De la thymie dépressive au risque d’effondrement psychotique, évaluation psychanalytique des effets morbides de l’idéal et de ses conséquences dans la conduite de cure

Annales Medico-Psychologiques xxx (2013) xxx–xxx

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AMEPSY-1733; No. of Pages 6

Memoire

De la thymie depressive au risque d’effondrement psychotique,evaluation psychanalytique des effets morbides de l’ideal et de sesconsequences dans la conduite de cure

From the depressive thymie to the risk of psychotic collapse, psychoanalytical

evaluation of the morbid effects of the ideal, and of its consequences in the conduct

of cure

Ingrid Chapard

CRPMS, EAD no 3522, centre de recherche en psychanalyse medecine et societe, UFR d’etudes psychanalytiques, universite Paris VII, 48, boulevard de Picpus,

75012 Paris, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Recu le 21 juillet 2012

Accepte le 24 septembre 2012

Mots cles :

Delire sensitif

Depression

Femmes

Psychanalyse

Psychopathologie et ideal

Thymie depressive

Keywords:

Depression

Depressive thymie

Psychoanalysis

Psychopathology and ideal

Sensitive delirium

Women

R E S U M E

Une relecture de Kretschmer et des textes freudiens impose l’idee d’une contingence psychotique liee au

social. Les manifestations corporelles permettent d’apprehender cette dimension thymique specifique-

ment liee a la decompensation. Celle-ci s’analyse a partir des effets morbides de l’ideal, entre moi ideal et

ideal du moi, indiquant la necessite de l’etude du social. Les troubles bipolaires s’analysent egalement

entre endogeneite et troubles dans l’ideal, et entre troubles dans l’ideal et solutions sociales a

l’inconscient.

� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

A B S T R A C T

A second reading of Kretschmer and Freud’s texts imposes the idea of a psychotic contingency connected

to the social realm. Bodily manifestations enable the understanding of this thymic dimension,

specifically connected to decompensation. Psychoanalytical anthropology enables one to question the

dimension of gender and femininity by a second reading of the classic texts of psychiatry, while updating

the clinical study of the discontents of civilisation by a study of the female crowd. A generic debarment of

the pre-oedipal maternal imago shows a porosity between neurosis and psychosis, imposing the idea of a

psychotic contingency connected to the social realm. Its analysis is derived from the morbid effects of the

ideal, between the ego ideal and the ideal self, demonstrating the necessity of the study of the social

realm. Bipolar disorders are also analysed between endogenicity and disorders in the ideal, and between

disorders in the ideal and social solutions to the unconscious. This approach has a direct impact on the

technique of the analytical cure. When the clinician is confronted with a risk of psychic collapse, at the

beginning or during an analytical cure, it becomes necessary to work on the psychic coordinates of the

act of language. Physical and dynamic processes of formation of the unconscious experienced by the

subject between the ego ideal and the ideal self provide information on the stability of the ‘‘moi-corps’’,

ego-body.

� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

Adresse e-mail : [email protected]

Pour citer cet article : Chapard I. De la thymie depressive au risque d’emorbides de l’ideal et de ses consequences dans la conduite de cuj.amp.2012.09.019

0003-4487/$ – see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.09.019

1. Introduction

La dimension sensitive etablie par Kretschmer en 1918 [10]reste un element de diagnostic au sein du DSM-IV. Le delire de

ffondrement psychotique, evaluation psychanalytique des effetsre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/


mailto:[email protected]



http://www.sciencedirect.com/science/journal/00034487


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relation des sensitifs est positionne dans la rubrique « Troubledelirant », rubrique qui contient tous les delires chroniques nondissociatifs. Il observe ainsi un effondrement delirant lie a unedimension thymique specifique, distincte des mecanismes de lamelancolie freudienne definie en 1917 [6]. Ses observationscliniques extremement fines, lues avec les apports freudiensulterieurs, permettent de montrer comment un desajustemententre le moi ideal et l’ideal du moi peut provoquer non pas uneidentification melancolique (cas de la melancolie freudienne), maisun epuisement thymique du a une chute des identifications dumoi, au risque de la psychose.

Kretschmer presente le delire de relation sensitif comme unphenomene curable (sauf dans les cas les plus extremes quiechouent dans la chronicite delirante), aussi souvent transitoiresqu’accessibles a l’action psychotherapique. S’il reprend l’hypothesed’une dimension endogene, l’element declencheur se situe dans ladimension du rapport a l’ideal confronte a la repression pulsionnelleimposee par le social. Kretschmer et Freud s’entendent en effet ici surl’hypothese du processus toxique introduit par la dimension de larepression pulsionnelle du sujet par la culture [3]. De ce point de vue,la dimension sensitive indique en effet un point pivot essentiel visetant par Freud que par Lacan : le point de nouage entre nature etculture. Pour Freud en effet, la cure correspond a « un travail decivilisation, un peu comme l’assechement du Zuyderzee » [9], quandpour Lacan : « A ce point de jonction de la nature a la culture quel’anthropologie de nos jours scrute obstinement, la psychanalyseseule reconnaıt ce jeu de servitude imaginaire que l’amour doittoujours redefaire ou trancher » [11].

Du point de vue de la pratique psychanalytique, la fragilite decertaines organisations et le point d’effondrement melancoliquemis au jour par Kretschmer, a l’approche de coordonneespsychiques « cles » dans l’organisation subjective, doivent nousengager a une tres grande prudence clinique dans le maniement dela cure. Entre la perspective freudienne d’un travail axe sur lastabilisation du moi [9] et la perspective du jeune Lacan d’une cureorientee par la chute des identifications [12], cet article vise, al’aide de la question feminine et de ses difficultes dans l’analyse, areperer des pistes qui permettraient d’orienter la delicatesse dutravail dans ce joint entre la nature et la culture.

2. La sensitivite, un effet de la nocivite de l’ideal

Si Kretschmer admet une base biologique a la psychose, au seinde celle-ci, il fait directement reference a l’hypothese de Freudconcernant une sorte de faiblesse de la constitution sexuelle quiconditionnerait une incapacite caracterologique a resoudre desconflits ethico-sexuels. Ainsi, la dimension sensitive s’exacerbe surle versant pathologique lorsque le sujet est confronte a unsentiment intense d’humiliation, d’echec moral, effet d’uneveritable atteinte du moi ideal, du fait d’un evenement de vietout a fait reel, dans un contexte d’exacerbation de l’ideal du moi :« La grande susceptibilite personnelle correspond a l’exacerbationdu sens de l’honneur et a son estime de soi » reperable des le « senseleve des valeurs morales » du sujet.

Une hyperesthesie relationnelle entraıne une grande vulne-rabilite dans les contacts sociaux, ainsi qu’une tendance al’autocritique, a l’interiorisation douloureuse des echecs, le toutlie a une grande susceptibilite, « un defaut d’expansion, uneincapacite psychique d’operer une decharge ». Les themes du delireinterpretatif concernent alors des idees de persecution, deprejudice, d’atteintes de ses valeurs morales et de mepris, ce dontle sujet serait victime, mais sans hypertrophie du moi, caracte-ristique, depuis Freud [5], de la formation paranoıaque en tant quetelle. L’activite delirante est alors generalement limitee au cerclede relations proches du patient, et vecue douloureusement, demaniere solitaire. Kretschmer precise ce qu’il designe comme les

Pour citer cet article : Chapard I. De la thymie depressive au risque d’morbides de l’ideal et de ses consequences dans la conduite de cuj.amp.2012.09.019

lois du mecanisme morbide : « L’echec moral entraıne inexorable-ment le sensitif a se plonger de plus en plus dans une lutte avec lui-meme, aussi vaine que secrete. Car, depourvu d’un egoısmerobuste, il est dote par contre d’un psychisme subtil et profondainsi que d’une grande capacite d’interiorisation. Le retourcompulsif de la serie de representations reprimees cree unetension psychique accablante qui transforme finalement lecontenu primaire de l’experience en delire de relation. Ce dernierest un reflet exterieur et concret de l’auto-devalorisation interieuredu sujet. Les influences psychologiques reciproques entre lecaractere et l’experience representent dans le delire de relationla cause primordiale de la maladie. C’est pourquoi les faits reels quiamenent l’eclosion de la maladie ne sont, en aucun cas, des faitsquelconques, mais suivent certaines lois qui, meme chez unindividu normal, a caractere sensitif, provoquent habituellementles memes complications psychiques graves. Pourtant, dans ce cas,elles n’aboutissent pas a une affection psychique. Ce sont lesconflits ethico-sexuels qui, en premier lieu, possedent une forcepathogene. »

S’il evacue l’hypothese d’une « depression constitutionnelle »recurrente au sein du seisme psychique provoque par ledesajustement entre l’ideal du moi et le moi ideal, la dimensionthymique et l’etat d’epuisement psychique sont omnipresents :« La symptomatologie du delire de relation sensitif est nettementdominee par quelques facteurs etiologiques structuraux. Cesfacteurs principaux sont : la repression de l’experience etl’epuisement. Le noyau de la maladie est represente par un delirede relation polarise, prenant pour point de depart une baseaffective nuancee, placee entre une insecurite humiliante et uneauto-accusation provoquant le desespoir [. . .]. L’experience vecue,ou la situation vitale sous-jacente, est dans les cas typiques toutsimplement un element primordial ; sans elle la maladie sereduirait a rien : cet element, par sa repetition compulsive, fournitcontinuellement des themes a l’auto-accusation depressive, al’apprehension hypocondriaque de grossesse, de ramollissementcerebral ou de maladie de la moelle epiniere, a des acces d’angoisseet de desespoir. En outre, il se produit une tension de volonteepuisante et improductive. »

Kretschmer decrit une veritable variabilite accentuee et unemobilite de tout le tableau clinique, avec une fluctuationparticuliere, aussi constante qu’irreguliere, de toute la vie affective« en un mot, la courbe d’intensite en zigzag qui, precisement,caracterise les cas graves ». S’il a evacue la « depressionconstitutionnelle » comme trait commun, il reconnaıt l’omnipre-sence de la « depression reactionnelle ». Reconnaissant que « lestraits astheniques participent pour une grande part a la formationdu caractere sensitif », la plupart des patients ayant precedemmentvecu des episodes recurrents anormalement longs de depressionde type asthenique. Il precise pourtant que si des evenements« simplement deprimants » tels que les experiences de deuilentraınent alors un etat adequat de depression asthenique, memeanormalement long, ils ne suscitent jamais l’emergence deselements sensitifs. Les elements sensitifs ne surgissaient qu’al’occasion de « sentiments d’insuffisance humiliante », qui eux, neprovoquaient jamais de depression simple aupres des patientsetudies. Ce qui lui permet de determiner une « loi fondamentale dela caracterologie psychopathique », a savoir que « dans les limitesde diverses possibilites reactionnelles d’un caractere donne, unereaction morbide determinee devient specifique lorsqu’elle estdeclenchee par une experience fondamentale adequate ».

Kretschmer est alors pousse a rechercher le diagnosticdifferentiel avec la psychose maniaco-depressive, ou la « foliecirculaire », determinee soixante ans plus tot dans l’article de Falreten 1854 [2]. Celui-ci est determine par la dependance et lareactivite psychologique entre l’affect et la situation psychique, al’encontre de la fixite monotone d’un trouble affectif autonome.

effondrement psychotique, evaluation psychanalytique des effetsre. Ann Med Psychol (Paris) (2013), http://dx.doi.org/10.1016/



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3. La sensitivite met en evidence la structure d’une dimensionthymique distincte de la melancolie freudienne, et liee a unefragilite de l’inscription du symbolique

La question se pose alors de preciser la qualite de cemouvement depressif specifique. La proposition freudienne del’ombre de l’objet tombee sur le moi pour caracteriser la distinctionentre deuil et melancolie date de 1917, tout juste un an avant lapublication de l’ouvrage de Kretschmer. Et pourtant, elle ne semblepas tout a fait correspondre au phenomene sensitif decrit ici parKretschmer. L’article de Freud est en effet consacre a la reactionmorbide creee par la perte de l’objet d’amour, et c’est lemouvement d’identification narcissique avec l’objet abandonne[9] qui provoque un vide du moi lui-meme, comme la « defaite de lapulsion qui oblige tout vivant a tenir bon a la vie » [6]caracteristique de l’asthenie. Nous avons ici bien au contrairedes mouvements labiles d’humeur au sein desquels le deliresensitif prend une valeur eminemment defensive, valeur « d’imagespeculaire ». Or, c’est bien a la stabilite de l’image speculaire queLacan reconnaıt le registre nevrotique, les tentatives delirantespour la reconstituer signant la faillite de celle-ci.

Ces mouvements labiles d’humeur ne sont alors pas lies a uneperte d’objet d’amour, mais a une fracture entre ideal du moi et moiideal, qui provoque un trou dans le moi. C’est ici la survenue d’un« evenement cle » humiliant qui provoque la perte du moi ideal, a lasuite de la fracture entre moi ideal et ideal du moi. Cette fractureprovoque non pas une identification, mais une perte identificatoire(le moi ideal se constitue bien a partir des identifications). Cemouvement est alors determine par la force de la repressionpulsionnelle, elle-meme culturellement determinee, provoquantalors un « ebranlement passager du soubassement endogene de lapersonnalite » et l’ouverture d’une fluidite au sein des organisa-tions psychopathologiques.

Il faut donc attendre la XXXIe conference d’introduction a la

psychanalyse, en 1932 [9], pour avoir des elements metapsycho-logiques qui permettent de mieux saisir ce mouvement cliniquedefini par Kretschmer.

Dans cette conference, Freud situe l’instance moıque entre sujetet objet, dote, du fait de cette division, de la capacite de se« dechirer » comme de se rassembler, de se critiquer, se cliver et sereunir a nouveau, selon des directions determinees a l’avance. Ilprecise egalement les difficultes structurales auxquelles l’unite dumoi doit faire face : « Le moi s’est separe d’une partie du ca par desresistances de refoulement. Mais le refoulement ne se poursuit pasdans le ca. Le refoule conflue avec le reste du ca. Un proverbe meten garde de servir deux maıtres a la fois. Le pauvre moi est dans unesituation encore pire, il sert trois maıtres severes, il s’efforce deconcilier leurs revendications et leurs exigences. Ces revendica-tions divergent toujours, paraissent souvent incompatibles, il n’estpas etonnant que le moi echoue si souvent dans sa tache. Les troisdespotes sont le monde exterieur, le surmoi, et le ca » [9].

Ainsi, le moi « se sent entrave de trois cotes, menace par troissortes de dangers auxquels il reagit, en cas de detresse, par undeveloppement d’angoisse [. . .] d’autre part, il est observe pas a paspar le rigoureux surmoi qui lui impose certaines normes decomportement, sans tenir compte des difficultes provenant du caet du monde exterieur qui, au cas ou elles ne sont pas respectees, lepunit par les sentiments de tension que constitue l’inferiorite ou laconscience de la culpabilite » [9]. Le dechaınement du surmoi esteffectivement perceptible dans les deux modalites depressives.

Les relations structurales de la personnalite psychique sontalors definies par Freud dans les difficultes de cohesion du moi, etla nature de l’angoisse qui en decoule : « Ainsi, pousse par le ca,entrave par le surmoi, rejete par la realite, le moi lutte pour venir about de sa tache economique, qui consiste a etablir l’harmonieparmi les forces et les influences qui agissent en lui et sur lui, et


nous comprenons pourquoi nous ne pouvons tres souventreprimer l’exclamation ‘‘la vie n’est pas facile !’’ Lorsque le moiest contraint de reconnaıtre sa faiblesse, il eclate en angoisse, uneangoisse reelle devant le monde exterieur, une angoisse deconscience devant le surmoi, une angoisse nevrotique devant laforce des passions logees dans le ca » [9].

Pour Freud, d’un point de vue dynamique, le moi est faible enenergie. Morceau du ca, « rigide et intraitable », modifie de maniereadequate par la proximite du monde exterieur, « dangereux etmenacant », le moi acquiert son energie, soustraite au ca, par voied’identification.

On peut ainsi proposer l’hypothese que si dans la melancoliefreudienne de 1917 nous avons a faire a une identification quiecrase le moi dans ses ressources vitales, on a a faire avec ladimension sensitive a un trouble dans le moi qui fait vaciller lesidentifications, et fait appel de facon delirante aux premieresressources identificatoires externes : les objets d’amour. Ainsi,pour Kretschmer : « L’experience vecue est egalement la source del’humeur et le but de toute pensee dans le delire de relation, aussiintense et aussi ramifie que celui-ci puisse etre. Toutes les idees,celles d’avoir subi des prejudices et de se sentir observe par lafamille et les camarades, par les gens et les journaux, toutes lescraintes de persecutions, que ce soit par la police ou par lestribunaux, prennent leur point de depart de cette experience etreviennent toujours a la meme source. Et c’est toute la personnalitesensitive qui vit la psychose. Le delire de relation lui-meme est uneimage speculaire exagerement grossie de l’insecurite et de latimidite inherente a cette personnalite » [10].

Sous l’effet de la projection delirante, les objets d’amourdeviennent des objets persecuteurs. L’asthenie s’explique alors parle vidage pulsionnel du fait de la faillite identificatoire, le delireapparaissant comme une tentative de suppleance, « imagespeculaire exagerement grossie de l’insecurite et de la timiditeinherente a cette personnalite ». Ce qui expliquerait egalement quela dimension paranoıaque du delire, en secteur, ne touche que lasphere sociale la plus proche des sujets pris dans la dimensionsensitive, et l’ampleur du risque suicidaire en l’absence del’hypertrophie du moi, qui ne permet pas de lutter contre lesravages surmoıques, effets morbides d’un ideal du moi exacerbe.

Concernant la nature du conflit « ethico-sexuel » et lescoordonnees subjectives et sociales qui pousseraient a la basculemorbide de la dimension sensitive, Freud nous indiquerait alors desuivre les intrications entre les revendications du ca et l’ideal, soitles modalites pulsionnelles de construction de l’ideal, dansl’intrication de ses dimensions sociales et subjectives : « Nousavons deja vu qu’au cours de la vie, le moi recueille en lui un grandnombre de tels precipites d’anciens investissements d’objets. Dansl’ensemble, le moi doit executer les intentions du ca, il remplit satache quand il decouvre les circonstances dans lesquelles cesintentions peuvent etre le mieux atteintes » [9].

La dimension sensitive, et la modalite depressiogene quil’accompagne, se distinguent alors de facon unilaterale dans desorganisations psychopathologiques diverses et distinctes, de lanevrose aux psychoses. A quel point cependant Kretschmer n’a-t-ilpas mis en evidence, a partir de la dimension sensitive, l’existenced’une modalite depressive specifique qui signe l’approche d’unpoint de lachage du symbolique et de la presence au monde dunevrotique, ceci sans pour autant que le sujet soit « condamne » al’errance symbolique propre au monde des psychoses ?

4. Cas clinique : Romane et le ravage de l’impossibleidealisation du maternel

Romane est une femme d’une quarantaine d’annees, mariee, etde son union est nee une petite fille, tres desiree par le couple. Un





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an avant son mariage, elle est hospitalisee pour la proteger de sesmouvements suicidaires, puis suivie pour ses decompensationsdepressives. Les elations maniaques restent toujours suffisammentcontenues pour ne pas necessiter d’hospitalisation. Il faut pourtantattendre plusieurs annees pour qu’un diagnostic de troublebipolaire soit pose, alors qu’elle est dans une labilite thymiquetres importante et a haut risque. Une prescription de thymor-egulateur est alors posee, puis a la place des antidepresseurs. Pource faire, Romane effectue alors un bilan complet, le diagnostic et lesorientations de soin s’affirment, et elle m’est adressee alors que sonetat thymique est nettement ameliore. A notre rencontre, je suisd’emblee depositaire d’une demande d’analyse. Sa voix oscille aupremier rendez-vous, comme son humeur, de tons graves a tresaigus. D’une voix affirmee et pleine d’humour, elle glisse vers unetoute petite voix tremblante, parfois a peine un souffle tout justeaudible. J’entends d’abord une femme qui souffre, perdue vis-a-visde son desir, puis, longuement, la voix d’une petite fille qui se plaintde sa mere. Romane ne peut pas se passer d’elle et encore moins deson aide, mais cette mere ne l’aime pas.

Pourtant celle-ci est partout, que Romane le veuille ou non. Etpendant que Romane lui adresse constamment une demanded’amour systematiquement insatisfaite, cette mere affiche uneveritable passion envahissante pour sa petite fille, la fille deRomane. Alors Romane voudrait desesperement un autre enfant,qu’elle ne pourra bientot plus avoir, et se plaint du manque de desiractif de son mari a son egard. La cure est ainsi positionnee sur lesravages du maternel, dans ses rapports avec la conjoncturebipolaire et ses risques de faillite du symbolique. Suivre lesoscillations de la voix de Romane, dans le dessin de son corpscomme dans l’examen de ses modalites de rapport a l’objet, ouvraitalors la possibilite de degager des perspectives de stabilisation, etnous allons voir comment la problematique de l’elaboration de lafeminite, dans son rapport a l’ideal, a permis de stabiliser lapresence de fantasme phallique, permettant de conserver l’usagede la fonction phallique propre a la nevrose comme a l’organisationhysterique de Romane.

4.1. Le ravage du corps et les risques de decrochage du symbolique

sous l’effet de l’imago maternel

Au fur et a mesure de l’analyse, comme de la prise duthymoregulateur et de ses ajustements, la voix de Romane se pose,et son humeur se stabilise. Elle qui ne revait pas, se surprend arever :

� elle est dans un hopital, en consultation, elle est enceinte.Plusieurs medecins examinent l’echographie qui est affichee aumur. Son mari est avec elle. Ils regardent avec angoisse, et lesmedecins leur annoncent que l’enfant est anormal, il va falloiravorter. Contre toute attente pourrait-on penser, si Romane esttriste, elle est surtout profondement soulagee. Elle ne mettra pasau monde d’enfant monstrueux. Leur petite fille est magnifique,et avec ce reve, elle est certaine qu’ils n’auront qu’un seul enfant ;� le suivant, Romane vient d’accoucher. Elle est seule dans un lit

d’hopital, et prise de panique devant sa maternite, elle s’enfuit.Elle pense que c’est tres mal, on ne fait pas ca, mais la panique estinsoutenable. Elle court a toute allure au dehors de l’hopital. La,elle croise un inconnu, tres seduisant, et le suit dans la foret. Ilsvivent un moment aussi erotique qu’excitant et satisfaisant, ellene veut pas partir. Un camion vient pourtant la chercher pour laramener malgre elle. A regret, elle retourne a sa vie maritale etmaternelle.

Ces deux premiers reves mettent en evidence le principe memesur lequel la psychanalyse s’est fondee, soit qu’il existe unedisjonction radicale entre ce qu’un sujet peut consciemment


demander, meme en matiere de soin, et son desir inconscient. C’estbien sur en suivant au plus pres les productions symboliques dudesir inconscient qu’au fur et a mesure, nous pouvons permettre ausujet d’etre moins aveugle sur le fantasme qui organise son desir, etd’etre moins symptomatique dans ce qu’il organise pour lesatisfaire. Or, ici, ce que designent tres clairement ces reves deRomane, c’est :

� qu’un enfant monstrueux se cache sous son desir maternel ;� qu’elle refuse cette maternite au moins autant qu’elle la

demande ;� que son desir de femme et la satisfaction maternelle, ca ne va pas

du tout ensemble.

Markos Zafiropoulos a retrace, de Freud a Lacan, comment la petitefille entrait dans l’¨dipe par la haine de la mere et l’ideal de lavierge, rendant cela bien peu compatible avec une idealisation dumaternel [17]. Cette disjonction met aussi en evidence, dans uneperspective plus lacanienne que freudienne, comment la femmeest alors face a une incompatibilite fonciere de posture entre etre lephallus, desir de l’Autre, que nous retrouvons sous la forme de lavierge de Dresde, et l’avoir, dans le registre des biens maternels,octroyes par l’enfant [13]. Ce que Romane eprouve, au prix d’untiraillement du moi qui epuise ses ressources libidinales, et quilaisse emerger deux modalites de solutions : ou la dimensionthymique depressive avec les ideations suicidaires et des risquesmajeurs pour l’unite du moi, ou le degagement des entraves par larupture de ses liens avec l’objet d’amour. Ce que nous voyons tantavec l’abandon de l’enfant que du mari, mais egalement avecl’abandon des ideaux qui structurent le social : « S’enfuir comme ca,je sais bien que ca ne se fait pas, mais je ne peux pas faireautrement. »

Nouvel extrait de reve. Romane est assise a une fenetre, et voitdans la rue, en bas, une mere homard, qui marche tres enervee avecune poussette devant elle. Elle est pleine de pinces qui s’agitent aubout de ses multiples bras, et qui font clac clac clac, comme si ellescoupaient dans l’air. Une petite fille-homard hurle dans lapoussette : « Maman, ne m’abandonne pas, ne me laisse pas ! »Dans le reve comme dans l’analyse, Romane sait que cette merehomard monstrueuse et pleine de pinces n’est rien d’autre qu’elle-meme. Par la suite, je reprendrai ce reve, avec une question :pourquoi un homard ? Est-ce un home-art, un homme-art ?Reponse de Romane : « l’homme qu’en a marre. . . », suivie d’un fourire. « L’homme qu’en a marre » fait apparaıtre une dimensiond’identification phallique a l’occasion de la verbalisation. Dans cemouvement, lorsque Romane veut expliciter l’origine de sonprenom, elle dit : « Mais enfin quoi ! C’est le feminin de roman,voyons ! », marquant ainsi, par le prenom, un passage necessairevia la dimension phallique pour pouvoir positionner l’identifica-tion feminine. Ce point engage alors l’affirmation d’un positionne-ment subjectif eminemment stabilisateur pour l’organisationpsychique de Romane.

Ce reve vient boucler un long parcours ou elle elabore, parmorceaux, ses sensations et son corps, les sensations de son corps,dans une veritable cartographie de zones qui portent en elles despoints de vie comme de mort, ainsi que des zones vecues en coursde decomposition. Ces dernieres sont directement liees a laproblematique de la maternite, quand les zones vivantes ou mortessont liees aux differentes strategies alimentaires ou addictives,telles que l’anorexie, la boulimie, le « schit » ou plus anciennementl’heroıne. Cette cartographie est intimement liee tant avec ladimension maternelle en elle qu’avec les strategies essentielle-ment toxicomaniaques qu’elle utilise pour mettre a distance lesravages de l’imago maternelle. Parfois, des emergences d’imagestres crues sont recuperees dans le discours grace a l’humour. Ledessin de son corps est vecu comme barre, coupe, fait de morceaux




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ajustes les uns aux autres sans communication entre eux, etappelle la necessite de trouver des strategies pour l’aider a vivreson corps comme entier, et unifie. Nous retrouvons alors laformulation theorico-clinique [18], qui propose que face a lapuissance feminine de la haine de l’imago maternelle et de sesravages, nous sommes autorises a penser que la condition del’¨dipe au feminin se paie du prix d’une forclusion de l’imagomaternelle, rendant ainsi plus ou moins fragile l’inscriptionnevrotique des filles. Ce que Romane eprouve au plus vif desravages contre son unite corporelle.

Romane me donne alors des indications sur la maniered’entendre son corps, loin d’un savoir medical organise en dehorsd’elle, indiquant directement la mise au travail du rapport a lajouissance installe au sein de l’analyse entre sujet et objet, dans unintense appel a la realisation de l’action specifique [15].

Au fur et a mesure, certains reves et elements de la realiteindiquent pourtant qu’elle retrouve l’usage de zones vecuesjusque-la comme mortes, ou en decomposition. Ainsi d’un reveou elle retrouve l’usage du bas-ventre, pleinement vivant etsatisfaisant, dans une jouissance urinaire. Juste avant de sortir avecune amie, elle se rend aux toilettes, et parle, la porte ouverte, a sonamie qui se tient sur le seuil. Les effets sur le lit conjugal lareveillent. Le reve et ses effets restent inscrits dans la satisfaction etl’humour : « Quand meme, du coup je lui ai dit [a son mari], t’en asde la chance ! Tous les hommes n’ont pas une femme qui fait pipiau lit ! » et a moi, en fin de seance, d’un ton humoristique etpresque enfantin : « Peut-etre la prochaine fois, je vais faire caca ! »Un mouvement de regression lui permettait de revivre dessensations corporelles de l’enfance qui etaient disparues depuisson adolescence, sauf sous l’usage des drogues telles que le shit oul’heroıne, dans un contexte ou elle a mis fin a toute consommationau cours de l’analyse.

Avec ce point de difficulte de l’elaboration de la fonctionphallique entre etre et avoir, ce qui est pose, c’est bien l’idee d’uneposture subjective face au systeme symbolique qui organise lessocietes comme les lois de la parole et du langage. Et c’est bien dansce champ que va s’affirmer la stabilisation de Romane, au gre dudeploiement de son rapport aux langues comme de l’usage del’humour au sein des seances d’analyse, revelant sa quete de verite,mais occasionnant aussi une mise en mouvement de ses rapportsau social, et notamment aux groupes de femmes.

4.2. Le jeu des langues et l’humour comme defense pour maintenir

l’ancrage dans le symbolique et la nevrose [8,16]

Romane parle plusieurs langues. Anglais avec elegance,allemand, alsacien, italien. . . en usage courant. Pourquoi cetattachement specifique a l’anglais ? « Parce que c’est une languerien qu’a moi, et c’est en meme temps celle du monde entier ». Audetour d’une seance, elle evoque l’impact de la langue sur soncorps. Agee d’a peine plus de 21 ans, alors qu’elle a mis fin a sonparcours d’etudes en sciences politiques et qu’elle travaille, qu’ellevit seule, elle est prise d’attaques de panique. Elle sent son cœurbattre la chamade, des sensations d’etouffement, des frissons, dessueurs, tremblements, crispations et crampes, tetanies et troublesvisuels. . . La premiere fois, terrifiee, elle appelle sa mere. Autelephone, lorsqu’elle entend le son de la voix maternelle, elle estsoudainement dans l’incapacite de parler elle-meme. Elle a oubliesa langue. A l’arrivee des pompiers, elle leur parle en anglais. Petit apetit, elle retrouve l’usage de son corps puis celui de sa languematernelle. Par la suite, elle ne l’appellera plus, et le rituel dudialogue en anglais avec les pompiers contribuera a chaque foisaux strategies medicales lui permettant de retrouver tant sa placedans le monde que dans la langue. Par la suite, lorsque le cœurs’emballe, elle se change et va courir. Avec la pratique sportive, ellemet le corps au diapason des battements du cœur, et le phenomene


s’arrete. Avec l’attaque de panique, nous voyons alors le retour al’usage d’un « regime sexuel fruste autant qu’archaıque », porteurdes premiers fremissements de la sexualite infantile. Sonamplification morbide intervient par la voix de la mere,provoquant alors un decrochement ponctuel de la langue, enl’occurrence ici la langue maternelle.

Enfin, Romane est perdue, seule, dans une ville ou il neige. Ellereconnaıt les gens qui passent sans la regarder, telle unemendiante, jusqu’au moment ou une femme la voit, et l’emmenechez elle pour l’aider. Une fois dans l’appartement de cette femme,Romane voit une photo de celle-ci avec une petite fille. Elle realisealors que cette femme est la mere d’une amie de sa fille, et qu’elleen train de vivre l’entraide entre meres.

Ce reve va entraıner deux mouvements nouveaux. Tout d’abordune demande a l’analyse : que je vois, reconnaisse, les qualites de labonne mere en elle, et pas seulement ses errances dans le reperagede ses desirs de femme, ce qui etait effectivement jusque-la aupremier plan. Puis, elle va commencer a imaginer de vraismoments de detente auxquels elle pourrait enfin acceder : et la,il faut qu’il s’agisse de rencontres entre meres specifiquementcelibataires, divorcees. Prenons en note qu’elle n’a aucune envie dedivorcer, son epoux est un point de stabilite psychique precieux, etque dans le meme temps, elle s’est toujours vecue dans lescommunautes feminines, jeune fille comme femme, comme etanttoujours exclue, attaquee, blessee, par la jalousie et l’envie desautres femmes.

Dans ce mouvement, apparaissent un certain nombre d’ideauxau feminin, incarnes generalement par des femmes divorcees. Elleen appelle egalement a plusieurs reprises au souvenir d’anciennesaspirations ponctuelles a rentrer dans des ordres religieux, dutemps de son adolescence. Ainsi, ce qui vient stabiliser, a cemoment de la cure, l’image du desir au feminin, c’est, a partir del’abandon des avoirs, de la pauvrete (Romane prend l’allure d’unemendiante), la rencontre avec d’autres femmes, satisfaites malgretout par un enfant, ou le groupe de femmes, unies en tant quevierges, sœurs spirituelles, mariees au pere mort.

Les meres divorcees ici, apparaissent donc, a l’egal des vierges,comme celles qui abandonnent la voie substitutive de l’epoux pourretrouver l’alliance libidinale premiere avec le pere mort. Lesdivorcees ayant gagne, entre-temps, une autre satisfactionsubstitutive perenne par voie d’enfant.

Ce qui apparaıt alors comme ideal de foule de femme pourRomane n’est pas sans evoquer le mode de constitution de lapremiere foule de femmes, au XIII

e siecle, rassemblee autour del’ideal de sainte Claire. L’ordre des Clarisses propose alors un idealdu sacrifice et de la pauvrete dans l’adoration du pere mort del’Eglise au sein d’une vie monastique contemplative. A ceci presqu’elles preservent de l’avoir, et qu’elles ont quand meme unenfant.

Les vacances seront l’occasion de nouvelles rencontres,feminines, qu’elle me raconte. Elle me parle du miroir que cesdeux femmes lui renvoient. Bonne mere, bonne epouse « meme sice n’est pas ce que je recherche dans la vie, etre une bonneepouse ! », dans tous les cas, liee d’amour avec un homme pourlequel le lien reste stable, meme dans les mouvements, meme dansl’insatisfaction sexuelle. Elle se sent percue comme une femmeagreable, sans representer de danger pour ces femmes, puisqu’elleest mariee. Ces relations lui ont ete agreables, elles lui apprennentqu’en amitie feminine, « tout n’est pas perdu ». Cela lui fait d’autantplus de bien que son corps changeant, elle ne se voit plus dans lemiroir. La femme qu’elle y voit, c’est un autre corps que celuiqu’elle ressent. Et ce corps a perdu tous les indices de seductionqu’elle se connaissait adolescente. Ce corps qu’elle voit face a elle ladegoute, elle ne peut pas l’aimer, encore moins en jouir. Dans lesmoments d’amour avec son mari, le corps du miroir se rappelle aelle. Seuls, les regards feminins jaloux qu’elle a percus sur la plage,





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le long de ses jambes, la rassurent. Quelque chose dans le regarddes femmes la stabilise. Pas celui de sa mere, parce qu’il n’a « niqueue ni tete », elle n’est pas fiable. Elle a besoin de relationsmultiples avec les femmes, qui lui offrent la reverberation deplusieurs facettes d’elle-meme. En duel, parce qu’elle ne peut pasplaire en meme temps au plus grand nombre. En meme temps, ellesait que la chose pour laquelle elle est d’abord aimee, c’est aussiexactement la meme chose qui, plus tard, declenche la jalousie,voire la haine. Ca ne tient pas, « ca vire ». Quand je l’interroge sur cequi, selon elle, permet que ca tienne, si c’est au-dedans d’elle ou audehors, elle me repond qu’elle sent que c’est a cause d’elle que cavire, de son humeur qui n’est pas stable. Ca bouge en elle, entre joieet depression, et ca fait bouger l’autre. Pour que ca fonctionne dansun groupe de femmes, il faudrait, selon elle, qu’il soit federe par« l’humour ». Et c’est ici que se situe deja un des points de soliditequ’elle eprouve avec son mari, « le seul qui la fasse rire », et qu’ellemet egalement en jeu abondamment dans l’analyse.

Le mot d’esprit cache sa veritable source de plaisir en memetemps qu’elle la met en lumiere par l’effet de la « plaisanterie », « lasource primitive de plaisir est rapportee a une periode ludique del’activite infantile, a ce premier jeu avec les mots qui nous rapportedirectement a l’acquisition du langage en tant que pur signifiant,au jeu verbal, a l’exercice que nous dirions presque purementemetteur de la forme verbale » [14]. Il introduit de fait des desirsqui ont la faculte specifique de resister a l’usure de la satisfactiontout en entrant « dans les voies structurantes qui sont celles memesde l’inconscient » [14]. Les desirs se conservent dans l’inconscientsous leur forme symbolique, et constituent une trace indestructibleetudiee par Freud dans le Witz [4]. Lacan precise que c’est de selaisser supporter par la structure symbolique qu’ils sont maintenusa un niveau de circulation du signifiant datant d’avant la maıtrisedes regles du langage. Le trait d’esprit est alors une demande sansobjet, il realise le nœud entre l’usage du signifiant et le plaisir. Ilcorrespond a la formulation d’une demande qui doit s’inscrire dansle systeme de l’Autre pour produire son effet. Pour Lacan, le desirdu sujet portant le Witz sera « pris et remanie non seulement dansle systeme du signifiant, mais dans le systeme du signifiant tel qu’ilest instaure, ou institue dans l’Autre », si le trait d’esprit evacuel’objet, il maintient le rapport a l’Autre.

Ce faisant, c’est alors un processus parallele a la transformationmaniaque de la melancolie que nous voyons Romane mettre enœuvre dans un registre non morbide.

La clinique freudienne de la maniaco-depression met en avanten effet la facon dont, au revirement maniaque, le sujet se libere del’objet perdu dans la melancolie. Veritable insurrection du moi, lesujet evacue l’objet dont l’ombre etait tombee sur le moi, liberantainsi le sujet auparavant soumis aux affres des exigences d’unsurmoi dechaıne. Le virage maniaque, dans une liberation du sujetvis-a-vis de la torture de l’objet perdu, libere la capacite d’amourdans un mouvement de retour au narcissisme originaire ou moi etideal du moi ne se sont pas encore dissocies sous l’effet de larencontre avec la (triste) realite [7]. L’humour permet alors cettesortie de l’objet sans le decrochage de la fonction symbolique. Ladimension des relations speculaires apparaıt effectivement iciessentielle dans ses facultes de regulation comme de deregulationde la jouissance.

Trois modes de stabilisation apparaissent alors pour Romane :

� la voie de la satisfaction par l’enfant et le mari ;� celle du rapport speculaire aux autres femmes ;� le mode de regulation du groupe de femmes : par le sacre dans

l’adolescence puis maintenant par l’humour, qui permet un rejetde l’objet sans decrocher de la fonction symbolique.


5. Conclusion

Quand un risque de faillite du symbolique se presente pour unsujet, a l’entree ou au cours d’une cure analytique, travailler sur lescoordonnees psychiques de l’acte de langage est une vraienecessite. Il s’agit alors moins de penser le contenu desrepresentations que de se situer, pour le clinicien, sur la diachroniede leur enchaınement et de leur sens dans l’acte psychiqued’enonciation [17]. Les processus physiques et dynamiques desformations de l’inconscient (reves, symptomes, thymiedepressive. . .) vecues par le sujet entre les deux instances dumoi ideal et de l’ideal du moi informent sur les processus de liaisonet de deliaison du moi-corps [1].

Nous voyons alors comment Romane trouve finalement, dansl’ici et maintenant des seances, une posture subjective tenable ausein du fantasme. Pour Freud, c’est la meme instance psychique quitravaille tant pour produire les foules que pour provoquer lestroubles maniaco-depressifs : l’ideal du moi, et nous voyons avecRomane qu’il y a bien la la question tant du rapport a l’objet que del’appel a une fonction phallique qui regule tant la clinique du casque celle des societes. La stabilisation dans le maniement de lalangue et la verbalisation du corps permet d’elever l’acte psychiquecontenu dans l’humour au niveau d’equivalent de la relationd’objet au sein des troubles bipolaires. Nous voyons egalementcombien la finesse des descriptions nosographiques de lapsychiatrie classique reste riche d’enseignements pour les con-duites de cure dans notre modernite.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References

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http://refhub.elsevier.com/S0003-4487(13)00315-6/sbref0005






































Documents

De la thymie dépressive au risque d’effondrement psychotique, évaluation psychanalytique des effets morbides de l’idéal et de ses conséquences dans la conduite de cure