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http://colette.noyau.free.fr In: Gilbert Lazard et Claire Moyse-Faurie, eds. (2005), Linguistique typologique, Lille, Presses du Septentrion, pp. 207-240. Catégorisation et recatégorisation : les constructions verbales sérielles et leur dynamique dans deux familles de langues du Togo Colette NOYAU Université de Paris-X-Nanterre Issa TAKASSI Université de Lomé (Togo) 1 1. La notion de construction verbale sérielle (CVS) Dans ce travail nous abordons la question des constructions verbales sérielles (CVS) sous l’angle de leur dynamique évolutive, en nous appuyant sur des parlers du Togo appartenant à deux familles génétiques : le groupe gbe des langues kwa (particulièrement ewe-gengbe : Améka 1988, 1990, Bole-Richard 1978), et le groupe gur des langues voltaïques (ncam, parfois appelé bassar : Takassi 1996, 2002). La sérialisation verbale est définie de façon générale comme “ une construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont accolés en séquence mais se comportent comme une seule unité verbale ” (Frawley, 1992 :344), et du point de vue sémantique elles renvoient à un événement unique (Westermann, 1930 ; Givon, 1991). Les CVS constituent un phénomène caractéristique de plusieurs familles de langues d’Afrique de l’Ouest (langues akan, langues gbe) et sont présentes dans les langues de plusieurs régions du monde (chinois, coréen, thaï ; langues de la Nouvelle-Guinée. 2 , etc. ainsi que dans des parlers créoles). Elles posent au linguiste d’épineux problèmes de délimitation. En effet, les critères utilisés pour distinguer les CVS de séquences de propositions d’une part, de prédicats complexes à auxiliation d’autre part, ont donné lieu à une littérature abondante (Ameka, Lemaréchal, 1997 ; Bonvini, 1992 ; Delplanque, 1998, entre autres). Ces travaux aboutissent tous à la conclusion qu’il s’agit d’un phénomène difficile à isoler, et qui constitue plutôt un continuum qu’une catégorie de construction homogène. Les auteurs qui abordent la question d’un point de vue évolutif considèrent ces constructions comme éminemment instables et 1 La section 3. a été rédigée par I. Takassi, les autres par C. Noyau. Une première version des sections 1, 2 et 4 a été présentée par C. Noyau au colloque international ‘Les périphrases verbales’, sous le titre ‘Grammaticalisation et variation : constructions verbales sérielles et périphrases aspectuelles’, à Caen en juin 2003. 2 Cf. le 3 ème symposium de la Société Européenne de Linguistique Océanienne sur ce thème, C.N.R.S., Villejuif, mars 2001. 2 susceptibles de réorganisation (cf. par exemple Bickerton 1981 ; Heine & Reh 1984). Par ailleurs ces constructions sont au cœur des débats sur l’influence éventuelle d’un substrat africain dans la genèse des créoles (cf. Lefebvre, 1989, qui représente une position extrême dans ce débat). Donnons pour commencer deux exemples de CVS, des types les plus courants (les formes de nature verbale sont signalées en gras) 3 : (1) m achte rob bay m père 1S acheter robe donner IS ‘mon père m’a acheté une robe’ (créole haïtien, Déchaîne, 1993 :800) (2) e’ yi, lo,me, trO’ va’ 3Ssuj aller Lomé retourner venir ‘il est revenu de Lomé’ (gen, Bole-Richard 1978 :39) La morphologie verbale est pauvre dans la plupart des langues à CVS. Ainsi, dans (2), en gen(-gbe), l’aoriste (occurrence singulière réalisée) est marqué par Ø. Le marquage en TAM vaut pour tous les V de la série, c’est un des traits définitoires des CVS. Par ailleurs, le schème général V-V ... dans lequel les relations entre éléments ne sont pas marquées de façon différencie se prête à beaucoup de possibilités, comme nous allons le voir. 1.1 Les constructions verbales sérielles (CVS), définitions, statuts, débats Plusieurs critères ont été avancés pour distinguer les CVS d’autres constructions verbales complexes : - juxtaposition de deux ou plus de deux verbes au sein d’une proposition, - sujet unique à tous les V de la série - même temps/aspect pour tous les V - les verbes de la séquence ont tous la même polarité positive/négative (la négation est marquée une seule fois) Par ailleurs : chacun des verbes peut avoir son complément. Cependant, il n’existe pas un accord unanime sur ces critères généraux, ni pour la délimitation des CVS à l’intérieur d’une même langue, ni entre langues différentes, certaines langues réputées comprendre des CVS ne satisfaisant qu’une partie des critères. Il faut considérer par ailleurs des critères comme les indices morphologiques, qui sont particuliers à des langues ou groupes de langues : - marquage du TAM sur un seul des V ou sur chacun ; - restriction d’accord (un seul verbe porte l’accord) On rencontre aussi dans les CVS de certaines langues des faits qui généralement leur sont considérés comme étrangers, notamment la présence d’un relateur entre les V, le marquage 3 Les exemples tirés de la littérature sont signalés comme tels, ceux qui ne portent pas d’indication de source sont les nôtres, obtenus dans des enregistrements, ou bien validés auprès de locuteurs natifs s’il s’agit de familles d’exemples.

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http://colette.noyau.free.fr

In: Gilbert Lazard et Claire Moyse-Faurie, eds. (2005), Linguistique typologique,

Lille, Presses du Septentrion, pp. 207-240.

Catégorisation et recatégorisation :

les constructions verbales sérielles et leur dynamique

dans deux familles de langues du Togo

Colette NOYAU Université de Paris-X-Nanterre

Issa TAKASSI Université de Lomé (Togo)1 1. La notion de construction verbale sérielle (CVS) Dans ce travail nous abordons la question des constructions verbales sérielles (CVS) sous l’angle de leur dynamique évolutive, en nous appuyant sur des parlers du Togo appartenant à deux familles génétiques : le groupe gbe des langues kwa (particulièrement ewe-gengbe : Améka 1988, 1990, Bole-Richard 1978), et le groupe gur des langues voltaïques (ncam, parfois appelé bassar : Takassi 1996, 2002). La sérialisation verbale est définie de façon générale comme “ une construction syntaxique dans laquelle plusieurs verbes sont accolés en séquence mais se comportent comme une seule unité verbale ” (Frawley, 1992 :344), et du point de vue sémantique elles renvoient à un événement unique (Westermann, 1930 ; Givon, 1991). Les CVS constituent un phénomène caractéristique de plusieurs familles de langues d’Afrique de l’Ouest (langues akan, langues gbe) et sont présentes dans les langues de plusieurs régions du monde (chinois, coréen, thaï ; langues de la Nouvelle-Guinée.2, etc. ainsi que dans des parlers créoles). Elles posent au linguiste d’épineux problèmes de délimitation. En effet, les critères utilisés pour distinguer les CVS de séquences de propositions d’une part, de prédicats complexes à auxiliation d’autre part, ont donné lieu à une littérature abondante (Ameka, Lemaréchal, 1997 ; Bonvini, 1992 ; Delplanque, 1998, entre autres). Ces travaux aboutissent tous à la conclusion qu’il s’agit d’un phénomène difficile à isoler, et qui constitue plutôt un continuum qu’une catégorie de construction homogène. Les auteurs qui abordent la question d’un point de vue évolutif considèrent ces constructions comme éminemment instables et

1 La section 3. a été rédigée par I. Takassi, les autres par C. Noyau. Une première version des sections 1, 2 et 4 a été présentée par C. Noyau au colloque international ‘Les périphrases verbales’, sous le titre ‘Grammaticalisation et variation : constructions verbales sérielles et périphrases aspectuelles’, à Caen en juin 2003. 2 Cf. le 3ème symposium de la Société Européenne de Linguistique Océanienne sur ce thème, C.N.R.S., Villejuif, mars 2001.

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susceptibles de réorganisation (cf. par exemple Bickerton 1981 ; Heine & Reh 1984). Par ailleurs ces constructions sont au cœur des débats sur l’influence éventuelle d’un substrat africain dans la genèse des créoles (cf. Lefebvre, 1989, qui représente une position extrême dans ce débat). Donnons pour commencer deux exemples de CVS, des types les plus courants (les formes de nature verbale sont signalées en gras) 3 : (1) pè m achte rob bay m père 1S acheter robe donner IS ‘mon père m’a acheté une robe’ (créole haïtien, Déchaîne, 1993 :800) (2) e’ yi, lo,me, trO’ va’ 3Ssuj aller Lomé retourner venir ‘il est revenu de Lomé’ (gen, Bole-Richard 1978 :39) La morphologie verbale est pauvre dans la plupart des langues à CVS. Ainsi, dans (2), en gen(-gbe), l’aoriste (occurrence singulière réalisée) est marqué par Ø. Le marquage en TAM vaut pour tous les V de la série, c’est un des traits définitoires des CVS. Par ailleurs, le schème général V-V ... dans lequel les relations entre éléments ne sont pas marquées de façon différencie se prête à beaucoup de possibilités, comme nous allons le voir. 1.1 Les constructions verbales sérielles (CVS), définitions, statuts, débats

Plusieurs critères ont été avancés pour distinguer les CVS d’autres constructions verbales complexes : - juxtaposition de deux ou plus de deux verbes au sein d’une proposition, - sujet unique à tous les V de la série - même temps/aspect pour tous les V - les verbes de la séquence ont tous la même polarité positive/négative (la négation est marquée une seule fois) Par ailleurs : chacun des verbes peut avoir son complément. Cependant, il n’existe pas un accord unanime sur ces critères généraux, ni pour la délimitation des CVS à l’intérieur d’une même langue, ni entre langues différentes, certaines langues réputées comprendre des CVS ne satisfaisant qu’une partie des critères. Il faut considérer par ailleurs des critères comme les indices morphologiques, qui sont particuliers à des langues ou groupes de langues : - marquage du TAM sur un seul des V ou sur chacun ; - restriction d’accord (un seul verbe porte l’accord) On rencontre aussi dans les CVS de certaines langues des faits qui généralement leur sont considérés comme étrangers, notamment la présence d’un relateur entre les V, le marquage

3 Les exemples tirés de la littérature sont signalés comme tels, ceux qui ne portent pas d’indication de source sont les nôtres, obtenus dans des enregistrements, ou bien validés auprès de locuteurs natifs s’il s’agit de familles d’exemples.

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pronominal du sujet sur plusieurs verbes, la présence d’auxiliaires, ou enfin l’appartenance des verbes à une classe étendue ou restreinte (Manessy 1985). Inversement, les traits pertinents des CVS sont présents dans certaines constructions verbales complexes des langues considérées comme dépourvues de CVS (Déchaine 1993) exemple : come go eat with us (Senft à par.). Passons en revue les principaux débats auxquels ces constructions ont donné lieu. Elles ont attiré l’attention des linguistes de ces aires linguistiques depuis de nombreuses décennies. Ainsi, Westermann (1930 : 126), cité par la plupart des chercheurs sur ce thème, décrit les CVS de l’éwé comme “ une chaîne de verbes4 ” … “ sans connecteur entre eux ”, “ tous au même temps et aspect ”, avec sujet ou objet (nous dirions plutôt argument) commun. Il présente, à propos de ces constructions, les locuteurs de l’éwé comme “ décriv(ant) chaque détail d’une action ou d’un événement, chaque détail devant être exprimé par un verbe séparé : ils dissèquent chaque événement et le présentent en composants, alors qu’en anglais on prend l’événement central (the leading event) et l’exprime par un verbe, tandis que les événements subordonnés soit ne sont pas pris en compte, soit sont rendus au moyen d’une préposition, d’un adverbe, d’une conjonction, ou d’un préfixe sur le verbe. ” Nous avons là en germe la plupart des considérations qui seront discutées par les linguistes d’aujourd’hui. Voyons-les de plus près.

• Une CVS a plusieurs verbes, mais constitue une seule prédication. On constate que la polarité positive ou négative, ainsi que la valeur modale, est commune à tous les verbes de la construction.

• On ne peut pas identifier un verbe principal de la série et des verbes qui lui seraient subordonnés.

• Les CVS renvoient généralement à un lexème verbal unique dans les langues non sérielles comme les langues européennes (mais peut-on dire qu’elles constituent un seul événement ? ).

• Les verbes de la série ont en commun temps et aspect (mais la marque éventuelle est attachée à un seul des verbes, ou elle est répétée à chacun).

• Les verbes de la série sont juxtaposés sans connecteur (mais dans certaines langues qui sont considérées comme possédant des CVS, un connecteur spécifique, de forme réduite, les relie : en ncam, par exemple, il est désigné comme le ‘morphème de sérialisation’, cf. Takassi, 1996, et section 3 infra).

• L’argument commun aux V de la série est le plus souvent le sujet ; dans certains cas l’objet du V1 devient sujet du V25. Plus on considère un éventail large de langues, plus on constate qu’il est difficile de formuler une définition universelle des CVS qui vaudrait pour toutes les langues où on en reconnaît l’existence. Cela s’explique par la variation de différents traits typologiques qui ont une incidence sur la latitude de construire n V comme participant à un seul prédicat complexe. D’une part, une langue isolante a plus de chance de posséder des CVS qu’une langue fortement flexionnelle. On a pu avancer qu’en anglais on en trouve des manifestations (le type ‘Come go eat with us’), mais on constate immédiatement que c’est une illusion due au tiroir verbal à marque Ø de l’impératif qui se confond ainsi avec la forme d’infinitif, et qu’en transformant l’énoncé au déclaratif prétérit par exemple, le statut hiérarchisé des verbes

4 Traduit par nous. 5 On trouve encore dans les langues à CVS des cas différents d’arguments partagés, sur lesquels nous n’allons pas nous étendre, cet aspect n’étant pas nécessaire à notre propos.

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apparaît. D’autre part, les langues possédant des CVS manifestent une haute tolérance (ou préférence) pour la parataxe asyndétique (cf. Noonan & Bavin, 1981). On a discuté différentes solutions pour délimiter le phénomène ‘verbes sériels’ (ou plutôt ‘constructions sérielles’) de phénomènes connexes. Parmi ceux qui en feraient ou non partie selon les auteurs, on relève :

- les ‘co-verbes’ (pour le chinois) ou ‘verboïdes’ (Ansre 1966, sur l’éwé), défectifs, et en voie de grammaticalisation comme auxiliaires ou comme adpositions (cf. Heine & Reh, 1984 ; Ameka, 1988) ;

- les constructions consécutives, où l’objet du V1 est sujet du V2 avec une relation de causation entre les deux :

(3) A’ma Fo, Devi’awo’ fã, avi’ Ama frapper enfant-DEF-PL verser larme ‘Ama a battu les enfants jusqu’à les faire pleurer’ (Duthie, 1988)6

- plus généralement, la parataxe avec ellipse d’arguments. On a inventorié des schèmes spécifiques significatifs, correspondant aux fonctions sémantiques que remplissent les CVS : - les procès de transfert, de type : prendre SNobj donner SNobliq (cf. ex. (1)) - les procès de déplacement, de type : se-lever sortir aller SNlocatif (cf. ex. (2)) - les procès résultatifs, de type : boire SNobj être-ivre Nous relevons ici certains critères de définition plus fins qui sont avancés, et les problèmes qu’ils soulèvent : - V1, V2, Vn ont un même sujet, explicite seulement sur V1, ce qui distingue les CVS des constructions consécutives, où le SN objet de V1 est coréférentiel avec le SN sujet de V2 (mais ces dernières sont considérées par certains auteurs comme faisant partie des CVS) ; - il n’y a pas de connecteur entre les V (mais il existe des langues qui font exception à cette condition, cf. Takassi, 1996 ; Delplanque 1998, qui traitent tous les deux de langues voltaïques) ; - chaque V de la construction selon sa valence peut être accompagné d’un objet ou plus généralement de compléments argumentaux (mais pas les V devenus verboïdes) ; - tous les V de la série sont affectés de la même marque de TAM, marqué sur tous les V ou sur un seul (mais on observe des variations de cette contrainte, selon les V et les catégories de marques de TAM (cf. Lewis, 1989). - Givon (1991) s’appuie sur des critères prosodiques pour mettre en évidence si la série de V constitue un ensemble fonctionnant comme une seule proposition7. Ces difficultés peuvent être traitées si l’on considère que ces constructions constituent un continuum évolutif : continuum d’intégration syntaxique comme l’avance Bonvini (1992), continuum dans une dynamique de grammaticalisation (Heine & Reh, 1984), ou de lexicalisation (Givon, 1995 ; Pawley, 1993). De nombreuses langues dites ‘sérielles’ posent des problèmes de délimitation à la description, car elles recèlent des évolutions typologiques plus ou moins avancées vers la lexicalisation de certaines séquences de verbes en lexèmes verbaux complexes (éventuellement discontinus), et vers la grammaticalisation de certains V en auxiliaires, particules, ou adpositions. 6 Ce type de construction en revanche est attesté dans des langues réputées non ‘sérielles’ comme l’allemand ou l’anglais : er schlug den Mann tot cf. Rousseau, 2000). 7 Cf. aussi le commentaire qu’en fait Lemaréchal, 1997.

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Les CVS sont vues comme manifestant des spécificités dans le mode de conceptualisation des événements : c’est le cas pour Manessy (1985), qui caractérise les CVS comme relevant d’une ‘structure cognitive’ sous-jacente aux créoles et aux langues ouest-africaines constituant leur substrat. Selon Manessy, ces langues manifestent une tendance très profonde à associer les relations dynamiques au domaine du verbal, et les relations statiques au domaine du nominal, jusque dans les fondements de la grammaire. Par aillleurs, plusieurs études convergentes portant sur des langues à CVS de l’aire mélanésienne montrent que les CVS viennent compenser l’étroitesse du lexique verbal (Pawley, 1993 ; Givon, 1995). Pour d’autres auteurs, les spécificités des CVS seraient d’ordre énonciatif (cf. Bonvini, 1992 ; Delplanque, 1998). Pour d’autres enfin, elles seraient d’ordre essentiellement syntaxique : ainsi, Lemaréchal (1997) fonde sa réflexion sur deux schèmes de CVS spécifiques, l’élargissement du cadre actanciel par un verbe (de type ‘donner’ pour le bénéficiaire, ‘prendre’ pour l’instrumental), pour les envisager non comme la présentation d’un événement en n procès mais comme une manifestation dans ces langues d’un “ décumul des relations ” actancielles. D’ailleurs, ces schèmes donnent lieu à des processus de grammaticalisation, car dans certaines langues, on peut trouver des CVS dont l’actant 2 est incompatible avec le sens premier du verbe de manipulation :

(4) o,-a,-fa, i swa,’ n a,-kle, mi~’ il-ANT-prendre sa maison DEF ANT-montrer moi (baoulé (kwa, Côte d’Ivoire, Creissels 2000 : 240) Selon les types spécifiques de CVS sur lesquels on se concentre, on est tenté de formuler des généralisations différentes, qu’il faut se garder d’attribuer aux CVS des langues concernées dans leur totalité. Les CVS sont considérées généralement comme une zone d’instabilité dans les langues qui en disposent. Il est vrai qu’une part notable des discussions acharnées autour des CVS et de leur délimitation repose sur les cas où le caractère de V de certains des V d’une série apparaît remis en cause pour des raisons fonctionnelles (un V joue un rôle de localisateur, par ex.), ou pour des raisons de comportement linguistique (par exemple des restrictions combinatoires, comme l’impossibilité pour certains V de posséder leur propre marquage temporo-aspectuel ou leur propre environnement actanciel). Bickerton (1981) discute beaucoup les CVS, présentes dans de nombreux parlers créoles, et les considère comme des structures hautement instables et sujettes à réanalyse. Ansi, il montre (ibid. : 130) que dans le même créole, on trouve des réanalyses concurrentes par différents locuteurs de schèmes V-V instrumental avec take, directionnel avec go, benefactif-datif avec gi(v). 1.2 L’hypothèse d’un continuum évolutif avec deux dérives

Cette labilité nous semble provenir du fait que les CVS donnent lieu à une double dérive diachronique : de grammaticalisation d'une part, de lexicalisation d'autre part, qui alimente massivement le lexique des procès, la grammaire du système verbal, et diversifie les constructions argumentales. Dans une CVS combinatoire, tous les verbes forment un ensemble co-prédiqué, constituant un prédicat complexe. On peut tester la possibilité de segmenter la CVS en autant de propositions coordonnées que de verbes. Si la CVS est lexicalisée, ce sera impossible, puisque les n V constituent un seul prédicat de procès. De même, si la CVS contient des V grammaticalisés, donc devenus non prédicatifs, ceux-ci ne pourront devenir le prédicat d’une proposition coordonnée. C’est là l’un des réactifs qu’on

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peut mettre en oeuvre, certains étant plus ou moins opératoires selon la langue concernée et ses spécificités morphosyntaxiques. C’est ce que nous allons examiner à travers les deux groupes de langues retenus. Ce qui nous occupe centralement ici, c’est d’examiner de plus près une portion de ce continuum dans quelques langues ouest-africaines, à savoir la dérive de grammaticalisation de certains schèmes de CVS vers des schèmes de périphrases verbales, à travers leur usage dans le discours. Et d’y découvrir les traces linguistiques de ces changements de statut.8 On peut définir la périphrase verbale, en suivant Rousseau (2000), comme : “ n unités appelées à exercer ensemble la fonction de prédicat ”. Dans une périphrase verbale, la fonction prédicative est assumée par un verbe (ou dans les langues à CVS, n verbes), les autres verbes, périphériques, se comportant en verbes non prédicatifs (J. François 1998). Il convient de s’interroger sur le statut respectif de chacun des verbes de la périphrase, et sur les relations entre eux. Notamment, il faut trouver les moyens d’y distinguer entre verbe(s) plein(s) et verbes périphériques à fonction grammaticale, susceptibles de fonctionner comme auxiliaire. 1.3 Catégorisation et recatégorisation

La complexité de ces problèmes de délimitation est telle que l’on est en mesure de se demander s’il existe de " vraies" constructions verbales sérielles, où tous les V assumeraient conjointement le rôle de centre de la prédication. C’est pourquoi la question de la catégorisation est centrale pour ces constructions. Certains V de CVS sont considérés comme n’étant plus de nature verbale, ce qui autorise à parler de prépositions, de postpositions, ou d’auxiliaires, homophones avec des verbes existant dans la langue (voir par ex. le cas des prépositions du chinois). Cependant, pour ce qui est des groupes de langues dont nous nous occupons, on remarque que les locuteurs, s’ils sont interrogés, reconnaissent très généralement à ces formes une nature verbale. On remarque en outre que les réactions des locuteurs peuvent varier quant à leurs jugements sur ces ‘V’, et surtout quant aux latitudes combinatoires qu’ils leur accordent, à l’intérieur d’un même parler. Les mêmes phénomènes tolèrent plusieurs analyses divergentes chez les locuteurs au sein d’une communauté linguistique, indiquant une recatégorisation variable on non achevée, ces divergences renvoyant à des positions diverses sur un continuum de grammaticalisation (et d’un autre côté, ce qui n’est pas traité ici, des degrés différents de lexicalisation). Ces observations renvoient à des processus évolutifs plus ou moins avancés. Nous allons discuter dans cette perspective les phénomènes de CVS faisant l’objet d’un processus de grammaticalisation plus ou moins avancée dans deux groupes de langues du Togo. Dans la section 2 nous traitons des parlers gbe du sud-Togo, sud-Bénin et sud-Ghana, qui constituent un cas typique concernant les CVS. Le fait que les parlers gbe constituent non un ensemble de langues disjointes, mais une intrication de parlers formant des continua interdialectaux, nous permettra une approche latérale des questions de leur dynamique. Nous discuterons dans la section 3. le cas du ncam, langue togolaise du groupe gur des langues voltaïques, qui pose la question des critères de façon aiguë. Ce parcours a pour visée de discuter la façon dont ces constructions constituent des zones sensibles de variation ou de changement de catégorisation, entre fragments du système, entre

8 La dérive d’autres CVS vers la lexicalisation en nouvelles unités verbales uniques sera laissée de côté ici.

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locuteurs, entre générations de locuteurs — et de montrer en quoi elles constituent en conséquence un problème de catégorisation pour les linguistes. 2. Les CVS dans les parlers gbe L’éwé (et c’est valable pour les parlers apparentés du groupe gbe) est considéré comme une langue dont la morphosyntaxe est ‘dominée’ par le phénomène de la sérialisation (Heine, Claudi & Hünnemeyer 1991 : 199), c’est-à-dire que les CVS constituent la source de nombreux procédés grammaticaux de la langue actuelle, et que par ailleurs, les CVS contribuent à enrichir le lexique en désignations de procès. Si au Ghana l’éwé se trouve dans une situation linguistique assez claire, langue bien identifiée parmi les autres langues nationales, fixée par l’écrit et l’école, et décrite depuis longtemps (cf. Westermann, 1930), la situation est assez différente de l’autre côté de la frontière, au Togo, où l’éwé standard n’est parlé nulle part hormis dans des situations d’écrit oralisé (informations officielles à la radio-TV, rites et prédications évangéliques). Les parlers vivants, dans la moitié sud du pays, sont différentes portions d’un continuum interdialectal très complexe entre éwé et gen9, au sein duquel les variétés s’interpénètrent, permettant une intercompréhension assez complète, une identification des communautés locales de rattachement des locuteurs, et fournissent un riche espace de variation sociolinguistique diatopique et diaphasique, entre des pôles constitués par des variétés maximalement typées, vernaculaires rurales, et des variétés intermédiaires surtout urbaines à vocation véhiculaire. L’ensemble de ces parlers appartiennent à la famille des parlers gbe (de : gbe = ‘langue’, ‘parole’, mot présent dans tous ces parlers et servant aux mots composés de désignation des langues, le terme 1 employé seul pouvant désigner l’ethnie ou la culture).10 Nous aborderons la question pour l’ensemble de cet espace, en nous référant aux travaux existants sur l’éwé (y compris ghanéen, le mieux décrit linguistiquement, notamment par Heine, Ameka) et le gen (décrit par Jondoh, 1980 ; Bole-Richard, 1978). Nous présentons ici des observations sur des parlers du continuum éwé-gengbe (ou mina), qui constitue sous diverses variantes la langue véhiculaire de tout le sud Togo et dans une partie du sud Bénin. Nous nous appuyons sur nos propres corpus de productions d’adultes et d’enfants recueillis au sud-Togo, en zone urbaine et rurale, dans nos pré-enquêtes (cf. Noyau 1995) et dans le cadre du projet AUF / Campus ‘Appropriation du français via la scolarisation en situation diglossique’, qui analyse des données en langue première gbe parallèlement aux productions en français au Togo et au Bénin (cf. Bedou-Jondoh & Noyau, 2003 ; Noyau, à paraître). Nous complétons ces matériaux par des exemples tirés des travaux disponibles.11 2.1 Les différents types de CVS dans le continuum ewe-gen, et la variation interindividuelle Les CVS en gbe sont globalement conformes aux principaux critères d’identification : nV consécutifs, à sujet unique, à TAM commun, à polarité commune, fonctionnant comme un tout.

9 Prononcer [g~e]. Ce parler est encore appelé gengbe, ou mina. 10 H.C. Capo, 1984, présente une position unificatrice extrême, fondée surtout sur la phonologie, en proposant la notion de pangbe et un alphabet unique pour tous ces parlers. 11 Un grand merci à Edith Bedou-Jondoh pour ses avis éclairés concernant nos exemples en gengbe.

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Partons d’une distinction en 3 types proposée par Bamgbose (1982) sur le yoruba et reprise par Kangni (1989) pour l’étendre à d’autres langues kwa et particulièrement le gengbe :

a) les CS coordonnées, “ projection de propositions coordonnées sous-jacentes ” :

(5) kwa,ku’ ku, si, le, e, Kwaku puiser eau verser-sur-soi PRO3S ‘K. a puisé de l’eau pour se laver (et s’est effectivement lavé)’

b) les CS complexes ou “ constructions sérielles lexicalisées ” :

(6) kwa,ku’ De, nu’ fyO’ E, Kwaku enlever chose montrer 3SgObj ‘Kwaku lui a présenté qch’

(cf. yoruba: recevoir N entendre = ‘croire’; nupe: écarquiller-yeux N saisir = dévisager ; twi: recevoir N manger = ‘croire’), dans lesquelles il propose de ranger les CS renvoyant à des propositions coordonnées mais constituant de nouvelles unités lexicales, comme :

(7) ko,fi’ byO’ nya, se, Kofi demander mot entendre ‘Kofi s’est renseigné’

(cf. yoruba : prendre N venir = apporter, nupe : aller prendre N venir = apporter); c) les CS modifiantes, où au moins l’un des V a fonction de modifier un autre V :

(8) De,vi’-a Du, nu’ vO, enfant DEF manger chose avoir-fini ‘l’enfant a déjà mangé’

(cf. yoruba : sauce Det être-bon être-assez , gã : 1S travailler être-LOC maison DET

intérieur, baule : 1S connaître Kofi dépasser Kwaku ‘je connais Koffi mieux que Kwaku’).

(9) é lo,lo wu’ -m 3Ssuj être.gros dépasser 1Sobj ‘il est plus gros que moi’

On pourrait discuter sur les fondements de cette tripartition, qui semble un peu trop

influencée par l’équivalent de ces constructions en langues européennes. Quoi qu’il en soit, si on prend comme repère ces trois exemples-clé, on peut dire qu’ils illustrent trois positions sur un continuum de la dynamique de ces constructions : le premier type constitue une source productive illimitée de représentation de procès complexes, nous les appellerons des CVS-C : combinatoires. Le second type représente les CVS-L : lexicalisées, et enfin le troisième type illustre les CVS-G : grammaticalisées. Nous considérons que les CVS relevant de tous ces types constituent un continuum, sur lequel il peut y avoir variation et évolutions en cours, repérables aux comportements des locuteurs à leur égard.

Nous allons dans ce qui suit les regrouper en quelques sous-catégories en fonction des types sémantiques de verbes impliqués, et nous rassemblons, à la suite des exemples, des réactions obtenues auprès de différents locuteurs sur des ensembles de phrases à CVS, quant à leur acceptabilité selon diverses manipulations, et quant aux différenciations des valeurs sémantiques lorsque plusieurs formulations apparaissent acceptables. Les réactifs du statut combinatoire / lexicalisé / grammaticalisé des CVS sont de plusieurs ordres, les principaux étant :

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- sur quel(s) V se greffent les marqueurs de TMA ; - à quel V d’une série se cliticisent les ProO. 2.1.1 Type A. V1 mouvement + V2 mouvement + ... Vn mouvement

(10) e’ so’ dze, mO’ 3S venir-de se.placer chemin ‘il se mit en route’ (conte, Finê, 13 ans) Cet énoncé détaille les phases d’une trajectoire ; c’est l’un des types des plus fréquents. (11a) Futur m- a-yi, m- a va’ 1Ssuj-FUT-aller 1Ssuj-FUT-venir ‘je reviens (vais revenir) tout de suite’, ‘j’arrive !’ Si l’expression (11a) est à statut phraséologique, elle n’est cependant pas figée, comme on le constate à la latitude de changer le temps ou l’aspect et bien sûr la personne (11b, 11c). (11b) Futur e’- l- a’ yi, l- a’ va’ 3Ssuj-FUT-aller 3Ssuj-FUT-venir ‘il va revenir tout de suite’ (11c) Habituel e’ yi,na va’na gbe, sia’ gbe, 3Ssuj aller-HAB venir-HAB jour ce jour ‘il fait l’aller-retour tous les jours’ Il en est de même avec une CVS formée de deux autres verbes de mouvement, chacun ayant son complément : (12a) fo,fo nye, so’ kpa’lime, va’ lo,me frère POSS sortir.AOR Kpalimé venir.AOR Lomé ‘mon grand frèe est venu de Kpalimé à Lomé’ (12b) Habituel fofo nye so’na Kpalime va’na Lome kwa,si’Da sia’ kwa,si’Da frère POSS1S sortir-HAB venir-HAB semaine cette semaine ‘mon frère rentre de Kpalimé (à Lomé) chaque semaine Ces constructions ne sont pas limitées à 2 verbes, comme on le voit à cet énoncé extrait de la Bible, qui comprend 4 verbes et une particule directionnelle, là où la version française s’en tire avec un seul verbe : (13) eye wo,Vu tso’ afima yi, De’ to’ dzi’ (Mose I.12.8)

(et 3Ssuj émigrer sortir SNloc aller atteindre montagne dessus) ‘et il se transporta sur une montagne’

L’exemple suivant met bien en évidence les variations de comportement linguistique selon les verbes de déplacement auxquels on a affaire:

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(14a) e’ gbO, va’ (= V mvt inverse (retourner, revenir) + venir) 3Ssuj Vmvt-inverse.AOR venir.AOR ‘il est revenu’ gbO, = ‘retourner’ (au lieu de référence, par ex. à la maison) (14b) Habituel e’ gbO,na va’na ga, ama’dre~, edzi’edzi’ 3Ssuj Vmvt.inverse-HAB venir-HAB heure sept toujours ‘il rentre toujours à sept heures’ (= normalement chaque jour à telle heure) (15) e’ gba, trO’ yi, De’ sO,kO,De’ ‘il est retourné une fois encore à Sokodé trO’ = ‘retourner ’ (ailleurs) Habituel e gbOna trO[na] yi,na SokoDe’ kwa,si’Da sia’ kwa,si’Da ‘il retourne à Sokodé toutes les semaines’ Ici, V1 et V2 ne prennent pas la marque de l’habituel que prend V3. Cette asymétrie signale que V1 et V2 ont un statut différent de V3. Et en effet, V1 est ici un marqueur d’itération grammaticalisé sans valeur spatiale, compatible avec tout procès (e’ gba da~ lo~ ‘il dort à nouveau’, ‘il dort encore’). V2 fonctionne ici comme marqueur d’itération, l’un comme l’autre étant par ailleurs verbes pleins dans la langue. 2.1.2 Type B. V1 action + V2 action

(16) De,vi’ –a -wo Da, -a, te, Du, -na ndo, sia’

ndo, enfant-DEF-PL préparer-HAB igname manger-HAB après-midi cet après-midi ‘les enfants se préparent de l’igname à manger tous les après-midis’ (Duthie, 1988) Les V des CVS de cette catégorie ont en partage le SN objet (puisque Du, ‘manger’ est normalement un V transitif à objet obligatoire (manger chose – faute de mieux). (17) O Mawu xO, gbe, nye, se, ! < Kafu Mawu, missel en mina (1996) >

oh Dieu prendre-INJ voix Pos1S entendre-INJ ‘oh Dieu accepte ma prière’

Cette CVS décompose deux relations prédicatives : celle de la transmission, et celle de la modalité perceptive (toutes deux envisagées du point de vue du récepteur). 2.1.3 Type C. V1 de manipulation (+ V de mouvement) + Vdernier d’action

(18a) sO’ si, va’ na’ -m prendre.INJ eau venir.INJ donner.INJ 1Sobj ‘apporte-moi de l’eau’ (18b) Habituel e’ sO’na si, va’na na’ -m gbe, sia’ gbe 3Ssuj prendre-HAB eau venir-HAB donner-1Sobliq jour ce jour

‘il m’apporte de l’eau tous les jours’

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Si (18a) à l’injonctif semble une CVS à 3 V égaux, la mise à l’habituel en (18b) révèle que V3 ‘donner’ possède un statut différent, d’introducteur du bénéficiaire, 12 alors qu’on a affaire à un V plein en (18c). (18c) Habituel e’ na’na-m si, e nana si nam

‘il me donne de l’eau’ (habituellement)

Ces recatégorisations graduelles peuvent affecter les V de mouvement aussi, comme les jugements linguistiques sur les variantes de (18d) en attestent : seul V1 sera précédé du marqueur de futur dans les registres familiers, V2 le sera aussi dans un registre formel, et V3 ne prendra en aucun cas de marqueur.

(18d) Futur e’ la’ sO’ si, [l]a’va’*/ va’** na’ -m *formel / **familier ‘il m’apportera de l’eau’ tandis qu’à l’exhortatif (18e) et au progressif (18f), seul V1 est marqué. (18e) Exhortatif né sO’ si va’ na’ m ! (on envoie quelqu’un donner l’ordre à un autre) ‘qu’il m’apporte de l’eau’ (18f) Progressif e le sO’ si va’ na’m ‘il est en train de m’apporter de l’eau’ Le placement du clitique objet dans une CVS peut également varier, comme le montre (8c-c’) (19a) sO’ nu’ ya, va’ ! (19b) sO’ e va’ (19c) Futur ma sO’e, va’ na’o,, (en gen) (19c’) ma sO’ vE’, na’o, (en gen non, en éwé (du lac Togo) oui) Certains groupes de locuteurs acceptent (8c’), d’autres le rejettent. On peut considérer que (19c’) manifeste un certain degré de lexicalisation de la CVS sO’ – va’ puisque le clitique objet s’y trouve rattaché au V2 de mouvement et non plus au V1 transitif. Le schème de CVS sO’ SN V2 assume a) la fonction d’ajout d’un argument instrument d’action transformatrice : (20) e sO’ kpatSa so, ati’a

3Ssuj prendre coupecoupe couper arbre-DEF ‘il a coupé l’arbre avec un coupecoupe’

b) la fonction d’ajout d’argument objet de déplacement: (21) sO’ kO’po, va’ na’m

prendre verre venir donner 1Sobl ’apporte-moi un verre’

12 L’affaiblissement sémantique du V na’donner’ est patent dans : gblo~e na’ m (dire.INJ 3Sobj donner/pour 1Sobl) ‘dis-le-moi’.

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La suite lexicale sO’ … na’ (‘prendre … donner’) subit dans certains contextes une perte de sens concret, ce qui est un indice de grammaticalisation: (22) wo, dzi,dzimevi’wo ma- tsO’ anyi’gba sia a- na’ (Mose I.12.7) POSS2S descendant-PL 1Ssuj-FUT-prendre terre DEM FUT-donner

je donnerai cette terre à tes descendants

Le verbe sO’ ‘prendre’ en V1 de CVS se trouve parfois redoublé, le second est alors grammaticalisé avec une valeur aspecto-modale (inchoatif + événement contraire aux attentes) : (23) e’ sO’ akO’Du sO’ Du,

1Ssuj prendre.AOR banane prendre.AOR manger.AOR ‘il s’est mis à manger (la, des) banane(s)’

2.1.4 Type D. Constructions de consécutivité Obj de V1 = Suj de V2

(24a) Afi’ Fo, De,vi’ –a fa, avi’ Afi’ frapper.AOR enfant-DEF pleurer.AOR larmes ‘Afi a battu l’enfant jusqu’à le faire pleurer’ (Duthie 1988, éwé du Ghana)

(24b) Afi’ po, De,vi’a ye (Devia) fa, avi’ (en 2 propositions seulement) ‘Afi a battu l’enfant et il a pleuré’ (seule possibilité en gen et éwé du sud-Togo) Le lien est ici de causalité : le procès de V1 entraîne le procès de V2 et de factitivité : l’actant 1 du V1 contrôle le procès de V2. Ces constructions sont incluses par certains chercheurs dans les CVS. Nous considérons qu’en (24a) il s’agit d’un phénomène différent, facilité également par la tendance à l’asyndéte paratactique des langues de ce groupe et plus généralement des langues de tradition orale (cf. Houis, 1967), le SN objet de V1 étant également sujet de V2, mais que nous avons affaire à deux propositions malgré la mise en facteur commun d’un argument. Il ne s’agit pas cependant d’un lien hypotactique, en dépit de la traduction la plus courante de cet énoncé en français. Les locuteurs divergent selon les variétés locales quant à l’acceptation de cette construction (24a), à laquelle se substitue sinon (24b) en 2 propositions coordonnées. 2.1.5 Type E. V1 quelconque + V2 de comparaison

Dans le cas de (25a-b), c’est également le traitement des pronoms qui donne accès à la catégorisation des éléments de la construction. (25a) avec un pronom objet clitique accolé à V2 est accepté partout, (25b) avec pronom objet tonique est rejeté, sauf dans des conditions restreintes et pour un effet pragmatique particulier (contraste dans une interrogation à polarité négative) : (25a) é lo,lo wu’ -m, 3Ssuj être.gros.AOR surpasser.AOR 1Sobj(clitique) ‘il est plus gros que moi’ (25b) é lo,lo wu’ nye, a ?

3Ssuj être.gros.AOR surpasser.AOR 1Sobj(tonique) INTERR = ‘tu penses vraiment qu’il est plus gros que moi ?’

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2.1.6 Type F. V dernier à fonction aspectuelle ou modale

Certains V derniers de CVS sont devenus particules d’aspectualité (cf. Ameka ), comme kpO’ (‘voir’), vO, (‘finir’), se, (‘percevoir’, ‘sentir’). Dans cette fonction, ils sont invariables (cf. 27b). (26) do’ Nku’ ze, De,ka’ ke o, vo~, kpO’ mettre.INJ œil fois une CONJ 2Ssuj avoir.peur.AOR voir(PERF) ‘souviens-toi d’une fois où ça t’est arrivé d’avoir peur’

(conversation entre enfants : faire raconter à l’autre une histoire de frayeur) (27a) Afi’ Du, nu’ vO, Afi’ manger.AOR chose finir (27b) Habituel Afi’ Du,na nu’ vO, ke’ngbO, me, gba,na so’[-na] dO’me Afi manger-HAB chose finir avant.que 1Ssuj revenir-HAB sortir travail-dans ‘Afi a toujours fini de manger avant que je ne rentre du travail’ 2.2 Synthèse sur les CVS dans les parlers gbe De nombreuses langues ‘sérielles’ posent des problèmes de délimitation et de description car elles connaissent une évolution typologique vers la lexicalisation de certaines séquences VV- en lexèmes verbaux complexes (éventuellement discontinus), et vers la grammaticalisation de certains V initiaux ou terminaux en marqueurs, de TMA ou de rôle casuel, notamment (Heine et Reh 1984). Nous avons vu que les CVS en gbe se laissent regrouper en sous-catégories, dont certaines peuvent être considérées comme des CVS pleines et entières, les V de la série ayant un même statut et constituant conjointement un prédicat complexe éventuellement discontinu, tandis que d’autres CVS voient des inégalités de comportement linguistique, le V1 ou le Vdernier se recatégorisant en foncteurs de divers types. Nous avons vu également que les réactifs du statut combinatoire / lexicalisé / grammaticalisé des CVS en gbe sont de plusieurs ordres, notamment : - sur quel(s) V se greffent les marqueurs de TMA - à quel V d’une série se cliticisent les ProO. Et nous avons constaté que selon les locuteurs, la catégorisation des éléments de ces constructions varie, ce qui met en évidence la coexistence de plusieurs degrés de grammaticalisation des mêmes éléments dans la communauté linguistique. 3. Les CVS dans la langue ncam Le ncam parfois appelé bassar, bassari, basari est une langue gur, du sous-groupe gurma parlée au nord du Togo et du Ghana. On peut se demander à quel moment il est possible de

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parler de CVS en ncam ou de constructions verbales complexes (CVC), et comment analyser les prédicats verbaux complexes dans les séquences verbales? Quelle relation existe-t-il entre les verbes constitutifs de la séquence ? • Y a-t-il de ‘vraies’ CVS, ou peut-on avancer que l’un des V seul sert toujours de tête ? Quels sont les critères, les réactifs, pour en décider ? En ncam, les seules constructions verbales susceptibles d’être interprétées comme des CVS comportent toujours un relateur, ce qui constitue une exception à l’un des critères de définition généraux. Il faut savoir que la juxtaposition de V ou de SV n’est pas admise en ncam, et que le relateur ki est toujours présent pour constituer des suites de V ou de SV. Les CVS du ncam ont aussi la particularité de connaître un processus d’auxiliarisation de V1 au contact du relateur, avec transformation progressive de V1 + relateur en auxiliatif. Il n’existe qu’un seul relateur de ce type dans la langue. C’est le morphème ki. Le marqueur de l’aspect est uniquement tonal en ncam (voir Takassi 2000). Ce ton aspectuel, soit haut, soit bas, se place sur l’unique syllabe du verbe monosyllabique ou, au cas où le verbe est disyllabique, sur la dernière syllabe. Le tons aspectuel haut ou bas permet de répartir toutes les formes verbales en deux groupes, ceux qui forment leur accompli avec le ton bas et leur inaccompli avec le ton haut, et ceux qui forment leur accompli avec le ton haut et leur inaccompli avec le ton bas. Le placement du ton aspectuel bas peut provoquer des perturbations tonales qui se manifestent par l’apparition d’un ton moyen. Les variations segmentales qui se produisent parfois quand il y a changement d’aspect sont, dans presque tous les cas, concomitantes avec le changement de ton aspectuel. Les verbes irréguliers, qui présentent des formes segmentales et tonales radicalement différentes, sont en nombre très limité. De ce fait, le verbe ncam possède en principe deux formes aspectuelles au mode réel, celle de l’accompli et celle de l’inaccompli. A quoi s’ajoutent une troisième forme, celle du mode irréel, ( de l’injonctif), et celle servant à la construction du futur. Par ailleurs, l’injonctif est caractérisé par un ton haut qui se place sur le pronom clitique sujet et sur le connecteur ki qui, du reste, est invariable quelle que soit la personne. Le pronom sujet n’est pas obligatoire en présence du sujet SN. En cas de phrases coordonnées avec chacune son sujet, il y a nécessairement réitération du marquage TAM dans la proposition 2. 3.1 Le relateur ki Le relateur ki joue le double rôle de connecteur et de sujet pronominal anaphorique. En tant que pronom, il reçoit, comme tout autre pronom, le ton haut de l’injonctif (cf. 3).13 (1) u, cuti, ki’nyON ki da’ dino,o,r

il aller, ACC marché, 7 REL acheter, ACC igname, 5 “ il est allé au marché acheter des ignames ”. (2) u, ji’n, bi’sa,a’ ki di’ki,

il mangé, INACC tô, 3 REL être plein, INACC “ il mange du tô jusqu’à se rassasier (jusqu’à satiété) ”.

(3) u’ da dinoor, ki’ pO u-bO’O, il acheter, INJ igname, 5 REL+INJ offrir, IREEL de lui-ami,1 “ qu’il achète de l’igname pour offrir à son ami ” .

13 La numérotation des exemples du ncam repart de (1) par souci de lisibilité.

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Le relateur ki possède une forme forte (ki) et une forme faible (la voyelle i ou simplement un ton). Les deux formes sont en distribution complémentaire. La forme faible s’emploie lorsque V1 n’est pas suivi immédiatement d’un complément. (4) u, da’ kpO’nO’ ki tii ubO’O, Il acheter, ACC pain, 1 REL donner, ACC ami, 1 “ Il a acheté du pain et l’a donné à son ami ”. (5) u, da’ (kpO’nO’) i NmO Il acheter, ACC (pain,1) REL manger, ACC. “ Il l’a acheté et l’a mangé (en parlant du pain) ”.

La forme résultant de la rencontre de V1 et du relateur : da’ + i, est réalisée de’e. Il y a alors coalescence de a et i. La rencontre de la dernière voyelle du radical et du relateur faible peut aussi provoquer un allongement vocalique : (6) u, cuti,-i tu,ku u-ba’a, il aller+REL raconter, ACC de lui-père “ il est allé le raconter à son père ”. (7) ni’ ki’taa du-u wu’nti, et puis le jour, 11 prendre, ACC-REL faire jour “ Et le jour se leva ”. Dans les exemples 6 et 7, la trace du relateur est un ton qui provoque l’allongement de la voyelle finale de V1. Le relateur ki lie deux ou plus de deux verbes ou syntagmes verbaux sans limitation de longueur de la chaîne. (8) m yaa fat,i-i gi’ti, ki cuti, ki foo usakpan yai je si faire demi-tour- REL retourner,REL aller REL prendre hyène ceux ” “ Et si je m’en retournais m’emparer de ceux de l’hyène ! ”. (9) u, gbin dino,o,r ki finti, ki yinti,

Il creuser, ACC igname, 5 REL laver, ACC peler, ACC “ il a creusé l’igname, l’a lavée, l’a pelée, ... ki tOkOn, ki san bisaa, ki jin

REL mettre sur le feu, ACC REL piler,ACC tô REL manger, ACC “ ... l’a mise sur le feu, en a fait du tô et l’ a mangé ”.

(10) u, kun bikpaa ki bu’l’ i’di, ki bu’l’ Il cultiver, ACC champ, 3 REL semer, ACC sorgho, 4 REL semer, ACC “ Il a cultivé le champ, y a semé du sorgho, y a planté ...

anoo ki bu’l’ italandi, ki bu’l’ atuun, ki

igname, 6 REL semer, ACC maïs REL semer, ACC haricot REL ... de l’igname, y a semé du maïs, y a semé du haricot, y a semé ...

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bu’l’ i’moon, ki bu’l ...... semer, ACC gombo, 4 REL semer, ACC. du gombo, y a semé......”.

3.2 Le processus d’auxiliarisation en ncam Il y a, en principe, une relation entre la grammaticalisation de V1 en auxiliaire et le rôle joué par V1 dans les CVC dont certaines s’interprètent comme des CVS. C’est pour cela qu’il est important de comprendre la formation des auxiliaires pour mieux saisir la relation existant entre V1 et V2 dans les CVC et dans les CVS. Nous présentons en conséquence le processus d’auxiliarisation en ncam. Le processus d’auxiliarisation se traduit sur le plan morphologique par l’absorption plus ou moins complète du relateur par V1, et par la grammaticalisation de la forme ainsi obtenue. Cette absorption est progressive, et il est possible d’identifier les différentes étapes de cette transformation de V1 + relateur en auxiliaire. L’auxiliaire est le stade ultime de la grammaticalisation. Aux stades intermédiaires, on parlera de néo-auxiliaires et de semi-auxiliaires. C’est pourquoi distingue différents degrés de grammaticalisation (faible, moyen ou élevé). Pour que la grammaticalisation aboutisse à la formation des auxiliaires, le contact de V1, terminé souvent par une voyelle, avec le relateur est nécessaire, et l’absorption de V1 par le relateur est très avancée. Le relateur perd sa forme segmentale : on peut parler de fusion. Dans la formation des néo-auxiliaires, V1 et le relateur souvent bien conservé sont soudés. Dans les deux cas, c’est à la forme faible i du relateur qu’on a affaire, avec des phénomènes d’amalgame et de coalescence qui sont rendus possible par la rencontre des voyelles, celle finale de V1 et celle du relateur. La possibilité qu’a V1 d’être suivi d’une voyelle est d’autant plus grande que les verbes sont à la fois transitifs et intransitifs en ncam. Le complément d’objet (commençant généralement par une consonne) n’est pas obligatoire. Les exemples qui suivent , repris de (4) et (5) par souci de clarté, en sont une illustration : V1+complément d’obje t: (11) u, da’ kpO’nO’ ki NmO Il acheter, ACC pain,1 REL manger, ACC. “ Il l’a acheté et l’a mangé (en parlant du pain) ”. V1 non suivi du complément d’objet :

(12) u, da’ (kpO’nO’) ki NmO Il acheter, ACC (pain,1) REL manger, ACC. “ Il l’a acheté et l’a mangé (en parlant du pain) ”. Lorsque c’est la forme faible du relateur qui est employée, l’exemple (5) montre qu’on a au niveau de V1+ relateur la rencontre des voyelles [a] et [i]: (13) u, da’ (kpO’nO’) i NmO Il acheter, ACC pain,1 REL manger, ACC. “ Il l’a acheté et l’a mangé (en parlant du pain) ”.

V1 + relateur se réalise [de’e] au lieu de [da’i] suite à la coalescence de [a] et [i].

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Lorsque V1 se termine par une consonne, il se produit dans certains cas l’apocope de la consonne. Le verbe daan “ viens ” perd la consonne nasale finale et devient daa’ (allatif). Le verbe kpa,a, “ inclure ” perd la nasale finale et devient kpa’à (cumul). Dans le cas des semi-auxiliaires, V1 et le relateur restent bien distincts, raison pour laquelle les deux formes du relateur peuvent être employées. Ce processus d’auxiliarisation de V1 + relateur dont nous venons de parler manifeste les phases de la grammaticalisation distinguées dans la littérature. Nous avons vu l’érosion ou la désémantisation, qui mène au développement du sens grammatical à partir du sens lexical par un mécanisme de généralisation ou d’abstraction. Le développement de ce sens grammatical s’est accompagné, comme il a été constaté, d’une transformation morphologique (perte de segment, coalescence, effacement ou transformation tonale) de l’ensemble impliqué dans la grammaticalisation, pour aboutir parfois à une unité nouvelle. (14) daan > daa(n) > daa’

“ viens ” > > allatif . L’exemple (15) montre bien qu’il y eu a grammaticalisation progressive de V1 + relateur tonal, et apparition d’une forme nouvelle qui va perdre son autonomie : daan “ viens ”, qui avait un contenu sémantique plein, va devenir daa’ qui n’indique plus que la direction (allatif) et qui ne s’emploie plus qu’avec V2 à l’injonctif.. (15) daan i’ foo > daa(n) +’ foo > daa’ foo

venir, INJ REL prendre, INJ > > allatif / prends ”. “viens et prends ”.

La distinction entre auxiliaires, néo-auxiliaires et semi-auxiliaires repose sur deux critères, à savoir, d’une part, le degré d’autonomie syntaxique du verbe dans la séquence et, d’autre part, sa manière permanente ou occasionnelle d’assumer la fonction d’auxiliation.

Les auxiliaires sont syntaxiquement non autonomes, et ils assument la fonction d’auxiliation de façon permanente et exclusive. Ils sont en nombre limité dans la langue. Ils occupent la position V1, et se juxtaposent au constituant verbal V2 après avoir subi des modifications phonétiques, morphologiques et sémantiques dont nous avons parlé. Les principaux auxiliaires sont ku’ti (cumul), gi’ti (répétitif) et daa’ (allatif).

L’auxiliaire ku’ti vient du verbe ku’ti, "ajoute !". Ce dernier a subi une modification tonale avec le remplacement du ton bas de la dernière syllabe par un ton moyen. L’auxiliaire gi’ti

vient du verbe gi’ti’ "retourne !" après la transformation du ton haut de la dernière syllabe en moyen. L’auxiliaire daa’vient du verbe daan "viens" après apocope de la nasale finale et changement du ton moyen en ton haut. Les néo-auxiliaires et les semi-auxiliaires sont ambivalents. Ils sont syntaxiquement autonomes quand ils sont seuls, et syntaxiquement non autonomes lorsque, employés conjointement avec un constituant verbal, ils assument la fonction auxiliative. Ils se reconnaissent grâce au relateur –i. Les verbes à part entière peuvent aussi recevoir ce même morphème ou le morphème ki. Les auxiliaires sont des verbes initialement indépendants qui ont subi une modification tonale ou segmentale pour pouvoir assumer la fonction d’auxiliation.

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Les néo-auxiliaires n’assument pas la fonction d’auxiliation de manière permanente. La particularité des néo-auxiliaires, c’est d’avoir incorporé le relateur –i à leur morphologie. Le processus de lexicalisation dans lequel ils sont engagés est presque achevé. Les principaux néo-auxiliaires de la langue sont bi’i (être en train de), gbi’n’ti (continuer à) et fati,i / fa,ti-i’ (de nouveau). Le néo-auxiliaire bi’i qui exprime le progressif est formé du verbe bi’ "être, inaccompli" et du relateur –i. Le néo-auxiliaire gbi’n’ti, qui exprime le persistif est formé du verbe gbi’n’ti, "rester, demeurer, acc." et du relateur –i. Le néo-auxiliaire fati,-i / fa,ti-i’ qui exprime le régressif est formé, soit de fati, "retourner, accompli", soit de fa,ti "retourner, inaccompli" et du relateur -i.

Les semi-auxiliaires n’assument la fonction d’auxiliation que de façon occasionnelle et non exclusive. Sur d’autres plans, les deux types de séquences verbales s’écartent l’un de l’autre. Les semi-auxiliaires (V1) appartiennent à la classe restreinte des verbes de posture : yiki, "lève-toi !", ka "(il) est assis", yu’ "(il) est debout"; dO "(il) est couché". Leur sens est devenu abstrait et ils n’indiquent plus que très accessoirement la posture, parfois pas du tout, ils en viennent à conférer une valeur aspectuelle de concomitance ou contiguité, quel que soit V1 de posture, selon la situation. Les semi-auxiliaires sont à la limite des auxiliatifs et des verbes pleins. Certains chercheurs les désignent sous le nom de concomitants, à cause du fait qu’ils se comportent dans certains situations comme des verbes pleins et dans d’autres comme des auxiliatifs. Leur existence montre qu’il y a une relation directe entre les verbes pleins et les auxiliatifs. Ces processus d’auxiliation nous amènent aux questions suivantes : à quel moment peut-on parler de recatégorisation, comment représenter les prédicats verbaux dans les CVC, quels types de relation y a- t-il entre V1 et V2, et peut-on parler de CVS en ncam, à quel moment ? 3.3 Quand peut-on parler de CVS ? Avant de pouvoir aborder le problème de l’existence de CVS en ncam, il nous faut répondre au préalable aux questions relatives à la représentation des prédicats verbaux dans la langue. Quand peut-on parler de prédicat simple ou de prédicat complexe ? Compte tenu de ce qui a été dit au sujet du processus d’auxiliarisation et de la grammaticalisation, nous considérons les constructions dans lesquelles V1 est un auxiliaire, un néo-auxiliaire ou un semi-auxiliaire comme des prédicats complexes. Les auxiliatifs sont dépendants de V2 qui est un verbe plein. La séquence V1 V2 se trouve insérée au sein d’une proposition unique. Si tel est le cas en ce qui concerne les auxiliatifs, comment alors faut-il analyser les séquences dans lesquelles le semi-auxilaire redevient un verbe plein ? Dans pareille situation, V1 et V2 sont tous des verbes pleins. Faut-il alors considérer chacun des verbes comme un prédicat simple ou faut-il prendre la construction entière comme un prédicat complexe ? Dans l’un des cas, on pourra parler de CVS et, dans l’autre, de séquences de propositions. Les semi-auxiliaires constituent donc un point crucial de l’interprétation des SVC dans la langue. Examinons d’abord la relation existant entre V1 et V2. L’exemple des auxiliatifs nous montre bien que cette relation existe et qu’elle peut s’exprimer en termes de coordination et de subordination. Dans l’exemple (16) suivant : (16) u, gbin dino,o,r ki finti, ki yinti,

Il creuser, ACC igname, 5 REL laver, ACC peler, ACC “ il a creusé l’igname, l’a lavée, l’a pelée,

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ki tOkOn, ki san bisaa, ki jin

REL mettre sur le feu, ACC REL piler,ACC tô REL manger, ACC “ l’a mise sur le feu, en a fait du tô et l’ a mangé ”.

les procès exprimés par V1 et V2 sont coordonnés et il y a un ordre implicite d’écoulement des événements. Dans l’exemple suivant, par contre : (17) u, gba’n’ na,ti’ bi’ki, ki kuu

il battre, ACC araignée, 1 enfant de REL tuer, ACC “ Il a battu à mort l’enfant de l’araignée ”,

V1 semble exprimer l’événement principal (verbe focal), V2 en constituant un modificateur (spécificateur) — si l’on considère cet exemple à partir de sa traduction française. Sémantiquement, la situation est en fait décomposée en 2 procès consécutifs, une activité (V1) et une action causatrice (V2) (cf. la classification sémantique des prédications de François, 1990, 1997). Les phénomènes de la coordination et de la subordination dans les séquences verbales apparaissent non seulement dans les propositions complexes, mais les trouve-t-on aussi dans les CVS ? Il nous faut savoir si ces phénomènes se trouvent au sein d’une proposition ou de deux propositions. Plusieurs raisons nous poussent à opter pour l’hypothèse de la proposition unique. Au niveau sémantique, la séquence se comporte comme une seule unité, comme dans l’exemple suivant : (18) u, ji’n’ ki nyu,n Il manger, ACC REL boire, ACC “ Il a mangé et bu ”. La traduction littérale est “ il a mangé et bu ”, le sens contextuel de cet énoncé est “ on a été aux petits soins pour lui ”. Au niveau de la syntaxe, la séquence V1 V2 se comporte aussi comme un tout. La façon dont elle réagit aux tests de la restriction d’accord et de la polarité le montre aussi. La marque temporelle est valable pour V1 et V2, et V1 seul qui porte la marque du temps. (19a) u, ni,n da’ dinoor, ki pu’ u-bO’O, il PASS acheter,ACC igname, 5 REL offrir,ACC de lui-ami,1 “ il a acheté de l’igname pour offrir à son ami ” . (19b) u, ra,a’ da dinoor, ki pO u-bO’O, il FUT acheter, IRR igname, 5 REL offrir,IRR de lui-ami,1 “ il achètera de l’igname pour offrir à son ami ” . C’est la même valeur d’aspect et de mode aussi qui est valable pour V1 et V2. V1 et V2 sont à l’aspect soit accompli soit inaccompli, en ce qui concerne la valeur aspectuelle, et au mode réel ou irréel pour ce qui est du mode. (19c) u, da’ dinoor, ki pu’ u-bO’O, il acheter, ACC igname, 5 REL offrir,ACC de lui-ami,1

20

“ il a acheté de l’igname pour offrir à son ami ” . (19d) u’ da dinoor, ki’ pO u-bO’O, il acheter, IRR igname, 5 REL offrir, IRR de lui-ami,1 “ il achèterait de l’igname pour offrir à son ami ” . Pour ce qui est de la polarité, c’est V1 seul qui porte la marque de la négation, mais NEG a portée sur l’ensemble du rpédicat complexe. (20a) u, ji’n’ bi’saa ki di’ki’

Il manger, ACC tô REL être plein “ Il a mangé à satiété ”.

(20b) wa,a ji’n’ bi’saa ki di’ki’

Il.NEG manger, ACC tô REL être plein, ACC “ Il n’a pas mangé à satiété ”.

(20c) u, cuti kisaau ki da anoo

il aller, ACC champ, 11 REL acheter, ACC igname, 6 “ il est allé au champ acheter des ignames ”.

(20d) wa,a cuti kisaau ki da anoo

il. NEG aller, ACC champ, 11 REL acheter, ACC igname, 6 “ il n’a pas été au champ acheter des ignames ”.

(20e) wa,a cuti kisaau kaa da’ anoo

il.NEG aller, ACC champ, 11 REL acheter, ACC igname, 6 “ il achète des ignames chaque fois qu’il va au champ”.

Dans l’exemple 20e, la présence de deux négations équivaut à une affrirmation. Le ncam n’a pas de marque d’affirmation, c’est donc ce qui confère à l’ensemble la valeur d’Habituel. Rappelons le statut particulier du relateur ki. Ce n’est pas une simple conjonction, parce qu’à la différence de celle-ci, il est à la fois connectif et pronom anaphorique du sujet. Il découle de tout ce qui a été dit que V1 et V2 constituent un prédicat complexe au sein d’une seule proposition. Le relateur ki joue le rôle de ciment et de catalyseur de la contruction. C’est un morphème de liaison qui unit de façon étroite ou lâche les verbes en présence. C’est pourquoi on peut considérer qu’on a affaire à une CVS, et que ki est un morphème de sérialisation. 3.4 Synthèse sur le ncam Cette section a été consacrée au rapport pouvant exister entre le processus d’auxiliarisation et la sérialisation verbale. Nous considérons les phénomènes d’auxiliarisation et de sérialisation comme liés dans cette langue dans la mesure où la séquence V1V2 qui va produire des auxiliatifs a toujours besoin d’un relateur ki qui joue le double rôle de connecteur et de pronom anaphorique sujet, créant par là une cohésion forte au niveau de la construction. Notre analyse a montré qu’au départ, V1 et V2 sont des verbes pleins mais que par la suite, l’un d’eux, en l’occurrence V1, va être soumis au contact du relateur à un processus de

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grammaticalisation qui va en faire, au bout de la chaîne, un auxiliaire. L’état présent de la langue permet d’ailleurs d’identifier différents degrés d’auxiliarisation. On a un degré faible avec les semi-auxiliaires, un degré moyen avec les néo-auxiliaires et un degré élevé avec les auxiliaires. La construction V1+ki+V2 peut former aussi des expressions lexicales figées sans que les verbes en présence cessent d’être des verbes pleins. L’examen attentif des cas recueillis nous a conduit à retenir l’hypothèse que les types de construction concernés sont au départ des CVS et c’est au sein de ces CVS qu’il y a auxiliarisation avec la construction Auxiliaire+V2 comme stade ultime du phénomène. Le relateur a joué le rôle de catalyseur. On peut même voir en lui un morphème de sérialisation.

4. Conclusions générales Nous avons voulu rapprocher ces deux groupes de parlers pour envisager les CVS d’un point de vue plus global, celui de leur dynamique interne, où la synchronie recèle des traces de la diachronie. Une partie des discussions autour de la délimitation des CVS s’explique par le fait que la plupart des langues des aires où elles sont présentes ont en commun plusieurs traits : - des radicaux brefs, le plus souvent monosyllabiques ; - une morphologie verbale réduite ou marquée sur le pronom avec indistinction formelle fréquente entre formes finie et non finie ; - une préférence pour la parataxe (souvent asyndétique) aux dépens de l’hypotaxe ; ce qui neutralise une partie des indices permettant de distinguer entre ces constructions et des suites de propositions. Ce fait même est favorable à la co-présence de plusieurs analyses des mêmes expressions parmi les locuteurs. Dans les deux aires linguistiques présentées ci-dessus, on trouve des indices de changements de statut plus ou moins avancés et de situations intermédiaires, au sein desquelles les locuteurs peuvent adopter des positions variables (variation interindividuelle diatopique et intraindividuelle diaphasique), ce qui témoigne aussi d’une dynamique diachronique en cours. On peut dire que les parlers gbe s’opposent au ncam en ce que dans les premiers, le schème de CVS semble central dans la représentation des procès, et c’est depuis ce centre que s’opèrent deux dérives, vers la lexicalisation de CVS en lexèmes verbaux complexes figés d’une part, et vers la grammaticalisation de certains schèmes de CVS pour des fonctions aspectuelles (V1 s’auxiliarise) ou des fonctions argumentales (le V dernier se grammaticalise) d’autre part. Dans le ncam en revanche, le marquage du TAM sur le pronom clitique sujet initial avec portée éventuelle sur les n V en relation paratactique d’une part, la nécessité de relier les V par le relateur ki d’autre part (alors qu’en gbe, on observe une forte tendance à l’asyndète), créent une situation où le lien entre éléments peut se situer au niveau des lexèmes verbaux, au niveau des verbes prédiqués, au niveau des prédicats, ou au niveau des propositions, sans que la manifestation de surface soit toujours distincte. On a dans cette langue essentiellement réanalyse de constructions complexes à deux ou n prédicats en constructions grammaticales complexes périphrastiques à V1 auxiliarisé. Y a-t-il [encore] des CVS au sens strict en ncam ? En revenant sur les observations effectuées, on doit conclure que le ncam ne peut pas être considéré comme une langue à CVS au sens strict, à cause de la place importante que tient le relateur dans construction. Les cas de juxtaposition apparente rencontrés lorsque le relateur s’est amalgamé et réduit manifestent une recatégorisation. La présence de ce type de construction témoigne de la dynamique des langues, et de la nécessité de tenir compte de cette dynamique dans leur étude synchronique.

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La variation au regard des CVS en gbe entre parlers, entre locuteurs et entre registres est quant à elle significative du statut fluctuant des constructions analysées ici. Ce qui apparaît nettement aux réactions des locuteurs face à des gammes de formulations autour de phrases à CVS, c’est qu’il s’agit là, d’une part, d’un procédé productif ouvert dans la langue, et que, d’autre part, il est susceptible de ré-analyses manifestées par des changements dans les possibilités combinatoires de chacun des V au regard de marqueurs grammaticaux comme les pronoms clitiques et les marqueurs de TAM. On peut à partir de ces observations avancer quelques hypothèses d’ordre fonctionnel sur les raisons de ces restructurations. A. Les CVS permettent l’accroissement du lexique des procès, notamment dans des langues qui possèdent un nombre restreint de bases lexicales simples de nature verbale (cf. Pawley, 1987). Les ex. en gbe (5), (6), (7), (10, (11a-c), (13), (14a-b), (15) en sont l’illustration. B. Les CVS de type combinatoire associant nV avec chacun son régime permettent l’élargissement de la structure argumentale, notamment dans des langues peu tolérantes à la pluralité de compléments régis par le même verbe (cf. Lemaréchal). Cela rendrait compte notamment des ex. en gbe (1), (4), (9), (12a-b), (18a-f), (19a-c), (20), (21), (22), et en ncam les ex. (2), C. Les CVS permettent aisément la création de constructions verbales complexes pour la diversification des ressources d’aspectualisation, selon des processus sémantiques attestés dans toutes les familles de langues du monde (cf. Heine, 1994 ; Hopper & Traugott, 1993). Ainsi, on trouve en ncam le même procédé qu’en suédois pour le progressif : V1 de position (selon la situation concrète considérée) + coordonnant + V2 d’activité. Les ex. (8) et (23) en gbe et (7) en ncam en fournissent d’autres modalités. D. Les procédés grammaticalisés disponibles dans une langue ont une influence sur les préférences de conceptualisation (cf. Slobin, 1995). C’est ce qui semble se passer pour la lexicalisation des procès dans les langues à CVS. On constate une tendance à la décomposition des situations en phases temporelles successives linéarisées, cette présentation analytique donnant une vision à la fois concrète et détaillée des situations. Les ex. en gbe (2), (5), (10), (11), (12), (13) particulièrement, ainsi que(15), (16), (17), (18a-b), (20), (21), (27a), et en ncam (1) à (6) les ex. en témoignent amplement. E. Langues en contact et influences typologiques ? Les langues dont il est question ici se trouvent depuis un siècle ou plus en situation diglossique au contact de langues européennes, et en particulier du français (langue romane, et à ce titre possédant certains traits typiques en ce qui concerne les schèmes de lexicalisation des procès ; cf. Talmy, 1985). Il n’est pas sans intérêt de constater que dans les situations familières où règne le “ parler bilingue ” (cf. Lüdi & Py, 1984) tolérant aux alternances de code, lorsque la langue de base est la langue autochtone gbe, ces alternances s’effectuent souvent au profit de verbes lexicaux du français, l’équivalent en gbe étant une expression complexe. 14 (4.1) ma, va’ expliquer na’o, PRO1S.FUT venir (expliquer) donner-PRO2S ‘je vais venir t’(expliquer)’

14 Ces verbes sont toujours traités à l’infinitif (cf. l’étude de Tossa, 1998 sur le parler bilingue fongbe-français). Nous avons constaté le même phénomène en parler bilingue gengbe-français.

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Enfin, nous voudrions relier ces observations aux questions du traitement de la langue par les locuteurs. Il faut dire que si nous nous intéressons à ces CVS, c’est aussi parce qu’elles soulèvent des questions fondamentales pour une linguistique d’orientation cognitive, concernant les relations entre conceptualisation et formulation des procès (Givon 1991 ; Pawley 1987, Senft 2001). Les CVS combinatoires constituent des séquences analytiques décomposant en micro-procès ce qui serait dans d’autres langues traité comme un procès unique. En ce sens, il n’est pas étonnant de voir comment chez des enfants de langue première gbe acquérant le français, l’empreinte de cette façon de représenter les événements rejaillit dans leurs productions en langue française (Noyau, 2003 ; Noyau, à paraître), enrobés parfois de syntaxe française — mais on sait que dans le processus psycholinguistique de production, selon Levelt (1989), la lexicalisation précède la recherche des schèmes syntaxiques. Ainsi, dans un corpus de récits sur images d’enfants de L1 gbe on relève : (4.2) les oiseaux prend le feuille met dans le nid (= l’oiseau apporte des feuilles dans son nid) (4.3) j’ai vu le chat qui court qui prend le chien (= le chat pourchasse le chien) (4.4) l’oiseau avait volé ou parti (cf. e’ zro’ dzo’ (voler + s’enfuir) = s’envoler) (4.5) il veut partir pour chercher les nourritures pour donner à ses enfants Ces influences des modes de conceptualisation de la langue première sur la conceptualisation des situations en L 2 en vue de la formulation ont été bien mises en évidence dans des comparaisons interlangues de productions chez des adultes, notamment par Carroll et Stutterheim (1997), Stutterheim et al. 2002. Il s’agit là d’un des domaines où l’acquisition des langues peut contribuer à la réflexion typologique (cf. Noyau, 2001). Nous réservons cet aspect de la question pour un travail ultérieur.

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ANNEXE

Conventions de transcription

Pour des raisons de commodité, nous transcrivons les séquences des langues africaines à l’aide des

caractères ordinaires :

Distinctions phoniques signalées par majuscule :

O, E, A o ouvert, e ouvert, a postérieur (vs o fermé, é fermé, a antérieur)

U, I voyelles d’arrière étirées (ikposso)

B, F, D, G spirantes bilabiales, interdentale, vélaire

N consonne nasale vélaire [ng]

ton haut nnn’ (apostrophe)

ton bas nnn, (virgule)

ton moyen (ncam) non marqué

ton modulé (gen) haut-bas / bas-haut nn’, / nn,’

(ces diacritiques ne sont donc pas utilisés ici dans leur fonction habituelle de délimitation entre mots

ou entre syntagmes, mais dans une fonction purement phonologique)

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Abréviations utilisées dans les gloses morphémiques

• Pour les langues gbe et l’ikposso :

1, 2, 3 1e, 2

e, 3

e personne

ACC accompli

CONJ conjonction

CVS-C CVS combinatoire

CVS-G CVS grammaticalisée

CVS-L CVS lexicalisée

CONC concessif

DECL déclaratif

DEF défini

DRAPP discours rapporté

DUR duratif

FIN fini / final ?

FUT futur

HAB habituel

INAC inaccomppli

INCH inchoatif

Loc locatif

Nom nominatif

Obj objet

Obl oblique

PASS passé

PL pluriel

PONCT ponctuel

POSS possessif

PRES présent

PROG progressif

PROX proximal

PT particule terminale

RES résultatif

RET rétrospeectif

REV révolu

S singulier

Suj sujet

T / AP trame / arrière-plan