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INTERSECTION// Alain Béniou, PERSPECTIVES// Le Grand Paris de l’innovation, Francis Pisani, Miel Wieviorka, Gérard Berry, Alain Maugard, Valérie Payen-Larevesque, Denis Lebaillif, Madjid Nassah, Allaoui Guenni, Marc Fontecave, François Grosse, TERRITOIRES// Jacques Saint-Amaux, Jean-Marc Offner CITIES// Bertrand Lemoine, François Lamy. DéCEMBRE 2012 N °04

Décembre 2012 - Aurbse.org...Magazine trimestriel gratuit. Édité par la Mission Métropole du Grand Paris / Veolia Environnement S. A., immatriculée au RCS de Paris sous le numéro

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iNTersecTioN// Alain Bénichou,PersPecTives// Le Grand Paris de l’innovation, Francis Pisani, Michel Wieviorka, Gérard Berry, Alain Maugard, Valérie Payen-Larchevesque, Denis Lebaillif, Madjid Nassah, Allaoui Guenni, Marc Fontecave, François Grosse,TerriToires// Jacques Saint-Amaux, Jean-Marc OffnerciTies// Bertrand Lemoine, François Lamy.

Décembre 2012N°04

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JACQUES SAINT-AMAUX, conseiller général des Yvelines

François GROSSE, directeur des nouveaux services numériques, veolia environnement

AMéLIE ROYER, éTIENNE JOBARD, JONAS MEYER, ROMAIN TOURET, étudiants à Paris-dauPhine

JEAN-MARC OFFNER, dg de l’agence d’urbanisme bordeaux métroPole aquitaine (a-urba)

BERTRAND LEMOINE, dg de l’atelier international du grand Paris (aigP)

FRANÇOIS LAMY, ministre délégué chargé de la ville

ALAIN BENICHOU, Président d’ibm France

FRANCIS PISANI, consultant en innovation, auteur, documentariste, journaliste & enseignant

MICHEL WIEVIORKA, sociologue, administrateur de la maison des sciences de l’homme

GERARD BERRY, ProFesseur au collège de France

ALAIN MAUGARD, Président d’euroPan

VALéRIE PAYEN- LARCHEVESQUE, directrice du centre social esPace libre de charleval

DENIS LEBAILLIF, maire de charleval

MADJID NASSAH, directeur adj. coFondateur de l’association émergence

ALLAOUI GUENNI, directeur coFondateur de l’association émergence

Marc FONTECAVE, ProFesseur au collège de France

LA REVUE DU GRAND PARIS. Magazine trimestriel gratuit. Édité par la Mission Métropole du Grand Paris / Veolia Environnement S. A., immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 403 210 032, 36/38 avenue Kléber, 75016 Paris, Tél. : 01 71 75 00 00 [email protected] / Directeur de la publication – Lionelle Maschino / Directeur éditorial & rédacteur en chef - Michel Parmentier / Comité éditorial - Lionelle Maschino, Géraldine Fort, Jacques Glowinski, Oli-vier Pascal, Fabien Garnier, Michel Parmentier / Conception éditoriale - Matière Première – 2 rue du Sabot 75006 Paris – [email protected] / Conception & réalisation graphique –JBA - Antoine Massari - 2 rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris – [email protected] / Ont collaboré à ce numéro - Laurence Balan, Raphaël Feuillâtre, Françoise Bourgoin, Else Audren, Xavier Gorce, Hélène Laforêt – Photographies - Olivier Roller, Sindbad Bonfanti, Patrick Laforet, Bertrand Huet-Tutti image. Tous droits réservés Veolia Environnement & auteurs / Impression – DEJALINK (Imprim’Vert). ZA de la Cerisaie, 19-27 rue des Huleux, 93240 Stains, tél. : 0 175 620 475, [email protected] - Pour le papier : Satimat green 60 % de fibres recyclées et 40 % de fibres vierges certifiées Forest Stewardship Council FSC, issu de sources responsables. Encres à base d’huile végétale. Le ver-nis acrylique est à 90 % à base d’eau. Dépôt légal : 4e trimestre 2012.

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l'innovationc'est maintenantÀ force d’en entendre parler, il est à craindre que le terme s’use avant même de s’en servir. L’innovation, dans son sens littéral, signifie un changement, la modification d’un état vers du mieux, si possible. D’où cette idée de progrès qu’il traîne derrière lui avec son cortège d’in-ventions, de machines prometteuses, d’études sans failles et de virtualités numériques. Cette capacité à innover est enracinée en nous. Elle est vitale et nous sommes incapables de dire pourquoi. À tel point que nous regrettons souvent les vieilles méthodes du passé. Et d’ailleurs, l’innovation, comme le dit Francis Pisani en ouverture de notre dossier, peut sou-vent être comprise comme une « nou-velle combinaison de choses dont beau-coup existent déjà et qui crée un marché ». Sans elle, on régresse. Les entreprises en ont conscience et sont devenues à cet égard le porte-drapeau le plus évident de

ce concept. Innover, c’est grandir, c’est être résilient et admettre son état pour s’améliorer ensuite. Alors que l’arrivée du numérique en ville était porteuse de toutes les craintes, l’efficacité croissante des TIC bouleverse les hiérarchies et nous permet, en donnant la priorité à l’infor-mation, de fluidifier le trafic, de res-pecter des besoins individuels dans un cadre collectif, de préserver la santé des plus jeunes comme des plus âgés. Tout cela sans altérer les rythmes tradition-nels de la ville. C’est bien une révolution que nous sommes en train de vivre. Celle qui recompose nos langages, nos percep-tions, nos modes d’organisation afin de réussir cette cohabitation entre l’univer-salité urbaine et une proximité essentielle. Celle qui fait appel à notre principale source d’énergie : nous-même. Comme si, en définitive, innover voulait dire vivre ensemble, tout simplement. M

Par LioneLLe Maschino, directeur de la mission

métropole du grand paris de veolia environnement

ÉDITO//01

02/intersection/Nous devoNs réiNveNter la NotioN de proxi-mité/alain Bénichou/06/Un oeiL sUr… /08/PersPectives/Le Grand Paris de L’innovation/Francis pisani, michel Wieviorka, gérard Berry, alain maugard, valéry payen-larchevesque, denis leBailliF, madjid nassah, allaoui guenni, marc Fontecave, François grosse /24/territoires/Histoire/jacques saint-amaux/urbaNisme/jean-marc oFFner/28/cities/GraNd moscou/Bertrand lemoine/sara-jevo/François lamy

SOMMAIRE

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02//INTERSECTION

La Revue du GRand PaRis// Les questions numériques imprègnent aujourd’hui les questions urbaines. C’est une nouveauté pour vous ?aLain Bénichou// Personne n’ignore que les villes vont concentrer la totalité des problèmes de l’humanité. Chez IBM nous en avons pris conscience depuis plusieurs années. Les villes sont asphyxiées, les systèmes d’information sont complètement satu-rés. Chacun d’entre eux est isolé, en silo, alors qu’ils ont besoin d’une organisa-tion transversale. C’est une opportunité pour des entre-prises comme IBM ou d’autres, comme Veolia Environnement, qui sont en prise avec les clients et qui les connaissent mieux que nous. Nous sommes en mesure de mettre au point des modèles capables d’analyser des flots de données considérables, avec une rapidité extrême. Nous vivons une nouvelle révolution de l’informatique. Nous avons démarré avec les premières calculatrices, puis les ordinateurs dotés de plus en plus de mémoire, avant l’ère de la programma-

tion qui a vu naitre les grands systèmes transactionnels avec les « mainframe » qui managent toujours les réservations aériennes ou les échanges interban-caires. Aujourd’hui, nous entrons dans l’ère de l’informatique cognitive, celle des ordinateurs qui s’auto-régulent, qui vont aller chercher eux-mêmes l’infor-mation dont ils ont besoin pour prendre une décision. Ils ne sont pas capables de penser, mais ils sont capables d’auto-apprendre. À partir d’une matière que nous leur fournissons, ils font des liens, de façon neuronale, pour en tirer une

conclusion. La quintessence de cette informatique, vous la retrouvez chez le célèbre ordinateur Watson* qui a rem-porté à trois reprises le jeu télévisé Jeo-pardy ! aux États-Unis, en février 2011. C’est un défi qu’IBM lance souvent, comme avec Deep Blue, l’ordinateur qui a affronté Garry Kasparov, le joueur d’échec, en 1996, et qui l’a battu l’année suivante. Mais alors qu’aux échecs, le nombre de possibilités est fini, même si ces pos-sibilités ont une arborescence impor-tante, au Jéopardy ! il s’agit de questions

« LE TERRITOIRE a pOuR ObjECTIf mieux vivRe ensemBLe »Véracité et Vélocité sont les deux mamelles numériques auxquelles doiVent désor-mais se nourrir les métropoles en pleine croissance pour qualifier leurs données et en bénéficier en temps réel. le numérique est entré dans l’ère cognitiVe ce qui, pour alain bénichou, président d’ibm france, ouVre des possibilités encore inexplorées en matière de serVices urbains et d’économie budgétaire.

entretien aVec aLain Bénichou, président d'ibm france. phOTOS// OLIvIER ROLLER

LE TEmpS pERdu daNS LES EmbOuTEILLagES, COmmE daNS LES TRaNSpORTS, pEuT faIRE pERdRE 1,5 % du pIb d’uNE RégION.

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INTERSECTIONEntretien avec Alain Bénichou//03

ouvertes, du type « les dernières chan-sons de Maurice Chevalier » ou « la dis-tance de la terre à la lune ». Et ces ques-tions sont posées en langage naturel, avec des jeux de mots et des éléments qui vous induisent en erreur. Vous vous trouvez dans un système où, comme je vous parle, vous détectez mon ironie, et l’ordinateur doit être capable de détec-ter cette ironie. Comment procède-t-il ? Il est obligé d’apprendre en se plantant ! Comme un bébé… L’ordinateur cognitif c’est ça. Watson a avalé 200 millions de pages en mémoire et il a réussi à battre les deux meilleurs joueurs de tous les temps du jeu Jeopardy !

RGP// Ce qui est possible pour un jeu serait donc possible pour une ville ? aB// Une ville est toujours imprévisible, c’est une question ouverte permanente. Comment prévoir l’imprévisible ? Le sys-tème Optimod, qui va être mis en place avec le Grand Lyon et sur lequel nous tra-vaillons, est basé sur la compréhension de ce qui se passe, il va apprendre petit à petit, emmagasiner des informations

avec l’aide de capteurs en temps réel. Le but du jeu est non seulement de prévoir mais de prévoir suffisamment long-temps à l’avance et de façon fiable. Pour vous rendre à Satolas, vous pourrez esti-mer votre heure de départ et votre temps de trajet en fonction du trafic et d’autres paramètres, météo, travaux, accidents, manifestation… Pour les transporteurs ou les messageries qui font des calculs d’itinéraires pour les dessertes de livrai-sons, par exemple, ce système permet en fonction des événements en temps réel de changer l’itinéraire, de sorte à optimi-ser les circuits. C’est faire en sorte d’or-ganiser le trafic urbain. Aujourd’hui, selon nos experts, le temps perdu dans les embouteillages, comme dans les transports, peut faire perdre 1,5 % du PIB d’une région.

RGP// Mais le premier impondérable n’est-ce pas le facteur humain ?aB// Le vrai problème est : comment la ville réagit-elle? À Nice, beaucoup pen-saient que le tramway allait rendre plus fluide la circulation en ville. Hors, il s’est

produit le résultat inverse parce que les rames étaient à intervalles trop rappro-chés les unes des autres, empêchant les autres véhicules de circuler entre cha-cun de leur passage. Le système avait mal été simulé et avait totalement engorgé la ville. Il a fallu calculer autrement l’es-pace entre les tramways. L’informatique, lorsqu’elle est cognitive, peut résoudre des problèmes beaucoup plus complexes.

RGP// Lesquels par exemple ? aB// Les analyses prédictives sont utiles lorsqu’elles touchent à la clien-tèle des entreprises, à savoir ce que le client pense. L’ouverture est incroyable. Avec les réseaux sociaux, tout est pra-tiquement enregistré. Le proverbe « les paroles s’envolent et les écrits restent » a vécu. Désormais, nous sommes entou-rées de données non structurées comme des photos ou des vidéos ou même des Twitt ! Pour l’Eurovision, France 2 nous avait demandé d’analyser toute la webosphere (Twitt, blog, forum…) en rapport avec cet événement. 72 h avant les résultats, nous avions identifié les →

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INTERSECTIONEntretien avec Alain Bénichou04//

deux premiers gagnants, les votes des internautes étant en phase avec le jury. Les outils syntaxiques et analytiques désignaient le lauréat.

RGP//Vous passez du monde de l’entre-prise, qui est votre cœur de métier, à la ville qui connaît peut-être encore plus d’impondérables ?aB// Il y a aussi énormément d’impon-dérables dans les entreprises ! Une col-lectivité locale ce n’est pas une entreprise comme une autre. C’est une entre-prise pour organiser le vivre ensemble. C’est-à-dire la cohésion sociale, le bien vivre, et le bonheur des citoyens. Elle n’est pas là pour gagner de l’argent, mais si possible ne pas en perdre. Est-ce que les technologies peuvent aider à cela ? Nous restons très humbles dans notre réponse. À travers notre initiative « Smarter cities », nous espérons rendre les villes plus intelligentes qu’elles ne le sont. Nous ne nous substituons pas aux gens qui pensent une métropole. Mais nous pensons, en revanche, qu’en décloisonnant toutes les informations produites ou gérées par la ville, en utili-sant des logiciels d’analyse perfection-nés et de grosses capacités de traitement, nous avons aujourd’hui la capacité d’ex-traire de l’intelligence de ces données pour établir des tendances, des corré-lations ou repérer des problèmes. Des modèles mathématiques sophistiqués nous aident de plus en plus à anticiper, voire à prédire les évolutions de nos sys-tèmes. Or, c’est bien là que réside la pro-messe d’une ville plus intelligente… La ville est le lieu de l’intégration de sys-tèmes multiples et interdépendants. La capacité d’une ville à assurer une gou-vernance transversale, permettant une collaboration de l’ensemble des services, est un atout majeur pour la rendre plus prospère et plus attractive. C’est ce que nous proposons aux villes

de faire avec notre « intelligent opera-ting center » (IOC), qui doit faciliter la prise de bonnes décisions.

RGP//Cette prééminence des TIC dans l’innovation en général, ne risque-t-elle pas d’éclipser d’autres données plus tra-ditionnelles mais tout aussi essentielles ? aB// Dans toute innovation, il y a une partie numérique qui s’ignore. D’autre part, je suis convaincu que le numé-rique va améliorer la cohésion sociale. Les jeunes dans les banlieues n’ont pas toujours eu la chance d’avoir accès à de bonnes études, mais il n’y a pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour program-mer. La mixité sociale existe dans le numérique. Elle est incomparable. Si nous arrivions aujourd’hui à intéresser les jeunes de ces quartiers à la program-mation**, nous serions capables de créer une Silicon Valley en France. Mais dans l'Hexagone, la programmation s’ap-prend extrêmement tard. Il n’y aurait qu’une cinquantaine d’élèves, sur 400, ayant une épreuve de programmation au concours d’entrée à Polytechnique. Si la programmation pouvait être ensei-gnée à partir de la 6e, il serait possible de détecter des talents autres que les talents traditionnels, même si ces derniers sont évidemment essentiels.

RGP//Cela serait d’autant plus facile que l’informatique est une filière qui n’a pas de passé, à peine 70 ans d’histoire…aB// Tout le monde a sa place. Par exemple, avec l’open data, les données des collectivités locales ou des grands acteurs publics sont à la disposition de tous. Une fois les données récupérées, elles sont packagées et permettent de vendre un service, créer des emplois et gagner de l’argent. Les marges des entreprises en France ont perdu 11 points en 10 ans. Parallèlement, nous avons perdu 700 000 emplois industriels. Les

daNS TOuTE INNOvaTION, IL y a uNE paRTIE NuméRIquE quI S’IgNORE

deux phénomènes sont liés. Le numé-rique va permettre de vendre de nou-veaux services. Si je maintiens que le territoire a pour objectif le mieux vivre ensemble, qu’il n’a donc pas pour objectif de faire du profit, il est important en revanche de payer à leur juste prix les innovations qui permettent de mieux vivre. On ne peut pas le faire gratuitement. En res-tant dans le cadre de la transparence, il est normal de donner aux entreprises la marge qui leur est nécessaire pour conti-nuer à investir, innover, trouver d’autres techniques. Le logiciel ne peut pas être toujours en open source, à moins de tuer l’innovation. C’est une des probléma-tiques : d’être équilibré.

RGP//D’après-vous, faudrait-il reconsidérer le modèle économique d’un territoire ?aB// Le problème est d’investir là où il y a une valeur essentielle pour le mieux vivre. En contrepartie, il faut couper les coûts là où il n’y a pas d’intérêt pour le citoyen. Une grande partie des bud-gets consacrés à des systèmes d’infor-

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INTERSECTIONEntretien avec Alain Bénichou//05

mations portent sur des objets qui ne servent à rien. Dans les 95 départements en France métropolitaine et les 6 DOM, par exemple, chaque conseil général a besoin de programmes applicatifs pour gérer son activité : la paye des fonction-naires, les systèmes cadastraux, les aides, etc. Chacun de ces conseils généraux a développé son propre système infor-matique, avec ses programmes, donc potentiellement 101 modes de gestion différents. Grâce au cloud computing, on réunit dans un seul système centra-lisé, mais totalement personnalisé pour chacune de ses entités, l’ensemble des applications départementales. Chaque institution peut alors bénéficier d’in-formations « départementalisées » mais réunies en un lieu central. La dépense est infiniment moindre et le service dix fois meilleur. Avec ce système de « cloud cognitif » il est même possible de mettre à jour continuellement ce système progi-ciel beaucoup plus rapidement. C’est un sujet qui draine les finances publiques, de manière considérable. D’autant plus que, la plupart du temps, ces infor-mations sont la propriété des citoyens.

Nous sommes au cœur de l’open data. Le gouvernement s’est montré très inté-ressé. J’ai à cet égard le grand projet de diminuer ces dépenses publiques là de 2,5 milliards d’euros par an.

RGP//Comment peut-on estimer correc-tement ce qui est nécessaire ou pas ?Est-ce vraiment utile de savoir à l’avance si on a une place assise dans le bus ? aB// Ça dépend qui vous êtes. Si vous êtes une vieille dame c’est très important. Si on l’informe qu’il y aura une place assise dans une demi-heure, ça vaut le coup pour elle d’attendre. Ce service existe à Singapour. Avec un smartphone, on va s’habituer très vite à ce genre de ser-vice. Alors utile ou pas utile ? Notre pro-jet Rider par exemple est-il nécessaire ? Dans notre centre de Montpellier où nous avons un millier de collaborateurs d’IBM, l’université de Montpellier, un certain nombre de thésards, le CNRS, le pôle de compétitivité… nous travaillons sur le process permettant de dépenser 30 % à 50 % moins d’énergie. Pour com-mencer, on récupère la chaleur du data center. Le projet s’étendra ensuite au

bâtiment et, à terme, à un quartier pour affiner le modèle sous toutes les formes de sources de chaleur et de froid. Nous souhaiterions développer encore plus cette voie qui permettrait de mettre des vieux bâtiments aux normes HQE. Avec Edelia,*** en Bretagne, nous avons équipé 420 foyers d’un tableau de bord permettant de gérer en temps réel et avec précision sa consommation d’énergie. Grâce à cela, le comportement des habi-tants change dès lors qu’ils ont les don-nées en temps réel.Le fait de recevoir une information induit presque automatiquement une action. M

*Watson est un programme informatique d’intelligence artificielle, conçu par IBM et répondant à des questions formulées en langue naturelle. Son nom fait référence à Thomas John Watson, créateur d’IBM en 1911. Watson a participé et gagné au jeu télévisé Jeopardy!, aux États-Unis, les 14, 15 et 16 février 2011, face à deux champions, « humains », du jeu.

**IBM est partenaire de l’association Nos quartiers ont du talent, qui a déployé un dispositif unique de parrai-nage consistant à mobiliser les cadres supérieurs de ses entreprises adhérentes, afin d’accompagner les jeunes diplômés Bac+4 et plus dans leur recherche d’emploi.

***http://www.edelia.fr/fr/Nos-solutions/Une-Bre-tagne-d-Avance-2-218-0-109.html

aLain Bénichou

Alain Bénichou,

président d’IBM

France. En 25 ans

de carrière chez

IBM, cet ingénieur

Supelec (promotion

1983) a assumé

de nombreuses

responsabilités

commerciales et

managériales, tant

en France qu’au

niveau européen et

mondial, qui lui ont

permis d’acquérir

une profonde

connaissance de

l’entreprise, de ses

métiers et de ses

marchés.

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06//UN ŒIL SUR

Crash test La rage de vivre. Si les objets ont une âme, celle de

ce panneau sort tout droit du roman de Milton-

Mezz Mezzrow. Déjà placé dans un endroit improbable où son expression, sa vocation d’in-

terdiction de tourner à droite, a été rendue futile par un passage à tabac qui lui fait perdre

le sens des réalités, cette sentinelle de la route reste fidèle au poste coûte que coûte, bles-

sée, meurtrie en attendant la relève ! | Patrick Laforet est photographe. Grand Parisien, il

porte son regard sur ces espaces « entre deux » sans destination particulière qui font par-

tie de notre univers urbain. |

PATR

ICK

LA

FO

Re

T

Post sCriPtum Pour un Grand Paris attractif et soutenable La Mission Métropole Grand Paris, de Veolia

Environnement, a organisé les 3èmes Entretiens

du Grand Paris le 11 octobre 2012 à la Cité du

Cinéma, à Saint-Denis, en partenariat avec EDF

et l’Université Paris-Dauphine. Les entretiens

avaient pour thème : « Le Grand Paris ville

monde, vie de quartier : entre attractivité et

soutenabilité ? »

Cet événement a réuni près de 250 acteurs

publics et privés, experts académiques ou

praticiens de l’urbanisme, pour échanger

autour de deux tables rondes : « Les services

urbains, facteurs de soutenabilité et

d’attractivité ? » pour l’une, et « Quel avenir

pour les services urbains du Grand Paris ? » pour

l’autre. | Pour en savoir plus et télécharger les

actes : www.villemondeviedequartier.com |

Les iNdégivrabLes

Xavier Gorce

sgP Premières acquisitions dans le Val-de-marneLa Société du Grand Paris (SGP) a

acquis une parcelle de 3 750 m2,

d’un montant de 4,1 M€, pour la

réalisation de la gare Champigny-

Centre sur la Ligne Rouge Sud

(Pont-de-Sèvres/Noisy-Champs)

du Grand Paris Express. Cette

première acquisition foncière de

la Société du Grand Paris dans le

Val-de-Marne inclut la parcelle

du centre technique municipal

de la ville. Les autres acquisitions

foncières nécessaires à la

réalisation de la Ligne Rouge Sud

feront l’objet de négociations

avec tous les propriétaires de

parcelles en surface .

La SGP avait acquis, fin octobre,

trois immeubles à la place

desquels sera réalisée la gare

Issy RER, dans les Hauts-de-Seine,

pour un montant de 5,428 M€.

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UN ŒIL SUR//07

La Suède est-elle toujours une

référence en matière d’innovation

et de gouvernance territoriale ? Pour

le savoir, la promotion 2011-2012* du

Master Management de la technologie

et de l’innovation de l’université Paris-

Dauphine s’est rendue sur place au

printemps 2012**. Si la Suède et la

France ont en commun des filières

d’excellence dans les domaines

des TIC et des biotechnologies et

bénéficient du rôle clé de leurs grands

groupes, les spécificités des territoires

font naître des divergences de fond.

Contrairement à la France, la Suède a

un faible marché intérieur (9 millions

d’habitants). Pour se développer, les

entreprises suédoises doivent dès

leur création adopter le concept

stratégique du « go global », en

s’ouvrant sur le marché international.

En France, l’État est à l’origine de la

plupart des regroupements à travers

des clusters basés sur le tryptique

« recherche-formation-industrie ». En

Suède, collectivités locales et pouvoirs

publics alignent leurs intérêts sur ceux

des entreprises qui sont les véritables

initiatrices des cluster.

À Kista, par exemple, Ericsson est à

l’origine d’un véritable écosystème

de l’innovation. Les étudiants de

Dauphine précisent que « cette

distinction du rôle des pouvoirs publics,

moteur en France ou accompagnateur

en Suède, impacte fortement l’évolution

des systèmes d’innovation français

et suédois. Il convient d’ajouter que

l’échelle d’intervention des institutions

publiques est également différente

puisque les politiques françaises de

soutien à l’innovation s’établissent sur

le territoire national, tandis que les

acteurs suédois de l’innovation sont

soutenus par les collectivités locales de

leur lieu d’implantation ».

Le Grand Paris pourrait ainsi s’inspirer

du modèle suédois pour développer

sa vision de l’innovation en tenant

compte des spécificités culturelles

locales.

| *Dont Etienne Jobard, Jonas Meyer,

Amélie Royer, Romain Touret ont été les

rapporteurs et coordinateurs.

**Voyage d’étude soutenu par

la Mission Métropole du Grand Paris de

Veolia Environnement. |

Fysisk PLaNeriNg l’innoVation suédoise, une transPosition Possible ?

Paris métroPoLe Pour une transition enerGétique métroPolitaine Le groupe de travail sur la transition énergétique,

constitué en juillet 2012 par Patrick Braouezec,

président de Paris Métropole, et Pierre-Antoine

Gailly, président du Comité des partenaires et de la

Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP),

a entamé ses travaux le 17 septembre 2012 à la

CCIP. Ses objectifs ? Dresser un constat partagé sur

les enjeux majeurs liés à la transition énergétique,

identifier les priorités stratégiques et les actions

pertinentes à l’échelle de la métropole parisienne

ainsi que leur mise en œuvre, analyser des bonnes

pratiques en France et à l’étranger qui pourraient

donner lieu à des expérimentations. Le groupe

de travail rassemble les syndicats de métiers,

énergéticiens, constructeurs, équipementiers,

aménageurs, architectes, promoteurs, bailleurs

sociaux, gestionnaires de copropriétés, conseils

de développement, opérateurs de services urbains,

universitaires, organismes de financement,

organismes de certification… Le copilotage de cette

instance a été confié à EDF et

Veolia Environnement. Ses conclusions sont

attendues pour la fin du premier trimestre 2013 et

seront livrées aux élus de Paris Métropole.

Não é o ângulo reto que me atrai, nem a linha reta, dura,

inflexível, criada pelo homem. O que me atrai é a curva livre

e sensual, a curva que encontro nas montanhas do meu país,

no curso sinuoso dos seus rios, nas ondas do mar, no corpo da

mulher preferida. De curvas é feito todo o universo, o universo

curvo de Einstein.* | Oscar Niemeyer, 1907-2012 |

*Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire, ni la ligne droite, dure et inflexible, inventée par l’homme. Ce qui m’attire, c’est la courbe libre et sensuelle, celle que je rencontre dans les montagnes de mon pays, dans les cours sinueux de ses rivières, dans les vagues de la mer, dans le corps de la femme préférée. De courbes est fait l’univers, l’univers courbe d’Einstein.

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08//PERSPECTIVES

LE GRAND

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PERSPECTIVESLe Grand Paris de l'innovation//09

Après l’eAu, l’énergie, les trAnsports, les déchets et l’AssAinissement,

les métroples doivent désormAis compter Avec un flux supplémentAire :

les données numériques. lA « ville informée » peut, Aujourd’hui, venir à bout

des engorgements du trAfic ou Anticiper, demAin, nos problèmes de sAnté à domicile.

sous couvert d’innovAtion, lA « ville connectée » Attire les espérAnces

les plus futuristes. elle est un signe d’ouverture sAns précédent sur des prAtiques

urbAines Apprivoisées, comme elle incArne le renouveAu d’une vAleur trAditionnelle :

le mieux vivre ensemble.

PARISDE L'INNOVATION

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PERSPECTIVESLe Grand Paris de l'innovation10//

Peut-on réellement définir ce qu’est l’innovation ?Francis Pisani : L’innovation est au XXIe siècle ce que la démocratie était au XIXe siècle : un mot, utilisé partout et par tous, pour décrire la façon dont les sociétés s’organisent et désigner leur défi et leur objectif. L’innovation arrive toujours de la périphérie, géographique ou professionnelle. Si vous ne regardez que ce que vous faites, vous ne verrez pas ce qui va vous arriver. Craig New-man, un simple programmeur, a créé sur le web, en 1996, une sorte de Paris-cope de San Francisco. C’est devenu la Craig’s list, présente aujourd’hui dans le monde entier. Il a soufflé les petites

annonces aux journaux qui n’ont rien vu venir. Clayton Christensen parle à cet égard du « dilemme de l’innovateur »*. Dès lors que les entreprises innovent, elles prennent des risques. Quand elles sont puissantes, elles préfèrent ne pas bousculer leurs clients et rester sur leurs acquis en se limitant à des innovations pérennisantes. C’est ce qui permet à des entreprises plus jeunes de conquérir le marché avec des innovations perturba-trices. Christensen conseille de canni-baliser le marché soi-même, plutôt que de laisser faire un autre. Si la démocra-tie avait pour centre de gravité les États-Unis, l’innovation est aujourd’hui dis-tribuée. Pour suivre ce qui en résulte, il

Qu'entendons–nous exactement par innovation lorsque nous abordons le sujet ? Pour le savoir,

Francis Pisani, un des rares consultants en la matière, a effectué un tour du monde des innovations et visité

plus de 40 villes entre septembre 2011 et septembre 2012. Francis Pisani, CONSuLTANT EN INNOVATION

« La ruPture crée des esPaces DANS LESquELS

NOuS POuVONS AgIR »

faut regarder partout : hors du marché, hors du métier, hors de sa géographie.

Vous ne nous en donnez toujours pas une définition… FP// L’innovation est un assemblage improbable d’éléments qui ne sont pas tous nouveaux pour résoudre un problème ou saisir une opportunité. Comme le mélange opportunités/pro-blèmes n’est pas le même partout, inno-ver conduit à donner des réponses dif-férentes et l’innovation est une source de diversité. Les technologies de l’information nous permettent d’être tous connectés mais ne conduisent pas, comme le prétend

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à d’autres choses, qui vont de la créati-vité à l’innovation, jusqu’au changement social. La perturbation, la rupture créent des espaces dans lesquels nous pouvons agir pour engager des changements sociaux qui nous apparaissent positifs.

Mais est-ce toujours possible ?FP// Toujours ? Non. L’ouverture et la diversité sont essentielles. Il faut bras-ser ensemble ingénieurs, designers, financiers et entrepreneurs… J’accorde, dans ce contexte, une place essentielle à ce que j’appelle les « diasporas créa-tives »**. Ce sont des étudiants, des expatriés ou des « returnees » (ceux qui reviennent chez eux). Ils apportent des expériences et des sensibilités dif-férentes. Ils permettent d’établir des ponts entre les réseaux offrant ainsi à chacun d’entre eux la possibilité d’une croissance exponentielle. Mais prenons un exemple de change-ment social aidé par les TIC. Marlon Parker, un informaticien sud-africain de 34 ans, a créé Jamiix, une messa-gerie instantanée avec une fonction de tchat live, utilisée par Mxit.com, le plus gros réseau social africain. L’Indonésie l’a adoptée en cas de catastrophe natu-relle. Tout cela à partir d’une technolo-gie, le SMS, que nous jugeons dépassée... et de l'histoire de 14 jeunes d’un quar-tier sensible du Cap, passés de vendeurs de drogue à entrepreneurs sociaux !***On a tort de penser que l’innovation est une invention extraordinaire, c’est une nouvelle combinaison de choses dont beaucoup existent déjà et qui crée un marché. Les plus intéressantes contri-buent à changer le monde.

Cela expliquerait que la ville soit plus propice pour générer de l’innovation ? FP// La ville est un endroit où il est pos-sible de trouver quelque chose qu’on ne cherchait pas au départ. Cette sérendi-pité est fondamentale pour l’innovation. Plus il y a de gens dans la ville, plus on est exposé à la sérendipité. On ne peut pas être partisan de l’inno-vation et fermer les verrous en termes de visas et d’immigration. Le représentant de Google à Dakar est emphatique sur le fait que le géant américain les laisse

travailler selon leurs principes culturels. Les multinationales vont avoir besoin de responsables cross culture , spécialisés dans les échanges interculturels à l’in-térieur d’une entreprise. D’ailleurs, il faut parler anglais. Au Japon, les diri-geants des plus grosses entreprises ne parlent pas anglais. C’est une société dans laquelle les jeunes ne sortent plus. Pourquoi ? On nous répond que la jeu-nesse a eu trop de sécurité et qu’elle ne veut plus sortir. Le pays se ferme. La sécurité tue l’innovation. Il faut accep-ter de penser le chaos comme favorable à l’innovation. Planifier la ville, c’est la figer. C’est pourquoi certains estiment qu’il faut arrêter de penser en termes de durabilité mais plutôt en termes de résilience. La question n’est pas d’em-pêcher l’eau d’envahir New York, mais comment faire pour redémarrer vite après la catastrophe. Cela implique souvent de laisser un cours aussi libre que possible à la créa-tivité venue d’en bas. Recife, qui est la neuvième ville du Brésil, en est deve-nue la troisième technopole parce qu’un groupe de professeurs s’est orga-nisé, dès 1997, pour inciter les étu-diants à rester à Recife en leur permet-tant d’entreprendre et d’innover. Ça leur donne une longueur d’avance. Le design, la créativité, l’innovation, c’est pour eux du « brainware » (comme on dit du hardware et du software). Et du « brainware », des bons cerveaux, il y en a partout. Recife fait maintenant le pari des industries créatives et conti-nue à avancer. Cette ville modeste du Nordeste brésilien a bien joué la carte de l’innovation. Nous pouvons tous nous en inspirer. M

*The innovator’s dilemna, Clayton M.Christensen, Col-lins Business Essentials

**Richard Florida, géographe et professeur en urbanisme, directeur du Martin Prosperity Institute, de la Rotman School of Management de l’Université de Toronto, a parlé de la classe créative (intellectuels, médias, avo-cats, etc.) avec un noyau dur (les artistes et les ingénieurs).

*** Parce qu’il voyait les gangs recruter les jeunes dro-gués d’un quartier sensible du Cap, Marlon Parker a aidé 14 jeunes à raconter leur histoire en mettant à leur disposition une messagerie instantanée. Ils ont intéressé parents, voisins, amis… Au total 6 000 per-sonnes ont commencé à former un réseau social qui est maintenant propriété d’une holding– Movigotech.com – présente en Afrique du Sud, Malaisie, Finlande et Grande-Bretagne, dont Parker est le PDG.

Thomas Friedman du N.Y. Times, à un monde « plat ». Il se trompe.

Vous ne craignez pas de limiter cette notion d’innovation au seul progrès technologique ?FP// Non, mais je pense qu’il faut élar-gir ce concept d’innovation. Les Amé-ricains parlent de framing : la manière dont on pose le problème limite la discussion en lui donnant un cadre. Lorsqu’on parle d’innovation, on « cadre » la discussion sous le prisme de la Silicon Valley où capital-risque et technologies avancées sont des compo-santes essentielles. Il faut s’intéresser

Francis Pisani, consultant en innovation, mais aussi journaliste, écrivain, documentariste, enseignant, a innové en lançant Winch5 (http://winch5.blog.lemonde.fr/), un tour du monde des innovations et des médias sociaux.

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« La ville est un endroit où il est possible de trouver quelque chose qu’on ne cherchait pas au départ. Cette sérendipité est fondamentale pour l’innovation. »

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SSelon vous, on n'aurait pas donné la place qu'il fallait aux sciences sociales dans les réflexions urbanistiques ?MicheL Wieviorka// Oui et non. Jusqu’au début des années 70, le climat pré et post-68 a favorisé la rencontre du monde des sciences sociales et de celui des « producteurs », les urbanistes, les architectes, les aménageurs ou les pou-voirs publics. Henri Lefebvre parlait du droit à la ville. Manuel Castells publiait La question urbaine. C’était encore le cas en 1974, avec, par exemple, le col-loque de Dieppe2 au cours duquel des hauts fonctionnaires, des techniciens, des ingénieurs, des chercheurs et des politiques ont réfléchi ensemble à ces enjeux. Il régnait un certain optimisme, il y avait de l’argent et une conception de la modernisation où les banlieues, les HLM, les quartiers populaires repré-sentaient un progrès considérable, même si on parlait aussi de maladie des grands ensembles ou de « sarcellite ».

Pourquoi ces mondes se sont-ils éloignés ? MW// Les débats des années 60 et du début des années 70 ont cessé de cor-

respondre à l’état de la société, il a fallu penser autrement. La crise industrielle a débouché sur la dissociation entre l’habitat et le lieu du travail, de l’em-ploi. Schématiquement : fini le loge-ment ouvrier à côté des usines qui ont fermé les unes après les autres. Les quartiers populaires se sont vidés de leurs classes moyennes ou popu-laires un peu aisées, elles se sont peu-plées de migrants. Car à l’immigration de travail des années 50/60 a succédé une immigration de peuplement. Du côté des sciences sociales, beaucoup ont rejeté les constructions ou les sys-tèmes théoriques, parlé de « vide social » ou d’individualisme généralisé, affirmé que « small is beautiful » ; de plus, l’in-teractionnisme triomphant, qui pri-vilégie la relation limitée entre indivi-dus, a lui aussi éloigné les chercheurs de l’étude des grands problèmes sociaux, politiques ou historiques. Les architectes, les urbanistes, les amé-nageurs… ont continué pour leur part à faire leur métier mais en développant bien moins qu’avant un intérêt pour le dialogue avec la sociologie. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans

une phase de recomposition où s’es-quissent des formes nouvelles de rela-tions entre le monde qui produit la ville et celui qui peut aider à mieux la penser. Le groupe d’intellectuels que le ministre de la Ville m’a proposé d’animer s’inscrit clairement dans ce renouveau.

C’est le cas lorsque vous évoquez les questions de mixité ? MW// La mixité est souvent une incan-tation qui n’est pas conforme aux réa-lités. La société française a plutôt ten-dance à favoriser le contraire. La réalité, un économiste, Éric Maurin3, la décrit en parlant de ghetto pour riches, et Didier Lapeyronnie4, un sociologue, montre ce qu’il en est pour les pauvres, ceux pour qui la banlieue fonctionne comme une nasse. Certains ont pu quitter la banlieue et se sentent oubliés, invisibles, ils ont le sentiment d’avoir fait des efforts démesurés alors que les immigrés, dans les « cités », béné-ficieraient de toute la sollicitude de l’État. Cela pose la question des trans-ports, indissociable d’autres enjeux : la mixité, le commerce, le développe-ment durable, etc. Si la volonté politique

PERSPECTIVESLe Grand Paris de l'innovation12//

Michel Wieviorka anime le groupe de réflexion permanent sur la ville1,

à la demande de François Lamy, ministre délégué chargé de la Ville.

Il estime que, en matière d’innovation, les enjeux urbains et ceux

de la ville mériteraient d’intégrer plus de critères issus des sciences

humaines. michel wieviorka, SOCIOLOguE ET ADmINISTRATEuR

DE LA fONDATION mAISON DES SCIENCES DE L’HOmmE

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campagne adoptent de plus en plus lar-gement des comportements de citadins. Il y a en Europe, bien plus que dans d’autres parties du monde, un attache-ment à l’idée de ville, d'autant qu’elle est dotée d’historicité, parfois consi-dérable. Freud dans Malaise dans la civilisation explique, en substance, que pour comprendre le rêve, il faut pen-ser à Rome, parce que tout y est enche-vêtré depuis 2 500 ans. C’est ce qui fait le charme de la ville. Les réflexions sur le Grand Paris ne peuvent pas faire abstraction de cet imaginaire. M

est de construire un nombre déterminé de logements par an, cela peut aller vite. Mais s’il s’agit seulement d’adapter leur production en fonction des terrains facilement disponibles, sans savoir quelle place ils occupent dans le projet urbain, sans réfléchir à leur localisation, à leur vocation ou à leur environnement, quelle ville allons-nous dessiner ?

La sociologie pourrait-elle aider à penser le changement ?MW// Penser, en tous cas, que la tech-nologie conduit le changement serait une façon malheureuse de poser le pro-blème. Mais l’ignorer serait dangereux. Ainsi, Internet marque une rupture et l’entrée dans un nouveau monde. Le déterminisme technologique est dans l’erreur, mais nous devons accepter le constat de changements généralisés qui vont avec Internet, un instrument forte-ment décentralisateur. Nous commen-

çons à vivre dans un type de société où les réseaux, la communication, l’infor-mation sont cruciaux.

Nous n’utiliserions donc pas forcé-ment les bons critères d‘évaluation. On ne pense pas toujours la ville comme un endroit agréable à vivre… ?MW// Dans mon introduction aux entretiens d’Auxerre, en 2011, j’ex-plique, c’est le titre du livre, en quoi « la ville n’est pas l’urbain ». La ville dense, celle qui concentre les fonctions, celle où les opportunités sont plus nom-breuses qu’ailleurs, ce n’est pas du tout la même chose que l’« urbain » où les fonctions sont juxtaposées les unes à côté des autres, où le marché organise la répartition de l’espace et où il n’y a aucune centralité, aucun effort d’in-tégration des éléments qui font préci-sément que l’on passe de l’« urbain » à la ville. J’ajoute que ceux qui vivent à la

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« La crise industrielle a débouché sur la dissociation entre l’habitat et le lieu du travail, de l’emploi. »

MicheL Wieviorka, docteur d'état ès Lettres et Sciences Humaines, directeur d'études à l'EHESS et membre du Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS / EHESS-CNRS) qu'il a dirigé jusqu'en 2009 ; auteur de nombreux ouvrages.

1. Réuni chaque mois pour aborder les questions qui ont trait à la vie de la cité : éducation, sécurité, généra-tions, religions, urbanisme, immigration... le groupe de réflexion est composé de : Marie-Hélène Bacqué, urbaniste et sociologue, Pascal Blanchard, historien, Roland Castro, architecte, Daniel Cohen, économiste, Claire de Galembert, sociologue, Fabien Jobard, socio-logue, Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération, Didier Lapeyronnie, socio-logue, Jacques Levy, géographe, Catherine Moisan, Ins-pectrice générale de l’éducation nationale, Philippe Pane-rai, architecte et urbaniste,Camille Peugny, sociologue, Agnès Van Zanten, sociologue.

2. Politiques urbaines et planification des villes, colloque de Dieppe, 8-9-10 avril 1974.

3. Le ghetto français : enquête sur le séparatisme social, Éric Maurin, Seuil, 2004.

4. Ghetto urbain, Didier Lapeyronnie, éd. Robert Laf-font, 2008.

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L’information est la clé de la ville. Elle lui offre la fluidité qu’elle

recherche depuis longtemps et qui lui permettrait d’être plus agréable

à vivre. Gérard Berry, informaticien, professeur au Collège de France,

estime qu’en matière d’innovation beaucoup de comportements

restent à inventer dans le nouveau monde numérique qui nous attend.

gérard berry, PROfESSEuR Au COLLègE DE fRANCE

La viLLe doit êTRE SOuPLE

difficiles à maîtriser. Il y a donc de nou-veaux comportements à inventer, fon-dés sur de nouveaux dispositifs infor-matiques garantis sûrs et ergonomiques. Et sans doute des voies intermédiaires à trouver pour une transition habile.

Peut-être parce que beaucoup ont un usage passif de la ville ?GB// Les jeunes générations sont habi-tuées aux comportements induits par les nouveaux objets informatisés, mais beaucoup d’analyses sont faites par les plus anciens selon des modes de pensée qui ne tiennent pas vraiment compte de cette évolution fondamentale. En France, on a longtemps cru que l’in-formatique était une mode, donc qu’elle allait passer. Le pays s’en est d’ailleurs largement désengagé. Presque aucun élu, décideur, urbaniste ou architecte

PERSPECTIVESGénérations Grand Paris16//

n’a reçu une formation élémentaire en informatique dépassant l’utilisation des outils standards. Comment peut-on penser l’avenir en ne connaissant pas les clefs d’un de ses éléments primordiaux ? Interrogeons - nous suffisamment les jeunes à ce sujet ? Je crains qu’ils n’héritent d’un résultat laissé par ceux qui n’ont pas leur culture. Hadopi, par exemple, s’est attaqué au partage de fichiers en pair à pair, qui avait déjà pratiquement disparu quand la loi a été votée. C’est caractéristique d’un décalage qu’il faudrait vraiment atténuer.

Comment alors peut-on faire passer ce message ?GB// Le transport doit être organisé autour de l’informatique et non l’in-verse, car l’information y est tout aussi primordiale que l’énergie, mais bien plus simple à traiter. Une ville ne peut pas être harmonieuse si l’on ne tient pas compte de l’informa-tion qu’elle génère. S’il est structu-rant, il faut s’interroger sur la nature du réseau et pourquoi on se transporte. Ce qui est fait par exemple à Singapour, avec une vraie compréhension de ce que la pensée informatique apporte.Deux des clefs techniques sont l’in-formation sur le téléphone portable et l’analyse en temps réel des comporte-ments, sans intrusion dans la vie privée toutefois ! La RATP trace tout le monde, nominativement, pour observer les flux ; ce qui est précieux, mais très intrusif. Cependant le flux d’informations n’est pas le même que le flux de personnes,

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D’un côté, il y a l’exigence collective, de l’autre, un plus grand individualisme. Le numérique pourrait-il les concilier ?Gérard Berry// Oui, notamment dans les transports qui sont de plus en plus informatisés et connectés. Les arrêts de bus et les téléphones portables infor-ment des prochains passages des bus. Le cycliste voit sur son téléphone où il peut garer son vélo, l’utilisateur d’autolib peut réserver sa place à distance. Tout cela engendre une meilleure flui-dité, en conciliant rendement collectif et satisfaction individuelle. En allant plus loin, le problème reste que chaque voi-ture a encore un conducteur. Le rempla-cer par un pilotage automatique rendrait la circulation bien plus fluide. La tech-nique est délicate mais faisable, à l’aide d’une informatique très élaborée. Mais les facteurs humains et légaux sont plus

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et il n’est pas besoin d’aller aussi loin. Voir la SNCF changer les composteurs en même temps qu'elle instaure le bil-let électronique sans support physique montre que la transition est délicate avec des points de vue encore contradictoires. Mais le sens de la marche est clair.

Est-ce vrai également dans d’autres domaines, la santé par exemple ?GB// Auparavant, pour connaître les courbes épidémiques de la grippe, on faisait des recensements a posteriori en demandant aux médecins généra-listes de reporter leurs cas à une orga-nisation ad hoc. Google a fait bien plus simple en localisant toutes les machines et en comptabilisant celles qui font une requête sur le terme « grippe ». Le moteur de recherche construit ainsi une courbe de l’épidémie de grippe en temps réel… et à coût zéro, simplement parce qu’il maîtrise l’information. L’informa-tique deviendra cruciale dans le système de santé. La communication, la surveillance et l’assistance informatisées de façon adéquate aideront à résoudre un pro-

blème majeur : comment faire demeu-rer les gens dépendants chez eux, en har-monie. Par exemple, avec des caméras ou en plaçant des micro-capteurs sur vous ou dans vos vêtements, il est pos-sible de savoir immédiatement si vous êtes tombé et de prévenir un service à distance. Quand on sait qu'une chute non traitée immédiatement est un fac-teur majeur de réduction de la vie et de coût additionnel des soins. Ici aussi, il faut garder l’équilibre délicat entre sur-veillance et intrusion.

Une telle avancée ne va pas alléger la pression foncière ni plaider en faveur d’un nouveau réseau de transports… GB// L’utilisation d’Internet et la visio-conférence se développent rapidement

et modifient les déplacements, en par-ticulier pour les loisirs et les achats qui se font de plus en plus par ce biais. L’in-formatique numérique apporte une sou-plesse comme aucune technologie passée. Elle construit du neuf et n’est pas for-cément idéale pour adapter de l’ancien, ce que tout le monde ne comprend pas. Un site de vente sans passé, comme Amazon, qui est construit autour d’une informatique très sophistiquée mais ultra-simple pour l’utilisateur, battra toujours à plate couture une organisa-tion qui essaye d’adapter son modèle traditionnel au nouveau réseau. L’avenir d’une ville serait conditionné par le fait qu’elle n’ait pas de passé ?GB// Non, bien sûr. Beaucoup de villes modernes aux États-Unis sont des mou-roirs absolus. Mais si les belles villes ont toutes un passé, c’est un bonus qu’il faut savoir remettre en cause par moment.Il existe des trous générationnels. Des notions virtuelles pour une certaine classe d’âge sont totalement réelles pour d’autres. Les gens de mon âge en ont eu assez de l’épicier du coin, qui était le lieu des parents, et sont devenus la généra-tion supermarché. Ce qui ne dit rien sur la génération suivante. En un sens, Ama-zon, dont le gigantisme n'est pas appa-rent, est redevenu psychologiquement le petit épicier près de chez soi. C’est le retour à la localité, à l’individualité, que seule l’informatique jointe à une remar-quable logistique permet de réaliser.

Vous pensez que nous n’anticipons pas assez ces évolutions ?GB// Il faut tenir bien plus compte de ce que j’appelle les « inversions mentales » du numérique. Auparavant, lorsque je téléphonais à quelqu’un, je découvrais le plus souvent qu’il n’était pas chez lui. Maintenant je l’ai presque systématique-

« Jusqu’à présent, la logique de l’urbanisme était largement fondée sur la planification. Les raisons pour autant planifier sont-elles si nombreuses aujourd’hui ? »

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Gérard Berry, ingénieur général des Mines, membre de l'Académie des sciences française, de l'Académie des technologies et de l'Academia Europaea.Il est professeur au Collège de France sur la chaire « Algorithmes, machines et langages ».

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CCe besoin d'innovation, qui est une véritable nécessité au regard des enjeux écologiques de la civilisation urbaine, la plupart des ingénieurs l’ont traduit en améliorations techniques pour les pro-poser aux décideurs des villes. Comme la dimension environnementale nous oblige à repenser nos villes, nous pou-vons les repenser du point de vue mor-phologique, les dessiner autrement, mais nous voyons bien que le stock de la ville est plus important que le flux. Il faut se tourner alors vers le métabo-lisme de la ville qui doit être changé et réduit par trois, voire par quatre. C’est une obligation de performance. Cela conduit à s’interroger sur les modes de vie urbains. Le véritable sujet devient alors : ai-je envie de changer, vais-je avoir du plaisir dans ces nou-veaux modes de vie ?

vers un développement durable désiré…Durable, désiré... la capacité d’inno-vation sociale est sans doute plus forte que nous le pensons. Les commerçants ont, au début, détesté les rues piétonnes pour les réclamer ensuite. Finalement, au-delà des commentaires initiaux cri-tiques au sujet de Paris Plage, les quais de Seine vont devenir un endroit pour se balader et non plus la voie rapide ini-tialement conçue ; nous avons changé notre regard et réclamé un autre usage des quais.Pourquoi désirerait-on le changement ?

Parce que le sens proposé à l’évolution de nos modes de vie pousse à prendre des décisions localisées, territorialisées, donc à reconquérir une nouvelle liberté. Nous avons été dépossédés de champs de décisions. Nos villes dépendent ali-mentairement, énergétiquement, pour l’eau et d’autres ressources, d’une éco-nomie intercommunautaire, interna-tionale… Pourquoi avoir des fraises à disposition toute l’année si c'est pour ne plus les désirer à la pleine saison ? Il est possible de revenir à un cer-tain équilibre de la société rurale dans laquelle on ne gaspillait pas, on man-geait au bon moment au lieu de gérer les dates limites des aliments industriali-sés… Nous avons les moyens de maîtri-ser notre destin énergétique, l’eau ou les déchets, mais nous avons été condition-nés par une offre qui nous fait consom-mer. Ce désir d’une société nouvelle serait le désir d’une maîtrise, du deve-nir responsable, du « consommacteur ».

s’adapter, c’est vivreDu côté de l’offre, en prenant l’exemple du bâtiment à énergie positive1, les bâtisseurs ont réussi à le maîtriser avec des surcoûts faibles et à développer le concept de bâtiment autonome (éner-gie et eau) ; en quelque sorte, le principe de bâtiment thermogène. Ce qui pour-rait être une contrainte devient un chal-lenge créateur d’innovation technique. Et dès lors que nous sommes capables d’agir sur le bâtiment, nous pouvons

Le potentiel d’innovation serait-il beaucoup plus important qu’avant ?

À se poser la question, on le subodore. Le champ d’innovation peut

être commandé par une demande, un besoin, une nécessité ou par une

offre abondante de transformations ; parfois par les deux. Il reste en

tout cas toujours tributaire de la question environnementale.

alain Maugard, PRéSIDENT D’EuROPAN.

ment et je lui demande : où es tu ? Alors que, pour nous, temps et espace étaient dépendants, les enfants ne connaissent plus la limite de l’espace dans la commu-nication. Ce qui les perturbe, c’est d’avoir oublié leurs chargeurs. Ce n’est ni mieux ni moins bien, mais c’est incontestable-ment différent !

D’où le changement induit de structu-ration même dans la pensée des villes ?GB// Les services communs sont aussi les services d’accès à l’information. Il y a du WiFi gratuit à San Francisco, pas en France. Pour les villes, la rela-tion entre le temps et l’espace est fon-damentale. Jusqu’à présent, la logique de l’urbanisme était largement fondée sur la planification. Les raisons sont-elles si nombreuses pour autant plani-fier aujourd’hui ? La ville doit être souple parce que les comportements le sont et ne sont donc pas pérennes. Dans le passé, pour gérer une ville, on identifiait des classes de problèmes et des classes de solutions. Et cette méthode était valable longtemps. Aujourd’hui, des problèmes variés appa-raissent et ont des solutions différentes. C’est en grande partie l’accès WiFi qui attire les jeunes chez Starbucks. On a dit que le tout numérique tue la communi-cation. Mais, au contraire, les réseaux sociaux permettent à tous de publier, et il y a beaucoup plus d’écrivains et de lec-teurs qu’auparavant. De même, nos pratiques com-merciales changent pour devenir « consommactrices » : pour se renseigner sur un restaurant, les avis en ligne actua-lisés disent souvent d’avantage qu’un guide gastronomique. Les rites urbains ont changé et continueront à changer.M

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optimiser de façon plus large : il y a des solutions plus intelligentes à trouver à l’échelle du quartier. Il y a des solutions plus intelligentes à trouver à l’échelle des villes. Mais après avoir dit que la demande, lorsqu’elle évolue, n’est pas un élément de résistance sociolo-gique, et que d’un autre côté nous pou-vons être producteurs d’énergie, nous pourrons envisager une société de pro-ducteurs/consommateurs reliés par des smart grids. Grâce au concours Europan nous avons constaté que les jeunes architectes et urbanistes pro-posent des transformations progres-sives. Ils ne dessinent pas de projet long terme rigide ; ils font des choses adap-tables, réversibles s’il le faut, car ils ne savent pas quels seront les modes de vie dans quinze ans. Le thème du prochain concours Europan 122 est d’ailleurs : La ville adaptable.

L’offre ne doit pas être stricte, elle doit avoir cette capacité à suivre, à évoluer au fur et à mesure de la demande. S’adap-ter c’est vivre.

L’appel du vivantComme les grandes métropoles ont hypertrophié toutes les tendances, les pertes d’autonomie y sont d’autant plus fortes. La reconquête alimentaire des métropoles est donc nécessaire. Elle va de pair avec la reconquête de l’eau et, bien sûr, la reconquête énergétique. La tentation est alors grande d’évoquer la place de la nature en ville, du vivant dans la métropole, qui serait égale-ment un accélérateur de développe-ment urbain. Les réponses varient selon que la nature doit être protégée, dans sa version originelle, ou si elle devient « nature urbaine ». Ce n’est pas la même fonction. Il est préférable de parler de

« forêt urbaine ». Central Park n’est pas une forêt protégée mais un parc urbain comme il en existe à Londres et Berlin. Cette nature urbaine, où les chemins seraient goudronnés pour circuler en vélo avec des espaces réservés aux bar-becues en famille, pourrait être incarnée dans le Grand Paris par Fontainebleau, Rambouillet, St-Germain-en- Laye… Des nouveaux terrains maraîchers feraient partie de l’agriculture urbaine. à cette puissance de la transformation urbaine par la nature, même artifi-cielle, s’ajoute pour les grandes métro-poles la dynamique de l’économie de la connaissance. La capacité de création artistique est plus grande lorsque les artistes ne sont pas isolés. Idem pour les chercheurs, même si le numérique et le télétravail multiplient les points de rencontre du secteur tertiaire. Certaines villes ont la taille nécessaire pour expri-mer cette puissance économique de la connaissance. Elles permettent de se rassembler pour se mettre à niveau et améliorer la performance. La concen-tration de cerveaux est à cet égard l’apa-nage des métropoles. Entre elles, la compétition en matière d’innovation est d’ailleurs à l’œuvre. Les métropoles ne peuvent pas être immobiles, et pour être créatrices elles doivent prendre exemple sur leurs alter ego. Il ne faudrait pas en rester à l’idée que le bien-être à la française soit une valeur suffisante. Certaines villes l’ont compris, elles disputent une compétition mondiale et pour gagner, il leur faut innover. M

1. Les « BEPOS » (bâtiments à énergie positive) seront obligatoires pour les constructions neuves en 2020. Une étape intermédiaire de développement à travers les bâti-ments basse consommation est obligatoire depuis 2012.

2. www.archi.fr/EUROPAN-FR/actualites/actualites.php

aLain MauGard, polytechnicien et ingénieur des Ponts & Chaussée, est président d’Europan. Composée d’architectes, d’urbanistes, de chercheurs, d’experts, d’élus, de maîtres d’ouvrage... cette fédération européenne d’organisations nationales lance tous les deux ans un concours d’urbanisme s’adressant aux jeunes concepteurs et urbanistes européens de moins de 40 ans.

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Tout l’art consiste à s’enrichir des racines afin de bâtir le changement. Et ce changement prend la forme d’un terrain de la SNCF sur lequel la ville espère concevoir et construire un quar-tier intergénérationnel. Certes, l’expé-rience n’est pas nouvelle. Une trentaine de démarches de cohabitation inter-générationnelles ou de réhabilitation, avec ce type d’approche, ont été entre-prises en France, principalement dans des villes universitaires. Mais aucune, pour l’instant, n’a donné de résultats convaincants*. Le manque d’anima-tion en aval n’a pas permis de valoriser la conception architecturale en amont. « C’est en cela que ce projet est inno-vant, précise Valérie Payen-Larche-vesque, la directrice du centre social Espace Libre, de Charleval. Parce qu’il

associe le « soft », en l’occurrence la capacité d’animation du centre social Espace Libre, portée par le Projet Social de Territoire (PST) qui a été engagé par la commune depuis cette année, et le « hard », un urbanisme au service des relations intergénérationnelles qui ne permet pas seulement de se loger, mais aussi de faciliter l’inclusion sociale. »

Zéro improvisationLe « hard », en l’occurrence, prendrait la forme de logements adaptés aux dif-férents modes de vie, à cette mixité « 3D » – sociale, fonctionnelle et géné-rationnelle – fondamentale pour la réussite du projet. Pour cela, quatre principes d’actions ont été définis : une dimension urbanistique et architectu-rale intergénérationnelle qui favorise,

En matière d’innovation sociale, la solidarité et les relations inter-générationnelles ajoutent un degré

supplémentaire d’innovation dès lors qu’elles s’appuient sur un projet d’urbanisme. En exemple, celui qui

émane du Projet Social de la ville de Charleval, dans la vallée de l’Andelle.

vaLerie Payen-LarchevesQue, DIRECTRICE Du CENTRE SOCIAL ESPACE LIbRE DE CHARLEVAL.

L’âgE DE fER sur La voie du

cheMin de Faire

T entre autres, les échanges entre les plus jeunes et les plus âgés, avec des loge-ments locatifs ou en accession à la pro-priété, l’accès à des espaces partagés, un éco-quartier ; une dimension envi-ronnementale ancrée sur les savoir-faire locaux ; le développement écono-mique local assorti d’un volet formation et de clauses de « mieux disant social » dans les appels d’offre ; et, enfin, que ce projet soit celui des habitants de Charveval et de la vallée de l’Andelle, la dimension éducative étant prépon-dérante dans son appropriation collec-tive. Pour l’heure, si le hangar en friche concrétise les espoirs, la voie ferrée Charleval-Serqueux offre une oppor-tunité d’accès pour le développement d’activités de fret. Cette entrée dans « L’âge de fer, sur la voie de chemin de

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faire », la signature du projet, bénéfi-cie du soutien de la SNCF, prête à céder son terrain « à prix raisonnable », de la Fondation SNCF, du conseil munici-pal de Charleval – la commune deve-nant maître d’ouvrage -, de l’associa-tion France Bénévolat qui, dans le cadre de son programme Solidâges 21, a passé un accord de partenariat avec le centre social Espace Libre.

Le Pst, nouvel outil de développement territorialCette ambition ne verrait pas le jour sans le PST mis en place cette année, mais animé depuis 2010 par le centre social de Charleval. De quoi s’agit-il ? « La vocation première du PST est de provoquer du changement, explique Valérie Payen-Larchevesque. Non pas en termes d’action sociale, mais dans une nouvelle façon de concevoir le vivre ensemble ». C’est avant tout une ques-tion de valeurs. Sans cela, la méthode reste vide. Charleval est une petite commune de 1 800 habitants, joux-tant d’autres communes, notamment

« mettre nos forces en commun pour développer des projets d’avenir. »

denis Lebaillif, mAIRE DE CHARLEVAL

« Charleval est confrontée, comme beaucoup de petites villes,

au vieillissement de sa population. Notre PLU ayant rendu ce

terrain constructible, le projet de loi libérant des terrains de

l’État pour la construction de logements sociaux, les atouts de

la vallée de l’Andelle et la force de notre tissu associatif nous

ont encouragé à échanger avec le centre social, à réfléchir

comment faire venir de nouveaux habitants dans notre ville

et répondre aujourd’hui à la nouvelle donne des couples, des

familles et des personnes âgées. Ce projet d’éco-quartier va

être présenté et discuté début janvier 2013 en présence de

nos partenaires, RFF et la SNCF, France Bénévolat, l’urbaniste

en charge du projet, le centre social avec le soutien de la

société d’économie mixte Eure Aménagement Développement.

Pour être novateur, ce projet doit être également réaliste. La

commune y participera en fonction de ses moyens limités et

en renforçant l’attractivité de ces terrains pour les bailleurs

sociaux. Son objectif étant de donner à cette aventure urbaine

toutes les chances de succès. »

Lyons-la-Forêt, à 26 km de Rouen et 100 km de Paris. Malgré cette proximité, les atouts et les faiblesses ne sont pas les mêmes. « Nous avions pour enjeu de construire un projet et de persuader nos interlocuteurs et nos partenaires ins-titutionnels** d’adapter leur logique à nos logiques tributaires de contraintes locales, et non l’inverse », insiste la directrice du centre social. Après un premier diagnostic établi en 2010, la nécessité de décloisonner les fonctions s’est imposée. Les résultats ont permis d’identifier des besoins dans le cadre d’une approche plurielle, net-tement plus intéressante et productive. Cette démarche est en elle-même inno-vante. « Peu à peu nous avons créé un système de gouvernance, précise Valé-rie Payen-Larchevesque, avec un comité de pilotage, le Cercle Local, composé de personnalités de la commune, élues et non élues ; puis, le Cercle Institutionnel, avec nos partenaires. Enfin, le Cercle d’experts est constitué des habitants, des associations et des techniciens ter-ritoriaux. Une fois les règles de fonc-tionnement établies, nous avons divisé

le projet social en deux volets. Le pre-mier, « Vivre ensemble », s’applique au bénévolat et à la vie associative, à la solidarité et aux relations inter-géné-rationnelles, à la communication et à l’information et enfin à l’activité éco-nomique. Le deuxième se concentre sur les familles, les enfants, les jeunes, et les plus de 60 ans. » Après deux ans de travail, 45 actions ont été établies. Elles vont des services éducatifs et périscolaires aux services à la personne, entretenus par un réseau de plus de 50 bénévoles, en passant par l’étude de lieux de vie innovants. M

* En dépit du contexte porteur du programme de l’UE, « 2012, année européenne du vieillissement actif et des solidarités intergénérationnelles », les travaux de France Bénévolat, dans le cadre de son programme Solidâges 21, montrent que les initiatives dans ce domaine sont assez limitées. Si ce n’est celle du quartier Sainte-Appoline dans la banlieue de Dijon.

** Caisse d’Allocations Familiales, Mutualité Sociale Agricole, conseil général, Direction départementale de la cohésion sociale, Éducation nationale, France Bénévolat, C e n t r e r é g i o n a l d ’ i n fo r m a t i o n j e u n e s s e , la municipalité de Charleval, la Communauté de Communes de l'Andelle.

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« Aujourd’hui nous manquons d’espoir et de messages positifs, explique Madjid Nassah, le cofondateur d’Émergence avec Allaoui Guenni. Une connais-sance du territoire à travers les habi-tants, autre que celle des rues et des

immeubles, permet de trouver des solu-tions. Il faut aller chercher la bonne information. Beaucoup de gens fonc-tionnent encore avec une poignée de main, en confiance. » Le concept est parti du constat qu’avec

Avec 700 placements en dix ans, l’association Émergence a développé

une méthode efficace pour remettre les jeunes des quartiers du Havre

sur le chemin de l’emploi : de l’estime de soi, de la confiance en l’autre

et une disponibilité permanente de ses dirigeants sur le terrain,

auprès des employeurs. madjid nassah, COfONDATEuR D'émERgENCE

une solide expérience réussie d’inser-tion, Madjid Nassah et Allaoui Guenni pouvaient s’adresser directement aux employeurs et se porter garants, por-teurs d’un contrat moral avec des jeunes, pour les aider à entrer dans la vie active. Il faut au préalable leur redonner l’es-time d’eux-mêmes et, en cela, la pra-tique sportive va les y aider.

« Nous voulions nous développer selon trois axes, précise Madjid : la médiation, l’insertion professionnelle et le sport. La médiation, c’est notre savoir-faire pour gérer les problèmes de quartier et nous

PERSPECTIVESGénérations Grand Paris20//

«« Nous continuons avec Émergence à intégrer des

salariés, diplômés ou non, avec des possibilités de

formation en interne. Ces personnes, du fait de

leur manque de qualification ou de leur nom, voire

de leur adresse, auraient eu plus de difficultés à

trouver un emploi. Depuis 2008 la CPAM du Havre a

embauché 10 CDI et 16 CDD.

C’est une démarche volontariste, sachant que

les entreprises qui collaborent dans ce sens ne

peuvent réussir qu’à travers une volonté forte,

portée par leur direction.

Nous avons également travaillé ensemble sur

l’accès aux soins et aux actions de prévention,

notre cœur de métier.

En phase avec Émergence, nous souhaitons mettre

le pied à l’étrier, mais aussi que les personnes

se prennent en charge avec une grande volonté

d’avancer. »

régine Brun, DIRECTRICE DE LA CAISSE PRImAIRE Du HAVRE.

« êTRE ACTEuR DE SA PROPRE VIE »

madjid nassah, DIRECTEuR géNéRAL ADjOINT D'émERgENCE

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PERSPECTIVESGénérations Grand Paris//21

voulions agir dans le cadre de l’insertion professionnelle puisque nous sommes éducateurs. Notre philosophie n’est pas l’assistanat, mais la responsabilisa-tion. En juin 2002, nous avons ouvert une salle de sport pour les habitants du quartier, ce qui nous a permis de détec-ter des jeunes. En 2005, nous avions déjà placé près de 700 personnes en entre-prise, en CDI ou CDD, si bien que les gens venaient ici pour trouver du travail ! ».

au top pour un jobFace au nombre de sollicitations, l’as-sociation crée une formation pour cana-liser les flux : Au top pour un job. Après trois semaines, 15 stagiaires sont éva-lués par des professionnels en fin de cursus ; l’association obtient 75 % de réussite. Si la municipalité du Havre subventionne Émergence (1 M€ de tra-vaux auxquels s’ajoutent les coûts de fonctionnement), des entreprises et des établissements publics ont aussi joué le jeu. La fondation Veolia Environnement,

ERDF, le Groupe hospitalier du Havre, l’Assurance Maladie, les Allocations familiales… « Aux côtés d’Émergence, cette formation traduit notre souhait d’essaimer et d’intégrer des entreprises partenaires. Le Centre National Émer-gence s’est doté d’un conseil d’adminis-tration participatif dans lequel siège le PDG de Leader Intérim, explique Madjid Nassah. Il existe d’ailleurs un projet Émergence à Bruxelles. L’association ASHOKA2 nous a octroyé une bourse de 90 000 euros pour travailler sur tous les outils d’essaimage du concept, ses impacts sociaux et ses coûts sociaux. Nous sommes d’ailleurs labellisés entre-preneur social innovant. » Pour être déclinable, le modèle est viable à trois conditions : avoir un lieu,

des liens avec les entrepreneurs et un porteur de projet. Le retour sur inves-tissement permet d’éviter des coûts de dégradation sociale. Au top pour un job reçoit du Havre 3 000 à 4 000 € par stagiaire pour qu’il soit employable. Si certains chefs d’entreprises ou des membres des collectivités locales veulent tendre la main aux jeunes, beaucoup ne savent pas comment faire. L’espace Émergence peut à cet égard leur être utile. Des villes comme Argen-teuil, Aubervilliers, Freux, Evry, Cenon, Fréjus ou Istres sont déjà intéressées. M

1. « Le faire est révélateur de l'être », in Situations (1947), de Jean-Paul Sartre. 2. http://france.ashoka.org/ashoka

« Il faut aller chercher la bonne information. Beaucoup de gens fonctionnent encore avec une poignée de main, en confiance. »

« J’interviens auprès de certains magasins

du groupe qui rencontrent des difficultés,

économiques ou sociales.

Nous travaillons avec Émergence depuis peu à

Aulnay-sous-Bois afin de recruter un responsable

de magasin qui nous permettrait de redresser un

supermarché situé dans un contexte particulier.

En marge de cette initiative, nous travaillons

ensemble, toujours à Aulnay, sur un projet qui

consiste à favoriser la cohabitation entre le

commerce et la vie locale. L’idée est de concevoir

nos futures implantations en zone sensible et de

travailler avec Émergence en amont, pour coupler

un supermarché ou un centre commercial avec

un lieu d’échanges et de rencontres qui peut être

sportif ou non. Être proche des jeunes invite à

respecter les lieux, à réapprendre des valeurs. »

gianni Porcu, DIRECTEuR DE L' INTERmARCHé Du HAVRE

aLLaoui Guenni,DIRECTEuR géNéRAL D'émERgENCE

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Pour Marc Fontecave, professeur au Collège de France, les contraintes

environnementales vont peser fortement sur l’évolution des sources

d’énergie nécessaires à la métropole. Si la demande énergétique va

globalement augmenter, la réponse urbaine ira dans le sens d’une

économie, d’abord, et d’une plus grande autonomie de leur utilisation,

ensuite. Deux axes de développement pourraient être privilégiés : le

photovoltaïque et les carburants solaires.

PERSPECTIVESLe Grand Paris de l'innovation22//

« DEmAIN, L’AIR AmbIANT DEVIENDRA uNE

source d’énerGie… »Marc Fontecave, Directeur du laboratoire de chimie des processus biologiques et professeur au Collège de France, est notamment spécialiste de l’évolution des sources d’énergie. Président du Conseil scientifique de la ville de Paris jusqu’en novembre 2012, il est membre du comité énergie de l’Académie des sciences qui s’apprête à remettre un rapport qu’il espère utile à la définition de la politique énergétique du gouvernement.

Comment envisager les bonnes solu-tions énergétiques d’avenir en ville ? Marc Fontecave// Si dans la cave d’une maison vous avez un électroly-seur qui transforme de l’eau en hydro-gène, ce dernier est une forme de stoc-kage de l’énergie électrique produite par les panneaux photovoltaïques ; 2,5 litres par jour suffisent ! Grâce à une pile à combustible il est possible de repro-duire de l’électricité avec cet hydrogène. Vous pouvez alors imaginer un monde où un quartier soit à la fois le produc-teur et le consommateur de sa propre énergie. Le besoin d’innovation dans ce domaine est colossal, mais il faut désor-mais gagner en rendement et en coût.

C’est la seule option en matière d’éner-gie renouvelable ?MF// Les chiffres sont assez clairs : nous utilisons entre 1 à 15 % de la puissance éolienne installée dans le monde. C’est très peu. De plus, il n’y a pas UNE solu-tion, et encore moins UNE solution propre. Il faut assumer le fait que notre survie dépende d’une part de pollution et de dégradation de l’environnement. Fabriquer des panneaux voltaïques n’est pas sans conséquences sur l’environne-ment et l’éolien n’est pas renouvelable parce qu’il a besoin de terres rares pour construire les moteurs.

Il n’y a donc pas d’alternative ?MF// Si ! Un autre grand domaine de

CO2 dans l’atmosphère, l’air ambiant deviendra une source d’énergie beau-coup plus propre… Pour le moment l’idée est de collecter et de stocker le CO2 dans les centrales à gaz ou à char-bon. Mais ce processus de capture est cher en énergie. Des travaux sont à mener pour le rendre plus efficace et moins coûteux. M

*Procédé chimique où intervient la catalyse de monoxyde de carbone et d’hydrogène pour les convertir en hydrocar-bure. Inventé par Franz Fischer et Hans Tropsch en 1923, il fut développé en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale.

recherche se concentre pour conver-tir l’énergie solaire en énergie élec-trique ou en carburant : de l’hydrogène, si on transforme l’eau ; des hydrocar-bures, en transformant le CO2. Ce qu’on appelle les « solar fuels » (les carbu-rants solaires) est un concept dit « bio inspiré » parce qu’il existe déjà dans la nature à travers ce fabuleux phénomène de la photosynthèse. C’est fascinant et cela implique de considérer la biomasse comme une source d’énergie.

Mais en ville est-ce possible ?MF// Dans notre laboratoire, nous rêvons de dispositifs constitués uni-quement de CO2 et d’eau qu’on éclai-rerait et qui produiraient du méthanol ou du méthane pour alimenter nos voi-tures… Là c’est le cercle vertueux, le CO2 est pris dans le carbone qui va être réu-tilisé comme combustible qui va donner du… CO2, avec un bilan carbone neutre. On reste sur une économie carbonée, mais on ne produit plus de CO2.

N’est-ce pas le procédé appelé « coal to fuel » ou « gaz to fuel » ? MF// Non, le procédé que vous évoquez consiste à prendre des sources carbo-nées et de les hydrogéner, comme dans le procédé Fischer-Tropsch*. Mais c’est un procédé coûteux et peu respectueux de l’environnement. En revanche en produisant de l’hydrogène solaire et en captant le carbone sous forme de

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C’est un euphémisme de dire que le numérique va transformer la ville. Cette mutation est déjà entamée et va impac-ter les métiers de services urbains. La mobilité, la fluidité ou l’optimisa-tion de l’exploitation des ressources urbaines seront alors au centre des problématiques d’innovation. En col-laboration avec IBM, par exemple, Veolia Environnement travaille sur les analyses prédictives de trafic en temps réel et s’intéresse au trans-port individuel, au piéton, à la mobi-lité dans la ville. Si la vocation d’opé-rateur urbain permet d’agir dans la continuité à travers l’eau, l’énergie, la collecte et le traitement des déchets, la demande aujourd’hui est que la ville soit numérique, donc de faire bénéfi-cier d’un savoir-faire afin d’optimi-ser les coûts et la qualité d’un service urbain, sans en être nécessairement l’opérateur. Dans cette ville numé-

rique, les données sont stockées une seule fois et sont partagées entre dif-férents domaines et différents acteurs. Elles déterminent un nouvel « espace public » à partir duquel l’offre de ser-vices numériques sera détachée des silos opérationnels (eau, déchets, mobi-lité, énergie, sécurité, etc.) : pour un acteur comme Veolia Environnement, il ne s’agit donc pas seulement d’une évolution des services urbains existants, mais d’un nouveau métier de services.

open data & data miningLa demande des données pour les villes a été multipliée par cent mille, en moins de dix ans. Cela oblige à trou-ver la réponse technique et le modèle économique pour offrir aux acteurs publics et privés un espace pour par-tager, emprunter, traiter des données, développer des services à des tiers. Par exemple, les données de qua-

lité d’eau ne sont pas utiles heure par heure pour nos concitoyens en bonne santé. Mais pour certaines entreprises de santé ou des personnes diabétiques, cette information aurait de la valeur. Si le producteur d’eau est bien placé pour imaginer ces cas, il l’est moins pour s’adresser à ces patients directement. Des nouveaux services doivent être développés pour mettre les données de différentes provenances à la portée des acteurs les mieux à même de les valori-ser, enrichies par des outils de calcul et de prévision.Le data mining, qui permet de mieux cibler les attentes grâce au traitement d’une grande masse de données, favo-rise paradoxalement l’individualisation des services.

L’ère numériqueCette qualification de données inter-vient dans l’autre grand domaine du numérique urbain : la contribution à la réflexion des maires sur l’évolution de leur ville. Sous l’effet croissant des contraintes économiques, environ-nementales, sociales, les grands pro-jets urbains d’aménagement, d’in-frastructures, etc. ne peuvent plus être pensés en silos techniques ni en scéna-rios linéaires : l’interaction permanente entre sous-systèmes rend les phéno-mènes systémiques et laissent dému-nies les approches traditionnelles de prévision. Nous sommes dans le temps long. La ville, comme en biologie, est devenue un système complexe. Com-ment éviter de commettre une erreur lorsqu’il s’agit de développer des infras-tructures lourdes ? Comment déceler les effets rebonds ou identifier au contraire des scénarios optimaux imprévus ? à travers ForCity, déjà proposé* à Singa-pour, Mexico et Lyon, il est possible de simuler des scénarios plus pertinents. Cet outil de planification et d’analyse systémique, conçu comme une aide à la décision au service du développement urbain, montre que le monde de la don-née numérique devient désormais un champ d’investigation à lui seul pour l’aménagement des territoires. M

* Avec EDF, en collaboration avec la startup lyonnaise The Cosmo Company et Dassault Systèmes.

LE NuméRIquE, créateur de vaLeurComment vont évoluer les services urbains avec l’informatisation

des pratiques de la ville ? Si la métropole s’adapte d’ores et déjà, elle

pourrait intégrer un nouveau flux, les données numériques, comme

service à part entière. François Grosse, DIRECTEuR DES NOuVEAux SERVICES

NuméRIquES, VEOLIA ENVIRONNEmENT

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24//TERRITOIRES

La Revue du GRand PaRis// L’histoire… Est-ce un critère si important ?Jacques sainT-aMauX// Je dirais plutôt l’his-toire des habitants. C’est à travers leur vie que Limay s’est construite face et… contre Mantes. Si vous n’intégrez pas cette dimension, vous ne pourrez pas comprendre comment notre terri-toire s’est développé.Cette rivalité entre Mantes et Limay s’explique du fait qu'une ville de garnison – Mantes-la-Jolie, ville royale – essaye de mettre ses voisins au pas. Limay devient alors la ville refuge pour tous ceux qui ne rentrent pas dans le moule du diocèse ou sous la coupe de la garde. À cause des guerres de religion, les protestants ont quitté Mantes pour Limay. À la Révolution, les Limayens sont deve-nus révolutionnaires contre les Mantais. D’ail-leurs, ici, les paysans savaient lire et écrire grâce au passage des protestants puis des jansénistes. Ces antagonismes se retrouvent souvent aux abords des fleuves, comme à Buda et Pest.

RGP// Est-ce que cela perdure encore aujourd’hui ?Jsa// Oui, avec moins de force. Comme la gar-nison de Mantes était placée à la frontière de l’île-de-France, donc du royaume, les villes voi-sines en prenaient la contrepartie. Et la contre-partie était de se tourner vers la ville de Rouen, vers son industrie avec son port, ses docks et ses dockers, donc vers le syndicalisme qui, au XIXe siècle et début du XXe, s’est formé sur l’anarcho-syndicalisme. Cette nature anarco-syndicale née de l’industrialisation de la région, vous la retrou-vez dans la défiance à l’égard des hommes poli-tiques. L’élu, c’est comme le patron, il ne faut pas lui faire confiance…

RGP// Les plus jeunes, ceux qui ne connaissent pas cela, reproduiraient-ils cette défiance en pré-servant leur territoire avec leur bande ?Jsa// Cela se comprend, ça leur donne une identité. Mon prédécesseur s’est battu contre la construction du Val-Fourré et, en contrepartie, proposait une répartition sur l’ensemble des villes et villages du Mantois. Mais il fallait des logements pour Renault dans les années 60. Cette revendication territoriale au sens large explique que tout le monde souhaite une forme d’indépendance de sa ville. L'année 1959 marque pour Limay le passage de la ruralité aux temps modernes. Auparavant, les maraîchers dirigeaient. Cette année-là, le renouveau muni-cipal passe à une voix près. Le nouveau conseil municipal estime que pour rester indépendant, il faut avoir une industrie pour créer des richesses et de l’emploi. Il achète des terrains et crée la zone industrielle. La taxe professionnelle était inves-tie dans le foncier. Acheter le terrain équivalait à diriger. Tout le monde nous voyait riches, nous répondions : « nous sommes une ville riche pour des gens pauvres ! »

RGP// C’est toujours le cas ?Jsa// Nous avons essayé de développer une indus-trie moderne. Nous avons donc choisi la dépollu-tion et l’environnement quand l’écologie n’était pas encore à la mode. En 1972, le gouvernement décide d’arrêter le rejet des huiles de coupe et d’usinage dans la Seine. Soit 10 000 tonnes par Renault Flins et autant chez Peugeot, à Poissy. Par satellite la trace noire se voyait jusque dans la mer du Nord ! Arrêter, c'est une chose, mais que faire des huiles ? Avant de traiter l’eau, autant ne pas la polluer. SARP Industrie est née à ce moment-là. Limay, « la poubelle du Mantois » est aujourd’hui devenue « capitale régionale de l’éco-industrie ». Même les mots sont recyclés…

RGP// Pour cela, il faut une bonne connaissance des territoires, tout le monde ne l’a pas…Jsa// Quand Limay a construit le port et la zone industrielle, il a fallu un deuxième pont.Au moins trois villes voisines souhaitent un pont depuis aussi longtemps. Il s’est construit ici parce que 18 ans auparavant la ville avait acheté les terrains précisément là où le pont devait se faire. Il faut avoir la vision. Un bon maire ne doit pas avoir une idée par jour, mais une idée par mandat ; et la bonne.

projection

L’histoire, c’est la proximitéPour Jacques Saint-Amaux, conseiller général des Yvelines,

« homme des rues » et ancien maire de Limay, le territoire est

tributaire de l’histoire qu’il incarne, celle des habitants qu’il

est censé protéger et de leur travail qui a contribué à son essor

économique.

Jacques saint-amaux, cOnSEIllER GénéRal dES YvElInES,

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TERRITOIRESL'histoire c'est la proximité//25

RGP// Finalement, les axes anciens reprennent du ser-vice pour positionner à nouveau les industries ?Jsa// Il faut tenir compte de la géographie, des infrastructures et de la vie qui s’y développe : d’abord le fleuve, puis la voie ferrée, enfin l’autoroute. Le Vexin est céréalier. Le plus grand port de céréales français est à Rouen. Et le plus grand port de céréales d’île-de-France est à Limay, avec un silo central de 43 000 tonnes rempli plusieurs fois dans l’année. Cette diversité est importante et un port unique pour le Grand Paris n’est pas utile à mon sens. Le Havre/Rouen/Paris sont trois ports qui travaillent en commun, il faut donc un GIE. Paris est un port de commerce dédié à la logistique du dernier kilo-mètre. Limay est un port fluvio-maritime, avec des caboteurs de mer qui viennent à quai. Nous ne faisons pas du frêt de détail. En revanche, nous faisons du Lapeyre, du granulat, du bio-diesel…

RGP// Comment faites-vous pour être indépen-dant et travailler de concert, notamment dans le cadre d’un projet comme le Grand Paris ?Jsa// C’est la quadrature du cercle. Notre mode de gestion vaut ce qu’il vaut, personne n’est obligé de le suivre. Travailler ensemble nécessite de parta-ger et d’être convaincant. Aujourd’hui, l’histoire est oubliée. Pour faire le Grand Paris, il faut des grands principes mais aussi tenir compte du mode de vie de la popu-lation. Mettre de l’humanité et demander aux acteurs ce qu’ils souhaitent, pas seulement aux élus, mais aussi aux associations, aux syndicats. Les communes ne sont pas le seul lieu de démo-cratie. D’autre part, l’histoire des villes est souvent jeune, surtout en île-de-France dont le dévelop-pement s’est fait sur seulement trois générations depuis les années 30. Lorsque l’on parle d’His-toire, en réalité, c’est à la notion de proximité que l’on se réfère. Si Paris, Lyon, Marseille ont des mairies d’arrondissement, ce n’est pas seu-

lement administratif. Cela signifie que les gens ont besoin d'une proximité avec ceux qui ont en charge la gestion de leur ville.

RGP// Et vous pensez que le Grand Paris s’éloigne de cette notion de proximité ?Jsa// Voilà cinq ans qu’on nous dit qu’il faut construire 500 000 logements par an, en France. Et on n’y arrive pas, pour plein de rai-sons. Alors que faisons-nous ? Le gouvernement nous annonce une autorité unique en matière de logement. Soit. Enlever au maire la maîtrise de son territoire, est-ce opportun ? Un maire qui ne veut pas faire du logement social devrait devenir inéligible. Sans forcément aller jusqu’au quota de 20 % d’un seul coup, mais au moins de faire un effort. Si une loi est faite, elle doit être appli-cable à tout le monde. Cela éviterait, par exemple, les expulsions toute l’année, de jeter les gens à la rue pour finalement dépenser plus d’argent pour les reloger à l’hôtel. C’est la démonstration que jeter les gens dans la misère est inefficace et inhumain. Si le Grand Paris ne tient pas compte des modes de vie, des aspirations et des besoins des populations si diverses sur ce grand terri-toire si varié, cela sera un échec ! Au contraire, si ce grand projet se rapproche des gens, il peut être porté par l’ensemble de la population. M

jacques saint-amaux Ancien ajusteur chez AMX, maire de Limay jusqu’en janvier 2010. Il est conseiller général des Yvelines (groupe communiste) et conseiller municipal de Limay, après avoir été le secrétaire départemental des Yvelines de la CGT depuis 1976. 

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26//TERRITOIRES

Attractivité// À qui fait-on allusion lorsqu’on parle d’attrac-tivité ? Et par rapport à quoi ? Est-ce le cadre dirigeant, l’étudiant ou encore l’habitant ? Nous fai-sons face à des contradictions de

cibles. Il s’agit de proposer un discours suscep-tible de mobiliser l’ensemble des cibles.

territoire// Vouloir définir le territoire par un périmètre précis n’a plus grand sens. Il faut raisonner sur des flux, sur des schémas relation-nels et donc passer d’une vision de territoire sur-face à un territoire réseau. Il faut distinguer la contiguïté (on est à côté) et la connexité (on est relié). On peut être en contiguïté mais loin, et en connexité plus rapidement.

gouvernance// Le leadership métropoli-tain signifie qu’un acteur politique va s’arro-ger le droit de dépasser ses compétences à la fois géographiques et sectorielles. Il prend alors un leadership sur une compétence qu’il n’a pas juridiquement, mais c’est fondamental pour développer une activité métropolitaine. Cela demande notamment une légitimité poli-tique différente selon les contextes. Non seule-ment la personnalité du maire, mais aussi le rôle spécifique de la ville-centre qui implique qu’elle ne peut pas être hors du jeu de l’expression métropolitaine. Pour le Grand Paris, la situa-tion est différente dans la mesure où cet anta-gonisme, cette coupure entre Paris et le reste de l’agglomération, est bien plus net qu’en province.

ressources// De quelles ressources maté-rielles, immatérielles et symboliques, dispose un territoire ? Potentiellement, comment peut-il les mobiliser et cela d'une manière coordonnée ? Ces trois gradations sont importantes : on peut

Urbanisme

L’attractivité, par rapport à qui ?Quels critères retenir pour rendre un territoire attractif ? Pour

Jean-Marc Offner, dg de l’a-urba, l’Agence d’Urbanisme Bordeaux

métropole Aquitaine, certains d’entre eux mériteraient d’être

définis ou redéfinis.

jean-marc offner, dIREcTEuR GénéRal

dE l'a-uRba .

avoir des ressources potentielles qu’on ne sait pas mobiliser. Ainsi, Bordeaux a une grande uni-versité et compte 70 000 étudiants, soit le plus grand campus d’Europe. Mais pour la métro-pole, c’est plus une ressource potentielle qu’une ressource effective. La mobilisation ne s’est pas encore bien faite, contrairement à des villes comme Grenoble, Rennes ou Toulouse. Dans l’acteur collectif métropolitain, l’aspect politique compte, bien sûr, mais il est tributaire du degré de porosité entre les mondes politiques, écono-miques et académiques.

proximité// Plutôt que de local/global, je pré-fère parler de proximité extravertie. Il faut arriver à dépasser cette contradiction entre l’encoura-gement à la proximité et la projection de la ville dans un ensemble plus global puisque métro-polisé. Proximité oui, mais pas la proximité à l’ancienne fondée sur le quartier, sur ce qui se passe autour de l’habitat, mais une proximité qui accepte d’être traversée par des flux, autour des lieux de travail, autour de ce qui va connecter justement le reste de la métropole, c’est-à-dire les stations de transports collectifs.

mixité// Nous sommes toujours dans un pro-cessus de changement alors que la planification, aujourd’hui, intègre l’idée que l’histoire va s’ar-rêter à moment donné, qu’on va atteindre un modèle parfait. On planifie, on fait un PLU, un SCOT, alors que tout le monde sait très bien que cela ne va pas se passer comme ça. Les moments les plus intéressants sont peut-être les moments de transition. La mixité sociale est un objectif politique assez consen-suel, alors qu’on sait globalement que la société ne répond pas, par ses comportements, à cet objectif. Toutes catégories sociales confondues, on constate de la mixité surtout dans les quar-tiers de transition.

programmation// Sur Bordeaux, comme à Toulouse ou à Montpellier, la croissance démo-graphique est quasiment le double de la moyenne nationale, ce qui induit un véritable développe-ment urbain. Il faut jouer entre programmation et appropriation, compte tenu de cette nouvelle urbanisation.

appropriation// L'apparition des clusters numériques dans le vieux Montréal n'est pas le fait d'une programmation. C'est à l'initiative de gens qui avaient besoin de trouver un café ouvert tard le soir, après leur travail, pour pouvoir y dis-

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cuter entre micro entreprises et échanger des idées nouvelles.

diversité// Souvent, l’idée de rechercher sa spécialisation a été priviélégiée pour qu’une métropole trouve son avantage comparatif. Si cela peut se gérer en termes d’image de marque, une métropole digne de ce nom doit être en revanche dans la diversité. C’est cette diversité qui permettra d’éviter une trop forte spécialisa-tion, avec une importante population étudiante dans les villes universitaires ou d’emplois ter-tiaires dans les villes administratives.

sobriété// Parmi les enjeux environnementaux, la sobriété permet à la fois de parler de l’énergie, de la consommation d’espace, de tout ce qui est procédé de construction. Elle passe en particu-lier par la recherche d’économie d’espace, donc par l’ambition de mixité fonctionnelle. Mais la sobriété peut conduire parfois à une concentra-tion thématique ; en termes de gain de producti-vité, il y a de nombreux avantages économiques à regrouper des entreprises qui font la même chose.

mutualisation// Les ambitions de mutuali-sation sont compatibles, par exemple, avec l’in-tensification de la vie urbaine et la recherche de sobriété. Dans les organisations urbaines actuelles, on gâche beaucoup. La voiture sert aux usagers 5 % de leur temps, les bureaux ne sont occupés qu’un tiers du temps. Mutualiser, c’est une façon de produire de la sobriété qui oblige à travailler d’avantage en réseau donc à accroître la porosité de différents mondes.

réversibilité// Tout ce qui tourne autour des phases de transition et de la gestion du chan-gement correspond à de la réversibilité. Celle-ci doit intervenir dans la manière de penser et de construire la ville. Dans dix ou vingt ans, un bâti aura peut-être une autre fonction. Les TIC jouent à cet égard un rôle important, direct ou indirect, au sens où ces outils majeurs per-mettent cette mutabilité et cette réversibilité des équipements et des aménagements urbains, à un faible coût.

innovation technologique// L’action publique a besoin de visibilité. Celle-ci va essen-tiellement passer par un grand projet, donc une solution technique qui agit comme un cheval de Troie vers un changement organisationnel qui ne se serait pas produit autrement ou si facilement.

économie// L’économie n’est pas le seul moteur des fonctionnements urbains mais de facto elle est le principe structurant majeur. Ça ne veut pas dire que le grand huit est l’oméga du Grand Paris. Les clusters sont une toute petite partie de l’activité économique. Une des princi-pales justifications des grandes villes, c’est leur capacité et leur productivité économique.

culture// Sur la Cub comme sur le Grand Paris, la diversité de l’offre préexiste. On peut l’amplifier, d'autant que le contexte géogra-phique le permet. Notamment grâce à la proxi-mité de la gare qui facilite d’autres modes de vie urbains. Une structuration initiale qui n'est pas forcément celle de nombreuses autres villes. M

TERRITOIRESL'attractivité, par rapport à qui ?//27

Jean-Marc Offner a dirigé pendant près de dix ans le Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés de Paris (le LATTS) de l’Ecole des Ponts & Chaussées et du CNRS, avant de rejoindre l’a-urba en 2009.

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La démarche de consultation avait été lancée par Dmitri Medvedev, président de la République à l’époque. Pour la ville et ses parte-naires*, l’intention affi-

chée en 2011 était de délocaliser l’admi-nistration fédérale, ce qui revenait à bâtir l’équivalent de Brasilia à 20 km ou 30 km au sud-ouest de la capitale russe.

Comme Paris, Moscou doit faire face à la congestion de son centre et a pensé y répondre en développant une straté-gie d’extension de la ville. Le métro de Moscou est constitué de grandes lignes radiales et d’une ligne circulaire et la densité est partout constante, du centre à la périphérie. Les lignes sont surchar-gées et vétustes, les trains sont incon-fortables et la nouvelle bourgeoisie pré-

fère utiliser la voiture. Mais la ville a peu de voiries intermédiaires et se compose de grands îlots. Cette structure urbaine n’est donc pas adaptée à cette explosion de la voiture individuelle. Sur l’avenue Tverskaïa qui conduit du Kremlin vers le nord sur à peine 4 km (la distance du Châtelet à la gare de l’Est), on y subit parfois douze heures d’embouteillages ! Cette saturation du centre ne peut plus

28//CITIES

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En s’inspirant de la consultation du Grand Paris, celle voulue par la ville de Moscou, présentée en septembre 2012, a confirmé que cette démarche originale pouvait non seulement s’exporter mais aussi consacrer une vision ambitieuse

d’une métropole aux réalités urbaines complexes et parfois similaires.

Bertrand Lemoine, dIrECTEur général dE l'aTElIEr InTErnaTIonal du grand parIS

Moscou, 40 km sur 30 km, 11 millions d’habitants. Sa région compte 6,5 millions d’habitants en plus. Le gouvernement a décidé d’étendre la ville au sud-ouest sur une superficie de 1 400 km² (soit de doubler la surface actuelle) peu urbanisée

avec beaucoup de forêts, et d’y implanter les bureaux de l’administration fédérale.

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CITIESMoscou, l'empreinte russe du Grand Paris//29

durer, d’autant que la métropole russe attend 3,5 millions d’habitants supplé-mentaires d'ici 2025. Comme dans la consultation sur le Grand Paris **, Les dix équipes pluridisciplinaires d’archi-tectes-urbanistes ont été choisies début 2012 pour réfléchir à l’avenir du Grand Moscou. Parmi les dix, quatre équipes du Conseil scientifique de l’AIGP ont été retenues. En conséquence, le périmètre de la ville de Moscou a été modifié et élargi vers le sud-ouest, comme si Paris s’étendait jusqu’à Ram-bouillet afin de délocaliser le gouverne-ment dans les Yvelines. À défaut de transfert, l’administration fédérale pourrait être déconcentrée de la même manière que, à Paris, le ministère de l’Égalité des Territoires et du Loge-ment, dont le cabinet reste boulevard Saint-Germain, a installé ses services à la Défense. En marge de cet hypo-thétique « déménagement », toute une série de grands travaux sur les infras-tructures, les extensions, les transports

publics, les stationnements, les réseaux… ont été programmés.

concilier intérêt public et investissements privés

Si les situations sont assez différentes, ne serait-ce que sur le plan du fonction-nement démocratique, la ville de Moscou et les autorités russes ont plusieurs points d’intérêts pour le Grand Paris. Quels outils de gestion et d’aménage-ment privilégier, notamment, en s’ins-pirant en partie de ce qui a été développé dans le cadre du projet de la région Capi-tale ? Que ce soit un PLU, un PEB ou une OIN, nous avons en France une palette assez vaste d’outils d’aménagement et, sur le Grand Paris, des outils spécifiques comme le contrat de développement territorial (CDT). Les Russes souhaite-raient s’en inspirer, ou les transposer, pour associer de manière plus efficace l’intérêt public et les investissement pri-vés. Leurs regards se portent sur les SEM ou les PPP, lorsque les investissements

privés se font dans un cadre défini par la puissance publique. Le modèle français les séduit lorsque l’État intervient dans un dispositif où l’investissement privé est actif et encouragé. Ils s’intéressent également aux processus de participa-tion, de débat public, tout ce qui asso-cie, malgré les apparences, la population à un certain nombre de décisions. Même si le pouvoir fédéral reste prééminent, les Moscovites voient bien que le débat public n’est pas un facteur de blocage, dès lors qu’une évolution et une appro-priation du projet par les habitants sont possibles et, surtout, facteurs de succès.

Le Grand Paris exportLes Russes savent qu’il leur faudra du temps pour atteindre un niveau de ser-vices urbains équivalent aux grandes métropoles européennes. Ils citent sou-vent l’exemple de Louis XIV qui a délo-calisé la capitale à l’extérieur de Paris, à Versailles. Ils y voient, en l’occur-rence, la conjonction d’un pouvoir éta-

L’ambition du projet retenu, celui de Grumbach/Wilmotte/Tkachenko, impose de considérer l’ensemble de l’agglomération, au lieu de la seule extension sud-ouest conçue comme une ville linéaire, de fluidifier la métropole notamment avec un métro à grande vitesse sur 600 km autour de l’agglomération, tout en restituant une symbolique forte de la ville antique avec la création de neuf portes sur la circonférence.

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CITIESMoscou, l'empreinte russe du Grand Paris30//

tique fort avec un objectif de développe-ment économique et l’émergence d’une bourgeoisie dont les intérêts d’enrichis-sement coïncident avec ceux de l’État. Cette analyse les aide à comprendre leur positionnement sur un axe d’évo-lution politique possible. Ils ont aussi conscience d’avoir à gérer une énorme métropole dont l’enrichissement depuis quinze ans est incroyable. Mais leur réflexion est complexe - aussi fragmentée que la nôtre - avec des luttes d’intérêts, une rivalité entre la ville et la Région. Le rôle de l’État est important, mais parfois mal perçu par la municipalité. Le Grand Paris est donc un modèle exportable... D’autres villes, comme Bruxelles, apprécient cette méthode originale qui n’est pas seulement le fruit d'une réflexion académique. Elle produit des actions concrètes et elle accélère une dynamique de transformation. Cette démarche en mode projet, transver-sale et sans frontières administratives,

les a également intéressé. Le Grand Moscou adopte une stratégie de déve-loppement économique, d’influence régionale, avec des caractéristiques identitaires qui iront bien au-delà de la Place Rouge ou du Kremlin, pour mériter un statut de ville-monde. En Europe, sur l’échelle de l’attractivité, Paris et Londres sont en tête. D’autres métropoles sont plus diffuses, comme Düsseldorf, Cologne ou la Randstadt au Pays-Bas, peut-être Madrid, Milan... La taille de Moscou est supérieure à celle de Paris ou de Londres. Le budget de la ville est de 50 milliards d’euros, dix fois le budget de la région île-de-France ou six fois celui de la ville de Paris. Vu de Moscou, le développement du Grand Paris est perçu comme dyna-mique. Et si l’on regarde l’évolution du projet depuis deux ou trois ans, nous pouvons être confiants. D’autres métropoles s’en inspirent lorsque l’expertise française en ingénierie est

mise à contribution dans les travaux publics, les réseaux ou les services urbains. Moscou va beaucoup évoluer, grâce à des capacités d’investissements considérables. Les quinze ou seize pro-grammes actuels de grands travaux sont estimés à 350 milliards d’euros sur quinze ans… La Russie et sa capi-tale ont donc les moyens de financer leur développement. Les acteurs fran-çais, quant à eux, ont des compétences à faire valoir. M

*Ministère du Développement Régional de la Fédération de Russie, Département d’Architecture et de Génie Civil de la région de Moscou, Union des Architectes Russes, Académie Russe d’Architecture et de Génie Civil et du Guenplan rattaché au Comité moscovite d’Architecture et de Développement Urbain de la ville de Moscou, maître d’ouvrage de la consultation.

** Pour en savoir plus sur la contribution de l’AIGP : www.ateliergrandparis.com

Bertrand Lemoine était membre du jury, en qualité d’expert, qui a choisi A. Grumbach et JM. Wilmotte associés au Russe S.Tkachenko pour la consultation du développement du Grand Moscou. Quatre équipes du Conseil scientifique de l’Atelier International du Grand Paris,

dont trois françaises, ont été retenues pour cette consultation (A. Grumbach et J.M. Wilmotte associés au Russe S.Tkachenko, Yves Lion associé à Ortozhenka, l’AUC (Djamel Klouche) et Secchi & Vigano).

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La Revue du GRand PaRis//Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à Sarajevo ?FRançois Lamy// Acteur du Grand Paris depuis de longues années par le biais de mes mandats locaux, j’ai aussi travaillé en tant que député et président du groupe d’amitié France-Bosnie-Herzégovine. J’ai participé activement à la création de l’Association « Paris-Métro-Sarajevo » qui a lancé l’idée d’un Forum de l’urba nisme entre Paris et Sarajevo, il y a trois ans. Chargé de la Ville au sein du gouvernement, je continue à resserrer les liens entre nos deux pays car avec Cécile Duflot, ministre à l’Égalité des territoires et du Logement en charge du Grand Paris, nous sommes attachés à un axe « Grand Paris-Grand Sarajevo ». Ces villes ont des particularités qui les rassemblent : à la croisée des chemins et des cultures, leur avenir en termes d’urbanisme et de vivre-ensemble se joue maintenant. Elles ont été des modèles de villes d’accueil et doivent retrouver ce rôle qui a participé à leur réussite et à leur rayonnement.

RGP// Pourquoi la France s’intéresserait plus à cette ville plutôt qu’à une autre ?FL// La France, au travers de sa réflexion sur le Grand Paris et sur l’avenir des villes, s’intéresse à de nombreuses capi-tales. Penser Grand Paris, c’est tisser les liens avec les grandes villes qui lui sont proches et qui sont aussi en train d’opérer des mutations. Je pense au Grand Madrid, au Grand Berlin, au Grand Londres, au Grand Milan ou au Grand Moscou... Nous devons raisonner dans un cadre plus large, européen, et créer des réseaux de métropoles qui se construiront ensemble. Sarajevo a besoin de sortir de l’ombre et deux ans avant les commémorations du centenaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, l’Europe doit l’ai-der à se réincarner en un lieu d’échanges et un symbole européen, et non l’enfer-mer dans l’horreur de l’Histoire. Venise a elle aussi besoin d’être aidée. Nous avons d’ailleurs souhaité créer un lien entre le Forum de Sarajevo et la Biennale d’ar-chitecture de Venise qui, je l’espère, sera effectif en 2014.

RGP// Quels bénéfices peut-on tirer de l’exemple de Sarajevo pour le Grand Paris ?FL// Sarajevo est au carrefour des civili-sations, le nœud entre l’Orient et l’Oc-cident. Elle est ce lieu d’échanges qui manque à l’Europe. Le Grand Paris peut prendre exemple de la vitalité que créent ces échanges, de l’innovation populaire en termes de vivre-ensemble, malgré les conditions hostiles et bloquantes dues aux accords de Dayton et à l’attentisme politique. Nous avons tous à apprendre de la manière dont les gens vivent et par-ticipent ensemble dans une ville ayant connu un conflit si violent.

RGP// Et en quoi la métropole franci-lienne peut-elle inspirer Sarajevo ?FL// Le Grand Paris est un sujet de débats exemplaires. Malgré des désaccords sur leur vision de la ville ou sur les modes de gouvernance, les acteurs – architectes, élus, citoyens, entreprises – s’emparent des questions posées et font vivre et évo-luer l’idée de métropole.

Sarajevo, lieu d’échanges et symbole européen

François Lamy, ministre délégué chargé de la Ville, a inauguré le 7 septembre 2012 la première édition du Forum mondial d’urbanisme de Sarajevo. Un projet dans lequel il s’est investi depuis son origine,

comme dans les relations d’amitié avec la Bosnie-Herzégovine.

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Paris peut inspirer Sarajevo sur la néces-sité pour les institutions et les pouvoirs publics de mettre en lumière et d’ac-compagner les discussions sur ces défis urbains, sociaux, environnementaux. Par exemple, les politiques de concerta-tion développées en France depuis la loi Vaillant de 2002 sont des expérimenta-tions à partager.

RGP// Il semble que Sarajevo ait misé sur la culture pour se reconstruire, est-ce un moteur suffisant ?FL// La culture est un outil fondamen-tal pour l’appréhension d’une ville, son devenir-capitale, la mise en relief de ses particularismes et la consolidation d’un sentiment d’appartenance. À Sarajevo, elle permet de construire les bases d’une unité nationale qui trouve encore très peu de façons de s’incarner. Mais elle n’a un poids stratégique que si elle est pensée de façon transversale avec les politiques urbaines, sociales et économiques.

RGP// Ars Aevi pourrait-il être un modèle déclinable pour le Grand Paris ?FL// Le projet Ars Aevi à Sarajevo est un exemple de cet esprit de créativité, de cette exigence de pensée propre à Sarajevo que nous avons voulu prolonger en créant cet outil de réflexion sur la ville qu’est le Forum mondial de l’Urbanisme. Fonder une collection d’art contemporain par le

biais d’expertises multiples, celles de dif-férents musées et collections d’Europe, sublime l’idée de multiculturalisme. Le Grand Paris doit s’inspirer de ce type d’initiative afin de cultiver une vision globale de la métropole.

RGP// Sarajevo se rebâtit sur son his-toire tragique. Ne craignez-vous pas que les métropoles modernes gomment cette valeur historique et ne perdent en authenticité ?FL// J’ai cette crainte, mais j’ai aussi la crainte inverse, à savoir la muséification des villes. Ces deux extrêmes mènent à la perte en authenticité. Comment res-pecter et faire valoir l’histoire d’une ville en évitant le repli sur son patri-moine et la création de frontières non écrites stigmatisantes ? Sarajevo et Paris sont concernées par ces problématiques et doivent y répondre en changeant d’échelle et de méthode.

RGP// Comment intégrer selon vous cette modernité dans le développement des grandes métropoles ?FL// Selon moi, la modernité d’une métropole s’incarne dans sa mixité, sa densité, sa mobilité et sa durabilité. Sur-tout, dans les espaces de liberté donnés par les pouvoirs publics et les urbanistes aux habitants, pour qu’ils s’emparent de tous ces sujets et construisent leur ville.

RGP// Le développement urbain doit-il à cet égard être toujours planifié ?FL// La planification est toujours néces-saire, pour éviter que des situations anar-chiques s’étendent et deviennent légion, bloquant toute tentative de rénovation urbaine. C’est là le problème de la nou-velle ville de Sarajevo. Mais il s’agit bien de réfléchir à la complexité de ces situa-tions, et à ce qu’elles ont pu aussi faire naître en termes d’innovation urbaine, de créativité et de co-construction.

RGP// Comment mettre en adéquation la demande locale à l'offre urbaine globale ?FL// Les villes de demain sont les endroits où se concentrent les plus grands défis, urbains, sociaux, environnementaux, et où l’on sent les effets les plus durs de la crise. Créer la ville durable, dense, reliée, doit permettre à tous les quartiers de retrouver toute leur modernité. Pen-ser et créer la ville du XXIe siècle doit se faire avec eux, en réglant les problèmes du quotidien et en ayant une vision de l’avenir. Il s’agit d’abord et avant tout de construire une ville mixte sociale-ment, fonctionnellement, économique-ment. Il y a une demande aujourd’hui de la part des habitants et des nouveaux arrivants. L’offre urbaine globale, c’est la mixité, en mettant au cœur la démocratie de proximité afin de faire participer tous les acteurs à la vie de leur cité. M

CITIESSarajevo, lieu d’échanges et symbole européen32//

François Lamy, ministre délégué chargé de la Ville // La création d'un centre mondial d'art contemporain, Ars Aevi, sous l’impulsion de Renzo Piano, devrait répondre à la tradition cosmopolite de Sarajevo, mise à mal par la guerre civile. Comme un symbole, l’architecte italien, avec

quelques partenaires privilégiés, a financé la construction d'un pont qui permet de relier le futur musée au centre-ville.

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Le Grand Paris mode d’emploiL’ouvrage encourage une réflexion sur la pertinence des décisions prises, même si tout paraît déjà établi. Jean-Pierre Orfeuil, professeur d’urbanisme et spécialiste des transports et Marc Wiel, directeur de l’agence d’urbanisme de Brest, aujourd’hui consultant et chercheur, réunissent constats et propositions sur les conséquences urbanistiques du Grand Paris Express.Trois étapes pour ce voyage dans le projet du « Grand Paris ».D’abord, les auteurs racontent la prise de décision autour du projet du Grand Paris. Au-delà des circonvolutions politiques, les auteurs pointent du doigt une évaluation très approximative, donc une potentielle dérive des coûts. J.P. Orfeuil détaille, ensuite, ses propositions sur la mobilité, en grande partie axées sur l’amélioration de l’existant. Avec une idée originale : une prime patronale pour les salariés qui marchent ou qui pédalent. Enfin, troisième étape, la métropole durable.Marc Wiel décortique la pensée urbanistique contemporaine dans ce domaine. Il y trouve un peu de paresse.

La dimension durable du Grand OuestNantes-Saint Nazaire affirme son intention de devenir une écométropole à double ambition sur des valeurs tendances : la cohésion sociale et l’environnement. Plusieurs auteurs – dont Laurent Davezies, professeur au CNAM, Jean-Marc Ayrault ou l’architecte Bernard Reichen, entre autres – développent leurs thèmes de réflexion sur une conciliation souhaitable de ces valeurs avec celles d’une métropole. Les tons diffèrent de la « maturation douce » qui coule le long d’un fleuve, au passage à l’acte culturel, social, touristique ou économique. Au bout il y a la mer qui donne à cet estuaire un sens politique et stratégique. Reste donc à innover pour la mise en œuvre de projets – comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes – qui ne manquent pas de dimensions, ni de retentissement médiatique.

| Estuaire Nantes-Saint Nazaire, écométropole mode d’emploi

| sous la direction d’Ariella Masboungi

| Éditions du MONITEUR

Liens utiles*les baseswww.societedugrandparis.frwww.ateliergrandparis.comwww.ville.gouv.frwww.parismetropole.frwww.villemondeviedequartier.comwww.iledefrance.fr

les référenceswww.francebenevolat.orgwww.sarajevo-urbanism-world-forum.orgwww.ibm.com/fr/frwinch5.blog.lemonde.frwww.msh-paris.frwww.europan-europe.comwww.charleval.frwww.emergence-asso.frwww.ville-limay.frwww.aurba.orgwww.antoinegrumbach.com

les agences d’urbanismewww.aurh.asso.frwww.aurbse.orgwww.aucame.frwww.audas.frwww.apur.orgwww.iau-idf.fr

les facs / les écoleswwww.univ-paris1.frwww.dauphine.frwww.college-de-france.frwww.ifu.univ-mlv.fr

À suiVRe...

*sélection non exhaustive et renouvelée à chaque édition.

La newsletter de la Société du Grand Paris. Pour s’inscrire www.societedugrandparis.fr

| Grand Paris : sortir des illusions, approfondir les ambitions

| par Jean-Pierre Orfeuil, Marc Wiel

| SCRINEO EDITIONS

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LEs ressources du Grand Paris

À suivre…