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DREES-INSEE – Post-enquêtes Enquête Nationale sur les Ressources des Jeunes (ENRJ 2014) Rapport final Post-enquête RURELLES Au bonheur des dames Attachement local et relations d’obligations dans l’accès à l’âge adulte des jeunes femmes d’origine populaire et rurale 1 er novembre 2018 Sophie Orange & Fanny Renard Avec la collaboration de Sofia Aouani CENS (UMR 6025), université de Nantes GRESCO (EA 3815), université de Poitiers

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DREES-INSEE – Post-enquêtes Enquête Nationale sur les Ressources des Jeunes (ENRJ 2014)

Rapport final Post-enquête RURELLES

Au bonheur des dames

Attachement local et relations d’obligations dans l’accès à l’âge adulte des jeunes femmes

d’origine populaire et rurale

1er novembre 2018

Sophie Orange & Fanny Renard

Avec la collaboration de Sofia Aouani

CENS (UMR 6025), université de Nantes GRESCO (EA 3815), université de Poitiers

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« Quelques observations sur les aspects sociaux d’un village du West Oxfordshire », tapa-t-elle. Est-ce que quelque chose dans ce genre ne serait pas acceptable, et certainement plus intéressant ? Mais le mot « village » n’allait pas, il avait un côté trop intime – le mot technique « communauté » conviendrait mieux. Ou bien, et elle tapa de nouveau. « Le rôle des femmes dans une communauté du West Oxforshire », ne pourrait-elle pas trouver une formulation dans ce genre ? Inspirée par cette idée, elle se mit à considérer tous les habitants du village, tels qu’elle les connaissait à ce moment, et à rédiger des notes à leur sujet.

Barbara Pym, Un brin de verdure, Christian Bourgeois éditeur, 1987 [1980], p. 59.

Avant-propos Ce rapport est issu d’une enquête menée en 2016-2018 dans le cadre d’une convention avec la DREES et l’INSEE. Il s’appuie sur une exploitation encore partielle et provisoire du matériau recueilli. Remerciements La réalisation de cette enquête et du rapport qui en est issu doit beaucoup à un certain nombre de personnes que nous souhaitons remercier ici. Nous adressons en premier lieu tous nos remerciements à l’équipe du bureau de la jeunesse et de la famille de la DREES qui nous a accompagnées tout au long de ce travail, depuis sa conception scientifique et technique jusqu’à sa réalisation, et en particulier Emilie Raynaud, cheffe du bureau de la jeunesse et de la famille, pour son accompagnement logistique et sa grande disponibilité, ainsi que Raphaëlle Rivalin et Mickaël Portela pour leur soutien statistique, ainsi qu’à tous les trois pour leurs retours critiques sur les rapports intermédiaires et leurs conseils. Nous remercions également Marie-Clémence Le Pape puis Nicolas Charles, qui ont assuré successivement le suivi scientifique de cette enquête. Nous remercions également les ingénieures et les techniciennes d’études qui ont participé au recueil et au traitement des données, à savoir Mathilde Soubry (doctorante au GRESCO) qui a coordonné les prises de contact avec les enquêtées, Camille Ferrand (M2 Terrain Enquête Théorie à l’université de Nantes) qui a réalisé un grand nombre de retranscriptions d’entretien et qui a apporté son expertise et sa connaissance des jeunes femmes en milieu rural, Lorène Chevalier (M2 Terrain Enquête Théorie à l’université de Nantes) et Amandine Vallejo (M1 Terrain Enquête Théorie à l’université de Nantes), qui ont également participé à la retranscription des entretiens. Nous remercions Sofia Aouani (doctorante au PACTE, université Grenoble-Alpes), qui a rejoint l’équipe en cours de route, en qualité d’ingénieure d’études. Elle a pris en charge le terrain Auvergne-Rhône Alpes de cette enquête et a fait preuve d’une grande persévérance et d’une grande mobilité dans sa recherche d’enquêtées. Elle a également effectué la majorité des traitements statistiques présents dans ce rapport. Un grand merci à elle. Aurélien Phelipeau, ingénieur d'études en traitement et analyse de données de la Plate-forme Progedo-Loire, nous a également aidées dans l’accès et le traitement des données de l’enquête ENRJ 2014. Merci enfin et surtout à Pauline Jean, gestionnaire-adjointe du CENS, qui a assuré tout le suivi administratif de cette enquête avec son grand professionnalisme et sa bonne humeur, ainsi qu’à

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Johanne Palomba, gestionnaire du CENS, qui a aussi grandement contribué à ce que ce projet se réalise dans d’excellentes conditions matérielles, comme toujours avec elle. Nous n’oublions pas les jeunes femmes qui ont accepté de nous recevoir et de répondre longuement à nos questions. Nous les remercions pour la confiance qu’elles nous ont accordée.

« Je lui [ai dit à mon ami] : “tu sais, pour une fois qu’on te demande ton avis sur quelque chose, qu’on te demande comment ça se passe chez toi”, je lui ai dit : “franchement, faut le faire, parce que tu auras jamais l’occasion de le dire vraiment”. Et c’est pour ça que je tenais à le faire [cet entretien], parce que de toute façon, sinon on ne sait pas comment on vit nous et vraiment ce qu’on ressent, en fait parce que eux [les politiques] … on peut pas les contacter. Ils ne vont pas nous écouter ».

Émilie1, coiffeuse salariée, Saint-Martin-d’Anjou, Maine et Loire (1100 habitants).

1 Les prénoms des enquêtées ainsi que leurs communes de résidence (voire de travail) ont été anonymés.

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Sommaire

Avant-propos .......................................................................................................................... 3

Remerciements ....................................................................................................................... 3

Sommaire ................................................................................................................................... 5

Table des illustrations ................................................................................................................. 7

Introduction ................................................................................................................................ 8

I. Problématique et méthodologie de l’enquête RURELLES .............................................. 10

1.1. Problématique et cadre théorique mobilisés .............................................................. 10

1.1.1. La jeunesse rurale à l’aune de l’augmentation des scolarités : être « populaire autrement » ....................................................................................................................... 10

1.1.2. Les formes de pondération locales : freins ou ressources ? ............................... 11

1.1.3. Les « espaces propres » des jeunes femmes ....................................................... 13

1.1.4. Cadre théorique : configurations et socialisations .............................................. 14

1.1.5. Principes méthodologiques ................................................................................ 15

1.2. Matériau recueilli ....................................................................................................... 16

1.2.1. Présentation de l’échantillon RURELLES-ENRJ .............................................. 16

1.2.2. Présentation du corpus exploratoire ................................................................... 19

1.2.3. Présentation des données d’observations ........................................................... 20

1.2.4. Exploitation secondaire de l’enquête ENRJ ....................................................... 20

1.2.5. Brève sociographie des 45 enquêtées ................................................................. 21

II. Un programme biographique non exclusivement tourné vers la maternité...................... 22

2.1. La norme de l’allongement des scolarités et d’une mobilité temporaire ................... 25

2.1.1. Avec ou sans appétence scolaire : le niveau IV comme qualification modale en fin de formation initiale .................................................................................................... 25

2.1.2. Se rapprocher des établissements de formation ou faire avec l’offre scolaire locale 29

2.1.2.1. Des mobilités pour études relativement fréquentes ......................................... 30

2.1.2.2. Faire avec l’offre scolaire de proximité .......................................................... 33

2.1.3. Orientations majoritaires vers des filières « féminines » de l’enseignement professionnel ou technologique ........................................................................................ 34

2.1.3.1. Les cas de vocations précoces pour les métiers du care, du soin et de l’éducation .................................................................................................................... 35

2.1.3.2. Les orientations par défaut : certaines filières professionnelles et technologiques .............................................................................................................. 38

2.2. L’appropriation de l’impératif d’insertion professionnelle et la confrontation à la précarité ................................................................................................................................ 41

2.2.1. Faire avec ce qui est offert à proximité .............................................................. 41

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2.2.2. Des formations post-scolaires fréquentes : difficultés d’accès à l’emploi et construction d’aspirations tardives plus « ajustées » au marché de l’emploi ................... 44

2.2.3. La satisfaction d’accéder à un emploi « stable » ................................................ 47

2.2.3.1. L’intérim : un statut précaire qui paraît préserver....................................... 47

2.2.3.2. La stabilité de l’emploi public .................................................................... 49

2.2.3.3. L’indépendance contre les discriminations à l’embauche .......................... 51

Conclusion de la partie II ..................................................................................................... 52

III. Entre construction et renforcement d’un système d’obligations ........................................ 53

3.1. Arrangements conjugaux au foyer : « Il participe aux tâches » VS « je fais mon ménage » .............................................................................................................................. 53

3.1.1. La difficile opérationnalisation des modèles issus des classes moyennes et supérieures ........................................................................................................................ 53

3.1.2. Résister à l’assignation au domestique : l’importance de la famille maternelle .... 56

3.1.3. La gestion de la maternité ...................................................................................... 60

3.2. La construction d’allégeances locales ........................................................................... 63

3.2.1. Institutions locales au féminin ................................................................................ 63

3.2.2. « C’est dans la famille » : métiers du care et formes d’engagement moral ........... 66

3.3. Dynamiques locales et compétences féminines : « se sentir utile » .............................. 70

3.3.1. Inscription et enchevêtrement associatif ................................................................ 70

3.3.2. « Apporter ma part » : ressources féminines spécifiques au service de la communauté ..................................................................................................................... 72

3.4. « Je déteste la solitude. Je déteste rester à la maison à rien faire » ............................... 75

3.4.1. Les loisirs populaires ruraux : la place des femmes ............................................... 75

3.4.2. Nouvelles alliances féminines ................................................................................ 79

3.4.3 Echappées belles. La lecture : « un autre monde pour exister » ............................. 80

Conclusion de la partie III .................................................................................................... 84

Conclusion ................................................................................................................................ 85

Bibliographie ............................................................................................................................ 87

Annexes .................................................................................................................................... 94

Annexe 1. Guide d’entretien ............................................................................................ 94

Annexe 2. Tableau de présentation synthétique des enquêtées ...................................... 102

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Table des illustrations Tableau 1. Type et taille des communes de résidence des enquêtées (en effectifs) ................ 17 Carte 1. Localisation des matériaux de la post-enquête RURELLES ...................................... 18 Tableau 2. Configurations parentales des enquêtées de l'échantillon RURELLES-ENRJ (en effectifs) ................................................................................................................................... 19 Tableau 3. Répartition des enquêtées de l'échantillon RURELLES par âge (effectifs et %) ... 21 Tableau 4. Répartition de l’échantillon RURELLES suivant différentes caractéristiques entre 2014 (ENRJ) et en 2017-2018 (RURELLES) (en effectifs) .................................................... 21 Tableau 5. Nombre d’enfants avant 25 ans en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) ....................................................................................................................................... 22 Tableau 6. Raison du départ pour le 1er logement indépendant en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) ..................................................................................................... 23 Tableau 7. Part des jeunes en formation et des niveaux de diplôme de ceux sortis de formation initiale en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) ............................................ 26 Tableau 8. Type de contrat pour les jeunes en emploi en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) ...................................................................................................................... 42 Tableau 9. L’aspiration à une reprise de formation en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) ...................................................................................................................... 45 Tableau 10. Distance au domicile parental selon le sexe, l’origine sociale et la taille de la commune (en %) ...................................................................................................................... 57 Tableau 11. Fréquence avec laquelle le jeune voit ses parents en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) ..................................................................................................... 58 Tableau 12. Part des communes équipées en services et commerces de proximité en fonction de leur taille (en %) .................................................................................................................. 64 Tableau 13. Engagement associatif en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) 71 Tableau 14. Licence ou abonnement à une salle de sport en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) .................................................................................................................. 76

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Introduction La question de la place des femmes dans les milieux populaires et/ou ruraux ou de leur présence dans l’espace a souvent été posée en négatif. C’est en effet sur les hommes et les « lieux masculins » que se sont principalement portées les analyses. Les espaces féminins ont alors été davantage déduits que véritablement enquêtés et investigués, et définis en creux de ce qui ne relevait pas des « espaces propres » masculins. La post-enquête RURELLES entendait investir un angle mort des travaux en sociologie en portant la focale sur les jeunes femmes d’origine populaire et rurale. L’enjeu de cette recherche était ainsi de questionner leur transition vers l’âge adulte dans un contexte de recomposition des classes populaires à l’aune de l’allongement des scolarités, de fermeture massive d’usines et d’entreprises locales et de resserrement de l’emploi public. L’hypothèse principale de ce projet est que l’apparente inertie (géographique et sociale) des trajectoires des jeunes femmes d’origine populaire restées étudier, vivre et travailler au pays, n’est qu’apparente. Ce qui se traduit par des « sur-place » géographiques et sociaux masque en réalité de véritables « adaptations » de la part de ces jeunes femmes pour tenir ensemble l’impératif des études longues et la combinaison de l’emploi féminin avec la maternité. Ces trajectoires ne doivent donc pas être considérées comme constituées en retrait des valeurs actuelles de la jeunesse (prolongation des études, partage des tâches domestiques au sein du couple, emploi salarié féminin, etc.), mais plutôt comme un effet de la diffusion de ces nouvelles pratiques jusque dans les milieux populaires ruraux. Pour le dire autrement, ces trajectoires féminines, qui ne s’inscrivent pas dans la rupture avec la position parentale, n’en sont pas pour autant l’expression d’une simple reproduction : elles constituent tout à la fois les conditions de possibilités et le produit d’une acculturation à ces nouvelles normes dominantes. Ainsi, assez paradoxalement, ce qui semble être le refus de ces dernières constitue au contraire ce qui permet leur plus grande appropriation. Tout l’enjeu de cette recherche était donc de proposer une lecture en positif de ces jeunes femmes, c’est-à-dire en mettant en évidence les configurations sociales dans lesquelles elles s’inscrivent, le système de ressources qu’elles mobilisent mais aussi les lieux propres qu’elles investissent. Au final, 45 entretiens ont été réalisés avec des jeunes femmes des cantons ruraux de l’Ouest et du centre-Est de la France. Le guide d’entretien a notamment été construit sur l’hypothèse des nécessaires contextualisation et inscription spatiales des processus sociaux. Les entretiens effectués ont allié aux dimensions temporelle et relationnelle (récit et trajectoire de vie) la dimension spatiale. Il s’agissait notamment d’objectiver des parcours d’ascension sociale ou de déclassement dans les trajectoires résidentielles des jeunes femmes, de cartographier les systèmes d’échanges (monétaires et non monétaires) dans lesquels elles sont prises, et de rendre compte de leurs espaces de loisirs, de travail et de sociabilité. Les entretiens approfondis ont également mobilisé les techniques des ethnographes, en dressant des inventaires de certains objets, meubles ou équipements possédés par ces jeunes femmes. En listant finement leurs caractéristiques, leur mode d’acquisition, leur provenance ou encore leur histoire, il s’agissait de se donner les moyens d’objectiver autrement le système de ressources dans lequel ces jeunes femmes s’inscrivent, les formes de dons et de transferts auxquelles elles participent. Le présent rapport se structure de la manière suivante. Dans une première partie, nous présentons la problématique et le cadre théorique sur lesquels repose la post-enquête RURELLES, ainsi que le matériau recueilli. Dans la seconde partie et la troisième partie, nous développons les résultats issus de cette recherche. D’abord, nous insisterons sur la prégnance de la certification et de l’emploi dans les trajectoires d’entrée dans l’âge adulte des jeunes

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femmes d’origine populaire et rurale. Ensuite, nous chercherons à caractériser les liens qu’entretiennent ces jeunes femmes à leur territoire d’origine et avancerons des éléments d’explication aux formes d’engagement local qu’elles développent. Ce faisant, nous apporterons un éclairage sur ce que signifie être jeune au féminin en zone rurale. Nous conclurons enfin notre propos en indiquant quelques pistes analytiques qu’il nous semble important de poursuivre dans l’exploitation des résultats.

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I. Problématique et méthodologie de l’enquête RURELLES

1.1. Problématique et cadre théorique mobilisés Les travaux existants sur les femmes en milieu rural ont soit pris pour entrée la famille (Barthez, 1982 ; Bessière, 2014 & 2010, Boudjaaba, 2014), soit, plus récemment, le travail, et notamment certaines professions féminines comme les assistantes maternelles ou les aides à domicile (Cartier et alii, 2012 ; Lechien, 2013 ; Avril, 2014). Mais très peu de recherches ont pris pour objet les jeunes femmes dans leur transition vers l’âge adulte2 (Clair, 2011). C’est tout l’enjeu de ce projet que de décliner, pour les jeunes femmes enquêtées, l’ensemble des configurations (Elias, 1991 [1970]) – familiales, conjugales, amicales, professionnelles, scolaires, sociales, spatiales – dans lesquelles elles sont prises et ne pas privilégier l’une plutôt que l’autre. C’est à cette condition qu’on entend démontrer qu’il existe des espaces, des pratiques et des ressources spécifiquement féminins (Rogers, 1979).

1.1.1. La jeunesse rurale à l’aune de l’augmentation des scolarités : être « populaire autrement »

Un certain nombre de travaux ont mis en évidence les effets, plus ou moins visibles, de l’allongement des scolarités sur les trajectoires sociales des jeunes, à la suite de la seconde massification scolaire (Lemêtre & Poullaouec, 2009). Cette augmentation généralisée des études a produit des phénomènes de déclassement objectif (Peugny, 2013 & 2009) mais aussi subjectif (Mauger, 1998) : l’obtention de titres scolaires plus élevés ou plus rares que ceux des parents n’ont pas signifié pour autant l’accession à une position sociale supérieure. L’accès à l’enseignement supérieur pour beaucoup de bacheliers, premiers de leur lignée, s’est parfois révélé difficilement rentable. Scolairement d’une part, par le décalage qui peut exister entre certaines filières du secondaire et les attendus peu explicites des formations du supérieur, plaçant les étudiants en situation d’inégalité face à la nécessité de résoudre par eux-mêmes ces désajustements (Beaud, 2002 ; Lahire, 1997 ; Bodin & Orange, 2013). Socialement d’autre part, du fait de la fermeture relative du marché du travail qui s’exprime par des taux de chômage importants chez les jeunes et du fait de la baisse des emplois publics qui pouvaient constituer jusqu’à récemment des voies de promotion sociale pour les jeunes des milieux populaires (Gollac, 2005 ; Gollac & Hugrée, 2015). La seconde massification scolaire et ses 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, ainsi que l’objectif plus récent de conduire 50 % d’une génération à un diplôme de l’enseignement supérieur, ne semblent pas avoir rempli leurs promesses. Et le décalage entre les aspirations subjectives et les destins objectifs aboutissent à des situations de frustration chez les jeunes générations (Beaud, 2002 ; Geay, 2009 ; Mauger, 2006, Bourdieu, 1993 & 1980). Pour celles qui prolongent leurs études dans des voies professionnelles, l’entrée sur le marché du travail est encore plus difficile (Palheta, 2012 ; Arrighi & Sulzer, 2012). Cependant, s’arrêter là dans l’analyse de ces trajectoires scolaires allongées et les considérer comme avortées, manquées ou vaines, c’est proposer un constat aussi nécessaire qu’incomplet. Sans nier les effets bien réels de la situation économique précaire du marché de l’emploi actuel sur les conditions de vie des jeunes générations au regard des plus anciennes (Chauvel, 1998), l’analyse gagne à être complexifiée et à regarder, entre les lignes stagnantes ou descendantes des trajectoires sociales, les recompositions des classes sociales et les nouveaux modes d’appartenance à ces classes (Pelage & Poullaouec, 2011). Plus précisément, il semble bien que la prolongation de scolarités, quand bien même elle ne se traduit pas par un changement de 2 Là encore, les jeunes hommes ont fait l’objet d’une attention privilégiée (Eckert, 2006).

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catégorie socio-professionnelle, a des conséquences elles aussi tout aussi réelles sur les modes de vie et les systèmes de valeur des jeunes générations. Les travaux de Stéphane Beaud (Beaud et Amrani, 2004) ou encore de Nicolas Renahy (Mary & Renahy, 2013) ont ainsi mis en évidence des nouvelles façons d’être ouvrier ou d’appartenir aux classes populaires ou aux petites classes moyennes, marquées par le sceau des années lycéennes ou estudiantines : « des ouvriers qui sont “autrement ouvriers” que s’ils n’avaient pas connu l’Université » (Renahy, 2015). Les styles de vie, les normes morales ou encore les rôles conjugaux se trouvent modifiés par cette expérience scolaire prolongée et pénétrés par ceux des classes moyennes ou supérieures. Si la mise en ménage et la maternité constituent des projets relativement plus précoces que pour leurs homologues des classes aisées et citadines (Lemêtre & Orange, 2016), rappelant leur ancrage dans les milieux populaires, l’ethnographie des espaces domestiques donne à voir un agencement et une décoration qui renvoient directement aux normes actuelles de la jeunesse des classes moyennes (Orange, 2017). Le mobilier et les objets de décoration sont issus des grandes enseignes d’ameublement : meubles en contreplaqué, tableaux standardisés africains, tissus imprimés de symboles asiatiques, etc. Le contenu des bibliothèques rappelle également les références partagées de la jeunesse étudiante : DVD de films et de séries télévisées, mangas, figurines de cartoons, etc. Enfin, la télévision allumée de façon permanente est concurrencée régulièrement par l’ordinateur connecté en continu sur la page Facebook de l’un ou l’autre des conjoints. Au final, l’espace domestique de ces jeunes couples donne à voir à l’état objectivé la conciliation d’une double référence sociale : celle de leurs origines populaires et rurales, et celle de leur acculturation au style de vie étudiant et plus urbain (Moreau, 2003). L’organisation des pièces et les meubles donnés par la famille (buffets et tables en formica ou en bois massif) rappellent le premier tandis que le mobilier acheté (vitrines et tables basses en contreplaqué et verre, canapé clic-clac, cadres standardisés) vient confirmer l’influence du deuxième. Le partage des tâches domestiques dans le couple fait également l’objet d’une invention, combinaison des normes des classes populaires marquées par celles des classes moyennes et supérieures (Pfefferkorn, 2007). L’importance accordée à l’entretien de soi et de son corps (De Saint Pol, 2010) constitue également un effet de cette scolarisation prolongée, tout comme la pénétration de nouvelles normes éducatives (Le Pape, 2009) ou encore l’imprégnation des discours et des valeurs issus de la vulgarisation psychologique et du développement personnel (Schwartz, 2011). Pour saisir complètement ce que l’allongement des études a fait aux milieux populaires ruraux, il importe donc de ne pas penser le changement de nouveaux modes de vie uniquement du côté des transfuges, mais de se porter également sur tous les arrangements, les adaptations et les inventions qui sont à l’œuvre chez ceux et – en l’occurrence pour la présente recherche – celles qui restent. En bref, il s’agit de considérer pleinement l’ensemble des rétributions – et pas seulement statutaires et professionnelles – de ces scolarités prolongées.

1.1.2. Les formes de pondération locales : freins ou ressources ? Pour donner sens à ces petites mobilités spatiales et sociales, il convient de considérer le système de contraintes et d’opportunités auquel ces jeunes femmes sont confrontées au moment de leurs choix scolaires mais aussi à l’issue de leurs études. En premier lieu, les contraintes financières ont un effet bien réel sur les pratiques d’orientation des jeunes femmes de milieu rural (Cizeau, 2011). Les faibles ressources économiques de leur famille obligent souvent ces jeunes femmes à dessiner leurs aspirations à l’intérieur des possibles offerts à proximité. C’est ainsi que nos travaux antérieurs ont pu montrer que les désirs de poursuite d’études après le

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baccalauréat sont fortement contenus par les formations proposées dans le lycée fréquenté (Orange, 2010). Mais le coût économique du déplacement dans une ville accueillant les formations souhaitées n’est pas le seul frein au départ. Pour comprendre pleinement l’immobilisme de ces jeunes femmes, il faut plus largement prendre en compte les configurations sociales dans lesquelles elles sont prises au moment de leur choix d’études. L’enracinement des jeunes femmes dans l’espace local tient d’abord amplement à la relation privilégiée qu’elles entretiennent avec leur famille, et en particulier avec leur mère (Young et Willmott, 2010 [1957]). Plus largement, les jeunes femmes sont plus enclines à entretenir des relations développées avec leur famille que les jeunes hommes. Un autre fil à plomb des carrières scolaires est le petit copain (Clair, 2011). Les jeunes femmes rencontrées dans nos recherches étaient, au moment de leurs études, bien plus souvent en couple que leurs homologues masculins, et ce, majoritairement avec un conjoint déjà en emploi, quand les jeunes hommes fréquentaient tendanciellement des filles encore en études (lycéenne ou étudiante). On comprend alors que la conjugalité temporise les biographies de façon sexuellement différenciée. Tandis que pour les jeunes hommes, la conjointe en études entretient le sentiment d’apesanteur sociale (Beaud, 1997) ; pour les jeunes femmes, le conjoint déjà en emploi constitue une force de rappel aux destins féminins traditionnels que sont la mise en ménage, le mariage et la maternité (Renahy, 2005 : 182-183). La poursuite des études ne constitue dès lors pas véritablement pour elles une « dot scolaire » (De Singly, 1977) puisque ces formations, fortement inscrites dans l’espace local, ne donnent pas accès à un marché matrimonial renouvelé d’un côté, ni ne rompent, de l’autre, avec les amours de jeunesse ou les parents. Ces pesanteurs locales jouent à la fois au moment des choix de filières ou lorsqu’il s’agit de mettre un terme aux études, mais aussi dans les choix professionnels envisagés, qui doivent pouvoir trouver des débouchés dans le marché du travail local. Mais, ces attaches familiales locales ne constituent pas – et de loin – une seule force qui freine et qui retient. Elles apparaissent en effet comme éminemment ambivalentes. Si le lien privilégié à la mère contient les ardeurs à la mobilité géographique des jeunes femmes, ce lien est aussi celui qui dicte une trajectoire plus émancipatrice. Sans que ces mères ne se réclament explicitement d’une idéologie féministe, elles transmettent néanmoins à leur fille un modèle qui les protège de l’entière domination masculine. L’importance accordée par les mères des familles populaires à l’obtention de titres scolaires par leurs filles (Terrail, 1992 ; Millet & Moreau, 2011), leur implication forte dans la scolarité de leur progéniture, la norme de l’« autonomie » (De Singly, 2000), sont autant de valeurs repérées dans les travaux existants. Le lien de filiation ne constitue ainsi pas forcément une simple force d’inertie, qui maintient les jeunes femmes dans des styles de vie et de systèmes de valeurs traditionnels, mais peut au contraire être le levier de nouvelles normes et la condition de possibilité de nouveaux styles de vie. L’inertie géographique des jeunes femmes prend en effet tout son sens une fois replacée à au croisement des trois injonctions contradictoires dans lesquelles ces jeunes femmes sont prises : la nécessité de poursuivre leurs études, mais aussi la norme du travail salarié féminin et l’impératif de la maternité. En ce sens, l’autochtonie dispose de vertus émancipatrices pour ces jeunes femmes puisqu’elle permet la combinaison de ces trois impératifs, par l’appui et l’apport des membres de la parenté à proximité (aides financières, conseils, garde d’enfant, prêt de véhicule, dons de nourriture, travaux, etc.). Mais, si l’on souhaite mener ce raisonnement à son terme, on ne peut s’en tenir à considérer les jeunes femmes comme uniquement bénéficiaires d’aides perçues, et trouvant dans la situation d’ « autochtonie » (Retière, 2003) les ressources pour tenir ensemble les impératifs qui s’imposent à elles : scolarisation, travail salarié et maternité. En effet, pour éviter l’écueil misérabiliste (Grignon & Passeron, 1989) qui interpréterait la situation de ces jeunes femmes

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comme une seule situation de dépendance, il s’agit bien plutôt de les réinscrire dans un système d’échanges plus complexe au sein duquel elles ne sont pas uniquement des récipiendaires mais doivent aussi être envisagées comme des pourvoyeuses de ressources au sein de la parentèle ou du réseau de pairs. Nos travaux précédents ont ainsi permis de mettre en évidence un certain nombre de contributions de ces jeunes femmes à l’économie familiale ou locale, soit par les visites régulières faites aux grands-parents, soit par la mise à disposition d’un véhicule aux amis dans l’embarras (Orange, 2017). Un enjeu est donc de chercher à systématiser les ressources reçues, mobilisées et données par les jeunes femmes, et de considérer la configuration d’autochtonie comme relevant d’un double mouvement : les aides qu’elle confère et les contributions qu’elle engage. Plus largement, il s’agit de mettre au jour les « tactiques » et les formes de débrouille développées par les jeunes femmes en milieu rural (De Certeau, 1980 ; Thompson, 2014), pour faire face à des situations de précarité (chômage, temps partiel, etc.) voire de pauvreté. Il convient donc de se donner les moyens d’une sociologie fine et ancrée localement qui puisse saisir le champ des forces ou des configurations sociales (Elias & Scotson, 1997) dans lesquelles les jeunes femmes sont prises et auxquelles elles prennent part, afin de les caractériser et les cartographier.

1.1.3. Les « espaces propres » des jeunes femmes Les rares travaux portant sur les jeunes femmes en milieu rural insistent sur la situation d’isolement dans laquelle elles se trouvent (Lechien, 2013 ; Clair, 2011). Dans la sphère professionnelle, leur forte présence dans le secteur des services à la personne (Avril, 2014 ; Cartier et alii, 2014), caractérisé par la faiblesse des collectifs de travail, réduit leurs sociabilités professionnelles. Dans la sphère des loisirs, les jeunes femmes se trouvent exclues d’un certain nombre de bastions masculins, tels que les cafés, les terrains de sport, les activités de pêche ou de chasse, etc. On l’a dit, le maintien des jeunes femmes « dans le coin » tient souvent à leur mise en couple avec un conjoint déjà en emploi au moment où elles abordent les études longues et donc déjà fortement implanté dans la région (Orange, 2017). Il n’est dès lors pas rare qu’une fois les études terminées, elles tendent à abandonner leur réseau d’amis et que leurs sociabilités se recentrent souvent sur le « réseau » du conjoint (Clair, 2011). Les activités sportives, associatives et de loisirs des conjoints constituent dès lors autant de lieux qu’elles sont conduites à investir, tout en demeurant à leur marge : elles assistent par exemple aux matchs avec les copines des autres joueurs en s’occupant des enfants. Les données de l’enquête Pratiques Culturelles des Français 2008, du Ministère de la culture et de la communication, confirment le retrait des jeunes femmes d’un certain nombre de pratiques (travaux de bricolage, pêche ou chasse, activités physiques, jeux de cartes et de société), eu égard aux jeunes hommes, ainsi que l’effet excluant ou freinant de l’habitat en zone rurale sur certaines de ces activités pour les femmes (les jeunes femmes des agglomérations de plus de 2000 habitants pratiquent davantage une activité physique, les travaux de bricolage, les essais de nouvelles recettes de cuisine que celles résidant dans des petits villages), là où les jeunes hommes voient leur participation à ces activités augmenter de la ville vers la campagne. Ceci étant, quelques objections peuvent être d’ores et déjà soulevées. D’abord, certaines activités mesurées sont pratiquées par davantage de femmes que d’hommes, comme c’est le cas des mots-croisés-fléchés-sudoku. Ensuite, d’autres activités sont davantage pratiquées par les jeunes femmes rurales que par les jeunes femmes urbaines : les travaux de bricolage, le yoga-relaxation, les jeux de carte ou encore le bénévolat. Le constat d’une exclusion des jeunes

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femmes rurales des activités de loisirs ne résiste donc pas à l’analyse empirique. Par ailleurs, on suggère que les catégories « classiques » de saisie des pratiques de loisirs, fondées sur des lieux identifiables et observables – le café, le club, l’association – contribuent à ignorer un certain nombre de pratiques informelles, non institutionnalisées et donc non reconnues, et pourtant bien réelles, dont on fait l’hypothèse qu’elles caractérisent le hors-travail féminin. Dans des travaux antérieurs (Orange, 2017), les jeunes femmes interrogées ont témoigné d’un temps de loisirs fourni et qui leur est propre (Masclet 2018 ; Lambert, Dietrich-Ragon & Bonvalet, 2018) : activités culturelles (lecture, etc.), activités créatives (travaux manuels et petit bricolage), pratiques sportives liées à l’entretien de soi (footing, fitness, gymnastique, danse ou encore zumba), sociabilités amicales (shopping) et familiales, engagement associatif (sportif, action sociale de proximité, pompiers volontaires). Il nous semble enfin que le « travail à-côté » (Weber, 1989) peut être décliné selon son versant féminin. Certaines pratiques féminines – non institutionnalisées et non reconnues – de ces jeunes femmes constituent ainsi de véritables ressources. C’est à la condition d’une investigation fine des emplois du temps et de l’espace féminins, selon des catégories détachées du tropisme masculin, que l’on peut mettre au jour les « espaces propres » des jeunes femmes en milieu rural. L’enjeu est de pouvoir, le cas échéant, apporter des précautions méthodologiques dans la construction d’indicateurs pertinents de saisie et de mesure des conditions et des styles de vie féminins. Au final, en s’attachant à étudier les petites mobilités géographiques et sociales des jeunes femmes d’origine populaire, il s’agit de faire apparaître des pratiques, ressources, réseaux spécifiques de la jeunesse féminine, mais aussi contribuer à définir et construire des indicateurs permettant de mieux saisir les spécificités de l’accès à l’indépendance des jeunes femmes.

1.1.4. Cadre théorique : configurations et socialisations L’analyse des conditions d’entrée dans l’âge adulte des jeunes femmes d’origine populaire et rurale est donc envisagée en mobilisant l’approche configurationnelle théorisée par Norbert Elias (Elias, 1991 [1970]). Il s’agit en effet de chercher à saisir les pratiques et les représentations des individus en montrant tout ce qu’elles doivent au collectif. Pour le dire autrement, il nous semble que le rapport à un certain nombre d’injonctions sociales telles que l’accès au diplôme, l’emploi salarié, la maternité, la propriété, etc. mais aussi les conditions de mise en œuvre de ces injonctions, tiennent pour beaucoup aux relations dans lesquelles ces jeunes femmes se trouvent prises, et qui constituent tout à la fois des systèmes de contraintes normatives mais aussi des conditions d’expression et de réalisation de ces normes. L’hypothèse suivie ici est que l’on peut comprendre et étudier l’entrée dans l’âge adulte comme une trajectoire collective, qui engage des rapports d’interdépendance avec la famille, le conjoint, le groupe de pairs, etc. On entend ainsi proposer une lecture de la place et du rôle des jeunes femmes d’origine populaire et rurale qui éclaire à la fois :

(i) Les ressorts de leur attachement au territoire, en montrant comment le lien à l’espace

local renvoie à leur intégration forte dans des emboîtements et des entrelacements relationnels, pour reprendre la terminologie de Norbert Elias, qui les tiennent à différents groupes sociaux locaux par des jeux de dons et de contre-dons, par des systèmes d’obligations, des formes d’allégeances. Sur ce point, les travaux anthropologiques nous semblent pouvoir apporter des modèles heuristiques (Blanchy, 2012 ; Mauss, 2003 [1950] ; Levi-Strauss, 2017 [1949] ; Weber, 2013).

(ii) Les ressources et les espaces propres de jeunes femmes d’origine populaire et rurale, en montrant comment, sans dénier l’existence de rapports de domination sexués et

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sociaux bien réels qui s’exercent sur elles, elles parviennent néanmoins à développer des tactiques ou des formes de résistance, et à tirer parti de certaines dispositions (scolaires, locales, sociales, etc.) pour s’aménager des espaces d’autonomie où elles peuvent mettre à distance un temps ces formes de domination ou s’en accommoder. Sur ce point, des travaux sociologiques anglo-saxons travaillant conjointement les appartenances sociales, genrées et spatiales offriront des perspectives pertinentes (Pini & Leach, 2016 ; Geller, 2015 ; Pini, Brandth & Little, 2015 ; Tallichet, 2006).

1.1.5. Principes méthodologiques

La méthodologie de l’enquête se fonde sur la réalisation d’entretiens approfondis mobilisant fortement l’espace géographique et la cartographie Il s’agissait de conduire les enquêtées à inscrire spatialement les habitudes, évènements, pratiques, routines qu’elles évoqueraient. Cette technique d’entretien constituait selon nous non seulement un bon outil de représentation et d’objectivation des données recueillies et donc un bon support à leurs analyses, mais aussi elle pouvait faciliter le travail de remémoration des individus, en invitant les enquêtées à réinscrire leurs pratiques dans les lieux qui les accueillent (Halbwachs, 1994 & 1997). À l’image des « calendriers de vie » (Freedman et alii, 1988) souvent mobilisés dans le cadre d’enquêtes qualitatives ou quantitatives, il s’agissait ici de proposer des « cartes ou cartographies de vie »3. L’enjeu était notamment de saisir :

o Des trajectoires sociales, qui s’incarnent dans des fréquentations scolaires (types d’écoles, secteur privé/public, etc.) (Poupeau & François, 2008)), des déplacements résidentiels (accès à la propriété, accès au pavillon, rapprochement de la ville) (Gollac, 2013 ; Cartier & alli, 2008 ; Lambert, 2014). Au final, c’est un certain « sens du placement » et « sens du déplacement » – du point de vue strictement spatial mais aussi du point de vue sociologique des aspirations, savoir-faire et ressources engagés – qu’il s’agissait d’appréhender.

o Des configurations sociales : les relations d’entraide (Jonas & Le Pape, 2008 ; Weber, Gojard & Gramain, 2003), les échanges économiques, symboliques et sociaux, le système des ressources (reçues, achetées, mobilisées, transmises ou construites).

o Des espaces et des lieux propres à ces jeunes femmes, qui échappent au masculin, et qui ne peuvent apparaître qu’à la condition de se départir des lieux et des catégories instituées de la détente et des sociabilités, souvent fondées sur les pratiques masculines.

En outre, l’importance accordée dans les entretiens à l’espace géographique se fonde également sur l’hypothèse que les caractéristiques propres de l’espace local (spécificités du bassin d’emploi, offre scolaire, offre culturelle, etc.) (Briquet & Sawicki, 1989), dans lesquels sont pris les individus constituent autant de forces qui encadrent leurs aspirations, leurs préférences, leurs goûts et leurs pratiques et qui participent à délimiter leur espace des possibles.

3 Pour davantage de précisions sur le contenu des entretiens, nous renvoyons au guide d’entretien qui figure en annexes (Annexe 1).

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1.2. Matériau recueilli

1.2.1. Présentation de l’échantillon RURELLES-ENRJ La post-enquête RURELLES s’appuie principalement sur 45 entretiens approfondis et enregistrés réalisés entre le 28 avril 2017 et le 16 juillet 2018, auprès de jeunes femmes interrogées en 2014 dans le cadre de l’Enquête Nationale sur les Ressources des Jeunes (ENRJ 2014 – DREES-INSEE). La longueur moyenne d’un entretien est de 2h30 (Minimum : 43 min ; Maximum : 4h26). Les entretiens ont été réalisés sur deux terrains4 (voir Carte 1). Un premier terrain (avril à décembre 2017) concerne 35 entretiens réalisés par Sophie Orange et Fanny Renard et se déploie sur des départements du grand Ouest de la France : Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Vendée, Deux-Sèvres, Gironde, Vienne, Indre, Indre-et-Loire, Corrèze, Dordogne, Loir-et-Cher. Un second terrain complémentaire (février à juillet 2018) concerne 10 entretiens réalisés par Sofia Aouani et s’étend sur les départements du Centre Est de la France : Isère, Rhône, Loire, Puy-de-Dôme, Ain. Les entretiens ont été la plupart du temps réalisés au domicile de l’enquêtée (n = 39), ce qui apporte des informations supplémentaires sur les conditions de vie des jeunes femmes, et qui permet également de constituer des supports à la discussion (photographies affichées, objets de décoration présents, livres visibles, etc.). Quelques entretiens ont néanmoins été effectués dans des lieux publics (n = 3) ou sur leur lieu de travail (n = 3), par choix de l’enquêtée. Si les conditions étaient alors moins favorables à l’établissement d’une relation de confiance et, partant, à l’approfondissement de certaines thématiques très personnelles, ces entretiens ont été malgré tout l’occasion de recenser un certain nombre de pratiques et de représentations qui viennent faire écho à d’autres discours recueillis de manière plus approfondie, et qui prennent sens à leur aune. Si les entretiens ont le plus souvent eu lieu avec la seule enquêtée, des tierces personnes étaient parfois présentes dans la pièce ou à proximité (enfant en bas âge, mère ou père, etc.), et sont parfois intervenues dans la conversation. Les profils des enquêtées sont dans leur grande majorité conformes à la population telle qu’elle avait été définie au départ, à savoir des jeunes femmes d’origine populaire et résidant en milieu rural, même si quelques profils sortent de ce périmètre, soit de par leur appartenance sociale (classes moyennes ou supérieures), soit de par leur situation résidentielle (communes urbaines). Sauf exception et mention spéciale, ces enquêtées ne seront pas mobilisées dans le cadre des analyses développées dans ce rapport. L’espace rural est ici défini de façon analytique, et non en reprenant à notre compte de manière rigide les définitions et les contours officiels proposés par la statistique publique (INSEE) (même si ces nomenclatures pourront être mobilisées dans l’analyse) : il s’agit des territoires (soit des villages, petites communes mais aussi des petites villes de moins de 10 000 habitants) éloignés des grandes métropoles et qui ne disposent pas de tous les équipements et services (publics et privés) nécessaires à la vie quotidienne des habitants. Sur ce point, on renvoie aux discussions proposées dans deux ouvrages récents : Atlas des campagnes de l’Ouest (Margetic

4 La dispersion des enquêtées sur le territoire tient à la difficulté à trouver des enquêtées, sur la base des 237 fiches-adresses (FA) fournies par l’INSEE, soit que leurs coordonnées n’étaient plus valides, soient qu’elles résidaient désormais trop loin, soit qu’elles n’étaient pas disponibles ou d’accord pour recevoir une enquêtrice. Il est à noter qu’un certain nombre de refus ont été motivés par le fait que les jeunes femmes se trouvaient en fin de grossesse ou avaient un enfant en très bas âge.

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& alii, 2014) et Campagnes contemporaines. Enjeux économiques et sociaux des espaces ruraux français (Blancard & alii, 2016). Selon la classification détaillée de l’INSEE en unités urbaines, 33 enquêtées sur 45 résident dans une commune rurale ou dans une commune qui appartient à une unité urbaine5 de moins de 10 000 habitants. À noter que parmi les 12 enquêtées qui résident dans une commune définie comme appartenant à une unité urbaine de 10 000 habitants ou plus, 6 ont été considérées, au regard de leur configuration territoriale et du nombre propre de leurs habitants, comme pouvant relever de notre définition du rural6. Au total, ce sont donc 39 enquêtées qui ont été considérées comme résidant en espace rural. Tableau 1. Type et taille des communes de résidence des enquêtées (en effectifs) Tranche détaillée d’unité urbaine 2015 (classification INSEE) Effectifs Moins de 10 000 habitants

Commune rurale de 200 à 499 habitants 2

Commune rurale de 500 à 999 habitants 4

Commune rurale de 1000 à 1999 habitants 11

Commune rurale de 2000 habitants ou plus 6

Commune appartenant à une unité urbaine de moins de 2500 habitants 1

Commune appartenant à une unité urbaine de 4000 à 4999 habitants 1

Commune appartenant à une unité urbaine de 5 000 à 9 999 habitants 8 Sous-total « rural » = 33 Commune appartenant à une unité urbaine de 10 000 à 14 900 habitants 1 Commune appartenant à une unité urbaine de 20 000 à 49 999 habitants 4 Commune appartenant à une unité urbaine de 50 000 à 99 999 habitants 4 Commune appartenant à une unité urbaine de 100 000 à 199 9999 habitants 1 Commune appartenant à une unité urbaine de 200 000 habitants et plus 2 Total général 45

Sources : INSEE et échantillon RURELLES-ENRJ.

Si la notion d’espace rural masque une diversité de situations géographiques, économiques et sociales (Laferté, 2014), et les spécificités économiques (dynamisme du marché du travail qui oppose par exemple la vitalité industrielle du Nord Vendée, avec un réseau dense de PME et de PMI, au déclin industriel de la vallée du Gier et des campagnes du massif du Pilat dans la Loire (Marichalar, 2017)), les singularités de l’offre de formation (la prégnance de l’enseignement privé (Mengneau, 2018) et de l’apprentissage (Moreau, 2003) dans l’Ouest), comme les disparités en termes d’activité associative ont des effets bien réels sur les trajectoires et modes de vie, il n’a pas été toujours possible de contextualiser comme on l’aurait souhaité les différents éléments présentés dans ce rapport, du fait de l’éclatement géographique de notre corpus, et qui aurait obligé à proposer un développement spécifique à chaque enquêtée ou presque. Or, nous n’avions pas la place nécessaire pour cela ici. Nous chercherons à intégrer davantage le poids des « sous-sols » (pour paraphraser Gilles Moreau) économiques, sociaux et éducatifs dans les prochaines publications issues de cette recherche.

5 La notion d'unité urbaine repose sur la continuité du bâti et le nombre d'habitants. On appelle unité urbaine une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. Si l'unité urbaine se situe sur une seule commune, elle est dénommée ville isolée. Si l'unité urbaine s'étend sur plusieurs communes, et si chacune de ces communes concentre plus de la moitié de sa population dans la zone de bâti continu, elle est dénommée agglomération multicommunale. 6 Pour des raisons de confidentialité, il ne nous est pas possible de donner ici les noms des communes concernées.

Carte 1. Localisation des matériaux de la post-enquête RURELLES

Conception : GoogleMyMaps

LÉGENDE : 20 km |__| Type de données (lieux de recueil) : Echantillon RURELLES :

Au domicile de l’enquêtée

Sur le lieu de travail ou d’études

Entretien réalisé dans un lieu tiers Corpus exploratoire :

Au domicile de l’enquêtée

Entretien réalisé dans un lieu tiers

Données d’observation

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Les contours et les définitions des classes populaires font également l’objet de débats (Siblot & alii, 2015 ; Cayouette-Remblière, 2015). Nous avons admis dans notre périmètre d’études des jeunes femmes dont les parents étaient employés, ouvriers, petits agriculteurs exploitants ou petits artisans ou commerçants. Nous livrons dans le tableau ci-dessous les configurations parentales des 45 enquêtées, de manière assez grossière : 32 enquêtées dont les deux parents relèvent des PCS retenues ; 9 ont au moins un des parents qui relève de ces PCS (6 par le père, 3 par la mère) et 2 enquêtées ont des parents qui relèvent strictement d’autres PCS ou dont les PCS ne sont pas déterminées. Nous chercherons autant que possible, dans le cadre de nos analyses, à appréhender le plus finement possible les appartenances sociales des jeunes femmes considérées, en étant attentives aux situations d’emploi de leurs parents (en emploi, au chômage, en invalidité, à la retraite, statuts précaires, etc.), à leurs trajectoires professionnelles (ascensions professionnelles, licenciement, bifurcations professionnelles, etc.) ou encore aux configurations matrimoniales (divorces, décès, etc.), ainsi que leurs effets sur les trajectoires et les modalités de socialisation de leur progéniture. À noter par exemple que pour certains pères qui appartiennent aux PCS des cadres supérieurs ou intermédiaires, cette appartenance ne s’est opérée qu’en fin de carrière, à la faveur d’une ascension professionnelle interne à leur entreprise, dans laquelle ils étaient entrés comme ouvriers qualifiés. Tableau 2. Configurations parentales des enquêtées de l'échantillon RURELLES-ENRJ (en effectifs)

PCS Mère PCS Père

Agric

ultr

ices

Artis

ans,

co

mm

erça

ntes

Cadr

e

Prof

essi

on

inte

rméd

iaire

Empl

oyée

s

Ouv

rière

s

Sans

pro

fess

ion

NR Total

Agriculteurs 2 3 1 1 7

Artisans commerçants 3 1 2 6

Cadres et PIS 1 1 1 1 4

Professions intermédiaires 2 2

Employés 2 5 1 1 9

Ouvriers 1 13 2 16

NR 1 2

Total général 2 5 1 4 26 2 2 4 45

Champ : échantillon RURELLES-ENRJ. Source : Post-enquête RURELLES.

1.2.2. Présentation du corpus exploratoire

Un corpus exploratoire de 9 entretiens approfondis a été mobilisé pour appuyer la construction de la grille d’entretien auprès des enquêtées de l’échantillon ENRJ et développer les analyses. Ces entretiens ont été réalisés entre 2009 et 2017. 3 sont issus d’une enquête précédente portant sur le devenir des étudiants de BTS (Orange, 2013) et leur analyse avait notamment nourri la réponse à l’appel à post-enquêtes ENRJ. 6 entretiens ont été réalisés spécifiquement dans le cadre de la post-enquête RURELLES, à des fins exploratoires ou en vue de développer des réflexions localisées sur l’espace rural (par exemple, 3 entretiens réalisés au sein d’un même groupe d’amies). La durée moyenne de ces entretiens est de 2h40 (Minimum : 1h30 ; Maximum : 3h39). Ces entretiens ont été réalisés en Vendée, Deux-Sèvres et Vienne. Dans le corps du texte, ces entretiens, lorsqu’ils sont mobilisés, sont numérotés de la manière suivante : [E1_initiales de l’enquêtrice] jusqu’à [E9_initiales de l’enquêtrice].

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1.2.3. Présentation des données d’observations Des observations ont également été menées sur deux territoires ruraux, à l’occasion d’évènements festifs particuliers (fêtes de village, commémorations, etc.) ou lors de séquences plus routinières de la vie locale (entrée et sortie de l’école, fréquentation des commerces et des institutions locales, participation à des activités de loisirs communales, discussions informelles avec des habitants, etc.). Un premier territoire est localisé dans le Sud-Vendée et est notifié [O1_SO] lorsque les observations qui y ont trait sont mobilisées dans le rapport ; un second territoire, plus annexe, est localisé dans la Loire, dans une zone de moyenne montagne, et est indiqué [O2_SO] dans le rapport.

1.2.4. Exploitation secondaire de l’enquête ENRJ L’enquête ENRJ 2014 (DREES-INSEE) a également fait l’objet d’un traitement spécifique dans le cadre de ce rapport, de façon à apporter des données de cadrage aux analyses présentées et à moduler, le cas échéant, les constats portés. Les traitements qui ont été effectués portent sur la table « questionnaire Jeune adulte », constituée de 5776 individus. La pondération POIDS_JA a été appliquée systématiquement, de façon à ce que les résultats présentés soient représentatifs de l’ensemble des jeunes de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte) fin 2014. Ceci étant, les croisements réalisés sur des sous-populations aux effectifs faibles devront être appréhendés avec toute la prudence nécessaire. La base a notamment fait l’objet de découpages selon la taille de la commune de résidence (TUU2012_FA). Quatre catégories ont été retenues, de façon à ne pas complexifier la présentation des résultats et qui correspondent, selon nous, à des configurations différentes en termes de services à la population (même s’il n’est pas possible, suivant cette typologie, de déterminer la proximité ou l’éloignement des grandes métropoles) :

les communes de moins de 10 000 habitants (selon la définition proposée de l’espace rural) (n = 15557 individus),

les communes dont le nombre d’habitants est compris entre 10 000 et 49 999 habitants (n = 791 individus),

les communes dont le nombre d’habitants est compris entre 50 000 et 199 999 habitants (n = 931 individus),

les communes de 200 000 habitants et plus (2499 individus). La base a également fait l’objet d’un découpage selon le sexe afin de mettre en évidence les spécificités des jeunes femmes (n = 2711) et des jeunes hommes (n = 3065). Les jeunes d’origine populaire ont été distingués dans l’analyse. Cette catégorie a été construite sur la base de la PCS à un chiffre du père (variable PCSP), pour laquelle nous avons retenu les modalités 1 (agriculteurs exploitants), 5 (employés) et 6 (ouvriers). Du fait de l’absence d’une codification plus précise de la profession du père, le périmètre des classes populaires diffère ici quelque peu du périmètre tel que nous l’avons défini initialement, et n’intègre ni les artisans ni les commerçants. Cette sous-population correspond à 2598 individus, dont 1240 jeunes femmes.

7 Les effectifs donnés ici correspondent aux effectifs non pondérés. Cette indication a pour but d’inviter à la précaution dans l’appréhension de certains résultats, calculés sur des sous-populations de taille parfois très réduite.

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1.2.5. Brève sociographie des 45 enquêtées L’âge moyen des jeunes femmes enquêtées est de 23,7 ans ; 28 ont moins de 25 ans. Les niveaux de qualification atteints par les enquêtées au moment de l’enquête se répartissent comme suit : 2 ont un niveau I (Master), 7 ont un niveau II (Licence), 7 ont un niveau III (Bac+2), 20 ont un niveau IV (Baccalauréat, BP), 8 ont un niveau V (CAP, BEP), 1 enquêtée n’a aucun diplôme. Entre 2014 et 2017-2018, la distribution de l’échantillon RURELLES selon différentes caractéristiques a quelque peu évolué. En 2014, 22 enquêtées étaient encore en formation ; ce n’était le cas que de 6 d’entre elles en 2017-2018. Seulement 2 avaient un enfant lorsqu’elles ont été interrogées dans le cadre de l’enquête ENRJ ; 9 en avaient lors de l’interrogation RURELLES. En 2014, 24 avaient un logement indépendant contre 34 en 2017-2018. La part des célibataires a fortement baissé entre les deux interrogations, passant de 21 à 14, tandis que le nombre de couples vivant ensemble a logiquement augmenté, passant de 13 à 23. Tableau 3. Répartition des enquêtées de l'échantillon RURELLES par âge (effectifs et %)

Age en 2014 (ENRJ) Age en 2017 (RURELLES)

Effectifs %

18 21 12 26,7 % 19 22 6 13,3 % 20 23 8 17,8 % 21 24 3 6,7 % 22 25 5 11,1 % 23 26 7 15,6 % 24 27 4 8,9 %

Total général 44 100,00% Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014.

Tableau 4. Répartition de l’échantillon RURELLES suivant différentes caractéristiques entre 2014 (ENRJ) et en 2017-2018 (RURELLES) (en effectifs)

ENRJ RURELLES Est en études ou formation 22 6 A un enfant 2 9 A un logement indépendant 24 34 Est célibataire 21 14 Vit en couple 13 23

Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014 et Post-enquête RURELLES.

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II. Un programme biographique non exclusivement tourné vers la maternité

Témoignant du report de la maternité chez les jeunes femmes (Amsellem-Mainguy, 2016), l’enquête ENRJ constate la faible part de celles ayant eu un enfant avant 25 ans : 7 % parmi les jeunes femmes résidant dans une commune de moins de 10 000 habitants. Les variations selon l’origine sociale et le lieu de résidence paraissent de faible poids par rapport aux variations selon le sexe. Tableau 5. Nombre d’enfants avant 25 ans en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) Nombre d’habitants Sexe Pas d’enfant Un enfant Deux enfants Trois enfants et + Total

Inférieur à 10 000 H 97,70 (96,22) 2,07 (3,33) 0,12 (0,22) 0,12 (0,22) 100 F 93,00 (90,76) 5,39 (7,07) 1,31 (1,90) 0,29 (0,27) 100

De 10 000 à 49 999 H 98,80 (97,34) 0,96 (2,13) 0,24 (0,53) 0,00 (0,00) 100 F 90,93 (88,00) 7,47 (9,00) 1,07 (2,00) 0,53 (1,00) 100

De 50 000 à 199 999 H 98,18 (97,72) 1,42 (1,37) 0,40 (0,91) 0,00 (0,00) 100 F 93,59 (90,59) 3,89 (5,45) 2,06 (3,47) 0,46 (0,50) 100

200 000 et plus H 98,99 (99,00) 0,86 (0,80) 0,08 (0,00) 0,08 (0,20) 100 F 93,40 (91,70) 5,36 (6,60) 1,15 (1,70) 0,08 (0,00) 100

Total général 95,90 (94,30) 3,24 (4,31) 0,71 (1,15) 0,16 (0,23) 100 Lecture : 93 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants n’ont pas eu d’enfant avant 25 ans. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte). En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Quatre ans plus tard, la post-enquête auprès de jeunes femmes d’origine populaire et rurale confirme ce constat puisque seulement un quart des enquêtées ont des enfants ou sont enceintes de leur premier enfant (12 dont une est belle-mère). Cette périodisation souligne en creux la place importante accordée à la fois aux études et à l’entrée dans l’emploi. Le programme biographique des jeunes femmes de milieux populaires ruraux ne se réduit alors pas à la maternité et fait écho au modèle masculin de transition à l’âge adulte des milieux populaires (Testenoire, 2006). Certes, la maternité constitue une étape de la transition vers l’âge adulte parmi d’autres, telle la décohabitation. Or l’examen des motifs de départ pour un logement indépendant dans l’enquête ENRJ souligne la primauté d’une décohabitation pour installation conjugale chez les jeunes femmes de milieux populaires ruraux (relativement aux jeunes hommes ruraux et aux jeunes femmes urbaines8). Ainsi, 27,7 % d’entre elles déclarent être parties de chez leurs parents pour vivre avec leur partenaire, alors que ce n’est le cas que de 18,7 % des jeunes femmes résidant dans une commune de plus de 200 000 habitants. De fait, l’installation conjugale figure en bonne position du programme biographique, signalant l’impératif de la mise en couple pour les jeunes femmes, particulièrement prégnant dans les milieux populaires ruraux (Clair, 2011).

8 Dans cette partie, pour simplifier la formulation nous qualifions d’« urbaines », les jeunes femmes résidant dans des communes de plus de 200 000 habitants (dont l’effectif est plus important).

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Tableau 6. Raison du départ pour le 1er logement indépendant en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %)

Nombre d’habitants

Sexe Pour votre

emploi Pour vos études

Pour avoir votre indépendance

Pour vivre avec votre

conjoint/partenaire

Pour d’autres raisons

Total

Inférieur à 10 000

H 15,2 (18,5) 57,5 (42,9) 14,3 (17,3) 9,9 (17,8) 3,1 (3,6) 100

F 7,6 (9,1) 51,6 (42,4) 15,6 (15,9) 21,7 (27,7) 3,5 (4,9) 100

De 10 000 à 49 999

H 22,8 (25,4) 55,8 (50,5) 9,1 (9,2) 5,9 (7,7) 6,4 (7,2) 100

F 5,4 (6,4) 60,3 (49,2) 10,0 (10,2) 21,6 (32,1) 2,8 (2,2) 100

De 50 000 à 199 999

H 10,4 (16,2) 67,9 (52,6) 15,3 (21,5) 4,7 (8,0) 1,6 (1,8) 100

F 3,1 (4,7) 52,6 (40,8) 16,6 (15,2) 21,1 (30,0) 6,7 (9,4) 100

200 000 et plus H 12,4 (11,5) 64,0 (57,2) 9,7 (9,9) 9,0 (14,4) 5,0 (7,0) 100

F 5,0 (6,4) 60,0 (47,6) 16,5 (19,2) 14,8 (18,7) 3,7 (8,1) 100

Ensemble 9,5 (11,1) 59,0 (47,7) 13,8 (15,1) 13,8 (20,3) 4 (5,8) 100

Lecture : 7,6 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants ont pris leur premier logement indépendant en raison de leur travail. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte) ; sous-population des individus ayant décohabité. En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Néanmoins, le départ pour études concerne une majorité des jeunes femmes résidant dans une commune de moins de 10 000 habitants. Pour près de deux tiers des jeunes femmes rencontrées dans le cadre de la post-enquête, le calendrier biographique témoigne de la mise au premier plan de la réalisation des études et de l’entrée sur le marché de l’emploi. Elles ont en effet d’abord poursuivi ou terminé leurs études et, pour certaines se sont insérées professionnellement, avant d’avoir rencontré un petit ami avec lequel s’est instaurée une relation stable au sein de laquelle la maternité est envisagée. À l’instar de Béatrice [17_FR], quelques-unes ont rencontré leur compagnon sur leur lieu de travail. Chargée de clientèle dans une plateforme téléphonique, elle s’est mise en couple avec l’un des formateurs de la société. Mais un plus grand nombre d’enquêtées a rencontré son compagnon par le biais de sites de rencontres Internet (Bergström, 2012 ; 2016). Il en va ainsi de Chloé [2_SO], Cinthia [19_FR], Angélique [20_FR] ou Vanessa [27_SO]. Tout se passe comme si la fin des études et l’entrée sur le marché de l’emploi, voire pour certaines la stabilisation dans l’emploi, signaient le moment opportun de l’expérience sexuelle et amoureuse. N’ayant pas instauré de relations durables durant leur formation (célibat, échecs amoureux), elles ressentent plus fortement l’injonction à la mise en couple une fois leurs études terminées, lorsqu’elles se retrouvent parmi les dernières célibataires du cercle amical (Ferrand, 2018). Ainsi, Cinthia [19_FR] et Angélique [20_FR] décident de s’inscrire sur un site de rencontres sur les conseils d’une amie s’étant mise en couple :

« E – Sinon je reviens sur les réseaux sociaux, comment vous aviez eu l’idée d’aller sur les réseaux sociaux pour rencontrer quelqu’un ? C’est mes amies qui m’avaient dit ça, parce qu’elle elle avait rencontré son copain là-bas… Du coup je m’étais inscrite. » (Cinthia [19_FR]) « E – Vous avez commencé comment à aller sur les sites internet et tout ? J’ai commencé quand ? Noël, c’est là que tout s’est fait [sourire] E – Comment vous avez décidé… ? Parce que j’ai une amie qui a rencontré son copain sur Internet, pourquoi pas faire la même quoi ? (Ouais) Et du coup ben… 7 mois après, ça a marché ! [rire] » (Angélique [20_FR])

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Un peu plus du tiers des enquêtées ont néanmoins rencontré leur compagnon avant la fin de leurs études, souvent par le biais d’amis d’enfance ou d’adolescence, de jobs d’été ou de la formation même. Si l’installation conjugale accélère parfois la fin temporaire des études (Élise [6_FR]9), ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, Julie [7_FR] rejoint rapidement la colocation de son compagnon après l’avoir rencontré durant un emploi estival dans l’animation. Elle termine cependant son master MEEF et obtient, deux ans plus tard, son concours de professeur des écoles. Pour sa part, Camille [8_FR] rencontre son copain alors qu’elle est encore lycéenne à l’occasion d’une compétition de badminton de sa sœur. Comme il entre en école d’ingénieur à Tarbes, elle part faire ses études à Pau. Son DEUG d’anglais en poche, elle décide de reprendre un DUT en gestion des entreprises et des administrations à Tarbes même. Enfin, elle candidate en licence professionnelle à Poitiers bien que son compagnon ait trouvé un emploi dont le siège est à Bordeaux et se soit installé dans une petite commune proche. Elle prend seule un appartement dans la ville de ses études et revient les week-ends dans le logement conjugal. Des jeunes femmes moins diplômées ont connu ce type de trajectoire, rencontrant leur compagnon par le biais de leur formation ou d’amis avant même la fin de leurs études. Cependant, elles sont plus nombreuses à avoir rompu après quelques années et à s’être installées avec un nouveau partenaire. Il en va ainsi de Marjorie [4_FR] qui a connu sa première longue histoire avec un garçon préparant un CAP plomberie-chauffagiste tandis qu’elle était en CAP coiffure. À la fin de son CAP, faute de trouver rapidement un contrat d’apprentissage en BP, elle prend des emplois d’hôtesse de caisse. Elle rompt au bout de 3 ans, décrivant sa relation amoureuse comme « destructrice » (« Ça s’est fini mal… parce que… au final on se détruisait l’un l’autre et euh… et même si je l’aimais toujours, je suis partie… pour mon bien à moi »). Malgré les liens forts noués entre son petit ami et les membres de sa famille, en particulier son frère, la relation semble pâtir d’une insertion difficile sur le marché de l’emploi. Marjorie signe enfin un contrat d’apprentissage et rencontre, par le biais d’une amie, son nouveau compagnon avec lequel elle s’installe alors même qu’elle est encore en formation (« j’avais dit à ma copine, je dis “Ben t’as pas un copain célibataire ?” Je dis “Par contre, je te préviens, faut qu’il soit motard !” [rire] Et il était motard ! »). Accompagnant la validation du brevet professionnel, sésame à l’ouverture d’un salon de coiffure, le nouveau couple paraît porteur de l’ambition professionnelle de Marjorie. Laëtitia [23_SO] décrit la fin de sa relation avec son premier compagnon après 7 ans de couple dans des termes proches de Marjorie (« j’étais plus moi-même, j’étais pas bien »). Elle trouve du réconfort auprès d’un autre des copains de « sa bande » auquel par ailleurs elle rend des services en s’occupant de sa fille (Mortain & Vignal, 2013). Pour sa part, refusant de se faire avorter à la demande de son compagnon, Céline [18_FR] retourne vivre chez sa mère pour garder l’enfant et reprend le travail dans l’entreprise qui l’avait embauchée à l’issue de sa formation (quittée pour un emploi de serveuse dans le restaurant du frère de son compagnon). Quelques mois après, elle répond favorablement aux avances d’un proche qui se déclare prêt à élever son enfant et fait partie de sa bande d’amis d’enfance :

« On se connaissait depuis longtemps, depuis que moi j’ai 14 ans. Et depuis que mon fils est né en fait, il me courait après [sourire]. Il a ramé hein [à sa belle-mère :] Hein il a ramé ? Belle-mère : Oh oui ! [rire] Il a ramé pendant un an et demi avant de m’avoir. Et je lui en ai fait voir de toutes les couleurs, mais non, il est resté. […] E – Et du coup vous le connaissiez d’où ? De l’école ou du… ? Non, mais parce qu’on n’était même pas à l’école ensemble, c’est dans [le village]… des potes… »

Tout se passe comme si, outre l’attachement à la finalisation des études et à l’entrée sur le marché de l’emploi, une primauté était accordée à la construction de vies conjugales

9 Si Élise [6_FR] met rapidement fin à ses études de géographie du fait notamment de l’installation conjugale, celle-ci n’empêche pas voire favorise plus tard une reprise d’études pour préparer le diplôme d’aide-soignante (cf. infra).

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satisfaisantes. Lorsque celles-ci ne conviennent pas et opposent des freins aux souhaits des jeunes femmes (reprise d’études et emploi, maternité, etc.), les enquêtées refusent de s’y laisser enfermer. La part majeure accordée aux études et à l’insertion professionnelle dans ce modèle de transition vers l’âge adulte, prégnant en France (Van de Velde, 2008), invite donc à s’arrêter sur les parcours scolaires des jeunes femmes rencontrées et leurs premières expériences professionnelles. Il apparaît que l’origine populaire rurale de ces jeunes femmes ne les a pas soustraites aux impératifs contemporains de l’allongement des études et de l’emploi. L’examen des modalités particulières d’appropriation de ces impératifs est l’objet de cette partie.

2.1. La norme de l’allongement des scolarités et d’une mobilité temporaire

2.1.1. Avec ou sans appétence scolaire : le niveau IV comme qualification modale en fin de formation initiale

Les scolarités en zone rurale sont marquées par l’importance de l’écart entre les scolarités féminines et masculines, au profit de formations générales et plus longues pour les filles et, pour les jeunes qui restent dans leur territoire, par la fréquentation plus importante des formations professionnelles (Arrighi, 2004). Arrighi renvoie l’écart entre les scolarités des deux sexes à l’inégale place faite aux femmes sur le marché du travail local. Pour les filles, l’allongement des études va de pair avec une mobilité géographique, les zones rurales étant peu pourvoyeuses de postes à haute qualification. Les zones rurales apparaissent cependant plus exigeantes de diplôme pour les filles qui restent. Partageant moins que les jeunes hommes l’évidence du travail, les jeunes femmes sont plus propres à devoir compter sur leur diplôme (Moreau, 2000 ; Palheta, 2012). L’enquête ENRJ pointe ainsi la part moins importante de jeunes d’origine populaire en poursuite d’études dans les communes de moins de 10 000 habitants, particulièrement forte chez les garçons (29,9 % contre 37 % chez les filles). Parmi les jeunes sortis de formation initiale, la part de ceux qui ne possèdent aucun diplôme ou le DNB est plus faible chez les jeunes de milieux populaires ruraux que des grands pôles urbains (respectivement 11,5 % et 14,7 % pour les garçons et 9,2 % et 11,1 % pour les filles). À l’inverse, la part des détentrices d’un niveau I ou II est moins importante chez les jeunes femmes d’origine populaire et rurale qu’urbaine (3 % et 1,5 % contre 3,8 % et 2,6 %). Les différences entre jeunes femmes d’origines populaire rurale et urbaine sont aussi marquées concernant les diplômes intermédiaires (du niveau V au niveau III), avec une surreprésentation par rapport à l’ensemble des jeunes, pour les niveaux V et III (respectivement atteints par 19 % et 9,7 % des jeunes femmes d’origine populaire et rurale), manifestant à la fois la valeur accordée aux diplômes de l’enseignement professionnel court (Moreau, 2003) et le pouvoir attractif des STS comme filière de l’enseignement supérieur (Orange, 2013).

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Tableau 7. Part des jeunes en formation et des niveaux de diplôme de ceux sortis de formation initiale en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %)

Nombre d’habitants

Sexe En

formation Sortis de formation Ens.

I II III IV V DNB/Sans qualification

Inférieur à 10 000 H

39,0 29,9

1,8 0,5

3,2 1,4

6,4 6,3

20,5 25,4

18,7 25,0

10,5 11,5 100

F 44,3 37,0

2,6 3,0

1,9 1,5

9,1 9,7

19,8 20,7

15,5 19,0

6,9 9,2 100

De 10 000 à 49 999

H 43,1 39,0

0,5 0

2,9 4,1

8,7 6,5

21,8 24,5

12,6 14,9

10,4 11,0

100

F 43,7 32,2

4,3 4,4

2,6 1,3

7,8 6,2

19,3 26,2

12,1 16,9

10,2 13,0

100

De 50 000 à 199 999

H 44,7 32,7

1,6 0,3

1,7 0,3

3,5 4,6

22,2 30,0

13,2 17,0

13,2 15,0

100

F 53,3 41,7

2,5 1,7

1,7 1,2

3,1 4,6

15,2 17,2

14,2 19,2

10,0 14,4

100

200 000 et plus

H 55,0 41,3

3,4 2,8

1,6 2,5

5,5 6,4

15,1 17,7

9,9 14,7

9,5 14,7

100

F 61,9 49,9

4,7 3,8

3,4 2,6

4,1 4,3

10,6 15,2

7,7 13,1

7,5 11,1

100

Ensemble 50,7 39,3

3,1 2,4

2,5 2,0

5,8 6,2

16,5 20,7

12,2 17,4

9,2 12,2 100

Lecture : 37 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants sont en formation initiale. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte). En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Parmi les jeunes femmes rencontrées lors de la post-enquête, seule Candice [30_SO] n’a pas validé la formation dans laquelle elle s’est engagée (BEP services à la personne). Les autres jeunes femmes rencontrées ont toutes validé un diplôme comme si elles avaient été sensibles à l’impératif de diplômation, selon cependant des degrés fort hétérogènes d’adhésion à la scolarité. En effet, alors même qu’elles sont peu nombreuses à témoigner d’une appétence forte pour l’école et les enseignements généraux et que certaines ont connu des parcours scolaires heurtés (redoublements ou absentéisme scolaire)10, elles ont quasiment toutes validé un diplôme en formation initiale. Ainsi, la potentielle distance avec le mode scolaire de socialisation ne se traduit qu’exceptionnellement, chez les jeunes femmes enquêtées, par une rupture scolaire précoce (Millet & Thin, 2005). Un peu moins d’un quart ont validé une formation de niveau V vers les métiers de service (services à la personne, coiffure, esthétique). Mettant fin à une formation générale, le plus souvent subie, pour une formation à un métier ou pourvoyeuse d’emplois, elles manifestent la permanence d’une valorisation des voies professionnelles courtes dans certaines fractions des classes populaires. C’est le cas par exemple des parents de Marjorie [4_FR] qui valorisent les métiers manuels et soutiennent sont projet de devenir coiffeuse. Dans certains cas, l’arrêt des études renvoie également à des arrangements familiaux dans le soutien financier parental des études enfantines (Testenoire, 2006). Ainsi, Tiffany [5_SO] ne poursuit pas en baccalauréat

10 Agnès [21_FR] déclare par exemple : « Ma première Seconde j'ai fait n'importe quoi. Du coup en cours ben j'avais pas envie d'y aller donc forcément j'y faisais pas grand chose quoi. Puis après j'y allais plus beaucoup, voire plus du tout. J'y allais au self le midi. Et puis voilà quoi. Bon après voilà j'étais honnête avec les surveillants, […] je leur dis “ouais j'avais pas envie hier, je suis pas venue quoi.” Ils gueulaient. J'ai été convoquée, c'est pour ça qu'ils m'ont mis à l'internat du coup, pour me motiver à aller plus à l'école. Bah ça a pas changé beaucoup parce que c'est ma deuxième Seconde, j'ai fait pire que ma première, on va dire. Au niveau moyenne. Parce que justement je leur avais dit “mais me faites pas redoubler, c'est juste que en fait je me faisais chier en Seconde générale clairement.” Euh les cours qu'on faisait enfin – après je dis pas hein mais j'avais des lacunes dans certaines matières et tout mais – j'avais l'impression qu'on n'avançait pas en fait. Je me faisais chier. Donc j'y allais une fois ou deux par semaine. »

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professionnel à l’issue de son BEP services à la personne, ses parents devant faire face à l’inscription en MFR de son frère, « dyslexique et dyspraxique ». Mais la majorité des jeunes femmes rencontrées ont atteint un niveau IV ou plus, traduisant l’appropriation de la norme d’allongement des scolarités dans les classes populaires, en particulier pour les filles (Poullaouec, 2010). Toutefois, une quasi-majorité des enquêtées (19/45) ont mis fin à leurs études après l’obtention de ce niveau IV. Il convient de s’y arrêter dans la mesure où ces trajectoires révèlent l’appropriation ambivalente de cet impératif d’allongement de la scolarité. L’accès au niveau baccalauréat répond tant aux politiques publiques de scolarisation qu’aux conditions d’accès à l’emploi et aux aspirations familiales d’un prolongement des études au-delà de ce seuil (Arrighi & Sulzer, 2012 ; Dumoulin & Renard, 2016). L’accès au niveau IV est valorisé dans les familles des jeunes femmes rencontrées et celles-ci semblent avoir intériorisé la nécessité plus grande qui leur est faite d’avoir un diplôme pour trouver un emploi en zone rurale (Arrighi, 2004). Il en va ainsi de Mariza [34_FR] qui a validé un BEP MRCU (Métiers de la relation aux clients et aux usagers) et un baccalauréat professionnel Vente. Au sortir du lycée, elle n’envisage pas une poursuite d’études. Elle semble avoir comblé les attentes parentales (mère : aide à domicile ; père, ouvrier dans les travaux publics) et se sent rassurée au regard des jeunes non diplômés :

« Il ne fallait pas que je parte [de l’école] sans rien. Il fallait que j’aie les diplômes. Et encore aujourd’hui j’ai les diplômes et je peine à trouver du travail. Donc je me dis que ceux qui sont sans diplôme, les pauvres, comment ils doivent galérer. Donc il fallait que je finisse avec mes diplômes. E – Vous n’avez pas à la sortie du bac cherché un BTS ou un truc... ? Je ne voulais pas aller plus loin. Je voulais faire ça. Je ne voulais pas être dans le commerce ou quoi que ce soit ou faire un BTS. Non, je voulais arrêter là. J’étais déjà très bien. Parce que mon BEP c’était en MRCU et mon Bac c’était en Pro Vente. Donc c’était bien. J’étais bien. J’étais contente de ce que j’avais. Pour le coup, c’était bien. »

Titulaire d’un CAP tailleur de pierre, le père d’Agnès [21_FR] qui a la garde de l’enfant, l’incite ainsi à s’inscrire en seconde générale après la 3e :

« Je suis sortie du collège je savais pas trop ce que j'allais faire, mais alors je savais pas du tout hein. Euh donc pro, pas pro machin, j'en savais rien. Mon père il m'a dit “ben tu vas en général, donc en seconde générale machin.” E – Pourquoi il vous a dit ça ? Parce que j'avais les notes qui suivaient mis à part l'orthographe machin mais quand je voulais, les matières où je travaillais c'était bien quoi. Donc il m'a dit “tant que tu sais pas, tu peux pas aller en pro si tu sais pas, tu vas pas te lancer dans une année de je sais pas, d'électricité alors que c'est, c'est pas ce que tu veux faire.” »

À l’issue d’une formation lycéenne heurtée, au cours de laquelle son père décède, Agnès met fin à sa scolarité. Bien qu’ayant mémorisé les différentes possibilités de poursuite d’études qui lui ont été présentées (et notamment les STS), elle doit faire face à d’autres impératifs, notamment économiques. Parmi celles qui sont sorties de formation initiale après le baccalauréat, certaines ont bel et bien cherché à entrer en STS mais n’ont pu assouvir leur aspiration à la poursuite d’études faute d’avoir trouvé un contrat d’apprentissage, voie de formation nécessaire face aux exigences de ressources financières et plus ajustée aux représentations familiales de la poursuite d’études :

« Après [le bac] je n’ai pas trouvé pour poursuivre. […] J’avais pas envie d’aller à l’école. Du coup je voulais faire en alternance, mais je n’ai pas trouvé d’entreprise. Après j’ai laissé tomber. » (Pauline [24_FR]) « Après je voulais continuer, faire mon BTS avec un maître de stage comme ça en maison familiale [durant son baccalauréat professionnel, elle a fait un stage comme formatrice en agronomie auprès d’élèves de MFR], mais étant donné que ça coûtait extrêmement cher l’apprentissage comme c’est deux semaines de cours, deux semaines de stage, je n’ai pas trouvé de directeur de maison familiale qui a pu financer ce mode d’apprentissage. Avec les formateurs on s’est dit que j’allais faire le cursus un peu plus général donc la fac. Et là grosse erreur puisque moi j’étais du milieu

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professionnel et du jour au lendemain je me suis mise dans le milieu de la fac et je ne me suis pas du tout retrouvée. » (Élise [6_FR])

Par défaut, à l’issue de son baccalauréat professionnel Conduite et gestion des exploitations agricoles, Élise [6_FR] a tenté une inscription en faculté de géographie sur les conseils de ses enseignants. Mais différents éléments ont eu raison de sa poursuite d’études au bout de six mois : l’isolement dans la promotion d’études et le décalage des aspirations avec les autres étudiants, le sentiment d’un désajustement du fait des études antérieures, l’installation avec son conjoint à une heure de route du Mans, la difficulté d’assumer le maintien en études quand le partenaire travaille. Pour sa part, bien qu’appréciant l’anglais, Pauline [24_FR] n’a pas tenté une inscription à l’université de Limoges. Outre une mobilité géographique redoutée (elle est originaire de Corrèze), elle s’est vue découragée par l’expérience malheureuse de sa mère en faculté :

« Et puis la fac c’était pas pour moi. Je savais que j’allais m’y tenir au début, mais après… Donc j’ai préféré aller travailler directement. E – Et la fac c’était où ? À Limoges. J’aimais beaucoup l’anglais, je voulais continuer là-dedans. Finalement je me suis dit que j’allais vite baisser les bras parce que… E – Vous connaissiez des gens qui y étaient ? Non non. E – C’est quoi du coup qui vous a donné cette idée que vous baisseriez les bras ? Parce que je me lasse vite. Vu qu’on n’est pas obligé d’aller en cours ou un minimum, je me suis dit que ce n’était même pas la peine d’essayer. Et puis ma mère m’a dit que je n’étais pas du tout faite pour aller à la fac. E – C’est vrai ? Pourquoi elle vous a dit ça ? Parce qu’elle sait comment je suis donc j’aurais vite abandonné. E – Elle y est allée elle ? Oui, un jour. Elle a essayé aussi et ça n’a pas marché. Du coup me connaissant elle savait très bien que… E – Ça n’allait pas marcher ? Ouais. »

Néanmoins, un peu plus du tiers des enquêtées ont poursuivi leurs études au-delà du baccalauréat que ce soit pour préparer un BTS, une licence professionnelle, un diplôme d’État ou un master. Elles sont plus souvent originaires des fractions stabilisées des classes populaires. Certaines ont même été témoins durant leur adolescence d’une ascension professionnelle de leurs parents (le plus souvent, les pères devenus techniciens ou cadres par promotion interne, mais aussi parfois des reprises d’études maternelles). Quelques-unes bénéficient de surcroît d’une plus grande proximité avec des établissements de formation supérieure. Il en va ainsi de Margaux [22_FR] dont le père est devenu cadre chez Nicolas et dont la mère a monté sa propre entreprise d’installation de piscines. Outre une valorisation familiale des pratiques et professions commerciales, elle vit près d’une grande ville dans laquelle, après son BTS NRC, elle peut s’inscrire en licence professionnelle Distribution et commerce. Elle a aussi l’assurance d’une possibilité d’embauche dans l’entreprise maternelle à l’issue de sa formation. Pour sa part, Noémie [32_FR] s’est rendue dans une grande ville de son académie à l’issue de son lycée. Fille d’une infirmière et d’un employé chez Orange, elle a construit précocement le souhait de devenir professeur des écoles. Bonne élève, elle part suivre une licence de sciences de l’éducation puis un master MEEF. Pour contrer une mobilité géographique forcée par l’offre d’enseignement supérieur, elle choisit ses stages en école à proximité de son village d’origine. Louisa [14_FR] se distingue parmi les jeunes femmes rencontrées en poursuite d’études, tant pour les études suivies que pour les modalités de cette poursuite. Loin d’être envisagé dès le départ, son cursus s’est construit pas à pas, au gré d’encouragements professoraux et d’autorisations parentales. C’est très tôt à l’issue de la 3e qu’elle est partie de chez ses parents pour suivre une formation en CAP souffleur de verre à près de quatre heures de route après

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avoir fait son stage de découverte de 3e. Ses parents ne se sont pas opposés à son départ valorisant la réalisation d’une orientation choisie. Ses enseignants l’ont aidée à trouver l’établissement public dans lequel elle pourrait suivre sa formation, sans la décourager ou l’inciter à poursuivre en seconde générale (« Après, les profs, y a aucun prof qui m’a retenue, parce que des fois, y a des profs qui disent : “Oh non, mais avec tes notes, tu ferais mieux de faire une seconde générale.” »). Initialement, elle pensait arrêter ses études après l’obtention du Brevet des Métiers d’art (niveau IV) : le CAP conduisant à des emplois dans l’industrie, elle voulait pouvoir accéder à l’emploi artisanal. Mais, après avoir vu l’une de ses pièces, l’un de ses enseignants l’a encouragée à candidater en Diplôme des Métiers d’art (deux ans de plus), une formation ouverte à des sortants de BTS Design de produits ou des personnes ayant suivi une formation de mise à niveau en arts appliqués. C’est sans trop de conviction qu’elle a postulé. Inscrite sur liste d’attente, elle a bénéficié d’avoir suivi sa formation dans l’établissement en CAP et BMA. À l’issue du DMA (au cours duquel, elle a réalisé un stage au Danemark), elle s’apprête à partir 4 mois en stage en Inde pour découvrir la manière dont on y pratique le métier, bénéficiant d’une bourse de la Fondation culture diversité. Elle envisage ensuite un stage à l’île Maurice pour lequel elle construit un dossier de demande de subvention au Rotary club. Rétrospectivement, elle paraît ravie d’avoir pu poursuivre :

« Au départ j’ai dit “Ah non, je ferai pas le DMA, ça va moi”. E- Ah ouais ? Pourquoi vous disiez ça ? Parce que ça me tentait pas. En fait, c’était plus basé sur le verre froid. Et alors que moi, je suis bah souffleuse de verre. Donc c’était plus basé sur le verre froid, pis ça me tentait pas plus que ça et tout. Et au final, ça a été vraiment génial… Ça m’a permis de me découvrir et puis de réussir à créer vraiment mes propres objets. Et pis au final, même le projet… pro qu’on a pu faire en DMA, on a pu les réaliser en verre à chaud, donc euh… C’est vrai que c’était vraiment bien… Je regrette pas du tout de l’avoir fait… (Hum) Mais c’est vrai que c’était plus, ouais le BMA au DMA, en mode : Bon, je m’inscris en DMA, histoire d’avoir quelque chose. C’était plus ça dans ma tête. […] E – Et les profs, ils vous poussaient un peu à continuer ou pas… pas forcément ? Bah… pour le DMA, le prof de DMA était venu me voir en disant “Ce serait bien que tu viennes en DMA et tout ça…” Parce que bah, il avait vu une pièce que j’avais faite pour… pour mon… bah pour passer le BMA. […] J’étais là “Oui oui…” [rire] Mais au final, bah j’y ai été. […] Au début, j’étais sur la liste d’attente. Et pis après, y a le chef des travaux qu’est venu me voir, il me fait : “Bon bah Louisa, même si t’es sur liste d’attente, on te prendra forcément parce que t’es une élève du lycée.” Et puis on… on te prend. Je fais : “OK, bon. OK, cool !” [rire] E – Et du coup, pour quoi sur liste d’attente ? Parce qu’y avait vraiment… beaucoup de gens qui demandaient… ? Je crois ouais, y a 80-90 demandes par an. Pour 12 places. […] Après… je regrette pas de l’avoir fait au final. Donc, je suis contente. Et je l’ai même dit à mes profs. J’ai dit : “Au départ, c’était juste histoire d’avoir quelque chose et… au final, j’ai vraiment découvert que c’était génial, fin...” Pis maintenant, je pousse les élèves à faire le DMA. […] Alors que ça fait que deux ans, fin… Pis c’est pareil. J’ai l’impression que ça m’a fait grandir encore plus, moi. (Ah ouais ?) Donc euh… Ouais. […] Même intérieurement. Fin, ma façon de voir les choses et tout ça… Ouais non, ça m’a vraiment, ouais, ça m’a aidée. Fin… c’était bien. »

Ainsi, les jeunes femmes rencontrées se sont approprié l’impératif de diplômation et ont pu y faire face, témoignant de leur possibilité de satisfaire aux injonctions scolaires y compris lorsqu’elles se tiennent à distance des enseignements généraux (Depoilly, 2014). Pour certaines, cette appropriation se conjugue à celle de l’impératif de l’allongement des scolarités qui les conduit à poursuivre au-delà du niveau IV, lorsque les conditions familiales ou l’offre et les encouragements scolaires s’y prêtent et lorsque l’obtention d’un emploi à l’issue de la formation semble assurée.

2.1.2. Se rapprocher des établissements de formation ou faire avec l’offre scolaire locale

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2.1.2.1. Des mobilités pour études relativement fréquentes Poursuivre des études supérieures entraîne le plus souvent une migration vers la ville. Les filles sont plus contraintes que les garçons à de tels déplacements (Arrighi, 2004). Les départs sont alors difficilement réversibles dans la mesure où les territoires d’origine sont peu pourvoyeurs d’emplois qualifiés. De plus, ils s’accompagnent, dans certains cas, d’une revendication de rupture avec les sociabilités et destins locaux. Il en va ainsi de Camille [8_FR] dont les parents, originaires de la région de Montpellier se sont installés dans le Tarn-et-Garonne lorsqu’elle avait 4-5 ans du fait du travail paternel. Titulaire d’un BTS dessinateur projeteur, son père est désormais responsable du service irrigation d’une entreprise. Sa mère est sans emploi depuis un AVC survenu 5 ans auparavant. Titulaire d’un bac +2, elle a été secrétaire comptable puis assistante maternelle en arrivant dans le Tarn-et-Garonne, avant de retrouver un emploi de secrétaire pour les collectivités territoriales. Camille [8_FR] renvoie son envie de bouger à cet itinéraire familial : « Je pense que c’est pour ça que moi j’ai eu plus de facilité à partir et à ne pas rester dans le coin non plus. Je pense que ça a joué aussi quelque part. Ça a fait plus d’indépendance plus vite. » De fait, elle décrit son souhait précoce de partir pour étudier :

« À la base je suis du Tarn-et-Garonne. J’ai fait mon primaire et collège dans le Tarn-et-Garonne […] petit village de campagne. Je n’ai pas trop voulu rester en campagne donc je suis partie sur Agen pour faire mon lycée. E – Ça vous déplaisait la campagne ? Oui. Je n’avais pas envie de rester là-bas. [rires]. J’avais de très mauvais retours sur le [lycée] dont je dépendais. J’avais peur déjà à l’époque de m’engluer et de rester à côté de chez mes parents. Comme je ne voulais pas du tout rester, et ce que mes parents comprenaient, j’ai pris une option pour pouvoir sortir du département, pour avoir une autorisation spéciale parce qu’on ne peut pas partir du [lycée] dont on dépend. E – Oui. Vous avez pris quoi comme option ? Russe, russe en LV3. Je suis partie sur Agen. »

Ayant rencontré son compagnon durant le lycée, elle décide de poursuivre ses études dans une ville proche de la sienne avant de le rejoindre. Elle décrit de manière dépréciative l’immobilité géographique de ses camarades de collège :

« E – Alors pourquoi vous n’aviez pas envie de vous “engluer”, pour reprendre votre expression ? Parce que ça s’est vérifié, tous ceux qui étaient avec moi au collège, j’ai un peu coupé les ponts […]. Maintenant avec les réseaux sociaux, on connaît la vie de tout le monde ; ils sont tous restés dans le coin là-bas. Moi ça ne m’intéressait pas de rester. Et puis je voulais suivre mon copain. »

Prenant appui sur une initiation parentale à la mobilité géographique, une aspiration scolairement possible à la poursuite d’études qui oblige un déplacement et le souhait de se rapprocher de son compagnon, Camille [8_FR] peut mettre à distance des sociabilités juvéniles dont elle garde mauvais souvenirs (Clair, 2012) :

« E – Tout à l’heure vous me disiez que quand on va sur Facebook et qu’on voit que les gens sont restés sur place, vous aviez l’air de trouver que ce n’est pas bien de rester sur place ? Non. En fait c’est moi qui ne voulais pas m’engluer. Je crois que c’est le terme. Je ne voulais pas rester sur place, voir les mêmes gens, écouter toujours les mêmes choses. Après je ne sais pas si c’est le fait que ça ne s’est pas super bien passé quand j’ai été au collège. C’étaient vraiment des mauvais souvenirs en fait. Ma scolarité collège-lycée, j’en ai bavé. J’ai vraiment souffert de cette période-là. Je n’étais pas du tout intégrée. Je n’avais pas de copine. (Ah oui ?) Au collège je n’avais pas de copine […] J’étais tout le temps fourrée avec des garçons, parce que justement il y avait moins d’histoires. Ça ne m’a pas joué des tours mais… E – La réputation quoi. Ouais. Ça m’a saoulée. Je ne voulais pas rester et faire semblant de continuer à parler à des gens et faire semblant qu’on a grandi. Je ne sais pas si je suis rancunière ou pas, mais je ne voyais pas l’intérêt de continuer à parler à des gens qui m’avaient mis des coups de poignard dans le dos ou faire semblant. J’ai préféré couper les ponts et partir de là. Ça ne m’intéressait pas de rester avec ces personnes-là. »

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Néanmoins, selon les configurations relationnelles et géographiques, les poursuites d’études supérieures peuvent entraîner des départs seulement temporaires. L’inscription de Romane [E1_FR] dans les sociabilités locales diffère fortement de celle de Camille [8_FR]. En effet, sa famille est originaire de la région où elle a grandi. Ses grands-parents comme ses parents y ont vécu et travaillé (père : ouvrier au chômage ; mère : monitrice éducatrice). Par ailleurs, la commune près de laquelle elle vit dispose d’un lycée où elle poursuit des études secondaires. Durant sa jeunesse, elle pratique diverses activités dans la commune et notamment du handball, sport auquel elle est très attachée. À l’issue du lycée, elle entre en médecine avec une copine dans une grande ville où son frère aîné fait ses études. La difficulté de l’enseignement, mais aussi de l’éloignement (elle rentre tous les week-ends) et l’arrêt des études de son amie mettent un terme à cette première mobilité. Elle s’inscrit l’année suivante en IUT dans une ville plus proche où elle peut reprendre le hand, avant de retourner dans la ville éloignée pour poursuivre en licence professionnelle et en master. Sa relation de couple avec un ami d’enfance n’empêche pas ce départ :

« Ben j’avais arrêté le hand du coup pour la fac de médecine. [sourire] E – Ah ouais ! Ç’a pas été concluant. Non, c’était trop de concessions je crois pour moi… [sourire] Donc après j’ai fait un DUT en fait à La Rochelle… et après j’ai fait une 3e année de licence à Poitiers, mon master à Poitiers. Mais en fait, je sais pas, je me suis dit “Bon… l’école ça marche bien, j’aime bien l’école… Je continue et on verra bien quoi.” (Ouais ?) Non, je me suis pas dit euh… “J’arrête tout et… pour vivre avec Paul quoi.” Je me suis dit “On verra après quoi.” »

À l’issue de ses études, elle n’envisage pas de s’établir loin de sa commune d’origine où elle a maintenu des liens et des activités régulières. Elle revient y chercher un travail et emménage avec son compagnon, un ouvrier agricole qui aspire à l’installation. Par le biais de relations et en lien avec son DUT, elle postule pour être technicienne de laboratoire dans une ville à une cinquantaine de kilomètres de son lieu d’habitation. Pour Noémie [32_FR], c’est le souhait de préparer un baccalauréat général avant de poursuivre en licence sciences du langage puis en master MEEF qui l’amène à concevoir le départ de chez ses parents dès la fin du collège. Au regard des autres membres de sa famille et de ses camarades de village, celui-ci apparaît comme une évidence :

« E – Ce n’était pas dur de partir de chez vos parents et tout ? Non et puis ce n’était pas si loin que ça puisqu’on était à vingt-cinq, trente kilomètres. Donc il y en avait qui faisaient la route tous les soirs, mais au niveau fatigue et puis prendre le car tout le temps, se lever super tôt le matin, ce n’était pas forcément très cool quoi. Et puis même pour avoir le temps de bosser à côté, nous on avait choisi l’internat. Et puis comme j’étais avec des copines, ça allait. Et puis on partait que pour cinq jours donc on revenait le vendredi. Et même des fois, ça m’arrivait de rentrer le mercredi quand j’avais besoin. Donc au final, on partait deux nuits et puis on revenait. E – Oui, ce n’était pas une grosse séparation quoi. Non non, ça allait. Et puis ça a toujours été, enfin dans ma famille, même mes cousins cousines, on a souvent fait ça : primaire, collège et puis au lycée on part pour la semaine et on revient le week-end. Donc ça ne m’a pas choquée. Pour moi, c’était normal quoi. […] Comme on habite en campagne, les lycées sont un peu plus loin. E – Il faut aller un peu plus loin ouais. Donc il faut être interne et ça ne m’a pas traumatisée ni quoi que ce soit. Non, ça allait. »

Le départ pour études n’empêche pas l’aspiration au retour. Aussi, désormais en master MEEF, Noémie demande à réaliser ses stages en école à proximité de sa commune d’origine, point de retrouvailles avec son compagnon parti lui aussi pour réaliser des études en soins infirmiers. Mais les départs ne concernent pas seulement les jeunes femmes qui ont poursuivi des études supérieures. Une forte minorité de celles rencontrées ont dû partir pour leurs études dès le secondaire. Ces départs sont alors conçus et vécus comme temporaires. Ils n’empêchent pas forcément la projection d’un retour dans la mesure où les liens familiaux, amicaux et conjugaux

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sont maintenus et où le marché du travail local ne paraît pas a priori fermé, notamment lorsque ses marges salariales sont aussi envisagées (Dussuet, 2016). Au cours de la 3e, par le biais de discussions avec des conseillers d’orientation, des enseignants ou leurs parents et leur entourage, certaines des enquêtées formulent des vœux d’orientation qui les contraignent à partir faute de correspondre à l’offre locale de formation. Ainsi, mettant à distance une entrée en seconde générale, Élise [6_FR] (père : ouvrier paysagiste reconnu travailleur handicapé, après avoir été chauffeur routier ; mère : assistante maternelle après avoir été ouvrière agricole) imagine-t-elle une inscription dans un lycée agricole avec internat :

« [Après la 3e], j’avais une formation agricole : un BEP et un Bac pro Conduite et gestion d’exploitation agricole. E – Parce que ? Parce que j’aimais la nature. Je me suis dit : je vais sortir du collège. Je ne savais pas trop où aller. Je ne voulais pas que ce soit trop compliqué. J’aimais bien tout ce qui était campagne, je me suis dit : je vais tester. E – Ce n’était même pas dans l’idée de monter une exploitation agricole ? Non. Pas du tout. C’était dans l’idée de faire des études tout en découvrant aussi la vie. Moi je ne voulais pas être dans un lycée général, toute la journée en cours et pas découvrir le monde quoi. […] E – Et du coup les profs ne connaissent pas forcément bien ce genre de filière. Ils vous ont conseillée ? Comment ça s’est passé ? C’était au collège en 3e. C’est là qu’il faut qu’on choisisse par rapport au lycée. C’est le CIO, j’avais dit : “moi je veux quelque chose d’un peu nature, j’aime bien les animaux”. Elle m’avait aiguillée. Elle m’avait envoyée dans un lycée ; j’avais fait une journée pour découvrir le lycée agricole […]. J’ai fait cette journée-là, ça m’a bien plu. J’ai vu que les cours c’était aléatoire. En plus dans ce lycée-là il y avait une exploitation avec des vaches. Je me disais que c’était quand même super un lycée où il y a des animaux. Ça s’est super bien passé. J’ai dit à mes parents : “c’est là que je veux aller”. En plus c’était à l’internat donc du coup je me suis dit que ça allait être autre chose, ça va changer. E – Ça ne vous faisait pas peur ? Pas du tout. Je suis partie… Et puis c’est vraiment atypique ces études-là, parce que je me vois en deuxième année de BEP, pendant que les autres sont en formation à l’école, il y en a deux de la classe qui sont en stage sur l’exploitation du lycée. Quand on rentrait de stage, on sentait vraiment la vache, le cochon et les autres qui étaient en cours se foutaient de notre gueule. On était en stage pendant trois semaines, il fallait le faire. Quand on allait manger le soir à la cafétéria, la honte, la honte. Mais bon on y est tous passés par ce stage de trois semaines. Au moins ça nous montre les règles de vie, les horaires, le fait de travailler correctement. C’était très très bien. »

Les inscriptions en internat paraissent ordinaires à plusieurs enquêtées. C’est le cas aussi de Laëtitia [23_SO] partie dans une grande ville préparer un baccalauréat ST2S :

« Au cours de mes études, j’ai… Pas voyagé parce que je ne suis pas partie très loin mais... (Ouais.) Mais voilà, ouais. E – Oui et comment ça se fait que vous avez fait autant de villes ? Et bin du coup euh je suis partie à Niort pour faire mes études. Donc déjà, j’ai habité 4 ans à la Rochelle quand j’étais en bac STSS après j’ai fait Niort. E – Parce que vous ne pouviez pas… comment ça se fait ? Non j’aimais bien, j’avais envie fin' j’aime bien moi. E – Vous étiez en internat ? Ouais j’ai fait de l’internat et après j’ai pris un appartement. »

Pour certaines, le départ en internat à l’issue de la 3e (lycée ou MFR) conjugue l’éloignement de l’offre de formation et les difficultés scolaires comme les difficultés familiales. Il en va ainsi de Tiffany [5_SO] qui part en MFR préparer un BEP services à la personne :

« On s’était renseignés un peu sur Internet. Je voulais faire dans le service à la personne. Et puis on s’était renseignés, on avait fait les portes ouvertes et quand on a été j’ai dit : “je veux aller là-bas”. Le système d’internat, je voulais partir à l’époque, parce que je ne m’entendais pas toujours bien avec mon père et ma mère. J’étais en pleine crise d’adolescence. C’était plutôt compliqué. Je me suis dit : “il faut que je parte”. Ça m’a permis de voir autre chose. J’ai appris la vie en communauté. Chacun fait le ménage. L’esprit de la maison familiale c’est qu’on apprend à vivre en communauté donc on a des tâches par semaine. Un lave les toilettes, un autre fait la vaisselle et ça tourne. Ça

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permet d’apprendre. […] Et puis je me disais que le collège c’était une catastrophe, j’y allais quand je voulais… […] Je me suis dit qu’il fallait que je me reprenne en main, ça ne peut pas continuer comme ça. Je n’avais pas de très bonnes fréquentations. E – Ça ça vient vraiment de vous ? Ouais. E – Ce n’est pas vos parents qui ont dit : “ça suffit” ? C’était mon choix. C’était mon choix de partir. »

De la même manière, après avoir redoublé sa seconde, Béatrice [17_FR] s’inscrit en internat en première technologique pour à la fois remédier à ses difficultés scolaires, et s’échapper des relations conflictuelles avec son père. Suite au divorce de ses parents et à l’instabilité familiale mais aussi du fait de l’éloignement géographique de la résidence parentale, Allyson [33_FR] est également inscrite en internat dès l’entrée au lycée. Pour les unes comme pour les autres, ces mobilités liées à la formation ne paraissent pas forcément définitives. À plus ou moins long terme, certaines escomptent se rapprocher de leur commune d’origine souhaitant entretenir et maintenir des sociabilités locales fortes. Ainsi, après son lycée au Mans, Allyson [33_FR] s’inscrit en BTS à Orléans. Elle n’honore pas la formation mais présente les tests de présélection pour entrer en école de gendarmerie et devenir gendarme-adjoint volontaire. Elle suit une formation de trois mois en Corrèze, exerce comme GAV un et demi à Vignolles, gros bourg de 6000 habitants de la Vienne avant de revenir dans la Sarthe près de sa commune d’origine. Souhaitant pérenniser son emploi, elle est conduite à repartir en formation pour devenir sous-officier et est mutée, avec sa compagne, loin de sa commune d’origine. L’une et l’autre vivent cette affectation comme temporaire et l’éloignement comme n’annihilant pas les liens avec leur famille. Allyson [33_FR] essaie d’être présente à toutes les réunions familiales. Elle prévoit d’être la fille d’honneur au mariage de sa sœur et est la marraine de son fils. Les personnes qu’elle décrit comme ses amis, les seuls auxquels elle dit pouvoir se confier, sont des copains et copines de collège.

2.1.2.2. Faire avec l’offre scolaire de proximité Un grand nombre d’enquêtées ont cependant eu recours à l’offre locale de formation. Pour certaines enquêtées, la question de la mobilité pour études ne se pose pas de manière impérative. Résidant dans des communes péri-urbaines, elles peuvent continuer d’habiter chez leurs parents tout en ayant accès à une large palette de formations, y compris dans le supérieur. Les études ne précèdent pas non plus une mobilité géographique professionnelle, le marché de l’emploi local étant plus diversifié. Habitant près d’une grande ville, Margaux [22_FR] et Julie [7_FR] y poursuivent leurs études (dès le lycée), respectivement en BTS puis licence professionnelle commerce et master MEEF Premier degré. Diplômée, Margaux [22_FR] trouve à s’employer dans l’entreprise de sa mère dont le siège est dans la grande ville. Julie [7_FR] obtient un poste de professeur des écoles dans la campagne environnante de la ville dans laquelle elle a fait ses études et où elle s’est installée temporairement avec son compagnon. Rapidement, ils emménagent « en campagne » à proximité de leurs communes d’origine et de leurs lieux de travail respectifs. Vivant à une quinzaine de kilomètres d’une ville de plus de 40 000 habitants, Justine [31_FR] et Cinthia [19_FR] ont pu y poursuivre leurs études. Si Cinthia [19_FR] y est scolarisée dès le primaire, sa grand-mère maternelle vivant à proximité et aidant à la garde d’enfant, Justine [31_FR] ne s’y rend qu’à partir du collège. Elles y effectuent toutes deux leur scolarité lycéenne l’une dans une école d’esthétique, l’autre préparant un baccalauréat ST2S. L’une et l’autre trouvent ensuite des emplois dans la ville. Alors qu’elle travaille depuis plusieurs années, Cinthia [19_FR] réside toujours chez ses parents. À moyen terme, elle envisage de s’installer dans la campagne proche avec son petit ami :

« On aime bien la campagne.

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E – Vous ne vous verriez pas habiter trop en ville ? Ah non, pas en ville. On n’aime pas trop la ville. E – C’est quoi qui vous déplaît ? C’est le monde. J’ai toujours été habituée dans la campagne. Il n’y a que ça qui m’intéresse. E – Et vous faites des balades ? des sorties ? Oui, des balades, des sorties. On aime bien aller à la pêche. E – C’est vrai. Avec mon père, mon copain, c’est la pêche. »

Pauline [24_FR], pour sa part, a réalisé son lycée dans une commune proche de chez ses parents. Faute de trouver un contrat d’apprentissage pour poursuivre en BTS, la distance avec une offre plus diversifiée d’études supérieures l’a conduite, on l’a vu, à mettre précocement un terme à son parcours scolaire. La résidence dans des communes plus éloignées de centres urbains associée à la faiblesse de ressources parentales et parfois aux résultats scolaires moyens ou bas en collège peuvent amener à faire avec l’offre locale de formation dès le secondaire. Or, non seulement les spécialités offertes aux filles sont rares (Palheta, 2012), mais elles sont inégalement présentes dans les établissements, raréfiant encore l’offre de formation (Lemêtre & Orange, 2016). L’attractivité de certaines les rend particulièrement sélectives (Arrighi & Gasquet, 2010 ; Denave & Renard, 2017). Ainsi Mariza [34_FR] comme Soumya [25_SO] se voient contraintes d’accepter une affectation dans une spécialité initialement non choisie. Malgré son souhait de devenir infirmière en passant d’abord par un baccalauréat ST2S, Soumya est inscrite dans un baccalauréat professionnel Accueil :

« E – Et après au niveau du lycée, donc vous avez pris quelle filière ? Moi j’ai fait un… Bac dans l’accueil. Un Bac professionnel dans l’accueil… professionnel. E – D’accord. À Rochambeau aussi ? Ouais à Rochambeau. En fait je voulais faire un Bac technologique ST2S qui est dans la carrière sociale quoi. Je pouvais pas aller sur Laval c’était trop loin. C’que y a pas à Rochambeau. E – Ah y a pas à Rochambeau d’accord. Ouais. Y avait pas, maintenant je crois que y a mais je suis pas sûre. Et donc je suis partie dans l’accueil faire un Bac que y avait près de chez moi ici. »

N’envisageant pas de mobilité pour études, ces enquêtées ont alors affaire à une offre de formation plus restreinte et sont sommées de faire avec. L’offre locale de formation participe alors à la réduction du champ des possibles scolaires.

2.1.3. Orientations majoritaires vers des filières « féminines » de l’enseignement

professionnel ou technologique Si la ségrégation sexuelle est particulièrement marquée dans l’enseignement professionnel (Moreau, 2003), elle transparaît aussi dans l’enseignement technologique et général. Les orientations des jeunes femmes rencontrées témoignent d’une socialisation sexuée et de la constitution d’aspirations tant scolaires que professionnelles vers des métiers socialement construits comme « féminins » mais aussi de dispositions et appétences requises à l’entrée dans ces formations (à l’écoute, au soin, etc.) (Vouillot, 2007). Elles sont aussi le produit des incitations professorales qui tendent à renforcer les stéréotypes de sexe. Elles servent encore la division sexuelle du travail (Mosconi, 1983). Ces différents processus n’agissent pas toujours de concert, certains prenant le pas sur d’autres au gré des parcours scolaires et sociaux. De fait, la quasi-totalité des jeunes femmes rencontrées se sont orientées au cours du second cycle du secondaire ou durant les études supérieures vers des filières et spécialités fortement « féminisées » : des formations professionnelles vers les métiers du service, de la vente ou de l’éducation, des formations technologiques en gestion et ressources humaines ou comptabilité, des formations générales plutôt littéraires poursuivies par des formations vers les métiers de

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l’éducation. Pour autant, les appétences pour la voie empruntée varient selon les filières fréquentées.

2.1.3.1. Les cas de vocations précoces pour les métiers du care, du soin et de l’éducation

Certaines des jeunes femmes présentent leur orientation scolaire comme liée à une vocation plus ou moins précoce pour un métier. Dans leurs discours, apparaissent cependant des inflexions au fil du parcours scolaire, des échanges avec l’entourage et des expériences professionnelles. Elles se rencontrent le plus souvent dans les métiers du care, du soin et de l’éducation qui ont pour caractéristiques d’être présents en zone rurale. Cinthia [19_FR] mentionne ainsi son envie précoce de travailler dans le secteur du soin. Entourée familialement par des femmes exerçant dans ce secteur, elle a côtoyé tôt des modèles d’identification. Conjugué à des difficultés scolaires, ce vœu d’orientation se formule dès la 3e. Pourtant, refusée en baccalauréat professionnel Services à la personne, elle prépare un bac technologique sanitaire et social. Regrettant de n’avoir eu de stage au cours de sa formation (comme cela est prévu dans l’enseignement professionnel), elle valorise cependant les cours de droit suivis et les choses « apprises » :

« Ma mère est aide-soignante donc du coup ça m’a donné envie. Donc j’ai continué. […] J’ai aussi d’autres personnes de ma famille qui travaillent dedans. E – Comme aides-soignantes aussi ? Aides-soignantes. Elles m’avaient dit que c’est un bon métier, qu’elles se plaisent dedans. J’ai voulu essayer, voir. J’ai foncé. E – C’est qui les autres personnes ? La cousine de ma mère qui travaille et elle travaille avec les enfants elle. Du coup ça m’a donné bien envie. Ensuite j’ai sa fille qui travaille avec les enfants handicapés et mon autre cousine est manipulatrice radio. Du coup on est tous passés… E – C’est marrant ça. Eh oui. Du coup on est tous dedans et on s’est tous donné envie. On est restés dedans. E – Secteur du soin quoi ? Oui, le soin c’est intéressant. On voit pas mal de choses. C’est bien. E – Et la filière du Bac vous avez choisi un peu en fonction de ça ? Oui oui parce que j’avais demandé un Bac pro à la base et j’ai été refusée. E – Quel Bac ? Le Bac pro Services à la personne […] donc il y avait des stages, tout ça donc ça m’intéressait. Et après le collège je n’avais pas été acceptée. […] En nombre de places j’étais très loin donc je n’étais pas prise. En plus il n’y a pas beaucoup de places donc du coup je me suis rabattue sur le Bac ST2S, la santé et le social. C’était intéressant aussi parce que du coup on apprend les lois, tout ça. C’est vrai que c’est intéressant. E – C’est un Bac techno ? C’est ça. Il n’y avait pas la pratique. J’aime bien la pratique moi donc je suis moins dans le fait des cours. Après ça a été une année où j’ai appris beaucoup de choses. Après j’ai peiné comme tout le monde, j’ai eu des lacunes mais au final… »

À l’issue de sa formation, elle présente le diplôme d’aide-soignante qu’elle rate une première fois et trouve un emploi comme ASH en ÉHPAD où elle confirme sa vocation tout en souhaitant à la fois diversifier les lieux d’emploi et expériences professionnelles et valoriser son statut par l’obtention du diplôme d’aide-soignante. À la fin de son CDD, elle postule pour travailler dans le secteur hospitalier. Elle suit pendant un an la préparation au diplôme d’aide-soignante qu’elle validera à la 3e tentative. Elle obtient enfin un contrat à l’hôpital dans lequel elle avait commencé à travailler comme ASH, passant de 1200€ à 1600€ de salaire. Les formations au soin aux personnes comme la coiffure et l’esthétique donnent également lieu à des discours de vocation. Ainsi, Marjorie [4_FR] déclare qu’être coiffeuse est « un rêve de gosse ». Elle raconte qu’à « 8 ans », elle coiffait déjà ses « poupées » et ses « voisines ». Si elle ne compte personne dans son entourage qui a été coiffeur, elle évoque les aspirations

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maternelles frustrées (« Ma mère quand elle était toute petite, elle voulait faire coiffeuse »). Secrétaire chez un huissier, sa mère aurait pourtant souhaité que Marjorie [4_FR] suive une formation en comptabilité. Mais elle se résout au choix de sa fille et accepte avec son mari de financer ses études en école privée (3500€ par an), faisant le tri entre les différents vœux d’orientation post-3e (CAP petite enfance ou CAP chauffeur routier), après une scolarité collégienne heurtée (redoublement en 4e, nombreuses heures de colle « j’ai une grande gueule », « je faisais pas mes devoirs », « j’aimais pas l’école », résultats scolaires faibles) :

« E – Si on reprend sur euh… vos études, quand vous êtes allée en école privée ça doit… c’est pareil, ça doit coûter hyper cher, non ? Ah ben oui, ça coûtait 3500€ par an. E – Et du coup comment vous avez… ? Béh c’est mes parents ! (Ouais ?) C’est mes parents qui ont financé mes études. Et heureusement ! […] E – Et du coup vous leur remboursez ou euh… ? Comment ça se passe ? Non je le… (Non ?) J’avais obligation de réussir mon diplôme ! (Ouais ?) Voilà ! Et puis euh… non non. E – Du coup, serrée sur euh le travail et sur euh… ? Ouais ! Ouais ! (Ah ouais ?) [petit silence] Ouais, il a fallu que je bosse dur hein ! […] Moi je voulais faire ce métier-là et pas un autre quoi ! E – Et du coup… ouais y avait… aucune autre… chose qui vous plaisait quoi ? Euh… alors, j’avais dit ça. Euh… j’avais dit… euh travailler dans une crèche ou en tant que nounou ou sinon, en 3e, je voulais faire chauffeur routier. (Ah ouais ?) Ah, complètement différent ! [petit rire] Voilà. E – Et alors vous avez euh… carrément cherché les établissements qui préparaient la formation de chauffeur-routier ou pas ? Ah non non, moi c’était la coiffure en premier hein (Ouais !) Oui oui. C’était la coiffure en premier. Ma mère voulait que je fasse une 2de euh… une 2de comptabilité… Moi j’avais pas envie. Je voulais me lancer dans la coiffure tout de suite. Et puis ben au final, j’ai bien fait. »

L’entrée en coiffure signe pour elle la découverte d’un plaisir d’apprendre. Elle valorise ainsi les enseignements reçus et les qualités pédagogiques des enseignants (Moreau, 2000).

« Je regrette pas euh… d’avoir été… faire mon CAP en école privée. Parce que y a des filles qui sortent de l’apprentissage qui savent pas du tout couper les cheveux. Elles savent faire… ce qui leur est demandé à l’examen et c’est tout. Et euh… moi j’ai appris toutes les bases. Euh… trois mois après l’entrée en école, on commençait déjà à couper les cheveux. Et on a eu une super prof ! Qui n’est plus là-bas d’ailleurs mais euh… on a eu une super prof. […] Y avait une clientèle, les clients venaient, ils payaient beaucoup moins cher que en salon (Ouais ?) Et ils laissaient leur tête… ils laissaient leur tête. Ils le savaient. Donc euh… pas de problème. […] Les profs étaient derrière nous donc euh… donc y avait pas… trop de risques ! On pouvait faire euh… [rire] On pouvait pas faire cramer une chevelure quoi non plus hein. […] On était onze ! E – Ouais, des petites promos quoi. Ouais ! (Hum) Ben c’est pas une grande école […] le nombre de places est limité donc euh… c’est pour ça… Bon, ouais, c’est impossible que j’ai été reçue sur dossier parce que quand je vois les moyennes que j’avais quand je sortais de 3e, je voulais pas bosser hein donc euh… Et euh… je pense qu’ils prennent surtout sur la motivation des jeunes quoi. E – Vous aviez fait un entretien avant d’être prise ? Y a eu un entretien avec mes parents, ouais. Hum. Et la directrice. […] Moi je suis… quelqu’un qui est… qui est un peu trop franche des fois. Et… [au collège] ça m’a joué des tours hein, plein de fois hein mais euh… Dynamique et puis euh… Ouais, je suis dynamique, pétillante et puis euh… j’ai une grande gueule E – [rire] Du coup avec les enseignants, des fois, c’était un peu… ? Ah mais j’étais collée souvent moi au collège. […] parce que je faisais pas mes devoirs ! Je bossais pas. […] J’aimais pas l’école. E – Résistante [sourire] J’aimais pas du tout l’école, et je me suis mise à aimer l’école à partir du moment où j’ai été en… en coiffure. (Ouais !) Voilà. Ç’a été vraiment le déclic. »

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Au terme d’un parcours qui aboutit à l’ouverture d’un salon de coiffure, Marjorie [4_FR] se décrit comme « manuelle » et aspire pour sa fille à une telle option scolaire :

« Si elle faisait un métier manuel ça me… ça me flatterait plus qu’autre chose parce que… moi je suis très branchée ça et puis ben mon conjoint a un métier manuel aussi [menuisier] donc euh… Voilà. Si elle fait secrétaire comme mamie, je lui en voudrai pas non plus… ’Fin, elle fera ce qu’elle voudra »

À l’autre pôle des parcours scolaires collégiens, on trouve de « bonnes » élèves qui semblent avoir construit leurs aspirations au gré d’une expérience scolaire heureuse, mais aussi de premières expériences professionnelles. Ainsi, Julie [7_FR] décrit son souhait précoce de devenir professeur des écoles. Elle ne compte dans son entourage familial aucun enseignant mais tant les retours positifs qu’elle reçoit de ses enseignants que les jeux qu’elle entretient avec son petit frère la conduisent à façonner son projet :

« E – Et alors du coup, c’est quoi qui vous a donné envie d’être… prof des écoles ? Depuis le début. Vous connaissiez des gens ou euh… ? Non ! J’ai personne dans mon entourage. Après euh… ben j’aimais bien jouer [rire] jouer à la maîtresse, j’obligeais mon petit frère à être… mon élève, mais euh… Oh, pourquoi ? Je sais pas. (Hum) ’Fin c’est… non je saurais pas dire. E – Vous avez toujours bien aimé, vous, quand vous étiez élève euh… ? L’école ? Ouais. Ouais, j’ai toujours… adoré mes maîtresses, mes maîtres et mes maîtresses et… c’est p’t-être ça. Mais ça s’est toujours très bien passé donc p’t-être que ça a fait… que… que ça m’a donné envie. E – Et entre… prof des écoles… prof de… du secondaire… ? Non, secondaire, ça me… ça me/ ’Fin, ça me plaisait pas parce que déjà… choisir une discipline je… je savais pas. Et même le public euh… je me serais sentie beaucoup moins à l’aise avec euh… des… des collégiens ou des lycéens. »

Non contrecarrée au fil de l’avancée dans les études et encouragée par ses parents (secrétaire dans une préfecture, ouvrier en maintenance automobile), Julie [7_FR] maintient ce souhait. Elle le conforte en outre par une expérience de travail prolongée dans l’animation (plusieurs étés depuis l’âge de 17 ans) :

« E – Comment vous avez eu envie de… faire et… professeur des écoles et de l’animation, et… ? ’Fin vous… c’est lié ou pas ? Euh… l’animation je me suis dit que… ça allait… euh ben apporter un petit plus aussi pour euh… Parce que/ ’Fin c’est un peu… bête mais c’est… en fait, j’ai toujours voulu être prof des écoles. (Ouais !) Et euh… et je me suis dit ben que de faire de l’animation, ça allait m’aider aussi… déjà de… d’être avec un groupe d’enfants, de gérer ça aussi, même si le contexte est différent parce que c’est… ’Fin voilà c’est… c’est de l’animation, on fait… des projets mais c’est pas vraiment de… ’fin bon, c’est pas de l’éducation. (Hum) Donc voilà. Je me suis dit… “Au moins ça… ça me permettra de mettre un pied dedans, de me rendre compte déjà si avec les enfants le contact passe bien… si… dans la gestion de mon groupe, ça se passe bien.” Et puis… et puis ça m’a vraiment plu et donc voilà. Ça m’a confortée aussi dans le… dans l’idée de… d’être prof des écoles. »

Pour sa part, Chloé [2_SO] nourrit d’abord le souhait d’être vétérinaire et s’inscrit à cette fin dans un lycée agricole privé qui propose une formation en « biologie, écologie » mais aussi des activités en lien avec les animaux (tel le dressage de chiens). Au cours de ses années de lycée, elle revoit son ambition professionnelle, effrayée par la durée des études de vétérinaire. Avec l’aide et les encouragements de son père (éleveur de bovins), elle réalise un stage auprès d’une compagnie d’ambulance, travaille comme aide à domicile auprès d’une ADMR. De ses différentes expériences, ce sont les éléments professionnels ayant trait au « social » qui lui plaisent le plus. Aussi, elle s’inscrit dans un établissement lui permettant de préparer l’entrée en Institut du travail social où elle découvre à l’occasion de stages différents univers professionnels. C’est le métier d’éducateur spécialisé qui a sa faveur et pour lequel elle prépare finalement le concours.

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Qu’elles se soient orientées vers des formations professionnelles « courtes » ou vers des études plus longues, les unes et les autres exercent désormais dans le secteur pour lequel elles ont été formées. Aussi, la présentation des vœux d’orientation comme le fruit d’une vocation peut être lue comme reconstruction. Néanmoins, leur parcours scolaire, des expériences professionnelles, leur entourage et l’assurance (ou la croyance dans la possibilité) d’accéder aux métiers de leur choix près de leur univers résidentiel d’origine se sont bel et bien combinés pour façonner ces devenirs. Tous les métiers auxquels ces formations préparent se caractérisent par le fait de pouvoir être associés à des statuts respectables : apprendre un métier (vs occuper des postes d’exécution non qualifiés) et assurer un service localement, prendre en charge les personnes dépendantes et investir les métiers du care (Skeggs, 2015), s’occuper de l’éducation de la jeunesse.

2.1.3.2. Les orientations par défaut : certaines filières professionnelles et

technologiques Une part non négligeable des jeunes femmes rencontrées témoignent d’orientations scolaires moins heureuses, réalisées plutôt sur incitations professorales au vu de résultats scolaires jugés insuffisants pour accéder aux spécialités envisagées ou en lien avec des aspirations professionnelles encore peu formulées. Elles semblent avoir plus fait les frais d’une gestion des flux scolaires. Les unes se sont vu refuser l’accès à des spécialités choisies et répondant aux aspirations professionnelles précédemment citées. Certaines se sont vu proposer des spécialités proposant un nombre plus important de places (Briand & Chapoulie, 1993). Il en va ainsi de Mariza [34_FR] dont les premiers vœux vers la coiffure (spécialité attractive et sélective) et le CAP Petite enfance ont été insatisfaits (Renard, 2015). Aussi, elle a dû accepter l’orientation en BEP vente (elle a poursuivi en baccalauréat professionnel) et se console par le fait d’avoir pu être scolarisée dans un établissement de proximité :

« Au collège, en troisième, quand on fait ses vœux, c’est treize-quatorze ans par là ? Je crois que c’est ça. J’ai toujours voulu être coiffeuse. À Noël j’avais les têtes-là pour coiffer. Et mon premier vœu, c’était ça. Le deuxième, c’était CAP Petite Enfance et le troisième la vente. Donc le premier, je n’ai pas été prise parce que j’avais 13,99 de moyenne et il fallait 14. Pour un millième ils auraient pu me prendre, mais bon. CAP Petite Enfance, c’était dans l’école La Croix-Rouge à Tours et il fallait avoir des parents boursiers, et mes parents n’y étaient pas. Et le dernier, c’est le dernier qui m’a pris, c’est le lycée à Saint-Aignan donc c’était juste à côté. Ça m’arrangeait au final parce que me lever hyper tôt et rentrer hyper tard quand on est gamin… je vois mon frère maintenant, c’est assez compliqué. »

Angélique [20_FR] souhaitait quant à elle intégrer un baccalauréat professionnel Services aux personnes. Elle en a été découragée à l’occasion d’un stage en raison de « problèmes de santé » (troubles psychomoteurs). Si elle n’a pas suivi les conseils pour une orientation en bac pro Secrétariat médical, elle s’est orientée vers la spécialité Accueil Relations Clients Usagers dans une ville éloignée, le lycée de la ville de proximité ne l’acceptant pas (« j’avais demandé sur Laval, mais j’ai pas été prise vis-à-vis… du dossier. Parce que c’était [nom d’un lycée], ils sont vachement… élevés (Ouais) Et du coup… après c’était ben Mayenne donc j’ai suivi ! [sourire] »). Faute d’être admise en BTS à l’issue de la formation, elle s’inscrit en mention complémentaire Accueil réception hôtel, pour laquelle elle est conduite à se rendre au Mans. Ces conditions et modalités d’orientation sont le fait de jeunes femmes issues des fractions plus précarisées des classes populaires et moins diplômées (même des voies professionnelles), aussi ont-elles été sans doute moins averties et armées pour lutter contre les assignations scolaires. Mais, dans l’enquête, les jeunes femmes sont plus nombreuses encore, qui, au gré de politiques scolaires, ont été orientées en fin de seconde générale vers un bac technologique (spécialité STMG). Elles décrivent alors le plus souvent une orientation par défaut, faute d’accès aux filières générales, un temps escompté. Certaines mentionnent le choc de l’arrivée dans le lycée

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(de la grande ville voisine) suscitant à la fois difficultés scolaires et plaisirs des rencontres amicales nouvelles (Beaud, 2002). Il en va ainsi d’Agnès [21_FR] qui évoque « l’engrenage » du désintérêt scolaire :

« E – C’était lesquels [cours] où vous aviez l'impression, où vous répétiez en fait ? Ben genre quand ça va être des trucs, toutes les matières générales, le français, l'histoire, les trucs qui me paraissaient logiques en fait. […] Bon les maths je galérais, ça par contre c'était une catastrophe. […] Il y avait beaucoup de matières où j'avais du coup des lacunes, où j'avais pas, enfin puis quand tu changes d'école tu changes de niveau et tout enfin c'est, c'était un peu compliqué de se recaler à chaque fois. Et donc du coup ben ouais Troisième donc je l'ai faite machin, j'ai eu mon brevet puis arrivée en Seconde… tu sais puis en plus t'es mélangé, personne a le même niveau, enfin c'est un peu le bordel la Seconde. Quand tu sais pas en plus ce que tu veux faire. Franchement j'ai essayé un peu au début, après j'ai lâché l'affaire. […] En plus la Seconde genre tu fais des matières qui te servent, enfin que t'as pas envie, qui te serviront jamais quoi. Genre la chimie, déjà que je suis nulle en maths, ils me faisaient faire de la chimie, des trucs comme ça, parce que t'as pas le choix en Seconde. Mais je me suis toujours dit ça c'est bien pour ceux qui vont aller en S après quoi. Mais pour des gens qui vont aller en ES ou des choses comme ça ben ça sert un peu à rien quoi. Alors t'arrives en Seconde, t'as déjà pas trop envie, euh t'arrives dans des matières où t'as déjà des lacunes parce qu'au collège de toute façon en fonction des collèges où t'es, t'as pas du tout fait les mêmes choses et c'est des trucs techniques il faut apprendre et tout ben si tu les as pas avant t'arrives t'as déjà deux ans de retard sur les autres donc déjà t'es perdu tu vois. Alors c'était ouais y a des trucs comme ça où c'est une galère. […] Soit y a des matières où toi, ce que t'as fait ben tu l'as déjà vu ou tu l'as survolé machin donc t'as l'impression de te répéter ou de te faire chier et y a des matières où t'es complètement largué parce que ben t'as deux ans de retard par rapport à certains qui étaient plus dans des endroits où c'était plus ces matières-là qu'ils travaillaient, où les profs étaient meilleurs je sais pas quoi, mais, ouais. Et du coup je trouve que la Seconde c'est un peu mal foutu. […] Quand tu vois que t'y arrives pas au bout d'un moment tu lâches l'affaire. Euh puis ben voilà après ça t'aide pas parce que ça te fout une mauvaise moyenne alors que dans d'autres matières ça peut aller. Donc du coup les autres matières tu te dis que toute façon ça sert à rien vu qu'avec les autres matières te faire descendre deux trois points. Après c'est un engrenage hein mais c'est pas, des choses comme ça quoi puis je pense que ouais. Donc Seconde, j'ai repiqué automatiquement du coup. Ben oui puis je, ouais j'étais pas, j'avais pas envie je crois d'aller au lycée, je sais pas, y a un truc qui/ J'étais bien avec mes copains voilà on était bien on se posait au soleil on faisait la discussion toute la journée. Par contre alors je regrette pas hein d'avoir repiqué parce que je me dis vu, enfin les échanges que j'ai pu avoir avec les gens, justement qui eux en plus étaient dans différentes classes et tout enfin c'est, j'ai l'impression d'avoir plus appris en étant pas en cours qu'en étant en cours. […] Franchement on avait des débats des fois j'ai vu, on n'était pas en cours hein, on apprenait ou on débattait beaucoup plus qu'en cours. Et je pense que c'est… E – Sur quoi par exemple ? Ben sur des fois des cours genre l'histoire. Mais des fois on est parti sur l'esclavage, la vie la mort, ah non des vrais thèmes hein, c'est on partait en débat toute une après-midi, on était six ou sept »

Certaines, du fait d’une moindre adhésion à la logique des études longues, d’une moindre familiarité avec l’enseignement, d’une crainte plus forte des sociabilités « déviantes » et d’une aspiration à la respectabilité locale, décident rapidement une réorientation en formation professionnelle. Il en va ainsi de Céline [18_FR] qui, quelques semaines après l’entrée en 2de générale sollicite sa mère pour entrer en apprentissage et préparer un BEP vente (contrat trouvé dans l’Intermarché d’une commune proche) :

« J’ai été scolarisée [dans une commune proche], au collège, et après j’ai été scolarisée une année au lycée [dans une plus grande ville, plus lointaine]. Mais euh… je suis partie du lycée […] parce qu’il est… à l’époque où j’y étais… y a un parc derrière et… y a beaucoup de gens qui buvaient, qui fumaient le joint, qui… Et… au début j’y allais pas. Après… on se fait des potes, machin… On y va et on se laisse tenter ! Et on sèche les cours… J’ai dit à ma mère je dis “C’est mort, je veux plus y retourner au lycée.” Elle me dit “Pour quoi faire ? Pourquoi ?” Ben je dis “Parce que, je vais finir droguée ou alcoolique.” Donc je dis “Ça sert à rien.” (Hum) Je dis “Tu m’enlèves de là, là, tu me mets en apprentissage, là euh… [elle siffle] dans la vente et… basta !” E – Et du coup vous avez fait un apprentissage ?

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Et du coup, ouais, c’est ce que j’ai fait. J’ai été en Gironde […] par contre y a pas de bus scolaire, donc du coup ma mère m’emmenait euh… (Ah ouais ?) Ouais. Une semaine par mois euh… en Gironde et euh… Et après, je travaillais […] à 10 kilomètres d’ici euh… Donc après, j’avais mon scooter, j’y allais en scooter. »

Quand les configurations familiales contribuent à nourrir des aspirations vers les études supérieures et les filières générales tout en facilitant peu l’adhésion au mode scolaire de transmission des savoirs (méconnaissance parentale de ce niveau d’enseignement et décalage avec les demandes professorales lycéennes, urgence économique structurant le quotidien, etc.), les orientations sont plus tardives (post-2de) et plus difficilement tournées vers les filières professionnelles (vécu comme déclassement). L’orientation vers des filières technologiques s’est alors imposée à plusieurs des jeunes femmes rencontrées :

« J'ai fait ma deuxième Seconde, c'était pas terrible non plus […] Refaire une année que t'as déjà faite alors que t'avais déjà pas envie à la base et que tu sais que ça te servira à rien du tout après ben t'y vas pas, enfin quand t'as un peu de liberté on va dire ou que t'es pas hyper bien cadrée comme moi j'étais, enfin j'avais un peu le droit de sortir et tout machin, euh ben t'y vas pas hein tu te prends pas la tête hein, clairement t'y vas pas hein ! Et puis ben voilà donc on repiquait. Après STMG j'ai choisi un peu parce que j'avais pas le choix du coup, parce que moi je voulais aller en ES. (Oui ?) Ben oui, mais forcément avec ma deuxième Seconde ben déjà ils voulaient me réorienter en pro. Et je leur ai dit “Vous vous foutez de ma gueule ? Maintenant que vous m'avez mis en général, que je suis partie dedans, que je sais que je veux aller là-bas, euh vous allez pas me remettre là-bas, c'est pas possible ! Au bout d'un moment faut peut-être arrêter de se foutre de ma gueule”, enfin voilà. Donc je suis passée en commission […] je leur ai dit que toute façon ben voilà, euh je, j'avais pas envie, que j'avais autre chose à faire, que la Seconde voilà c'est, j'assumais totalement hein que j'avais pas été bien en cours et tout machin mais que ben voilà quand je suivais certains cours ils voyaient bien que ça suivait derrière. Comme je leur disais moi y a des matières, ça sert à rien, j'ai pas envie d'y aller, ça m'intéresse pas, enfin voilà. Plus les conditions du coup avec mon papa tout ça qui jouaient aussi un petit peu parce que la deuxième Seconde du coup il commençait déjà à voir des médecins des choses comme ça, pas depuis longtemps quoi. Et donc du coup arrivée en Première ben voilà c'est reparti. J'ai pas été en ES parce que forcément avec le dossier que j'avais c'était juste pas possible mais bon j'en avais conscience. »

Leur discours est sans doute plus empreint d’un sentiment d’illégitimité face à une enquêtrice enseignante à l’Université lorsqu’elles ont aussi été confrontées à l’imposition d’une légitimité scolaire générale en lycée. C’est le cas de Béatrice [17_FR] qui, après avoir redoublé sa seconde, décide d’une orientation en STG, option informatique comme un copain, dans un établissement privé :

« E – Je reviens sur l’orientation scolaire, sur le type de bac que vous avez fait. Comment vous avez décidé ? STG, c’est ça ? Hum. Heu… En seconde j’étais nulle. Moi je n’aime pas l’école de toute façon. E – Depuis… Depuis longtemps. J’aimais pas l’école. Mais je me faisais engueuler par mes parents donc il fallait que j’essaie d’être un tout petit peu à la moyenne. E – Vous n’aviez pas redoublé avant ? Avant la seconde non. En fait j’avais six de moyenne en seconde et on m’a fait redoubler. La deuxième année j’ai eu huit de moyenne. Super. Du coup mes parents ne savaient pas quoi faire. Et moi je sais plus comment on m’a parlé du lycée Saint-Hilaire, de l’internat et de ce qu’ils faisaient là-bas. Et en fait c’était un bac technologique. Je me suis dit : bon je vais pas faire un bac pro, parce que pour mon père c’était hors de question. E – Il ne voulait pas ? Non. Pour lui connotation. Du coup j’ai dit : bac technologique ça peut peut-être passer. C’est passé. Je suis partie faire ma première STG et en terminale option informatique, parce que mon pote faisait ça et moi je ne savais pas ce que je voulais faire. De toute façon je savais que si je disais que j’avais envie de faire ça, je ne pourrais pas le faire. Et comme je voulais partir de chez mes parents, il fallait que je trouve quelque chose qui m’emmènerait loin de chez mes parents. Du coup j’ai pas fait ce que je voulais. »

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Même Margaux [22_FR], qui décrit son orientation dans la vente comme vocation construite familialement témoigne d’un sentiment d’illégitimité par rapport à l’orientation en STG :

« [Les profs] m’ont dit : “On vous voit plus sur…” Enfin c’était pour faire un bac S ou ES. À la base c’était un S. Et ils m’ont dit : “On vous voit plus dans le STG.” Du coup je suis partie [dans un autre lycée] et j’ai fait une première STG, terminale STG. J’ai eu mon bac, après j’ai fait mon BTS [dans le même lycée]. Après il y a la licence qui a suivi. E – Et pourquoi vous faisiez la grimace là ? Vous n’aviez pas envie de faire STG au départ ? Non c’est pas ça. À l’époque on disait que le S il faut être très… les maths, et cetera, il faut être assez bon. Et à l’époque on rigolait en disant que STG ce n’était pas pour les nuls mais “Ne va pas là-dedans, tu vas dans les STG.” C’était le recours quand on ne savait pas où nous mettre. C’est pour ça que je rigole, mais le commercial… Je ne m’estime pas commerciale. J’estime que j’ai la parole facile et j’aime le contact avec les gens. Voilà. Je fais tout à l’instinct en fait. »

Tout se passe comme si, pour affirmer une distance avec l’enseignement technologique, Margaux [22_FR] devait faire valoir l’initiation maternelle à un « instinct » commercial :

« À la base [ma mère] elle n’avait pas fait d’études de commerce et comme moi j’en ai fait mais je n’estime pas que j’ai appris vraiment du commerce, parce que j’étais en continu, pas en alternance. (Hum hum) Non ça c’est vraiment parce que j’ai vu ma mère faire et tout et ça s’est fait comme ça. Tout est vraiment à l’instinct. Je n’ai pas le métier de commerce… Il y en a qui ont ça dans le sang. Il y en a qui seraient prêts à vendre leur mère. Ça c’est autre chose. Mais il y en a qui ont toutes les techniques de vente, qui savent tous les calculs, les machins. Moi, non, pas du tout. C’est tout à l’instinct mais ça marche. Les clients apprécient, ça marche très bien. »

Ainsi, la seule orientation dans une filière supposément « féminine » ne suffit pas à satisfaire les aspirations des jeunes femmes rencontrées. Si certaines spécialités – indépendamment du niveau de diplôme préparé – remplissent ce rôle, c’est qu’elles préparent à des métiers susceptibles de porter une respectabilité au féminin en répondant aux vocations de soin et d’éducation tout en assurant potentiellement un emploi. D’autres spécialités paraissent entachées par leur position dans la gestion des flux scolaires : elles permettent une affectation scolaire de l’ensemble des élèves et satisfont les politiques publiques d’allongement des études. Loin d’être anodine, la poursuite d’études à l’issue du baccalauréat concerne une minorité importante de nos enquêtées reflétant les plus longues études des jeunes femmes d’origines populaire et rurale rendues possibles par certaines conditions familiales, scolaires et professionnelles. Pour autant, les scolarités qui s’interrompent après un diplôme de l’enseignement professionnel court ou du niveau IV sont bien présentes. Elles manifestent tant l’appropriation d’une injonction à l’allongement des études et à la diplômation qu’un attachement aux diplômes professionnels. Quand les jeunes femmes se sont heurtées à des difficultés scolaires voire des conflits avec le personnel enseignant, ou lorsqu’elles ont connu des déstabilisations de la vie familiale, celles-ci n’ont pas pour autant interrompu leur formation. La quasi-totalité d’entre elles sortent diplômées de formation initiale.

2.2. L’appropriation de l’impératif d’insertion professionnelle et la confrontation

à la précarité

2.2.1. Faire avec ce qui est offert à proximité

La durée de transition entre la fin des études et l’accès à un emploi stable s’est considérablement étirée (Papinot, 2016). La stabilité dans l’emploi est reportée. L’enquête ENRJ en témoigne puisqu’à 24 ans, plus de 55 % des jeunes interrogés n’ont jamais signé de CDI. Parmi les jeunes en emploi, la part de ceux en CDI est plus faible chez les jeunes femmes d’origine populaire et rurale qu’urbaine (respectivement 32,9 % et 43,1 %) et chez les garçons (41,5 % et 38,4 %). Les jeunes femmes en emploi d’origines populaires rurales ont plus souvent qu’en zone urbaine contracté un CDD (31,5 % contre 26,3 %) et un contrat aidé (6,9 % contre 4,1 %) où elles sont

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surreprésentées par rapport à l’ensemble des jeunes en emploi. Elles sont plus nombreuses à être en intérim que les jeunes femmes d’origines populaire urbaine (6,2 % contre 4,9 %).

Tableau 8. Type de contrat pour les jeunes en emploi en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %)

Nombre d’habitants

Sexe CDI CDD

Interim, travail

temporaire, saisonnier

Contrat d’apprentissa

ge, professionnalisation, stage

Contrat aidé Sans contrat Ens

Inférieur à 10 000 H

40,6 41,5

24,0 22,9

11,7 13,0

17,3 16,0

2,8 3,2

3,6 3,8 100

F 32,6 32,9

30,4 31,5

8,2 6,2

17,0 16,0

5,1 6,9

6,7 6,5 100

De 10 000 à 49 999

H 39,2 36,5

17,3 21,3

12,9 10,8

21,6 21,9

3,9 4,6

5,1 5,0

100

F 35,2 30,0

34,8 39,6

10,1 7,8

10,1 8,4

2,5 2,5

7,4 11,7

100

De 50 000 à 199 999

H 34,0 36,3

28,9 30,8

11,5 15,2

17,9 10,5

2,8 3,4

5,0 3,9

100

F 32,3 17,4

34,1 49,5

5,4 4,7

15,9 16,6

5,7 3,9

6,8 7,9

100

200 000 et plus

H 37,3 40,0

24,3 24,7

10,7 11,4

16,4 14,5

2,6 2,2

8,8 7,4

100

F 38,4 43,1

23,2 26,3

4,5 4,9

16,7 15,4

2,7 4,1

14,6 6,2 100

Ensemble 37,0 37,2

25,8 28,4

9,0 9,1

16,8 15,2

3,3 3,9

8,2 6,2

100

Lecture : 32,9 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants ont un CDI. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte) ; sous-population des individus en emploi. En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. La majorité des jeunes femmes rencontrées dans le cadre de la post-enquête ne font pas exception et leur entrée sur le marché de l’emploi s’effectue de manière heurtée par l’occupation d’emplois précaires, non qualifiés ou non contractualisés. Seule une minorité connaît de longues périodes de chômage que ne doit pas masquer l’alternance de courtes périodes sans emploi et de courts contrats ou missions (Glaymann, 2012). Si les territoires ruraux ont pu constituer des territoires faisant peu de places aux jeunes femmes peu qualifiées (Arrighi, 2004 ; Sulzer, 2010), le développement d’emplois de service aux personnes et du secteur tertiaire semble, dans les territoires enquêtés, renverser la tendance sans pour autant préserver de conditions d’emploi difficiles et aux marges du salariat (Dussuet, 2016). Dans la post-enquête, certaines connaissent d’abord le marché informel. C’est le cas d’Agnès [21_FR] qui, détentrice d’un baccalauréat technologique (STMG), a mis fin à ses études à 19 ans. Durant deux ans, elle réside entre le domicile de sa mère avec laquelle elle s’entend mal (elle a dû revenir chez elle après le décès de son père alors que celui-ci en avait la garde depuis ses 8 ans), une colocation d’amis dans la ville de son lycée, un couple pour lequel elle travaille comme jeune fille au pair. Parallèlement à la garde d’enfants, elle réalise des extras dans la restauration ou donne, contre son gré, des coups de main à son frère et à son beau-frère dans leur entreprise respective d’élevage de volailles :

« Une ou deux fois, j'ai fait du bagage de poussins. […] La première fois ça s'est mal passé, j'étais malade et tout, parce que c'est quand même dur hein ! Faut y aller pour travailler là-dedans ! Hou ! Et du coup/ E – Sur l'odeur et tout ? Ah ben c'est un truc de… (Ouais) de fous hein, oh là là ! […] Franchement, c'est vraiment horrible. Bon moi j'y avais été plus pour dépanner hein ! (Ouais) Parce que mon frère il m'avait dit… “Il me manque vraiment un gars, tu peux pas venir et tout machin ?” Je fais “Ben moi je veux bien faire, mais moi je te promets rien hein ! J'ai déjà peur des poules alors… !” [rires] C'est pareil, j'en ai

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trouvé une morte ! Ben c'était mort, j'ai vomi, je suis sortie dehors. Impossible de remettre les pieds dans le bâtiment, enfin voilà ! »

Pour sa part, au sortir du lycée (bac pro Vente), Mariza [34_FR] travaille d’abord comme hôtesse de caisse pour un parc d’attraction proche, puis fait des ménages (profitant du réseau professionnel de sa mère) et s’occupe de personnes à domicile rémunérée en CESU, avant de trouver un poste initialement d’agent de service puis, en remplacement, de faisant fonction d’aide-soignante dans un ÉHPAD. D’autres sont entrées sur le marché de l’emploi par le biais de contrats aidés ou de service civique. Ainsi, après ses 6 mois en fac de géographie, Élise [6_FR] profite d’un contrat aidé suggéré par une mission locale pour devenir auxiliaire de vie en service psychiatrique (3 ans). Pauline [24_FR], à l’issue de son bac technologique, voit se succéder des contrats avant de travailler à La Poste, d’abord en CDD (4 ans de CDD avant d’obtenir un CDI dans une agence d’une autre commune) : un contrat d’assistante de vie scolaire dans une école (2 ans), un CDD comme ouvrière dans usine automobile fonctionnant en 3X8 (6 mois), un service civique à Jeunesse au plein air sur un poste administratif (9 mois). D’autres encore accèdent au marché du travail par des CDD et des emplois d’exécution rarement en lien avec leur formation. Faute de trouver un apprentissage pour préparer son BP Coiffure à l’issue du CAP, Marjorie [4_FR] enchaîne les « petits boulots intérimaires et… et tout le tralala » pendant deux ans (hôtesse de caisse). À la fin de son contrat d’apprentissage (BEP vente), Céline [18_FR] débute par du travail saisonnier agricole (déjà pratiqué durant sa scolarité) avant d’être embauchée chez un producteur de pommes local (magasinage/calibrage, puis vente), puis comme serveuse dans le restaurant du frère de son compagnon de l’époque chez lequel elle emménage. De la même manière, Allyson [33_FR] travaille, l’été suivant son baccalauréat (STMG) comme saisonnière agricole, puis trouve un emploi comme préparatrice de commandes chez Amazon. Revenant sur cette période, peu, parmi les jeunes femmes rencontrées, déplorent ces conditions d’entrée dans l’emploi11. La plupart soulignent leur volonté d’accéder au travail, leur plaisir d’en avoir fini avec la formation et de se sentir utile, celui de recevoir un salaire (aussi faible soit-il) permettant une petite autonomie financière et une augmentation des loisirs (achat de vêtements, sorties). Le maintien de la cohabitation parentale ou l’installation avec un conjoint qui travaille leur permet de ne pas trop endurer ce « salaire d’appoint ». Néanmoins, ce sont aussi ces liens qui parfois participent à l’interruption des études et favorisent indirectement ces conditions d’emploi. Ainsi, on l’a vu, Élise [6_FR] met fin à ses études de géographie alors qu’elle s’installe avec son conjoint à plus d’une heure de route de l’université. Son contrat aidé d’auxiliaire de vie se trouve dans la localité du couple. Ces situations leur permettent d’accepter ces conditions d’emploi dont plusieurs ont intériorisé qu’elles étaient désormais le lot de la jeunesse (Glaymann, 2012). Pour autant, plusieurs revendiquent une attitude active face à cette situation. Elles soulignent leur persévérance dans la recherche d’une stabilité. Ainsi, Amandine [3_SO] déclare être passée d’un CDD à l’autre pendant un an avant de trouver un emploi stable. Elle souligne son attachement à trouver des emplois dans le secteur pour lequel elle a été formée (bac pro Esthétique) :

« E – D’accord. Et après le Bac, est-ce que vous avez continué ? Après le Bac non, je suis directement entrée dans la vie active. E – D’accord. Et alors comment ça s’est passé ? Très bien [rires]. J’ai mis quand même à peu près… ouais un an à trouver un CDI. Mais bon, c’est bon. […]

11 C’est le cas de Marjorie [4_FR] pour qui elles coïncident avec une première relation amoureuse jugée « destructrice » à laquelle elle a mis fin.

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E – Entre votre Bac et le moment où vous avez trouvé euh votre CDI, est-ce que vous avez fait d’autres… J’ai fait des CDD ouais hum. […] Oh bah j’en ai fait plusieurs ! J’ai fait six mois aux Sables. […] C’était toujours en esthétique. J’étais toujours restée dans ce milieu-là. Euh… Six mois ouais pareil c’était esthétique. Après j’ai eu un CDI de trois mois, mais y a eu un licenciement économique. Donc là c’était à la Chaume. Et puis après des petits contrats à gauche à droite… »

Élise [6_FR] se saisit de son contrat aidé d’auxiliaire de vie pour apprendre des choses nouvelles qui lui plaisent et réajuster ses aspirations professionnelles. Elle se renseigne auprès de ses collègues sur les possibilités d’emploi et nourrit le vœu de devenir aide-soignante intérimaire. De la même manière, en plus de bénéficier d’un salaire confortable, Mariza [34_FR] découvre avec intérêt le travail en maison de retraite :

« [En ayant assez de travailler en CESU ou au noir] j’ai envoyé un tas de CV, cent CV exactement, n’importe où, n’importe quoi, n’importe quel domaine. Je m’en foutais, je voulais travailler et puis gagner correctement ma vie puisque j’avais dix-neuf ans, je voulais avoir un salaire, un vrai. Et c’est donc là que je suis rentrée pendant un an et demi, même deux ans à la maison de retraite juste à côté de la ville d’à côté en fait. Et ça me plaisait. Au début, elle m’avait appelé en me disant : “On n’a pas besoin, mais on garde votre CV sous le coude”. […] Le vendredi on appelle : “est-ce que vous pouvez venir ? – Quand ? – Tout de suite. – Oui, j’arrive.” J’arrive, elle me fait : “voilà, c’est pour trois semaines de ménage. La fille elle vient d’être en arrêt pendant trois semaines, donc voilà.” Je dis : “D’accord.” Je fais les trois semaines, elle me donne mon chèque, comme quoi j’avais fini mon contrat. Elle me dit : “Les soins, ça vous intéresse ? – Comment ça ? – Aide-soignante non diplômée. – Ouh là là ! je n’ai jamais fait. Moi la seule fois où j’ai habillé une personne, il était un minimum habillé, il n’était pas nu. – Il n’y a pas de souci, tu seras formée pendant une semaine. Si dans une semaine ça te plaît, tu nous le dis et on t’embauche. – Bon bah d’accord.” […] Donc j’ai fait quatre premiers mois de jour, et le reste la nuit en fait. J’ai pu voir les deux décors […]. Le salaire minimum mille neuf cents, puisque j’étais en tant que remplaçante donc j’avais toutes les primes de fin de contrat. Donc mille neuf cents à dix-neuf ans, c’était pas mal, c’était bien. »

Certaines décident aussi de renoncer à leur secteur pour un autre lorsqu’elles trouvent un CDI. Après 3 ans de CDD différents en parfumerie, Justine [31_FR] renonce à y trouver un emploi malgré ses « médaille d’or aux départementales et médaille d’argent aux régionales » en maquillage et soin au concours de meilleur apprenti. Elle décide d’élargir sa recherche d’emploi. D’autres visent à sortir de la précarité ou du chômage en décidant d’une reprise d’études ou d’une entrée en formation. Sur les conseils d’une amie apprentie (en fin de BP), Marjorie [4_FR] frappe à la porte d’une patronne réputée ne pas recruter ses salariées et apprenties sur le physique (Marjorie [4_FR] est convaincue que son apparence l’a empêchée de devenir salariée : elle est ronde, arbore tatouages et piercings), et parvient à signer un contrat d’apprentissage. Loin d’être exceptionnelle, la reprise d’études ou de formation concerne près de la moitié des enquêtées et semble faire partie, pour cette population, du processus d’accès à la stabilité de l’emploi.

2.2.2. Des formations post-scolaires fréquentes : difficultés d’accès à l’emploi et construction d’aspirations tardives plus « ajustées » au marché de l’emploi

L’enquête ENRJ pointe, parmi les jeunes sortis de formation initiale, une part plus importante de jeunes femmes d’origine populaire et urbaine plutôt que rurale envisageant une reprise d’études (28 % contre 21,5 %). De surcroît, dans les communes de moins de 10 000 habitants comme dans celles de plus de 200 000, les jeunes filles d’origine populaire se distinguent (21,5 % contre 23,4 % en zone rurale ; 28 % contre 32,8 % dans les grandes agglomérations). Pour autant, au sein de la jeunesse populaire rurale, les jeunes femmes sont plus nombreuses que les jeunes hommes à l’envisager (21,5 % contre 14,8 %). On peut lire dans cet écart non

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seulement les plus difficiles conditions d’emploi faites aux femmes mais aussi la moins grande résistance des filles à l’égard de l’école. Tableau 9. L’aspiration à une reprise de formation en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %)

Nombre d’habitants

Sexe Oui Non Ne sait pas Ens

Inférieur à 10 000

H 16,2 14,8

62,7 66,9

21,1 18,3

100

F 23,4 21,5

59,3 63,1

17,3 15,5 100

De 10 000 à 49 999 H

15,9 14,2

69,6 68,6

14,5 17,2 100

F 30,3 30,4

47,2 50,1

22,4 19,5 100

De 50 000 à 199 999

H 24,0 27,9

58,9 53,9

17,2 18,2

100

F 30,7 34,7

48,2 46,5

21,0 18,8

100

200 000 et plus

H 24,0 22,0

58,9 64,9

17,0 13,1

100

F 32,8 28,0

47,6 55,0

19,6 17,1

100

Ensemble 24,4 23,1

56,8 60,2

18,8 16,7 100

Lecture : 23,4 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants aspirent à une reprise d’études. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte) ; sous-population des individus ayant arrêté les études. En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Dans le cadre de la post-enquête, exceptées les jeunes femmes encore en études (Louisa [14_FR], Noémie [32_FR]), entrées très récemment sur le marché de l’emploi (Angélique [20_FR]), ou ayant trouvé un emploi correspondant à la formation plus longue suivie (Julie [7_FR], Margaux [22_FR]), les jeunes femmes rencontrées sont passées, au cours de leur transition longue vers la stabilité de l’emploi, par des dispositifs d’insertion les conduisant à entamer une reprise d’études ou de formation. Cela renvoie le plus souvent moins à la faiblesse des niveaux de diplôme obtenus qu’au décalage avec les offres locales d’emploi, aux difficultés des conditions de travail auxquelles elles ont été confrontées qui les ont amenées à aspirer à des réorientations professionnelles (nécessité faite vertu), à la découverte de professions auxquelles elles n’avaient pas pensé prétendre initialement, etc. Néanmoins, il est intéressant de noter que certaines des jeunes femmes qui décrivaient leur distance avec l’institution et les savoirs scolaires, présentent plus positivement ces reprises de formation. Tout se passe comme si l’assurance qu’elles leur donnaient dans des possibilités d’insertion professionnelle plus stables gommait leurs réticences initiales vis-à-vis des savoirs scolaires. Sans doute, l’expérience difficile de l’entrée sur le marché du travail n’est-elle pas pour rien dans ce changement de regard. Pour autant, quelques-unes préparent des diplômes d’un niveau de qualification inférieur au leur (en particulier le Diplôme d’État d’aide-soignante), d’autres, plus nombreuses, préparent par le biais de Pôle emploi ou d’une Mission locale des certifications professionnelles dont la rentabilité sur le marché de l’emploi est plus circonscrite. Lorsque les jeunes femmes sont en couple, ces périodes de reprise de formation sont souvent rendues possibles par celui-ci et négociées en son sein pour permettre un ajustement à des aspirations professionnelles nouvellement construites. À l’issue de son contrat aidé comme auxiliaire de vie, Élise [6_FR] revient sur son refus initial de travailler auprès de personnes âgées :

« J’avais toujours dit à mes parents : “je ne travaillerai jamais avec des personnes âgées, il en est hors de question”. C’est vrai qu’après quand je l’ai découvert, j’ai dit oui. Il faut essayer en fait.

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C’est là qu’on se rend compte que faire des stages, de la découverte… Sinon moi je ne sais même pas où je serais au jour d’aujourd’hui, dans quelle branche. »

Sur les conseils de collègues, Élise s’inscrit via Pôle emploi en formation d’aide-soignante pendant un an avant d’exercer en tant qu’intérimaire. Loin d’être vécues comme des « occupations » ou « substituts » au travail qui susciteraient des résistances, les reprises de formation paraissent aux jeunes femmes rencontrées des occasions à ne pas manquer pour construire des atouts sur le marché de l’emploi. Les reprises de formation vers le diplôme d’aide-soignante sont les plus fréquentes dans l’enquête. Le plus souvent, les reprises de formation interviennent après une accumulation de contrats précaires n’ayant pas donné lieu à une stabilisation dans l’emploi et peuvent conduire à un changement de secteur professionnel. Ainsi, après avoir été AVS, ouvrière intérimaire puis après avoir réalisé un service civique, Pauline [24_FR] se voit proposer par Pôle emploi une formation de 6 mois en comptabilité. À la suite de celle-ci, elle signe un premier CDD à La Poste où elle finira (4 ans plus tard) par obtenir un CDI comme factrice, non fonctionnaire. Justine [31_FR] décide pour sa part d’élargir sa recherche d’emploi après ses trois ans et demi de CDD chez Nocibé (passant d’un magasin à l’autre, d’une ville à une autre). Une connaissance l’informe d’un poste d’assistante de direction dans une chaîne d’hôtels dont l’un des établissements est situé en bordure d’autoroute. Elle postule et est acceptée à condition d’être embauchée d’abord au titre de suivi d’une formation de 3 mois financée par Pôle emploi. Bénéficiant d’un logement de fonction, elle accepte le poste immédiatement bien qu’il ne soit pas à temps plein. Au décès de sa mère (deux ans après la fin de ses études – baccalauréat SMG), Agnès [21_FR] se voit renvoyer par sa mission locale vers une antenne de la grande ville la plus proche. Celle-ci lui trouve temporairement une place dans un foyer de jeunes travailleurs et, en échange de la Garantie jeune, une place dans une formation pour une certification professionnelle dans le secteur du commerce. Agnès [21_FR] s’y accroche espérant ensuite passer son permis de conduire. Les stages qu’elle réalise au cours de sa formation (livraison à domicile de produits surgelés) lui donnent en effet à voir qu’elle trouvera peu de places comme technico-commercial sans cela. Parfois, ces reprises de formation sont rendues nécessaires pour pérenniser l’emploi. Après avoir été gendarme adjoint volontaire pendant 3 ans (« c’était pour voir à peu près le métier de sous-off, si ça allait me plaire. […] Gendarme Adjoint volontaire. En gros, enfin, c’est le plus bas échelon, on est les secrétaires des sous-officiers, on fait les petits boulots. Oui, les petits boulots, mais à un moment ça nous montre ce que ça va donner plus tard, et si ça nous plaît… »), Allyson [33_FR] candidate pour sa part au concours de sous-officier de gendarmerie. Échouant la première fois, elle le retente et l’obtient accédant ainsi à la formation de sous-officier (6 mois) dont elle sort gradée. Pour quelques enquêtées, la reprise de formation fait suite à un retour au chômage après des expériences professionnelles difficiles : soit qu’elles n’aient pu voir leur contrat renouvelé faute des diplômes ajustés, soit qu’elles aient fait face à des conditions de travail les rendant malades. Suite à une loi interdisant les faisant fonction d’aide-soignante dans les maisons de retraite, Mariza [34_FR] s’est vu remercier par son employeur (« il y a une loi qui est passée au mois d’avril 2016 comme quoi il ne fallait garder que les diplômés la nuit. Et moi je travaillais la nuit en fait donc j’ai essayé de savoir s’ils pouvaient me garder le jour et ils m’ont dit : “non, on est déjà trop, c’était la nuit qu’on avait besoin, c’est pour ça qu’on t’a mis là”. Mais il y a cette loi qui est passée donc ils m’ont fini mon contrat. »). Elle accepte alors la proposition de la Mission locale d’une formation de 6 mois d’assistante de vie aux familles par le biais de Pôle emploi. Ne bénéficiant pas d’une expérience suffisante en maison de retraite (2 ans), elle ne peut préparer une VAE pour le diplôme d’aide-soignante. À l’issue de son BTS en informatique (non validé), Béatrice [17_FR] trouve rapidement un CDI comme chargée de clientèle en téléservice.

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Elle y travaille 3 ans et y rencontre son conjoint qui est formateur dans l’entreprise. Après des changements de manager, elle est déplacée dans un autre service où la pression sur les salariés est forte. Évoquant un burn out, elle souhaite ne plus retourner dans cette entreprise et accepte une rupture conventionnelle pour inaptitude. Prise en charge par Pôle emploi et souhaitant se reconvertir, elle parvient à convaincre ses conseillers de lui permettre de suivre une formation en secrétariat médical. Camille [8_FR] pour sa part a réalisé sa licence professionnelle en alternance (Ressources humaines) loin du domicile conjugal. Aussi, lorsqu’elle cherche un emploi, elle prospecte près du domicile où son conjoint s’est installé. Elle ne signe un contrat qu’un an plus tard dans une entreprise sur un poste de secrétaire polyvalente (« J’ai dit : “pas de souci pour un 35 heures au smic.” Ça me faisait un peu mal avec mon bac + 3, sachant qu’en plus à la mairie j’étais payée mille quatre. Je me suis dit qu’il fallait bien se lancer »). Très vite, outre l’ambiance déplorable et le turn over de ses collègues, elle est mise en difficulté : elle effectue des heures supplémentaires non rémunérées, se voit attribuer des tâches qui débordent de sa fiche de poste, devenant assistante des commerciaux tout en étant payée comme secrétaire polyvalente, etc. Les relations avec la directrice se dégradent. Celle-ci veut la licencier pour abandon de poste, en plus de dévaloriser sans cesse ses pratiques. S’appuyant sur ses connaissances en ressources humaines et contactant l’une de ses anciennes enseignantes de licence professionnelle, Camille [8_FR] décide d’appeler la direction du travail pour contester ce motif de licenciement et obtenir une rupture conventionnelle. Ses démarches aboutissent et lui ouvrent des droits à Pôle emploi. Très vite, elle découvre une annonce sur le site de la gendarmerie et, issue d’une famille comptant quelques militaires (oncle et tante, cousins), postule pour devenir gendarme adjoint volontaire (dans l’administration), des CDD renouvelables 5 ans. Ayant réussi les tests de présélection, elle suit ensuite une formation de 6 semaines en école de gendarmerie. Par le biais des formations plus ajustées aux emplois locaux qu’ils proposent, les dispositifs d’insertion contribuent au redoublement de la ségrégation éducative et de la ségrégation professionnelle (Couppié & Épiphane, 2006). Loin de permettre aux jeunes femmes d’échapper aux marges du salariat, ils participent parfois à leur cantonnement.

2.2.3. La satisfaction d’accéder à un emploi « stable » La majorité des enquêtées mettent en avant la priorité qu’elles accordent à se stabiliser dans l’emploi. Cette priorité se perçoit notamment dans un calendrier biographique qui reporte la maternité, mais aussi dans les démarches entreprises pour contourner ou faire avec les obstacles du marché de l’emploi. À cet égard, trois voies apparaissent (l’intérim, l’emploi public, l’indépendance) comme satisfaisant à un idéal de stabilisation pour lequel les jeunes femmes ont pu bénéficier de ressources de l’entourage ou de dispositifs publics. Nous n’évoquerons pas ici les CDI signés par certaines enquêtées dans le secteur privé qui donnent lieu parfois à des conditions de travail particulièrement pénibles (notamment dans l’aide à domicile).

2.2.3.1. L’intérim : un statut précaire qui paraît préserver

Comme 6 autres de nos enquêtées, Élise [6_FR] est aide-soignante. Elle travaille, pour sa part, sous statut intérimaire sur les conseils de ses collègues (« elles ont tellement bien vendu la chose que ça m’a donné envie du coup »). À 26 ans, elle s’estime relativement stabilisée dans l’emploi depuis un an, après 3 ans de contrat aidé et une reprise d’études. Elle possède son diplôme d’État et obtient des missions régulières et souvent longues. Contrairement aux infirmières qui, selon elle, trouvent plus difficilement des missions d’intérim, Élise ne manque pas de sollicitations. Cette longue transition vers une relative stabilité de l’emploi a été rendue possible

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par le CDI de son compagnon (maintenance de machines à café), les dispositifs d’insertion, mais aussi par le report de la maternité perçu comme primordial :

« Moi j’avais mon projet professionnel déjà qui me prenait. J’avais envie de finir ça. Quand on a eu la maison, je me suis dit que j’avais envie de finir les travaux aussi pour avoir vraiment une bonne stabilité. Et puis en fait on se rend compte que le temps passe et si on a tous nos projets à faire avant d’avoir le bébé, on ne l’aura jamais. […] Moi mon projet était terminé, j’avais fait de l’intérim, ça se passait très bien. Je savais que ça allait continuer donc du coup j’étais stable, stable professionnellement aussi. C’est là que le choix s’est fait aussi. […] Je me suis laissé porter par mon conjoint. Maintenant j’en suis super contente [d’être enceinte]. Je me dis que c’est une expérience en plus. C’est une maturité en plus et ça ne m’empêche pas d’avoir gardé ma personnalité. Mon problème c’est que j’avais trop peur d’être comme les autres, à être à fond dans leurs enfants, à parler que de ça. (Ah oui ?) Pour moi c’est une horreur. C’est peut-être pour ça aussi que j’apprécie d’être avec des personnes plus jeunes que moi. Le fait de personnes qui parlent tout le temps de leurs enfants qui sont obnubilées, qui vivent à travers leurs enfants et on n’a pas d’autres sujets de discussion à part ça, moi ça ne fonctionne pas. Je me suis dit qu’il ne faut pas que je sois comme eux. »

Élise valorise le statut d’intérimaire pour lequel elle a opté en soulignant d’une part sa relative indépendance vis-à-vis des structures de soins et d’autre part sa possibilité de découvrir différents secteurs et de nourrir des aspirations à une évolution de carrière (Glaymann, 2012). Elle explique la possibilité qu’elle a de choisir les établissements dans lesquels elle intervient ainsi que ses horaires de travail afin d’organiser ses périodes de repos. Ce statut lui permet ainsi d’échapper aux dysfonctionnements de certaines structures :

« C’était un choix l’intérim, parce que du coup… En ce moment c’est très particulier le contexte. Je ne sais pas si vous suivez un peu les actualités au niveau des maisons de retraite et tout ça, les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. On travaille avec des personnes, on nous donne des heures à bien respecter et tout ça et qu’on ne peut pas particulièrement bien respecter quand on travaille avec des êtres humains quand même. Donc je me suis dit que s’il y a un endroit où ça ne me convient pas et que la politique de la maison ne me convient pas, je peux m’en aller. Et l’intérim c’est ça. En fait, on peut très bien être une journée quelque part, comme le lendemain autre part et s’il y a un établissement qui ne nous convient pas, on a juste à appeler la boîte intérim en disant : “moi je ne me sens pas à mon aise, c’est pas comme ça que j’ai envie de travailler donc cet endroit-là, si c’est possible, vous ne me le remettez pas”. L’agence est respectueuse des souhaits des personnes donc c’est ça qui est agréable. E – Ils ne vous barrent pas du tout… Ah non. Franchement ils sont vraiment très agréables. Ils comprennent. »

Élise est attachée à une société d’intérim spécialisée dans les professions de santé. Par son biais, elle a déjà suivi une formation à Paris (« gérer son stress face à l’agressivité des patients ») au cours de laquelle le formateur tend à valoriser le statut d’intérimaire et confirme son sentiment de relative « liberté » :

« Le formateur il a dit : “J’ai de la chance d’intervenir comme ça, parce que j’ai l’habitude d’intervenir dans les établissements où il y a déjà des difficultés avec les équipes”. Les équipes n’en peuvent plus, elles sont fatiguées. Il dit qu’il y a de l’agressivité entre professionnels. Là il me dit : “J’ai de la chance d’avoir une équipe d’aides-soignants qui me dit que c’est le plus beau métier du monde”. Il dit : “c’est rare, c’est rare”. Maintenant vous allez dans n’importe quel établissement, vous dites à la professionnelle : “Alors, votre métier ?”, il n’y en a pas beaucoup qui vont vous dire : “c’est génial”. Les filles sont fatiguées, fatiguées de leur statut. Il a dit : “en tant qu’intérimaire, oui vous avez une chance. Vous avez une chance, parce que vous avez moins de stress, moins de consignes. Ça se passe mal, vous partez quoi. Ça se passe bien, vous restez.” On n’est pas attitré à un établissement. Par exemple ça se passe mal avec une collègue, on se dit que ce n’est pas grave, on ne reverra jamais cette collègue si ça se trouve. Quand les personnes sont en équipe et que ça se passe mal, c’est tous les jours. […] Du coup ça explose dans l’équipe, ça explose sur les résidents. »

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Par ailleurs, sa confrontation avec des équipes pluridisciplinaires et la réalisation d’une mission de trois semaines comme animatrice dans une résidence non médicalisée pour personnes âgées lui ont permis de façonner le projet d’une évolution vers le métier de moniteur éducateur :

« E – Et du coup comment ça vous est venu l’idée de moniteur éducateur ou d’éducateur spé ? C’est en intervenant dans des foyers de vie pour des personnes adultes, handicapées. Il y a très peu d’aides-soignantes, parce que certains foyers ne sont pas médicalisés. Dès que ce n’est pas médicalisé, les aides-soignantes n’interviennent pas. Moi avec cette facilité que j’ai aux entretiens où ils m’ont dit : “Allez-y, on peut vous faire essayer quelques remplacements”. Là par contre c’est toute une équipe avec des moniteurs éducateurs et des éducateurs spécialisés et je me suis dit que ce n’est pas plus mal aussi le fait de gérer son équipe, de travailler avec les psychologues, avec les infirmières. C’est vrai que l’aide-soignante est là, l’aide médico-psychologique pareille et moniteur éducateur on commence à monter un petit peu. Je me dis que ce serait bien d’évoluer aussi. »

C’est en s’appuyant sur les aspects positifs de ce statut qu’elle parvient à faire avec d’autres difficultés : comme celles de se faire une place dans une équipe déjà constituée, d’être missionnée dans des établissements dont le fonctionnement génère des arrêts de travail12, de prendre une place d’aide-soignante dans un établissement qui ne comprend pas d’infirmière supposée donner les consignes de travail, etc.

2.2.3.2. La stabilité de l’emploi public

Une autre voie de stabilisation et de contournement des difficultés d’insertion se repère parmi les jeunes femmes rencontrées : le recours à l’emploi public (Gollac, 2005). Si elles n’accèdent finalement pas forcément au statut de fonctionnaire, celui-ci attire malgré tout (il en va ainsi par exemple pour Pauline [24_FR], devenue factrice sous contrat privé). Nous nous arrêterons ici sur les parcours de Julie [7_FR] et Allyson [33_FR], respectivement dans l’enseignement et la gendarmerie, qui font suite à des durées d’études inégales. On l’a dit, Julie mentionne son souhait précoce de devenir professeur des écoles. Dans l’enquête, elle se singularise par des études particulièrement longues et donnant accès à niveau I. Outre des résultats scolaires satisfaisants, ces études longues s’appuient sur un soutien parental sans faille rendu possible par une relative aisance financière (des parents en couple, une fratrie de trois enfants, une mère secrétaire administrative en Préfecture, son père agent de maintenance dans un garage automobile après avoir fait l’objet d’un licenciement économique – chauffeur-routier). Si Julie a travaillé dès 17 ans dans l’animation (vacances scolaires et mercredis) pour satisfaire ses loisirs, elle a aussi bénéficié d’un encouragement parental à la poursuite d’études et d’une aide financière. En plus d’une cohabitation prolongée, ils ont financé son permis de conduire et l’achat d’une première voiture, utile pour se rendre à l’université la plus proche (Testenoire, 2006). S’installant avec son compagnon (agent de voierie à la SNCF, rencontré dans l’animation) à la fin de ses études, Julie a également d’abord œuvré à une stabilité résidentielle par l’achat d’une maison en campagne à proximité de ses propres parents et du village d’origine de son compagnon (où celui-ci joue toujours au football). Julie n’étant pas encore titularisée dans une école, le jeune couple a veillé à ne pas acheter trop loin du lieu de travail du compagnon. Ce n’est qu’ensuite qu’ils élaborent un projet de parentalité :

« Ça faisait 5 ans qu’on était ensemble, on venait d’acheter une maison, donc en fait c’était dans la suite… logique des choses. Après… c’est vrai qu’au début, on voulait aussi un peu profiter…

12 « J’arrive dans l’établissement et c’est toujours pareil : “Bonjour, je m’appelle Élise, je suis intérimaire aide-soignante. Je suis là de telle heure à telle heure. Dites-moi ce qu’il faut faire.” Par contre il faut quand même ne pas être timide. (Ben oui.) Le fait d’intervenir dans une équipe qui est déjà soudée, qui est déjà fatiguée, parce que s’ils demandent des intérimaires c’est qu’il y a beaucoup d’arrêts. Donc ils sont en sous-effectif. Nous on arrive toutes pimpantes : “on est là pour vous aider”. Des fois elles sont visage fermé, elles n’en peuvent plus. » (Élise [6_FR])

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ben voyager… Et puis ben ça nous a pris… l’année dernière, en début d’année… où on a commencé vraiment à en parler parce qu’avant moi j’y pensais mais en me disant que, voilà, ça arrivera, pas forcément tout de suite. Et puis au final on a commencé à en parler et puis ben… au début d’année dernière on s’est dit “Bah… On essaie.” Et puis ben au final, ça a pris tout de suite et… et voilà [sourire]. Mais comme on avait tous les deux une situation stable, la maison, ’fin… voilà, c’était… (Ouais) C’était le moment pour euh… pour avoir un bébé. »

Là encore, la maternité survient une fois la stabilité professionnelle acquise. Si Allyson est aussi attirée par l’emploi public, elle y accède par d’autres voies. Elle reconstruit également un souhait précoce de devenir gendarme :

« Depuis l’âge de sept ans, je veux être gendarme, on ne sait pas pourquoi dans ma famille. Pourquoi depuis l’âge de sept ans, je n’en sais rien. J’ai toujours regardé les reportages depuis toute petite. Quand je jouais au gendarme et au voleur, j’étais tout le temps un gendarme. J’ai eu mon Bac STG – maintenant c’est STMG il me semble – et je devais faire un BTS. J’ai annulé la veille de la rentrée, parce que je savais que j’allais passer le concours GAV, donc Gendarme Adjoint Volontaire. Je l’ai eu du premier coup »

Déclarant une moindre familiarité avec cet univers professionnel (sa mère est blanchisseuse, son père travaillait dans le bâtiment), elle évoque tout de même la figure de son grand-père paternel (qu’elle n’a pas connu) lui-même gendarme, et l’encouragement familial dont elle a fait l’objet :

« Mon grand-père [était gendarme] mais je ne l'ai pas connu. […] Il était déjà décédé. Mais sinon non, personne. Donc c'est pour ça que personne ne comprend. Mais après ils sont super fiers de ça. E – Mais c'est vrai ? Ils sont fous de la gendarmerie. Genre ils sont tous venus me voir là pour ma cérémonie le 3 novembre. Donc ils étaient une dizaine à être venus. Il y avait des pleurs. Ma mère elle est super fière, ma sœur, enfin tout le monde en fait, parce que j’en ai vachement chié dans ma vie et d'être arrivée ici en tant que gendarme à vingt-trois ans, oui je pense qu'ils sont super fiers. […] Puis moi aussi, ce n'est pas un boulot que tout le monde fait tous les jours. Ce n'est pas n'importe quoi, donc non. Puis moi, ils voient bien que je suis à cent pour cent passionnée, que je suis à fond dans mon boulot. »

Initiée à la boxe par son père (jusqu’à 10 ans), elle poursuit une activité sportive intense jusqu’au lycée où elle intègre par la petite porte une filière sport-études handball. Passant les tests de présélection de gendarme adjoint volontaire, elle met fin à une scolarité qui ne la passionne pas en satisfaisant au souhait maternel minimal de l’obtention d’un baccalauréat (tout en décevant l’incitation à préparer un BTS). En prenant cette voie, elle se soustrait à l’exigence de diplôme plus élevé pour entrer sur le marché du travail :

« Bon ma mère m'a tuée sur le coup [à l’annonce de la démission de STS]. Mais… E – Ouais. Comment elle a… ? Elle, même si elle savait que la gendarmerie c'était tout pour moi, elle aurait aimé quand même que j'aie un deuxième diplôme, enfin du moins le BTS pour avoir quelque chose sous la main. Mais elle avait tout à fait raison. Je vais peut-être le regretter un jour. Bon au final vu que j'ai réussi sous-off, non. […] Je suis gendarme toute la vie, là c'est sûr, parce que GAV je ne pouvais rester que cinq ans. Si dans les cinq ans je ne passais pas le concours sous-off, j'étais virée de la gendarmerie. Mais là avec un bac dans les mains, tu fais rien de ta vie au jour d’aujourd’hui. Même un BTS ça vaut plus rien. Donc là je pense que j'aurais regretté et ma mère m'aurait fusillée, c'est sûr. […] Et au moins c’est bon, je suis de carrière. Je suis sûre d'avoir mon boulot toute la vie. Même si je veux rester simple gendarme, tant pis je reste simple gendarme toute la vie. Donc là tout le monde est rassuré, c'est bon. Allyson elle est casée. Moi aussi je suis la plus heureuse »

De la même manière que pour Élise et Julie, la projection dans la parentalité ne paraît pas au centre de ce parcours d’entrée dans l’âge adulte. S’installant à la sortie de son école de gendarmerie dans le logement de fonction de sa compagne, elle aussi sous-officier, Allyson envisage désormais d’avoir un enfant :

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« [Ma compagne] elle n'est pas du tout dans l'optique d'avoir des enfants. Elle a vingt-sept ans mais elle ne se sent pas du tout... côté maternel. Pourtant elle a des neveux […] Je pense qu'elle a cette peur-là, je ne sais pas, de ne pas être une bonne mère, alors qu'elle est parfaite franchement cette nana. Je ne vois pas pourquoi mais je ne sais pas. Alors que moi je lui ai dit : “je veux un enfant et je ne vais pas attendre que j'ai trente ans”. J'ai vingt-trois ans, on a le temps. Parce qu'on veut surtout voyager avant, on adore les voyages toutes les deux. Donc on veut surtout profiter de la vie. Et je veux passer le DA, le Diplôme d’Arme pour passer de grade après. Et elle, j'aimerais aussi qu'elle passe l'OPJ. Comme ça, si toutes les deux on est passées de grade, on a ces diplômes-là, alors là notre vie on est refaites quoi. On sera super bien toutes les deux. Au niveau argent on aura ce qu'il faut pour l'accueillir. Donc voilà. Puis moi je me vois… non avec le ventre et tout, complet. Elle le sait. Je pense que petit à petit, là, elle se voit, mais elle veut prendre son temps et elle veut surtout qu'on voyage avant. Donc ça se fera, mais plus tard, beaucoup plus tard que le mariage. »

Pour autant, Allyson met encore au premier plan ses projets d’avancement de grade.

2.2.3.3. L’indépendance contre les discriminations à l’embauche À côté de l’intérim et de l’emploi public, le statut d’indépendant constitue une autre voie de stabilisation dans l’emploi et de contournement des difficultés d’accès au marché du travail. Cela se perçoit dans le parcours de Marjorie [4_FR] qui donne à voir un autre agencement des séquences d’entrée dans l’âge adulte. On l’a vu, après son CAP, Marjorie peine à trouver un emploi comme coiffeuse. Suite à deux ans de contrats précaires dans d’autres secteurs, elle reprend sa formation grâce à la signature d’un contrat d’apprentissage en BP. Elle rencontre son compagnon (menuisier en CDI) pendant cette période qui la soutient fortement dans cette entreprise : ils trouvent un logement à mi-chemin entre leurs emplois, il accepte que certains week-ends soient consacrés à la préparation du brevet professionnel et aux révisions, etc. :

« [La préparation du BP Coiffure] Ç’a été balaise. Ça a été très dur pour moi et euh… Mais bon, j’avais le soutien de mes parents derrière, mon conjoint aussi et euh… je bossais… je planchais des fois… les week-ends aussi et… Et j’ai eu mon examen ! »

Contrairement aux autres jeunes femmes évoquées précédemment, Marjorie conçoit son premier enfant durant cette reprise d’études et accouche peu de temps après l’obtention de son diplôme. Le couple est alors hébergé par les parents de Marjorie afin de bénéficier d’une aide pour la prise en charge de l’enfant, et de réaliser les travaux dans la maison à rénover récemment achetée. À cette occasion, Marjorie prospecte également les salons alentours et décide d’ouvrir le sien pour échapper aux discriminations dont elle pense faire l’objet (Monchatre, 2014) :

« E – Ouais ! Et alors du coup euh… prendre un salon… comme ça, parce que vous avez quel âge ? 26, je vais avoir 26 ans. E – C’est hyper jeune, non ? Ben j’avais 25 ans, oui ! Ouais. Je me suis dit que je voulais attendre d’acquérir un peu d’expérience et je trouvais pas de travail dans le coin… ou… j’étais jugée sur mon physique… en grosse partie… Et puis c’est beaucoup au piston aussi hein ! (Ouais ?) Ouais. Et du coup, je trouvais pas, et puis béh… ça m’a saoulée. Donc j’ai dit, je fais “Ben… je vais me mettre à mon compte !” Voilà. » « E – Je reviens sur euh le… le recrutement et tout, quand vous m’avez dit que vous avez mis longtemps, enfin voire pas trouvé euh… quelqu’un pour vous prendre euh… et pour le BP et après… pour être salarié. Vous disiez c’était sur le physique ? (Ouais !) Vous avez eu des remarques ? Des trucs comme ça ? Ah mais non, les gens, ils ont même pas besoin de faire de remarques. On le voit tout de suite ! À la façon dont ils nous regardent. (Ah bon ?) Ah oui, oui oui. Non ! Ils peuvent pas le dire parce que c’est considéré comme de la discrimination donc euh… après si je voulais, je… j’aurais pu porter plainte et tout. Mais euh… j’ai fait un essai euh… au salon de Super U à La Châtaigneraie… euh je suis restée… trois semaines. C’est moi qui suis partie au bout de trois semaines. Le rythme était infernal… la patronne c’était une vraie connasse ! […] Elle m’avait fait plusieurs

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remarques… Elle dit euh… “Ben allez, plus vite euh !” ou alors “Mets-toi au sport, machin !” Et puis béh y a eu un… E – “Mets-toi au sport” ? (Ouais !) Pourquoi elle disait ça ? Euh… et pourtant, à cette époque-là, j’étais pas aussi forte que maintenant hein ! »

Par le biais du réseau Initiative France, elle obtient un prêt à taux zéro qui lui permet de racheter un fonds de commerce. Elle émarge aussi à des aides de la Chambre des métiers et de la région. Dans une commune proche du village d’origine de son père, elle trouve un salon qui fonctionne depuis un an et demi avec une employée, la patronne coiffeuse ayant changé d’activité. Elle reprend l’affaire avec l’employée qui dispose déjà d’une clientèle. Si elle doit faire face à la concurrence d’un salon dont la patronne est plus anciennement implantée, elle peut aussi faire prévaloir son autochtonie. Certains de ses clients la connaissent ainsi pour être « la fille de Damien » (avant d’être licencié suite à la fermeture d’une usine locale, son père était tourneur-fraiseur, dans la « mécanique de précision »). Conclusion de la partie II Le programme biographique des jeunes femmes rencontrées n’échappe pas aux impératifs d’allongement des scolarités et d’insertion professionnelle. Aussi, par certains aspects, leur modèle de transition vers l’âge adulte s’apparente au modèle masculin qui, dans les classes populaires, fait une place à la qualification et à l’accès au travail plutôt qu’à la parentalité (Testenoire, 2006). Pour autant, pour l’un comme l’autre de ces volets, elles se différencient des jeunes hommes. Concernant l’allongement des scolarités. Non seulement, elles poursuivent plus longuement des études et, lorsque leurs scolarités sont heurtées, elles sortent plus souvent diplômées de formation initiale. La ségrégation éducative les conduit à se former dans des spécialités « féminines ». Pour autant, l’ajustement supposé des réquisits scolaires avec une socialisation sexuée n’est pas toujours effectif. Si c’est le cas pour les formations préparant aux métiers du soin et services aux personnes et de l’éducation, cela apparaît moins massif pour d’autres formations professionnelles ou technologiques « féminines » (la vente, la gestion) où l’orientation semble répondre plus étroitement à la gestion des flux scolaires et aux politiques publiques d’allongement des scolarités. Concernant l’insertion professionnelle. Elles n’échappent pas à la plus longue transition vers la stabilité de l’emploi et à une entrée sur le marché du travail par des emplois précaires. Mais, plus que les jeunes hommes, et notamment lorsqu’elles sont peu diplômées, la division sexuelle du travail les renvoie aux marges du salariat au terme d’une formation initiale ou d’une reprise d’études. La formation initiale ne les a pas toujours préparées à occuper les emplois disponibles mais, en répondant plus étroitement aux offres locales, les dispositifs d’insertion conduisent un certain nombre d’entre elles à revoir leurs aspirations professionnelles initiales au gré de formations qualifiantes qu’elles saisissent comme des opportunités. Cette longue transition vers la stabilité de l’emploi paraît fortement s’appuyer sur les liens familiaux, tant avec les parents qu’avec le compagnon, dont il faudrait approfondir l’analyse. Elle concourt pour une majorité de nos enquêtées à reporter la maternité. Enfin, au regard des conditions d’emploi et de travail dégradées auxquelles la plupart ont affaire, certaines voies de « stabilisation » relative (et à court terme) dans l’emploi apparaissent : l’intérim, l’emploi public et l’indépendance.

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III. Entre construction et renforcement d’un système d’obligations Qu’est-ce qui fait que les jeunes femmes tiennent au territoire, c’est-à-dire à la fois qu’elles y restent (ou y retournent) et qu’elles y sont attachées ? L’enquête réalisée montre que l’on peut comprendre et analyser les trajectoires d’entrée dans l’âge adulte de ces jeunes femmes comme le développement et le renforcement d’un système de liens avec les membres de la parenté, le groupe de pairs, les collègues de travail ou la clientèle, les membres de la communauté locale, qui les lient fortement à leur espace d’origine. Les formes d’interdépendance ainsi établies au sein des différentes configurations dans lesquelles elles se trouvent tenues, les ressources qu’elles y reçoivent comme celles qu’elles apportent, contribuent à rendre difficile (objectivement) et peu souhaitable (subjectivement) le départ. Ce système d’obligations se déploie dans les sphères privées, publiques, amicales ou encore professionnelles ; leur étude est l’objet de cette seconde partie. 3.1. Arrangements conjugaux au foyer : « Il participe aux tâches » VS « je fais mon ménage » 3.1.1. La difficile opérationnalisation des modèles issus des classes moyennes et supérieures Les jeunes femmes rencontrées adhèrent majoritairement au principe du partage des tâches domestiques au sein du couple (Cartier, Letrait & Sorin, 2018). Elles affirment régulièrement qu’elles peuvent compter sur leur conjoint pour le ménage ou le soin aux enfants : « C’est top. Il fait le ménage quand il faut, il fait la vaisselle quand il faut, il fait les machines quand il faut, il fait le repassage quand il faut. » [1_SO]. Cette revendication à l’implication du conjoint dans l’intendance du foyer est affirmée parfois explicitement : « moi je suis une féministe un petit peu. Enfin féministe c’est un mot fort. Mais je ne supporte pas les hommes qui pensent que les femmes sont plus faibles. Les hommes violents… Je ne suis pas quelqu’un qui me laisse faire. Il a du caractère, j’ai du caractère. On s’est trouvés et ça se passe très bien. Il participe aux tâches. Je peux compter sur lui. » [22_FR]. Ayant parfois connu une scolarité plus longue et fréquenté davantage les filières générales que leur conjoint, elles ont intériorisé la norme de l’égalité sexuée au sein du ménage. Certaines mettent en avant ainsi une logique évolutionniste qui opposerait des hommes d’un « ancien temps » et des hommes d’un « nouveau temps », à l’instar de Sabrina [E2_SO] :

« Alex voulait donner le biberon. Il voulait participer aussi, que je puisse dormir la nuit. […] Pour lui c’est logique. […] Il y a des mecs “ancien temps” et des “nouveau temps”. E – Lui il a quand même pas mal aidé ? Ah oui. Il fait le ménage, il fait tout. Alex, il s’occupe de tout. Je le fais aussi. En fait, il n’y en a pas un qui va faire ça et l’autre ne va pas le faire. E – Parce que toi tu fais aussi beaucoup de trucs de bricolage, d’extérieur. Le ménage, il y a des mecs, il est hors de question qu’ils nettoient des toilettes. Alex le fait. E – C’est important pour toi ? Un mec ça doit tout faire. »

Cette revendication rejoint plus largement le discours de l’indépendance des femmes et de la nécessité de ne pas dépendre de son conjoint, qu’arborent de nombreuses enquêtées, et qui s’accompagne de logiques économiques et budgétaires spécifiques, comme la séparation et le partage stricts des dépenses. De manière générale, les jeunes femmes rencontrées donnent à voir une rationalisation des finances, qui se traduit le plus souvent par l’existence d’un compte joint destiné à la gestion des charges communes courantes (loyer, électricité, internet, courses, etc.) et le maintien de deux comptes personnels. Malgré des situations professionnelles souvent

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plus précaires que leur conjoint, elles cherchent à maintenir ce principe d’indépendance financière. C’est le cas d’Elodie, en arrêt maladie suite à un accident de voiture alors qu’elle partait en intervention avec les Pompiers volontaires :

« Même maintenant on se dit qu’on pourrait avoir un compte joint. Vu que pour l’instant je suis en situation financière difficile, vu que je ne travaille pas, je pourrais dire que sur le compte courant, les sous qui sont pour moi je prends et si je n’ai plus de sous je n’oserai pas prendre des sous qui lui appartiennent. Il me dit : “quand même ça va faire cinq ans qu’on est ensemble. – Oui mais je suis comme ça. Ce qui ne m’appartient pas, je n’oserais pas le prendre.” Pour l’instant on fait comptes à part et c’est très bien. »

Ce souci d’autonomie est parfois issu de préceptes maternels, comme pour Laura [E6_SO] :

« ... Il faut que tu te débrouilles toute seule, que ce soit financièrement ou... » Elle m’a dit : « Il faut toujours que tu sois autonome. » Et j’ai toujours été autonome. Même aujourd’hui que je travaille pas je suis auto... Enfin autonome, je vis avec mon conjoint mais on a chacun nos comptes, chacun gère. On partage tout en deux jusqu’au moindre centime. C’est très carré. Mais pour moi ça fonctionne que comme ça. »

Mais si le principe d’autonomie et d’égalité au sein du couple est à la fois intériorisé et revendiqué, dans les faits, les pratiques relatées laissent apparaître une division sexuée des tâches parfois bien réelle. La polarisation genrée de la maison et des objets qui la composent apparaît parfois au détour de la description du logement et de l’origine des différents équipements, à l’instar de l’inventaire fait par Tiffany [5_SO], aide-soignante en ÉHPAD :

« L’ordinateur on l’a racheté. Le bureau on l’a acheté sur Le Bon Coin. Le meuble télé on nous l’a donné. Tout ce qui est dans la chambre, notre lit et notre armoire, c’est ce que Clément avait chez lui. Le frigo on nous l’a donné. Le « congel » on l’a acheté un tout petit prix. L’électro on nous l’a donné. Si, j’ai acheté quand même ma machine et mon sèche-linge. Le meuble de cuisine on l’a récupéré, c’étaient des gens qui le donnaient sur Le Bon Coin. Mais là on repart dans une nouvelle maison, on repart tout à neuf. »

Si certains objets sont neutres socialement, comme « le » bureau, « le » frigo ou encore « le » congélateur, d’autres se révèlent en revanche dans le discours de Tiffany comme clairement féminins, comme « [s]a » machine à laver ou « [s]on » sèche-linge. Celle-ci explique, plus loin dans l’entretien, que lorsque son conjoint est occupé sur l’ordinateur, ou affairé à « son » quad ou à « son » bricolage, elle regarde la télévision ou fait « [s]on » ménage. La maison apparaît donc parfois soumise à un principe de division entre l’homme et la femme (Bourdieu, 1972) qui résiste à la norme dominante d’égalité entre les sexes. Cette assignation préférentielle des femmes à l’entretien de la maison et du soin aux enfants tient pour beaucoup à leur présence plus marquée au domicile, du fait d’une plus grande précarité dans l’emploi, relativement à leur conjoint. Les jeunes femmes rencontrées sont ainsi plus souvent sans emploi, en emploi précaire ou en emploi à temps partiel que leur conjoint. Plus largement, on sait que les femmes sont davantage soumises aux emplois à temps partiels que les hommes, avec un écart plus marqué en zone rurale : respectivement 6,6 % des hommes salariés contre 30,9 % des femmes salariées dans les communes de moins de 10 000 habitants, contre 9,1 % des hommes salariés et 28,8 % des femmes salariées dans les communes de plus 100 000 habitants13. Anaïs [16_SO], propriétaire de son institut de beauté, occupe ainsi son jour de congé hebdomadaire, le lundi, à se charger des tâches administratives et domestiques, les activités de détente se frayant une place entre les courses et le ménage :

« Le lundi, si j’ai rien, moi généralement j’ai toujours mes courses à faire. Si je vais chez ma copine après, je les fais le matin tôt, neuf heures, et après je vais chez ma copine. Mais non, c’est vrai que le lundi, soit le matin je fais mes affaires, je fais mon ménage, je fais des trucs comme ça et après je vais faire mes courses. »

13 Données issues du recensement de la population 2014, INSEE.

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Si Léa [10_SO] affiche un partage plutôt équitable du travail domestique avec son conjoint et annonce qu’il participe franchement aux tâches, lorsqu’elle narre le déroulement de ses week-ends, une dialectique qui oppose d’un côté les activités domestiques féminines et les activités domestiques masculines se fait jour. Et, derrière cet apparent partage, se cachent d’un côté des tâches qui servent le collectif (ménage, lessive, etc.) et de l’autre des tâches qui servent l’individu et la réparation de la force de travail (Schwartz, 1990) (le loisir masculin, en l’occurrence l’entretien des appareils de détection pour l’exemple du conjoint de Léa).

« Le week-end après… soit on va vraiment… prévoir un truc, sinon ça va être euh... Enfin, quand moi j'avais mes week-ends ou là, quand on a nos week-ends ensemble ça va être un petit-déj' tranquillement et puis après… moi, je vais essayer de faire un peu le ménage le matin… lui va essayer de préparer ses trucs, fin son petit bazar ou son garage, tout ça et puis après, on va, on va aller se balader, voir sa grand-mère ou… voir des amis, ou prévoir quelque chose comme ça, des trucs avec nos amis. »

Alertée par l’enquêtrice sur cette partialité, Léa, dans sa défense, donne quasiment l’explication de cette erreur de perception des activités ménagères des femmes ou des hommes. Pour les premières, la dimension presque « naturelle » ou « instinctive » de ces tâches contribue à en euphémiser le poids, tandis que le caractère plus contre-intuitif de l’engagement des hommes dans le soin au logement ou aux enfants, l’érige mécaniquement en effort, et tend à le surestimer : « Généralement moi, je le fais le matin, d’instinct. Je suis lancée et je… Mais lui. quand il a le temps ou quand je suis pas là et qu’on reçoit du monde, il va le faire... ». Dans les représentations, l’implication des hommes dans les tâches domestiques, si elle a progressé au sein des milieux populaires (Cartier, Letrait & Sorin, 2018) et notamment chez les jeunes couples issus de la massification scolaire, conserve malgré tout une forme de subsidiarité. Ceci étant, au sein de nos enquêtées, le niveau de diplôme semble jouer un rôle non négligeable sur le caractère contingent ou au contraire nécessaire de l’activité domestique masculine. Mélanie [29_SO], titulaire d’une L2 de droit (niveau L3), compte parmi les plus diplômées de notre échantillon. Responsable d’un magasin de prêt-à-porter, elle est mariée à un technicien EDF, détenteur d’un baccalauréat professionnel ; ils ont un jeune enfant de 10 mois. C’est sous le signe de l’évidence que le partage des tâches au sein de leur foyer est décrit par Mélanie :

« E – Et sur l’organisation domestique est-ce qu’au niveau du partage des tâches avec votre mari... Oh bah on se partage. Le soir c’est lui qui fait à manger par exemple parce que c’est lui qui arrive le plus tôt. Le weekend du coup c’est moi pour essayer un peu de contrebalancer le truc. Tout ce qui est linge c’est celui qui y pense le premier, qui le fait. Tourner le lave-vaisselle c’est pareil. E – Oui vous essayez de faire ça de manière assez égalitaire ? Oui voilà, on essaie de le faire quand on y pense le premier quoi. Et puis si c’est toujours un peu le même qui y pense le premier on rappelle l’autre en disant : “Ça fait longtemps que t’as pas fait tourner le lave-vaisselle.” Mais c’est tout. En général ça se fait facilement. Même pour s’occuper de lui... »

En revanche, pour les jeunes femmes les moins diplômées, la participation des conjoints au ménage est parfois considérée comme une forme de transgression de genre, à l’instar de ce qu’explique Céline [18_FR], ouvrière non qualifiée au chômage, diplômée d’un BEP vente et d’un CAP Petite enfance, en couple avec un ambulancier. Malgré la présence durant l’entretien de sa belle-mère, qui cherche à montrer que son fils sait faire certaines tâches (lessive, cuisine), Céline défend une vision très séparée des rôles masculins et féminins au foyer :

« Bon, après le ménage je lui demande pas non plus. Je préfère le faire moi. Je sais comment je le fais. Non et puis lui il a d’autres choses à faire, il a pas à s’occuper de l’intérieur. Lui il s’occupe de l’extérieur c’est tout. E – C’est quoi du coup l’extérieur ? On a un jardin, il s’occupe des chiens […] il s’occupe du garage, il va bricoler, mais il a pas à s’occuper de l’intérieur. Il a pas à faire le ménage, il a… Non, c’est pas son rôle [rire] […] Ouais, c’est pas son rôle. Belle-mère – C’est une fille, elle veut faire tout. Bah oui.

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Je suis peut-être con, mais enfin non, je trouve que c’est pas son rôle de faire le ménage. C’est comme la cuisine, je trouve que c’est pas à lui de faire la cuisine. Bon même si des fois je lui demande de faire la cuisine. Belle-mère – Pourtant Benjamin il aime bien faire la cuisine. »

Si l’implication des jeunes femmes dans les tâches domestiques demeure plus importante que celles de leur conjoint en pratique, celles-ci vont parfois développer des tactiques pour alléger le poids de ces contraintes et résister à l’assignation au foyer. Elles vont également parfois contribuer à transformer la réalisation de ces tâches en mobilisant des savoirs et des savoir-faire issus de leur scolarité. 3.1.2. Résister à l’assignation au domestique : l’importance de la famille maternelle Les soutiens familiaux permettent aux jeunes femmes de ne pas rester cantonnées aux tâches domestiques et de gérer d’autres impératifs comme la poursuite des études, l’exercice d’un emploi ou l’accès à l’indépendance matérielle, dont on a vu dans la première partie de ce rapport combien ils occupent une place centrale. En effet, la proximité au domicile parental, pour une partie d’entre elles, leur permet d’y puiser un certain nombre de ressources matérielles et sociales (don de nourriture, repas pris en commun, garde d’enfants, etc.). Pour rappel, au sein de notre échantillon (n=45), 16 jeunes femmes résident encore chez leurs parents (dont 7 re-cohabitantes14 après une période de vie indépendante, une vit chez sa mère avec son enfant de 7 ans et une vit chez son père avec son compagnon), 14 vivent à moins de 10 kilomètres de chez leurs parents, 6 entre 10 et 50 kilomètres, et 9 à plus de 50 kilomètres. Ce relatif immobilisme géographique des jeunes femmes d’origine populaire en milieu rural est corroboré par les résultats de l’enquête ENRJ 2014 qui montrent qu’il s’agit d’une spécificité à la fois sociale, genrée et territoriale. Ce sont ainsi 55,7 % des jeunes femmes de classe populaire (hors celles qui vivent chez leurs parents), résidant dans les communes de moins de 10 000 habitants qui vivent à moins de 50 kilomètres de leurs parents, contre 45,8 % des jeunes femmes de classe populaire résidant dans les très grandes agglomérations, ou encore 48,3 % des jeunes hommes des classes populaires des communes rurales.

14 Sur la question des pratiques de re-cohabitation juvénile, nous renvoyons aux résultats d’une autre post-enquête qualitative associée à l’enquête ENRJ 2014 : REVERSEJ : « Réversibilité et irréversibilité dans les trajectoires de décohabitation des jeunes adultes » (janvier 2016-décembre 2017) (Maunaye E. (resp.), Muniglia V., Potin E., Rothé C.) https://www.ehesp.fr/wp-content/uploads/2012/11/Fiche-de-pr%C3%A9sentation-REVERSEJ.pdf.

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Tableau 10. Distance au domicile parental selon le sexe, l’origine sociale et la taille de la commune (en %) Nombre d’habitants < 50 km < 50 km Femmes Hommes Ensemble Classes populaires Ensemble Classes populaires

Inférieur à 10 000 49,8 55,7 40,9 48,3

De 10 000 à 49 999 50,6 59,1 33,2 37,3

De 50 000 à 199 999 44,7 57,7 31,3 44,0

200 000 et plus 37,0 45,8 28,1 34,0

Ensemble 43,3 52,8 33,2 40,5

Lecture : 55,7 % des jeunes femmes appartenant aux classes populaires et résidant dans une commune de moins de 10 000 habitants, vivent à moins de 50 kilomètres de chez leurs parents. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte) ; sous-population des individus résidant dans un logement indépendant de celui-ci de leur parent. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Cette proximité géographique est servie par la mobilisation explicite par les jeunes femmes de capitaux d’autochtonie (le fait d’être du coin ou le recours au réseau social de leurs parents) qui leur donne accès à des biens immobiliers (pour louer ou acheter). Laetitia [23_SO], aide-soignante en ÉHPAD, vit ainsi juste en face de ses parents, dans une maison dont la propriétaire fait partie de leurs amis : « Mes parents habitent juste en face. Là c’était l’occasion la maison, c’est des amis qui la louent, donc c’était le bon plan. ». Ou encore, Anaïs [16_SO], propriétaire de son institut de beauté, a racheté la maison de ses grands-parents, au moment où ils ont été placés en maison de retraite :

« Mon grand-père a été placé en ÉHPAD unité d’Alzheimer, […] en 2012 ! Et donc du coup, ma grand-mère est restée [dans la maison]. Donc du coup, au début ça nous, enfin ça nous dérangeait pas puisque moi, mon ami était encore à l’armée donc on s’est dit de toute façon euh… Donc on l’a acheté quand même en 2014, parce qu’ils avaient besoin d’argent par rapport à l’ÉHPAD parce que ça coûte très cher. Et on a dit, on laissait deux ans à ma grand-mère pour rester dans sa maison. Parce que du coup, lui, il lui restait deux ans d’armée. Donc on a dit à ma grand-mère, fin’ on avait dit au notaire, on laisse encore deux ans à ma grand-mère. Et après bah, faudra la placer ou euh, puisque ma grand-mère était quand même très fatiguée. Elle avait un problème de cœur, elle est… Et puis t’façon, elle est partie un an et demi après parce que, elle pouvait plus se, être toute seule. Elle pouvait pas se doucher, elle commençait à avoir Alzheimer. »

Céline [18_FR], ouvrière non qualifiée au chômage, en couple avec un ambulancier, relate une trajectoire résidentielle qui la fait revenir dans son village d’origine, en Charente-Maritime, à la faveur du don d’un terrain par sa mère et à l’issue d’un éloignement géographique assez relatif :

« E – Comment vous êtes revenue à Joanneaux ? Parce que c’est mon pays natal enfin ! [sourire] E – Ouais ! Et pourquoi vous en étiez partie ? Comment ça s’est passé ? Euh parce que j’ai rencontré mon conjoint et du coup je suis partie d’ici pour habiter avec lui. On s’est rapprochés. E – Parce que lui il habitait… Il habitait pas loin, à 10 kilomètres. Mais après on s’est rapprochés de son travail. Et puis du coup ma maman va nous donner un terrain pour construire. Donc on a dit “Bah c’est le moment de déménager, de revenir sur Joanneaux jusqu’au moment de faire construire.” Du coup, c’est pour ça qu’on est revenus ici. »

Cette proximité géographique est souvent justifiée par les relations « fusionnelles » qui lient les jeunes femmes à leur mère (parfois à leur grand-mère) et qui rend impossible à leurs yeux de partir vivre loin. Marjorie [4_FR], propriétaire de son salon de coiffure, se décrit comme « très

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famille » : « Mes parents, c’est toutes les semaines. Moi mes parents, c’est toutes les semaines. Mon conjoint est beaucoup beaucoup beaucoup moins famille que moi ! ». Laura [E6_SO], assistante de direction en arrêt maladie invoque une « relation très fusionnelle » avec sa mère, qui l’empêcherait de partir vivre loin de la Charente. Elodie [1_SO], aide à domicile en arrêt maladie, revendique un lien très « fusionnel » avec sa grand-mère, qui vit dans le même village qu’elle et à laquelle elle va rendre visite tous les jours. Tiffany [5_SO], aide-soignante en ÉHPAD, qui habite avec son conjoint à cinq kilomètres de chez ses parents, précise, à propos de sa mère, qu’elle « ne passe pas une journée sans l’appeler » et qu’elle « ne passe pas une semaine sans aller la voir ». Les données de l’enquête ENRJ confirme ces observations : la proximité tendanciellement plus forte des jeunes femmes de milieu populaire et rural au domicile de leurs parents fait qu’elles leur rendent visite également plus fréquemment : 14 % d’entre elles voient leurs parents tous les jours contre 3,4 % des jeunes femmes d’origine populaire des très grandes agglomérations ou 8,7 % des jeunes hommes d’origine populaire et rurale. Tableau 11. Fréquence avec laquelle le jeune voit ses parents en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %)

Nombre d’habitants Tous les jours Plusieurs fois par semaine Femmes Hommes Femmes Hommes

Inférieur à 10 000 11,3 (14,0) 6,6 (8,7) 24,3 (26,9) 16,5 (18,8)

De 10 000 à 49 999 7,8 (7,4) 3,7 (6,3) 19,1 (23,8) 9,4 (10,5)

De 50 000 à 199 999 10,1 (16,1) 5,6 (4,7) 15,9 (15,7) 8,4 (22,4)

200 000 et plus 3,0 (3,4) 2,8 (2,7) 11,6 (16,3) 7,6 (7,6)

Ensemble 6,8 (9,2) 4,4 (5,2) 16,4 (20,6) 10,5 (13,2)

Lecture : 11,3 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants voient leurs parents tous les jours. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte) ; sous-population des individus résidant dans un logement indépendant de celui-ci de leur parent. En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Malgré sa prégnance dans les discours des enquêtées, l’explication psychologisante – en termes de lien fusionnel – ne constitue bien évidemment pas l’explication de cet immobilisme résidentiel repéré chez ces jeunes femmes et reste ce qu’il y a à expliquer. Ces formes de matrilocalité s’inscrivent dans un système de solidarité au sein de la parenté et sont à la fois ce qui rend possible des aides financières, matérielles ou symboliques de la part des parents envers leur fille, mais aussi des pratiques de contre-dons et de rétributions de la part des filles envers leurs parents (Young & Willmott, 2010 [1957] ; Blanchy, 2012). Anaïs [16_SO] n’aurait ainsi pas voulu « que ce soit quelqu’un d’autre que [s]a mère qui garde [s]on enfant. ». Laetitia [23_SO] peut compter sur ses parents pour aller récupérer la fille de son conjoint à l’école chaque jour. Les services rendus par les parents permettent ainsi aux jeunes femmes de concilier maternité et emploi, mais aussi parfois une forme d’indépendance économique et financière à l’égard de leur conjoint. Anaïs [16_SO] actuellement en difficultés financières à cause des charges de son institut de beauté, bénéficie du soutien de sa mère et de sa sœur, qui font régulièrement des courses pour elle.

« Quand elles font les courses avec ma sœur toutes les deux, et qu’elles voient les promos : deux plus trois gratuits, enfin deux plus un acheté… Généralement, elles vont me l’acheter. E - Elles vous prêtent des choses aussi ? Oui bien sûr ! Donc après, c’est vrai que… Ça a toujours marché comme ça aussi donc... E - Et ça va, vous le vivez bien, ça ne vous dérange pas que... Ah si ! Moi, j’aime pas ça !

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E – Vous n’aimez pas ? Moi, j’aime pas quand ma mère, elle me paye des courses, mais bon après quand on n’a pas le choix, on n’a pas le choix. La dernière fois, elle m’a payé, elle me payait. Je lui ai dit « Bon écoute, si tu veux faire des courses, au moins achète pour Amaury [son fils] ! »

En retour, les filles s’adonnent fréquemment à des activités avec leur mère. Tiffany [5_SO] se rend ainsi chaque semaine à la piscine avec sa mère. Elles se prêtent également du matériel ou des équipements, comme l’appareil à lumière pulsée pour l’épilation définitive. Enfin la mère de Tiffany a pu compter sur sa fille lorsqu’il a fallu se charger de l’organisation des toilettes puis des obsèques de sa grand-mère en fin de vie : « C’est moi qui ai tout assuré avec ma maman ». Cette prégnance du lignage féminin au sein de notre enquête n’est pas sans effet sur le conjoint. La proximité de la famille de la femme va souvent conduire à une intégration forte de ce dernier, comme c’est le cas pour Alban, le conjoint de Tiffany [5_SO], qui est traité sur le même plan que Tiffany et son frère par sa belle-mère :

« Ma mère, au jour d’aujourd’hui on est trois avec Alban, elle fait pour tous les trois pareils. À Noël, si l’un a cent euros, les trois ont cent euros et pourtant Alban c’est pas leur fils. »

Cette intégration dans la lignée féminine passe aussi souvent par le développement d’une relation privilégiée entre le conjoint et le père de la jeune femme. Alban partage ainsi des moments et des activités avec son beau-père, avec ou sans la présence de Tiffany : ils s’appellent régulièrement, se rendent visite notamment à l’improviste :

« Alban passe beaucoup de temps avec mon père, parce qu’il a une relation compliquée avec son père. Son papa fait partie des gens du voyage, ils ont une relation assez compliquée. Alban vit avec mon père ce qu’il n’a pas vécu avec le sien pendant des années. Il est très proche de mon père. Ils font la pêche, la chasse, le bricolage. […] Mon père vient trois-quatre fois dans la semaine voir Alban ou Alban va là-bas. […] C’est vrai que souvent le soir je débauche à vingt et une heures. Ils sont là tous les deux. Ils font le jardin, la moto… […] Oh des fois je rentre, ils sont encore dans le garage. »

On retrouve le même type de configuration dans le cas d’Anaïs [16_SO], dont le conjoint, en reconversion avec plusieurs années passées dans l’armée, a trouvé un emploi de soudeur dans la même entreprise que le père d’Anaïs :

« Ils sont toujours en train de se chercher avec mon père. Ils sont toujours en train de se chercher ! Ah oui, oui ! Très, très, très souvent ! […] Ils s’envoient des pics, ils sont toujours en train de se chamailler, de... Mais c’est vrai qu’avec sa famille, il sera pas pareil. Même pas rapport à son père, je trouve qu’il a pas le même comportement avec son père qu’avec mon père. E – Et ils font des choses tous les deux avec votre père ou... Ah oui, ça leur arrive… Ils vont au foot, ils vont au rugby. Ils vont voir des matchs de rugby. E – De la Rochelle ? Ouais ouais. Donc si, si. Ah si, si, ils s’occupent. Ou alors quand il y a du bricolage à faire, ils sont toujours en train de bricoler tous les deux ou alors ils vont dans un magasin de bricolage ou… Ah si, si, si ! »

Ces relations de confiance qu’accordent les beaux-pères à leur gendre impliquent en retour, de la part de ces derniers et sans que cela soit explicitement formulé, des formes d’obligations vis-à-vis de leur conjointe et de sa famille et contribue, d’une certaine manière, au contrôle du conjoint et de ses fréquentations. D’abord, les moments passés avec le beau-père sont autant de temps qui ne sont pas passés avec d’autres amis, à l’extérieur ou à l’intérieur du foyer, et qui ne seraient pas forcément appréciés de la jeune femme (Clair, 2011). Tiffany [5_SO] indique ainsi qu’Alban, en venant s’installer avec elle, à proximité de ses parents, a complètement cessé de côtoyer ses anciens amis, qui passaient beaucoup de temps à boire : « Ça se fait qu’il avait des

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copains qui pensaient beaucoup à boire à l’époque. Alban, quand il s’est mis en couple, on est partis, on est venus ici. Il est passé à autre chose et les autres ça ne leur a pas plu ». Ensuite, l’intégration du conjoint à la famille de sa compagne peut lui conférer des devoirs vis-à-vis de sa nouvelle fratrie. Alban tient ainsi un rôle de conseiller auprès du frère de Tiffany [5_SO] : il est « très proche d’Alban. Il fait du quad avec Alban. Il chasse avec lui. ». De même, le petit frère d’Elodie [1_SO] jouait au football dans la même équipe qu’Éric, le conjoint d’Elodie, au moment de leur rencontre, puis Éric a décidé de changer de club pour retourner dans celui où il jouait initialement, et a entraîné avec lui son beau-frère. Dans le cas de Marjorie [4_FR], sa famille tient également lieu d’instance de régulation des sociabilités du conjoint, sans que cela ne prenne les traits d’une démarche coercitive et explicite. Ainsi, les fréquentations que le couple qu’elle forme avec un ouvrier menuisier sont resserrées autour des « amis de la famille » : à côté de la sœur aînée de son conjoint, figure à une place cruciale son propre petit frère (employé dans la restauration) avec lequel Marjorie déclare entretenir une « relation fusionnelle ». Si les activités partagées sont alors parfois non mixtes – son conjoint et son frère s’amusant à tirer avec des pistolets à plomb dans le bois qui entoure la maison – Marjorie fait de son conjoint une figure tutélaire de son petit frère, instituant des relations d’interdépendance et d’obligations mutuelles. Plus largement, si les pratiques festives au domicile restent marquées par l’empreinte des hommes et si l’apéritif demeure une prérogative largement masculine15, l’enquête donne à voir des tactiques mises en œuvre par les jeunes femmes pour ne pas rester cantonnées au rôle de surveillantes des consommations et des querelles (Coquard, 2016). Romane [E1_FR], technicienne de laboratoire, indique par exemple comment, lorsque les habitudes de répartition spatiale sexuée se réalisent, elle et ses copines insistent pour que des changements de places s’opèrent et que les discussions masculines et féminines puissent être mêlées. Les femmes jouent ainsi le rôle d’entrepreneurs de cause au sein des sociabilités amicales. Chloé [2_SO], éducatrice spécialisée dans un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), plaide également pour la rupture avec la division genrée de l’espace festif :

« Je sais que par exemple quand y’a une partie de palets, beh les garçons vont faire leur partie de palets, les filles elles restent à l’intérieur. On va rester à l’intérieur, on va discuter, ou on va faire un jeu. Je sais que dans le groupe de groupe de mon compagnon par exemple, quand les garçons font du palet, les femmes elles restent avec les enfants par exemple et les filles elles restent avec les enfants, c’est qu’il y en a trois ou quatre qui sont maman donc elles restent avec leurs enfants. Donc voilà. Mais moi j’ai toujours connu ça. Alors après je suis pas très pour, je suis pas très adhérente à ça, mais voilà, j’ai tendance à plutôt essayer de me mélanger, à essayer de parler à tout le monde, mais… ou alors aller plus souvent vers les garçons, parce que je trouve que c’est plus naturel, c’est plus facile ! »

Ces pratiques visant à subvertir l’ordre du genre sont d’autant plus présentes que l’enquêtée a un diplôme élevé. 3.1.3. La gestion de la maternité La proximité à leur famille permet aussi à ces jeunes femmes d’avoir une plus grande maîtrise de leur calendrier biographique, du fait du soutien qu’elles peuvent obtenir de leurs parents. Si certaines d’entre elles accèdent à la maternité relativement tôt (vers 20 ans), c’est parfois moins en lieu et place d’une carrière professionnelle qu’en vue de celle-ci. Ces jeunes femmes parviennent ainsi à gérer l’injonction à la maternité et l’importance du métier, en ne cherchant pas toujours à combiner les deux, mais en les désynchronisant et en les envisageant parfois l’un après l’autre. Emilie [12_SO] et Sabrina [E2_SO] conçoivent ainsi toutes les deux leur

15 Chloé [2_SO], éducatrice spécialisée : « Après mon compagnon il voit un petit groupe de copains tous les jeudis soirs. Ils ont l’apéro du jeudi soir. »

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maternité précoce (21 ans pour la première et 20 ans pour la seconde) non par en opposition à l’investissement dans une activité professionnelle mais en faveur de celle-ci. Emilie [12_SO], coiffeuse dans un salon situé dans un village voisin, affiche clairement ses ambitions professionnelles et sa volonté de devenir responsable d’un salon de coiffure :

« Je voudrais être responsable de salon, en fait. Et je veux pas avoir des enfants en bas âge lorsque je serai responsable. En fait, d’où l’intérêt de faire des enfants jeunes. Et puis après pouvoir s’occuper de sa carrière. E – D’accord. Oui, donc c’est important pour vous votre carrière professionnelle ? Oh j’aime mon boulot donc oui [rire]. C’est vraiment… Ça, c’est quelque chose qui m’importe beaucoup. Après je veux que lorsque je serai responsable, qu’ils soient autonomes en fait, ils auront 12 ans, enfin 10 - 12 ans. Et comme ça je pourrai après… pas les délaisser, mais bon... les laisser grandir tranquillement pendant que moi je travaille un peu plus. »

Si la maternité constitue bien malgré tout un moratoire à la carrière professionnelle féminine (et n’interroge en revanche à aucun moment la carrière masculine) et que rien ne garantit que les ambitions affichées se réalisent effectivement, il nous semble néanmoins intéressant de souligner comment les jeunes femmes cherchent à faire en sorte que les enfants ne soient pas complètement un obstacle et qu’ils ne signent pas à éloignement durable de la vie professionnelle. Cela confirme l’importance pour ces jeunes femmes de chercher à tenir ensemble les différents impératifs sociaux qui pèsent sur elles, à savoir la scolarité, la maternité et l’emploi. Elodie [1_SO], 22 ans, enceinte de son premier enfant, donne à voir ces attentes qui pèsent sur les jeunes femmes et qui les enjoignent à assumer plusieurs rôles à la fois. Après avoir évoqué le fait qu’il y a beaucoup de préjugés à propos des femmes qui ont des enfants jeunes, elle précise :

« En fait les gens ne me jugent pas parce qu’ils savent que je n’ai pas les deux pieds dans le même sabot. Ils savent que là j’ai eu mon accident, mais que j’ai toujours travaillé, que je suis une battante. Du coup, je serais une personne qui aurait fini mes études, qui travaillerait pas, qui profiterait, là je pense que… Mais vu que je ne suis pas comme ça, ça se passe bien. »

Lorsqu’elle explique la façon dont elle se projette après l’accouchement, cette forme de double bind s’exprime également :

« E – Après votre accouchement, le but c’est de reprendre le travail ? C’est ça. E – Dès que possible ? Mmh. Je pense que je ferai mon congé et dès la fin de mon congé, allez hop ! Après je me dis que ça fera un an que j’ai été arrêtée, dans un sens je veux reprendre, mais je veux profiter du bébé. C’est compliqué, mais rester chez soi… Moi je ne suis pas comme ça. […] Ce n’est pas mon tempérament. »

Là encore, sans présager de ce que ces jeunes femmes feront effectivement et sans pouvoir anticiper sur la façon dont elles parviendront ou non à s’extraire de certaines contraintes (domestiques, maternelles) qui vont peser sur elles et qui risquent de venir jouer contre leur activité professionnelle (Stettinger, 2018), il semble intéressant de souligner l’importance de cette norme de la conciliation, très présente chez les jeunes femmes rencontrées. Cette norme est à la fois le produit d’une enfance où elles ont souvent vu leurs mères travailler et qui leur ont transmis le sens de l’indépendance, mais aussi le résultat encore une fois d’une scolarité prolongée qui érige l’insertion professionnelle comme objectif premier. Dans leur approche du rôle éducatif, les jeunes femmes rencontrées sont également travaillées par leur passage par l’école et cherchent à mettre en œuvre des « bonnes pratiques » (Geay & Humeau, 2016) dans l’éducation et le soin aux enfants, dans l’alimentation, etc. appuyées sur des savoirs et savoir-faire acquis en formation ou dans le cadre de lectures informatives

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(internet, psycho magazine, etc.), et non plus seulement sur des façons de faire transmises et partagées entre les générations (Gojard, 2010). Leur prise de distance avec les prescriptions maternelles trouve à s’appuyer soit sur des savoirs et des savoir-faire éducatifs appris dans le cadre de leur formation, soit sur leur familiarité avec l’écrit et leur recours aux ouvrages spécialisés pour répondre à telle ou telle question, auxquelles elles ont été habituées notamment lorsqu’elles ont fait des études supérieures. Elodie [1_SO] n’éprouve ainsi pas d’appréhension face à l’arrivée de son premier bébé. Elle a pu en effet développer un certain nombre de compétences, dans le cadre de son baccalauréat Services à la personne, qu’elle entend transposer pour le soin de son enfant :

« E – Vous n’avez pas trop d’appréhension sur votre futur rôle de maman ? Non. Déjà les études m’ont aidée, parce qu’on a vu le développement de l’enfant. On a vu pas mal de trucs. E – C’est dans votre formation au bac pro ? […] Oui. On a fait le bain de bébé […], l’alimentation. Ce qu’il faut, ce qu’il ne faut pas. Ce qui est bon pour le développement de l’enfant. »

Mélanie [29_SO], s’étant arrêtée en 3ème année de licence de droit à l’Université, à la suite d’un baccalauréat littéraire, a un usage facile des livres et se tourne aisément vers eux lorsqu’elle a besoin de conseils, pour l’éducation de son fils de 10 mois :

« E – Vous lisez quoi comme [livres] ? Un peu de tout. Là on est plus focalisés enfance-éducation. E – Ah oui c’est vrai ? Depuis la naissance de Calvin. Oui, un peu plus tout ce qui peut être intéressant... E – Vous achetez beaucoup de livres sur l’éducation et tout ça ? Oui. E – D’accord. Mais c’est quoi alors ? C’est des livres pour vous aider à comprendre je sais pas, le développement de l’enfant ? Oui ça peut être plein de choses. J’ai lu un livre récemment sur le sommeil, les cycles de sommeil, savoir comment ça marche. C’est vrai que moi c’est le premier, j’ai pas eu de petit frère ou de petite sœur. On m’a confié mon fils à la maternité en me disant : “Allez-y”. Donc j’ai pris les bouquins... voilà. J’ai pompé là-dedans. Quand j’ai une question, un truc, soit je demande à ma mère, soit je regarde dans un bouquin. Et du coup j’ai toujours deux-trois bouquins comme ça sous le coude avec des informations. »

De manière générale, les principes éducatifs des classes moyennes et supérieures ont bien imprégné ces jeunes femmes, notamment dans le cadre des formations liées au sanitaire et au social (Skeggs, 2015) et l’importance de la stimulation et de l’éveil des enfants est souvent évoqué par ces jeunes mères. Emilie [12_SO], titulaire d’un BP coiffure, enceinte de son deuxième enfant, a peur de ne pas pouvoir accorder autant de temps à son bébé à venir qu’elle ne l’a fait avec son aîné. Lorsqu’elle travaillait encore, avant son congé maternité, elle avait à cœur de prendre une heure chaque jour, en rentrant du salon de coiffure pour jouer avec Timéo et « le faire évoluer ». Cette volonté se traduit par une forte sollicitation de son jeune garçon pour qu’il participe et soit actif en toutes circonstances : par exemple, ne pas seulement lire une histoire à Timéo, mais lui demander de rechercher et reconnaître des animaux dans les pages. Pour Emilie, toute activité domestique devient ainsi support à l’apprentissage : elle lui a ainsi appris très tôt à faire des gâteaux avec elle ou encore à vider le lave-vaisselle.

« C’est pas un enfant qui est figé qu’avec un jeu... On peut passer de plein de jeux... on peut passer aussi à la cuisine. Moi, je l’ai toujours pris avec moi dans la cuisine à cuisiner. Tout le temps. Parce que je voulais pas le délaisser dans un coin comme il y en a qui font à laisser dans le transat. Moi je voulais pas ça. »

Sabrina [E2_SO] investit également fortement l’éducation de sa fille, qu’elle a également eue jeune, au sortir de son baccalauréat commerce. Elle cherche ainsi à développer l’autonomie de sa fille, valorisant la précocité dans le développement de l’enfant (Lignier, 2012). Elle note

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ainsi depuis la naissance de Louane tous ses progrès dans un petit carnet, l’a mise très tôt sur le pot (9 mois) et regrette que le programme de l’école maternelle, où elle vient d’inscrire sa fille en très petite section à l’âge de deux ans, ne la pousse pas à progresser. Louane connaît déjà toutes les couleurs et Sabrina l’incite à écrire son nom en lui écrivant les lettres en pointillés et en lui demandant de relier les points entre eux. Aide-soignante en ADMR, Sabrina peut également compter sur son père, qui habite un village voisin, et qui vient chaque matin réveiller Louane et l’emmener à l’école, tandis qu’elle et son conjoint (couvreur) sont déjà partis travailler. Au final, il apparaît que la proximité à la famille d’origine constitue une condition de possibilité de la conciliation des différentes normes – parfois contradictoires – auxquelles sont soumises les jeunes femmes : obtention d’un diplôme, travail salarié et investissement éducatif. A noter par ailleurs que l’injonction à être une « bonne mère », c’est-à-dire à la fois active professionnellement mais présente et active pour son enfant, est renforcé par la localisation en zone rurale, qui renforce les formes d’interconnaissance et donc de jugement des pratiques et des principes des uns par les autres (Elias, 1985). 3.2. La construction d’allégeances locales 3.2.1. Institutions locales au féminin Si certains lieux traditionnels des sociabilités masculines tendent à décliner dans les milieux ruraux (cafés, bar-tabac, etc.) et obligeant les collectifs amicaux à investir fortement les foyers (Coquard, 2018), certains lieux de travail et de sociabilité plus spécifiquement féminins s’imposent comme tenant une place centrale dans l’animation des villages. Les écoles primaires, les salons de coiffure ou encore les salons de beauté constituent ainsi de véritables institutions dans les petites communes, puisqu’elles font partie des services les plus présents. Les communes rurales sont en effet davantage couvertes en coiffeurs qu’en boulangeries (32,7 %16 des communes équipées des premiers contre 26,0 % pour les secondes). Autre fait marquant, les petits villages de moins de 500 habitants sont presque autant pourvus en instituts de beauté qu’en boulangeries (6,9 % des villages équipés contre 8,0 %)17. Les écoles primaires (appartenant à un regroupement pédagogique intercommunal – RPI ou non) sont quant à elles présentes dans un peu plus de la moitié des communes rurales (51,1%). Or, tous ces espaces de travail ont pour caractéristique d’être non seulement très fortement féminisés, mais également en féminisation constante, observant un taux de 83,4 % de femmes chez les professeurs des écoles18, de 99,7 % chez les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM)19, et de 87,7 % chez les coiffeurs et les esthéticiens (Argouarc’h & Calavrezo, 2013).

16 Ces données proviennent d’une exploitation de la Base Permanente des Équipements, 2017, INSEE. 17 La part des soins de beauté réalisés par une tierce personne au sein des dépenses des ménages a fortement augmenté depuis 1960, représentant désormais 10,7 % du budget « Apparence physique » contre 4,4 % en 1960. Le budget « Apparence physique » était de 3000 € en moyenne par ménage en 2015. À noter que les soins de beauté réalisés par soi-même ont également augmenté, et de façon plus importante encore, passant de 4,4 % du budget « Apparence physique » en 1960 à 21,5 % en 2015 (Beck & Serre, 2017). 18 Source : Ministère de l’Éducation nationale, Repères et références statistiques, 2017. 19 « Les cadres d’emplois de la Fonction publique territoriale en 2011. Repères et références statistiques », Étude Emploi, CNFPT, août 2014.

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Tableau 12. Part des communes équipées en services et commerces de proximité en fonction de leur taille (en %)

Part des communes

rurales équipées

Part des communes rurales de moins de 500

habitants équipées

Part des communes rurales

de 500 à 999 habitants équipées

Part des communes rurales de 1000 habitants et plus équipées

Ensemble communes françaises

École primaire 51,1 28,6 88,5 99,3 60,0

Maçon 49,2 40,0 66,6 87,4 57,6

Menuisier, charpentier, serrurier

49,4 34,6 70,2 90,8 57,9

Plombier, couvreur, chauffagiste

45,7 29,8 67,5 90,3 55,1

Restaurant 44,0 29,1 63,0 87,5 53,1

Plâtrier peintre 40,6 25,1 60,5 86,6 50,6

Electricien 38,9 24,0 58,4 82,5 49,0

Réparation auto et de matériel agricole

40 23,0 61,8 88,0 50,0

Coiffure 32,7 13,7 54,5 93,0 44,1

Présence postale : bureau, agence, relais

31,1 14,0 51,6 83,9 40,2

Boulangerie 26,0 8,0 42,9 84,2 37,0

Infirmier 20,7 5,4 35,5 77,0 32,5

Soins de beauté 18,3 6,9 27,7 60,0 30,4

Source : Base Permanente des Equipements, INSEE, 2017.

À la différence des artisans des secteurs professionnels fortement masculins (maçons, menuisiers, plombiers, plâtriers, électriciens, mécaniciens, etc.), également très représentés dans les communes rurales, mais qui n’offrent pas véritablement d’espaces de rencontre physique entre les individus (les rendez-vous se prennent généralement par téléphone et l’artisan se rend ensuite au domicile du client), les écoles primaires (et maternelles) et les salons de coiffure ou d’esthétique ont pour spécificités non seulement de mettre en relation des professionnels et une clientèle ou patientèle elle-même fortement féminisée, mais aussi de proposer des séquences relativement longues et institutionnalisées pour les interactions. Le temps d’un soin et d’une coupe de cheveux, ou encore le temps d’accueil des enfants le matin à l’école ou de récupération le soir, constituent ainsi des séquences de discussions et d’échanges, qui réunissent le plus souvent des femmes (Messu, 2013 ; Desprat, 2015 ; Jablonka, 2015). Ces services permettent ainsi non seulement la constitution de collectifs de travail féminins (Orange, 2018 ; Pattieu, 2015), mais produisent également de l’interconnaissance voire sont le support de véritables amitiés entre femmes. Stéphanie [O1_SO], mère de deux jeunes filles scolarisées à l’école maternelle et primaire publique (RPI) de son village de 575 habitants, a régulièrement l’occasion d’échanger avec les enseignants et les ATSEM lorsqu’elle emmène ses deux enfants le matin puis revient les chercher l’après-midi. Sans emploi, elle participe également activement avec son conjoint, chef de rayon dans une grande surface, à l’amicale laïque du RPI. C’est d’ailleurs dans ce cadre, au gré des discussions, qu’elle a obtenu un contrat de 12h à la cantine de l’école maternelle, pour accompagner le repas des enfants : « on m’a proposé de remplacer la personne qui fait la

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cantine ». Elle a accepté cet emploi précaire, où elle apprécie le « relationnel » avec les enfants, même si elle ne le trouve pas très épanouissant et trop peu qualifié relativement à sa licence d’histoire. Elle se verrait bien travailler « dans l’administratif ». Les moments et les lieux de rencontre offerts par ces services de proximité au féminin apportent donc des ressources aux jeunes femmes qui les investissent et renforcent leur inscription locale, quand bien même les apports ne sont pas à la hauteur des espérances. On comprend ainsi comment les spécificités du marché du travail féminin en milieu rural permettent d’expliquer pour partie l’attachement des jeunes femmes rencontrées à leur territoire d’origine. Les réunions de l’amicale laïque, les réunions de l’école ou encore les sorties scolaires des écoles maternelles et primaires sont en effet plus fortement investies par les mères que par les pères (Gouyon, 2004 ; Kakpo, 2012), qui revendiquent parfois explicitement l’intérêt proprement amical de ces espaces, à l’instar de Stella, secrétaire de l’amicale laïque du RPI : « ça permet de rencontrer du monde. Avant, je ne connaissais personne ! » [O1_SO]. Anaïs [16_SO], propriétaire d’un institut de beauté dans une commune d’un peu moins de 2000 habitants, a rencontré récemment une cliente qui est devenue sa meilleure amie, à la faveur des discussions tenues lors des rendez-vous successifs.

« Celle avec qui, en ce moment, je parle énormément, c’est une cliente que j’ai rencontrée au mois d’août l’année dernière. Elle est venue à l’institut, elle était enceinte. Et en fait, en parlant, on s’est aperçues qu’on avait le même terme. Elle accouchait le 13 janvier comme moi, au même endroit. […] Du coup, elle a accouché à l’hôpital St Jean. Du coup, elle a accouché une semaine après moi. Je l’ai attendue mais non, elle n’est pas venue. Et c’est vrai que du coup, nos enfants nous ont vachement rapprochées donc du coup, on parle tous les jours. On essaye de se voir une fois par semaine. E – Mais parce qu’elle habite où ? M : Euh… Saint-Berthaire et du coup, c’est juste à côté de l’institut. Donc quand je suis à l’institut, quand je m’ennuie et qu’elle n’a rien à faire, elle vient me voir ! E – Parce qu’elle, elle fait quoi du coup ? Elle travaille ? Là, elle est en congé maternité, c’était son deuxième, elle. Elle a pris un an de congé. Donc du coup oui, on se parle tous les jours, on se voit très souvent, enfin on essaye. E – Et donc oui, les affinités ont été créées. […] En fait oui, en parlant, on s’est aperçues qu’on avait beaucoup de goûts... E – Elle est venue plusieurs fois ? Euh, ouais, ouais. Du coup maintenant elle vient, oui, tous les deux mois, parce qu’elle n’a pas les poils les plus… Mais du coup, oui, à force de parler, on s’est aperçues qu’on avait beaucoup de points communs, beaucoup de…, qu’on faisait la même chose. Donc du coup, ça a beaucoup accroché, et puis maintenant, on est inséparables. »

Laetitia [23_SO], aide-soignante en ÉHPAD, récemment retournée vivre dans le village de ses parents avec son compagnon et la fille de celui-ci, a pu faire jouer son capital d’autochtonie pour faciliter certaines démarches, notamment pour la scolarité de sa belle-fille :

« Anily, elle va à l’école et c’est vrai que ça nous a bien aidé. Parce qu’au début l’organisation c’était pas ça. Par rapport la garderie et tout. Et puis la dame de la garderie c’est une copine de ma maman. »

Ces différents services à la personne compris au sens large (éducation, soin de beauté, santé, social), jouent d’une certaine manière pour les femmes le rôle que les cafés pouvaient occuper autrefois pour les hommes (Héran, 1988), à savoir des instances de sociabilité de proximité, qui contribuent au lien social local. L’évolution dans le temps des équipements des communes rurales confirme la place importante occupée par ces services au féminin dans les campagnes. Entre 2011 et 2017, le nombre de communes rurales équipées d’un coiffeur est passé de 8452 à 935920 (soit + 907 communes), tandis que le nombre de communes rurales disposant d’un service de soins de beauté est passé de 3675 à 5269 (soit + 1594 communes). Sur la même

20 Base Permanente des Équipements, 2011 et 2017, INSEE.

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période, le nombre de communes rurales équipées d’une boulangerie a diminué légèrement, passant de 7481 à 7323. Les services à destination des personnes âgées ont également augmenté leur présence en zone rurale ces dernières années puisque les structures d’hébergement (Maisons de retraite, ÉHPAD, etc.) couvrent désormais 2143 communes rurales (contre 2069 en 2011) et les services d’aide sont implantées dans 2011 communes rurales (contre 1824 en 2011). Ces établissements et ces services (notamment ADMR) constituent des pourvoyeurs d’emplois importants dans les territoires ruraux, du fait du vieillissement des campagnes. Les métiers d’aide-soignant ou d’aide à domicile, fortement féminisés (respectivement 90,4% et 97,7%21), sont tout particulièrement concernés par ces évolutions et comptent parmi les professions qui bénéficient du nombre le plus important de créations d’emplois à l’heure actuelle (Lainé & Omalek, 2012). Les établissements d’hébergement pour personnes âgées constituent ainsi d’autres lieux de rencontre à dominante féminine, avec un taux de féminisation des personnels de 87,0 %, pour un taux de féminisation des résidents de 73,6 %22. De même, l’emploi d’aides à domicile est également davantage le fait des femmes que des hommes, puisque le taux de féminisation des bénéficiaires de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) à domicile est de 72 %, provoquant là encore des interactions entre femmes (Meuret-Campfort, 2017 ; Rollins, 1990). Au final, les salons de coiffure et de beauté, les services d’aide à domicile (notamment ADMR) à l’instar des écoles (Barrault, 2014), constituent de véritables institutions locales qui viennent parfois pallier l’absence ou la rareté d’autres services publics en milieu rural (agence postale, trésor public, bibliothèque municipale, etc.). Ils opèrent comme des espaces de rencontre voire de revendication pour des personnes qui trouvent ici une scène d’expression quasi publique. Audrey [15_SO], désormais aide-soignante à domicile, a notamment renoncé à devenir coiffeuse lorsqu’elle a été confrontée, au cours de son CAP en apprentissage, à l’usage qui est fait du salon de coiffure comme d’un espace de commérage et de plainte :

« Je me suis dit “non c’est pas ça que je veux”. Écouter les ragots des coins ou les gens… d’entendre tous les gens qui se plaignent alors qu’ils sont pas à plaindre. Je pense que tout ça m’a un peu énervée. E – Ah oui ? C’est ça le souvenir que vous avez ? Oui, non mais c’est vrai qu’au salon de coiffure les gens ils se plaignent tout le temps, ils racontent leur vie. Mais je trouvais que des fois ils avaient pas à se plaindre. Enfin, on se plaint toujours mais pour moi, ils n’avaient pas raisons de se plaindre forcément. »

Le malaise d’Audrey face aux propos des clients était d’autant plus exacerbé que le salon de coiffure était situé dans le village d’un peu plus de 1500 habitants où elle réside, lui permettant, par la connaissance qu’elle avait des gens, de prendre conscience du décalage entre la réalité des situations personnelles des individus et leurs discours. 3.2.2. « C’est dans la famille » : métiers du care et formes d’engagement moral L’importance des métiers du soin et des services à la personne contribue également fortement à inscrire les jeunes femmes dans des formes d’engagement moral vis-à-vis de leur clientèle. Ce qui se joue dans la relation de service, que l’on se situe en structure collective (ÉHPAD, école), dans un commerce (salon de coiffure, institut d’esthétique) ou au domicile, va au-delà d’un simple échange marchand (assistance ménagère, coupe de cheveu, épilation, aide à la toilette, etc.). Un système d’échange symbolique se crée dans lequel les jeunes femmes se trouvent prises. Si ce sont bien elles qui délivrent explicitement une prestation et qui donnent

21 Argouarc’h & Calavrezo, 2013. Dans l’enquête Emploi de l’INSEE, les aides à domicile sont regroupées avec les assistantes maternelles. 22 Source : DREES, Enquête EHPA 2015. Champ : Établissements d'hébergement pour personnes âgées, hors centres d'accueil de jour, France métropolitaine + DROM (hors Mayotte) ; ensemble des résidents.

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en premier quelque chose, elles reçoivent en retour – au-delà du paiement de la prestation – des formes de contre-dons qui les engagent à leur tour vis-à-vis de leur patient ou client. Tiffany [5_SO], aide-soignante en ÉHPAD, ayant un temps souhaité travailler auprès des enfants, apprécie désormais de travailler avec des personnes âgées car « elles ont un vécu, une histoire à nous raconter et ça apporte beaucoup. ». Le dévouement et l’altruisme des jeunes femmes, qui sont souvent au fondement de leur vocation (Alissia [E8_SO], aide à domicile : « il faut toujours que j’aie quelque chose à faire, que je bouge, que j’apporte mon aide. »), se trouvent récompensés par des formes de rétributions symboliques (discussions, expériences partagées, histoires racontées, etc.). Alissia préfère également s’occuper des personnes âgées plutôt que des enfants, au regard des bénéfices qu’elle peut y gagner :

« C’est pas le même monde. Mais non. Ah non. Pas les enfants. Ah non [rire]. J’en ai déjà gardé trois, et non, c’est bon. Ah non, j’aime pas. Je sais pas. Et puis les personnes âgées elles ont un vécu, elles ont vu la guerre mondiale, et là elles ont leur passé, elles en racontent. Que les enfants, bon bah c’est vrai, c’est un moment merveilleux à passer avec eux, il y a plein de choses à leur apprendre, mais non. Non, c’est pas moi. Je me retrouve pas dedans, c’est… E – Oui toi c’est les discussions aussi. Ah oui. Le contact, surtout le contact. Et elles ont un vécu et c’est ça aussi que j’adore. Quand elles en racontent, elles sont poignantes. Alors là, on y passe des heures et des heures, mais tant pis. On prend sur notre temps personnel et l’heure de travail, on ne compte pas. Ah oui et puis en général, ça dépasse toujours quand c’est comme ça, mais bon. Tant qu’il n’y a personne derrière à aller faire, il n’y a pas de souci. Je prends sur mon temps personnel et voilà. C’est que du plus. Je le prends comme ça. Oui ça ne me dérange pas, au contraire. E – Et c’est souvent des histoires de la guerre ? Ah oui souvent. Ça ça revient très très souvent. Bon c’est enrichissant en même temps. Moi j’aime bien. »

Cette relation d’interdépendance qui se crée entre les jeunes femmes et leurs clientèle ou patientèle, repose aussi sur une forme de charge morale qui pèse sur elles. Émilie [12_SO], 23 ans, employée d’un salon de coiffure dans le Maine-et-Loire apprécie ainsi tout particulièrement dans son métier « le contact ». Elle aime ainsi « le fait de faire plaisir aux gens », d’autant plus qu’elle travaille dans un salon qui offre des prestations sans-rendez-vous : « Le fait de leur apporter quelque chose au moment où ils en ont envie ». Si la transaction comprend une part de don symbolique, porté par la salariée, et donc à la faveur des clients, qui reçoivent du plaisir, la salariée est récipiendaire en retour d’une part de l’intimité de ses clients, qui se livrent à elle (parfois même corporellement) et qui de fait la place dans une situation d’obligation morale à leur égard. Émilie rapporte ainsi que « les gens […] se confient énormément ». Elle évoque notamment le malaise qu’elle a pu ressentir parfois lorsqu’elle travaillait auparavant dans un salon de coiffure aux tarifs plus élevés :

« Quand je travaillais dans un salon qu’était beaucoup plus cher que celui [où] je travaille, […] à l’époque, c’était 21 euros la coupe homme. Donc c’est quand même relativement cher. Un jour, j’ai un client qui me dit : « bah, je viens de perdre mon boulot. » Et on arrive à la caisse et [je lui dis] : “il faut que tu me payes 21€. Franchement, ça me fait mal au cœur. Mais du coup c’est vrai que là, […] la coupe homme, elle est à 17… 16, 17 […] c’est un peu cher, mais ça reste [raisonnable]. Il y a moins de scrupules en fait. »

Dans les propos d’Émilie, transparait l’idée que les jeunes femmes sont tenues par une responsabilité vis-à-vis de leur clientèle. Les métiers du soin et du service à la personne (aide-soignante, aide à domicile, coiffeuse, esthéticienne, etc.), fortement féminisés, reposent ainsi à la fois sur une forme de dévouement de la part des professionnelles (Cartier, 2012) mais aussi sur une relation de confiance qui les engagent vis-à-vis des clients, parce qu’elles ont accès à des territoires matériels, physiques ou psychiques de l’ordre du privé. Partant, elles sont tenues par un principe de discrétion mais aussi de fidélité vis-à-vis de leur clientèle. Cinthia [19_FR], aide-soignante en CHU évoque également ce rapport particulier avec le patient, où elle se trouve à recevoir dans le même temps qu’elle donne : « [Pendant les toilettes, le patient] se livre plus

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à nous donc c’est plus intéressant. C’est le côté du métier qui est super, parce qu’il se livre à toi ». Audrey [15_SO], aide-soignante à domicile en ADMR dans le Sud Vendée décrit ce qu’elle apprécie dans son métier :

« […] il y a le côté soin, aider les gens, être près… chez eux… euh près d’eux, pardon. Chez eux, enfin... Du coup c’est une relation assez forte, il faut que les gens aient confiance. On va quand même dans leur intimité. Donc du coup c’est vachement enrichissant. Moi j’aime beaucoup. Et puis des fois on est leur seule visite de la journée. »

Ces professionnelles du care ne prennent pas seulement en charge les besoins de leurs patients ou leurs clients, mais aussi leur dépendance. En bref, ce sont bien des formes d’allégeances locales (Moore Milroy & Wismer, 1994) qui sont créées dans ces relations de service. L’arrêt de l’activité ou la démission sont dès lors rendus difficiles par cette forme d’obligation morale qui lie les jeunes femmes à leurs patients ou leurs clients. Élodie [1_SO], aide à domicile en chèque emploi-service dans le Sud Vendée s’est ainsi trouvée très embarrassée vis-à-vis de ses clients lorsqu’elle a eu un accident de voiture qui l’a obligée à mettre un terme, au moins provisoirement, à ses prestations. Elle s’est alors sentie dans l’obligation de trouver une solution : « je suis une personne très professionnelle : j’ai trouvé une remplaçante pour chaque client ». Ce qu’Élodie présente comme l’expression d’un professionnalisme peut s’expliquer par les relations d’interdépendance créées par les interactions du care. De même, Anaïs [16_SO], gérante d’un institut d’esthétique, éprouve une sorte de responsabilité à l’égard de ses clients, qui l’empêche d’envisager une fermeture de son salon, malgré les difficultés financières qu’elle rencontre : « ça m’embêterait de fermer l’institut. […] les clients ne le comprendraient pas ». Au-delà de l’attachement affectif aux personnes (« on s’attache toujours » - Tiffany, aide-soignante en ÉHPAD), se cache une forme d’attachement moral. L’analyse développée par Marcel Mauss sur le don s’applique ici très bien à la compréhension des actes et des pratiques des jeunes femmes rencontrées, présentés et perçus comme désintéressés (« Moi de toute façon je voudrais aider toute la terre. » - Élodie, aide à domicile), et qui les fait poursuivre, parfois au-delà même de leur activité professionnelle, leur engagement pour la collectivité, en étant pompier-volontaire ou en participant à des associations locales. Marcel Mauss évoque ainsi « le caractère volontaire, pour ainsi dire, apparemment libre et gratuit, et cependant contraint et intéressé de ces prestations » (Mauss, 2003 [1952] : 147). Les relations de service en milieu rural produisent des attaches qui lient les jeunes femmes à l’espace local et les inscrivent dans un système d’échange financier mais aussi de biens symboliques (reconnaissance locale, dépendance morale, etc.) qui contribuent à les fixer au territoire. Le mélange des genres entre l’activité professionnelle et les pratiques personnelles de soutien et de présence auprès des membres âgés de la parenté contribue encore à brouiller les lignes entre ce qui relève d’une prestation marchande de service (Monchatre, 2010) et ce qui est vécu comme l’expression d’une solidarité inter-générationnelle. Alissia [E8_SO], évoque ainsi les relations privilégiées qu’elle a avec ses grands-mères et ce, depuis toute petite : « quand j’étais toute petite, j’adorais être avec mes grands-mères, leur faire des tous petits bouts de pansements, être auprès d’elles, les emmener avec ma maman au marché, enfin vraiment être toujours auprès d’elles. » La proximité géographique facilite dans le même temps qu’elle provoque cette solidarité familiale, comme en témoigne la présentation qu’elle fait du voisinage de la maison de sa mère, où elle est revenue vivre après son abandon en BTS Services en espace rural : « En face, c’est de la famille, là-bas, c’est ma grand-mère. Au bout de l’allée c’est ma grand-mère. » Elle poursuit : « Moi si je suis à rien faire, je vais voir mes grands-mères, c’est pas possible. Il faut toujours que j’aie quelque chose à faire, que je bouge, que j’apporte mon aide. Toujours en activité. ». Le hameau où elle réside est relativement excentré du bourg de 3000 habitants auquel il est rattaché (Nord des Deux-Sèvres) et constitue une forme de village dans le village, composé presqu’exclusivement de membres d’une même famille. Le temps libre d’Alissia se

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mêle à son temps professionnel et les frontières entre les deux univers sont très poreuses. Alors qu’elle s’apprête à s’inscrire dans une formation pour passer le diplôme d’État d’aide-soignant, se pose la question de la conciliation de ses études et de son contrat avec l’ADMR :

« [Mon travail] ça va être deux-trois fois par semaine le matin donc ça va. Je peux faire mes petites toilettes le matin pendant une heure, une heure et demi. E – Oui, tu n’as pas envie d’arrêter. Ah non, non non. Il est hors de question que j’arrête. E – Pour des raisons financières ? Oh non, financières, ça me passe au-dessus. Ça passe après. Non et puis il y a des petites grands-mères auxquelles je suis attachée, très attachée, donc : « laissez-moi pas toute seule, j’ai besoin de vous », donc obligatoirement ça prend aux tripes et on se dit : « non je peux pas arrêter quoi. Y a pas moyen, faut que je continue, pour elle. » E – Oui ça doit être difficile de décrocher dans ce genre de travail. Moi je peux pas. Pour l’instant, je peux pas. J’ai pas trouvé les forces d’arrêter. »

Le lien établi avec les « clientes » dépasse ainsi la relation strictement professionnelle et le dévouement qu’Alissia éprouve à leur égard est de nature quasiment filiale. La fidélité aux grands-mères de travail est comparable à celle aux grands-mères de sang. Ces « affaires de famille » qui brouillent les relations de parenté et les relations professionnelles se retrouvent également chez Mariza [34_FR], lorsqu’elle a repris une formation pour devenir Assistante de vie familiale et qu’elle a été contrainte d’arrêter de travailler pour la personne handicapée dont elle s’occupait jusqu’alors. Plutôt que d’abandonner complètement son client, elle le « confie » à sa mère, qui prend la suite de sa fille :

« J’ai travaillé avec un handicapé de cinquante-quatre ans à l’époque, qui est atteint d’une méningite. Et malheureusement, ce monsieur a la mentalité d’un enfant de trois ans. […] et sa maman m’avait employée pour lui lever la tête, lui faire du sport, le mettre au lit, le lever, le raser, mais je ne faisais pas de toilette intime, parce qu’elle avait l’ADMR, c’est une entreprise qui s’en occupe. Et quand je lui ai dit que je voulais bien travailler pour elle, mais que jusqu’à certaines dates parce qu’après j’allais à l’école, elle me dit : « pas de souci ». Et cet emploi-là, je l’ai donné à ma maman après. […] J’ai demandé à la dame, j’ai dit : « voilà, je vais à l’école, mais après je veux aller plus haut. Est-ce que ma maman peut prendre le relais ? – Bien sûr, au moins c’est dans la famille ». Donc ma maman travaille chez elle maintenant. Tout se passe bien. »

Au final, on comprend ainsi comment l’intrication des sphères personnelles et professionnelles contribuent à toujours plus inscrire les jeunes femmes des métiers du care dans le tissu local et à fonder des liens d’interdépendance difficiles à rompre. On saisit également comment l’entrée dans les professions du service à la personne, compris une fois encore au sens large (éducation, soins de beauté, aide domestique, etc.) constitue le direct prolongement d’une socialisation où la solidarité collective au sein de la parentèle est érigée en norme. Plus encore, on voit comment la familiarisation précoce à l’intimité d’autres personnes (grands-mères le plus souvent) procure des ressources pour l’accès aux métiers du soin et participe d’orientation professionnelle vécues comme des vocations naturelles. Cela rappelle la dimension sociale et relative de la notion de privé et du seuil de l’intimité (Elias, 1973 [1969] ; Ariès & Duby, 1999 [1987]), considérés, par ces jeunes femmes, davantage selon l’unité de la parentèle ou du voisinage, que selon le registre de la maisonnée ou du foyer (Weber, 2013). À l’instar d’Élodie [1_SO] :

« C’est quelque chose que j’ai bien aimé faire […] la personne âgée ou handicapée, vu que ma grand-mère, la mère de ma mère, est handicapée, on a un lien très fusionnel. Elle habite à Saint-Boutet, à même pas cinq cents mètres d’ici. Du coup tous les jours j’y vais. On parle de tout et de rien. Elle a soixante-dix ans, elle a quand même la pêche. Elle a gardé cet esprit jeune et on parle de tout et de rien. Je pense que ça m’est venu de là. Je lui faisais son ménage. Je l’aidais à faire sa toilette. E - Et ça vous l’avez fait depuis toute petite ?

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Oui. Du coup je pense que c’est un truc qui m’a aidée pour m’orienter. […] quand mes parents ont divorcé, on a été vivre chez ma grand-mère le temps qu’on trouve un logement. Du coup le fait d’aller là-bas ça nous a vachement rapprochées. »

Élise [6_FR], aide-soignante intérimaire en congé maternité, résidant dans une commune de moins 500 habitants du sud-ouest de la Sarthe, conçoit également de manière floue les frontières entre le privé et le professionnel. En évoquant son besoin d’être toujours en activité, elle dépeint une situation idéale fictive où elle serait chez elle tout en prenant en charge une personne âgée ou handicapée :

« Il faut tout le temps que je m’occupe. Là j’ai pris ma petite sœur, je lui ai dit : « si tu veux rester à la maison, pas de souci ». Je déteste la solitude. Je déteste rester à la maison à rien faire. Je dis que je serais toujours à la maison avec une petite personne âgée ou une personne handicapée, je serais la plus heureuse parce que je pourrais exercer mon métier et être chez moi à vaquer à mes occupations. Ce n’est pas possible. »

La scène publique locale va constituer une troisième sphère, entre espace domestique et travail, où les jeunes femmes s’inscrivent, et dans lesquelles elles mobilisent des savoirs et savoir-faire issus de leur socialisation ou de leur scolarisation. Elles s’impliquent ainsi activement dans des associations (parents d’élèves, conseils paroissiaux, etc.) pour l’organisation d’évènements festifs ou d’actions plus spécifiquement liées à la solidarité collective (Little, 1997). 3.3. Dynamiques locales et compétences féminines : « se sentir utile » Les frontières entre espace privé et espace public sont ainsi également questionnées par la forte implication bénévole des femmes dans les associations locales en milieu rural, où leur dévouement au service de la collectivité n’est pas sans rappeler leur rôle au sein du foyer. Surtout, leur implication dans l’animation de la commune ou leurs actions au service de la parenté ou du voisinage mobilisent des dispositions non seulement marquées par l’empreinte du genre mais aussi forgées par leur scolarisation prolongée (compétences comptables, qualités d’écoute, etc.) (Midgley, 2006). En effet, les ressources spécifiques qu’elles mettent en œuvre dans leur participation aux associations et aux activités locales participent de l’infléchissement de ces pratiques associatives, de la modification des activités en territoire rural et de la façon de conduire ces activités. 3.3.1. Inscription et enchevêtrement associatif Les résultats de l’enquête ENRJ montrent que l’engagement associatif est une pratique plutôt masculine puisqu’il concerne près d’un tiers des jeunes hommes (32,2 %) contre 19,3 % des jeunes femmes. Il faut néanmoins interpréter ces résultats avec prudence dans la mesure où ils masquent une sur-représentation des garçons dans les associations et les clubs sportifs (62,7 %) (Cleron, 2016). Une donnée importante est que les jeunes femmes des communes rurales sont loin d’être inactives puisque près d’une sur cinq (19,5 %) est membre d’une association, à l’instar des jeunes femmes des grandes agglomérations (19,6 %). En adoptant un découpage plus fin des territoires, on remarque même que le taux d’engagement associatif féminin le plus élevé s’observe dans les communes de moins de 2 000 habitants (22,3 %) contre seulement 14,1% à Paris. Lorsque les jeunes ne sont plus en études, si l’engagement diminue, il apparaît néanmoins que les jeunes femmes qui résident dans les communes de moins de 10 000 habitants sont plus nombreuses à être membres d’une association que celles des communes plus peuplées.

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Tableau 13. Engagement associatif en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %) Nombre d’habitants Femmes Hommes Ensemble Vie active Ensemble Vie active

Inférieur à 10 000 19,0 (18,7) 16,3 (15,6) 31,0 (26,0) 25,7 (23,2)

De 10 000 à 49 999 14,3 (7,7) 3,8 (4,6) 28,1 (25,6) 23,1 (25,0)

De 50 000 à 199 999 19,4 (12,4) 12,5 (9,2) 34,0 (32,4) 28,1 (27,4)

200 000 et plus 18,6 (13,9) 10,7 (8,2) 28,3 (23,2) 22,3 (23,4)

Ensemble 18,3 (14,1) 11,5 (10,0) 29,8 (25,6) 24,3 (24,0)

Lecture : 19 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants, sont membres d’une association. C’est le cas de 16,3 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants et n’étant plus en études. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte). En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Parmi les enquêtées rencontrées, l’engagement local est fréquemment revendiqué, même s’il ne prend pas toujours la forme d’une pratique institutionnalisée. Au sein de notre échantillon, seules 8 jeunes femmes ont ainsi déclaré être membres d’une association et 2 seulement étaient titulaires du BAFA en 2014. L’intérêt de la démarche qualitative est de montrer les limites d’une analyse cantonnée aux indicateurs officiels et de plaider pour une appréhension de l’engagement associatif et local dans ses dimensions plus officieuses et moins reconnues institutionnellement. L’engagement associatif local constitue une autre forme d’inscription à l’espace local, qui conditionne pour partie la mobilité (scolaire, professionnelle, résidentielle) ou au contraire l’immobilité des jeunes femmes en milieu rural. Ce sont là encore des formes d’engagement moral qui tiennent les jeunes femmes à leur commune et qui contribuent à expliquer qu’elles ne souhaitent pas forcément s’en éloigner trop fortement. Élodie [1_SO], aide à domicile en chèque emploi service, explique son attachement à son bourg d’origine (2884 habitants) par les différentes appartenances qu’elle a pu y développer :

« Du coup, vu que j’ai quitté la résidence de ma mère il y a deux ans, j’ai quand même voulu m’installer sur Saint-Boutet, parce que c’est une ville qui est assez dynamique, enfin on a tout à proximité : petits commerces… Voilà. Qu’est-ce que je peux dire de… E – Donc vous avez vos habitudes de vie ici… Depuis longtemps. J’ai été à l’école ici. J’ai été au collège ici. J’ai eu mon association sportive. J’ai fait de la danse classique à Saint-Boutet. Je suis sapeur-pompier volontaire aussi à Saint-Boutet. Je suis l’équipe de foot de Saint-Boutet. »

L’attachement local n’est donc pas à comprendre comme le produit d’une simple dépendance (économique, sociale, culturelle) au territoire d’origine, mais bien comme le produit d’une relation d’échange où les jeunes femmes sont tout autant bénéficiaires de ressources locales (capital d’autochtonie) que pourvoyeuses de ressources pour le collectif. Leur inscription locale prend donc très souvent la forme d’une participation active à l’animation des communes. Dans le cadre de la post-enquête, quatre enquêtées font ou ont fait partie des pompiers volontaires ou des jeunes sapeurs-pompiers de leur commune. Pour Mélanie [29_SO], 27 ans, mariée avec un technicien EDF pompier volontaire, mère d’un petit garçon âgé de 9 mois, l’engagement associatif a véritablement joué le rôle de force de rappel à sa commune d’origine, Rochambeau (7280 habitants). Après son baccalauréat littéraire obtenu avec mention, elle poursuit ses études en licence de droit à l’Université de la métropole la plus proche, suivant presque machinalement les prescriptions de ses enseignants : « faut faire une fac ». Après avoir obtenu sa première année, elle décide de retourner chez ses parents pour continuer sa licence par correspondance : « Je suis revenue à Rochambeau pour être pompier volontaire ». Cet engagement s’inscrit dans

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la continuité de pratiques associatives antérieures, notamment à la protection civile, avec sa sœur aînée :

« En fait j’avais essayé de rentrer pompier volontaire à seize ans et la caserne de Rochambeau recrutait pas à seize ans à l’époque. Mon grand-père était chef de centre. Moi j’étais secouriste depuis que j’avais douze ans à la protection civile. E – Alors c’est quoi secouriste, c’est aussi avec les pompiers ? Non. La protection civile c’est la même chose que la Croix-Rouge. En fait on est amenés à faire les postes de secours donc on s’inscrit d’un week-end sur l’autre. Ils nous disent : « Il y a besoin de tant de secouristes à Laval parce qu’il y un tournoi de foot par exemple », donc on s’y inscrit. On a les mêmes formations qu’un pompier. Excepté l’incendie évidemment. Et puis on y passe deux jours, trois jours. Bénévolement. C’est du bénévolat. On était juste nourris. Et puis je faisais ça depuis que j’avais douze ans. Ma sœur l’a fait aussi. On est parties ensemble dans cette association-là. Et puis elle elle est passée formatrice et puis moi j’avais l’intention de le passer aussi. Et puis il s’est trouvé que j’avais dix-huit ans, l’âge de partir à la fac. Donc j’ai mis un arrêt à tout ça. Et puis me trottait dans la tête quand même l’envie d’être pompier volontaire depuis longtemps. Ils prenaient pas à seize ans à Rochambeau donc je suis partie au Mans. Et puis après quand j’ai vu que le Mans ça me plaisait pas et que je pouvais faire volontaire à Rochambeau en étant par correspondance pour mes études je me suis repointée à la caserne et j’ai été prise quoi. Donc je suis rentrée pompier volontaire en 2010. »

Si Mélanie bénéficie dans cette bifurcation du soutien moral et matériel (hébergement) de ses parents, elle leur permet en retour l’économie du loyer du logement étudiant. Elle cherche par ailleurs à ne pas dépendre pleinement de sa famille en effectuant le plus de garde possible, lui permettant d’augmenter le montant de son indemnisation : « je bossais tout le temps. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre j’étais de garde. » 3.3.2. « Apporter ma part » : ressources féminines spécifiques au service de la communauté Surtout, il est important de saisir qu’au-delà de l’investissement effectif dans une association ou dans un organisme local quel qu’il soit, participant au dynamisme de la commune ou du territoire, les jeunes femmes importent, dans leur pratique bénévole, des dispositions et des compétences, issues notamment de leur scolarité prolongée et qui contribuent à enrichir leur engagement et à lui donner une coloration particulière. Ainsi, si l’investissement croissant des jeunes femmes dans des sphères historiquement masculines comme les pompiers s’inscrit dans une mutation des rôles et des missions assignés à cet engagement, où les « secours à victime » (détresse psychologique, etc.) prennent une place croissante par rapport aux interventions d’incendies (Pudal, 2016), les jeunes femmes trouvent aussi à y mobiliser des dispositions d’écoute et de care développées dans le cadre de leurs formations, très souvent spécialisées dans le champ du sanitaire et du social. Élise [6_FR], aide-soignante, enceinte de son premier enfant, envisage ainsi de s’engager dans une démarche bénévole, du fait de la proximité qu’elle y trouve avec son métier (« je suis déjà dans ce milieu-là »).

« J’aimerais bien après avoir accouché m’inscrire par exemple dans une SPA ou des choses comme ça ou peut-être à la Croix rouge pour faire du secourisme, étant donné que je suis aide-soignante. Mais faire du bénévolat. Ça c’est quelque chose que… E – Ah oui ? Je suis déjà dans ce milieu-là, mais j’aimerais encore un peu plus pousser la chose. Sinon au niveau du sport… E – Vous connaissez des gens qui font du bénévolat comme ça ? Oui. J’ai une amie qui est sapeur-pompier et son ami est à la Croix blanche. E – C’est quoi la Croix blanche ? C’est un peu comme la Croix rouge. C’est un petit peu en dessous. C’est à peu près la même chose. C’est moins connu, mais c’est du secourisme en fait. C’est quand il y a des grosses manifestations. Sinon à chaque fois qu’on regarde des reportages, mon conjoint me dit : « c’est vrai que ça te plairait bien étant donné que tu n’aimes pas trop rester à rien faire. Donc à voir. »

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L’expérience associative est ainsi pensée comme un prolongement de l’activité professionnelle et la possible expression de compétences spécifiques au service de la communauté. De la même manière, si Mélanie [29_SO] ne termine pas sa licence de droit et abandonne en 3ème année, elle trouve à convertir ses ressources scolaires dans le passage de grades chez les pompiers volontaires puis dans l’accès à la fonction de formatrice.

« Et donc je suis passée juste caporale, donc le minimum, mais c’était un premier grade. Et donc je suis passée formatrice, ce qui est quand même là pour le coup pas mal de travail. Oui, formatrice de secourisme c’est une grosse part. On est deux ou trois par centre de secours, pas plus. E – Ah bon ? Et comment ça se fait qu’il y en a pas plus que ça ? C’est beaucoup de boulot, il y a beaucoup de règles à connaître. C’est tout le secourisme, que ce soit tout seul ou en équipe. Donc c’est beaucoup de travail. Et puis après c’est tout le travail de pédagogie qui s’apprend par la suite. Parce qu’il s’agit pas de connaître son secourisme par cœur mais il faut aussi savoir le transmettre. »

Son expérience de l’Université (en présentiel et à distance) et son baccalauréat littéraire ont contribué à sa familiarité avec l’écrit, la transmission des savoirs et la pédagogie. Elle conçoit ainsi son engagement chez les pompiers comme la possibilité d’y exprimer des dispositions singulières, non forcément fréquentes et partagées dans ce milieu-là. En bref, ces jeunes femmes transforment l’engagement associatif en y actualisant des dispositions acquises notamment dans la sphère scolaire.

« Parce que finalement quand on est pompier c’est surtout ça. On fait ça pour aider les autres mais on fait ça aussi pour montrer qu’on peut être utile. Je pense que c’est surtout ça. Donc j’ai été secouriste d’abord et puis j’avais envie de faire plus, d’être plus formée, d’être plus disponible, de faire plus de choses. Et du coup les pompiers offraient ça. Donc j’ai passé des grades, j’ai passé des formations encore une fois pour trouver ma place quoi. Je pense qu’être formatrice au sein d’une caserne c’est intéressant, c’est important. Autrement c’est une façon peu importe l’âge qu’on a, peu importe l’ancienneté qu’on a, c’est de montrer qu’on a des compétences qui peuvent être importantes. Et moi je suis arrivée j’étais une fille, j’avais dix-neuf ans. Voilà, j’étais très théorique parce que j’avais fait des grandes études. Ici en gros les jeunes filles qui étaient là elles étaient apprenties, elles travaillaient. Donc c’était pas du tout le même profil. Et moi je suis arrivée en me disant : « Je ne pourrai pas vous montrer comment on monte ou on démonte un truc, par contre je vous montrerai comment on fait du secourisme. » Et finalement c’est comme ça que j’ai trouvé ma place, en fonction de mon âge et en fonction de mon passé je me suis rendu compte et les autres se sont rendu compte que je pouvais apporter ma part. Et je pense que ça m’a aidée aussi à gagner en autonomie, en confiance... Voilà. Parce qu’encore une fois c’était une façon de montrer qu’on n’avait pas toute l’expérience, on avait pas tout ça mais on pouvait y arriver quand même. »

Le travail pour la communauté constitue ainsi une occasion, en dehors de l’espace privé et du travail salarié, d’actualisation de dispositions scolaires et domestiques genrées dans la sphère publique (Staeheli, 2003). Ces pratiques à l’égard de la collectivité s’inscrivent dans un système de dons et de contre-dons au sein duquel les jeunes femmes sont aussi bien débitrices que créancières. Leur investissement est certes le produit d’une dette éprouvée à l’égard du collectif, pour les services et les ressources dont elles ont pu bénéficier plus jeunes, mais il produit en retour des formes de reconnaissance de la part de la communauté (Moore Milroy & Wismer, 1994). Ainsi, Tiffany [5_SO] participe chaque année aux marches gourmandes organisées dans son village de Saint-Betou-sur-Yon (environ 3000 habitants), où elle vit avec son conjoint non loin de chez ses parents. Les bénéfices de la manifestation sont reversés au foyer des jeunes, duquel faisait partie Tiffany quelques années auparavant, dans ce qu’elle vit comme une véritable forme de contre-don.

« Il y a le marché une fois par mois à Saint-Betou, on y va. On aime bien faire les vide-greniers. On fait les marches gourmandes quand il y en a. E – C’est quoi les marches gourmandes ? En fait on fait la marche semi nocturne une fois par an. Il y a douze kilomètres à faire à pied et il y a des étapes où on s’arrête manger. Une entrée, le plat, le dessert. […] On le fait en fait pour le foyer des jeunes,

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pour que les jeunes partent en voyage. On aime bien faire, parce que moi avant je faisais partie du foyer des jeunes. E – C’est ce que j’allais vous demander : vous avez fait des activités quand vous étiez jeune ? Oui, j’ai fait des activités au foyer des jeunes et après j’encadrais. Quand je suis sortie de BEP, je partais en sortie avec les jeunes, avec l’animatrice. Du coup on aime bien. Ça fait des activités dans la commune. »

Les soirées organisées par les associations de la commune ou des environs sont aussi l’occasion pour les jeunes femmes de participer à la vie locale. Les lotos sont ainsi des évènements relativement fréquents dans certaines communes qui rassemblent majoritairement des personnes âgées mais aussi des groupes de jeunes femmes qui y apprécient le calme et le côté studieux. Par exemple, à Maxent-sur-Vendée [O1_SO], les soirées loto se tiennent à un rythme bi-mestriel environ, par les sociétés de chasse des alentours, l’amicale laïque de l’école primaire, etc. Les jeunes femmes trouvent à y investir une forme de sérieux quasi scolaire, de la méthode et de l’organisation, issue de leur socialisation genrée mais aussi renforcée par l’école (Kergoat, 2014). Élodie [1_SO] apprécie ainsi notamment la concentration exigée par l’exercice et l’ambiance reposante qui y règne. La bibliothèque municipale des villages constitue encore un autre lieu d’entre-soi féminin, où les jeunes femmes viennent entretenir leur bonne volonté culturelle, en emmenant leurs enfants. La permanence du samedi matin, dans le village d’Alexandra, est l’occasion pour des jeunes mères de venir emprunter des livres et familiariser les enfants, dès leur plus jeune âge, à l’institution-bibliothèque. Honorine, âgée de 26 ans [O1_SO], actuellement en stage à l’école maternelle en vue de devenir assistante-maternelle, vient ainsi chaque semaine pendant une heure feuilleter et choisir des livres avec ses enfants de cinq et trois ans. Si ces derniers sont par ailleurs confrontés à la lecture à la maison, où elle a aménagé pour eux un coin bibliothèque avec des petits canapés et des étagères de livres, ainsi qu’à l’école, elle trouve nécessaire qu’ils voient à quoi ressemble une bibliothèque : « À leur école [dans le village voisin], ils ne les emmènent pas à la bibliothèque. Ils ont seulement un bac avec des livres. Je voulais leur montrer à quoi ressemble une bibliothèque ». Pendant que les enfants fouillent dans les rayons, Honorine en profite pour discuter avec les bénévoles (toutes des femmes) qui tiennent la permanence : s’échangent et se partagent à cette occasion des conseils de lecture et des normes éducatives. Si les jeunes femmes rencontrées ne se comptent pas parmi les bénévoles des bibliothèques, certaines d’entre elles en sont des usagères régulières justifiant l’investissement associatif des plus anciennes. Les associations de gymnastique volontaire présentes dans les villages et subventionnées par les communes offrent aussi des espaces d’entre-soi féminin au sein desquels les femmes se retrouvent et partagent très souvent leurs expériences de la maternité. Ces espaces propres opèrent comme des lieux de solidarité collective entre jeunes mères et jeunes épouses, des occasions de défoulement et de résistance, notamment par le rire ou la moquerie à l’encontre des conjoints, et où se donne à vivre sur un mode plus collectif l’assignation de genre. Dans le village de Sabrina [E2_SO], la seconde séance de gym tonique de la soirée, à 20h30, est présentée par l’animatrice comme « la séance des jeunes mamans », car permettant de coucher les enfants avant de s’y rendre. La moyenne d’âge, comprise entre 20 et 30 ans, y est plus basse que celle de la séance précédente, qui début à 19h30. Pendant qu’elles changent leurs chaussures et préparent leurs tapis, les jeunes femmes passent un long moment à échanger des nouvelles, souvent à propos de leurs enfants ou des enfants qu’elles gardent, dans le cas des assistantes maternelles [O1_SO]. Plus largement, la contribution informelle des femmes aux services de santé et sociaux viennent pallier le désengagement de l’État et des services publics en zone rurale.

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3.4. « Je déteste la solitude. Je déteste rester à la maison à rien faire » À la faveur de l’allongement des scolarités et de l’indépendance financière permise par leur travail, mais aussi du desserrement du « monopole » des sociabilités par les hommes (Hongrois, 1989) ou de l’atténuation des privilèges masculins (autorisation de sorties plus importantes pendant l’adolescence ; détention de scooter ; prolongement des scolarités ; etc.), les jeunes femmes ont eu plus largement accès à des pratiques de loisirs et notamment certains loisirs de classes moyennes et supérieures, auxquelles elles s’adonnent « entre filles », de manière séparée des conjoints. En cela, les jeunes femmes parviennent à développer des « espaces propres » en dehors du foyer et à résister à l’ennui ou l’isolement que pourrait engendrer leur localisation géographique. 3.4.1. Les loisirs populaires ruraux : la place des femmes Si les associations sportives, à l’instar des clubs de foot des villages, constituent de véritables institutions identifiées comme masculines en milieu rural (Renahy, 2003), les jeunes femmes sont loin d’être exclues des pratiques de loisirs sportifs. En effet, l’enquête ENRJ montre que le taux d’adhésion à un club de sport ou à une salle de sport (club de gym ou de fitness) n’est pas si éloigné entre jeunes hommes et jeunes femmes des communes rurales, même si les premiers sont davantage concernés (33,2 %) que les secondes (29,5 %), touchant près du tiers des jeunes de ces espaces. Au-delà de ce résultat, une information intéressante et relativement contre-intuitive est que les jeunes femmes des communes de moins de 10 000 habitants sont plus souvent adhérentes d’une association sportive ou d’une salle de sport que les jeunes femmes des communes urbaines (par exemple 24,2 % des jeunes femmes des villes de 200 000 habitants et plus). Le taux de jeunes femmes déclarant effectuer des dépenses de loisirs pour des sorties confirme le dynamisme des jeunes femmes des communes rurales puisque près des deux tiers d’entre elles (61,0 %) sont dans ce cas, ne les différenciant pas beaucoup des jeunes femmes des grandes agglomérations (64,2 %). Ces données montrent la participation claire des jeunes femmes rurales à la sphère des loisirs, hors de leur domicile et font apparaître un dynamisme sportif et culturel comparable avec celui des jeunes femmes urbaines. Si ces statistiques agrégées masquent des pratiques sans doute différenciées et des types de lieux fréquentés différents, il n’en demeure pas moins que l’assignation domestique des femmes en milieu rural est pour partie remise en cause grâce à elles.

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Tableau 14. Licence ou abonnement à une salle de sport en fonction du sexe et de la taille de la commune (en %)

Nombre d’habitants Licence sportive ou abonnement à une salle

de sport

Sorties au cinéma, au théâtre, aux concerts, au musée, dans des bars, en

boîte de nuit Femmes Hommes Femmes Hommes

Inférieur à 10 000 29,5 (26,4) 33,2 (31,0) 61,0 (55,5) 66,7 (59,0)

De 10 000 à 49 999 21,5 (16,3) 31,2 (28,0) 58,7 (47,8) 64,1 (60,8)

De 50 000 à 199 999 25,1 (18,9) 35,1 (33,5) 56,7 (50,9) 63,9 (58,9)

200 000 et plus 24,2 (20,4) 24,2 (31,4) 64,2 (57,7) 70,9 (65,0)

Ensemble 25,3 (21,3) 32,5 (31,1) 61,7 (54,6) 68,0 (61,7)

Lecture : 29,5 % des jeunes femmes résidant dans des communes de moins de 10 000 habitants sont titulaires d’une licence sportive ou d’un abonnement dans une salle de sport. En rouge : PCS père = agriculteurs, employés ou ouvriers. Champ : Personnes âgées de 18 à 24 ans résidant en France (hors Mayotte). Source : DREES-INSEE, Enquête nationale sur les ressources des jeunes 2014. Plus encore, on constate que si l’entrée dans la vie active ou le fait d’avoir un enfant contribue fortement au retrait des loisirs sportifs, les taux sont relativement comparables entre jeunes femmes rurales et jeunes femmes urbaines. Ce sont ainsi 21,4 % des jeunes femmes rurales contre 23,8 % des jeunes femmes urbaines (villes de plus de 200 000 habitants) ayant achevé leurs études qui sont membres d’un club ou d’une salle de sport, et 8,7 % des jeunes femmes rurales contre 11,0 % des jeunes femmes urbaines (villes de plus de 200 000 habitants), qui ont un enfant. Concernant les sorties, les écarts sont en revanche plus marqués, puisque ce sont 48,4 % des jeunes femmes rurales contre 58,2 % des jeunes femmes urbaines qui s’y adonnent, et 27,6 % des jeunes femmes rurales contre 27,3 % des jeunes femmes urbaines, qui ont un enfant. Un fait étonnant est que les jeunes hommes ruraux qui ont un enfant sortent moins que les jeunes femmes rurales qui ont un enfant (19,2 % contre 27,6 %), même si les faibles effectifs sur ces sous-populations invitent à la prudence face à ce résultat. La mise en couple ne signe ainsi pas forcément l’arrêt d’une pratique sportive, mais peut, comme dans le cas d’Audrey [15_SO], contribuer à sa transformation. Lorsqu’elle a rencontré son ancien conjoint, elle a ainsi arrêté sa pratique du tennis en compétition pour un abonnement dans une salle de sport dans une commune d’un peu plus de 2000 habitants, située à une dizaine de kilomètres de chez elle et qu’elle fréquente de manière hebdomadaire.

« Je fais du sport à Rabier, de la zumba, puis du renforcement musculaire. E – Vous faites ça souvent ? Tous les jeudi soir. E – Pendant combien de temps ? Deux heures. […] C’est une heure de renforcement musculaire et une heure de zumba. E – Vous devez être bien fatiguée après ! Oui, ça défoule bien. E – Ça fait longtemps que vous faites ça ? J’ai toujours fait du sport, je faisais du tennis avant. Et puis après, quand j’ai commencé à rencontrer Jimmy et que du coup un week-end sur deux j’étais pas là, donc pour les matchs c’était compliqué. […] Et du coup donc, j’ai arrêté le tennis puis je me suis mis du coup en salle en sport. Du coup j’ai toujours fait ça depuis… E – Et vous aviez un bon niveau en tennis ? Non j’étais pas non plus… j’étais classée juste un petit peu mais j’étais pas… Je me débrouillais. E – C’est dommage du coup… Boh… [soupir]… après c’est les week-ends les matchs. Moi c’est plus la semaine le sport et puis le week-end c’est plus les amis, les sorties. »

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La mise en couple ne marque ici pas un repli sur le foyer mais va contribuer à recomposer les pratiques de loisirs, notamment du fait des nouvelles sociabilités qu’elle instaure. Plusieurs travaux ont montré que lors de la mise en ménage, le groupe d’amis du couple se recentrait tendanciellement sur celui du conjoint (Clair, 2011 ; Coquard, 2016 ; Renahy, 2005) et que le pivot des sociabilités conjugales était souvent les activités et les pratiques masculines (chasse, pêche, motocross, foot, etc.). Certaines des jeunes femmes rencontrées indiquent ainsi accompagner souvent leurs conjoints à la chasse ou à la pêche, ou lors de tournois de foot, de manière plus ou moins enthousiastes. Tiffany [5_SO] apprécie de passer la journée avec son conjoint, à l’étang de son père. Ils en profitent pour pique-niquer. Élodie [1_SO], quant à elle, suit son conjoint dans sa passion de façon plus subie :

« Je vais à la pêche. Mon copain me dit : « on va aller faire une journée pêche ». Je prends ma couverture, je dors toute la journée. E – Mais lui il aime bien ça ? Ouais. J’y vais mais c’est pour me reposer. L’air ça me fait du bien. Mais tenir une canne pendant cent sept ans, mais quel intérêt. Surtout pour revenir bredouille. »

Certaines pratiques de loisirs se recentrent parfois fortement sur les loisirs du conjoint, comme pour Léa [10_SO], dont la passion pour la détection prend une place temporelle et matérielle importante dans le couple qui réside à proximité de Saint-Nazaire. Arnaud, maçon, est passionné par la seconde guerre mondiale et consacre une grande partie de son temps libre à la recherche d’objets de cette époque sur la côte ligérienne, sur des terrains privés des environs, qu’il repère, ou encore à proximité des plages Normandes. Le couple a d’ailleurs ainsi passé ses vacances d’été en chambre d’hôtes près de la Pointe du Roc pour notamment effectuer des recherches. Sur la terrasse de leur petit pavillon, est entreposé ce qui ressemble à un casque usé par la rouille : « ça serait quelque chose qui a appartenu à un soldat de la seconde guerre mondiale. Probablement allemand, d’après ce qu’il pense. ». Arnaud aime également construire des maquettes d’engins de guerre en plastique, qu’il expose dans la seconde chambre de leur maison de 50m². Progressivement, Léa a dû enlever ses affaires personnelles qu’elle entreposait dans cet espace, comme un canapé clic-clac qu’elle avait ramené de chez ses parents et sa collection complète des DVD des dessins animés de Walt-Disney, qui sont désormais rangés dans une étagère du couloir. Léa admet : « ça prend énormément de place ! ». En effet, la visite de la chambre d’appoint donne à voir un véritable petit musée consacré à la seconde guerre mondiale. La pièce est encadrée par des vitrines dans lesquelles sont exposées des munitions ou des équipements de guerre, soigneusement légendés, trouvés directement ou glanés sur les vide-greniers ou le Bon Coin. Un petit établi accueille les accessoires de modélisme (outils, colles, enduits). Une étagère placée au-dessus de la porte supporte de gros ouvrages sur la seconde guerre mondiale. Les murs sont couverts par des affiches ou des objets militaires, renforçant le caractère très chargé de ce petit espace : les paroles de la marseillaise, un panneau du Souvenir Français, une photographie du grand-père d’Arnaud, militaire de carrière et ancien membre du Souvenir Français, un diplôme des jeunes porte-drapeaux, dont Arnaud a fait partie, ou encore un drapeau français. La décoration de cette petite chambre objective d’une certaine manière la place prise par la passion de son conjoint dans la vie de Léa, qui le suit régulièrement dans ses pérégrinations. Cet accompagnement du conjoint dans ses pratiques de loisirs trouve même parfois à s’institutionnaliser dans une participation active à l’organisation de certains évènements ou dans la prise de responsabilités administratives au sein de club ou d’associations. Tiffany est ainsi bénévole chaque année, avec son conjoint, au Show Moto d’une commune voisine et s’occupe notamment des grillades. Les fêtes estivales dans les communes rurales sont ainsi souvent des lieux où se rejouent la division sexuée des tâches domestiques et la prise en charge, par les femmes, de l’intendance liée aux loisirs masculins. Les fêtes consacrées au terroir (fête

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du bois, fête de la batteuse, etc.), nombreuses aux mois de juillet et d’août, voient ainsi régulièrement les jeunes hommes s’affronter sur des épreuves de force et d’adresse, liées parfois directement à leur profession ou à celle de leurs parents (concours de labour, concours de bûcherons, concours de débardage – notamment en zone de montagne –, etc.), tandis que les conjointes tiennent les buvettes, les billetteries ou participent au service des repas ou de la soupe aux choux [O2_SO]. Céline, ouvrière non qualifiée au chômage, mère d’un enfant de trois ans, suit son conjoint dans sa pratique de loisir et apprécie de participer activement à la vie du club de football :

« Non, moi je ne fais pas d’activité, mais par contre j’accompagne [mon copain] au foot et j’ai fait partie du bureau. E – Et du coup ça consiste en quoi le travail au bureau ? […] À aider, parce que le dimanche soir après les matchs là, on fait des repas. Donc c’est à faire les repas, à tenir la buvette quand il y a les matchs de foot, enfin voilà. »

La participation des jeunes femmes aux pratiques de loisirs de leur conjoint leur permet d’y mobiliser certaines compétences scolaires qu’elles ne trouvent pas forcément à rentabiliser dans le monde du travail. C’est le cas pour Céline, titulaire d’un BEP vente, qui aime organiser des actions pour recueillir de l’argent pour l’association sportive (lotos, vente de crêpes, etc.). Le fait qu’elle se sente à sa place dans ce rôle tient sans doute pour partie au fait qu’elle peut y investir des savoirs et des savoir-faire appris dans sa formation. Cet ajustement tient également aux formes de reconnaissance et de rétribution symbolique qui accompagnent cet engagement. Elle voit ainsi son implication récompensée par la confiance que lui accorde la trésorière lorsqu’il faut assister à une réunion avec les élus, en lui demandant d’être présente. L’engagement dans le cadre de la pratique de loisirs de son conjoint conduit ainsi à une forme de petite notabilisation locale, qui lui confère un statut reconnu dans la commune.

« Oui oui, ça me plaît parce que là du coup, au lieu de prendre le secrétaire qui est dans l’assoc’, [la trésorière] va me prendre moi pour aller à la réunion pour faire… Parce que après, pour le Téléthon, c’est nous qui organisons le repas cette année. Donc du coup il y a une réunion avec le maire et tout ça donc elle m’a demandé la pré… enfin, la présidente, la trésorière, si je voulais venir à cette réunion. J’ai dit “Oui !”. Elle me dit “Moi je préfèrerais que ce soit toi…” Ben je lui ai dit “Oui, il y a pas de problème, moi je viendrai avec plaisir !” [sourire] Donc voilà. E – Parce que du coup vous aimez bien rencontrer les élus, tout ça, c’est ça ? Oui, puis c’est sympa, on parle donc, c’est bien. Moi j’aime bien. »

En cela, la présence des jeunes femmes dans les espaces de loisirs traditionnellement masculins, si elle peut traduire une forme de dépendance ou de subalternité à l’égard des conjoints (l’inverse étant plus rarement observé), ne s’y réduit pas pleinement et donne à voir des formes de réappropriations et de détournement de ces rôles secondaires à leur profit. Ces mises à distance de la domination masculine s’expriment aussi parfois dans la participation bien réelle et revendiquée des jeunes femmes à ces sports ou à ces pratiques. Pauline [24_FR], factrice, est ainsi membre depuis huit ans du club de football féminin de son village et participe ainsi à deux séances d’entraînement d’une heure et demi par semaine, auxquels viennent s’ajouter les matchs le week-end, qui la font se déplacer dans toute la Corrèze. En plus de sa pratique sportive, Pauline est désormais entraîneuse pour les tous petits du club et membre du bureau de l’association.

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3.4.2. Nouvelles alliances féminines L’enquête montre que la mise en couple ne conduit pas forcément au tropisme masculin dans les loisirs et les sociabilités. D’abord, les scolarités relativement longues des jeunes femmes, notamment au regard de celles de leur conjoint, font que les amitiés scolaires de celles-ci survivent souvent à l’entrée dans la vie active ou à l’installation conjugale. Les enquêtées rencontrées revendiquent ainsi régulièrement un groupe d’amies issu de l’école et avec lesquelles elles continuent de s’adonner à certaines activités ou avec lesquelles elles font des sorties. Élodie [1_SO] côtoie ainsi toujours le groupe de copines qu’elle a forgé au collège : « On est cinq et cinq toujours à être ensemble ». Ces amitiés au long cours permettent d’appréhender l’entrée dans l’âge adulte de façon collective et de vivre à plusieurs certains évènements de la vie comme la maternité (Ferrand, 2018). Élodie déclare ainsi que sa grossesse rend très heureuses ses copines, « parce que c’est le premier bébé de la bande ». Surtout, c’est l’occasion de mettre en place des formes d’entraide pour résister à l’assignation domestique ou aux contraintes du travail, mais aussi soutenir des espaces et des temps propres pour les loisirs. Le groupe d’amies permet ainsi de réaliser des économies d’échelle, de temps et d’argent, en permettant des échanges matériels ou de service, ou en détournant des tâches domestiques en loisirs, comme dans les gardes ou les promenades collectives de bébés ou d’enfants. La mise en couple des jeunes femmes ou celle de leurs frères avec leur compagne est aussi à l’origine de nouvelles alliances féminines, constituées par les belles-sœurs. Si les belles-mères ne constituent souvent pas des soutiens pour les jeunes femmes et que les liens établis sont souvent compliqués, en revanche, les belles-sœurs deviennent souvent des ressources importantes et des alliées privilégiées dans le domaine des loisirs, du travail ou encore de la maternité. Élodie [1_SO] évoque ainsi le nouveau collectif féminin qui s’est formé lors de sa mise en couple avec son compagnon et qu’elle mobilise dans ses sorties :

« E – Vous y allez avec qui [au loto] ? Avec mes belles-sœurs. E – Vous y allez entre filles ? M : Oui. Les mecs n’aiment pas. E – Pourquoi ils n’aiment pas ? Ils trouvent ça chiant d’attendre, de mettre les pions. Et puis eux il faut toujours qu’on rapporte quelque chose. C’est le dilemme, on se dit qu’il faut qu’on gagne quelque chose. […] J’aime bien. Ça repose en même temps. E – Et du coup ça vous fait l’occasion de voir vos belles-sœurs ? On se voit souvent de toute façon. E – Vous faites quoi avec elles ? On discute de tout et de rien. Des fois on se dit : « Tu veux venir avec moi au vide-greniers ? », parce que je n’ai pas envie d’y aller toute seule. « Tu veux venir avec moi à la piscine ? » »

Le collectif des belles-sœurs est également mis à contribution pour l’arrivée prochaine de son enfant, en lui donnant des vêtements et du mobilier. La mise en couple des jeunes femmes voire de leurs frères contribue, dans la lignée de la théorie de l’alliance développée par Claude Levi-Strauss (2017 [1949]), à constituer de nouveaux groupes de sociabilité, notamment au féminin. Audrey [15_SO] apprécie ainsi d’habiter à proximité de ses deux frères et de leurs compagnes et, lorsqu’elle a du temps libre, elle va voir ses belles-sœurs et ses nièces. Leur affinité tient pour partie au fait qu’elles exercent toutes trois la profession d’aide-soignante et leur permet notamment d’échanger sur leur pratique professionnelle. Soumya [25_SO], étudiante en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) se réjouit également de la proximité résidentielle de sa fratrie et de leurs compagnes. Cela permet de former un groupe de jeunes femmes plus à même d’établir un rapport de force avec les hommes pour imposer un

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partage des tâches domestiques ou des sorties strictement féminines : « souvent, quand on essaie d’être qu’entre filles, on laisse les enfants aux hommes et nous on part entre filles ». L’autonomie des jeunes femmes et le fait qu’elles ne se retrouvent pas pleinement dépendantes des sociabilités masculines tiennent aussi au décalage qui existe bien souvent entre les agendas professionnels des femmes et de leur conjoint. Un certain nombre de jeunes femmes rencontrées disposent d’horaires de travail qui ne coïncident pas avec ceux de leur compagnon et se retrouvent donc parfois seule face à leur temps libre, et donc susceptibles de composer avec d’autres collectifs que ceux que leur conjoint pourrait leur imposer. C’est le cas pour Tiffany [5_SO] qui a des horaires professionnels atypiques du fait de son travail d’aide-soignante en ÉHPAD :

« E - Mais vous passez quand même des moments tous les deux ? Ah oui oui ! Mais après on a un rythme de vie où moi déjà je travaille un week-end sur deux. C’est compliqué. Lui il ne travaille jamais le vendredi après-midi, jamais le week-end. On passe des moments tous les deux. On part en vacances. On fait des activités. On n’a pas les mêmes passions. Moi j’aime bien tout ce qui est shopping, les sorties et Clément fait de la moto, la chasse, la pêche, le quad. E – Et vous la chasse ? La chasse, j’ai été baignée dedans parce que mon petit frère chasse, mon grand-père chassait, mon père chassait. Étant petite j’y allais avec mon père et mon grand-père. Ça m’a passé. »

L’activité professionnelle des jeunes femmes contribue ainsi parfois désynchroniser les temps libres des hommes et des femmes, permettant aux conjoints de s’adonner à leurs pratiques de loisirs sans forcément que les jeunes femmes soient obligées d’être présentes et leur offrant, à l’inverse, des moments de repos où elles se retrouvent seules, sans leur conjoint, et où elles peuvent trouver à mobiliser leurs réseaux amicaux ou familiaux pour se détendre, ou encore développer des loisirs individuels, comme la lecture (Masclet, 2018). 3.4.3 Echappées belles. La lecture : « un autre monde pour exister » À l’instar de ce que des travaux ont montré à propos du travail des femmes (Maruani & Méron, 2012) tout porte à croire que l’invisibilité apparente des femmes de la scène des loisirs en zone rurale ne reflète pas correctement la réalité et est pour partie liée à un tropisme masculin des outils de mesure du temps libre (focalisation sur certains loisirs ou certains lieux, prise en compte principalement des loisirs avérés et institutionnalisés, etc.). Des études historiques anglo-saxonnes ont par exemple bien montré comment les femmes des classes populaires ont toujours réussi à s’octroyer des « sphères de plaisir » entre les tâches domestiques et l’emploi salarié (Peiss, 1986 ; Parratt, 2001). Une spécificité des loisirs féminins étant de ne pas toujours disposer de temps ou de lieu propre pour s’accomplir, du fait des contraintes professionnelles et familiales, obligeant les femmes à frayer avec les temps morts et les pauses pour s’adonner à des pratiques de détente et d’amusement personnelles. L’enquête Emploi du temps de l’INSEE (2010) donne ainsi à voir un différentiel de 33 minutes en faveur des hommes (en emploi), dans le temps journalier accordé aux activités de loisir et temps libre (Brousse, 2015). Les femmes (en emploi) consacrent quant à elles davantage de temps aux activités professionnelles et études et aux activités domestiques (respectivement 4h49 + 3h43 = 8h32 pour les femmes, contre 6h05 + 2h12 = 8h17 pour les hommes). Dans les entretiens, la lecture est ainsi revenue régulièrement comme une pratique d’évasion mobilisée par les jeunes femmes à l’occasion des temps disponibles. L’entrée dans les livres tient souvent pour les enquêtées à un besoin de rompre avec les difficultés professionnelles ou personnelles et d’y trouver une échappatoire (Radway, 1991). Léa [10_SO], hôtesse de caisse au chômage, raconte ainsi comment elle a commencé à véritablement lire lorsqu’elle travaillait dans une enseigne de fast food, où elle a notamment connu des agressions de la part de clients (jet de sauce au visage, cris dans le casque du drive). La lecture est apparue à Léa comme la

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possibilité de mettre à distance ces problèmes rencontrés dans l’emploi. Si elle présente la rencontre avec l’ouvrage Cinquante nuances de grey comme la raison de cette passion nouvelle, il s’avère que les entrées dans – ou faudrait-il dire plutôt les sorties par – la lecture, s’observent généralement chez des jeunes femmes qui éprouvent une situation de malaise ou de désajustement dans leur vie professionnelle ou familiale. Cette pratique permet alors de s’extraire d’une condition sociale vécue difficilement ou de combler un écart ou un décalage entre une trajectoire scolaire, professionnelle ou conjugale, objective et des aspirations subjectives.

« Il y a eu Les Cinquante nuances de Grey. […] (rire) Et du coup, je me suis mise dans la lecture. E – Avant, vous [ne lisiez pas ?] Bah je lisais de temps en temps. J’aimais bien les histoires vraies, mais je ne m’étais pas… Et là en fait, je me suis mise vraiment à lire. E - Depuis Cinquante nuances de grey ? Oui, je sais pas, j’avais besoin d’évasion à ce moment-là peut-être. Et du coup… C’était au moment où... Je crois que ça a dû sortir… je devais être au Mac Do à ce moment-là. Et du coup je me suis mise à lire, et puis j’ai dévoré le livre et puis du coup, après ça a continué, j’ai acheté des livres. »

Vanessa [27_SO] est agent polyvalent à la mairie de Rochambeau, un bourg d’environ 7000 habitants en Mayenne, où elle s’occupe du camping et du ménage des salles municipales. Titulaire d’un BEP Services aux personnes et d’un baccalauréat technologique STAV, elle est passionnée de lecture et s’y adonne dès qu’elle le peut. Cette pratique est également fortement liée à des difficultés personnelles rencontrées, et en particulier sa difficulté conjointe à tomber enceinte et à gérer son diabète. Vanessa ressent d’autant plus cette pression sociale à la maternité qu’elle a 27 ans et que ses amies ont presque toutes déjà des enfants ou sont enceintes. En surpoids, Vanessa a un rapport à son corps très compliqué et souhaiterait pouvoir avoir recours à une chirurgie bariatrique pour se faire retirer un morceau de l’estomac et ainsi maigrir, mais les médecins recommandent d’attendre deux ans après l’opération avant de tomber enceinte. Elle se trouve donc prise dans des arbitrages où l’on voit combien l’horloge sociale pèse sur les jeunes femmes : « il serait peut-être mieux de faire un enfant avant et de se faire opérer après. Au moins j’en aurai au moins un et si j’en ai un deuxième et qu’il arrive 5 ans après, il arrivera 5 ans après. Mais déjà je me disais que 2 ans en plus ça faisait conduire à du 28-29 ans ça faisait un peu tard, mais bon j’en ai 27 et pour l’instant… et donc du coup on a décidé que c’était peut-être bientôt le moment de faire un bébé. » Face à sa détresse – elle pleure pendant l’entretien –, dont on saisit pleinement les fondements sociaux, Vanessa trouve dans la lecture une façon de suspendre un temps le poids des injonctions et des normes qui s’imposent à elles et auxquelles elle ne parvient pas à répondre.

« [J’ai] tout le temps [ma liseuse] avec moi. Quand je suis au travail, elle est dans mon sac. E – Ah oui vous trouvez du temps au travail pour lire ? Pas au travail même, mais des fois, là ça arrive plus en ce moment, mais des fois j’ai une heure de pause – bon maintenant j’habite sur Rochambeau donc ça va, mais quand j’étais sur Plessis je remontais pas chez moi pour une heure. Et donc je restais dans ma voiture et je lisais. Mais au travail je l’ai quand même avec moi. On ne sait jamais. Par exemple, au camping ça m’arrive mais vraiment pas souvent, mais ça m’arrive où j’ai pas de ménage à faire, où faut que je sois au bureau mais il n’y a pas de clients, et donc du coup j’ai toujours cette tablette avec moi au cas où il y ait un petit peu de temps en temps. Mais c’est pas beaucoup. E – Vous arrivez pas à trouver trop de temps ? Mais c’est toujours bien quand on est dans les transports. Des fois je suis en voiture avec mon copain ; et il conduit et je suis dans ma lecture (rires). E – Ah oui ? Il doit en avoir marre ! Non parce qu’il parle pas alors du coup je trouve une autre solution pour m’occuper hein ! Parce que bon on est vite en voiture donc (rires). Non vraiment, c’est vraiment ma passion principale. […] C’est vraiment ce côté de deuxième monde, c’est que je ne suis plus dans la réalité. Je lis et je m’imagine l’histoire en même temps et donc ça me prend toute la concentration que je peux avoir à mettre. Et je peux devenir – j’ai mon copain qui le sait maintenant – mais je peux devenir exécrable si on m’embête pendant ma lecture !

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J’ai mon copain qui est très joueur, et souvent il m’énerve ! Il vient juste pour faire un bisou mais ça m’énerve parce que je suis dans ma lecture, qu’il faut que j’arrête, ça va me prendre 5 minutes, mais 5 minutes où j’aurais pu déjà avancer dans ma lecture ! […] C’est mon deuxième monde. Quand j’ai besoin, ou j’ai des soucis et que je ne trouve pas de solution, je me mets dans la lecture. Et ça m’évite beaucoup de choses. E – Oui c’est un effet un peu thérapeutique ? C’est ça. Il y en a qui ont besoin du sport pour s’évader, moi j’ai besoin de la lecture, c’est mon côté évasion. […] Je rêve la vie qu’ils peuvent avoir dans les lectures. […] Après je sais que c’est pas la réalité. Mais oui, ça fait toujours rêver !

L’importance de ce loisir pour Vanessa trouve à s’objectiver dans un tatouage qu’elle s’est fait quelques mois auparavant sur son poignet, où l’on voit un livre ouvert et une phrase qui s’en échappe, disant : « un autre monde pour exister ». Le tatouage constitue un moyen de revendiquer une autre identité sociale, plus conforme aux aspirations de la jeune femme et, dans le même temps et d’une certaine manière, une façon de se réapproprier un corps qu’elle n’apprécie pas :

« Donc pour moi ça veut tout dire. Quand je vous disais que la lecture elle était importante pour moi je l’ai marqué sur mon corps, parce que pour moi c’est vraiment ma passion, c’est mon truc. […] C’est mon deuxième monde. En fait j’ai la réalité, et j’ai la lecture qui est pour moi mon côté où je peux me sentir tranquille. Il n’y a pas de stress, il n’y a pas de copains, il n’y a pas de parents, il n’y a rien ! (rires) Il y a juste l’histoire du moment. »

Cette façon de s’extraire passagèrement des contraintes sociales, trouve à s’opérer dans des interstices temporels réduits, à l’occasion de coupures dans la journée de travail, dans les transports ou lorsque le conjoint est lui-même occupé à d’autres tâches. Le temps libre féminin est ainsi souvent susceptible d’être l’objet d’une interruption ou d’une diversion (Harrington et alii, 1992). Si Vanessa profite de l’absence de clients lorsqu’elle travaille à la réception du camping pour sortir sa liseuse, Anaïs [16_SO] profite d’un intervalle entre deux rendez-vous dans son institut de beauté pour lire, ou encore Léa [10_SO] employait les temps longs de pause au supermarché pour avancer dans sa lecture, assise par terre entre les casiers des employés du magasin :

« Je ne lis pas très vite donc, je dois être à 2, 3 [livres par mois] peut-être. […] Je ne lis pas énormément vite donc c’est dès que j’ai le temps donc, il y a le soir avant de me coucher, quand Sébastien va être sur ses maquettes ou sur son truc… Moi, je vais en profiter pour bouquiner… En coupure. Parfois, j’avais 2 heures de coupure, je ne tombais pas forcément avec mes collègues donc à ce moment-là j’allais dans le vestiaire, tranquille et je lisais. […] Donc là, j’étais tranquille. Et puis après, dès que j’avais un moment. […] J’étais par terre… (rire) Adossée aux vestiaires ! »

Les livres permettent ainsi à ces jeunes femmes de se réapproprier des contraintes telles qu’un planning de travail morcelé ou l’assignation au foyer pour garder un enfant, mais cette pratique de loisir nécessite souvent des formes de bricolage ou de perruque, pour s’octroyer des bribes de temps libre. Si les loisirs féminins constituent une réalité dans les milieux populaires ruraux et que l’allongement des scolarités et la diffusion des styles de vie des classes moyennes ont favorisé l’accès des jeunes femmes à des activités plus nombreuses et plus diversifiées, il n’en demeure pas moins que ces loisirs semblent devoir malgré tout souvent faire l’objet de conquête ou de ruse pour pouvoir s’imposer dans les emplois du temps féminins. Le temps de lecture continue d’être un temps gagné sur les autres (professionnels, conjugaux, domestiques) et s’opère parfois de façon privée et cachée. La littérature érotique, qui a souvent été mentionnée par les jeunes femmes, n’est pas toujours pleinement assumée par elles, comme s’il s’agissait d’un « plaisir indu » (Thiesse, 1991). Émilie [12_SO], coiffeuse salariée en congé maternité, enceinte de son deuxième enfant, apprécie la lecture mais a un peu honte de citer les livres

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qu’elle lit, comme s’ils faisaient mauvais genre au double sens du terme (relevant à la fois de l’illégitimité ou de l’indignité culturelle et de la pratique déviante) :

« J’aime pas dire ce que je lis… (rire). Non mais là en ce moment, c’est à cause de ma sœur… Elle a 14 ans, mais toute les gamines apparemment, elles lisent ça, là : Calendar Girl. Mais sauf qu’en fin de compte, c’est quand même assez… C’est 50 nuances de Grey mais en plus soft on va dire. Du coup, je l’ai vue lire ça puis un jour, elle était à côté de moi […] je me suis mise à lire et puis j’ai pas arrêté. »

La littérature érotique ou sentimentale est fortement citée par les jeunes femmes et l’ouvrage Cinquante nuances de grey a plusieurs fois été présenté comme le déclencheur d’un goût pour la lecture. Anaïs [16_SO] revendique ainsi être une lectrice « depuis 50 nuances de grey » tout comme Émilie [12_SO] : « C’est là que je me suis découverte en fait, la lecture parce que c’est quand j’ai lu 50 nuances de Grey. ». La dimension sentimentale et les histoires d’amour ont accroché ces jeunes femmes, dans une forme d’identification, mais aussi les rôles de femmes indépendantes, et cherchant à résister à la domination sociale et masculine. Pour ce genre littéraire, les éditeurs renouent avec la pratique du feuilleton avec la publication de séries mensuelles, à l’instar de la collection Calendar Girl diffusée par Hugo & Cie sur toute l’année 2017, résumée par Vanessa :

« C’est l’histoire d’une fille, elle doit rembourser les dettes de son père et donc elle va devenir, comment on appelle ça ? […] escort-girl voilà c’est ça. Et donc tous les mois elle change d’homme. Et le premier homme à qui elle va faire l’escort-girl elle va plus ou moins tomber amoureuse. Et donc on va le retrouver dans les autres romans, même si elle va changer tous les mois. Et voilà (rires), ça va être la fin, donc là elle est en couple avec cet homme-là et donc elle a arrêté l’escort-girl, elle a retrouvé un frère grâce à ce travail. Vraiment c’est bien mais c’est tous les mois c’est ça le pire… »

Au-delà du style d’ouvrages lus, c’est aussi le rapport particulier avec le livre qui distingue les jeunes femmes rencontrées des lectrices des classes supérieures, et notamment du pôle culturel (Thiesse, 1987). Les maisons ou les appartements dans lesquels nous avons rencontré les enquêtées ne présentent pas de bibliothèques objectivant la pratique de la lecture et le volume de cette pratique, suscitant à ce titre souvent la surprise de l’enquêtrice lorsqu’une passion littéraire était déclarée, sans qu’elle ne s’exprime dans des indices visibles au sein de l’espace domestique. Cette absence traduit une forme spécifique de rapport à la lecture, fondé sur une dimension à la fois très personnelle et privée (on n’expose pas ses lectures et on n’en fait pas un signe extérieur de culture comme dans les classes moyennes ou supérieures) et dans le même temps une pratique fortement collective, basée sur l’échange et le don. Vanessa [27_SO] est ainsi initiée à la lecture par deux de ses tantes, qui lui donnent des petits romans de la collection Harlequin :

« C’est ma tante qui m’a, qui a commencé à me faire lire des romans Harlequin. Vous savez les romans à l’eau de rose. […] À 10 ans, j’étais quelqu’un de timide. Et du coup elle m’a mis à la lecture et j’ai aimé ça et je me suis ben jamais arrêté depuis. Au début c’était un petit peu. Et oui c’est à partir du moment où on a déménagé en Mayenne, où vraiment je m’y suis mise et c’est quelque chose vraiment, pour moi c’est ma principale, mon principal loisir, ma principale passion en fait. J’adore ça ! Je peux rester des heures à lire sans soucis quoi. Là j’en profite pendant les vacances encore plus qu’avant (rires). E – Et donc du coup alors c’est parti des romans Harlequins c’est ça ? Oui c’est ça. Au début c’était des tout petits Harlequins. Et c’est une tante qui aimait beaucoup lire. Et j’ai une deuxième tante, paternelle aussi, qui lit énormément aussi. Donc du coup elles donnaient les livres à ma grand-mère et moi je les récupérais. Donc déjà ça m’évitait ce côté où je devais demander à papa de m’en acheter. »

Les jeunes femmes donnent à voir des réseaux de lecture où les livres circulent une fois qu’ils sont lus et ne demeurent pas entreposés dans un meuble. Élodie [1_SO], aide à domicile en arrêt maladie, raconte ainsi qu’elle achète chaque semaine des magazines (Maxi, Psychologie)

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qu’elle donne à sa grand-mère une fois qu’elle les a terminés, et procède de même avec les ouvrages qu’elle reçoit par le biais de son abonnement à France Loisirs. D’autres enquêtées font part d’échanges, de dons ou de reventes qu’elles opèrent via des forums en ligne ou le site Le Bon Coin, voire admettent parfois qu’elles jettent certains livres une fois leur lecture achevée. Ce goût pour la lecture oriente aussi leurs sorties et les conduit à fréquenter des grandes surfaces culturelles comme Cultura ou les espaces culturels Leclerc. Les choix de lecture des jeunes femmes se portent aussi beaucoup sur les histoires vraies, où elles peuvent parfois retrouver des situations rencontrées dans le cadre de leur profession et développer leurs qualités d’empathie. C’est le cas par exemple de Mariza [34_FR], assistante de vie familiale, qui trouve dans ses lectures des éléments de compréhension de cas qu’elle rencontre dans sa vie professionnelle. Elle évoque le dernier roman qu’elle a lu :

« C’était Un dernier été de Anne je ne sais plus comment. C’est une dame qui avait la maladie de Charcot. Et j’ai une cliente qui a cette maladie-là et je voulais le lire, parce que cette dame-là est partie se faire euthanasier en Belgique en fait, parce qu’elle ne supportait plus de vivre cette maladie-là. Et je voulais le lire déjà par rapport à mon métier et puis je trouve que c’est quand même courageux d’aller se faire tuer clairement. »

Au final, la lecture apparaît comme un espace propre féminin, peu ou pas investi par les conjoints, où les jeunes femmes trouvent à entretenir des dispositions scolaires et genrées telles que l’écoute et l’identification. Conclusion de la partie III L’entrée dans l’âge adulte des jeunes femmes rencontrées relève de trajectoires et de configurations éminemment collectives, où l’accès à l’emploi, à la propriété, à la maternité ou encore aux loisirs, apparaît fortement conditionné par les appartenances amicales, conjugales, familiales, professionnelles et plus largement locales. Si les systèmes d’alliances et d’obligations apportent des ressources dans le même temps qu’elles contribuent à lier les jeunes femmes au territoire, l’enquête montre bien tout ce que ces jeunes femmes apportent en retour à l’espace local, par leurs engagements privés ou publics, bénévoles ou professionnels. Il apparaît aussi que si l’enchevêtrement des appartenances constitue une condition à la gestion des différents impératifs auxquels sont soumis les jeunes femmes (diplôme, emploi salariée, maternité, etc.), ces dernières investissent et transforment leur rôle dans l’espace local à la faveur des compétences et des dispositions issues de leur scolarisation prolongée et de leur sensibilisation aux normes des classes moyennes et supérieures. Au final, le recours à la notion de configurations et la mise en évidence du canevas des relations d’interdépendances locales dans lesquelles sont prises les jeunes femmes d’origine populaire et rurale permet de rompre avec une lecture misérabiliste ou culturaliste des petites mobilités ou de l’immobilité géographiques au féminin, et de l’attachement à la campagne (Renard, 2016).

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Conclusion L’enquête RURELLES avait pour objectif de rompre avec une vision en négatif des jeunes femmes d’origine populaire et rurale, et de documenter, en positif, leurs ressources et leurs espaces propres, en s’appuyant sur 45 entretiens approfondis, réalisés en 2017 et 2018. Au terme de cette recherche et sur la base des premiers constats réalisés, 2 résultats majeurs peuvent être rappelés et qui ouvrent sur des pistes d’analyse que nous souhaiterions pouvoir développer par la suite :

i) Les calendriers biographiques des jeunes femmes d’origine populaire et rurale s’articulent désormais fortement autour des deux impératifs que sont la norme du diplôme et l’exercice d’un métier. Si ces deux normes se déploient dans un contexte rural aux contraintes fortes, comme la sexuation des domaines de formation, la limitation de l’offre locale d’études et d’emploi, la précarité du marché du travail féminin, etc., les jeunes femmes rencontrées mettent en œuvre des tactiques et s’appuient sur des ressources locales pour tenter de mener à bien ces deux objectifs. Les trajectoires de certaines les mènent à l’enseignement supérieur et à des professions de cadres intermédiaires ou supérieurs. Pour la majeure partie d’entre elles, l’insertion professionnelle s’opère au sein d’un marché du travail local où dominent les emplois des services à la personne compris au sens large (éducation, soins esthétiques, soins paramédicaux, etc.), et où elles cherchent à s’aménager des marges de manœuvre malgré des situations professionnelles souvent instables en début de parcours. Dans cette perspective et sur la base des matériaux recueillis, nous souhaiterions investiguer les pistes suivantes : L’accès au statut d’indépendant (notamment pour les coiffeuses ou

esthéticiennes) comme moyen pour certaines de s’affranchir des relations de domination hiérarchique.

Le développement des collectifs de travail au sein des espaces professionnels fortement féminisés comme les ÉHPAD et le recours au syndicalisme.

L’usure prématurée du corps et de l’esprit dans le cadre des métiers du care et les formes de reconversions professionnelles anticipées par les jeunes femmes.

Les difficultés rencontrées dans l’entrée dans l’emploi et le sentiment d’abandon des pouvoirs publics qui s’expriment dans le vote d’extrême-droite.

ii) L’inscription des jeunes femmes dans les espaces ruraux relève de l’appartenance à un système d’obligations qui offre des ressources et des opportunités aux jeunes femmes et qui en retour engagent ces dernières. Loin d’être cantonnées à un rôle passif et subordonné, l’enquête donne à voir une participation forte des jeunes femmes à l’activité des villages et à l’animation des collectifs amicaux, familiaux et locaux. Sans remettre en cause les formes de domination masculine et sociale qui pèsent sur elles, il apparaît que le capital d’autochtonie, le développement d’alliances féminines et les ressources scolaires leur permettent de mettre en œuvre des formes de résistance et de s’octroyer des marges de manœuvre. L’enquête donne à voir également tout l’intérêt de penser les campagnes non plus seulement selon des institutions proprement masculines et publiquement visibles comme les cafés ou les clubs de football, mais de saisir les nouveaux lieux de recomposition des sociabilités rurales, plus féminins et parfois plus informels, comme les salons de coiffure et d’esthétique, les entrées/sorties des écoles ou les bandes de filles. Sur cet aspect, nous souhaiterions poursuivre les réflexions selon les axes suivants :

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Les formes de féminité et le rapport au corps des jeunes femmes d’origine populaire et rurale (importance des régimes, souci esthétique, prégnance des tatouages, etc.).

L’accès précoce à la propriété. La recomposition des loisirs en milieu rural et la rencontre entre culture scolaire

et culture populaire (Levine, 2010 [1988])

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Annexes Annexe 1. Guide d’entretien Vous avez répondu en 2014 à une enquête de la DREES sur les ressources des jeunes. Les données de cette enquête vont permettre à la DREES de mieux comprendre la complexité de la période du passage à l’âge adulte et d’identifier les différents leviers (aides financières et non-financières, infrastructures, équipements, etc.) permettant de faciliter l’accès à l’indépendance matérielle et économique des jeunes. La recherche actuelle s’intéresse plus précisément à la question de l’entrée dans l’âge adulte des jeunes femmes, des contraintes spécifiques rencontrées au cours de cette transition et des ressources spécifiques et mobilisées que nous souhaitons aborder avec vous. Plusieurs thématiques composent l’entretien : le lieu et la commune d’habitation ; les sociabilités familiales, amicales, de voisinage et les relations amoureuses ; les loisirs et temps libres ; l’activité professionnelle. Nous aimerions aussi revenir sur votre parcours scolaire et la période de l’enfance et de l’adolescence. Pour faciliter la discussion, nous aimerions visualiser avec vous les ancrages géographiques de vos activités, aussi, nous vous proposerons de situer sur une carte les lieux que vous êtes amenés à fréquenter. Enfin, nous vous proposerons en fin d’entretien de procéder à un inventaire d’objets … Pour commencer, j’aimerais que vous me parliez de la commune dans laquelle vous vivez et de votre logement… Depuis quand y vivez-vous ? Avez-vous grandi dans cette commune ou avez-vous déménagé ? Dans cette commune, avez-vous vécu dans le même « quartier » ou avez-vous déménagé (où habitent et où habitaient vous parents) ? Le logement ? Cohabitation ? Avec qui ? Depuis quand y vivez-vous ?

En cas de décohabitation : Comment l’avez-vous trouvé (petites annonces, bouche à oreille, etc.) ? Accessibilité (loyer, caution/dépôt de garantie, aide au logement) ? Comment vous y êtes-vous installée (aide de la famille ou de copains pour le déménagement, etc.) ?

Comment l’avez-vous meublé ? (des objets/meubles offerts, achetés, etc.) En êtes-vous satisfaite ? Envisagez-vous d’en changer (à quel terme…) ? Pour aller où ? Y a-t-il des endroits où vous n’aimeriez pas vivre ? Y avez-vous déjà vécu ? Connaissez-vous des personnes qui y habitent ? Pouvez-vous me parler de votre quartier (voisinage, commerces) ? Quels sont les lieux de la commune que vous fréquentez (équipements, commerces, institutions, parcs, domiciles, etc.) ? À quels moments ? Avec qui ? Les activités réalisées sur place ? Les activités réalisées ailleurs ? Les activités habituelles ? (des visites au voisinage, participation à telle ou telle association, etc.) ? Les périodes de « vacances » ? Les « habitants » fréquentés ? Appréciés/dépréciés ? Quand vous sortez dans la rue, connaissez-vous tous les gens que vous rencontrez ? Y en a-t-il que vous n’appréciez pas ? Avez-vous entendu parler de querelles de voisinage ? Qu’en pensez-vous ? La municipalité (les activités et événements proposés, les services, les écoles, etc.) Y participez-vous (réunions, événements, fêtes, etc.) ?

Connaissez-vous des personnes à la mairie ? À quelle occasion les avez-vous rencontrées ? Connaissez-vous les élus ? Avez-vous voté pour/contre ?

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Vous arrive-t-il souvent de quitter la commune (achat, loisirs, travail, sociabilités, vacances, etc.) ? Pour aller où ? Comment (moyens de transport) ? Avec qui ? Préférez-vous vous divertir ailleurs que dans la commune ? Rencontrer des gens à l’extérieur ? Préférez-vous au contraire les liens construits localement ? J’aimerais maintenant que l’on parle de vos temps libres et loisirs (espaces propres féminins) Pouvez-vous me raconter une journée ordinaire ? Par exemple un jour de la semaine dernière ? déplacements, lieux, personnes rencontrées En semaine, disposez-vous de temps libres ? (soirée, après-midi, etc.) Généralement, que faites-vous dans ces moments-là ? Rangements ou autres activités domestiques (aménagements – temps passé et goût pour –, jardinage, cuisine, activités manuelles et créatrices, éducatives, etc.), courses, sociabilités, activités à l’extérieur (culturelles/cultuelles/politiques/associatives, sportives, entretien de soi) ? Pour chacune des activités citées, vous arrive-t-il de les pratiquer avec d’autres personnes ? Qui ? Quand/fréquence ? À quel endroit (même commune ou pas…) ?

Pour chacune des activités citées, vous souvenez-vous comment vous en êtes venue à la pratiquer ? Avec des personnes de votre entourage ?

En suivant des conseils ? (magazines, télé, livres, radio, etc.) ? Depuis combien de temps ?

Vous arrive-t-il d’aller chez le coiffeur, l’esthéticienne, etc. ? Fréquence, où, appréciation, lien avec la professionnelle, etc. Par exemple, la dernière fois ? Pour les questions de santé, demandez-vous avis à vos proches ? consultez-vous des professionnels ? qui ? où ? Par exemple, la dernière fois ? Êtes-vous adhérente d’une association ? Inscrite dans un club ? etc. En général, quand vous faites vos courses, vous vous rendez où ? Par exemple, la dernière fois ? Vous arrive-t-il exceptionnellement de faire vos courses ailleurs ? (pour quels achats) Que faites-vous généralement durant les week-ends ? Matinées ? Après-midi ? Soirées ? Avec qui ? Où ? Quoi ? Par exemple, le week-end dernier ? Vous arrive-t-il de préparer ou d’aider à la préparation d’événements collectifs (foot, baptême, fête de la commune, brocante, etc.) ?

Comment se passe cette préparation ? Avec qui ? Que faites-vous (plats, etc.) ? Plaisant ? Sujets de discussions ? Comment se passe ces événements ? Que faites-vous ? Avec qui ? etc. Y a-t-il des choses et sujets de conversation que vous appréciez particulièrement pendant ces moments ? Des choses et sujets de conversation qui vous surprennent ? Des choses et sujets de conversation qui vous déplaisent ? Par exemple, le dernier événement auquel vous avez participé ? Vous arrive-t-il de recevoir des proches ou vous rendez-vous chez des proches (ou dans des lieux publics – café, etc.) (fréquence, avec qui…) ?

Pouvez-vous me raconter comment vous vous organisez ?

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Quels sont les sujets de discussion (pratiques professionnelles, de loisirs, éducatives et domestiques, les personnes de l’entourage, la vie de la commune…) ? Pouvez-vous me raconter la dernière fois que vous avez reçu ou que vous êtes allée chez des proches ou allée à l’extérieur avec des proches ? Y a-t-il des choses et sujets de conversation que vous appréciez particulièrement pendant ces moments ? Des choses et sujets de conversation qui vous surprennent ? Des choses et sujets de conversation qui vous déplaisent ? Pouvez-vous me parler de vos amis ?

les activités partagées et sujets de conversation, les modalités de discussions (téléphone, internet, rendez-vous, etc.), leurs lieux d’habitation, des échanges de service ? l’ancienneté de la relation, la façon dont ils ont été rencontrés (école, travail, conjoint, famille, etc.) ?

Y a-t-il des personnes que vous voyez souvent avec qui vous ne vous entendez pas forcément très bien ? ou que vous ne considérez pas comme vos amis ?

les activités partagées, les sujets de conversation, leurs lieux d’habitation, l’ancienneté de la relation, la façon dont ils ont été rencontrés (école, travail, conjoint, famille, etc.) ?

Y a-t-il des personnes que vous avez perdues de vue ? Qui ? Quand étaient-elles fréquentées ? Les activités partagées et sujets de conversation ? Les motifs de l’éloignement ?

Etes-vous la marraine d’un ou plusieurs enfants ? De la famille ?

D’amis ? Voyez-vous souvent l’enfant ? Ses parents ? Quel lien avez-vous avec (téléphone, visite, activités partagées, cadeaux, etc.) ?

Pouvez-vous me raconter vos dernières vacances ? Où ? Avec qui ? Activités ?

En général, que faites-vous pendant vos congés ? Comment décidez-vous de ce que vous allez faire ? J’aimerais maintenant que l’on parle de votre situation familiale ? Avez-vous déjà vécu seule ? Où ? À quelle période de votre vie ? Quelles étaient vos activités à ce moment-là ? Et maintenant, vous vous vivez avec quelqu’un ? Depuis combien de temps ?

Comment avez-vous décidé de vivre ensemble ? Comment l’avez-vous rencontré ? Que fait-il/elle durant la journée ?les soirées ? Quels sont ses loisirs ? Des loisirs partagés ? Etes-vous mariés/pacsés ?

Si oui, Qu’est-ce qui vous a donné envie de le faire ?

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Pouvez-vous me raconter votre mariage et les préparatifs (qui y avait-il [liste d’invités] ? qui a préparé/commandé le repas ? quelles activités – repas, musique/danse, jeux, etc.) ? La tenue de mariage ? Les cadeaux (et la liste de mariage) ? Le lieu ? Église ? Cela s’est-il passé comme vous le souhaitiez ?

Envisagez-vous de le faire ? Pourquoi ? Quand ? Au quotidien, qui s’occupe du rangement, des repas, des invitations, des sorties, des relations avec les familles, les amis, etc. Par exemple, le dernier repas, la dernière invitation, etc. Au quotidien, qui s’occupe des courses (listes de course, stocks, etc.), Avec l’argent de qui ? Compte commun ou séparé ? Répartition des factures ? Au quotidien, qui s’occupe des papiers administratifs ? Si relation amoureuse sans cohabitation. Où vit-il/elle ? Avec qui ? Depuis combien de temps ? Comment/où a-t-il/elle été rencontré ? Comment, à quel moment se passent les rencontres ?

Chez l’un, chez l’autre ? Déplacement ? Activités partagées ? Activités respectives ? Des temps partagés (vacances, week-end, etc.) ? Des biens partagés (voiture, etc.) ?

Est-ce que vous envisagez de vivre ensemble ? Qu’est-ce qui le rend impossible pour l’instant ? À quelle échéance ? Des souhaits ? Des craintes ? Des relations amoureuses antérieures ? Avec qui ? À quel moment ? Que faisait-il/elle ? Combien de temps ont-elles duré ? Qu’est-ce qui y a mis fin ? Si enfant. Quel âge a-t-il ? (faire parler des différents enfants le cas échéant)

En quelle classe est-il ? Comment cela se passe à l’école ? copain, enseignants, etc. Quels sont ses loisirs préférés ? Comment a-t-il commencé ?

Etes-vous satisfaite ? Inquiète ? Quelle scolarité imaginez-vous pour lui ? Profession ? Lieu résidentiel ?

Au quotidien, qui s’occupe de quoi ? Repas, goûter (préparation et horaires) Transport à l’école, aux activités de loisirs (s’il y a) Aménagement des espaces domestiques Courses et autres occupations (consultation, coiffeur, vêtements, jeux, etc.)

Jeux Suivi scolaire Rencontre avec profs, parents d’élèves, moniteurs sportifs, curé, etc.

Pouvez-vous me raconter le dernier coucher ? Vous arrive-t-il de demander conseils (ou chercher conseils) pour votre enfant ? Sur quels sujets ?

Auprès de qui ? famille ? ami ? professionnel ? magazines ? ouvrages ? Vous arrive-t-il de le faire garder ? À quel moment ?

Par qui ?

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Est-ce que cela vous coûte de l’argent ? Comment avez-vous « choisi » ? Etes-vous satisfaite ? Inquiète ?

Si pas d’enfant. Est-ce que c’est une envie ? un projet commun ? Comment cela est-il envisagé ? (pour quand ? quelle implication sur le travail ? le rythme de vie, etc. ?) Si non, pourquoi ? Une expérience désagréable connue par d’autres ?

Contraintes économiques, professionnelles, etc. J’aimerais maintenant que l’on parle plus précisément des relations actuelles avec votre famille ? Quelles sont les personnes avec lesquelles vous êtes le plus en relation (téléphone, internet, visites et temps partagés) ? Parents, frères et sœurs, oncles et tantes, cousins/es, grands-parents… Que font-ils ? Faites-vous des choses avec eux ? Quels temps partagés ? Quelles activités ? Des services échangés ? etc. Des activités partagées depuis de longue date (avant décohabitation) ? des activités nouvelles ? Avec les uns et les autres ?

Quelles sont les personnes de votre famille avec lesquelles vous avez le moins de liens ? Des brouilles ?

Passez-vous les fêtes avec eux (Noël, anniversaire, etc.) ? Comment cela se passe-t-il ? Si relation amoureuse. Êtes-vous souvent en lien avec la famille de votre conjoint ? Comment s’entend-il/elle avec sa famille ?

Quelles relations entretenez-vous avec eux ? Téléphone, internet, visites ? Activités, pratiques, sujets de discussion, désaccords, échange de services, etc. ?

Les connaissiez-vous avant d’être en couple avec… ? Y a-t-il d’autres personnes qui ont compté pour vous ? (soit en laissant un bon souvenir, soit l’inverse) AS, éduc spé, enseignants, nounou, médecins, voisins, parents d’amis, curé, prof de sport, colonie, syndicat, parti, etc.

Si oui, à quel moment les avez-vous côtoyés ? les voyez-vous encore ? avez-vous encore des liens avec ? Activités et temps partagés ? Les aides reçues ? Les problèmes rencontrés ?

J’aimerais maintenant que l’on parle de votre expérience professionnelle… Avez-vous une activité professionnelle ? Laquelle ? Comment avez-vous trouvé ce travail ? (période de chômage, relations, intérim, etc.) ? Où travaillez-vous (et moyens de transport si déplacement) ?

Quels sont vos horaires ? Pouvez-vous me raconter ce que vous faites ? Quelles sont vos tâches principales ? Ce sont des

choses que vous aviez déjà faites ? Pouvez-vous me parler de vos collègues de travail ? de l’ambiance ? Le cas échéant, de la

hiérarchie ? Les voyez-vous en dehors du travail ? Que vous arrive-t-il de faire avec eux ? Connaissez-vous leur vie de famille ? Des membres de leur famille ? Savez-vous s’il y a un ou des syndicats auxquels vous pourriez vous affilier ? Êtes-vous proche

de certains syndiqués ?

99

Pouvez-vous me raconter comment se sont passées vos premières journées de travail ? Est-ce que vous êtes globalement satisfaite ? Est-ce que vous rencontrez des difficultés ? Pouvez-vous m’en parler ? Est-ce que vous aimeriez en changer ? Est-ce que vous aimeriez arrêter de travailler (enfant…) ? Qu’en pense vos proches (amis, famille, conjoint) ? Quel est votre salaire ?

Comment gérez-vous votre salaire ? Vous souvenez-vous comment vous avez dépensé votre premier salaire ? Avez-vous d’autres sources de revenus ? Si non, quelles sont vos sources de revenus ? Quel montant ? Êtes-vous en recherche d’emploi ? Quelle est la situation du marché de l’emploi, localement ? Certains de vos proches ou de l’entourage, du voisinage, ont-ils des difficultés à trouver du travail ? Avez-vous eu d’autres expériences professionnelles avant ce travail ? D’autres activités contre rémunération ?

Stages, colonies de vacances, services rendus, etc. ? Pouvez-vous me décrire chacune de ces expériences ?

À quel moment ? (quel âge ?) Où ? Avec qui ? Trouvées comment ? Les tâches réalisées ? Ce qui plaisait et déplaisait ?

J’aimerais maintenant que vous parliez de votre scolarité… Quel est votre dernier diplôme ? Quelle formation avez-vous suivie ? Où était-ce ? Le cas échéant, quels moyens de transport ? Logement ? Comment y êtes-vous arrivée ? Des conseils (famille, amis, profs, Pôle emploi) / par défaut Un choix d’établissement Quel financement ? (parents, bourses, travail à côté) Comment cela se passait-il ? Les contenus de formation Les enseignants Les résultats Les camarades (des gens connus de longue date, de nouvelles rencontres ?) Et en dehors de la formation ? Les activités avec des camarades ? Liens avec anciens amis (proches du logement) ? Les réactions de l’entourage ? Des goûts et dégoûts construits durant cette formation ? De nouvelles activités ? L’abandon d’anciennes ? Des activités qui se sont maintenues jusqu’à présent ? Et avant cela, pouvez-vous me raconter comment s’est passée votre scolarité ? J’aimerais que nous évoquions les différents établissements fréquentés : maternelle, primaire, collège, lycée (LGT, LP, CFA)

100

Quel établissement ? À quel endroit ? Est-ce qu’il y avait le « choix » entre plusieurs ? Raisons du « choix » Appréciation des contenus de formation, des enseignants, sociabilités ?

Résultats scolaires ? Des redoublements ? Des options suivies ? Les réactions de l’entourage ? Les devoirs ? Vous souvenez-vous d’avoir été aidée par l’un ou l’autre de vos parents pour vos devoirs ? Allaient-ils rencontrer les enseignants ? Participaient-ils aux sorties scolaires et autres festivités ? Pouvez-vous me raconter comment se sont déroulées les différentes orientations ? (conseils

des profs, souhaits familiaux, amicaux, salons, etc.) ? Comment avez-vous décidé d’arrêter vos études ? Est-ce que vous auriez aimé poursuivre ? Connaissez-vous des personnes qui ont continué ? Y a-t-il des formations que vous auriez souhaité suivre que vous n’avez pu suivre ? Lesquelles ?

D’autres que vous n’auriez surtout pas eu envie de faire ? Quelles études les membres de votre famille (grands-parents, parents, fratrie) ont-ils suivies ? Vous souvenez-vous si vous étiez comparée à l’un d’entre eux ? À quel sujet ? J’aimerais que l’on revienne plus précisément sur la période de votre enfance… Avec qui viviez-vous lorsque vous étiez enfant ? Avez-vous des frères et sœurs ? (rang dans la fratrie, activités partagées…) Que faisaient vos parents ? Travaillaient-ils ? (horaires, lieu de travail, salaires, etc.) Et maintenant, que font-ils ? Ont-ils connu des périodes de chômage ? Différents métiers ? (calendrier) Où habitiez-vous ? Avez-vous déménagé ? Quels étaient vos loisirs ? Si activités encadrées, faire décrire combien de temps elles ont été pratiquées, comment elles ont été « choisies », quel accompagnement parental ou familial, etc. Passiez-vous du temps avec vos parents ? Leurs amis ? Partagiez-vous des activités (loisirs, professionnelles ou domestiques) avec votre mère ? avec votre père ? Quels souvenirs en gardez-vous ? Vos parents voyaient-ils des amis, des proches, notamment pendant les week-ends ? Pourriez-vous me raconter comment cela se passait ? Vous souvenez-vous d’avoir joué avec vos parents ? D’avoir aidé vos parents pour des tâches domestiques ? D’avoir contribué aux ressources du foyer ? Vous souvenez-vous qui était présent chez vous le soir ? Qui s’occupait de vous ? Vous souvenez-vous si vous aviez des tâches à accomplir ? Et vos frères et sœurs ? En général, comment cela se passait-il ? Cela est-il arrivé que vous ne fassiez pas ce qui était attendu ?

Comment cela se passait-il ? Vous souvenez-vous si vous aviez le droit de sortir ? de fréquenter qui vous souhaitiez ? S’il y avait des interdits ? Vous souvenez-vous de disputes ? À quel sujet ? (vêtements, sorties, fréquentations, travail scolaire, tâches domestiques, alcool, etc.) J’aimerais revenir sur différents aspects évoqués pendant l’entretien (Passage à l’âge adulte)

101

Aujourd’hui, estimez-vous avoir des ressources suffisantes, manquantes ? Parvenez-vous à gérer votre budget ? Aujourd’hui, pouvez-vous m’indiquer si vous bénéficiez de l’aide financière de vos parents ou si vous les aidez ?

Qui paie et qui fait quoi ? Assurance automobile, impôts, déplacements, démarches administratives, etc. Pouvez-vous me raconter votre départ du domicile familial ? Aujourd’hui, pouvez-vous me dire quelle priorité vous accordez aux projets suivants : terminer ses études, trouver un emploi, se mettre en ménage, partir de chez ses parents, avoir des enfants, être propriétaire, vivre en ville/campagne, être marié, avoir une voiture, etc. Selon vous, qu’est-ce que devenir autonome/indépendant ? Définition de l’autonomie/indépendance Nous arrivons à notre dernière partie d’entretien. J’aimerais que vous me décriviez les objets de votre domicile et que vous m’indiquiez comment vous les avez eus (achats – neufs, occasions, lieux –, dons – de qui –…) Selon ce que l’on voit dans les différentes pièces

• Machine à laver • Lave-vaisselle • Frigo • Cafetière • Vaisselle • Lit • Canapé, fauteuil • Étagère, armoire, commode • Table, chaises • Décorations (posters, affiches, bibelots, miroir, etc.) • Télévision • Radio • Livres, disques, films • Voiture ou autres moyens de transport

Y a-t-il des choses que vous aimeriez avoir et que vous n’avez pas ?

102

Annexe 2. Tableau de présentation synthétique des enquêtées

N° Prénom

anonymé Age Unité urbaine

Emploi occupé

Plus haut diplôme possédé

Situation matrimoniale

PCS conjoint

Profession père Date et

durée de l’entretien

1 [SO]

Elodie 22 Com. rurale de

2000 hab. ou plus Aide à

domicile Baccalauréat professionnel

Union libre 66 Eleveur de

volaille 28.04.17

3h29

2 [SO]

Chloé 25 Com. rurale de

2000 hab. ou plus Educatrice spécialisée

DE Educateur spécialisé

Union libre 61 Agriculteur (éleveur de

bovins)

09.05.17 2h45

3 [SO]

Amandine 20 Com. rurale de

2000 hab. ou plus Esthéticienne

Baccalauréat professionnel

Célibataire nc Co-gérant d'une

entreprise de transport

22.05.17 0h43

4 [FR]

Marjorie 26 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. Coiffeuse BP Pacsée 61

Ouvrier en usine (tourneur-fraiseur)

01.06.17 2h13

5 [SO]

Tiffany 23 Com. rurale de

2000 hab. ou plus Aide-

soignante DE Aide Soignant

Mariée 61 Conducteur

routier 13.06.17

2h00 6

[FR] Elise 26

Com. rurale de 200 à 499 hab.

Aide-soignante

Baccalauréat professionnel

Pacsée 47 Ouvrier

paysagiste 28.08.17

3h37 7

[FR] Julie 25

Com. rurale de 1000 à 1999 hab.

Professeur des écoles

Master Pacsée 61 Mécanicien dans

un garage 30.08.17

2h14

8 [FR]

Camille 26 Unité urbaine de 5000 à 6999 hab.

Gendarme adjoint

volontaire Licence pro Pacsée 38

Technicien dans l’irrigation

31.08.17 3h16

9 [SO]

Kelly 21 Unité urbaine de 20000 à 24999

hab.

Peintre en bâtiment

BP Célibataire nc

Peintre en bâtiment

(propriétaire de l’entreprise familiale)

20.09.17 1h32

10 [SO]

Léa 27 Unité urbaine de 20000 à 24999

hab.

Hôtesse de caisse

BEP Union libre 61 Chaudronnier-

soudeur à STX à Saint-Nazaire

25.09.17 3h06

11 [SO]

Maëva 25 Unité urbaine de moins de 2500

hab.

Hôtesse de caisse/Praticie

nne naturopathe

Baccalauréat technologique

Célibataire nc Ouvrier 27.09.17

2h22

12 [SO]

Emilie 23 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. Coiffeuse salariée

BP Pacsée 61 Artisan

charpentier 27.09.17

2h26 13

[SO] Lucie 22

Com. rurale de 2000 hab. ou plus

Commerciale Licence pro En couple En

formation Ostréiculteur

29.09.17

1h13 14

[FR] Louisa 21

Com. rurale de 200 à 499 hab.

En formation DMA Célibataire nc Couturier de gros

tissu 29.09.17

2h38

15 [SO]

Audrey 25 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. Aide-

soignante

DE Aide médico-

psychologique

En couple 61 Agriculteur 02.10.17

1h37

16 [SO]

Anaïs 26 Com. rurale de 500 à 999 hab.

Esthéticienne CAP Pacsée 61 Ouvrier 09.10.17

2h18

17 [FR]

Béatrice 25 Unité urbain de 40000 à 49999

hab. En formation

BTS (non validé)

Union libre 48 Directeur

comptable d’une entreprise

13.10.17 3h09

18 [FR]

Céline 26 Com. rurale de 500 à 999 hab.

Ouvrière non qualifiée

BEP Union libre 52 NR 14.10.17

1h35

19 [FR]

Cinthia 22 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. Aide-

soignante Baccalauréat technologique

En couple 53 Agent de maîtrise

dans une entreprise de cars

19.10.17 1h09

20 [FR]

Angélique 21 Com. rurale de

1000 à 1999 hab.

Agent téléconseillèr

e Bac pro En couple 66

Agent administratif dans l’agroalimentaire

20.10.17 2h28

21 [FR]

Agnès 21 Unité urbaine de 200000 à 299999

hab. nc bac Célibataire nc

Ouvrier tailleur de pierre

21.10.17 3h27

22 [FR]

Margaux 27 Unité urbaine de 100000 à 149000

hab.

Technico-commercial

Licence pro Union libre 46 Cadre commercial 23.10.17

1h56

23 [SO]

Laetitia 25 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. Aide-

soignante Bac ST2S Union libre 47 Agriculteur

25.10.17 2h15

24 [FR]

Pauline 26 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. Factrice

Baccalauréat technologique

Union libre 62 Agent polyvalent

municipal 27.10.17

2h41

25 [SO]

Soumya 23 Unité urbaine de 7000 à 9999 hab.

En formation Baccalauréat professionnel

Célibataire nc Ouvrier non qualifié dans

l’agroalimentaire

27.10.17 2h25

26 [SO]

Solene 21 Unité urbaine de 7000 à 9999 hab.

Hôtesse de caisse

BTS Célibataire nc Entrepreneur dans

le bâtiment 10.11.17

2h35

103

27 [SO]

Vanessa 27 Unité urbaine de 7000 à 9999 hab.

Agent polyvalent municipal

Baccalauréat technologique

Union libre 66 Ouvrier agricole 15.11.17

4h26

28 [FR]

Virginie 21 Unité urbaine de 4000 à 4999 hab.

En formation Licence En couple En

formation Cadre en assurance

18.11.17 2h04

29 [SO]

Mélanie 27 Unité urbaine de 7000 à 9999 hab.

Responsable de magasin

Licence 2 Droit

Mariée 47 Employé municipal polyvalent

20.11.17 2h00

30 [SO]

Candice 24 Com. rurale de

2000 hab. ou plus Aucun NR Union libre 99 Militaire

21.11.17 4h01

31 [FR]

Justine 22 Unité urbaine de 50000 à 69999

hab.

Assistante de direction

Baccalauréat professionnel

Célibataire nc Maçon, agent

municipal 27.11.17

2h37

32 [FR]

Noémie 22 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. En formation Master 1 En couple

En formation

Agent chez Orange

29.11.17 3h33

33 [FR]

Allyson 23 Unité urbaine de 7000 à 9999 hab.

Sous-officier de

gendarmerie mobile

Baccalauréat technologique

Pacsée 45 Artisan sur

chantier 06.12.17

2h31

34 [FR]

Mariza 23 Unité urbaine de 7000 à 9999 hab.

Assistante de vie familiale

Baccalauréat professionnel

En couple 43 Agent de travaux

publics 07.12.17

3h36

35 [SO]

Sarah 24 Unité urbaine de 10000 à 14900

hab.

Aide-soignante

Baccalauréat professionnel

Union libre 48 Soudeur 07.12.17

3h07

36 [SA]

Laura 21 Com. rurale de

1000 à 1999 hab. En formation Licence Célibataire nc Agriculteur

09.02.18 1h30

37 [SA]

Morgane 24 Unité urbaine de 70000 à 99999

hab.

Chef de partie dans un

restaurant Baccalauréat Fiancée 56 Agent de banque

15.02.18 3h20

38 [SA]

Marion 28 Unité urbaine de 5000 à 6999 hab.

Secrétaire BTS Pacsée NR Carriste 17.02.18

2h05 39

[SA] Inès 22

Com. rurale de 1000 à 1999 hab.

Vendeuse BTS En couple NR Ouvrier qualifié

en électricité 10.04.18

4h23

40 [SA]

Elena 22 Unité urbaine de 70000 à 99999

hab.

Agent polyvalent municipal

CAP Célibataire nc Pâtissier en restauration collective

24.03.18 1h46

41 [SA]

Anne 25 Com. rurale de 500 à 999 hab.

Esthéticienne Baccalauréat professionnel

Union libre 47 Magasinier dans un magasin de location BTP

19.03.18 1h53

42 [SA]

Mathilde 22 Unité urbaine de 20000 à 24999

hab.

Employée polyvalente

dans une grande surface

Baccalauréat professionnel

Célibataire nc Agriculteur en conversion bio

26.03.18 2h35

43 [SA]

Maelys 23 Com. rurale de 500 à 999 hab.

En formation Licence Histoire

Célibataire nc Services aux

particulier à son compte

17.04.18 2h06

44 [SA]

Johanna 23 Unité urbaine de 300000 à 499999

hab. Aucun

Brevet des collèges

Célibataire nc Contrôleur des

impôts 25.05.18

1h42

45 [SA]

Océane 22 Unité urbaine de 50000 à 69999

hab. Aucun Master Célibataire nc

Enseignant, certifié et agrégé, de mathématiques

16.07.18 1h58