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De la souveraineté nationale à la souveraineté citoyenne

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Penser la séparation entre nationalité et citoyenneté | Texte extrait du dossier «Le droit de vote des étrangers aux élections nationales. Eléments de réflexion», publié par le Conseil diocésain des catholiques (Luxembourg) en vue du référendum du 7 juin 2015

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De la souveraineté nationaleà la souveraineté citoyenne

Penser la séparation entre nationalité et citoyenneté

par Pierre Lorang*

« La terre n'est qu'un seul payset tous les hommes en sont les citoyens. »

(Bahá'u'lláh)

Au travers de l'histoire millénaire de la civilisation humaine depuisles cités de l'Antiquité grecque et romaine, la citoyenneté est un con-cept qui n'a cessé de se caractériser par sa perpétuelle évolution.

La citoyenneté se fonde sur l'appartenance pleine et entière à unecommunauté de personnes unies par le « vivre ensemble ».

Le « vivre ensemble », s'il se veut paisible, durable et respectueuxde la dignité inviolable, inaliénable et indivisible de la personne hu-maine, est soumis à la recherche incessante du bien commun.

Le bien commun est l'affaire de toutes celles et de tous ceux qui ycontribuent et qui en tirent profit. Partant, sa recherche exige leconcours actif du plus grand nombre. L'expression suprême en est laparticipation démocratique par le biais du droit de vote.

Au Luxembourg, depuis l'abolition du suffrage censitaire etl'instauration du suffrage universel suivant la révision consti-tutionnelle de 1919, la participation démocratique, pivot de lacitoyenneté, est réservée aux seuls nationaux.

En langage courant, les termes de « citoyenneté » et de « natio-nalité » sont utilisés comme synonymes. Stricto sensu, et ce tant surle plan étymologique que juridique, ils ne le sont pas.

Alors que l'assimilation citoyenneté/nationalité date de la créationdes Etats-nations à partir de la fin du XVIIIe siècle et les mouvementsrévolutionnaires des XIXe et XXe siècles, l'on peut néanmoins citer

* La présente contribution fait partie du dossier «Le droit de vote des étrangers auxélections nationales. Eléments de réflexion» que le Conseil diocésain des catholiques apublié en vue du référendum du 7 juin 2015.

> www.cathol.lu/accueil-homepage/forum/article/katholikerot-question-sur-le-droit/

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bon nombre d'exemples contemporains qui font état d'une différencesémantique entre ces deux mots. Toujours est-il que les significationsrespectives de « nationalité » et « citoyenneté » peuvent, le caséchéant, varier sensiblement d'un exemple à l'autre.

• Le cas le plus notoire est fourni par l'Union européenne depuis sa« refondation » par le traité de Maastricht du 7 février 1992 etl'instauration de la citoyenneté européenne.

• La Suisse connaît le système des citoyennetés communale etcantonale (« droit de cité »).

• La République populaire de Chine, à l'instar de l'ex-Unionsoviétique, fait état des « nationalités » dans un sens ethnique,associé au droit du sang, alors que la République fédérativesocialiste de Yougoslavie, par voie de recensement, permit à ses« citoyens » de se choisir une « nationalité » selon leur sentimentd'appartenance communautaire.

• Une approche comparable prévaut en Israël : l'on est citoyen israé-lien – au sens de « ressortissant national » – tout en appartenant àune « nationalité culturelle » (juive, arabe, bédouine, druze oucircassienne).

• La notion des « nationalités historiques » est consacrée par la Con-stitution espagnole de 1978. Celles-ci se fondent sur une identitéculturelle ou linguistique propre, tout en faisant partie intégrantede la « nation espagnole ».

• Le Royaume-Uni, quant à lui, représente une Union – sous formed'Etat non pas fédéral mais unitaire – composée de quatre« nations constitutives » (Constituent nations ou Home nations)dont les ressortissants possèdent la nationalité/citoyennetébritannique (British citizenship), régie par le British NationalityAct de 1981, lequel prévoit en outre – et parmi d'autres – le BritishOverseas Territory citizenship ou encore le statut de Britishsubject.

Ces quelques exemples, forts divergents, démontrent que chaqueEtat souverain, quel qu'il soit, est libre dans la détermination et

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l'aménagement du/des statut(s) établissant des liens juridiques dedroits et devoirs réciproques entre l'Etat et ses habitants.

Pour ce faire, il se laisse guider par des conceptions idéologiquesou philosophiques, l'histoire du pays, la tradition constitutionnelle, sice n'est par des impératifs économiques ou l'évolution des mœurs,voire des considérations purement utilitaristes. En général, l'onpeut affirmer que la complexité d'une législation – les pays duCommonwealth en donnent la preuve – dépend toujours de la com-plexité et la multiplicité des facteurs qui entrent en jeu.

Dans une approche à la fois moderne et volontariste, qui prendraitdavantage en compte les réalités et perspectives du XXIe siècle, lanationalité reflète « l' appartenance à une nation », fondement ourésultante de la construction étatique, tandis que la citoyenneté dé-signe la reconnaissance d'un individu comme « membre d'une cité »(Gemeinwesen).

Une telle différenciation correspondrait bien à la situationparticulière du Luxembourg, dont le degré de complexité estinversement proportionnel à sa taille et qui s'apprête, rappelons-le, àfranchir la barre des 550.000 habitants (dont 300.00 nationaux)…et ne semble guère disposé à renoncer à ses projections de croissanceéconomique et démographique soutenue.

Il paraît dès lors juste, opportun et utile de réfléchir sur unepossible « séparation », constitutionnellement et légalementconsacrée, entre nationalité et citoyenneté au Luxembourg.

La République française, pourtant présumée « une et indivisible »,nous fournit un exemple intéressant, presque « fait sur mesure ». Eneffet, l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, lequel a permis le retour à lapaix civile en Nouvelle-Calédonie, archipel d'Océanie dont le statut,depuis 1853, est celui d'une collectivité territoriale française, prévoitune déconnexion entre citoyenneté néocalédonienne et nationalitéfrançaise autour de la question du droit de vote, variable selon le typede scrutin.

Ainsi la loi organique du 19 mars 1999, mettant en œuvre, sur leplan juridique, les principes énoncés par l'accord de Nouméa, dispose

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dans son article 4 : « Il est institué une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie dont bénéficient les personnes de nationalité française quiremplissent les conditions fixées à l'article 188. »

Cet article 188 précise la composition du corps électoral auxscrutins territoriaux, limités à l'archipel, c'est-à-dire les élections pro-vinciales et celles pour le Congrès de Nouvelle-Calédonie – à l'opposédes scrutins « nationaux » pour la désignation de représentants dansles institutions de la République française ou celles de l'UE (électionsprésidentielles, législatives, européennes…).

Les articles 76 et 77 de la Constitution de la CinquièmeRépublique, adoptés en 2007 par le Parlement français réuni enCongrès à Versailles, confèrent une valeur constitutionnelle à cerégime particulier. Est ainsi citoyen néocalédonien « toute personnede nationalité française résidant de manière principale en Nouvelle-Calédonie depuis le 8 novembre 1998, ou bien celles majeures aprèscette date dont au moins l'un des deux parents est citoyen néo-calédonien ».

Si l'on applique cette idée – séparation entre « nationalitéfrançaise » et « citoyenneté néocalédonienne » – au Grand-Duché deLuxembourg et le contexte qui lui est propre, notre législationnationale pourrait comporter, à titre de pur exemple, une formule dugenre qui suit: « Il est institué une citoyenneté luxembourgeoise dontbénéficient les personnes de citoyenneté européenne qui remplissentles conditions fixées à l'article x. » Parmi celles-ci, l'on pourraitsonger, de façon non exhaustive, à une durée de résidence in-interrompue, l'immatriculation aux régimes de sécurité socialeluxembourgeoise ou encore l'inscription sur les listes d'électeurs pourles élections communales et européennes.

Il est entendu que les deux notions, nationalité luxembourgeoise etcitoyenneté luxembourgeoise, seraient des attributs juridiquestraduisant le rattachement, à degrés divers, de personnes physiques àl'Etat du Grand-Duché de Luxembourg. Les différences résideraienttant au niveau du fond que de la forme.

C'est la nationalité qui établirait le lien le plus fort entre, d'un côté,l'individu qui en est le détenteur et, de l'autre, l'Etat luxembourgeois.

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Comme par le passé, elle s'acquerrait selon les conditions prévues parla loi, conférant aux seuls nationaux tous les droits et prérogatives quiy sont attachés et produisant ses effets tant en droit internationalpublic ou privé qu'en droit interne luxembourgeois. Il s'agirait ainsid'un statut stable dont le détenteur bénéficierait indépendamment deson lieu de résidence.

La citoyenneté, en revanche, refléterait une appartenance suffi-samment stable d'une personne – qu'elle soit de nationalité luxem-bourgeoise ou autre – à une communauté de destin forgée par larecherche constante du bien commun dans notre pays. C'est elle quiouvrirait la porte du droit de vote.

Par là même, le Luxembourg pourrait faire œuvre de pionnier dansl'Union européenne, bâtie sur les bienfaits de l'ouverture des esprits,des frontières et des marchés ainsi que l'égale liberté de mouvement,d'activité et d'expression de chaque personne qui y vit ou travaille.

Dans le sillage d'un tel changement de paradigme, inspiré par lavision personnaliste de l'homme, la puissance souveraine qui, selonl'article 32 de la Constitution luxembourgeoise, « réside dans laNation », mais dont l'exercice est expressément réservé au Grand-Duc – raison pour laquelle ce dernier fait communément office de« souverain » – serait transmise vers le corps citoyen. La « sou-veraineté nationale », avancée civilisatrice majeure du XIXe siècle,ferait place au concept innovateur de « souveraineté citoyenne ».