impostures qu’un certain scientisme biomédical répand dans notre texte culturel pour faire taire toute anomalie et traiter les écarts à la moyenne comme autant de déviances à redresser. Ainsi, malgré la légalisation de la langue signée française 5 (LSF) l’enfance Sourde s’avère actuellement même traitée massivement, à grand renfort d’outillage technologique et de kits de rééducation délétères, comme une population déficitaire à soigner au plus tôt par le remède son. L’officialisation de l’existence par le droit n’entame donc pas l’élimination effective de la LSF, bureaucratiquement organisée et programmée, au sein des dispositifs d’accueil et d’éducation des enfants Sourds. La surdité de notre texte culturel à de telles dimen-sions va de pair avec ce règne de la vie nue 6 que nos modernités sanitaires sécrètent au quotidien. Ces dernières laminent ainsi soigneusement ce qui de la langue fait lien social entre sujets et promeuvent un ordre atomisant, affine au discours du maître moderne 7, dans lequel se trouvent agrégés des individus déficitaires, déviants, des « nommés à maladie » qui, in fine, se trouvent traités comme formant autant de populations à surveiller et à soigner selon les diktats des moyennes statistiques et des évaluations expertes. Que cette imposture se déguise ici en prétendant précisément « donner le langage » enseigne une nouvelle fois sur les charmes mortifères des sirènes du bien qui délaissent complaisamment cette part pulsionnelle du parler et de l’entendre, cette part d’éros, de sexuel, traversant pourtant de part en part les parlêtres que nous sommes.

Dans un article remarquable paru en 1983, Albert Fontaine rendait compte de l’existence de ces « signes-signifiants » que permettent les langues dites signées. En posant d’emblée l’hypothèse que « le signe gestué est un signe-signifiant 8 », l’auteur visait à dégager quelques consi-dérations sur la nature d’un tel signifiant qui se développe « hors de tout

3. Dans une élaboration théorique à paraître je propose une analyse détaillée de ceci. Voir A. Meynard, Les enfants Sourds entendent. Essai sur la pulsion invocante.

4. Surdité permanente néonatale. Étiquette scientiste inventée par les experts de la novlangue audio phonatoire.

5. www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=03C29C33DDEC307CC2601C8720DC8C53.tpdjo03v_2?cidTexte=LEGITEXT000006071191&idArticle=LEGIARTI000006524761&dateTexte=20131024&categorieLien=id

6. G.Agamben, Moyens sans fins. Notes sur la politique, Paris, Rivages, 1995, p. 13 et suiv.7. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVII (1969-1970), L’envers de la psychanalyse, Paris Le Seuil, 1991,

p. 34.8. A. Fontaine « Les silences de la lettre », Littoral, 9, 1983, p. 165-183.

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phonétisme 9 ». Il pointait judicieusement que la transmission d’une telle langue s’effectue « d’œil à geste 10 » et que l’empirisme seul, dans les centres spécialisés accueillant alors ces sujets, avait assuré l’apprentissage pendant des décennies de ce qui était tenue pour une « sous-langue » dans notre texte culturel. Il décrivait et se servait avec perspicacité du travail de Stokoe 11 et de son système de notation pour essayer de se faire entendre. En effet, ici, c’est la combinaison simultanée de plusieurs séries de chérèmes (unités de première articulation : position, orientation, mouvement, configuration) qui permet l’actualisation d’un signe terminal inscrit dans la séquence d’un énoncé produit en LSF. B. This et surtout F. Dolto 12 avaient attiré déjà l’attention de la communauté analytique dès les années 1975-1980, sur cette modalité langagière dite « signée » mais qui, bien évidemment, se trouve porteuse 13 d’effets sujet. Dans un tel matériau opère donc l’écoute de l’analyste et se faufile parfois ce que la censure ne souhaite pas admettre. En effet, pour qui invite à dire et offre une « atten-tion également en suspens 14 », les récits de rêves, les traits d’esprit, lapsus et jeux poétiques de la LSF sont aussi présents dans cette clinique que dans toute autre. Afin de mieux cerner ceci, je vais à présent détailler ce mode de surgissement du désir secret au sein d’un tel matériau langagier en me servant de cette notation de Stokoe. Elle permet de préciser comment, en jouant cette fois des unités minimales de première articulation (non plus les phonèmes donc mais les chérèmes), le changement d’un seul de ces paramètres permet parfois au désir secret de se faufiler, de faire trouvaille dans le même temps par lequel l’idée écartée revient au cœur du matériau langagier. Ainsi, avec l’exemple « renomammée 15 » évoqué par Albert Fontaine, pour rendre compte de la formation du trait d’esprit sur le mode du « familionnaire » de Freud, peut se repérer comment se faufile le désir secret afin de déjouer la convenance et parvenir tout de même à se faire

9. Ibid.10. Ibid., p. 168.11. Linguiste Américain qui passe comme le premier à avoir démontré la double articulation de ces

langues signées. L’adaptation française de sa notation figure ici même en annexe de cet article. W. Stokoe, Sign, Language Structure : an Outline of the Visual Communication Systems of the American Deaf, Buffalo, Dept. of Anthropology and Linguistics, University of Buffalo, 1960.

12. Le travail dans ce domaine de cette psychanalyste, dont le cabinet donnait sur la cour de récréa-tion de l’institut Saint-Jacques (dès 1942), persiste à être fort méconnu. Elle a consacré pourtant de nombreuses conférences et écrits à cette question (presque 200 pages et 45 occurrences), répétant inlassablement l’importance déterminante de diffuser la LSF dans l’accueil de l’enfance Sourde. Les effets d’inquiétante étrangeté que peuvent susciter un tel domaine ou/et sa prise de position lors de la dissolution de l’EFP ont-ils pesé pour que ne soient pas entendues ses précieuses avancées ? Voir A. Meynard, Soigner la surdité et faire taire les Sourds, Toulouse, érès, 2010, et A. Meynard, Les enfants Sourds entendent. Essai sur la pulsion invocante, à paraître.

13. En ce sens il ne s’agit pas de lire ici un signe qui « signifie quelque chose pour quelqu’un » mais bien d’entendre « un signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant ».

14. E. Porge, Des fondements de la clinique psychanalytique, Toulouse, érès, 2008, p. 40.15. A. Fontaine, op. cit., p. 174.

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entendre en changeant un seul des paramètres de formation du signe (ici la position 16). Dans cet exemple, A. Fontaine indique comment s’effectue le passage de « renommée » à « renomammée » dans un trait d’esprit concernant une célèbre cantatrice ayant une poitrine généreuse. Le mouve-ment du signe linguistique pour signifier la célébrité, la renommée, part généralement à hauteur du front, sur le côté, pour s’élever vers le haut, les doigts légèrement recourbés serrés les uns contre les autres. En revanche, si l’on garde cette même configuration et ce même mouvement mais qu’on l’effectue à hauteur de la poitrine, se produit une sorte de création langa-gière tout à fait semblable à ce que l’on nomme d’ordinaire « formation métaphorique ». Soit, si l’on rend compte de cette expression linguistique selon le procédé de Stokoe :

Renommée :

Renomammée :

On peut constater d’une part que le mouvement du signe et sa confi-guration demeurent identiques entre les signes « renommée » et « reno-mammée ». En revanche la position passe du haut de la tête vers le haut de la poitrine, réalisant ainsi par cette création langagière le trait d’esprit. Ce dernier surgit d’une condensation métaphorique pour produire un tel signe, faisant trait d’esprit pour qui peut l’entendre. Il est bien évident, en effet, pour détailler quelque peu cette formation langagière, que ce n’est qu’au sein de l’univers linguistique (dit « espace de signation ») que dessine la LSF que peut s’entendre ce trait d’esprit. Encore faut-il en effet que l’auditeur soit baigné de la manière dont la « renommée » se signe (linguistiquement) pour parvenir à être sensible à cette invention. Par cette création langagière, ladite « mamelle » de la cantatrice en question se trouve soudain élevée à la célébrité par ce raccourci qui fusionne les deux chaînes signifiantes, faisant ainsi surgir l’effet signifié par où ce trait d’esprit se faufile.

Au cours d’une séance, une jeune femme m’adresse un dire en LSF évoquant des « taches violettes » sur son corps. Ma traduction par « bleus » effacerait le « violet » qui en LSF voisine avec « violer » au niveau du haut du buste (même configuration, même mouvement, seul l’emplacement change). Cela permet d’indiquer comment se faufilent les équivocités dans ce matériau langagier.

16. La configuration et le mouvement restant similaires.

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Violet :

Violer :

Ainsi s’explique d’ailleurs pourquoi toute pratique psychanalytique passant par un interprète demeure prise dans un démenti de l’inconscient puisque l’écoute opère dans ce cas sur la traduction sous transfert de l’interprète. Se saisit dans cet exemple que la traduction juste sur le plan du signifié par « bleu » se révèlerait perdre le fil des signifiants même du sujet, rompant par là avec la démarche freudienne. Il est ici à noter que l’équivocité (violet/violer) s’entend aussi dans la langue française mais, le plus souvent, elle résonne uniquement pour ceux inscrits comme locuteurs signants, ainsi que l’indique l’exemple suivant.

En effet, pour ce qui est cette fois d’un « rendez-vous » venant à être remplacé dans la parole d’un sujet par « amant » (même mouvement, même localisation, seule la position d’une des mains change), le lapsus laisse passer le désir secret en se faufilant dans les déformations du matériau langagier, en jouant de la proximité des chérèmes, mais ne saurait être perçu dans la traduction en langue vocale.

Rendez vous :

Amant :

L’avantage d’une telle notation est donc d’aider à préciser, pour ceux qui ne sont pas familiers d’un tel univers linguistique, comment dans cette langue peuvent surgir les chaînes associatives écartées initialement par la censure, permettant ainsi que s’actualise ce qui était censé devoir rester dans l’ombre. Parfois, la modification d’un seul des paramètres venant former le signe final suffit au mouvement désirant pour se manifester. Les trébuchements et achoppements bien que n’étant pas inscrits dans un matériau sonore s’actualisent donc tout à fait et permettent de mettre en évidence comment le désir secret vient à travailler la langue. Bien d’autres possibilités 17 sont offertes par une énonciation qui, passant par les deux mains et jouant des déictiques faciaux, peut aisément se jouer des conventions linguistiques qui régissent la formation de l’énoncé. Le propos est ici de faire saisir combien la méconnaissance de ce type de prise de parole peut parfois laisser penser que nous avons affaire à « du signe à comprendre » par des aspects de mimésis là où, en fait, c’est une chaîne

17. A. Meynard, Soigner la surdité et faire taire les Sourds, op. cit., p. 237-240.

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signifiante porteuse d’effets sujet qui cherche à être entendue. Nous voici donc bel et bien, dans le champ de la « linguisterie 18 », au niveau des effets du signifiant dans le réel, quand le signifiant a rapport avec la « substance jouissante 19 ». Si ceci est possible, c’est bien que ces langues parlent au sujet, qu’y résonnent certaines inscriptions désirantes, échos de la dimen-sion pulsionnelle venue ouvrir les mains et les yeux et les porter vers cette quête langagière qui, dans l’après-coup, par métaphores et métonymies, permet aux humains d’advenir à la langue. Une telle dimension désirante est également tout à fait évidente pour qui a pu rencontrer de tout jeunes enfants Sourds de 3, 4 ans (insérés dans des réseaux langagiers signés précocement), quand ils écoutent des contes dits en langue des signes. L’extrême attirance qu’ils manifestent, les questions qu’ils posent, l’atten-tion qu’ils déploient se révèlent enseignantes.

Si, en 1963, Jacques Lacan reconnaissait « qu’il y a d’autres voies que vocales pour recevoir le langage. Le langage n’est pas vocalisation. Voyez les sourds 20 », son invite à une telle ouverture devait largement rester sans suite. En d’autres termes, je considérerai volontiers ici que non seulement la particularité énonciative de ces sujets mérite d’être reconnue par la psychanalyse, mais encore que, précisément, au-delà même des Sourds, nous pouvons retirer d’une telle particularité d’importants enseigne-ments pour éclairer la notion même de pulsion invocante. Cela conduit à reprendre la notion d’objet a comme reste et objet-cause du désir, non pas dans une perspective de développement génétique, mais référant à une logique structurale où le sujet est conçu comme effet d’une chaîne signifiante. Lacan, dans le fil de son œuvre, en est venu selon ses propres termes à « inventer » l’objet a dans ses rapports avec l’Autre (demande et désir), objet oral et anal certes, mais aussi regard et voix. Un tel repérage lui permet de soutenir, le 1er juin 1966, que « pour ce qui est de la voix en tout çà, l’objet soit directement impliqué et immédiatement au niveau du désir, c’est ce qui est évident. Si le désir du sujet se fonde dans le désir de l’Autre, ce désir comme tel se manifeste au niveau de la voix. La voix n’est pas seulement l’objet causal mais l’instrument où se manifeste le désir de l’Autre 21 ». En tirant la notion de voix du côté de l’objet a, nous ne

18. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX (1972-1973), Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 20.19. « Je dirai que le signifiant se situe au niveau de la substance jouissante […] Le signifiant, c’est la

cause de la jouissance […] Le signifiant c’est ce qui fait halte à la jouissance. » Ibid., p. 26-27.20. J. Lacan, Le Séminaire, Livre X (1962-1963), L’angoisse, Paris, Le Seuil, 2004, p. 31721. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIII (1965-1966), L’objet de la psychanalyse, séance du 1er juin 1966,

inédit, version Staferla, p. 566.

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sommes plus dans une approche compatible avec les aspects sensoriels de ladite voix, aspects qui, lâchant la proie pour l’ombre, font souvent perdre l’essentiel de ce qui œuvre en lien avec le désir de l’Autre pour faire voix. Dans le processus de transmission désirante réglé par l’interdit de l’inceste, des sujets dont les parents s’expriment au travers de langues sonorisées se trouvent tout de même appelés et attirés vers des langues gestuelles reconnues par les linguistes comme des langues dites « signées ». Hors tout apprentissage donc et même si les parents ne souhaitent pas consciem-ment qu’émerge ce style de parler, malgré tout, dès la rencontre avec cet univers sémiotique et d’autres « signants », l’accrochage avec ces réseaux langagiers signés va très rapidement s’effectuer. Cela prend la forme d’une trouvaille, d’un élan irrépressible qu’aucun interdit, même le plus féroce dans l’après-congrès de Milan 22, n’est jamais parvenu à entamer. L’acte de parole met là en évidence l’efficace de l’entendu symbolique et des adresses désirantes circulant au sein de l’univers langagier entourant ce sujet et qui, faisant traces articulées à l’interdit de l’inceste, font point d’appel au sujet. Mais, évidemment, de telles traces n’ont rien à faire avec le registre linguistique, avec celui du signifié et de l’énoncé. C’est au niveau de lalangue et des chaînes signifiantes, non plus sonores mais gestuelles, visuelles et tactiles que viennent essentiellement jouer les opéra-teurs ouvrant ici à la réception du message symbolique. Mais, lorsque le sonore et les chaînes signifiantes passant par ce registre sont présents, hors toute Surdité donc, ceci n’élimine pas la portée subjectivante que peuvent avoir de telles chaînes signifiantes gestuelles, visuelles et tactiles. Que les inscriptions permises par ces autres voies fassent langue dans le cas des Sourds n’implique aucunement que pour ceux qui perçoivent les fréquences conversationnelles des langues sonores, de telles inscriptions restent lettre morte ! Reconnaître ces poussées métaphorisantes réécrivant de telles inscriptions permet le respect de l’œuvre de l’insu, de la trace, de ce qui est advenu dans cette opération de transmission désirante tout entière sertie dans le registre des chaînes signifiantes qui président, ici comme ailleurs, à l’advenue d’un sujet. Entendre le registre signifiant au-delà du sonore mène à considérer visuel et gestuel dans le champ de la parole et du langage. Mène donc à considérer notamment, au niveau de la pulsion invocante, l’importance cruciale de l’objet cause du désir, objet a défini très précisément le 12 juin 1963 comme « le reste de la consti-tution du sujet au lieu de l’Autre en tant qu’il a à se constituer en sujet

22. Célèbre Congrès des pédagogues dans le monde de la surdité qui eut lieu à Milan en 1880. Il symbolise en quelque sorte la mise à l’écart des langues signées dans le dispositif éducatif proposé aux enfants sourds. Le « langage gestuel » est alors censé porter tort à la pure parole, sonore évidemment ! Pour une analyse détaillée de cette discursivité et d’une gestuelle placée du côté d’une sensualité à éliminer, voir A. Meynard, Quand les mains prennent la parole, Toulouse, érès, 1995, 2002 (chap. 2) ; et A. Meynard, Soigner la surdité et faire taire les Sourds, op. cit.

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barré 23… ». C’est en ce point, précisément, que Michel Poizat avait essayé de cerner ce qu’il advenait de cette élaboration lacanienne sur la voix dans la rencontre avec ce domaine de la surdité, remarquant justement qu’une telle élaboration « ne présupppose en rien que seul le registre du sonore soit concerné 24 ». Reconnaissant les transpositions possibles, il soulignait judicieusement que « dans l’échange par gestes signifiants tels que les sourds signants les effectuent […] C’est bien de la voix, comme objet, qu’il continue de s’agir et non pas du regard, même si c’est par l’orifice de l’œil, et non plus de l’oreille que cela passe 25 ». Que l’œil alors se fasse oreille par une telle ouverture pulsionnelle suppose que ce qui chute de cette « constitution du sujet au lieu de l’Autre » résonne bel et bien et permette aux trois temps 26 de la pulsion invocante de se déployer au travers d’un matériau langagier non lié intrinsèquement au sonore. Plutôt donc que de focaliser sur cette fameuse impossibilité de fermeture 27 pour refuser à l’œil cette position d’oreille, il me paraît important de s’interroger plutôt sur ce qu’il en est de ladite ouverture. Si c’est bien non pas le sensoriel mais le message pulsionnel transitant à l’insu des locuteurs dans la structure des adresses désirantes (articulées au Nom du père) qui « ouvre » et fait d’un orifice l’activation d’une zone érogène, l’ouverture de ladite oreille ne saurait résulter de la simple perception sonore. Pour se refermer, après tout, encore faut-il qu’une ouverture pulsionnelle ait été effective ! La clinique analytique enseigne ici, à l’écoute de ces parlêtres, qu’une telle ouverture, lorsque les fréquences conversationnelles des langues sonores ne sont pas perceptibles, va user de manière privilégiée de ce qui se trouve déjà activé d’une « réception du langage » au travers d’autres « zones du corps sensible », l’œil et la main notamment.

lalangue

Loin du sensoriel, nous voici donc ici afin de cerner cette ouverture pulsionnelle, en deçà même de la chaîne signifiante, au niveau de ce qui se dépose de l’adresse dans le corps, en ce point de la lettre, « coalescence de la jouissance et d’un élément langagier hors sens 28 ». À partir de cette part de ma clinique directement inscrite avec ces « signes pour le dire », et selon

23. J. Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, op. cit., p. 329.24. M.Poizat, La voix sourde, Paris, Métailié, 1996, p. 203.25. Ibid.26. Soit : active, passive, réfléchie.27. Quand J. Lacan, indique que « C’est parce que le corps a quelques orifices, dont le plus important

est l’oreille, parce qu’elle ne peut se boucher, se clore, se fermer », il a bien précisé, juste aupa-ravant, que « les pulsions, c’est l’écho dans le corps du fait il y a un dire » et également que « ce dire, pour qu’il résonne, qu’il consonne… Il faut que le corps y soit sensible. Qu’il l’est, c’est un fait ». J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXIII (1975-1976), Le sinthome, Paris, Le Seuil, 2003, p. 17.

28. C. Soler, Lacan, l’inconscient réinventé, Paris, Puf, 2009, p. 60.

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ma propre lecture des avancées de Jacques Lacan, j’ai été ainsi conduit à être attentif à une élaboration de ce qu’il en est de l’objet voix, notamment en référence avec l’axe des « Noms du père » articulé au registre du réel et de la lettre. L’enjeu réfère à nos propres conceptions de l’humain dans ses rapports à lalangue. « “Lalangue”, qui mérite d’être appelée, à juste titre, maternelle parce que c’est par la mère que l’enfant – si je puis dire – la reçoit. Il ne l’apprend pas. Il y a une pente 29. » Et ce même terme de « recevoir » que nous retrouvons conduit à cerner les racines de ce terme 30 qui vont à « accueillir » et aussi à « se voir adresser quelque chose ». Ainsi, la clinique psychanalytique enseigne ici que ce qui passe au travers de ce régime d’adresses articulées au Nom du père vient bel et bien faire trans-mission désirante au-delà du seul sonore. Effectivement donc, comme le souligne justement Colette Soler, la question même de la transmission, en deçà même du désir inconscient et du message de l’Autre, « est à rapporter plus fondamentalement à l’antécédence plus primaire de lalangue 31 ». Cette « chanson » de l’Autre 32 pousse à être vigilant à « tout ce qui opère avant le capitonnage du langage 33 », « la lallation, la mélodie, le bruit des sons dépourvus de sens, mais pas de présence 34 » et laisse une ouverture à « la question évidemment de ce que les sujets qui n’ont pas accès au son, les sourds, trouvent comme substitut, et il faut bien qu’ils en trouvent puisqu’ils ont accès au langage 35 ».

Il convient bien évidemment ici de saluer cette reconnaissance que soutient Colette Soler d’un accès possible au langage qui s’effectuerait en dehors du son. S’ouvre pourtant une interrogation qui justement va demander certains développements complémentaires et permettre de proposer quelques précisions à ces judicieuses avancées. Et si, justement, non seulement ce que ces sujets « trouvaient », leur permettaient, certes, d’avoir « accès au langage », mais si ceci s’effectuait en révélant d’autres voies, voies qui opèrent également chez les parlêtres que nous sommes ? En d’autres termes, il me semble important de proposer comme hypothèse que ceux qui ne perçoivent pas les fréquences conversationnelles des langues sonorisées « reçoivent le langage » par des voies qui ne nous sont pas étran-gères du tout. Du coup, ce qui là vient se faufiler afin de permettre cet « accès au langage » nous enseignerait en creux sur ce qui opère dans la pulsion invocante même, de ces autres voies que sonore pour rendre effectif un tel

29. J. Lacan « Conférences et entretiens dans des universités nord-américaines », Scilicet, 6/7, 1976, p. 5-64, p. 47.

30. A. Rey (dir.), Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française II, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1994, p. 1729.

31. C. Soler, Lacan, l’inconscient réinventé, op. cit., p. 35.32. Ibid., p. 36.33. Ibid., p. 34.34. Ibid.35. Ibid.

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accès ! Dans ce cas de figure, les Sourds ne constitueraient pas une sorte de cas particulier séparé des autres parlêtres mais rendraient perceptibles de manière éclatante d’autres opérateurs le plus souvent masqués, qui œuvrent à bas bruit dans cette « chanson » de l’Autre afin justement de permettre une telle « réception ». Ils en seraient les révélateurs. Ainsi, une telle « chanson » serait également à entendre non seulement dans ses aspects de sonorités, mais encore dans ses composantes visuelles, tactiles et gestuelles qui consti-tuent ce « lallalé 36 » d’un mode de parler, chanson donc, effectivement, plutôt que discours de l’Autre. Ce qui chute de jouissance permettant cette constitution du sujet au lieu de l’Autre faisant paraître, dans le même temps, la voix comme objet a. Ces voies ouvertes en lien avec le désir de L’Autre, permettant donc cette « réception du langage », relèveraient bel et bien de cette pulsion invocante et nous éclaireraient sur l’entendement de l’œil et sur l’efficacité symbolique du geste chez l’humain. « L’aphonie » de la voix s’en trouverait d’autant plus soulignée ! Car rien, décidément, dans une telle perspective structurale, ne permet de rabattre la voix conçue comme objet a sur ce versant du sensoriel. Solal Rabinovitch y insiste précisément quand elle indique : « Objet, la voix en tant qu’aphonique l’est au pur sens de l’objet a : sans sens ni son, évidé de jouissance, elle est un avoir-lieu du langage 37. » Un tel avoir-lieu ne saurait être référé à tel ou tel registre senso-riel mais, précisément, à ce que la prise dans toute chaîne signifiante produit comme reste articulé au désir de L’Autre 38 et venant dans le même temps qu’une perte de jouissance.

Jacques Lacan avait d’ailleurs largement insisté sur ces aspects dans son abord des psychoses à propos des voix entendues lors des halluci-nations auditives. Ainsi il déclarait 39 précisément en parlant de l’hallu-cination verbale que « c’est une erreur en effet de la tenir pour auditive

36. « C’est pourquoi j’ai employé le mot “chanson” de l’Autre pour désigner ce qu’il y a de lallalé, si je peux forger ce participe passé en me servant du lallare latin, ce qu’il y a de lallalé dans l’émis-sion de la parole articulée par l’Autre. » Ibid., p. 36.

37. S. Rabinovitch, Les voix, Toulouse, érès, 1999, p. 162.38. F. Balmès dans son abord du sacrifice d’Abraham et à propos de la voix situait le désir de l’Autre

dont parle Lacan du côté paternel. Il notait ainsi que « cet animal, c’est le père de la horde, le père d’avant l’interdit de l’inceste, qui ne peut être qu’un animal […] Au sacrifice du fils, sacri-fice pour la jouissance de Dieu, se substitue le sacrifice du père primitif, du père-la-jouissance, ouvrant ainsi la voie du désir. La voix est le reste de cette opération. » Axe paternel pouvant aussi s’entendre comme effet d’un dire de nomination ouvrant le possible de ce sacrifice du « père-la-jouissance ». F. Balmès, Le nom, la loi, la voix. Freud et Moïse : écritures du père 2, Toulouse, érès, 1997, p. 109-110.

39. J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » (1959), dans Écrits, p. 531-583, Paris, Le Seuil, 1966, p. 532. Texte rédigé en décembre 1957-janvier 1958, juste après le séminaire sur les psychoses…

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de sa nature, quand il est concevable à la limite qu’elle ne le soit à aucun degré (chez un sourd-muet par exemple…) ». Tous les cliniciens qui ont une pratique dans ce champ connaissent bien ces hallucinations chez les Sourds faisant état de voix entendues, de paroles perçues lors de phénomènes hallucinatoires sans que le registre de l’auditif puisse être concerné. En abordant ces questions relatives aux hallucinations verbales, l’on peut d’ailleurs s’interroger pour savoir si Jacques Lacan connaissait ce formidable texte de A. Cramer 40, « À propos des hallucinations chez les sourds-muets malades mentaux », texte qui démontre admirablement que des « sourds-muets » qui n’ont jamais perçu de sonorités peuvent parfai-tement faire état des voix qu’ils entendent ! Dans l’examen minutieux qu’il consacre à cette question, cet auteur, à partir notamment des voix entendues par un « sourd-muet » n’ayant jamais eu « d’images sonores de mots » à sa disposition et ayant été instruit au travers « du langage des sourds-muets », met en évidence de manière irréfutable « que l’écho de la pensée peut se produire sans aucune intervention d’images sonores 41 ». Ainsi, chez ce patient qui « souffre d’hallucinations que l’on pourrait qualifier sans examen approfondi d’hallucinations auditives… Le résultat de notre interrogatoire montre de façon évidente qu’il n’en est pas ainsi. L’ouïe, ou plus précisément les représentations auditives, ce que l’on appelle les images sonores de mots n’ont certainement joué aucun rôle 42 ». Tout l’intérêt de ce texte est donc d’attirer l’attention sur la « nature non intrinsèquement sonore de la voix 43 » et d’illustrer qu’il y a bien un lien « entre l’ouïr et le parler qui n’est pas externe, au sens où on s’entend parler, mais qui se situe au niveau même du phénomène du langage. C’est au niveau où le signifiant entraîne la signification, et non pas au niveau sensoriel du phénomène, que l’ouïr et le parler sont comme l’endroit et l’envers 44 ». Lors de cet entretien, A. Cramer, cherche d’ailleurs à faire préciser au patient quelle est la nature de ces voix qu’il entend et d’où elles proviennent. S’arrêtant sur le terme « baiser » qui relève précisément d’un tel « entendu », il se livre à une minutieuse exploration par laquelle il va mettre en évidence « qu’il entend ces mots obscènes comme par un tour de prestidigitation ; que, sans avoir vu les mains des autres, il ressent dans ses propres mains de façon hallucinatoire le signe qui, dans le langage des sourds-muets, signifie “baiser 45”. Nous sommes donc en présence d’une

40. A. Cramer, traduction J. Adam, « La clinique de Göttingen, à propos des hallucinations chez les sourds-muets malades mentaux » (1896), Analytica, vol. 28, 1982, p. 7-28. Texte gracieusement transmis par Paul Alérini.

41. Ibid., p. 19.42. Ibid., p. 17.43. E. Porge, Voix de l’écho, Toulouse, érès, 2012, p. 41.44. J. Lacan, Le Séminaire, Livre III (1955-1956), Les psychoses, Paris, Le Seuil, 1981, p. 155.45. Cramer, « La clinique de Göttingen, à propos des hallucinations chez les sourds-muets malades

mentaux », op. cit., p. 20. Voici la séquence :

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hallucination sensorielle, équivalente à des hallucinations auditives, qui d’après les affirmations du patient et puisque les images acoustiques sont certainement exclues, ne peuvent venir que d’un phénomène anormal dans l’apparition d’images motrices du domaine des sensations motrices de la main 46 ».

À partir d’un tel texte, c’est surtout la nécessité de prendre acte de ce qui surgit radicalement d’une telle « aphonie » de la voix qui s’impose. Dans son ouvrage tout entier consacré à la voix, Erik Porge, très attentif aux élaborations de J. Lacan à propos de ces voix de la psychose, se démarque avec bonheur de la si courante substantification de la voix. Il tient la sonorisation pour « une imaginarisation plus ou moins plaisante de la voix 47 » et rappelle que « la vraie structure de la voix est temporelle 48 ». Dans une telle approche, « une part de cette jouissance première disparaît lorsque l’enfant fait progressivement glisser ses vocalises vers la parole 49 ». Rien là qui puisse donc se substantifier puisque Erik Porge, en reprenant les développements lacaniens qui précisent que la voix ce « peut être stric-tement la scansion avec laquelle tout ça je vous le raconte 50 », en vient à avancer que « ce qui caractérise la voix comme objet a est le fait qu’il y ait passage par un ou deux orifices corporels (la source de la pulsion) et l’exis-tence d’une scansion, d’un intervalle d’ouverture et de fermeture, qui fait

« R. – À vrai dire, on entend sans arrêt parler de “baiser”. Q. – Qui donc parle de çà ? R. – Par exemple HI V.X (un autre patient). Tout le monde, en réalité. Dans le langage des sourds-

muets, ils font tous comme ça : il enfonce l’index entre le pouce et l’index de l’autre main. Q. – Voyez-vous parfois des formes ? R. – Jamais. Q. – Qui donc parle encore de “baiser” ? R. – Presque tous. […] Q. – Entendez-vous cela distinctement ? R. – Non, par les voies invisibles, bien sûr. Q. – Entendez-vous prononcer le mot “baiser” ou le comprenez vous dans le langage des sourds-

muets ? (Il se tait.) Q. – Vous dites que tout le monde parle de “baiser” ; l’appréhendez-vous dans le langage parlé

ou dans le langage des sourds-muets ? R. – Les deux, mais le plus souvent dans celui des sourds-muets. Q. – Pouvez-vous comprendre quelque chose dans le langage des sourds-muets même si vous ne

voyez personne ? R. – Oui, très bien. Je peux très bien le comprendre, exactement comme les prestidigitateurs font

leurs tours. (Il fait des gestes avec ses doigts.) » Ibid., p. 15.46. Ibid. Avec comme précision quelques lignes plus loin : « Images motrices anormales dans le

domaine des mouvements des mains indispensables au langage gestuel. » 47. E. Porge, Voix de l’écho, op. cit., p. 80.48. Ibid., p. 81.49. M. Plon, « Écho, m’entends-tu ? », 01/15 mars 2013, La quinzaine littéraire. www.editions-eres.com/recensions/3075-848-514319ff002e0.pdf50. J. Lacan, Le Séminaire, Livre XXI (1973-1974), Les non dupes errent, inédit, version Staferla. Séance

du 9 avril 1974.

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office de coupure 51 ». Or, précisément, de telles caractéristiques peuvent parfaitement être opérantes par de tout autres voies chez les sujets ne percevant pas les fréquences conversationnelles des langues sonorisées.

En effet, cette double boucle « bouche/oreille », non opérante chez les Sourds, en laisse surgir une autre, que je cernerai volontiers : comme une double boucle mains/œil tout à fait compatible avec cette « ouver-ture-fermeture » et la structure temporelle de la voix. Non seulement en effet, chez les signants, les mains se trouvent inscrites dans une trajectoire d’énonciation mais encore, les yeux se trouvent également embarqués dans ce passage de l’œil qui regarde à l’œil qui écoute ! Ainsi, afin d’es-sayer de préciser encore les remarques précédentes, ce serait par l’activa-tion de ce qui demeure présent – bien que latent – chez les parlêtres que nous sommes, soit donc, par la mise en jeu des seules chaînes signifiantes visuelles, tactiles et gestuelles en lien avec le désir de l’Autre, que se trou-verait constitué cet objet cause, reste de l’articulation signifiante pouvant également ici faire voix. La source de la pulsion, les deux zones érogènes ici sollicitées supposent que dans un tel trajet le parler et l’entendre se trouvent là aussi séparés. Le trajet de la pulsion faisant le tour de l’objet a pour venir vers L’Autre au troisième temps de la pulsion 52 concernant le « se faire entendre » serait comme l’incarnation de la constitution et de l’effectivité de l’objet a. En d’autres termes, si les mains parviennent à faire parole et si les yeux en viennent à l’écouter, c’est bien que quelque chose d’une perte de jouissance a également opéré lors de l’insertion au lieu de l’Autre. L’at-tirance de ces sujets à ainsi prendre parole serait comme la matérialisation après coup de ce qui a opéré d’une telle perte de jouissance.

Tout comme la bouche pour pouvoir parler doit avoir été marquée d’une telle opération de perte afin de ne pas rester pleine de jouissance, les mains et les yeux ne pourraient s’élever et s’inscrire dans le fil de la pulsion invocante que par cette même opération d’un évidement de jouissance constitutif de l’avènement de l’objet cause du désir. Cela rendrait notamment compte des difficultés que présentent les enfants Sourds autistes à s’inscrire dans des modalités énonciatives faisant appel à un tel circuit mains/œil, tout comme des enfants autistes percevant les fréquences conversationnelles des langues sonorisées ne pourront pas non plus aisément s’inscrire dans le circuit langagier articulé à la double boucle bouche/oreille. Ici aussi, il faudra que « la part de jouissance de la

51. E. Porge, Voix de l’écho, op. cit., p. 81.52. « Plutôt que de souscrire à l’idée qu’elle ne se ferme pas, du fait de son retour sur l’Autre, je

propose de dire qu’elle se ferme Autrement. » Ibid., p. 67.

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voix s’éteigne pour qu’on puisse entendre ce qu’elle dit 53 ». Cela rendrait compte également de ce que parfois Dolto appelait « le parler moteur 54 » qui peut parfaitement advenir chez des sujets qui ont des démêlés avec le matériau langagier sonore et, notamment, lors de la prise de parole dans certaines langues inconsciemment perçues comme trop dangereuses à investir. Ainsi, il est remarquable de constater que certains enfants enten-dants ayant de grandes difficultés à s’exprimer dans la langue parlée par leur famille parviennent à investir un matériau langagier signé et, prenant ainsi parole, pourront se risquer par la suite vers ces mêmes langues sono-risées avec lesquelles ils étaient tellement inhibés avant qu’un tel passage ne s’effectue. Cela a même donné lieu à de multiples tentatives d’approche fort instructives dans l’abord d’enfants dits trop rapidement « autistes » qui, embarrassés par l’émission sonore et le passage dehors-dedans (sous-jacent au maniement du matériau langagier sonore), fantasmatiquement ressenti comme menaçant, présentaient curieusement une certaine appé-tence vers des jeux langagiers signés ne soulevant pas pour eux une telle menace 55. Se trouve ici confirmé qu’à l’instar de ce qui se déroule pour des enfants Sourds, la prise dans des chaînes signifiantes visuelles, gestuelles et tactiles peut parfaitement se trouver activée et opérante chez des enfants entendants, alors même que les chaînes signifiantes touchant au matériau sonorisé demeurent en souffrance et ne parviennent pas à soutenir la trajectoire subjective permettant de prendre parole. Ainsi, pour de tels sujets, la double boucle concernerait préférentiellement, pour un temps du moins, les zones érogènes mains/œil et permettrait à la pulsion invocante de trouver une Autre voie qui, faisant le tour de l’objet a 56, pourrait se décliner selon les trois temps de la pulsion.

Mais, il est aussi important de considérer qu’un tel trajet, faisant passer en quelque sorte les mains et les yeux dans le circuit de la pulsion invocante, suppose de profondes modifications chez des sujets inscrits initialement dans un matériau langagier sonore pour parvenir à entendre avec les yeux et à parler avec les mains. Pour ces sujets découvrant donc tardivement ces modalités du dire, un véritable déménagement pulsionnel est ici à l’œuvre et

53. S. Rabinovitch, op. cit., p. 143.54. « C’est la raison pour laquelle dans les classes d’entendants et dans les classes de sourds, après un

week-end d’échange de signes entre entendants et sourds, des enfants entendants qui parlaient très mal ont pu se mettre à parler très bien la langue orale alors qu’il aurait fallu peut être un an et demi ou deux ans d’orthophonie. » F. Dolto, « Conférence de Mme Françoise Dolto, le 13 juin 1981 a I’INJS de Paris » (1981), dans Le pouvoir des signes, catalogue de l’exposition organisée pour la commémoration du bicentenaire de L’Institut national de jeunes sourds de Paris, 1989, p. 86.

55. F. Hejblum, M. Moingeon, « La LSF dans un hôpital de jour », Coup d’œil, 33, Paris, Copedith, 1982, p. 12-14.

56. Tout à fait possible donc à considérer comme le « reste de la constitution du sujet au lieu de l’Autre », pour peu que l’on prenne en compte l’importance et l’efficace des chaînes signifiantes hors le sonore.

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La pulsion invocante : ce que les Sourds nous enseignent…

ne saurait être assimilé à un simple apprentissage. Le passage de la double boucle initialement activée bouche/oreille au circuit mains/œil peut, en effet, se révéler fort délicat chez certains sujets et même créer des embarras extrê-mement conséquents 57. Le film Les enfants du silence 58 ou le récent roman de Bertrand Leclair Malentendus 59 illustent avec éclat l’extrême de cette passion à faire taire le silence du Sourd pour justement tenter de liquider hâtivement de tels encombrements du réel 60. Il est d’ailleurs notoire qu’afin de permettre à des personnes entendantes de se familiariser avec de tels réseaux langagiers signés, ceux qui sont en position de leur en enseigner les rudiments commen-cent le plus souvent une telle approche par des jeux non strictement référés à la langue signée, faisant intervenir en silence tout le haut du corps, les mains et les yeux. Comme s’il s’agissait de désapprendre la vocalisation, pour que les yeux et les mains puissent passer dans une autre voie, certes activable mais, pour l’heure, non encore frayée. Dans un tel frayage, ainsi que je l’ai indiqué, si la gêne et l’embarras, voire des effets d’inquiétante étrangeté, surgissent dans les débuts d’une telle pratique, c’est qu’un certain effet de monstration donne à voir ce qui tente de se dire. Progressivement, la familiarisation avec de tels réseaux langagiers signés permettra de traverser cette impression de faire « tache » dans le tableau et, du fait de ce creusement opéré, quand ce frayage sera advenu, de parvenir à écouter ce qui, jusque-là, ne pouvait que se regarder. Là est d’ailleurs un des malentendus qui consiste à croire que ces langues signées seraient en quelque sorte plus érotiques, sensuelles, voire pulsionnelles que les langues sonorisées. Sauterait ici aux yeux l’écho de ce qui ne nous est plus perceptible dans le maniement du matériau langagier sonore. Une telle perception surgit pour nos yeux d’entendants qui, en quelque sorte, ne sont pas advenus encore à cette position d’oreille. Cet « écho » qui désormais ne nous est plus accessible dans le maniement des langues sonorisées, qui reste masqué, vient ici se faire entendre dans les embarras de ce frayage si délicat.

Dans le cas des Sourds en revanche, le circuit de la pulsion invocante orienté précocement vers de telles voies par l’activation des zones pulsion-nelles mains/œil ne rencontrerait pas ces effets de monstration affectant ce parler avec les mains. Il n’aurait de cesse en revanche d’essayer de tourner autour de cet objet cause, faisant point d’appel au sujet selon cet en forme si originale. En ce sens, ces poussées à prendre ainsi parole, ces poussées à

57. Embarras en lien avec des inhibitions que les enfants ne présentent souvent pas, bien au contraire, puisque très souvent ils se trouvent fortement attirés par ces modalités de dire gestuelles. Embarras également bien moindre en certaines cultures, notamment orientales, autre-ment ouvertes, par rapport à la nôtre, sur la dimension signifiante du geste humain.

58. Les enfants du silence (Children of a Lesser God) est un film dramatique américain réalisé par Randa Haines, sorti aux États-Unis en 1986, d’après la pièce de théâtre de Mark Medoff.

59. B. Leclair, Malentendus, Arles, Actes Sud, 2013.60. B. Lemérer, « L’encombrement du réel », dans C. Centner (sous la direction de), L’insistance du

réel, Toulouse, érès, 2006, p. 73-81.

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signer invitent à prendre la mesure de ce qui s’est inscrit là de l’ordre du manque d’une pleine jouissance. Ce serait en quelque sorte afin de faire retour et de border ce point d’évidement de jouissance qu’insisteraient tellement ces modalités si singulières de prise de parole.

Notation de Stokoe adaptée pour la LSF.W. Stokoe, Sign, Language, Structure : an Outline of the Visual

Com munication Systems of the American Deaf, Buffalo, Dept. of Anthropology and Linduistics, University of Buffalo, 1960.

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