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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article « De l’Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne » Luciano Bozzini Santé mentale au Québec, vol. 11, n° 1, 1986, p. 133-148. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/030326ar DOI: 10.7202/030326ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 11 février 2017 08:57

De l Italie au Québec : implications de la réforme …Santé mentale au Québec, 1986, XI, 1, 133-148. De l'Italie au Québec: implications de la réforme psychiatrique italienne

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  • Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à

    Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected]

    Article

    « De l’Italie au Québec  : implications de la réforme psychiatrique italienne » Luciano BozziniSanté mentale au Québec, vol. 11, n° 1, 1986, p. 133-148.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/030326ar

    DOI: 10.7202/030326ar

    Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.

    Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

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  • Santé mentale au Québec, 1986, XI, 1, 133-148.

    De l'Italie au Québec:implications de la réforme

    psychiatrique italienne

    Luciano Bozzini*

    Cet article a deux objectifs. 1) Contribuer à mieux faire connaître la tant discutée réforme psychiatrique ita-lienne. 2) Proposer, pour réflexion, débat et action, un certain nombre d'implications que cette réforme soulèvepar rapport à la discussion actuelle sur la réorganisation des services de santé mentale au Québec. Sur le premierpoint, le message central des faits est le suivant: il y a moyen de faire une autre psychiatrie si société et interve-nants veulent se donner un tel projet. Sur le deuxième point, les principales conditions de succès d'une psychia-trie globale et désinstitutionnalisee apparaissent être les suivantes: des ressources suffisantes; une base aux mainslibres (décentralisation poussée de la décision et de l'organisation) mais responsable de l'intégration des servicessur un territoire; un patient travail sur la culture et le tissu social local; l'omniprésence (temps/espace) du servicesur le territoire; une réponse globale (et désinstitutionnalisee) aux besoins des patients; un travail d'équipe démo-cratique. Pas de miracles en Italie cependant: dans la société «refroidie» des années 80, la place est à l'expérimen-tation.

    Malgré l'intérêt qu'elle a suscité ces dernierstemps, la réforme psychiatrique italienne reste rela-tivement méconnue au Québec. On a surtoutentendu parler de l'expérience de Trieste, celle-ciayant acquis une notoriété internationale. L'expé-rience italienne de réforme des services psychiatri-ques est cependant beaucoup plus large que la seuleexpérience de Trieste. Le texte qui suit veut con-tribuer à la connaissance d'une réforme qui provo-que une large réflexion parmi intervenants etdécideurs en santé mentale. Le «voyage guidé enItalie» qui va suivre se déroulera en trois temps: Lapremière partie sera consacrée à une description de

    * Sociologue, Professeur agrégé, Département d'Administra-tion de la santé, Université de Montréal.Ce texte est le résultat d'une étude documentaire sur lesystème psychiatrique italien et d'un séjour d'un mois et demisur le terrain (septembre 1984 et juin 1985) pendant lequelj'eus la possibilité d'observer le fonctionnement concret d'uncertain nombre de services - à Rome, Pérouse, Bologne,Trieste - et d'interviewer un éventail de personnes: psychia-tres, autres intervenants, administrateurs, analystes, repré-sentants de malades. Cette étude a été effectuée pour lecompte et grâce à l'appui du Comité de la santé mentale duQuébec dans le cadre de l'Avis Sortir de l'asile? Des politi-ques et des pratiques en pays étrangers. (Eds. : Ellen Corin,Lise Tessier, Guy laine Séguin-Tremblay), Éditeur Officieldu Québec, juillet 1986. Le Fonds Jean-Yves-Rivard du Dé-partement d'Administration de la santé de l'Université de Mon-tréal a également contribué au soutien financier de cette étude.

    la nature et du contexte de la réforme, ainsi que dufonctionnement des services psychiatriques. Ladeuxième partie donnera une première évaluationdes résultats. Enfin, un certain nombre de réflexionspersonnelles sur les implications, pour le Québec,de l'expérience italienne seront livrées au débatpublic.

    LA RÉFORME PSYCHIATRIQUEET LE FONCTIONNEMENTDES SERVICES1

    La loi de 1978 et le contexte de la réformeLes caractéristiques centrales de cette loi peuvent

    être très schématiquement décrites comme suit: 1)Élimination totale à court terme de l'hôpital psychia-trique: aucun nouveau patient ne peut être admisà l'hôpital psychiatrique. L'admission volontaired'ex-patients est permise jusqu'au 31.12.81. 2)Création d'une structure particulière pour la dispen-sation des services: le «Service de Santé Mentale»,responsable de l'ensemble des services de santémentale sur un territoire. 3) Règles très élaboréespour la limitation maximum des traitements sani-taires obligatoires (cure fermée).

    On ne peut cependant comprendre le sens et lescaractéristiques de cette loi si on ignore les vicissi-

  • 134 Santé mentale au Québe<

    tudes historiques et la dynamique sociale dont elleest l'aboutissement. Pour ce qui est du troisièmepoint, il faut savoir que l'Italie partait de très loin.Avant 1978, la psychiatrie publique italienne étaitrégie par une loi de 1904 qui la subordonnait forte-ment au pouvoir judiciaire: traitement en cure fer-mée des malades dangereux; admissions ordinairesautorisées par magistrat et d'urgence autorisées parla police; après 30 jours, admission définitive con-firmée par le tribunal. Dans la pratique, presquetoutes les admissions étaient d'urgence et un bonnombre se transformaient en admissions à vie. Cen'est qu'en 1968 qu'une modification à la loi intro-duisit le concept d'admission volontaire, ce qui futun des éléments qui permirent aux psychiatresprogressistes2 de mettre en branle le processus dedésinstitutionnalisation.

    Quant aux deux premiers points, ils renvoient àun contexte beaucoup plus large: le paradigmescientifique et social sous-tendant la réforme, et lecontexte social dans lequel elle a été mise en branle.

    1. LE PARADIGME DE BASE

    II comporte trois principes: 1) le principe qu'afinde construire une psychiatrie communautaire réel-lement alternative à l'hôpital psychiatrique, celui-ci doit être entièrement éliminé. T) le principe qu'unCentre de santé mentale doit être la structure-pivotautour de laquelle tous les services gravitent. 3) leprincipe qu'une décentralisation radicale devraitcommander l'organisation de l'ensemble des servi-ces de santé (y compris les services psychiatriques).

    Uélimination de l'asileLe raisonnement sous-tendant le premier princi-

    pe peut être synthétisé comme suit. Premièrement,capitalisant sur les critiques anglosaxonnes de l'ins-titutionnalisation, les réformateurs italiens se croientautorisés à faire un pas de plus. Il est difficile sinonimpossible, croient-ils, de réformer les institutionspsychiatriques ségrégatives (réclusion plus ou moinsprolongée et plus ou moins chronique dans une ins-titution isolée). Même propres et modernes, ellestendent à être non thérapeutiques car elles ont ten-dance à objectifier la vie. Des catégories de patients,des types de diagnostic et de traitement, des lieuxde vie artificiels (lorsqu'ils ne sont pas carrémentlugubres) prennent la place des personnes réelles

    et de leur cadre de vie naturel. Les institutions sé-grégatives réduisent donc les possibilités de viedes êtres humains et, par l'impact tendantiellementnégatif qu'elles ont sur les professionnels, empê-chent l'interaction humaine authentique, comme lacondition première de la thérapie: elles n'ont pasleur place dans une psychiatrie communautairemoderne. Ce qui ne signifie pas que certaines fonc-tions de l'asile (Losson, 1981) ne doivent pas êtreprévues dans un système intégré de psychiatrie com-munautaire.

    Deuxièmement, les réformateurs italiens fontl'hypothèse que les arguments traditionnels enfaveur de l'existence de l'hôpital psychiatrique etde lits hospitaliers sont soit invalides ou suscepti-bles d'être mis en cause par des pratiques alternati-ves. Il n'est généralement pas vrai que le malademental est dangereux: l'aspect danger est largementle résultat de la manière dont les intervenants et lemilieu réagissent au malade; ce qui reste de dangerréel est infinitésimal et ne justifie pas la ségréga-tion de centaines de personnes. Il n'est pas vrai nonplus que la crise aiguë exige nécessairement l'hos-pitalisation (credo que les Italiens ont du resteimporté). Finalement, en se limitant à la schizo-phrénie comme la psychose la plus prévalente, leconsensus professionnel à l'effet qu'environ un tiersdes patients schizophréniques deviendront inévita-blement des «chroniques processuels» condamnésà la mort sociale, en asile ou hors-asile, est haute-ment discutable. Une approche alternative à la schi-zophrénie — précoce, suivie, hautement personna-lisée, soucieuse de l'ensemble écologique du patient— prouvera qu'on peut à la fois réduire le nombreet la gravité de la chronicité fonctionnelle et, ce quiy est lié, au moins la gravité de la chronicité de lapathologie. Un service thérapeutique et humain doitrefuser la notion de chronicité naturelle: la chroni-cité n'est un état ni stable ni à juger une fois pourtoutes comme plus ou moins handicapant. Le pos-tulat inverse conduit à sa confirmation: si l'étiquettechronique est appliquée, on laisse tomber les braset la chronicité empire.

    Troisièmement, le retard relatif3 du systèmepsychiatrique italien des années 1960-1970 par rap-port aux pays modernistes permit aux réformateursitaliens d'étudier les expériences étrangères dedésinstitutionnalisation. Ils en concluèrent que si onlaisse subsister l'hôpital psychiatrique comme der-

  • De l Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne 135

    nier recours, celui-ci aura tendance «naturellement»à se remplir à cause de la prophétie auto-confir-mante ci-dessus: les cas les plus lourds auront ten-dance à y être rejetés avec le risque de confirma-tion de la carrière chronicisante. Au moins lesexpériences américaines et françaises donnent ducrédit à l'hypothèse italienne4.

    L'idée de la psychiatrie de territoire5

    La deuxième caractéristique du paradigme italienest illustrée par le diagramme ci-dessous:

    TABLEAU 1

    Modèle idéal de la psychiatrie de territoire

    Bref, pour ce qui est du fonctionnement concretdes services, l'idée de base du «modèle italien» (ins-piré en ceci de la psychiatrie de secteur et des Com-munity Mental Health Centers américains) est que- théoriquement au moins - une structure-pivot, quiest en l'occurrence le Centre de Santé Mentale, estl'axe autour duquel tous les services sont organi-sés. Le Centre de santé mentale a la responsabilitétotale pour la fourniture, la coordination ou la sti-mulation de toute la réponse à toute la demande(toute = la demande/réponse biopsychosociale, voirplus loin): en ce sens, les besoins des patients etles réponses correspondantes ne doivent pas être

    fragmentés selon des catégories de besoins ou dessegmentations institutionnelles. En d'autres termes:la continuité sera la mieux atteinte si entre l'équipede base et le patient il n'y a pas d'interruption decourant, continu ou alternatif... Ce modèle tend àremettre en question par conséquent les concepts- sur-déterminés professionnellement et institution-nellement - de première, deuxième et troisième li-gnes. Il existe des phases dans la stratégie soignan-te mais celles-ci ne doivent pas être rigidifiées parles schémas professionnels et institutionnels: l'équi-pe de base suit le patient partout. Cela a l'avantagesupplémentaire que le case-mix de l'équipe de baseest varié par opposition à un modèle d'escalade oùle degré de burn-out et de «bad work» risque d'êtrecorrélé avec la lourdeur du case-mix (la flèche poin-tillée signifie que cette partie du modèle est la plusfaible, même dans les expériences avancées. Voirplus loin «Évaluation»).

    La décentralisation radicale

    Pour bien saisir cette caractéristique de base dusystème psychiatrique italien, il faut la situer à l'in-térieur de l'organisation générale des services desanté. De 1978 également date la loi créant le «Ser-vice Sanitaire National», loi qui a réorganisé - sousl'égide de l'État - l'ensemble des services de san-té. Le moyen institutionnel central de cette réfor-me est l'Unité Sanitaire Locale (U.S.L.), organede programmation et de gestion socio-sanitaire, quiplanifie/gère tous les services de santé (et une par-tie des services sociaux) pour un bassin de popula-tion donné (variant entre 50 000 et 200 000 h). Lebudget vient de la Région (niveau politico-administratif intermédiaire entre l'État central et lacommune), mais la nature et le mode de dispensa-tion des services sont décidés au plan local (à l'in-térieur d'orientations générales, nationales ou ré-gionales). Le territoire d'une U.S.L. peut être unecommune, une association de petites communes, unquartier ou plusieurs quartiers d'une ville ou unecombinaison de quartiers et de communes.L'U.S.L. comprend une instance administrativepermanente qui est cependant redevable à un Con-seil d'administration et à une Assemblée généralecomposée de citoyens (surtout de conseillers com-munaux) qui, en principe, décident des questionsmajeures (répartition des budgets, services à offrir,règlements-cadres, etc.).

  • 136 Santé mentale au Québec

    Le Service de santé mentale est ainsi un parmiles autres services gérés au plan local (service desactivités hospitalières, service des activités médi-cales, service social, etc.). Dans les petites U.S.L.,le Centre de santé mentale est tout un avec le Ser-vice de santé mentale; dans les U.S.L. plus éten-dues, où il y a plusieurs Centres de santé mentalesur le territoire, le «Service de santé mentale» estl'organe coordonnateur des différents centres.L'organisation du système de santé et de la psychia-trie est donc très décentralisée: chaque U.S.L. orga-nise ses services à sa manière. Chaque Centre desanté mentale organise ses services selon les besoinslocaux et selon ses orientations. C'est la richessedu système italien, et sa faiblesse aussi: le systèmede santé et la psychiatrie souffrent d'une absenceflagrante de planification et de péréquation des res-sources; les écarts de ressources entre U.S.L. ouentre Centres de santé peuvent être extrêmes.

    2. LE CONTEXTE SOCIAL DE LA RÉFORME

    L'idée de la fermeture de l'asile et d'une psychia-trie décentralisée ne sont pas le fruit du hasard, nide mesures administratives coulées d'en haut. Leprojet de dépassement de l'asile n'a pas été non plusle simple résultat d'une analyse sur papier (telle quedécrite ci-dessus): il constituait l'aboutissement, surle plan national, d'une longue histoire de luttes loca-les pour changer les pratiques psychiatriques.

    Entre 1963 et 1978, une douzaine environ d'expé-riences de désinstitutionnalisation furent initiées,surtout dans plusieurs villes du Nord et du Centre(Parme, Reggio Emilia, Ferrare, Trieste, Pérouse,Arezzo, en majorité des villes gouvernées par descoalitions de gauche, social-communistes) maisaussi au Sud (Naples). Les mieux réussies de cesexpériences avaient montré, dans la pratique, qu'ilétait possible de répondre à l'ensemble de la de-mande psychiatrique sur un territoire sans le sou-tien, en dernier recours, de l'asile (voir Ile partie,Évaluation). Bref, la réforme italienne est issue dela base: elle a été animée par les travailleurs de lasanté mentale, par ceux donc vivant quotidienne-ment et péniblement les aberrations de la «psychia-trie de contrôle», et donc motivée à chercher d'au-tres réponses. C'est ce qui fera la force du mouve-ment et ses succès malgré les difficultés. D'autrepart, le mouvement ne s'est pas cantonné (commedans certaines expériences d'autres pays) à des

    contre-institutions isolées, mais il est parti du sec-teur public en investissant des zones de plus en plusétendues de celui-ci.

    Finalement, pour les réformateurs italiens, «chan-ger la psychiatrie» ne sera jamais réductible à unetâche technique. Toute interrogation sur la psychia-trie ne peut pas ne pas être aussi une interrogationsur la société: sur le rejet social, sur les causes socia-les de la «souffrance»6 mentale. Dès lors, le mou-vement devait s'intégrer aux luttes sociales, cher-cher des alliances auprès des organisations offi-cielles porteuses de la lutte sociale (syndicats, par-tis politiques). Le mouvement italien n'a pas été unmouvement de «techniciens illuminés», séparé desgrandes contestations sociales qui ont marqué lesnations occidentales dans les années soixante etsoixante-dix. En fait, la lutte anti-asilaire s'est liéeet a bénéficié du momentum que les divers mouve-ments anti-institutionnels et contre la marginali-sation et la pathologie sociales (mouvement fémi-niste, mouvement en faveur des autonomies locales,défense de la santé des travailleurs, mouvementd'intégration des handicapés dans les écoles, mou-vement en faveur d'un système socio-sanitaire inté-gré et décentralisé) ont su créer dans la classedirigeante, dans la classe ouvrière et dans l'opinionpublique.

    Par ailleurs, remplacer la réclusion asilaire parune psychiatrie réellement communautaire ne peutpas ne pas être une affaire locale', le traitement dansla communauté de la «souffrance mentale» supposeà la fois un travail social avec l'ensemble des insti-tutions locales pour adapter les services aux réali-tés, ressources et besoins locaux et un travailculturel sur l'ensemble du tissu social. La nouvellepsychiatrie italienne - là où elle a réussi - ne s'estpas construite sans un long et patient travail sur laculture locale à travers mass-media, débats, expo-sitions, travail dans les écoles et les usines, etc.Bref, l'idée de décentralisation a été le résultat d'unlong débat social qui s'est déroulé à la fois dansl'arène psychiatrique et, plus largement, autour dela réorganisation de l'ensemble des services socio-sanitaires dans les années soixante-dix.

    Les caractéristiques idéalesde la psychiatrie de territoire

    Elles peuvent être synthétisées de la façonsuivante:

  • De l Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne 137

    — Fourniture ou coordination en continu de toutela réponse à toute la demande, c'est-à-dire: pas desélection et renvoi de patients, réponse globale àtous les besoins (thérapie, travail, logement, rela-tions familiales, loisirs, etc.), pas de morcellementni d'abandon du patient. La continuité est une con-dition fondamentale de la thérapie (la notion depatient «résistant, fuyant» est considérée comme uneidéologie professionnelle commode de tout servicequi ne met pas la continuité du contact comme unedes conditions de base de la stratégie thérapeutique).— Accessibilité maximum de l'offre: longues heu-res d'ouverture, (généralement 8h AM - 8h PM,6 jours-semaine), disponibilité sur les 24h, «outrea-ching» à domicile prononcé (composante quantita-tivement majeure du travail).— Action thérapeutique mettant un fort accent surla modification du contexte microsocial, sur lesbesoins concrets (matériels et psychologiques) del'individu, sur les possibilités de fonctionnementsocial - la psychothérapie sur le «monde interne»étant conçue comme un des éléments du processusthérapeutique.— Refus paradigmatique de la notion de chroniciténaturelle: la chronicité est en grande partie le résul-tat d'une prise en charge inadéquate.— Insertion sociale on favorise au maximumVinsertion-au-travail, même minime (garantie devie), en milieu naturel et taillée sur mesure. Mé-fiance envers l'insertion ghettoïsée (ateliers pro-tégés), ces derniers livrant aux patients un messageinvalidant. Moyen de ré-insertion-au-travail privi-légiée actuellement: les coopératives mixtes(patients, autres marginaux, chômeurs), en raisonde la crise économique mais aussi de la plus grandesouplesse permise (nombre d'heures négociablesindividuellement).— Centralité du travail d'équipe et des conditionsconcrètes de son fonctionnement: critique de la hié-rarchie, valorisation de chacun, les capacités prati-ques priment sur le diplôme (tendance à la polyva-lence), travail de groupe constant sur les cas, for-mation permanente, etc. Idée de la valence psycho-thérapeutique du groupe.— Travail en continu et en profondeur avec l'ensem-ble du tissu social (des institutions à la population):débats, actions conjointes avec les institutions etles mouvements sociaux, travail avec le systèmepolitico-administratif au plan local.

    — Flexibilité, pragmatisme local.Et alors? On pourrait opiner que ces principes

    d'une «bonne psychiatrie communautaire» ne sontpas différents de ceux qui sont pratiqués sous desformes et à des degrés divers, dans les diversesexpériences innovatrices - institutionnelles ou alter-natives - qui surgissent dans plusieurs pays occi-dentaux. Les réformateurs italiens, bien que fiersde leur travail, seraient les premiers à reconnaîtrecette internationalisation de l'innovation psychiatri-que. On pourrait en même temps soutenir que lapsychiatrie italienne possède une certaine origina-lité. D'une part, le modèle représente une synthèseoriginale des enseignements théoriques et pratiquesdes dernières décennies de la psychiatrie sociale.D'autre part, certaines des caractéristiques dumodèle reçoivent en Italie une attention plus éle-vée qu'en moyenne: l'accent mis sur la présencedu service, sur la continuité, sur la centralité du tra-vail d'équipe et de la motivation, sur le travail avecles diverses instances du tissu social. Il faut rappe-ler finalement que l'Italie est le seul pays occiden-tal où une façon différente de pratiquer la psychiatrie(sans l'appui de l'hospitalisation à moyen et longterme) est en train d'être étendue à l'ensemble d'unesociété: ceci est en soi une expérience à suivre.

    Mais, «est-ce ainsi que les hommes \ivent?» Il esthautement probable que la réalité s'écarte, à desdegrés divers d'un endroit à l'autre, du modèleidéal; écarts que seule une longue observation par-ticipante permettrait de préciser. Toutefois, lesdocuments publiés et les comptes rendus de diversobservateurs indiquent que, dans les «meilleureséquipes avancées» (une cinquantaine peut-être), lefonctionnement réel s'approche du modèle-idéal ci-dessus.

    ÉVALUATION DE LA RÉFORME

    La réforme italienne est donc en cours depuis septans. Il est impossible d'en faire, au plan national,une évaluation serrée car l'extrême diversité cultu-relle, sociologique et administrative du pays inter-dit qu'on puisse donner un tableau homogène detoute situation, dont celle des services psychia-triques.

    En schématisant à l'extrême, l'Italie des servicespsychiatriques peut être divisée en trois parties: lesrégions où la loi est appliquée dans son esprit et sa

  • 138 Santé mentale au Québec

    lettre (régions avancées, 10 à 20% du territoire),les régions où la loi est appliquée à moitié (certai-nes régions du Nord et du Centre), les régions oùla loi n'est pratiquement pas appliquée (surtout dansle Sud).

    L'évaluation sommaire7 ci-après se réfère auxexpériences avancées, celles qui avaient précédé laloi et celles où la loi a pu être appliquée. Même res-treinte à ces expériences cependant, cette évalua-tion doit être considérée comme préliminaire, cartoutes les données nécessaires à une évaluation défi-nitive ne sont pas disponibles et parce que, vu leurrelative diversité, une évaluation circonstancielle dechacune des expériences s'imposerait. Néanmoins,une première lecture des données quantitatives exis-tantes (Antonucci, 1983; Bonizzoni, 1983; Gianni-chedda, 1983; Martini et al., 1985; Massignan,1984; Zimmermann-Tansella et al., 1985), des faitsconnus sinon quantifiés, des opinions des différentsacteurs ou experts, des compte rendus de diversobservateurs étrangers (Legrand, 1983; Mosher,1983; Ramon, 1983, 1985; Jones-Poletti, 1986) -permet de poser un premier jugement qui reste àconfirmer par des recherches plus systématiques.

    Évaluation sommaire

    RÉSULTATS DE LA DÉSINSTITUTIONNALISATION

    — Les expériences d'Arezzo, Parme, Pérouse,Vérone, Trieste, etc., montrent que la vaste majo-rité des lits de l'asile peut être fermée lorsqu'exis-tent la volonté et les ressources nécessaires. Un petitnombre de lits (10 à 20%) pour patients «âgés, irré-cupérables», disparaîtront avec le temps.— La désinstitutionnalisation peut être réalisée sansabandon dès lors que tel est le projet du service,et avec une augmentation visible de la qualité-de-vie de la majorité des ex-institutionnalisés.8

    NOUVEAUX PATIENTS PSYCHOTIQUES

    — Hospitalisation:• Long terme: pas de données. Bien que cela

    devra être confirmé par des recherches évaluatives(en cours), il n'y a pas de raison de refuser a priorila prétention systématique des équipes avancées àl'effet que l'hospitalisation à plus ou moins longterme est infinitésimale.9

    • Court terme: partout où le Centre assure uneprise en charge globale et continue, les réadmissionset les longueurs de séjour sont sensiblement rédui-

    tes par comparaison à la situation traditionnelle. Les«Services de Diagnostic et de Cure» sont cependant,pour diverses raisons, le maillon le plus faible duréseau. À bien des endroits, le S.D.C. joue sansdoute la fonction de «porte tournante» proportion-nellement à la qualité de la prise en charge territo-riale. Autres raisons du malfonctionnement desS.D.C. : c'est là que s'est réfugiée la psychiatrie tra-ditionnelle (hostile ou dépassée par les événements)à quoi s'ajoute, parfois, l'omission d'encadrementde la part du leadership territorial accaparé par letravail sur le territoire (pénurie de ressources).

    — Chronicité, qualité-de-vieL'absence d'abandon est verifiable partout. Il n'ya pas d'indication que la violence a augmenté.10 Onconsidère que l'amélioration du fonctionnementsocial est majeure: des recherches systématiquesrestent à faire pour vérifier l'hypothèse de travailque la «chronicité schizophrénique» peut être sen-siblement comprimée.

    — Qualité-des-soins, pharmacologiePlusieurs observateurs ont noté des caractéristiques«visibles» de la qualité-des-soins: accessibilité infor-melle, soins humanisés, soutien professionnel et sti-mulation de l'entraide, préoccupation constante avecl'évolution du patient. Les soins globaux et conti-nus permettent une réduction drastique de la phar-macologie (à confirmer par des recherches systé-matiques)11. La réduction et l'autogestion des mé-dicaments sont considérés comme un objectif ma-jeur de la thérapie.

    — Relations avec les familles et la communautéLe soutien aux familles est hautement développé:

    nombre élevé de visites à domicile, disponibilitéconstante, travail éducatif sur la famille. Les nou-veaux psychiatres italiens ne prétendent pas quel'acceptation des malades est plus élevée en Italiequ'ailleurs: la présence du service toutefois sécu-rise la population.

    — MotivationIci aussi, il n'y a pas de recherches systémati-

    ques au sens nord-américain du terme. Pourtant,plusieurs observateurs ont noté l'existence d'undegré élevé de motivation et d'un effort conscientde garder haut le niveau de satisfaction (à traversla considération de chacun et le soutien collectif).Dans les équipes avancées, le burn-out sembleinconnu.

  • De l Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne 139

    Cette évaluation préliminaire de la nouvellepsychiatrie italienne devra certes être confirmée pardes recherches plus systématiques. Néanmoins, unfait général est là pour l'observation: partout où dessoins psychiatriques globaux sont disponibles, onarrive à fonctionner avec un besoin très réduit d'hos-pitalisation de toutes sortes (court et long terme),sans abandon ni sedation excessive, avec des suc-cès thérapeutiques au sens large plus élevés. Cesrésultats ne sont du reste pas surprenants: ils sontcohérents avec ceux des diverses expériences depointe dans divers pays occidentaux (Lamontagne,Lavoie, Tessier, 1985). Les réformateurs italiensont simplement considéré que ces expériences pou-vaient être poussées à leur extrême logique et éten-dues à l'ensemble d'un pays12.

    UN REGARD RAPIDE À LA SITUATION NATIONALE

    La situation dans l'ensemble du pays n'est pasaussi encourageante que celle des expériences avan-cées. Dans les régions plus sous-développées (unebonne partie du Sud et d'autres régions conserva-trices), les réformateurs doivent surmonter un défiimpossible: appliquer une réforme psychiatriqueavancée dans un contexte relativement arriéré (cul-turellement, institutionnellement, médicalement) et,surtout, en l'absence de ressources adéquates.

    Dans les régions intermédiaires (qui incluent laplus grande partie du Nord et du Centre et quelques-unes des grandes villes comme Gênes et Turin), leschoses bougent en dépit de grosses difficultés (duessurtout à la pénurie de ressources en période de criseéconomique). Dans ces régions, la réforme pro-gresse à des vitesses variées: le nombre de lits hos-pitaliers baisse régulièrement et les services alter-natifs augmentent régulièrement, ces derniers étantindubitablement de qualité différente selon les si-tuations locales.

    DE L'ITALIE AU QUÉBEC:QUELQUES ÉLÉMENTS DERÉFLEXION

    Un voyageur italien de passage confiait: «Entrel'Italie et l'Amérique du Nord, il y a l'océan».C'était une façon d'exprimer en termes physiquesune distance qui, à l'âge de l'avion à réaction, estd'abord sociale et culturelle. La réforme psychia-trique italienne s'est faite et se construit aujourd'hui

    dans un contexte politique, social et culturel trèsspécifique qui interdit, à la lumière des déconve-nues de 1'import-export de soft-ware culturel, qu'onimporte même des parties du modèle sans examenattentif13.

    Ceci dit, les pages qui suivent sont une élabora-tion de l'idée que la réforme italienne peut contri-buer quelque chose à la réflexion sur la réorgani-sation au Québec des services psychiatriques. Quepeut-on donc apprendre de l'expérience italienne?

    Une autre manière de travaillerOn peut se demander si ce n'est pas ici que réside

    la leçon majeure et la plus exportable - toutes adap-tations étant faites - de la psychiatrie à l'italienne.Il a été dit plus haut que si le modèle italien res-semble globalement à ce qu'on pourrait nommer la«bonne psychiatrie communautaire», certaines ca-ractéristiques ont fait l'objet en Italie d'un appro-fondissement particulier. C'est sur celles-ci qu'ilconvient d'insister.

    1. LA NOTION DE TERRITOIRE

    L'équation proposée «psychiatrie de territoire» =«psychiatrie communautaire» est valable en pre-mière approximation. Encore faut-il clarifier cequ'est le territoire et en quoi cette notion peut ali-menter la réflexion. Utiliser le mot «territoire» estune façon d'insister sur deux choses. Sur le fait qu'àun territoire, c'est-à-dire à un bassin de population,correspond du côté de la structure-pivot qu'est leCentre de santé mentale, une responsabilité totaleà la fois pour toute la demande émergeant sur leterritoire comme pour la coordination et l'intégra-tion de tous les éléments de l'offre de services for-mels et de soutiens informels; que ce soit sur le plande la prévention, du traitement ou de la réadapta-tion — maintien dans la communauté.

    La responsabilité totale signifie que le Centre doitfaire siens les problèmes de santé mentale du terri-toire, pas en les gérant tous nécessairement maisen y jouant toujours des rôles-clé: de consultation,de coordination, d'intégration, de mobilisation so-ciale et politique, etc. La responsabilité totale si-gnifie également que le Centre s'impose l'absoluenon-sélection de la demande et s'interdit le ren-voi du bénéficiaire à d'autres instances profes-sionnelles et bureaucratiques sans la participationdu Centre. S'il y a nécessité d'une main accompa-

  • 140 Santé mentale au Québec

    gnante — au sens littéral puisque le travail à l'exté-rieur des bureaux est une composante majeure desactivités — le Centre répond «Présent!».

    Faire du territoire signifie, en deuxième lieu,aller sur le terrain physiquement et socialement.Socialement, vingt années d'expérience démontrentqu'une condition primordiale de la mise en placed'un réseau différent de gestion professionnelle etsociale de l'handicap mental, est la disponibilité etla volonté des intervenants à travailler en continusur le tissu social, de la culture à l'ensemble desinstitutions locales (écoles, usines, organismessociaux et politiques, administrations, mass-média,etc.). Faire du territoire signifie également allerphysiquement sur le terrain, ce qui a deux consé-quences positives. La confirmation incessante pourles intervenants que le travail en santé mentale estautant travail sur le contexte que sur le souffrant.La confirmation pour la population que les inter-venants en santé mentale ne sont pas des techniciensétrangers et abstraits qui concoctent en vase clos desstratégies thérapeutiques plus ou moins compréhen-sibles mais des êtres de chair et d'os réalistes, préoc-cupés, présents, donc sécurisants (on reviendra unpeu plus loin sur ce point). À un psychiatre québé-cois qui demandait comment en Italie les psychia-tres réussissaient à s'intégrer dans le tissu social,il fut répondu: ce n'est pas facile à faire, mais c'estsimple. Il faut aller, précisément, sur le territoire...

    2. UNE PSYCHIATRIE GLOBALE ET CONTINUE

    La globalité et la continuité sont poursuivies surun autre plan: celui du contenu des interventionset des manières de répondre aux besoins du patientindividuel. On a vu que lorsque d'autres institutionssont appelées à intervenir dans la vie du patient, lamain accompagnante du Centre est la garantie dela continuité et de la cohérence de ces interventions.Il y a deux postulats derrière ce qui peut apparaîtrecomme un rôle hégémonique du Centre. Le premierest que la liaison équilibre psychologique et besoinssociaux ne peut pas être défaite. La loi d'airain est:on ne délègue pas le social pas plus qu 'on ne lepsychiatrise. Autrement dit, on ne fournit pas uneréponse strictement psychiatrique (qu'elle soit phar-macologique, de l'ordre de la psychothérapie indi-viduelle ou du contrôle social à travers lasurveillance ouverte ou masquée) à des besoins quise cumulent la plupart du temps avec le besoin

    psychiatrique strict: besoin de logement, de travail,d'une ambiance familiale favorable, de sociabilité,etc.

    Le deuxième — en particulier dans le cas despsychoses mais pas uniquement — est qu'il n'y apas de possibilités de travail psychothérapeutiqueau sens ambitieux du terme sans l'optimisation préa-lable ou simultanée du contexte microsocial dupatient, sans qu'on ait répondu d'abord aux besoinsde fonctionnement quotidien du patient et de sonentourage. On pense à Maslow... Au fond, la ques-tion à laquelle on essaie de répondre est «Qu'est-ceque la thérapie?» Parmi les équipes avancées en Ita-lie, un important débat fait rage actuellement entreceux qui sont sceptiques envers les techniquespsychothérapeutiques «individualisantes» (soupçon-nées d'inefficacité, de privatiser les problèmes col-lectifs et comportant le danger de négligence de lademande lourde) et ceux qui reprochent aux pre-miers leur scepticisme. Indépendamment de leurattitude envers les psychothérapies, les deux grou-pes partagent cependant, à des degrés divers, unpréjugé favorable envers l'importance — commeélément de la stratégie thérapeutique générale —d'actions thérapeutiques qu'on pourrait, en simpli-fiant, synthétiser comme suit: réponses aux besoinsconcrets de l'individu et de son entourage (en agis-sant, le cas échéant, surtout sur des choses exter-nes au patient); réponses tendues vers l'avenir, versla stimulation des habiletés et des capacités dupatient, vers l'offre de possibilités de vie alternati-ves (par opposition uniquement à l'attention aupassé, aux symptômes, au travail verbal ou autresur les problèmes internes de l'individu14).

    Qu'est-ce que la psychothérapie donc? Quelle dif-férence y a-t-il entre une psychothérapie de soutien(intra-muros et duale) et des actions de soutien(extra-muros et collectives) sur les besoins concretsdes patients — pas sur le plan ontologique, il va desoi, mais sur le plan de leur valence psycho-thérapeutique? Bref, on est convié à méditer l'idéeque la Vie est thérapeutique et que psychothérapieau sens traditionnel et réponse aux besoins concretsdu patient ne peuvent être scindés: les deux doiventêtre intégrés dans un projet unitaire qui est le pro-jet thérapeutique global, d'où l'importance de l'inté-gration, de la cohérence, de la continuité desdiverses interventions.

  • De l'Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne 141

    On comprend mieux maintenant les remarquesprécédentes à l'effet que la notion de responsabi-lité territoriale à travers la structure-pivot du Cen-tre — ajoutée à la notion de psychiatrie globale etcontinue — implique la négation de tout modèle rigi-dement étage, professionnalisé et fragmenté d'inter-vention. Dans un modèle de psychiatrie globale etcontinue les frontières professionnelles et institu-tionnelles doivent être réduites au minimum, et êtreextrêmement souples lorsqu'elles existent. L'insti-tué — professionnel et institutionnel — ne doit pascommander la nature et le mode de la réponse, maisau contraire se plier aux besoins concrets, hic etnunc, du patient et de l'entourage.

    Une remarque sur la notion de désinstitutionna-lisation est ici de rigueur. La désinstitutionnalisa-tion ne consiste pas uniquement dans la réductionmaximum des institutions ségrégatives. Le défi ulté-rieur d'une psychiatrie réellement thérapeutique ethumaine est la lutte contre toutes formes de répon-ses professionnelles et institutionnelles rigides,objectifiantes, extérieures aux besoins des person-nes. L'institution est la forme que prend touteréponse lorsqu'elle devient rituel institutionnel outechnique, d'où l'examen critique des «techniques»psychothérapeutiques. Désinstitutionnaliser donc,c'est plus que dé-hospitaliser (en abandonnant lepatient), ce n'est pas non plus transporter l'institu-tion sur le territoire, c'est l'effort quotidien d'éten-dre au territoire un projet d'interaction humaineauthentique et inséré dans le social, condition d'unprojet réellement psychothérapeutique...

    3. AVANT ÉTAIT L'OFFRE, ENSUITE VIENT LADEMANDE ET LA CULTURE

    On a vu que l'accessibilité de l'offre de servicesest une des caractéristiques importantes de la psy-chiatrie de territoire. Elle répond à l'idée qu'il nepeut y avoir de psychiatrie globale et continue sansoffre de soins omniprésente dans le temps (24h00sur 24 idéalement) et dans / 'espace (partout sur leterritoire). La raison en est bien simple: le besoinde services du patient, de son entourage, de la com-munauté ne suit pas les horaires classiques de jouret ne peut pas toujours s'exprimer dans les bureauxdes intervenants. On ne peut répondre de façon con-tinue, flexible, rapide à tous les besoins que si onest là ou disposé à se déplacer sur le terrain. Parailleurs, l'accessibilité est promue en maximisant

    les rapports informels entre Centre, équipe et usa-gers: accessibilité sans rendez-vous, libre circula-tion des patients dans les Centres, etc.

    C'est cette accessibilité au sens large qui permetà l'équipe de travailler sur le passage du besoin àla demande: c'est l'intervention rapide à domicile(ou ailleurs dans la communauté) qui empêche, par-fois le déclenchement, toujours la détérioration dela crise/situation. C'est cette disponibilité qui sécu-rise, éduque et soutient la famille (lorsque la coha-bitation est possible). Plus globalement, seule cetteomniprésence de l'offre de services permet que soitmodifiée la culture publique sur l'handicap mental.

    Lorsqu'il est question de désinstitutionnalisationau Québec, on entend couramment parler de l'im-maturité de la culture populaire, de la difficultéde désinstitutionnaliser sans que préalablement le ni-veau de tolérance de la population ait été augmenté.On insiste beaucoup sur les caractéristiques de lademande et du contexte. Sur ce point, les réforma-teurs italiens tiennent un discours simple15 mais cru-cial. Si la demande psychiatrique et la culture (latolérance, l'acceptation) sur la maladie mentale fontdu sur place, c'est que l'absence d'une offre alter-native interdit qu'on puisse les modifier. De St-François d'Assise à Giacomo Casanova (pour pren-dre deux exemples extrêmes)... L'Italie a la ré-putation d'une terre à miracles. Dans le champpsychiatrique, pas de miracles: la tolérance, et sur-tout l'acceptation charitable de l'handicapé mental,n'est sans doute pas plus élevée qu'ailleurs. La.pré-sence rapide et ubiquitaire du service cependant,dans un premier temps, sécurise la population etaugmente le seuil de quiétude, donc de tolérance.Dans un deuxième temps, des indications existentque le travail quotidien du service dans les milieuxde vie contribue à créer autour de l'handicapé desattitudes de solidarité16. En Ontario, on fait con-fiance aux campagnes de mass-media afin de modi-fier la culture sur l'handicap mental. Les réforma-teurs italiens proposent, pour réflexion, une hypo-thèse alternative ou complémentaire...

    4. LA VALENCE THÉRAPEUTIQUE DU GROUPE

    La psychiatrie italienne avancée se caractériseaussi par la centralité du travail d'équipe et, avecdes variations selon les endroits, par une fortecharge déprofessionnalisante, démocratique. C'estle psychiatre qui va par exemple avec le patient au

  • 142 Santé mentale au Québec

    stade de football17 ou à la mairie si l'équipe a jugéque de tels gestes par telle personne pourraientreprésenter la meilleure indication thérapeutique.Par ailleurs, le travail d'équipe, la contribution dechacun au programme thérapeutique, les compéten-ces pratiques (indépendamment du diplôme), sontsystématiquement valorisés.

    Ceci ne signifie pas qu'il n'y ait pas de divisiondu travail: on a laissé tomber la mode soixante-huitarde de l'intervenant unique. Certaines tâchessont effectuées généralement par certaines catégo-ries professionnelles: le psychiatre prescrit et estsurtout mobilisé pour les cas urgents; l'infirmier dis-tribue les médicaments et travaille beaucoup à do-micile; le travailleur social s'occupe des droits etbénéfices sociaux des patients. Dans les équipes oùse développent les psychothérapies, celles-ci sonteffectuées par ceux formés pour les faire (ce quipeut inclure des infirmiers).

    Au-delà de certaines tâches cependant, la ten-dance est à «tout le monde peut faire tout dans lamesure de ses compétences»: les capacités pratiquespriment sur le diplôme, et la formation permanentesur le tas, adaptée aux exigences des nouvelles tâ-ches de la psychiatrie de territoire, est un des sou-cis majeurs des équipes. Il faut insister: divisionn'implique pas hiérarchisation. Il arrive que lepsychiatre-psychanalyste fasse une visite à domi-cile (économiquement non rentable) non pas parceque sa présence est nécessaire, mais parce que per-sonne d'autre est disponible. Par ailleurs, aux yeuxdes membres inférieurs de l'équipe, cela démontreque ce geste a sa propre importance thérapeutique.

    Plusieurs raisons sont sous-jacentes à la centra-lité du travail d'équipe. Elle découle d'abord néces-sairement du paradigme thérapeutique général: carla valeur de l'action thérapeutique réside dans lacohérence et le tonus motivationnel des diversesréponses aux besoins biopsychosociaux variés del'individu. En deuxième lieu, on postule que lemonopole du bon geste, ou de la bonne idée théra-peutique ne réside pas dans un rôle professionnelspécifique, de sorte que les discussions d'équipe surles cas sont un des moments importants du travail.La meilleure stratégie à un moment donné est celledécoulant de la mise en commun des observationset des solutions.18

    Finalement, le travail d'équipe et la valorisationde chacun sont jugés fortement instrumentaux dans

    le partage de l'anxiété devant les difficultés et lesdécisions à prendre, comme dans le soutien de lamotivation. Bref, au-delà de la qualité des relationsthérapeutiques duales, on accorde une importanceextrême à la valence thérapeutique du groupe entier,d'autant plus que les interventions se font souventen groupe (travail en couple pour les visites à domi-cile, contacts collectifs informels à l'intérieur desCentres).

    En résumé: travail assidu et intégré sur le terri-toire, importance de l'omniprésence de l'offre deservices, importance d'une intervention globale etunitaire sur tous les besoins du patient, importancedu travail d'équipe — telles apparaissent être lescaractéristiques majeures de la psychiatrie de terri-toire à l'italienne. On comprendra aussi pourquoiil fut question en début de section de caractéristi-ques importables: il s'agit là, au demeurant, de prin-cipes théoriques qui ont valeur transculturelle. Ons'interrogera dans la prochaine section sur quelquesconditions de leur adaptation réussie au Québec.

    De quelques conditions du succès

    1. UNE BASE AUX MAINS LIBRES

    On apprend de l'expérience italienne que ladésinstitutionnalisation et la construction de la nou-velle psychiatrie de territoire est un processus longet ardu (15 ans à Trieste, 20 ans à Pérouse et cen'est pas fini) impliquant la lente préparation despatients, des familles, des professionnels, des admi-nistrateurs et de la communauté à un mode alterna-tif de gestion de la maladie mentale. Cela secomprend aisément: l'entreprise est de taille, elleest risquée, elle est tâtonnante, elle implique de lapart de tous un changement radical d'attitudes et derôles.

    La désinstitutionnalisation ne peut donc être qu'unlong processus social et non pas une mesure admi-nistrative aux effets rapides. De plus, il s'agit d'unprocessus qui doit éminemment s'adapter au con-texte local (attitudes des intervenants, attitudes dela communauté, ressources disponibles, etc.), d'unprocessus créateur, et d'un processus qui doit êtrefondé sur la participation, le consensus des inter-venants (ou d'une majorité) à un changement radi-cal de rôles. La désinstitutionnalisation exige doncune décentralisation maximum de la décision. Seuleune base aux mains libres peut réaliser un tel pro-

  • De l'Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne 143

    jet. Ceci ramène à la discussion sur le territoire.On pourrait dire qu'il faut avoir les mains librespour faire une psychiatrie de territoire créative, res-ponsable, intégrée. Qu'est-ce que cela peut biensignifier au Québec?

    Le vocable décentralisation est en l'air depuis laréforme Castonguay. Aux dires de plusieurs obser-vateurs cependant, il n'a pas encore réellement lespieds sur terre. Le discours décentralisateur s'em-balle à la mesure de la crise de l'État-Providenceet de celle de la technobureaucratie centralisatrice,mais dans les faits les réformes à intention décen-tralisatrice des dernières années sont timides etaboutissent apparemment, selon plusieurs observa-teurs (Godbout, 1985; Jalbert, 1985) beaucoupplus à la «participation encadrée», au contrôlecybernético-bureaucratique du local où, dans les ter-mes de Godbout (1985), «le local est devenu, soitle dernier échelon du central, soit son lieu d'inter-vention, composé non pas de communautés dyna-miques et de citoyens actifs, mais de bénéficiaires,d'usagers, d'«affectés» par le système central.» Enparlant d'une perversion qui menace, à des degrésdivers, le réseau des C.L.S.C, Godbout ajoute:

    «Voilà où conduit le modèle implicite de rela-tion avec le local qui s'est implanté avec la mon-tée du professionnalisme dans les institutionspubliques. Ce modèle est fondé sur la participa-tion (et non sur la démocratie), sur l'abondancedes ressources centrales, abondance telle quel'organisme se referme sur lui-même, et pensen'avoir aucun besoin des citoyens qui se trans-forment en bénéficiaires, en lieu d'intervention,en objet passif dont on définit les vrais besoinsauxquels ils n'ont qu'à «répondre». Le C.L.S.C.n'a aucun compte à rendre, contrairement ausystème municipal, et contrairement même aucuré qui a des comptes à rendre aux marguil-liers.» (Godbout, 1985, 128)

    Le modèle italien de psychiatrie de territoire inter-pelle le Québec à ce point précis du questionnementtrès actuel des relations entre le central et le local.L'hypothèse qui est proposée pour réflexion est queseules une décentralisation poussée de la décisionet des manières de faire et une territorialisation del'organisation des services permettent de répondresimultanément aux exigences d'adaptation, d'inté-gration de toutes les ressources sur le territoire, de

    travail avec les diverses instances locales (munici-pales, scolaires, etc.).

    La notion de territorialisation de l'organisationde services soulève par ailleurs deux types de diffi-cultés. D'un côté, il faut concilier la notion de res-ponsabilité pour un territoire (un secteur) avec lanotion de libre choix du patient, dont on sait qu'elleconstitue actuellement un des obstacles à la politi-que de sectorisation. Il faut noter ici que pas plusau Québec qu'en Italie (et ailleurs), le modèle duterritoire lie rigidement la clientèle à l'offre: on peutse faire soigner en-dehors du territoire. Cependant,l'expérience montre que l'action en continu sur leterritoire tend à rendre marginaux ces phénomènesd'autant plus qu'avec le temps la psychiatrie glo-bale de territoire démontre à la population qu'elleconstitue bien la seule réponse humaine et théra-peutique à la souffrance mentale. Ceci n'exclut pasque certains Centres pourront avoir des effets cen-tripètes à cause de la qualité de leurs services. Sion admet par ailleurs qu'une psychiatrie commu-nautaire doit réellement être intégrée avec l'en-semble de la vie sociale d'un territoire donné, laquestion du libre choix devient purement légalisteet abstraite, même si le dépassement éventuel de cedroit et de ce stéréotype culturel exigera du travailà la fois sur la demande comme sur le problème dela qualité des soins. Il faut trouver une réponse àla possibilité de qualité différentielle des servicesà travers par exemple la communication intersec-teurs, le partage des expériences et des difficultés,l'émulation réciproque. Est-ce impossible?

    La deuxième difficulté est plus vaste. Dans la con-ception du territoire psychiatrique dont il est ques-tion ici, le territoire n'est pas simplement un secteurgéographique: idéalement, il correspond k l'instancesociale locale, à ce fameux tissu social sous ses dif-férentes formes — niveau politico-administratif,niveau de l'associationnisme local, niveau du ter-ritoire scolaire, niveau de l'organisation culturelle— là où des citoyens actifs sont conviés maintenantà construire leur vie sociale et leurs réponses à leursbesoins. La réflexion québécoise actuelle sur lapsychiatrie communautaire pourrait bien être un desmultiplicateurs privilégiés de la réflexion généralesur la nécessité de revitaliser le local. En termespratiques, toutes les portes sont ouvertes. Une solu-tion minimum consisterait à décentraliser au maxi-mum l'organisation et la gestion des ressources au

  • 144 Santé mentale au Québec

    niveau des intervenants responsables d'un secteurde population. Cette solution questionnerait déjàcette partie du fonctionnement actuel caractériséepar des phénomènes de fragmentation, de bureau-cratisation, par d'impossibles efforts de coordon-ner l'incoordonnable quand les coordonnateurs sonttrop loin des réponses à donner aux besoins et quandle besoin exige intégration et non pas simple coor-dination...

    Au-delà de cette décentralisation minimum —condition sine qua non d'une réelle psychiatrie com-munautaire — des solutions additionnelles ou plusambitieuses sont envisageables comme l'homogé-néisation des territoires des différents organismeslocaux (secteurs psychiatrique et pédopsychiatri-ques, secteurs scolaires, C.L.S.C, secteurs de ser-vices sociaux, frontières municipales à la rigueur).Plus loin encore, on peut examiner l'hypothèse ita-lienne dans son entier: la liaison services psychia-triques (et de santé) avec les organismes politico-administratifs locaux... Mais cela, c'est l'Histoireà faire...

    2. UN NIVEAU ÉLEVÉ DE MOTIVATION

    Implicite dans la discussion précédente est l'idéeque seule une base aux mains libres peut sécréterla motivation nécessaire à un travail patient, ardu,constamment créateur, thérapeutique en bout deligne. La preuve empirique, s'il en fallait une autre!,que les possibilités d'action de la base nourrissentla motivation est du reste fournie par l'évolution dela réforme en Italie: il y a actuellement un essouf-flement de la motivation dû, entre autres, à certai-nes tendances bureaucratisantes et au fait que lespossibilités d'action des intervenants ont été rédui-tes (restriction des ressources). Un niveau élevé demotivation est bien la deuxième condition du succès.

    On ne peut l'affirmer hors de tout doute, maisplusieurs observateurs étrangers des servicespsychiatriques italiens ont eu l'impression de cons-tater un niveau élevé de motivation, d'allant, de con-viction... Si telle est bien la situation dans lesmeilleures équipes, à quoi est-elle due et quepouvons-nous en apprendre? Il y a un deuxièmeingrédient derrière la motivation, c'est la prioritéaccordée au travail d'équipe démocratique. On avu combien un travail d'équipe intensif et démo-cratique est considéré comme central, garant qu'ilest à la fois de la cohérence du projet thérapeuti-

    que, de la valorisation de chacun, de la sécuritédevant l'anxiété et les difficultés, tout ceci soute-nant le tonus motivationnel.

    3. DÉMOCRATIE, LEADERSHIP, FORMATION

    Toute la question est alors de savoir ce qu'est untravail démocratique en psychiatrie communautaireet les rapports qu'une telle notion entretient avecle leadership professionnel et légal, et la formation.

    Il se définit le mieux par rapport au type idéalopposé, le travail d'équipe non démocratique. Celui-ci peut être décrit succinctement de la façon sui-vante: juxtaposition d'actes professionnels autono-mes, (c.a.d. somme non intégrée de compétencestechniques abstraites) et valorisation différentielle— explicite ou implicite — des activités, dont lesindicateurs les plus clairs sont l'autorité hiérarchi-que, l'importance du diplôme, une liaison rigidetâches-diplômes et les avantages statutaires (salai-res, horaires, etc.). L'expression «parallélisme dis-ciplinaire» (Brunet/Vinet, 1979) augmentée del'épithète «hiérarchisé» convient bien à cette réalité.On a vu que l'équipe multidisciplinaire démocrati-que est précisément l'inverse: valorisation de tousles gestes, priorité de la compétence pratique surle diplôme technique, participation égalitaire auxdiscussions, recherche du consensus, formation per-manente sur le tas, leadership fluide.

    Justement, qui est le leader dans tout cela? Léga-lement, c'est le psychiatre qui est responsable. Maisle recours à la responsabilité légale ou à l'autoritédu diplôme ne sont que très rarement les critèresd'imposition d'une décision. Presque toujours, ladécision est consensuelle ce qui ne signifie pas quetout le monde a le même poids: les psychiatres etpsychologues tendent certainement à dominer leprocessus décisionnel au niveau du projet thérapeu-tique en même temps que c'est la pertinence et nonle diplôme qui force l'écoute.

    À divers endroits (dans le secteur public, dans lesressources alternatives) du réseau psychiatrique qué-bécois, il existe apparemment encore (même dansles années quatre-vingt) un certain nombre d'équi-pes dont le fonctionnement se rapproche du modèleintégré et démocratique. Il n'est pas rare en mêmetemps qu'on entende et lise sur les dysfonctionne-ments et les conflits d'équipe, en particulier entrepsychiatres et psychologues... On en connaît dureste largement les raisons. 1) La culture et les pra-

  • De l'Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne 145

    tiques «professionnalisantes»: création de zones spé-cialisées (exclusives ou délégables) d'interventionavec rituels incommunicables (donc ségrégatifs);idolâtrie du diplôme; distillation, dans les annéesde formation et par la suite, d'une culture hautaine,hiérarchisante. 2) L'encapsulement des intervenantsdans des lignes administratives disjointes. 3) Uneperversion de la fonction syndicale réduite (pourplusieurs raisons) à du «bumping» bureaucratiqueau lieu de la participation responsable. 4) Le replinaturel des intervenants, devant les difficultés, dansdivers interstices plus confortables. Etc.

    La dégradation ou la fragilité des rapports inter-professionnels au Québec ne sont du reste pas par-ticulières à la psychiatrie. Ce sont peut-être lesservices psychiatriques cependant — eux qui ne peu-vent échapper à la multidisciplinarité intégrée — quien ressentent le plus fortement les effets. Par ail-leurs, le diagnostic sur ce thème apparaît suffisam-ment avancé pour que l'on passe à la recherche etla mise-sur-pied des solutions...

    Le problème de la formation mérite égalementquelques commentaires. On entend couramment auQuébec des lamentations sur les lacunes de la for-mation actuelle en psychiatrie communautaire. Enmême temps, l'idéologie professionnalisante (en-couragée par l'idéologie scientiste) promeut la thè-se que plus de diplômes, plus de formation univer-sitaire est la voie royale pour le perfectionnementtechnique et le renforcement de l'identité des diversparamédicaux. Est-on bien sûr?

    Les réformateurs italiens proposent 1 hypothèseque le nouveau lieu de l'intervention, le territoire,a des conséquences importantes sur le lieu de la for-mation. Ce qui est en cause, ce sont les nouvellesaptitudes requises pour tous les intervenants (dansl'optique d'une certaine polyvalence favorable à undiscours et à une pratique intégrés) dans le cadrede la psychiatrie de territoire. Il faut certes qu'unebonne partie des intervenants soit formée aux tech-niques psychothérapeutiques classiques, mais celaest insuffisant: si celles-ci doivent devenir «héréti-ques» (voir note 14) dans le cadre d'un servicepublic, la formation doit se pencher sur cet aspect.Si la psychanalyse comme méthode est utile pourle traitement de la schizophrénie, comment ses tech-niques peuvent-elles être adaptées pour une utilisa-tion dans le cadre d'un service public qui ne

    sélectionne pas? Se pourrait-il que la réponse doiveêtre cherchée ailleurs qu'à l'Institut ou qu'à l'Uni-versité? À titre d'exemple: en-deça du luxe d'uneanalyse personnelle (pour un infirmier «sain»), quedoit-on lui apprendre et comment de la psychanalysepour enrichir et rendre son travail plus efficace avecdes psychotiques?

    D'autre part, la formation doit être adaptée auxnouvelles situations qu'il faut affronter dans le nou-veau lieu de travail: la rencontre avec la souffranceà sa naissance, la crise aiguë, l'impact avec le con-texte social. Les intervenants doivent apprendre unéventail de réponses nouvelles en symbiose avec lavie quotidienne, y compris la réponse qui consisteà travailler sur la demande (de médicalisation, dedépendance, de protection). Au-delà des habiletésrelationnelles et psychothérapeutiques, il faut en-suite conceptualiser les nouvelles habiletés requi-ses et mettre sur pied les programmes de formationcorrespondants. Il peut s'agir de formation au tra-vail communautaire, à l'action politique, au travaild'équipe, à la programmation et à la vérification col-lective des objectifs et des procédures, etc. Dansce contexte, le territoire doit être un lieu important,sinon le lieu principal de la formation. Hypothèseà méditer.

    4. LA NÉCESSITÉ D'EXPÉRIMENTER

    On a vu que la réforme psychiatrique italiennea été l'aboutissement de quinze années d'expérimen-tations diverses et de débats professionnels et cul-turels sur ces expériences. Par ailleurs, au-delàde certaines caractéristiques déjà mentionnées (laliberté d'action des réformateurs), elle a été ren-due possible en vertu d'un contexte favorable trèsprécis: 1) L'existence d'un paradigme d'action sim-ple (la lutte anti-asilaire) porté à la base par un lea-dership professionnel investi d'une mission et ausommet par un mouvement professionnel uni etdynamique (Psichiatria Democratica). 2) Une cer-taine réceptivité idéologique du tissu social et de laculture (les années 1965-1978 sont celles de la con-testation, de l'anti-autoritarisme, de la lutte à la mar-ginalisation, de l'utopie de la bonne société, del'égalitarisme professionnel). 3) Des ressources suf-fisantes. Ce contexte a changé et explique pourquoiaujourd'hui la réforme est «grippée» même si sa pro-gression continue.

  • 146 Santé mentale au Québec

    D'une part, la psychiatrie sociale est traversée parune crise paradigmatique et le mouvement social parune crise d'identité. Crises qui ont des raisons com-plexes qu'on peut, en simplifiant, réduire à deux.D'un côté, le modèle original très sociologisant dela psychiatrie est ébranlé par la montée en forced'une psychiatrie plus technique (biologique etpsychologisante). D'un autre côté, le paradigmesimple de la lutte anti-asilaire ne suffit plus, nicomme mot d'ordre unifiant, ni dans la construc-tion de la nouvelle psychiatrie de territoire qui s'a-vère peut-être plus complexe que prévue et quisecrète une grande diversification dans les appro-ches. Il semblerait que les réformateurs italiensinaugurent une troisième phase — (première phase:négation de l'asile dans les expériences avancées;deuxième phase: la tentative de nationaliser la lutteanti-asilaire) — une phase qu'on pourrait qualifierd'expérimentation scientifique de la psychiatrie deterritoire: expérimentation de nouveaux modèlesd'intervention, recherches sur les pratiques, analysedes échecs, etc. La psychiatrie «politisée et polé-mique» des années soixante-dix fait place à la pru-dence, au réalisme, à une attitude plus expéri-mentale.

    D'autre part, le contexte idéologique et socio-politique a changé: on est à l'heure de l'après-socialisme. Les forces politiques de gauche — lea-dership et base — et la population en général sontprudentes avec les utopies généreuses. On est à l'èrede l'analyse coûts-bénéfices: on compte ses chro-niques et ses sous...

    Par ailleurs, l'absence de ressources pour lapsychiatrie de territoire (ressources physiques et depersonnel) suite à la crise économique est la raisonprincipale des lenteurs et difficultés que subit actuel-lement la réforme. Bref, on en est plus à l'époqueglorieuse et unifiante du dépassement de l'asile...Le mot d'ordre de la désinstitutionnalisation au senslarge guide la réflexion et l'action mais, dans uncontexte social et culturel moins fertile et plus com-plexe, Vexpérimentation est la seule issue...

    Cette situation est transportable au Québec. Lecontexte idéologique a changé ici aussi. L'heuren'est ni aux grandes utopies généreuses, ni auxmodèles rationnels infaillibles. Les capacités cul-turelles d'intégration de la déviance doivent êtrevérifiées et travaillées. La crise paradigmatique dela psychiatrie est naturellement internationale: la

    voie royale d'une psychiatrie globale sans difficul-tés et échecs n'est pas connue. Quant aux ressour-ces, il faut faire plus avec moins comme on dit.

    Bref, la boucle est bouclée. L'expérimentationexige une base aux mains libres, mais celle-ci nepourra faire à moins qu'expérimenter sur tous lesplans. Aussi parce que beaucoup de choses bougentmaintenant au Québec dans le secteur de la santémentale. Les patients et leurs porte-paroles se rebif-fent; les intervenants semblent prêts — survie ethygiène mentale obligent — à reprendre le flambeaude la psychiatrie communautaire; les C.L.S.C.méditent une opportunité et une responsabilité; lespsychiatres voudraient bien ne pas perdre plusieurstrains, l'Express-Biologisant et le Rapide Écologi-que; les professionnels butent contre les dégâts duprofessionnalisme; le problème de la formation estouvert, comme celui de la psychiatrie à l'acte; legouvernement en appelle aux ressources alternati-ves, au bénévolat et à la base... Il ne reste qu'à tra-vailler.

    Que l'on regarde en Italie ou ailleurs dans lesexpériences-témoin, on retrouve une certaine con-vergence dans le modèle scientifique et social gé-néral qui peut informer la construction de la nou-velle psychiatrie. Mais, précisément, c'est à chaqueéquipe de la construire, de l'expérimenter patiem-ment, proche d'elle-même et de la population qu'elledoit servir. Il n'y a pas de recettes miracles, ita-liennes ou autres. Il n'y a peut-être rien d'autre quela lente accumulation des petits miracles de tous lesjours...

    NOTES1. Les 1ère et Hé parties de ce texte seront traitées, pour des

    raisons d'espace, de façon très schématique. Pour plus dedétails (sur d'autres aspects aussi), le lecteur est renvoyé àl'Avis précité.

    2. Dans la suite de ce texte, on utilisera comme termes équiva-lents (et sans l'utilisation de guillements) les expressions:«psychiatres progressistes», «psychiatres de territoire»,«psychiatres sociaux», «réformateurs», «équipes avancées»pour dénoter, par rapport à la psychiatrie hospitalière tradi-tionnelle, les psychiatres/équipes impliqués dans la construc-tion de la nouvelle «psychiatrie de territoire», ce terme étantl'équivalent italien de l'expression psychiatrie communau-taire au Québec.

    3. Au quadruple plan des techniques psychiatriques, de l'enca-drement législatif, du mouvement de désinstitutionnalisationet de la qualité des services.

  • De l Italie au Québec : implications de la réforme psychiatrique italienne

    4. Il y avait en France en 1981 approximativement autant delits psychiatriques qu'en 1960, en dépit donc de vingt annéesde psychiatrie de secteur (Castel, 1981).

    5. Expression italienne pour psychiatrie communautaire.6. Sur la notion de «maladie mentale», il n'existe pas en Italie,

    comme ailleurs, de consensus facile. Une chose est certaine:la nouvelle psychiatrie de territoire — avec son impact veri-fiable sur les tableaux cliniques — va amener un long débatsur ce sujet.Sans entrer ici dans de longs développements qui dépasse-raient le cadre de ce texte, on peut schématiser comme suitune tendance de fond au sein de la psychiatrie sociale ita-lienne. Le lecteur étranger notera que dans les textes italiens,le vocable «souffrance» est aussi fréquent, sinon plus, quecelui de maladie. Ce n'est pas un hasard: ceci reflète unetendance de fond des psychiatres sociaux à se méfier de lamédicalisation des «mal-aises mentaux», et de la rigidifica-tion nosographique. Au début, le mouvement réformateuravait plus ou moins fait sien le slogan de Basaglia: «La mala-die mentale, nous ne savons pas ce que c'est tant que — endésinstitutionnalisant — nous ne l'aurons pas purifiée descroûtes qui la recouvrent. En attendant, il faut la mettre entreparenthèses.» Aujourd'hui, on constate (comme on s'y atten-dait) que, sans asile, la «maladie/souffrance» mentale reste.Mais d'une part, on continue de constater quotidiennementson imbrication avec la misère sociale et psychologique: d'oùune certaine réticence à l'utilisation du terme «maladie» avectoutes ses connotations réelles ou potentielles (nécessité del'intervention pharmacologique, fatalisme, etc.). D'autre part,la pratique quotidienne démontre aussi que le type d'inter-vention (en particulier l'intervention biopsychosociale inté-grée) modifie largement les tableaux cliniques classiques etles rend constamment fluides: d'où la méfiance envers tou-te codification rigide. Finalement, un symptôme/ syndromevarie, dans ses conséquences fonctionnelles, selon les indi-vidus, le contexte et surtout le mode de prise en charge: ily a des schizophrènes qui mènent une vie entièrement nor-male. La question de la définition de la maladie mentale restedonc ouverte.

    7. Pour une évaluation plus détaillée, le lecteur est renvoyé àl'Avis du C.S.M.Q. précité (L'expérience de l'Italie, chap.III).

    8. Parmi les patients désinstitutionnalisés, certains ont réinté-gré leur famille; d'autres travaillent à temps plein; d'autrestravaillent à temps partiel et mènent une vie autonome; mêmeles moins «fonctionnels» ont récupéré, dans des appartementsde groupe ou des communautés thérapeutiques, un minimumd'autonomie et de «subjectivité».Inversement, dans les régions où la «dés-hospitalisation» n'estpas accompagnée d'un projet alternatif sérieux, les cliniquesprivées suppléent à une prise en charge déficiente.

    9. Les Centres savent ce qui arrive à leurs patients: l'hospitali-sation sur le territoire et hors-territoire est connue en vertude mécanismes de remboursement et parce que, dans des vil-les moyennes, tout se sait.

    10. Il n'y a pas d'indications de transinstitutionnalisation dansles hôpitaux judiciaires (Daga 1985). Par contre, là où il ya abandon, on suspecte des phénomènes de transinstitution-nalisation dans les prisons ordinaires. De la même manière,des données non publiées en Émilie-Romagne montrent quele taux de suicide augmente lorsque le service laisse lespatients à découvert.

    11. Dans le cas d'un Centre, le taux de médication en périodede crise serait, selon des visiteurs nord-américains, inférieurde deux-tiers à la pratique nord-américaine.

    12. Une brève allusion aux articles iconoclastes de Jones-Poletti(1985, 1986) est ici nécessaire. Le caractère non scientifi-que, biaisé, hautain du premier article a déjà été dénoncédans le British Journal of Psychiatry. Dans leur deuxièmetexte, les auteures sont un peu plus modérées. Une réponseexhaustive à ces compte rendus exigerait un article en soi.

    13. À titre illustratif: 1) On a vu que la réforme italienne a étéconstruite dans les années chaudes et dorées des utopies géné-reuses et socialisantes. Même en Italie, le «refroidissement»actuel de la société n'est pas sans conditionner l'évolutionde la réforme. 2) La famille — en particulier en dehors desmétropoles — est une institution de soutien-clé à la psychia-trie de territoire. La famille au Québec ne peut jouer lesmêmes fonctions de la même manière. Etc., etc.

    14. À l'intérieur du mouvement réformateur, le débat sur lespsychothérapies occupe maintenant le devant de la scène: danscertaines expériences avancées, on travaille à une importa-tion/greffe «critique et créative» des méthodes/techniquespsychothérapeutiques. Les psychiatres italiens distinguent laméthode (le paradigme) de la technique: beaucoup d'entreeux sont ouverts aux apports des méthodes, des paradigmes(psychanalyse, théorie systémique etc.) sans prendre pouracquis que les techniques thérapeutiques dérivées (le divan,le colloque singulier etc.) soient nécessairement bonnes. Laraison en est simple: ces techniques sont toutes ou presquedérivées de la pratique privée sur une clientèle super-sélectionnée. Cette situation est radicalement différente decelle d'un service psychiatrique public dont le rôle est derépondre à toute la demande, en particulier la plus lourde.Dans ce contexte, il s'agit de rien de moins que de créer les«techniques de territoire»: éliminer les techniques classiquesinutiles, en adapter d'autres, en créer de nouvelles. Unpsychiatre me disait: «Oui aux techniques, à condition qu'ellesdeviennent hérétiques».

    15.11 est bien connu qu'on oublie souvent les vérités les plussimples. La littérature nord-américaine sur la psychiatrie foi-sonne de recherches et de discours du genre: «Si donc lepatient était moins résistant/si donc il ne fuguait pas et pre-nait gentiment ses pilules/si donc son père n'avait pas buautant/si donc sa schizophrénie n'était pas autant «proces-suelle»/si donc sa famille et le milieu ne le rejetaient pas,etc.». On parle beaucoup des caractéristiques de la demandeet du contexte. Les réformateurs italiens proposent — aumoins pour équilibrer un peu les choses — de renverser lavapeur: changeons l'offre et observons ce qui se passe auniveau de la demande et du contexte.

    16. Quelques exemples à portée symbolique 1) II n'est pas rareque le psychiatre italien («H Dottore», avec l'ascendant quece titre comporte en Italie comme ailleurs) travaille à l'exté-rieur: dans les bars, sur le lieu de travail, au stade de foot-ball, etc. 2) À Trieste, n'importe quel citoyen a un accèstéléphonique au chef-psychiatre dès qu'un incident surgit;dans cette même ville, on dit des patients «Ghè se un' deBasaglia»: «c'est un de Basaglia», phrase symbolique —témoin de la présence du service. 3) Sur le plan de l'aug-mentation de la solidarité, le service arrive parfois — aprèsune patiente présence — à enrôler la voisine de palier dansle soutien social ou psychiatrique.

    17. L'épisode est réel. Autre exemple, un psychiatre italien peutpasser trois heures d'affilée à domicile pour régler des pro-blèmes suscités par une crise ou autre chose.

    18. J'ai pu vérifier ceci dans quelques réunions d'équipe sur lescas auxquelles j 'ai assisté. Au-delà du fait que chacun a ten-dance à y donner son point de vue, on observe deux choses:le leadership de la discussion tend à être fluide et rarement

  • 148 Santé mentale au Québec

    on ne procède autrement que par consensus. À titre d'exem-ples: j 'ai vu dans une réunion un infirmier proposer et faireaccepter, dans le cas d'un jeune schizophrène à tendancealcoolique, que le groupe arrête, à titre d'essai, la pharma-cothérapie et travaille à ce que le patient diminue sa con-sommation de café et d'alcool. Dans un autre cas, leleadership d'une longue discussion était dans les mains d'unesociologue (avec dix ans d'expérience de terrain) et non dupsychiatre théoriquement responsable du cas.

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    SUMMARYThis article has two aims: 1) to help in the understanding of

    the much discussed Italian reform in psychiatry. 2) to offer forreview, discussion or action, a certain number of implicationsuncovered by this reform with regard to the ongoing discussionson the reorganization of Mental Health Services in Quebec. Onthe first aim, the key message is as follows: it is possible to createanother psychiatry if society in general and those actually par-ticipating really want such a project. On the second aim, the mainconditions of success for a global and deinstitutionalizedpsychiatry seem to be as follows: Sufficient resources, freedomto develop policies (a deep decentralisation of the decision makingprocess and the organization) that are central to the integrationof the services in a given territory; a dedicated study of the cultureand the local social live; a continuous presence (intime and space)of the service in the territory; a total response (and deinstitu-tionalization) to the patient's needs; a democratic team work.However, there are no miracles in Italy; in the cooled down socie-ty of the 80's there is room for experimentation.