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Le CDI intérimaire La loi au secours du patronat Dans la lignée des négociations de sécurisation des parcours professionnels, les partenaires sociaux et le législateur ont élaboré la possibilité de conclure des CDI intérimaires. La contradiction entre une stabilisation des travailleurs intérimaires et une extension du domaine de l'intérim constitue l'enjeu central de la mise en œuvre de ce nouveau contrat de travail. Cette Note montre comment le jeu à différents niveaux entre syndicats, patronat et État permet in fine de dénaturer le résultat de la négociation collective de branche au profit des positions du patronat de l’intérim, interrogeant par là la nature même du dialogue social. François Sarfati, CEE et Lise Claire Vivés, CEE et IDHE.S Les notes de l’Institut Européen du Salariat — n°38 — janvier 2016 comment l’État, tout en sécurisant juridiquement ce nouveau contrat, a dévoyé le résultat de la négociation en légiférant sur cette nouvelle forme de relation de travail. Encadré 1 : L’enquête Cette recherche repose sur une série d’entretiens réalisés avec les équipes syndicales et patronale ayant participé au processus. Nous avons en outre collecté et analysé les différents textes soumis à la signature, réalisé une revue de presse exhaustive de la période de négociation et étudié les textes de congrès des fédérations et confédérations. Il nous est ainsi possible de rendre compte des positions, des propositions et des inflexions des acteurs de la négociation. Cette recherche a fait l’objet d’un financement de la part de la Chaire de Sécurisation des Parcours Professionnels. Une revendication patronale… Le projet de création d’un CDI pour les intérimaires a été porté par Xavier Bertrand en 2011 lorsqu’il était ministre du Travail. Mais il était initialement une revendication patronale, qui avait émergé au moment de la transposition dans la législation française de la directive européenne sur le travail temporaire du 19 novembre 2008. Prism’emploi, organisation patronale affiliée au Medef et seule représentative dans la branche du travail temporaire, souhaitait que cette transposition soit l’occasion de créer un Contrat de mission à durée indéterminée (CMDI) et d’assouplir la législation encadrant le travail temporaire. Présentée Peut-on être intérimaire à durée indéterminée ? L’inscription dans la loi d’un Contrat à durée indéterminée intérimaire (CDI-I) est pour le moins surprenante. Pourtant, depuis le 6 mars 2014, les agences d’intérim peuvent signer des CDI avec des intérimaires qu’elles s’engagent à rémunérer de manière continue qu’ils soient délégués en mission dans des entreprises utilisatrices ou non. Entre deux missions, les intérimaires en CDI peuvent être mis en congé, suivre une formation ou rester chez eux en attente d’une nouvelle mission tout en percevant une rémunération. Une des particularités de ce contrat est d’être né d’une négociation entre organisations professionnelles représentatives de la branche. De plus, le CDI-I était à la fois une revendication syndicale et patronale, non pas qu’il s’agisse d’un objet consensuel mais cette référence commune tient à la forte attractivité, notamment symbolique, du CDI. Derrière cette appellation commune de CDI-I, les contours donnés à ce contrat sont très variables et requièrent, du point de vue des deux parties, de faire évoluer le CDI. Il s’agit donc de comprendre comment l’accord finalement négocié se situe entre les revendications syndicales et patronales. Si la négociation sectorielle a permis de lancer l’écriture du texte, nous verrons dans un deuxième temps que cette négociation de branche est largement débitrice d’une négociation nationale interprofessionnelle qui la précède. Nous reviendrons ensuite sur l’établissement par la négociation des caractéristiques du contrat, avant de souligner

Dans la lignée des négociations de Le CDI intérimaire · Le CDI intérimaire ... – passant selon la Dares de 638 000 équivalents temps plein en 2007 à 447 000 en 2009 – et

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LeCDIintérimaireLaloiausecoursdupatronat

Dans la lignée des négociations de sécurisation des parcours professionnels, les partenaires sociaux et le législateur ont élaboré la possibilité de conclure des CDI intérimaires. La contradiction entre une stabilisation des travailleurs intérimaires et une extension du domaine de l'intérim constitue l'enjeu central de la mise en œuvre de ce nouveau contrat de travail. Cette Note montre comment le jeu à différents niveaux entre syndicats, patronat et État permet in fine de dénaturer le résultat de la négociation collective de branche au profit des positions du patronat de l’intérim, interrogeant par là la nature même du dialogue social.

FrançoisSarfati,CEEetLiseClaireVivés,CEEetIDHE.S

Les notes de l’Institut Européen du Salariat — n°38 — janvier 2016

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comment l’État, tout en sécurisant juridiquement cenouveaucontrat,adévoyélerésultatdelanégociationen légiférant sur cette nouvelle forme de relation detravail.

Encadré1:L’enquêteCette recherche repose sur une série d’entretiens

réalisésavec leséquipessyndicalesetpatronaleayantparticipéauprocessus.Nousavonsenoutrecollectéetanalysé les différents textes soumis à la signature,réaliséunerevuedepresseexhaustivedelapériodedenégociation et étudié les textes de congrès desfédérationsetconfédérations.Ilnousestainsipossiblede rendre compte des positions, des propositions etdes inflexions des acteurs de la négociation. Cetterechercheafaitl’objetd’unfinancementdelapartdelaChairedeSécurisationdesParcoursProfessionnels.

Unerevendicationpatronale…Leprojetdecréationd’unCDIpourlesintérimaires

aétéportéparXavierBertranden2011 lorsqu’ilétaitministre du Travail. Mais il était initialement unerevendicationpatronale,quiavaitémergéaumomentde la transposition dans la législation française de ladirective européenne sur le travail temporaire du 19novembre 2008. Prism’emploi, organisation patronaleaffiliée au Medef et seule représentative dans labranche du travail temporaire, souhaitait que cettetransposition soit l’occasion de créer un Contrat demissionàdurée indéterminée(CMDI)etd’assouplir lalégislation encadrant le travail temporaire. Présentée

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Peut-on être intérimaire à durée indéterminée ?L’inscription dans la loi d’un Contrat à duréeindéterminée intérimaire (CDI-I) est pour le moinssurprenante. Pourtant, depuis le 6 mars 2014, lesagences d’intérim peuvent signer des CDI avec desintérimaires qu’elles s’engagent à rémunérer demanière continue qu’ils soient délégués en missiondans des entreprises utilisatrices ou non. Entre deuxmissions, les intérimaires en CDI peuvent être mis encongé, suivre une formation ou rester chez eux enattente d’une nouvellemission tout en percevant unerémunération.

Une des particularités de ce contrat est d’être néd’une négociation entre organisations professionnellesreprésentativesdelabranche.Deplus,leCDI-Iétaitàlafoisune revendication syndicale et patronale, non pasqu’ils’agissed’unobjetconsensuelmaiscetteréférencecommune tient à la forte attractivité, notammentsymbolique, du CDI. Derrière cette appellationcommune de CDI-I, les contours donnés à ce contratsont très variables et requièrent, du point de vue desdeux parties, de faire évoluer le CDI. Il s’agit donc decomprendre comment l’accord finalement négocié sesitueentrelesrevendicationssyndicalesetpatronales.

Si la négociation sectorielle a permis de lancerl’écriture du texte, nous verrons dans un deuxièmetempsquecettenégociationdebrancheest largementdébitrice d’une négociation nationaleinterprofessionnelle qui la précède. Nous reviendronsensuite sur l’établissement par la négociation descaractéristiques du contrat, avant de souligner

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comme une contrepartie de l’assouplissement, cettecréation devait notamment rompre avec l’image deprécarité associée à l’intérim et construire une«flexibilité acceptable», selon les termes d’unreprésentantpatronal.Dans la lignéede la dynamiqued’institutionnalisation del’intérim [Belkacem, 2013], cenouveau contrat devaitpermettred’étendrelesecteuretdecréerdenouveauxdroitspourles intérimaires pour légitimerl’activité. Le patronat estimait à3% l’augmentation du volumed’emplois qu’aurait permise cenouveau contrat et prévoyaitd’affecter ce volume à lasignaturede15000CMDI.

Cette revendication intervient également dans unepériodeoùlerecoursàl’intérimachutésuiteàlacrise–passantselon laDaresde638000équivalentstempspleinen2007à447000en2009–etoùlaconcurrenceavec les autres contrats courts est très forte.Prism’emploidénoncealorslecaractèremoinscoûteuxdes autres contrats courts (CDD, groupementsd’employeurs, auto-entreprenariat, portage salarial)ainsiqueleurtropgrandeprécaritécarn’offrantpaslesdroitsassociésaustatutd’intérimaire.LeCMDIestalorspensécommepermettantdediversifierlesactivitésdesentreprises d’intérim et d’accroître leurs margescommerciales.

Cette revendication du contrat à duréeindéterminéedanslesecteurdel’intérimestremisesurle devant de la scène par Prism’emploi lors de laconférence sociale de 2012. Elle a en réalité déjà faitl’objetdediscussionlorsd’échangesbilatérauxentrelepatronatet laCFDT,qui avait annoncéqu’ellepourraitsoutenir cette création au motif qu’elle permettraitd’ouvrirunevoiede«dé-précarisation».

…etsyndicaleLepatronatn’estpasseulàporter larevendication

d’un CDIpour les travailleurs intérimaires. LeCDI-I estune revendication ancienne de l’Union syndicale del’intérim (USI-CGT). Alors que la confédération CGT alongtemps combattu le travail temporaire, l’USI-CGTrevendiquait un CDI de droit commun pour tous lesintérimaires qui garantirait la continuité du contrat etde l’intégralité de la rémunération entre lesmissions,quipermettrait la reconnaissancede laqualificationetdel’anciennetéetquiassureraitundroitàlaformationcontinue.Pourselégitimerauprèsde laconfédération,l’USI-CGT insiste sur la cohérence de cetterevendication avec le projet confédéral de sécuritésocialeprofessionnelledéfendudepuis2005qui viseàassureràtousunCDIouunemploistatutaireàtempscomplet(ouindemnisésurlabased’untempscomplet

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danslescasdetempspartielnonsouhaité),undroitàlaprogressivité de carrière garantie même en cas dechangementd’emploi,undroitàuneévolutionsalarialeetundroitàlaformationcontinue.

Avant d’être un réel objet de négociation, le projetde CDI-I suscite donc un intérêttantdanslesrangssyndicauxquepatronaux… avec une exceptionlourde de signification contenuedans la position de la CGT-FO.Pour cette dernière, cen’estpasle rôle des organisationssyndicalesquedefaireévoluerleCDI.Cetteorganisation–commeentémoigne l’«avisd’opposition

à l’extensionduCDI intérimaire»de laCGT-FO–fondesa position sur une interprétation du droit du travailselon laquelle les signataires ne seraient pas en«capacité [de] créer un nouveau contrat de travail oud’en modifier substantiellement les composantes sansbases législatives les habilitant». Par la suite, Forceouvrièreferaencorevaloircepointdevuequepardanslerecoursqu’elledéposeradevantleConseild’Étatpour«contester l’absence d’encadrement du CDI-I par lelégislateur».

Unenégociationdebranchedontlecadreestfixéparunaccordnationalinterprofessionnel

Cespositions initialesdesorganisationsdoiventêtrereplacéesdanslecontexteplusgénéraldesnégociationsrelatives à l’emploi et à ladite «sécurisation» de cedernier. Constatant qu’entre 2000 et 2010, lesdéclarationsd’embauche(horsintérim)ontprogresséde88,1%pourlesCDDdemoinsd’unmoiset,parmicelles-ci, de 120,2% pour les CDD de moins d’une semaine[Berche,Hagneré,Vong,2011].

Les partenaires sociaux cherchent à endiguerl’explosiondu recoursaux contratsde travailde courtedurée qui pèse sur les finances de l’Unédic. L’Accordnational interprofessionnel (ANI)du11 janvier2013,ditde«sécurisation des parcours professionnels»,prévoiten ce sens une sur-cotisation patronale à l’assurancechômage sur certains contrats courts. Les majorationsnégociées s’échelonnent entre 0,5 et 3% selon lescaractéristiques des CDD et comprennent denombreuses exceptions. Prism’emploi obtient depouvoir déroger à cette disposition avec l’appui dugouvernement.Pourl’intérim,lecoûtdecettemesuresielle avait été appliquée est estimé entre 200 et 320millionsd’euros.Dansl’ANIdejanvier2013sontposéeslesbasesd’uneévolutiondesmodalitésdefinancementde l’indemnisation du chômage vers un principepollueur-payeur, un des principaux pollueurs se voitdonc autoriséànepaspayer. L’article4de l’ANI sur lasur-cotisation comprend cependant une clause derenvoi:encontrepartiedecettedérogation, labranche

Pour lessyndicats, il fautéviterque leCDI-I soit «un cheval de Troie dupatronat pour déréglementerl’intérim».

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doit conclure dans un délai de six mois un accordpermettant d’«approfondir la sécurisation desparcoursprofessionnelsdecettecatégoriedesalariéspar lamise en place d’un contrat de travail à duréeindéterminée».LanégociationdebranchesurleCDI-Idécouledoncdirectementd’unaccordnational.

Un front uni des syndicats neutralise lastratégiepatronale

La négociation sur le CDI-I s’engage ainsi auprintemps2013.Danslespremièresversionsdutexted’accord proposé par le patronat, l’approche dePrism’emploin’estpasdeproposerunecontrepartieà la concession sur l’exonération de la surcotisationmais de tenter d’obtenir que le CDI-I bénéficie d’unrégime dérogatoire pour les dispositions encadrantl’intérim. Prism’emploi, arguant de la disparition del’état de précarité pour les intérimaires en CDI,propose dans le texte servant de support à ladiscussiondu31mai2013de revenirsur ledélaidecarenceetsur laduréemaximalede lamissiondansl’entreprise utilisatrice. Le Codedu travail prévoit en effet undélai de carence entre deuxmissions d’intérim et fixe laduréemaximale d’unemission à18moisafind’empêcherquedesemplois soient pourvusdurablement par le travailtemporaire et donc de préserver le CDI commenormedelarelationdetravail.

En réponseà l’attaquepatronale,un frontuni seforme autour du maintien des règles classiques dutravailtemporaire.Ladiscussionsetendetlaréuniondu 14 juin 2013 est boycottée par les organisationssyndicalesquiconsidèrentleCDI-Icomme«unchevaldeTroiedupatronatpour déréglementer l’intérim»(selonunnégociateurCFDT).

Deux semaines plus tard, le patronat renonce àces deux points et rend possible la discussion surd’autres aspects. Construire le CDI-I consiste alors à«emboîter les caractéristiquesdu travail temporaireaveccellesduCDI» laissantà lanégociation latâched’établir les différents paramètres. Combien decontratslepatronatdoit-ils’engageràsigner?Quelssont les salariés visés par ce contrat de travail? Àquelles conditions peuvent-ils y prétendre?CommentqualifierlespériodesoùlesintérimairesenCDI ne sont pas délégués dans des entreprisesutilisatrices? Y-a-t-il des missions qu’un intérimaireenCDIpeutrefuserdemanièrelégitime?Quelssontles éléments de rémunération de l’intérim quidoiventresterdansleCDIintérimaire?

Toutes ces questions n’ont pas occupé ladiscussion de la même manière. La CGT étaitfavorable à l’introduction d’un mécanisme

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d’ancienneté – comme c’est le cas aux Pays-Bas –prévoyantqu’àpartird’uncertaintempsoud’uncertainnombre de missions, l’intérimaire bénéficieautomatiquementd’unCDI-I.Cepointaétéécartédèslapremière version du texte patronal qui prévoyait danssonarticle1«unCDIoptionnel»,qui«nes’imposeniaucandidatàunemploi,niausalariédéjàbénéficiaired’uncontrat de travail temporaire». Ce caractère optionnelécarte la possibilité de contraindre les entreprises àsécuriserdesprofilsciblésd’intérimaires.

Certains points n’ont pas fait l’objet de discussionsintenses mais ont permis, sur demande syndicale,d’encadrer les conditions légitimes de refus d’unemissionparlesintérimairesenCDI.Danslaversionfinaledu texte, les intérimaires sont tenus d’accepter lesmissions situées àmoinsde 50kms de l’agence qui lesembauche. Ils ont, en conséquence, le droit de refuserlesmissionspluséloignées.Delamêmemanière,afindelimiter les obligations des intérimaires en termes demissionsacceptablesetdetenterdegarantirleurniveaude revenu, il est convenu d’indiquer sur le contrat de

travail un maximum de troisqualifications. Dans les faits, ils’agit moins de qualifications quede libellésd’emploi figurantparmiles professions et catégoriessocioprofessionnelles répertoriéespar l’Insee. Pour fixer la limite àtrois «qualifications», lesrédacteurs du texte ont transposé

lefonctionnementde lavisitemédicaled’embauchequiétablit «l’aptitude à exercer plusieurs emplois, dans lalimitedetrois»(R.4625-9).

Ladiscussionaétébeaucoupplusaniméeconcernantla distinction entre périodes de mission etd’intermission. Si les périodes travaillées ne posentpasparticulièrement de problème puisque la règle del’égalité de traitement entre travailleur intérimaire etsalariédel’entrepriseutilisatriceprévaut, lanégociationvad’abordportersur lanaturedel’intermission.Quandun salarié en CDI intérimaire n’est pas délégué enmission, peut-on dire qu’il travaille? Si oui, commentconsidérer ce travail? Et comment le rémunérer?L’enjeu de créer un CDI-I qui soit lemoins dérogatoirepossible au CDI semanifeste fortement sur la questiondesrémunérationsdesintermissions:

«Undescahiersdeschargesqu’ons’étaitfixé,nous,c’était de rapprocher ce CDI aumaximum de la formetypique du contrat de travail. De limiter au maximumtoute dérogation possible. Voilà. Et y compris sur leséléments de rémunération. Donc c’était d’asseoir larémunérationsurdessystèmesderémunérationlespluscommuns, typiques possibles. Voilà, donc que larémunération soit bien du salaire […et] qu’elle soitrattachée à un système connu et non dérogatoire derémunération.»(UnnégociateurCFDT)

Le premier texte soumis à discussion évoque des

LeCDIintérimaire FrançoisSarfa,,ClaireVivés Page3

En inscrivant le CDI-I dans la loi, legouvernement coupe l’herbe sous lepieddesnégociateurssyndicaux.

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«indemnités».Tandisquelesdeuxièmeettroisièmeversions du texte mobilisent le terme«compensation». Ces deux termes reflètent lamanière dont le patronat positionne le débat:pendant les intermissions, l’employeur sesubstitueraitàPôleemploietindemniseraitlesalariéquis’apparenteraitàunchômeur.Cetteapprochesecomprend dans l’optique de l’ANI où l’accord estdestinéàréduireledéficitdel’assurancechômageendéchargeant l’institution de certains intérimaires.Pourpreuve,àcestadedelanégociation,lemontantavancé de cette «compensation», 60% du salairebrutderéférence,estexplicitementcalésurlesdroitsà indemnisation par l’Unédic (57%). Toutefois, del’aveu même des négociateurs patronaux, cettetentative de ne pas considérer les intermissionscommeuntempsdetravailetcorrélativementdenepas verser une rémunération était une stratégie denégociation. Prism’emploi a acquis tôt la convictionque cette voie ne pourrait aboutir. Le quatrièmetexte est l’occasion avec l’arrivée de l’expression«Garantie minimale mensuelle de rémunération»(GMMR) d’acter que ces intermissions font l’objetd’unerémunérationquinepeutdoncêtre inférieureauSmicetquiestsoumiseàcotisations.L’accord du 10 juillet 2013 a été signé par troisorganisations de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC) etPrism’emploi. Il acte le fait que les entreprises detravailtemporaireassurentunecontinuitédurevenumême en cas de discontinuité des missions pourcertainsdeleursemployés.

L’accordréécritparlaloiL’accordprévoyaitlasignaturede20000CDI-Isur

trois ans. Les rares chiffres officiels indiquent qu’au15juillet2015(unanettroismoisaprèslasignature),2880contratsavaientétésignésselonlebilanréalisépar Prism’emploi, soit moins de 15% de l’objectif.Arguantde lamiseenœuvre renduedifficilepar les«contraintesexcessives»quipèseraientsur leCDI-I,Prism’emploiaentreprisdès lasignaturede l’accordun travail d’interventions auprès du ministère duTravail pour réviser à son avantage le contenu del’accord sans rouvrir de négociations. Leursdemandesportaientsur la suppressiondesdélaisdecarence et l’allongement de la durée totale demissions.L’exécutifaccèderaàlademandepatronaleparunedispositioninscriteàl’article56delaloidite«Rebsamen» relative au dialogue social et àl’emploi. On peut se demander si les entreprises dusecteurseseraientengagéesdavantagedans lamiseenœuvre du CDI-I si elles avaient eu gain de causedès le départ concernant les délais de carence et ladurée totale des missions. Quoi qu’il en soit, cetteévolutionlégislativeestdetrèsgrandeportée.En inscrivant le CDI-I dans la loi, le gouvernement

Directeurdelapublication:BernardFriotComitéderédaction:LucyapRoberts,NicolasCastel,Jean-LucDeshayes,BernardFriot,MathieuGrégoire, Jean-PascalHigelé,EmmanueldeLescure,MaudSimonet.Secrétariatderédaction:[email protected],IDHE.S,UniversitéParisOuestNanterre,200,av.delaRépublique,92001Nanterrecedex01.ISSN:1969-6442

Les notes de L’Institut Européen du Salariat

Lesnotesdel’IES n°38–janvier2016 Page4

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coupel’herbesouslepieddesnégociateurssyndicauxetpourrait défaire le recours de la CGT-FO du fait de lasécurisationjuridiqueduCDI-Iquepermetlerecoursàlaloi. Le législateur satisfait les revendications patronalesrelatives à la réglementation qui encadre l’intérimpourtant invalidées lors de la négociation, et rendimpossible l’obtention de contrepartie par le campsyndical, ce qui déséquilibre totalement l’accordprécédemmentsigné.Lesuccèsdufrontsyndicallorsdela négociation est in fine balayé par l’État qui reste àl’évidencel’arbitredu«dialoguesocial».

ConclusionIl y aunecertaine ironie à ceque la voie législative

soitutiliséepour satisfaireune revendication patronaleécartée par la négociation dans une période où legouvernementvantelesméritesdu«dialoguesocial»etmet en avant l’importance de la norme négociée auregard de la loi. L’enjeu est pourtant de taille. Enmodifiant la réglementationdurecoursà l’intérimdansle cadre du CDI-I, le gouvernement élargit la définitionjusqu’icienvigueurdel’emploitemporaire.Leparadoxeapparent du CDI intérimaire, plus qu’un moyen desécuriserlestravailleursintérimaires,estdevenuunoutild’assouplissement du recours à l’intérim, contribuant àréduire l’espace jusqu’ici réservé au Contrat à duréeindéterminéestandard.

FrançoisSarfati,ClaireVivés.

RÉFÉRENCES: • Belkacem R., «Des agences d’intérim aux agences

d’emploi»,Lesnotesdel’IES,no30,2013..• Berche K., Hagneré C. et VongM., «Les déclarations

d’embauche entre 2000 et 2010 : une évolutionmarquée par la progression des CDD de moins d’unmois»,ACOSSTAT,Étude,no143,décembre2011.