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Nabila Ben Mabrouk DE LA PERCEPTION DU BESOIN A LA REALITE DE LA RENCONTRE DEFA 2007 APPRO PRH Organisme de formation : ARFATSEMA

DE LA PERCEPTION DU BESOIN A LA REALITE DE LA RENCONTRE · 3 Chapitre 1 Une population au centre d’une dynamique Lorsque je suis arrivée sur le quartier de la Guillotière, dans

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Nabila Ben Mabrouk

DE LA PERCEPTION DU BESOIN A LA REALITE DE LA RENCONTRE

DEFA 2007 APPRO PRH Organisme de formation : ARFATSEMA

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SOMMAIRE Introduction ………………………………………………………………………………….p.1 Chapitre I - Une population au centre d’une dynamique…………………………….……....p.3 I - Le quartier Moncey…………………………………………………………….....p.4 A - Une histoire liée à celle de l’immigration…………………………….….p.4 B - La place du Pont, un espace public investit par les hommes………….….p.4 C - Un projet urbain : des familles qui se sentent de trop……………………p.5 II - La Maison Pour Tous………………………………………………………….....p.6 A - Un lieu d’accueil perçu comme inaccessible malgré des tarifs modérés...p.6 B - Un public qui se précarise………………………………………………..p.6 III - Une implication partenariale inscrite dans le souhait d’une accessibilité à tous..p.7 A - L’existence d’un dispositif d’aide………………………………………..p.7 B - Résistance permanente des familles et sentiment d’impuissance

des acteurs……………………………………………………………………p.7 C - Un refus inexpliqué de l’aide qui interroge…....…………………………p.8 Chapitre II - Intégrer un dispositif social : le risque d’une assignation identitaire……….….p.9 I - La population de Moncey, cible de l’intervention sociale…………………....….p.10 A - Le dispositif, une approche catégorisante………………………………p.10 B - La catégorisation sociale, un processus participant à la

construction identitaire………………………………..………………….…p.10 C - L’influence des représentations sociales…………………………….….p.11 II - Le projet migratoire : l’espoir d’une ascension sociale……………………....…p.13 A - La migration : une rupture douloureuse………………..…………….....p.13 B - Le phénomène migratoire : une légitimation reposant sur l’illusion d’une présence-absence provisoire……………………….………p.13 C - Plus que la prestation, la recherche d’un accueil………………….…….p.14 III - Le travail social : une approche qui pointe les manques………………………p.15 A - Les représentations de la relation d’aide…………………………....…..p.16 B - L’illusion d’une réparation : le modèle de la mère dévouée……………p.16 C - Le deuil de la position idéale………………………………………....…p.17 . Chapitre III - la réalité de la rencontre interculturelle : une remise en question des pratiques professionnelles…………………………………………………….p.19 I - le travail social vécu comme une forme de domination………………….…...…p.19 A - L’immigration : l’illusion d’une neutralité politique…………………...p.19 B - Une société uniformisée : un modèle inadapté………………….…...….p.20 C - Le travail social : un rapport inégalitaire……………………….……….p.21 II - La migration : une identité mise à mal…………………………….……………p.22

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A - Des rôles modifiés………………………………..……………………..p.22 B - La nostalgie : l’illusion d’avoir une place…………….………………...p.23 C - Un modèle traditionnel souhaité par les parents………….……………..p.25 III - L’approche interculturelle : une perspective du travail social…….…………...p.26 A - Des pratiques bousculées………………………...……………………..p.26 B - Une prise en compte de l’autre qui ne va pas de soi……………………p.27 C - La médiation interculturelle : une nouvelle orientation du

travail social……………………………………………………….……...…p.28 Conclusion………………………………………………………………………………….p.30 Bibliographie

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Introduction

La diversité culturelle est une caractéristique de la société moderne. Qu’on la craigne ou qu’on la souhaite, qu’on l’aborde du point de vue d’un problème social ou d’une richesse, elle questionne et interroge les pratiques. Le champ du travail social est traversé par cette réalité. D’une part, les nouvelles logiques du travail social s’orientent vers la mise en réseau de professionnels aux pratiques différentes parfois émergentes. D’autre part, c’est à ce champ qu’a été confiée la responsabilité de l’intégration jugée insuffisante des populations immigrées.

Malgré les dispositifs sociaux qui se sont succédés élaborés à partir de besoins identifiés, force est de constater que le public ciblé ne répond pas toujours présent ou pas là où on l’attend. De nombreux travailleurs sociaux s’interrogent sur ce décalage. En relation directe avec les familles, ils se retrouvent confrontés à leurs insatisfactions, leurs revendications, leur absence.

Le migrant n’est pas le seul à témoigner d’une culture, le travailleur social n’est ni

culturellement neutre, ni situé en dehors des rapports sociaux. De part ses appartenances diverses (nationale, religieuse, régionale, classe sociale, catégorie professionnelle, et rattachement institutionnel), le travailleur social a intériorisé une culture, des sous cultures, des représentations qui vont le définir et orienter ses rapports sociaux. Pris en étau entre des politiques publiques sur lesquelles ils n’ont pas de prise et un public qui leur renvoie une déception quant aux réponses apportées, les travailleurs sociaux font part d’un malaise. Participation, implication, intégration ou à défaut démission, désertion, exclusion sont des termes communément utilisés comme objectif ou constat d’échec par les élus et les professionnels.

Impulsée, parfois imposée, la rencontre avec l’autre différent de soi, la prise en compte de ses particularités, la reconnaissance de ses compétences, de sa légitimité font appel à des processus complexes et ne se décrètent pas. Elle impose de connaître et de reconnaître les différences dans un objectif de complémentarité des compétences et des pratiques. Il s’agit de s’ouvrir à d’autres exigences, d’autres représentations, d’autres analyses.

Mon expérience depuis une dizaine d’année me montre que toute intention d’aide ne décrète pas pour autant une présence, une participation, voire une implication des familles issues de l’immigration y compris à l’égard de leur enfant dans le cadre des activités ou plus largement des pratiques éducatives proposées.

C’est dans cette réalité passée et actuelle que je fais le choix d’inscrire ma problématique et de la développer sous un aspect différent, mettant volontairement à l’écart les questions rattachées généralement à une logique administrative, procédurière, financière liée en elle-même à une logique de dispositif "de fait "

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Je la pose donc de la manière suivante : En quoi l’intervention sociale dans un quartier populaire, auprès de familles en

situation de migration, peut-elle paradoxalement activer leur résistance à entrer ou rester dans les dispositifs dont ils sont la cible? Après avoir, dans la première partie, présenté le contexte dans lequel s’inscrit ma problématique, des pistes de compréhension s’ouvrent vers deux hypothèses que je développerais dans les parties 2 et 3.

L’approche du travail social s’appuie sur une catégorisation et pointe les manques. Tentant d’accéder à une identité sociale positive en migrant, un public approché du point de vue des problèmes qu’il pose peut choisir de ne pas être acteur de cette mise en scène et avoir la volonté de remettre en question voire d’aller à l’encontre de la représentation que l’on a de lui. Cette première hypothèse s’appuiera sur une approche sociologique de la notion de représentations sociales et de l’influence de la catégorisation dans la construction identitaire. Elle s’appuiera également sur une approche plus psychologique des réponses que les institutions mettent inconsciemment en place pour réparer un « public carencé » La deuxième hypothèse tient compte d’un contexte qui peut nous échapper dans l’immédiateté. L’intervention sociale a une finalité éducative allant dans le sens du progrès. Cette approche peut induire une relation inégalitaire privilégiant le savoir professionnel qui vient réactiver, chez les familles algériennes, un vécu de domination encore douloureux. Nous aborderons la notion de rencontre de la différence culturelle, et la notion d’interculturalité comme des processus nécessitant un investissement réciproque.

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Chapitre 1 Une population au centre d’une dynamique

Lorsque je suis arrivée sur le quartier de la Guillotière, dans la partie Ouest du 3ème arrondissement de Lyon, il y a 5 ans en tant que professionnelle, j’ai senti très vite qu’il allait susciter ma curiosité. J’avais des souvenirs de courses effrénées avec ma mère dans les divers commerces typiques qui lui permettait de nous restituer tous les parfums et toutes les saveurs d’un pays qui lui paraissait parfois si lointain. Je la suivais quelque peu impressionnée par l’animation, le mouvement incessant, les langages inconnus, la diversité des produits et des cultures, la multitude des senteurs, la vivacité des robes brillantes et colorées, exposées dans les vitrines. Je devinais chez elle, un plaisir à user de sa langue maternelle qu’elle se forçait à peu utiliser avec ses enfants car elle ne souhaitait pas perturber leur scolarité dont elle était fière. Elle respirait, elle écoutait, elle s’imprégnait de cette ambiance qui lui semblait si familière. S’il lui arrivait de croiser une connaissance, elle s’empressait de lui demander des nouvelles de la famille, des amies laissées en Tunisie et du climat (Il était curieux pour moi d’entendre très souvent mon entourage s’inquiéter du temps qu’il faisait là-bas, comme pour s’imaginer au plus près les scènes de la vie quotidienne) Le quartier Moncey a conservé la même ambiance et représente encore aujourd’hui un repère important et fort pour de nombreuses familles en situation de migration.

« Par sa situation centrale, son statut historique de porte d’accueil des populations étrangères dans la ville, son état de chantier permanent, le quartier Moncey offre un bel exemple de site stratégique, susceptible de nourrir une réflexion d’agglomération »1. I. Le quartier Moncey

A. Une histoire liée à celle de l’immigration

Le quartier Moncey, situé au cœur de la Guillotière, révèle une tradition d’accueil des héritiers des vagues d’exode rurale et d’immigrations représentatives de l’histoire sociale et urbaine française.

Sous la III° République (1871-1940), ce sont les apports des populations coloniales qui enrichissent le quartier. Les populations d’Afrique du Nord, mais aussi indochinoises se sont greffées sur les populations déjà établies.

Suite à la seconde guerre mondiale, le caractère maghrébin du quartier se renforce. En effet, l’installation de nombreux commerces algériens accentue l’influence méditerranéenne de ce quartier du centre-ville de Lyon.

Aujourd’hui, le triangle Moncey est peuplé d’environ 80% d’algériens, originaires de Sétif, ville du nord de l’Algérie. Le reste de la population est composé de tunisiens, de marocains, d’immigrés italiens ou espagnols de deuxième ou de troisième génération, d’arméniens et d’étudiants à la recherche de logements à des prix abordables.

1 L’agglomération lyonnaise en perspectives, l’exemple du quartier Moncey, les cahiers millénaire 3, n°14, Lyon 2000.

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B. La Place Du Pont : un espace public investi par les hommes

La Place des Hommes Debout appelée également Place du Pont est célèbre au-delà de la mer Méditerranée. C’est un lieu de Palabre pour les hommes maghrébins de toute l’agglomération se retrouvant pour se donner des nouvelles. Ceux qui reviennent d’un voyage aux pays deviennent des messagers, représentant un lien avec les siens laissés dans le pays d’origine. Ceux qui s’apprêtent à partir sont chargés de quelques présents à remettre à la famille. Cette place constitue un lieu d’échange, de paroles, dans lequel la tradition orale marquant la culture maghrébo-musulmane, prend tout son ampleur. L’investissement important de l’espace public laisse perplexes les personnes peu habituées à ce flux permanent et peut développer chez eux un sentiment d’insécurité. « Plus ils prenaient possession des lieux, plus croissait la stigmatisation à leur égard. C’est leur visibilité qui nourrit les discours sécuritaires, hygiénique ou tout simplement raciste »2

La place du Pont, est apparentée pour certains à un espace en marge par ses pratiques et ses codes.

C. Un projet urbain : des familles qui se sentent de trop

Proche du centre ville, ce quartier a toujours été l’objet d’enjeux politiques. Stigmatisé, il suscite admiration, crainte, curiosité. La ville de Lyon a à cœur d’améliorer l’image de ce quartier et l’a inscrit comme objectif du projet de quartier.

A cette fin, un projet urbain est engagé.

Lorsque l’on échange avec les familles sur leurs conditions de vie, elles font souvent état d’un sentiment de rejet. Elles ont l’impression de ne pas être importantes. Elles traduisent cela par des exemples concrets : le projet d’urbanisation qui a enclavé le quartier et provoqué des expulsions, le mobilier urbain non entretenu et dégradé, les ordures qui ne sont pas régulièrement enlevées, les éclairages publics pas remplacés et plongeant certaines rues dans le noir. « On dirait qu’on est des sauvages » me dit un père de famille.

Les familles affirment pourtant leur désir de rester et leur attachement fort à ce qui représente pour elles un repère indispensable à leur équilibre. Elles ont le sentiment que tout est mis en œuvre pour qu’elles s’en aillent

Les projets de réhabilitation engagés depuis quelques années visent à améliorer l’image de ce quartier, à favoriser la mixité en faisant venir de nouvelles familles.

Même si ce projet est indispensable, il semble inquiéter les familles déjà installées pour certaines depuis près de soixante ans. L’idée d’envisager une nouvelle « migration » est pour elles insupportable.

Monsieur M., engagé dans la vie de son quartier m’a fait part un jour, au bord d’un

trottoir, d’un sentiment de trahison « on nous a dis de nous exprimer et ça a été un piège. Bien sur ils veulent améliorer, mais on a pas l’impression que c’est pour nous. Nous on nous dit d’aller habiter ailleurs pour plus qu’on nous voit. Là on est trop visible. » 2 Azouz Begag , Place du Pont ou la médina de Lyon, , Paris, Autrement, 1997, p34-35

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Malgré la concertation mise en place et un besoin réel d’amélioration de l’habitat, Monsieur M ne fait que résumer ce que plusieurs familles évoquent : la peur de devoir partir, quitter le quartier, le sentiment d’être devenu indésirables. Ce quartier constitue un véritable lieu d’urbanité avec ses logiques visibles et invisibles, formelles et informelles. Il n’est pas aisé pour tous de sortir du triangle protecteur, familier, recréé par le quartier Moncey et ses limites. Cet espace territorial de protection, non dit et tellement implicite dans les paroles des familles marque cette ambivalence entre le désir des pouvoirs publics de vouloir améliorer le cadre de vie et la perception qu’en ont ces familles. II. La Maison Pour Tous

A. un lieu d’accueil perçu comme inaccessible malgré des tarifs modérés

Venir à la Maison Pour Tous signifie traverser, passer de l’autre côté de l’avenue de

Saxe.J’ai été surprise de constater à mon arrivée dans la structure en tant que professionnelle, qu’une frontière invisible semblait freiner certaines familles qui n’osaient pas pousser les portes de ce grand bâtiment. Il se disait que c’était « la Maison Pour Certains », que les tarifs des activités étaient élevés, que c’était « une Maison de bourges » pas faite pour eux. « Qu’est ce que tu crois qu’ils vont penser quand ils vont nous voir débarqués chez eux ? Ils vont se dire qu’est ce qu’ils font là ceux-là ? Ils étaient pas bien tous ensemble dans leur quartier ? »

Voilà ce qu’un groupe de maman m’a répondu lorsque je leur ai demandé un jour, ce qui expliquait leur méfiance et leur image négative de la Maison Pour Tous alors même que cet équipement était à cette époque et jusqu’en mai 2006, le seul équipement de proximité donnant accès aux loisirs.

Ce jour là, j’ai été touchée par ces paroles ( ayant fait le choix de travailler au sein

d’une structure d’éducation populaire notamment pour ses valeurs d’accessibilité à tous et de mixité) mais sensibles à ce qu’elles pouvaient exprimer.Je venais d’arriver sur le territoire et je commençais tout juste à prendre la mesure de leur ressenti. Un long travail, au quotidien, et dans la durée semblait incontournable dans le but de gagner la confiance des familles et leur signifier notre réelle et sincère volonté d’accueil.

B. un public qui se précarise

Les habitants que l’on rencontre le plus dans les structures socio-éducatives ou culturelles sont des familles avec enfant. Un tiers des familles est en lien avec un organisme associatif ou culturel, et seulement 5% des personnes âgées.

Mon poste consiste en la supervision pédagogique et éducative du secteur socio-éducatif de la Maison pour Tous, la programmation culturelle en direction du jeune public, la coordination d’événements festifs et culturels participant à la vie du quartier, l’animation d’un lieu accueil parents et l’implication dans les réseaux de travail établi sur le territoire.

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J’ai pris conscience que malgré les efforts tarifaires de la Maison Pour Tous (tarifs

modérés, dégressivité, échelonnement des paiements), ses activités restaient inaccessibles à certaines familles pour qui cela représente un coût trop élevé, surtout lorsqu’il s’agit d’inscrire plusieurs personnes. Seulement 10% de la population du quartier Moncey, pratique une activité artistique ou culturelle

Le constat d’une précarisation de la situation de certaines familles et d’une demande sociale qui se modifie fait l’objet d’une attention particulière des travailleurs sociaux et le souci de la Maison Pour Tous de s’inscrire dans une action socio-éducative à l’échelle du territoire nous amène à travailler en lien avec de nombreux acteurs du champ social

La Maison Pour Tous est une Maison des Jeunes et de la Culture qui fait le pari de la

mixité sociale et m’a donné les moyens de développer une dimension qui tende vers l’accueil des publics éloignés des structures, dans une prise en compte globale de la famille.

Structure de proximité, la Maison Pour Tous est un lieu où l’enjeu du lien social, terme malheureusement galvaudé, prend toute sa signification.

Ceci a motivé mon implication dans une démarche territoriale d’accessibilité à tous. III. Une implication partenariale inscrite dans le souhait d’une accessibilité à tous

A. L’existence d’un dispositif d’aide

La volonté d’une cohérence se traduit par un travail multipartenarial et pluridisciplinaire qui constitue par ailleurs une logique nouvelle dans l’évolution du travail social.

Cependant, si la mise en réseau a pour finalité d’améliorer, de faciliter l’intervention auprès d’un public fragilisé, cela ne va pas de soi.

Le dispositif ticket sport et culture3 réunit des assistantes sociales de l’éducation

nationale, des services de prévention de la Ville de Lyon, et du conseil général mais également les éducateurs de prévention et certaines associations socio-éducatives reconnues par la Ville de Lyon. Cette dernière finance le dispositif dans le cadre du projet éducatif local qui définit les orientations d’une commune en matière de politique enfance et jeunesse.

La Maison Pour Tous, en terme d’animation et de gestion est la seule structure qui instruit les demandes des familles sur le 3ème arrondissement de Lyon.

En tant qu’Adjointe au Directeur, j’ai la responsabilité d’animer depuis quatre ans ce dispositif d’aide financière.

3 dispositif d’accès à la pratique sportive et culturelle financé par la Ville de Lyon et dont la Maison Pour Tous est porteuse à l’échelle du 3ème arrondissement. Il s’adresse à des familles à faibles revenus et répond au constat d’une faible représentativité des familles du quartier Moncey dans les structures associatives. Il semblait que le frein était uniquement financier et pourtant de nombreuses familles n’utilisent pas ce dispositf ou ne vont pas jusqu’au bout de la démarche d’inscription dans les structures malgré l’attribution dont ils bénéficient.

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B. résistance permanente des familles et sentiment d’impuissance des acteurs

Le travail entreprit dans cette commission et plus largement à l’échelle du territoire a

soulevé le constat d’un sentiment d’impuissance des travailleurs sociaux face à l’exclusion et à l’éloignement des familles issues de l’immigration des réseaux mis en place et des dispositifs. Ils signifient également leur découragement et leur incompréhension face à des familles qui ne sont pas satisfaites.

Au départ, l’entrée des familles dans le dispositif se faisait par le biais d’une assistante sociale qui repérait celles pour qui l’aspect financier pouvait constituer un frein dans l’accès aux loisirs. Nous avons progressivement pris conscience de la difficulté que cette démarche pouvait constituer pour certaines familles. Les associations, légitimées dans un rôle de proximité, un contact régulier, ont pris un rôle actif dans l’accueil des familles au sein de ce dispositif.

Au-delà de l’aspect financier, je sentais qu’une part importante se situait autour de la

représentation que les familles ont de la rencontre avec l’autre, et de ce qu’elle peut leur renvoyer. Perte de confiance, méfiance, ambiguïté semblent teindre la relation de ces familles aux institutions. Pour la plupart, elles ont une vision floue des acteurs, missions, organisations, financements des divers dispositifs.

Face à la distance prise par les familles à l’égard de ce dispositif, phénomène que l’on

retrouve sur d’autres dispositifs proposés en direction des publics en besoin, des réactions vives et contrastées surgissent du côté des professionnels. Des points de vue divergents apparaissent allant d’un souhait d’arrêter cette forme d’aide à un besoin d’explicitation de ces absences répétées.

C. un refus inexpliqué de l’aide qui interroge

Les modalités de réponse en terme d’accès à un dispositif ne semblent pas à elles seules pouvoir influer sur la participation des familles. D’autres raisons ou des raisons qui se situent « ailleurs » doivent en partie expliquer cet écart permanent vécu entre l’offre faite pour ces familles et la manière dont elles répondent ou en fait ne répondent pas. Cette manière de réagir inexpliquée en apparence, masque sans doute une réalité plus profonde touchant à leur existence même, à leur histoire, à leur trajectoire culturelle ou à toute autre motivation « cachée » et suffisamment ancrée dans les mémoires pour ne pas faire rebond sur toutes ces prestations publiques présentées. Car, au-delà de ce qui se dit, se formule, les comportements peuvent trahir l’expression de ressenti, d’inconscient qui influence la façon d’être, le rapport à l‘extérieur. Et si cette situation vient interroger les pratiques professionnelles et d’une manière plus large les formes d’intervention sociale, chacun tend, au travers de ses questionnements à mieux connaître ce qui se joue avec ces familles que l’on qualifie de « déracinées enracinés.

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Chapitre 2 Intégrer un dispositif social : le risque d’une assignation identitaire

Le quartier Moncey est classé en Zone Urbaine Sensible ( ZUS ) de catégorie 1.

Selon les critères appropriés, les quartiers en catégorie 1 comptent généralement plus de 500 logements sociaux, et cumulent des handicaps sociaux et urbains lourds.

Ils nécessitent une restructuration urbaine et un dispositif social transversal. Un projet de développement social urbain ( DSU) est engagé, des moyens spécifiques en investissement et en fonctionnement sont affectés sur ces sites.

Tout comme le travail en réseau, le travail en lien avec des dispositifs a constitué une évolution du travail social pour répondre au double objectif de lutte contre l’exclusion et d’intégration des populations étrangères. Il ne s’agit pas de remettre en question la nécessité d’affecter des moyens et de continuer à penser les besoins mais je m’interroge sur ce qui peut se jouer lorsque l'on aborde l’individu du point de vue de son appartenance à une catégorie qui pose ou qui fait problème.

J’amorce cette deuxième partie en considérant le dispositif comme une sorte de mise

en scène qui pose le public comme premier acteur et en même temps comme cible « involontaire » I. La population de Moncey cible de l’intervention sociale

A. Le dispositif : une approche catégorisante

Le dispositif tente d’appliquer à une situation particulière un cadre général pensé dans l’intérêt collectif. Un dispositif est mis en place dans cette logique. Partir du besoin d’une population et ajuster des actions qui répondent à ces besoins. Les dispositifs sont pensés dans l’objectif de combler des manques, des écarts constatés. Ils ciblent, catégorisent les populations concernées sur lesquelles des effets sont attendus lesquels sont mesurés, évalués et s’ils ne répondent pas aux attentes d’autres dispositifs viennent prendre le relais. Il est à noter pour information que le DSU au terme de son évaluation en 2007 deviendra le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS).

Les habitants du quartier Moncey, évoquent régulièrement leur sentiment d’injustice quant à l’image négative qui est renvoyée de leur quartier. A travers l’image du quartier ils ont le sentiment que c’est leur image qui est mise en cause. Quand on parle de Moncey, c’est pour évoquer des problèmes qui y sont liés : insalubrité, délinquance, chômage, échec scolaire. Quand on parle d’eux, les termes employés sont peu élogieux : public difficile, en difficulté, en situation d’exclusion, avec des difficultés d’intégration.

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B. La catégorisation sociale : un processus participant à la construction identitaire

Emile Durkheim (1858- 1917), sociologue et anthropologue considéré comme un des

fondateurs de la sociologie moderne démontre que la catégorisation sociale joue un rôle important dans la construction identitaire, notamment en ce qui concerne la dimension sociale de l’identité.

Dans une approche sociologique l’identité sociale englobe tout ce qui permet à

l’individu d’être identifié de l’extérieur et se réfère au statut qu’il partage avec les autres membres de ses différents groupes d’appartenance.

« elle comprend les attributs catégoriels et statutaires qui se réfèrent à des catégories

sociales où se rangent les individus ( groupe, sous-groupe) »1

Cette identité sociale situe l’individu à l’articulation entre le sociologique et le psychologique. Elle est le résultat d’un processus que tout être humain se voit forcé d’accomplir pour grandir et se construire. Le processus d’individuation et de séparation suppose notamment que l’enfant intériorise des images de plus en plus complexes des personnes qui vivent dans le monde tel qu’il le perçoit.

« le processus par lequel l’individu dés l’enfance non seulement participe à la construction de sa propre personnalité, dans le jeu complexe de multiples déterminations mais il est en mesure tout au long de sa vie de remettre en question ce que l’on a fait de lui, grâce à ses capacités acquises de discrimination, de compréhension et d’autonomie »2 Ces images sont véhiculées et lui sont transmises par le groupe familial d’abord puis par divers groupe d’appartenance. Il organise un double processus : d’identification à un groupe, à ses valeurs et d’exclusion de celui qui ne fait pas partie de ce groupe.

« l’individu s’autodétermine en même temps qu’il est l’objet de déterminations

externes »3

La catégorisation, si elle fait partie d’un processus d’identification, peut également assigner à une identité sociale, déterminée par les représentations de son groupe d’appartenance au sens large du terme : appartenance à un corps professionnel à une communauté, à un quartier. L’individu n’en fixe pas ou pas totalement les caractéristiques. Il est tributaire des perceptions collectives.

1 1Emile Durkeim Les représentations individuelles et les représentations collectives dans sociologie et Philosophie, Paris, PUF, 1973 2 Hanna Malewska et Pierre Tap, les enjeux de la socialisation dans la socialisation de l’enfance à l’adolescence, PUF 1991 3

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C. L’influence des représentations sociales

L’étude des représentations sociales permet d’appréhender efficacement la manière suivant laquelle chaque société, et chaque individu à l’intérieur de celle-ci, comprend le monde et la place qu’il y tient.

« Au fond tout l’entendement que nous avons de notre ordre social et politique, toutes

les catégories de notre entendement politique (et pas seulement politique) sont en cause dans les perceptions collectives »4

Les représentations sociales s’élaborent à partir de matériaux très divers : Images, réminiscences personnelles ou souvenirs collectifs (mythes, contes) ; clichés dérivés de la connaissance vulgarisée (blagues, dictons, croyances, superstitions) ; idées reçues ( préjugés, stéréotypes)

« Une fois constituées elles deviennent des vérités partiellement autonomes » 5 Abdelmalek Sayad (1933-1998), sociologue, a fait de l’émigration-immigration, son

principal objet d’étude pendant une trentaine d’année. Dans son livre L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, il introduit une notion

intéressante concernant les conditions nécessaires à la naissance et à la perpétuation du phénomène migratoire et notamment de l’immigration algérienne. Cette immigration se serait faite avec l’illusion collectivement entretenue d’une présence/absence provisoire, justifiée par des raisons économiques et s’exerçant dans la plus grande neutralité politique non seulement de l’immigré mais également du phénomène en lui-même.

« Elles sont par une espèce de complicité objective (à l’insu des intéressés et sans qu’il

y ait pour cela accord concerté), partagées par les 3 partenaires que sont la société d’émigration, la société d’immigration, et les émigrés/immigrés eux »6. Cette illusion se traduit dans le statut juridique de l’immigré qui l’inscrit dans un paradoxe entre un état caractérisé provisoire en droit et un état qui dure dans les faits. Ce paradoxe offre une grande liberté dans la gestion du phénomène migratoire et du problème social qu’il semble poser. Tantôt pour ne pas s’avouer sa forme définitive on insiste sur le caractère provisoire en s’appuyant notamment sur le droit. Tantôt on insiste sur la tendance à s’installer de plus en plus durablement en suggérant un coût à cet état de fait.

La théorie de l’identité sociale admet que l’individu tente d’acquérir ou de maintenir une identité sociale positive. Si son groupe d’appartenance est positivement différencié l’individu peut y accéder.

4Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 54 5Emile Durkeim Les représentations individuelles et les représentations collectives dans sociologie et Philosophie, Paris, PUF, 1973 6 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 22

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Si le groupe est négativement identifié, soit l’individu va quitter ce groupe aspirant à en rejoindre un autre valorisé ; soit l’individu tente de réhabiliter son groupe dans une identité gratifiante en refusant l’identité qui lui est prescrite.

Le dispositif déployé sur le quartier et plus particulièrement l’approche du travail

social s’appuie sur des écarts à combler. La catégorisation a pour objectif de cibler au mieux les besoins du public mais le risque est que le sujet et ses potentialités disparaissent au bénéfice d’un relevé de dysfonctionnement, de difficultés, d’ennuis, voire de dommages.

II. Le projet migratoire : l’espoir d’une ascension sociale

A. La migration : une rupture douloureuse

Migrer suppose un voyage entre un espace d’origine et un espace d’arrivée, du connu vers l’inconnu. L’arrachement qui inaugure l’exil, a, sur le plan psychologique, valeur de traumatisme, indiquant une certaine violence, un renoncement aux liens affectifs déjà établis. « Partir c’est mourir un peu » Quitter sa terre natale, ses repères familiers, son vivier affectif même si c’est dans l’espoir d’une ascension sociale marque une vie et véhicule des ressentis de perte. Cela laisse des traces dans les parcours individuels mais également dans l’histoire collective de la famille, particulièrement en ce qui concerne la transmission. La migration génère de l’angoisse face à une culture différente qu’il faut s’approprier et décoder. Elle atteint l’estime de soi, et provoque une perte des repères spatiaux et temporels. Elle nécessite la mise en œuvre de stratégies pour faire face à l’exil et influence la relation à l’extérieur, la posture. La migration est une expérience humaine de rupture qui mobilise une force, imposant mentalement un travail visant à préserver autant qu’à développer le sentiment d’identité.

B. Le phénomène migratoire : une légitimation reposant sur l’illusion d’une présence-absence provisoire

En migrant, les personnes tentent d’accéder à une identité sociale positive.

En prenant progressivement conscience de la permanence de leur présence, ils prennent l’habitude de revendiquer leur droit à une existence pleine et à s’écarter du modèle qui les renvoie sans cesse à leur condition d’immigrés expulsables. Tant que le contexte économique est favorable, tout concoure à asseoir l’illusion d’une présence justifiée, gratifiante économiquement et dont la durabilité est admise par tous. « ... et si tous les partenaires concernés par l’immigration finissent par s’accorder sur cette illusion, c’est sans doute parce qu’elle permet à chacun d’entre eux de composer avec les contradictions propres à la position qu’il occupe et cela sans avoir le sentiment d’enfreindre les catégories habituelles par lesquelles on pense et on constitue les immigrés ou encore par lesquelles ils se pensent et se constituent eux-mêmes »7 7 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 23

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Mais la permanence de la situation n’est jamais acquise. Il suffit que les circonstances et notamment les conditions économiques qui étaient à l’origine de l’immigration changent pour imposer une nouvelle évaluation des profits et des coûts de l’immigration.

A partir des années 70, l’affaiblissement de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier ouvre la voie à une lecture ethnique et non plus à une lecture des classes ou de la confrontation sociale. La crise internationale, le chômage offrent aujourd’hui les conditions du retour à la définition première de l’immigré, comme travailleur provisoire et de l’immigration comme séjour provisoire. Elles servent de justifications aux textes législatifs et aux décisions administratives qui régissent l’entrée et le séjour des immigrés.

Le travail offert et le besoin de main d’œuvre auraient servi de légitimations à une présence et une décision de migrer. Une présence légitimée par le travail pose forcément la question de l’identité sociale et de la représentation de l’immigré chômeur. Cette vision pourrait presque suggérer une inconvenance sociale.

« c’est le travail qui fait naitre l’immigré, qui le fait être ; c’est lui aussi lorsqu’il vient à cesser qui fait mourir l’immigré, prononce sa négation ou le refoule dans le non-être. »8

L’approche catégorisante du travail social mais également ses complexités administratives peuvent être vécues comme autant d’occasion de rappeler une situation qui peut être doublement suspecte : la condition d’immigré et celle de chômeur.

Les contrôles, les demandes administratives régulières invitent à justifier de la régularité de la situation et de la légitimité de la présence. La preuve de son identité, de sa domiciliation, de ses revenus, de son droit à la prestation.

Il semble y avoir un décalage dans la réponse apportée : juridique, institutionnelle, sous

tendu par une logique gestionnaire. Les familles demandent à être traité en tant que sujet face à des réponses apportées en terme de procédure, d’immatriculation, d’allocation, nécessaires mais pas suffisantes, en inadéquation avec le désir de reconnaissance et de prise en compte de leur vécu. « on s’en fout de ce qu’on pense »

C. Plus que la prestation, la recherche d’un accueil

Au-delà des logiques institutionnelles qui attribuent les rôles de chacun, il semble que les familles élisent, parmi les divers professionnels qu’elles sont amenées à côtoyer, des interlocuteurs privilégiés pas pour ce qu’ils représentent institutionnellement mais pour ce qu’ils représentent subjectivement. J’ai souvent constaté que les qualificatifs utilisés par les familles pour illustrer leur rapport aux institutions se focalisent surtout sur la description du comportement des personnes accueillantes : gentilles ou méchantes, bonnes ou mauvaises.

8 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 50

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Une mère de famille traînée par son fils qui souhaite faire du karaté, vient se renseigner à la Maison Pour Tous. Elle évoque le déséquilibre financier que cela risque de provoquer sur son budget très serré malgré l’échéancier proposé.

Madame S vit dans 2 pièces et élève seul ses 5 enfants. Je lui parle du dispositif ticket sport et culture qui permet de soutenir des familles soucieuses d’offrir la possibilité d’une pratique sportive ou culturelle à leurs enfants et de la possibilité, si elle le souhaite, de la mettre en lien avec une assistante sociale.

« Je sais que j’y ai droit mais j’y vais pas si c’est elle qui me reçoit ; on dirait que je

la dérange, que je lui demande la charité ; elle me pose mille questions ; je préfère faire des sacrifices, me serrer la ceinture plutôt que de lui demander quoi que ce soit »

Les familles projettent une représentation en fonction de l’écoute et de la réponse

apportée à leur demande. C’est la qualité de la relation qui est pointée par les familles et pas forcément la possibilité d’obtenir une prestation. Tout se joue dans cette relation duelle. La possibilité de concevoir une intervention extérieure dans le cadre de la sphère privée diffère selon les familles concernées et l’attitude de la personne qui accueille la demande est déterminante.

L’image de l’institution est fortement liée à celles des interlocuteurs. Les familles sont sensibles au comportement, à l’attitude, aux mots, au ton du professionnel. La légitimité dépend de la confiance accordée, d’une accessibilité qui permet de se confier, d’oser exprimer ses besoins sans crainte d’être stigmatisé, d’une prise en compte de son unicité, de sa capacité, de sa compétence qui se traduit notamment par une reconnaissance parentale.

Certaines familles sont sceptiques face à des solutions toutes prêtes et se plaignent

d’une image négative que renvoient les professionnels. Elles se sentent jugées, disqualifiées.

III. Le travail social : une approche qui pointe les manques

L’histoire de l’immigration maghrébine en France est souvent abordée en terme de réussite ou d’échec de l’intégration des familles et de leurs enfants pour la plupart nés en France.

Si l’on s’intéresse aux termes employés, on constate que les termes ont plutôt une connotation négative. Ils abordent les familles du point de vue d’une défaillance : analphabétisme, illettrisme, méconnaissance des mécanismes et de la réglementation de la société d’immigration, inadaptation scolaire des enfants, persistance invalidante des pratiques culturelles de la société d’émigration qui freine les interactions avec la société d’immigration, défaillance éducative.

La professionnalisation du travail social s’est construit autour des « manques » familiaux et sociaux. Le travail social s’appuie sur un énoncé de dysfonctionnements, de difficultés sur la base duquel les orientations de travail auprès des familles sont définies. Cette approche peut être ressentie comme disqualifiante et peu mobilisatrice pour les familles.

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A. Les représentations de la relation d’aide

On peut distinguer une relation des familles au travail social différente allant de la protestation à la prestation de service, à la recherche d’un soutien proche de la délégation.

La réflexion qu’a suscité le projet d’implantation d’un centre social sur le quartier a

été riche du point de vue des échanges entre les travailleurs sociaux concernant la relation d’aide. Les points de vue divergent allant de l’assistanat à l’accompagnement, de la dépendance à une autonomie visée, d’une attente limitée de la participation de l’usager à prise en compte ambitieuse des potentialités, de la gratuité à des tarifs adaptés.

S’est distingué progressivement le « faire pour " du "faire avec" Belin et Winnicott ont développé l’idée que « le sujet reconnaît qu’il est bien veillé

parce que les conditions appropriées ont été mises en œuvre, qu’il est pris en considération, reconnu comme responsable et que les processus d’apprentissages se développent au sein d’un environnement accueillant, tolérant et supportant l’expérience cognitive où s’exerce la capacité à accepter ou refuser l’intervention. Cette vision fait état d’un souci d’émancipation de la personne.

B. L’illusion d’une réparation : le modèle de la mère dévouée

Paul FUSTIER est enseignant-chercheur en psychologie. Il s’intéresse à l'institutionnel et à ce qui a présidé à sa création: un acte caritatif sans doute, ayant comme support le désir de réparer.

Le postulat de départ est que l'enfant présentant des troubles exprime des besoins

fondés sur des carences affectives. Ce “vide” va susciter une aide qui s'exprime par des réponses thérapeutiques et sociales qui viendront le combler, et opérer des changements. Partant de la relation mère-enfant archaïque, il montre comment l'institution facilite la mise en place d'une relation de substitution qui veut fonctionner sur le modèle de la "mère dévouée" répondant totalement à son enfant.

Le processus qui permet à la mère de passer « de la mère dévouée à la mère

suffisamment bonne » est défini par Winnicott. Pendant les trois premiers mois de vie, la mère se retrouve dans un état émotionnel d’hyper sensibilité qui lui permet d’être réceptive aux variations toniques de son enfant et de répondre de façon adéquate à sa dépendance. Elle est très sollicitée et doit être suffisamment disponible pour ne pas laisser son bébé dans des angoisses qu’il n’est pas en capacité de supporter. L’enfant associe plaisir et détente corporelle, frustration et tension corporelle. Il est dans l’illusion de créer le bon et le mauvais objet. Au fur et à mesure, en lui permettant de répéter les expériences de plaisir lié à la détente corporelle, la mère lui permet de supporter la frustration et l’idée que les choses viennent de l’extérieur, sortir de l’illusion. Il faut pour cela qu’elle accepte de sortir de sa relation fusionnelle pour introduire de la distance et devenir selon Winnicott "une mère suffisamment bonne. L’enfant comprend que la mère qui le frustre est la même que celle qui l’apaise et

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investit simultanément son espace corporel unifié. Il a fait le tri dans ses diverses sensations. La conscience d’un corps global étaye l’unité du moi.

En cas de rupture, de sevrage brutal, il peut y avoir un échec de ce processus, illusion, désillusion qui se traduit soit par le désespoir soit par la réapparition d’un espoir de retrouver la mère toute dévouée chez un autre interlocuteur. L’illusion de retrouver dans le monde extérieur quelqu’un qui pourrait satisfaire toutes les demandes et réaliser tous les désirs.

Face à un public fragilisé, « carencé », les institutions peuvent mettre inconsciemment en place « un processus de dévotion maternelle et de réponse en plein », immédiate, sans délai, un dû pour réparer le tort. Il s’agit de chercher à limiter la frustration, à prendre en charge, à assister, à penser la solution, à panser les plaies Il s’agit de combler les manques en répondant par anticipation parfois à des besoins pas toujours exprimés mais qui sont projetés dans l’intention d’y subvenir complètement et de réparer.

C. Le deuil de la position idéale

Si l’on considère que la migration constitue une rupture, un sevrage brutal, on peut imaginer qu’elle peut réactiver ce même processus d’illusion de retrouver dans un monde vécu comme hostile, un interlocuteur sur lequel sont projetées toutes les attentes et qui sera surinvestit Paul Fustier émet l’hypothèse qu’il y aurait une trace en chacun de nous de cette phase illusion /désillusion qui peut être réactivée.

La place de la mère dévouée est valorisante narcissiquement, elle appelle à la toute puissance. On ne peut nier la notion inhérente de pouvoir par la position dans laquelle le travailleur social est mis mais elle fait appel à une exigence sans faille.

Lorsque l’image renvoyée n’est pas ou plus celle de la mère dévouée, parce que par exemple les dispositifs ne répondent pas à la détresse des familles un travail de deuil devient nécessaire. Il peut soit motiver de la culpabilité, un refus à échouer, un essai à coïncider avec un idéal, soit opposé un argument de réalité et notamment les limites de la position professionnelle. "La réussite d'une prise en charge d'une relation d'accompagnement n'est possible que si on prend son échec nécessaire en considération, dans un deuil de "l'idéal de la mère dévouée" L’échec de la position idéale peut provoquer la haine. Le professionnel doit traiter ce que cela provoque en lui de sentiments d’injustice, de déception, d’indignation. Il s’agit de contenir cette haine sans la projeter même si elle déstabilise l’identité professionnelle. Le modèle de la mère dévouée tend à empêcher le vécu de la frustration. Lorsque celle ci s’exprime tout de même elle peut remettre en question le professionnel dans son positionnement et sa capacité à exercer sa mission de réparation.

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L’histoire du travail social s’est fondée sur la prise en charge des publics les plus exclus et les plus fragilisés. Elle s’est donc construite sur un modèle visant à réparer les manques. La volonté de cibler au mieux les besoins s’est traduite dans l’émergence de dispositifs spécifiques pour des publics spécifiques. Les populations visées et notamment les migrants ont le projet et la volonté d’accéder à une identité sociale positive. L’approche catégorisante peut être vécue difficilement dans la mesure où elle peut enfermer dans une image souvent dysqualifiante qui n’a pas été choisie. La migration peut vulnérabiliser et la sensibilité à l’accueil réservé, être exacerbé. Si le travailleur social n’a pas toujours le choix des outils et se retrouve souvent pris dans une attente institutionnelle qu’il ne maitrise pas, la qualité de la relation qu’il instaure lui appartient. C’est au moment de la rencontre que le travail social prend toute sa signification. Sommes-nous en mesure de permettre à l’autre d’exprimer son désaccord, de s’émanciper d’une certaine forme d’intervention, de se dégager des représentations dont il fait l’objet ?

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Chapitre 3 La réalité de la rencontre interculturelle : une remise en question des pratiques professionnelles

Dans sa pratique quotidienne à Moncey et ailleurs, le travailleur social est confronté à la rencontre de la différence culturelle. Cette rencontre est fragile car elle peut parfois donner lieu à des difficultés de communication, des incompréhensions. Le réflexe peut être de se rattacher à un savoir- faire éprouvé, acquis par l’expérience auprès de publics similaires et en référence à un modèle connu et admis qui oriente les modalités d’intervention du travail social. Dans cette partie j’ai fait le choix de considérer le travail social comme une relation qui met en jeu 2 cultures : la culture individuelle, institutionnelle du travailleur social et celle des familles. I. Le travail social vécu comme une forme de domination

A. L’immigration : l’illusion d’une neutralité politique

Une tendance ethnocentriste consiste à étudier le phénomène migratoire à partir de son contact avec la société d’immigration. Lorsque les raisons à l’origine du phénomène sont analysées, elles le sont du point de vue de l’attractivité des conditions offertes et notamment économiques par la société d’immigration. « On ne connaît que ce que l’on a intérêt à connaître, on ne comprend que ce que l’on a besoin de comprendre ; on ne porte intellectuellement intérêt à un objet social qu’à condition que cet intérêt soit porté par d’autres intérêts »1 Mais l’illusion d’une neutralité politique ne peut résister à la réalité d’un vécu. « L’émigration demeure l’autre versant de l’immigration en laquelle elle se prolonge et survit »2 L’histoire de l’immigration algérienne est fortement liée à celle de la gestion coloniale et de nombreux historiens ou sociologues affirment qu’elle en est la conséquence.

On peut se demander si le vécu de la domination n’a pas laissé des traces dans la réticence des familles à entrer dans une relation qui se caractérise par l’identification d’un groupe donneur et d’un groupe receveur. Un groupe bénéficiant de la légitimité sociale et un groupe assigné à une identité sociale dévalorisante, un groupe qui juge et un autre jugé. Le

1 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 18 2 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 15

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travail social peut susciter un sentiment d’infériorité qui vient faire écho à un passé vécu douloureusement

Pour comprendre pourquoi l’émigration a été longtemps perçue négativement notamment dans la culture algérienne, comme le chemin du Malheur, on ne peut ignorer qu’elle ne se fait pas vers une terre d’islam, vers le « dar al islam » où tout musulman est chez lui, mais vers le pays anciennement colonisateur. La colonisation affirme la volonté d’élever le niveau de civilisation de populations estimées dans ce besoin. Cela se fait en référence à une culture jugée dominante. Elle impose un progrès qu’elle admet comme favorable dans une intention affichée bienveillante. Elle a pourtant décrit la population dominée non seulement comme une nationalité différente mais comme une « race » différente. Si la constitution de 1946 puis de 1958 a éprouvé le besoin d’affirmer l’égalité de tous les citoyens quelle que soit leur appartenance, c’est que l’évidence ne s’imposait pas. Encarté, fiché, par des services spécialisés, la population était soumise à une surveillance étroite.

La décolonisation a traduit le rejet de l’assimilation par les populations concernées, une résistance à la domination.

La prise en compte du passé colonial et ses mémoires parait indispensable pour cerner des réalités qui peuvent nous échapper sur le moment. L’inconscient peut mener à reproduire dans les comportements, des restes non traitées d’un passé pas si lointain. « est légitime ce que les dominants font admettre aux dominés »3

L’approche du travail social s’appuie sur des actions qui tendent à favoriser l’intégration des familles à la société française. Le modèle républicain renvoie les particularismes à la sphère du privé dans le souci d’atteindre le principe d’égalité. L’intention de réduire les inégalités semble trouver ses limites lorsque les familles revendiquent une prise en compte de leur identité culturelle.

B. Une société uniformisée : un modèle inadapté

L’état institue le social par l’imposition de normes et de valeurs communes. L’idée d’intégration n’implique pas forcément celle d’harmonie, ni d’égalité dans la participation des divers groupes. Elle signifie que la nation devient l’instance de régulation des inégalités, des rivalités, des conflits intérieurs. Le problème politique est de savoir si la diversité culturelle en terme de religion, de différence sociale, d’appartenance nationale, est susceptible d’être transcendée par le projet commun. Dans les faits, la politique d’assimilation n’a jamais réussi à éliminer les diversités. La France n’est pas un pays socialement et culturellement uniforme.

Bertrand Main décrit le travail social comme « déchiré entre son adhésion à des

valeurs universelles et égalitaristes et celle au principe particulariste du droit à la différence »4

3 Hélène Hatzfeld construire de nouvelles légitimités en travail social , Dunod, Paris, 1998 p°101 4 Main Bertrand travail social et intégration dans migrants-formation, les travailleurs sociaux et les populations immigrés, n° 88, mars 1992, p°6-11

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Il s’agit là d’un véritable enjeu pour l’avenir en terme de paix social. « Comment vivre sur un même territoire tout en étant semblables et différents ? »5 Il paraît évident que le travailleur social est traversé par sa propre culture et par la

culture de l’institution à laquelle il est rattaché et qu’il peut orienter son intervention par rapport à une référence et un résultat attendu. Le public ciblé est également porteur et représentant d’une culture qui influence ses choix et sa posture parentale.

Plusieurs familles affirment que la relation commence dans un climat consensuel mais

qu’elles se sentent vite stigmatisées, mises à l’écart. Elles se plaignent de l’inefficacité de certaines mesures, de l’incohérence de la prise en charge. Elles souhaitent se sentir reconnues et être entendues comme interlocuteurs susceptibles d’alimenter la réflexion et d’avoir des exigences sur les sujets qui les concernent ou concernent leurs enfants. « nous aussi on sait s’occuper de nos enfants » me dit une mère, « on pense qu’on est bête qu’on sait rien », c’est pas toujours les mêmes qui ont raison »

La notion d’intégration suggère peut être trop fréquemment une adaptation unilatérale.

C. Le travail social : un rapport inégalitaire

L’intervention sociale s’appuie sur la recherche d’un progrès, d’une amélioration, d’un changement. Elle s’exerce dans une position bienveillante de relation d’aide mais l’intervention sociale a une finalité éducative qui peut sous-tendre un travail de correction visant à réduire les manques, les fautes. Le progrès attendu est lié au modèle d’une culture dominante dont le travailleur social est le représentant. Pierre Bourdieu affirme que « est légitime une institution, une action ou un usage qui est dominant et méconnu comme tel c’est à dire tacitement reconnu » 6

Selon CAMILLERI, la culture est définie comme « l’ensemble plus ou moins fortement lié à des significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que les membres d’un groupe de part leur affiliation à ce groupe, sont amener à distribuer (…) induisant des attitudes, des représentations et des comportements communs, valorisés dont ils tendent à assurer la reproduction par des voies non génétiques »7

Ceci peut alimenter des représentations pouvant être réductrices ou décalées et conduire à une projection par les professionnelles de modèles familiaux, de principes éducatifs, de besoins ne tenant pas compte du parcours, des pratiques, des croyances, de l’identité du public concerné.

« Ce sont toutes choses qu’on aime confondre et n’envisager que du seul point de vue

de ceux qui en ont l’initiative : l’action éducative au sens le plus large du terme, on continue à

5 Gilles Verbunt la question interculturelle dans le travail social éditions la découverte, Paris 2004 p°13 6 cité dans Hélène Hatzfeld construire de nouvelles légitimités en travail social , Dunod, Paris, 1998 p°101 7 Camilleri Carmel, Cohen-Emerique chocs de culture : concept et enjeux pratiques de l’interculturel, l’Harmattan, Paris, 1989 p°19

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la dire civilisatrice, exercée sur cette classe dangereuse, ces naturels dénaturés, ces sauvages venus d’un autre continent et d’un autre temps »8

Le travail social en ce sens qu’il intègre comme paramètre d’évaluation les possibilités d’adaptation, d’éducabilité à la culture française ne risque-t-il pas de discriminer ceux qui ne sont pas éducables, évoluables ou qui ne souhaitent pas l’être ? II. La migration : une identité mise à mal La migration suggère une adaptation à la société d’immigration souvent vécue douloureusement car elle entraine une perte de repères dans la répartition des rôles et dans les conduites éducatives.

A. Des rôles modifiés

L’immigration opère une coupure avec l’image du père traditionnel.

« au pays le père est référé à une figure ancestrale sans pour autant se confondre avec elle, et tournée vers le passé, vers une filiation ascendante plutôt que vers le fils. Sa place est unique, hérité, imprenable avant sa mort, le père de référence est le principe incarné de la paternité et de son autorité dans la famille »

Les parents sont confrontés à des exigences sociales du rôle de père, de mère dans la société d’immigration, qui ne correspondent pas toujours à celles de la société d’émigration. La figure du père ou de la mère est transformée et la fonction qui lui est attachée est déstabilisée.

Le modèle éducatif français privilégie les droits et la protection de l’enfance qui ont transformé la place et le statut de l’enfant. Il ne s’agit plus d’un modèle où l’autorité admise fait office de loi. Elle laisse la place à une négociation permanente nécessitant une plus grande proximité avec la femme et les enfants, une présence effective et pas seulement symbolique, une participation à la gestion du quotidien.

Cette réalité oblige les parents à effectuer un travail interprétatif, à déconstruire un modèle avec lequel ils se sont construit et qui reposait sur l’influence d’une religion qui détermine et régule les relations homme-femme, et la place de chacun. Il s’agit de remanier les structures, les normes des relations et des attitudes éducatives. Si l’on revient à la notion d’illusion du provisoire et à sa confrontation à une réalité qui dure, quelle est la meilleure stratégie ? investir les codes, les pratiques, les croyances de la société d’immigration malgré le risque d’un renvoi éventuel ? Maintenir les exigences de la société d’émigration en dépit d’une situation qui dure ?

8 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 60

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B. La nostalgie : l’illusion d’avoir une place

Contentieux historique mal géré, l’image du travailleur immigré postcolonial n’a pas trouvé sa place au sein de la culture ouvrière du fait de la crise des années 70. La précarisation de la situation des pères, ouvriers, frappés par le chômage bouleverse les rôles. Lorsque l’immigré n’a aucune certitude sur la place qu’il occupe au sein de la société d’immigration, il peut vivre avec l’illusion de conserver la même place dans le pays d’émigration. La nostalgie peut devenir une posture adoptée pour se protéger d’une réalité angoissante, trop difficile à concevoir. La perte des repères et le bouleversement occasionné peuvent nécessiter une défense pour faire face à la déstructuration. La nostalgie est un sentiment ambivalent. C’est un désir de retour insistant, mais toujours frustrant car il vise un passé qui n’est plus. « En vérité la nostalgie n’est pas le mal du retour car c’est une fois celui-ci accompli qu’on découvre que ce n’est pas la solution. Il ne peut y avoir vraiment retour à l’identique »9

C’est un plaisir d’évocation plutôt idéalisé que mémorisé de ce passé, un sentiment durable qui se renforce même au fil du temps.

« le retour tel qu’il est porté dans l’imaginaire est pour l’immigré lui-même mais aussi pour son groupe un retour sur soi, sur le temps antérieur à l’émigration ( …) donc une affaire de mémoire qui n’est pas seulement une affaire de nostalgie au sens premier du terme, l’algie du nostos (la douleur du retour, le mal du pays), dont le remède serait le retour »10

Certaines périodes réactivent la situation de migration et ce qu’elle engendre d’éloignement et d’isolement. On se raccroche à des signes familiers pour ne pas sombrer car même s’il est possible, le retour en arrière n’est pas envisageable. Il ne faut pas s’effondrer. De toute façon, rien ne peut effacer la déchirure du déracinement. Il faut cependant accepter la perte, vivre et refouler la douleur. « Le ramadan c’est dur ici, là bas ils sont tous pareils » me dit une mère de famille.

Pendant la période du ramadan, le quartier se pare de ses plus beaux atouts. Le marché du ramadan, rituel, s’installe tous les jours sur la place Bahadourian, devant l’école primaire, au cœur du quartier. Les produits et les plats les plus typiques sont vendus par des familles qui viennent proposer les fruits de leur confection. Tout le monde y trouve son bonheur : les hommes seuls, pratiquants qui viennent retrouver des saveurs familières et ramener ce qui constituera le repas qui leur permettra de rompre le jeun à la tombée de la nuit, les enfants qui retrouvent leur famille à la sortie des classes pour les aider sur les stands, les femmes qui cherchent les meilleurs produits, les badauds curieux, pour qui cela constitue une attraction. Les nouveaux tissus affluent dans les vitrines et serviront à coudre les robes portées le jour de la fête de l’Aïd qui marque la fin du ramadan. Les visages sont fatigués, empreints d’une certaine tristesse parfois.

9 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 141 10 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 140

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Les familles décrivent cette période à la fois comme harassante mais constituant un lien fondamental dans la vie familiale. Au delà des conflits qui ponctuent le quotidien cette période semble maintenir un lien entre les générations ou son illusion. Le soir, la famille se rassemble pour partager le repas et passer la soirée à relater des histoires, regarder les émissions des pays d’origine émises sur le câble très investies en cette période. Tout est bon pour se rapprocher de ceux qu’on a laissés : les appels téléphoniques fréquents, la télévision, la radio.

La question du retour est plus de l’ordre du fantasme qui hante les consciences ( …)

elle implique nécessairement plusieurs mode de relation : une relation au temps d’hier et à venir, au temps présent de l’immigration, une relation au sol sous toutes ses formes et ses valeurs(sol natal), une relation au groupe, celui qu’on a quitté physiquement mais que l’on continue à porter en soi d’une manière ou d’une autre, et celui dans lequel il faut entrer et auquel il faut se faire. Toutes ces relations se tiennent entre elles et l’unité qu’elle forme est celle là même qui est constitutive de l’être social »11

Si l’idée du retour a légitimé l’émigration et l’immigration, elle demande également un

travail de réassurance de l’émigré-immigré face à une situation instable, paradoxale susceptible de générer des angoisses. Entre ici et ailleurs, ni ici ni ailleurs. Une présence induisant une absence.

La réalité d’une situation qui dure et le contact prolongé avec la société d’immigration oblige à trouver un équilibre qui permette de préserver son identité.

C. Un modèle traditionnel souhaité par les parents

Les parents souhaitent garder le modèle traditionnel du pays d’origine et le transmettre à leurs enfants. En ce qui concerne l’éducation promue par la famille, elle privilégie la transmission des normes et des valeurs parentales. Les enfants reçoivent une éducation traditionnelle et religieuse. Ceci peut d’ailleurs susciter chez les enfants, des conflits et des compromis entre une identité acquise grâce à la scolarisation et celle déterminé par le contact avec la culture parentale.

L’intervention sociale demeure, dans la représentation de certaines familles du quartier, une menace. Elle n’est pas forcément considérée comme un soutien possible, une aide potentielle. La relation d’aide ne peut occulter l’enjeu de protection de l’enfance. Certaines, ont fait ou font l’objet de mesures éducatives évoquées avec émotion, vécues douloureusement, incomprises. Elles se sentent touchées dans leurs compétences parentales. Etymologiquement, intervenir signifie venir entre, s’immiscer. Il induit une notion d’intrusion dans la sphère du privé.

Certaines sociétés sont régulées par la tradition, la coutume transmise par la famille, la communauté de voisinage ou de travail.

Dans de nombreux pays, les réflexes traditionnels de solidarité rendent inutile l’intervention de personnes extérieures à la famille. Les valeurs du groupe familial et d’appartenance suffisent à réguler les dysfonctionnements ou les problèmes ponctuels. Ce sont

11 Abdelmalek Sayad L’immigration où les paradoxes de l’altérité, Paris, édition Raison d’agir, réédition 2006 page 140

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ces réseaux primaires de sociabilité qui assurent l’intégration de l’individu et pallie les manques.

La situation de migration avec ce qu’elle induit de distance avec le groupe familial régulateur peut mettre la famille en position de fragilité face à la résolution de difficultés. Pour trouver du soutien, il faut surmonter la pudeur, parler et sortir de la sphère familiale ou du quartier. Lorsque les familles se confient, c’est souvent dans un cadre informel : au bord d’un trottoir, dans le hall de la Maison Pour Tous, devant l’école. J’ai fait l’erreur au départ dans un souci de respect de l’intimité, de proposer d’en parler dans mon bureau, mais je me suis rendu compte que pour certaines familles la formalisation de la confidence dans un temps et un lieu donné ne favorisait pas forcément l’échange. Traditionnellement, les problèmes se règlent dans et par la famille. « Les autres ne doivent pas savoir » « toi c’est pas pareil, tu nous comprends »

Le social apparaît comme une réponse de la société à des problèmes que les réseaux

primaires de sociabilités n’arrivent plus à résoudre. Par le changement qu’elle tente de provoquer, impulsé par l’extérieur, l’intervention sociale peut générer une résistance. Il s’exerce une tension entre un désir de fidélités aux représentations et pratiques communautaires et les exigences d’adaptation aux normes que l’intervention sociale et sa finalité de progrès, d’amélioration sollicitent. La réaction possible est l’acceptation du changement ou le refus du changement imposé de l’extérieur qui s’exprime par un rejet, une opposition, une résistance passive par la non participation à ce qui pourrait mettre en danger leur identité culturelle. Quel est le public qui interroge le plus ? N’est-ce pas celui qui malgré les politiques et interventions sociales ne correspond à l’image que l’on aimerait qu’il ait ? En pratique le travailleur social est amené à travailler avec toutes les catégories de la population. Il n’existe pas d’usager type. Chaque personne est différente et détient sa propre culture. Mais certaines rencontres paraissent plus complexes ou en tous cas nécessitent une sensibilité particulière. III. L’approche interculturelle : une perspective du travail social

A. des pratiques bousculées

Certaines pratiques non conformes à un cadre d’intervention professionnel peuvent interroger la question de la distance professionnelle. Plusieurs professionnels avouent être gênés par la proximité que tentent parfois d’instaurer certaines familles : la bise, le tutoiement, les cadeaux, les questions jugées indiscrètes.

Cohen Emerique, collaborateur de Emmanuel Jovelin met en évidence 4 zones ou segments culturels plus particulièrement à l’origine de tensions, de rejets, d’incompréhensions : les chocs relatifs à une perception différente de l’espace et du temps, les chocs liés à des différences dans les structures familiales, les chocs liés à la rencontre entre 2 types de sociabilités, l’une liée aux dons, à l’échange et une liée aux codes de bienséance, les chocs en réactions aux types de demande d’aide : celles universelles de l’homme et ses besoins et celles du système d’entraide spécifique au groupe d ‘appartenance.

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La plupart des travailleurs sociaux avouent ressentir un manque qui les empêche d’apporter des réponses appropriées aux usagers de cultures différentes. Ils sont parfois en demande d’apports théoriques, parfois d’outils pratiques ; « je me demande parfois s’il ne faudrait pas que j ‘apprenne l’Arabe » Lors de diverses rencontres dans le cadre de la commission ticket sport et culture ou dans d’autres instances, plusieurs difficultés sont évoquées. Tout d’abord des problèmes de communications ; certains usagers maitrisent peu ou mal la langue. Sont également évoqués des problèmes de compréhension « il arrive parfois que même quand on a l’impression de se comprendre on ne se comprend pas vraiment » ; des difficultés entre les générations « les parents voudraient que les enfants intègrent la culture d’origine et les enfants sont dans une démarche occidentale » La question de l’inégalité de traitement entre les garçons et les filles a été soulevée à propos notamment de l’accès des filles aux loisirs. Le constat a été fait d’une représentativité moins importante des filles. « Si elles doivent faire un choix, les familles privilégient les garçons » « « ce n'est pas dans leurs habitudes, une fille qui fait du sport, alors je leur ai expliqué qu’en France, les garçons et les filles ont les mêmes droits » exprime une assistante sociale à propos d’une famille venue faire une demande d’aide pour la pratique de 2 de leurs fils et pas pour leur fille. Quelques temps plus tard cette même personne nous disait n’avoir jamais revu la famille.

Comment mettre en accord des individus qui ne partagent pas toujours les mêmes valeurs ni les mêmes normes ? La culture est l’ensemble des valeurs durables et communément partagées que l’on acquiert et que l’on véhicule. C’est un héritage social qui se transmet de génération en génération. Elle constitue un repère qui oriente les relations.Selon Emmanuel Jovelin, elle a une double fonction de cohésion et d’intégration mais elle est également source de distinction et enjeu de conflits.12

B. Une prise en compte de l’autre qui ne va pas de soi

Faire l’expérience de la rencontre avec la différence culturelle ne laisse pas indifférent. Elle peut parfois heurter lorsque les pratiques sont incomprises ou méconnues. L’irruption du religieux dans la relation peut notamment mettre mal à l’aise le travailleur social. « je ne comprendrais jamais qu’à notre époque on accepte d’être traité comme une bonne sous prétexte de la religion. Ces pauvres femmes, elles sont condamnées à subir » évoque une animatrice.

Selon Emmanuel Jovelin ces rencontres engendrent des chocs culturels qui sont défini

comme « une réaction de dépaysement, plus encore de frustration ou de rejet, de révolte d’anxiété en un mot une expérience émotionnelle et intellectuelle chez ceux placés par occasion ou par profession hors de leur contexte socioculturel ; il se retrouve engagé dans l’approche de l’étranger »13 12 Jovelin Emmanuel Le travail social face à l’interculturalité. Comprendre la différence et les pratiques d’accompagnement, Edition l’Harmattan, 2002 p°17. 13 Jovelin Emmanuel Le travail social face à l’interculturalité. Comprendre la différence et les pratiques d’accompagnement, Edition l’Harmattan, 2002 p°170

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La prise en compte de la différence fait appel à un processus complexe, elle ne va pas de soi.

« appréhender autrui n’est pas un phénomène qui s’impose tant qu’un travail n’est pas réalisé sur nos propres représentations, nos propres préjugés et stéréotypes, notre propre ethnocentrisme »14

Cette démarche n’est pas évidente. Lorsque les manières de penser, d’agir, de sentir, s’installe dans notre esprit, nous devons d’abord en faire abstraction avant d’apprendre quelque chose de différent.

« Ce travail n’est pas facile du fait d’une programmation mentale qu’est la culture qui

fait que chacun de nous porte en lui des modes de pensées, de sentiment et d’action potentielle qui sont le résultat de sa socialisation »15

La tendance naturelle est de décoder la diversité culturelle en référence à son propre système de valeurs ce qui amène très vite à poser des jugements. Le danger vient du fait que nos représentations sont inconscientes et qu’elles influencent pourtant notre lecture des situations et notre entrée en relation.

C. La médiation interculturelle : une nouvelle orientation du travail social

Par leurs absences qui traduisent une demande non formulée ou leurs revendications de

reconnaissance explicitement affirmées, les familles nous renvoient à la nécessité de repenser les représentations du travail social.

Penser l’interculturel présuppose d’emblée la possibilité d’interaction et de cohabitation entre des individus appartenant à des univers culturels différents.

« cette perspective interactionniste définit la différence non comme une donnée

naturelle mais comme un rapport dynamique entre 2 entités qui se donnent mutuellement sens »16.

Elle induit une posture d’échange et de réciprocité, une approche partagée qui se dégage du savoir professionnel comme cadre de référence et d’une culture prédominante comme modèle d’intégration. Selon M. Cohen Emerique, l’approche interculturelle nécessite de prendre de la distance par rapport à soi même et de pénétrer dans le système de l’autre. Cette approche propose de rechercher la mise en place d’un dialogue où chacun se voit respecter dans son identité.

« la compétence interculturelle est un processus de traversée qui fait passer de la certitude à la remise en cause identitaire pour permettre l’ouverture à l’autre et la coopération »17 14 Hofstede G vivre dans un monde multiculturel. Comprendre nos programmations mentales, édition de l’organisation, 1991 p°17 15 Hofstede G vivre dans un monde multiculturel. Comprendre nos programmations mentales, édition de l’organisation, 1991 p°18 16 Abdallah Pretceille Martine le travail social et les enfants de migrant, édition l’harmatan, Paris 1988, p°231

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Le travailleur social doit être conscient des interférences possibles dans sa propre

perception et dans celle de ses interlocuteurs. Découvrir leur existence et en tenir compte est une condition incontournable pour arriver à une relation saine où les représentations font place à une perception juste.

Prendre l’individu dans sa globalité et tenir compte de son passé, de son vécu

de sa réalité, de ses valeurs, bref de son identité semble constituer une orientation nécessaire. L’identité met en jeu des processus divers tel que l’affirmation de soi, la séparation, l’autonomie. Elle passe par une différenciation qui doit s’affirmer au risque de provoquer la dépendance, l’assimilation passive à autrui ou la conformité aux attentes du groupe.

En cela il paraît important de favoriser son expression. La réalité de la diversité culturelle impose de nouvelles connaissances, de soi, de

l’autre, et de nouvelles compétences de médiation avec un public qui ne se sent pas accueilli dans sa différence. « l’intégration est un processus qui doit conduire à une société où des personnes et des populations d’origines différentes peuvent vivre ensemble en s’enrichissant mutuellement de leurs acquis culturels »18 Cette définition de l’intégration induit une valorisation de la différence et un processus visant à déconstruire les modèles d’intervention intégrés. 17 Marc Thomas centre de médiation interculturelle, extrait de acquérir une compétence interculturelle 18Gilles Verbunt La question interculturelle dans le travail social, Edition la découverte, Paris 2004 p° 6

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Conclusion La problématique est en quoi l’intervention sociale dans un quartier populaire auprès de

familles en situation de migration peut-elle paradoxalement induire leur résistance à entrer ou rester dans des dispositifs dont ils sont la cible ?

Les actions, les activités, les évènements sont pensés en lien avec un public. Notre pratique est influencée par les attentes institutionnelles elles-mêmes souvent générées par les politiques publiques. Si nous n’avons que peu de prises sur la dimension institutionnelle ou politique, notre implication dans la relation nous engage profondément.

Educateurs, assistantes sociales, animateurs de l’éducation populaire, nous sommes tous amenés dans notre pratique à faire l’expérience de la rencontre. Peu de dispositifs tiennent compte de l’individualité et c’est ce que nous en faisons qui peut permettre d’humaniser l’approche. S’ils sont indispensables au déploiement de moyens, ils risquent de stigmatiser des populations, les empêchant ainsi d’accéder à un statut qui les gratifie.

Face à un public précarisé, il semble que nous mettions parfois en place une relation basée sur la réparation, objectif ambitieux mais irréalisable dans les faits. C’est le public qui nous renvoie à notre humilité. Nous n’avons aucune influence sur les facteurs de fragilisation liée à la migration mais c’est dans l’accueil que le public semble nous attendre. Cet accueil passe notamment par une prise en compte de leur identité culturelle. Alors que l’affirmation des identités individuelles et collectives est au centre des valeurs modernes, la politique d’assimilation comme modèle d’intégration paraît marquée du péché du colonialisme, coupable de dissoudre l’identité de l’autre au nom d’un principe d’homogénéisation.

Le choix des termes d’intégration, d’insertion suggèrent que la politique suivie à l’égard des populations étrangères respecte leur forme spécifique d’identité. Si cette demande paraît légitime, elle induit un processus complexe. Elle demande à la fois de prendre en compte le principe d’égalité et le droit à la différence. La prise en compte de la diversité culturelle ne s’instaure pas de fait. Elle est le fruit d’un processus long qui demande à déconstruire des modèles avant de s’ouvrir à de nouvelles pratiques. La rencontre de la différence culturelle peut bousculer, interloquer, voir choquer.

La compétence interculturelle est définie par l’aptitude à pouvoir communiquer avec des personnes d’autres cultures. Elle met en jeu la faculté à percevoir et comprendre les différences culturelles concernant notamment la pensée, le ressenti, les actes. La compétence interculturelle passe par un travail sur soi, ses représentations, mais également sur l’altérité. Si des prédispositions peuvent exister, la formation, l’échange de pratiques, de connaissances, d’expériences sont souhaitables et souhaités par les professionnels. En cela le partenariat, le travail en réseau, le partage des compétences offrent l’opportunité d’un enrichissement au service d’un accueil plus respectueux des spécificités. La diversité culturelle fait partie de notre quotidien et elle s’affirme. Il s’agit de nous positionner, avec les valeurs de l’éducation populaire en visant notamment l’émancipation et la conscientisation des personnes, la reconnaissance de leurs compétences propres, dans un savoir être respectueux de l’autre.

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Bibliographie Abdallah Pretceille Martine le travail social et les enfants de migrant, édition l’Harmatan, Paris 1988, 280 pages Camilleri Carmel, Cohen-Emerique M. chocs de culture : concept et enjeux pratiques de l’interculturel, l’Harmattan, Paris, 1989 397 pages Durkeim Emile Les représentations individuelles et les représentations collectives dans sociologie et Philosophie, Paris, PUF, 1973 Hatzfeld Hélène construire de nouvelles légitimités en travail social , Dunod, Paris, 1998 226 pages Hofstede G vivre dans un monde multiculturel. Comprendre nos programmations mentales, édition de l’organisation, 1991 349 pages Jovelin Emmanuel Le travail social face à l’interculturalité. Comprendre la différence et les pratiques d’accompagnement, Edition l’Harmattan, 2002 340 pages Malewska Hanna et Pierre Tap, les enjeux de la socialisation dans la socialisation de l’enfance à l’adolescence, PUF 1991 Sayad Abdelmalek L’immigration où les paradoxes de l’altérité, , édition Raison d’agir, réédition 2006 216 pages Sayad Abdelmalek la double absence Paris, édition du seuil, octobre 1999 435 pages Verbunt Gilles La question interculturelle dans le travail social, Edition la découverte, Paris 2004 218 pages Revue /articles : Fly Sainte Marie la compétence interculturelle dans le domaine de l’intervention éducative et sociale, les cahiers de l’actifs, n°250/251, mars/avril 1997 p°55

Marc Thomas centre de médiation interculturelle, extrait de acquérir une compétence interculturelle Main Bertrand travail social et intégration dans migrants-formation, les travailleurs sociaux et les populations immigrés, n° 88, mars 1992, p°6-11