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DANS LA MÊME COLLECTION LEFEBVRE (2 édition). par François

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DANS LA MÊME COLLECTION

Les Arts de l'Espace, par Henri VAN LIER (5 édition). Le Nouvel Âge, par Henri VAN LIER (3 édition). Les Hommes du futur, par Jean MARABINI (2 édition). L'Homme inachevé, par Odette THIBAULT. L'Intention sexuelle. par Henri VAN LIER. Vous serez comme des dieux, par Heinrich SCHRIMBECK. Construire pour survivre, par Richard NEUTRA. Architecture active, par André WOGENSCKY. Art et Ordinateur, par Abraham A. MOLES. Introduction à l'industrial design, par Gillo DORFLÈS. Hegel, Marx, Nietzsche, ou le royaume des ombres, par Henri

LEFEBVRE (2 édition). La Télé-fission. Alerte à la télévision, par René BERGER. Musique. Architecture, par lannis XENAKIS (2 édition revue et

augmentée). Zen, l'autre versant, par F. A. VIALLET (2 édition revue et

augmentée). Théorie de l'art sociologique, par Hervé FISCHER. Le Miroir de la production, ou l'illusion critique du matérialisme

historique, par Jean BAUDRILLARD (2 édition). Action culturelle. Intégration et/ou subversion, par Pierre GAUDI-

BERT (3 édition revue et augmentée). Libérer la ville, par Marcel CORNU. La Farce et le sacré. Fêtes et farceurs, mythes et mystificateurs,

par François CARADEC. Théorie des actes. Vers une écologie des actions, par Abraham

A. MOLES et Elisabeth ROHMER. L'Anarchie dans la société contemporaine. Une hérésie nécessaire?

par Maurice JOYEUX (2 édition revue et augmentée). L'Architecture de survie. Où s'invente aujourd'hui le monde de

demain, par Yona FRIEDMAN. Des loisirs : pour quoi faire?, par Jean FOURASTIÉ (4 édition

revue et augmentée).

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DES LOISIRS : POUR QUOI FAIRE?

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ISBN 2-203-23162-9

© Casterman 1977 Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays. Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite. Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photo- graphie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue

une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur.

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COLLECTION « SYNTHÈSES CONTEMPORAINES » dirigée par Michel RAGON

DES LOISIRS : POUR QUOI FAIRE?

par JEAN FOURASTIÉ avec la collaboration de Françoise Fourastié

4 édition revue et augmentée

CASTERMAN

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Du même auteur

Principaux ouvrages : Le Grand Espoir du XX siècle. Gallimard. Coll. « Idées »,

n° 20. Les quarante mille heures. Nouvelle édition, avec postface

1972, Denoël-Gonthier. Coll. « Médiations », n° 102. Les Conditions de l'esprit scientifique. Gallimard. Coll.

« Idées », n° 96. Essais de morale prospective. Denoël-Gonthier. Coll.

« Médiations », n° 75. Pourquoi nous travaillons. P.U.F. Coll. « Que sais-je? »,

n° 818. La Civilisation de 1975. P.U.F. Coll. « Que sais-je? »,

n° 279. Lettre ouverte à quatre milliards d'hommes. Albin Michel. Comment mon cerveau s'informe. Robert Laffont, 1975. Le long chemin des hommes. Robert Laffont, 1976.

En collaboration avec Françoise Fourastié :

Les Écrivains, témoins du peuple. Ditis-Flammarion. Coll. « J'ai lu l'essentiel ».

Histoire du confort. P.U.F. Coll. « Que sais-je? », n° 449. Voyages et voyageurs d'autrefois. Denoël.

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INTRODUCTION

Le loisir déferle sur l'homme comme une avalanche printanière. Depuis les mille ans que l'humanité existe, le loisir était le privilège d'une aristocratie infime, pré- parée et vouée par son rôle social à des destins exception- nels : pour la plupart, c'était l'ostentation et l'insolence de la richesse et de la puissance, les jeux, la chasse, la guerre; pour certains, ce furent le forum et les thermes; pour Horace, ce fut la poésie et son « champ de Tibur » ; pour Montaigne, les Essais; pour Descartes, le Discours de la Méthode; pour Newton, la gravitation et pour Lavoisier, avant l'échafaud, la découverte des corps simples et du revenu national...

Depuis la difficile reconstruction de la société occi- dentale après l'effondrement de l'Empire romain, quelques professions s'assurèrent un repos annuel, entouré de prestige et d'envie : juges, professeurs, hauts fonction- naires obtinrent la vacation de leurs charges durant un ou deux mois d'été. Ce privilège s'étendit irrégulièrement et lentement aux professions libérales et aux fonction- naires titulaires de l'État, qui se trouvèrent avoir tous quelque vingt et un jours de congé (trois semaines) aux alentours de 1925.

On sait qu'en France c'est seulement une loi de 1936 qui généralise le droit de tous les salariés au congé payé, dont le minimum fut alors fixé à deux semaines. Mais la loi ne s'appliquait ni à l'agriculture ni, bien entendu, aux artisans, chefs d'entreprises et travailleurs indé-

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pendants; 550.000 personnes bénéficièrent en 1936 de la nouvelle institution des « billets populaires de congé annuel ».

En 1966, l'émission de ces billets a dépassé 5 millions pour 2,7 milliards de kilomètres, à quoi s'ajoutent évidemment les transports par automobiles (30 milliards de km/voyageur) et les transports par avions. Aujourd'hui plus de la moitié des Français passent, de juin à octobre, plus de vingt-cinq nuits en dehors de leur domicile habituel pour des motifs de pur agrément.

Une étude du CREDOC évoque l'ampleur de cette révolution : la mobilisation générale du 3 août 1914 a profondément frappé les Français non pas seulement comme le début d'une guerre, mais par l'accumulation des moyens matériels qui furent mis en œuvre pour transporter et nourrir les mobilisés. Même les jeunes d'aujourd'hui savent que le matériel habituel n'y suffit pas, que des centaines de vieilles locomotives furent remises en service, que les cheminots travaillèrent quatre- vingts heures par semaine et que plus des deux tiers des soldats furent transportés dans des « wagons à bestiaux ». Or il ne s'agissait que de 3.700.000 hommes.

La mobilisation annuelle pour le loisir met aujourd'hui en branle plus de 20 millions de personnes, dont plus de 10 millions dans les quinze jours qui encadrent le 1 juillet. Et si le grand retour de 1914 ne s'est produit qu'en 1918 (avec « l'économie » du million de corps restés dans les cimetières du front), ce flux de 20 millions de départs est aujourd'hui suivi, à quatre ou cinq semaines de délai, d'un reflux égal de retours... Cette fantastique

1. « Les Dépenses touristiques », par Léon DESPLANQUES et Jean DUMARD, Consommation (Annales du CREDOC), 1967, n° 3, p. 89 sq.

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marée humaine exige évidemment la mise « sur pied de guerre » de toute l'industrie des transports et des com- munications, de toutes les forces nationales de police, de l'industrie hôtelière et touristique... Mais imagine-t-on suffisamment, en outre, tout ce qu'exigent d'équipements l'hébergement, la nourriture, la distraction et l'activité physique de cette ruée de gens indisciplinés et indivi- dualistes, qui, chacun, cherchent leur plaisir et choisissent leur programme?

Par exemple, cet exode de 20 millions de personnes hors de leur domicile habituel représente plus d'un demi- milliard de nuitées, à quoi il faut ajouter 100 millions de nuitées pour les touristes étrangers venus en France (les voyages d'affaires ne sont pas considérés ici). Il faut se représenter l'équipement nécessaire de ce grand héber- gement, et prendre conscience de la surabondante richesse qu'exigent de telles pratiques : plus de deux tiers de ces équipements d'hébergement et de jeux ne servent en effet que moins de trois mois par an!

Nos jeunes gens pourraient penser à dénoncer ces abus de richesses, cet usage excessif de transports, de voitures, de routes, de cuisines, de commerces, de dortoirs et de chambres, de tables et de lits, de jeux, de ballons et de bateaux, de tennis et de terrains de sport, de services et d'espace, à un moment où 2 milliards d'humains sont fixés à leur village natal non seulement par la pauvreté mais par la malnutrition; — si les jeunes gens même ne se trouvaient pas les plus grands consommateurs par tête des biens et des travaux nécessaires à ces grandes migrations !

2. La dépense par tête est en effet le produit du coût par la fréquence. Les jeunes dépensent beaucoup moins que les adultes par jour de voyage, mais ils voyagent beaucoup plus de jours par

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Les spécialistes des comptes de la nation sont tous d'accord pour évaluer autour du sixième la part de son revenu que le Français moyen affecte aujourd'hui à ses dépenses de loisirs. Mais ce rapport est en hausse ininter- rompue depuis quarante ans. Il n'était que de 10 % en 1950; si les choses continuent au train actuel, il sera de l'ordre du quart en 1989! Évaluées à prix constants, les dépenses de loisirs ont été multipliées par 1,8 de 1950 à 1960, par 1,6 de 1960 à 1970. De 1970 à 1989, la crois- sance attendue est de l'ordre de la multiplication par 2,3. Au total, de 1955 à 1989, c'est-à-dire dans le temps d'une demi-vie humaine moyenne (un lecteur moyen né en 1955 sera près de la moitié de son destin en 1989), l'accroissement de la consommation de loisirs sera de l'ordre de un à cinq.

Au cours des récentes années, les croissances les plus rapides furent celles de la TV et des disques, des électro- phones et tourne-disques, du matériel de photo-cinéma, des articles de sport et de camping : pour toutes ces consommations, la multiplication fut de l'ordre de quatre en dix ans; livres, jeux, jouets, fleurs, plantes et graines, hôtels et cercles, suivent avec des coefficients allant de 2 à 1,75. Le vertige vient avec l'équipement en télévision (plus de la moitié des ménages équipés en dix ans), et avec quantités de matériels moins courants : le chiffre d'affaires des fabricants d'équipements pour la chasse sous-marine a triplé en deux ans de 1960 à 1962, celui des producteurs d'articles de sport nautique a été dans

an. A l'inverse, les vieillards de plus de soixante-dix ans pèsent peu dans le grand mouvement.

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le même temps multiplié par deux ; tandis que les articles de pêche donnaient le coefficient 1,3.

La prolifération des résidences secondaires est, de même, caractéristique. En 1967, 2.832.000 ménages, soit 18,2 % des ménages existant en France, disposaient d'une résidence secondaire au sens l a rge .

Cette extraordinaire croissance des moyens et des

dépenses de loisirs, étant fort irrégulière d 'une activité à l 'autre, a entraîné une t ransformat ion complète de leur structure. Si é tonnant que cela puisse paraî tre aujourd 'hui , les dépenses faites dans les cafés et débits de boissons représentaient, en 1960, 40 % du total des dépenses de loisirs. Ce poids est tombé de moitié aujour- d'hui. Avec 18 % environ du total, les dépenses au café représentent encore la seconde des rubriques comptables des loisirs, la première étant devenue la voiture automobile avec 31 %, contre 12 en 1950. Par contre les journaux sont tombés de 8 à 3 % et les spectacles de 7 à 2 %.

Lorsque l 'on se réfère à la millénaire histoire de l 'humanité, à sa longue stagnation, à la situation qui était celle de la France en 1950 et qui était déjà bien meilleure que celle des quatre cinquièmes des nations d 'aujourd 'hui , on peut bien conclure que si les Français n 'on t pas encore acquis cette civilisation des loisirs dont on parle souvent, du moins ont-ils reçu une avalanche, ou, pourrai t -on dire en pensant à Jean Cocteau, une raclée de loisirs, qui déjà marque profondément l'éco- nomie, la société et la personnalité de chacun d 'entre nous.

3. Cf. plus loin, chapitre V.

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Que l'économie et la société française soient profon- dément transformées par l'irruption du loisir, voilà qui est fort clair et se précisera au cours des chapitres qui suivent. En cette introduction, nous voudrions insister sur les mutations de personnalité que le loisir permet, mais aussi exige.

Notre grand spécialiste de la sociologie et de la pratique des loisirs, M. Joffre Dumazedier, a écrit de nombreuses pages pertinentes sur la définition du loisir J'en retiens notamment que le loisir est une activité libre, que chacun peut faire ou ne pas faire, et choisir parmi un grand nombre de possibilités.

La diversité des loisirs possible est en effet presque indéfinie : de la pêche aux vairons dans les ruisseaux du Nivernais à la chasse aux fauves en Afrique du Sud, de la photographie d'amateur à l'escrime et à l'équitation, de la sieste à la compétition olympique, de la lecture d'Origène à celle d'Astérix, du bridge et de la conver- sation de café à l'action politique militante et révolution- naire, de l'orphéon de quartier au bal d'étudiant, de la fête de village au carnaval de Rio, du canotage de rivière à l'exploration des pôles (celle de l'espace est devenue un travail professionnel), de l'effort pour méditer devant La Junte des Philippines à une soirée aux Folies-Bergère, de la beuverie au whisky, de la fumerie d'opium ou du LSD à la rééducation bénévole des polyos ou à l'animation de groupes scouts, de la méditation solitaire au grouil- lement de ce que l'on appelle « plages » sur la Côte d'Azur, du pique-nique sur le gazon et du repas gastro-

4. Cf. notamment J. DUMAZEDIER et A. RIPERT, Loisir et culture.

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nomique signalé par les étoiles du guide Michelin au travail d'une sonate de Mozart, du jardinage à la rédaction d'un livre (sur le loisir), de la marche à pied au vol à voile, de la nage au patinage et au ski, de la réparation des vieilles pendules du XVII siècle à la collection de timbres, d'autographes ou de pipes, de l'enthousiasme naïf pour tout ce qui existe à l'ennui qui rêve de destruc- tions sinistres, de la quête de l'amour à l'érotisme et aux sadismes; du calme à la violence, du mieux au pire, du bien au mal et du beau au laid, de la conservation à la destruction, de la conscience à l'inconscience, de l'ordre au désordre, de l'admiration à la haine et du scepticisme à la foi... que de modalités de loisirs, que d'attitudes dans le loisir!

Sans doute est-il possible, et nous en reparlerons plus loin, de mettre un peu d'ordre dans ce fatras innombrable des possibles, par des classements tels que : loisirs indi- viduels ou collectifs; loisirs distractifs et éducatifs, délassants, divertissants ou formateurs; actifs ou passifs; physiques ou culturels; « consommatifs » ou produc- tifs, etc., etc. Mais nous ne retiendrons ici, pour le moment, que cette extrême diversité des possibles. Naguère l'homme moyen était commandé par les con- traintes de la pauvreté et de la misère; il était commandé par sa famille, sa naissance et sa profession. Aujourd'hui une liberté s'entrouvre. Mais là est probablement le grand défi que le loisir pose à l'homme moyen : en même temps qu'il autorise, le loisir oblige; la réduction de la durée du travail professionnel, l'accroissement du niveau de vie, acculent peu à peu l'homme à des choix gratuits.

Or ces choix engagent et forment la personnalité. Vous ne serez pas, dans un an, dans dix ans, le même homme, si vous avez passé vos soirées devant une TV éclectique

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et jacassante, souvent parée des prestiges de la culture classique, mais sporadique, décousue et désorientée, ou que vous vous serez astreint à étudier Shakespeare, Proust, Pascal, Péguy ou Camus. Selon que vous aurez couru après quelques mini-jupes, pris des bains de soleil, joué à la manille ou aux échecs, dialogué avec des gauchistes, — ou participé à des cercles d'études, connu Lourdes et Bénarès, travaillé dans des kolkhozes et dans des k i b b o u t z i m

Dans le loisir, l'homme est seul devant son destin; livré à lui-même, il doit se conduire, décider de soi. Sans doute cherche-t-il le bonheur? Comment le trouvera-t-il? La liberté est-elle la même chose que la licence? Trouve-t-on le bonheur en cherchant à chaque instant le plus aisé, le plus agréable, le plus facile ?

Le loisir pose à l'homme, en pleine clarté, le problème de la condition humaine : se choisir, se construire, se former seul. Certains voudraient voir la société faire ces choix pour eux, et s'accommodent des contraintes qu'en fait toute société distille. A l'inverse des conformistes, certains se proclament esclaves pour n'avoir pas à vivre libres. Mais le domaine propre du loisir est de l'essence du choix libre. Protester contre les contraintes, c'est souvent refuser l'autonomie. La liberté est le bien suprême de l'homme « de plein exercice »; mais la liberté n'est pas d'exercice facile. Ni l'homme ni l'humanité ne sont faciles à faire.

Il semble bien que la métamorphose actuelle dont l'explosion des sciences et des techniques fait bénéficier l'humanité et lui impose tout à la fois, ait comme résultat

5. Cf. G. DOUART, Du Kolkhoze au Kibboutz, Plon, Éd.

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le plus général de permettre à l'homme de se rapprocher du plein exercice de ses facultés. Mais comme ces facultés sont nombreuses et variées, et que l'exercice de l'une ou de quelques-unes exclut celles des autres, et comme cet exercice demande du temps et que la vie de l'homme est courte, cette recherche légitime et d'ailleurs inéluctable du plein exercice se heurte et ne cessera pas de se heurter au fait qu'un nombre énorme d'activités différentes sont possibles, mais qu'elles ne sont pas possibles à la fois. C'est pourquoi, dans la mesure où se réduisent les contraintes de la vie économique et des hiérarchies sociales qu'elles engendrent, dans la mesure où la société relâche ses coercitions politiques, apparentes ou cachées, volontaires ou inconscientes, avouées ou hypocrites, l'homme doit choisir, et ainsi se choisir.

Bien sûr ce choix se construit sur la personnalité existante, qui dépend et du milieu culturel et de la physio- logie biologique. La dialectique de cette double infinité de caractères originaux garantit la persistance de la diversité humaine. Car le milieu ne peut jamais devenir identique à partir d'individus différents, et la biologie nous a déjà appris que le nombre possible des arran- gements des gènes sur les quarante-six chromosomes humains est tel que jamais deux êtres identiques ne viendront au jour sur cette terre, quelle que soit sa durée, les paires de jumeaux vrais étant naturellement mis à part puisqu'ils sont issus du même œuf. Ainsi est acquise l'originalité génétique de chaque être humain, qui implique son originalité caractérologique et culturelle. Sur cette originalité échoueront, du moins dans le long terme, toutes les tentatives, toutes les séductions de tentatives totalitaires. L'être humain tend vers son autonomie et l'autonomie de chacun est originale.

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Collection « Synthèses contemporaines » dirigée par Michel Ragon.

Contrairement à ce que l'on pense en général, les Français donnent la priorité au travail par rapport au loisir, afin d'augmenter leur capacité de consommation. Quant aux loisirs, ils sont fort mal employés par leurs bénéficiaires. On parlait, il y a peu de temps encore, de « civilisation » des loisirs. Où est-elle? Où s'exprime- t-elle? En fait, il n'y a pas de loisirs dans un temps libre trop agité. Les espaces-loisirs comme les espaces naturels disparaissent. Si tous les Français voulaient aller en même temps sur les plages de nos côtes, chacun ne disposerait que de 35 cm. De même le ski pour tous aboutirait à la possibilité d'un séjour en montagne pour chacun, une fois tous les dix ans. Jusqu'à présent, l'embouteillage a été évité par des questions d'argent. Mais comment procéderait- on pour rationner équitablement les loisirs dans une société où le critère de l'argent ne jouerait plus? De graves questions se posent. On peut s'interroger, deux siècles après la Révolution française, sur la signification réelle de ce que l'on appelle les loisirs. Jean Fouras- tié le fait, avec la précision du sociologue et l'inquiétude de l'hu- maniste.

Photo L'Express - M. Henry.

jean fourastié

Né en 1907 dans la Nièvre. Ingénieur des Arts et Manufac- tures. Professeur à l'Institut d'Études Politiques, Directeur d'Études à l'École Pratique des Hautes-Études. Professeur titulaire de la Chaire d'Économie et Statistique industrielle au Conservatoire des Arts et Métiers. Membre de l'Institut.

ISBN 2-203-23162-9

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