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Traits de la personnalité dépressive/masochiste et violence conjugale au sein du couple
Mémoire doctoral
Emmanuelle Cloutier
Doctorat en psychologie
Docteur en psychologie (D.Psy.)
Québec, Canada
© Emmanuelle Cloutier, 2016
iii
Résumé
Jusqu’à présent, peu de chercheurs se sont intéressés à l’étude de la personnalité
pathologique dans le cadre des relations conjugales selon une perspective psychodynamique, et
encore moins à l’étude de la personnalité dépressive/masochiste (PDM) telle que conceptualisée
dans le modèle de l’organisation de la personnalité de Kernberg (1984). Puisque la prévalence des
troubles de la personnalité dans la population clinique est élevée, l’approfondissement des
connaissances dans ce domaine constitue une priorité scientifique. Le présent projet propose de
mieux comprendre l’impact des traits de la PDM sur la satisfaction conjugale en considérant l’effet
médiateur de la violence conjugale chez des couples selon une perspective dyadique. L’échantillon
est composé de 158 couples consultant en psychothérapie et ayant tous remplis l’Inventaire de
l’organisation de la personnalité, un questionnaire permettant de mesurer les traits de la PDM,
l’Échelle d’ajustement dyadique, un outil mesurant la satisfaction conjugale, et la version la plus
récente du Conflict Tactics Scale (CTS-2), une mesure permettant d’évaluer la présence de violence
conjugale perpétrée et vécue.
v
Table des matières
Résumé ............................................................................................................................................... iii
Table des matières ............................................................................................................................... v
Liste des tableaux ............................................................................................................................... vii
Liste des figures ................................................................................................................................... ix
Remerciements .................................................................................................................................... xi
Introduction .......................................................................................................................................... 1
L’approche psychodynamique ......................................................................................................... 4
Théorie de l’organisation de la personnalité de Kernberg ............................................................ 5
La personnalité dépressive/masochiste ....................................................................................... 6
Masochisme et satisfaction conjugale ............................................................................................. 9
Personnalité et relation conjugale .................................................................................................. 10
Violence conjugale situationnelle ............................................................................................... 12
Violence conjugale et personnalité ............................................................................................ 13
Objectifs et hypothèses ..................................................................................................................... 16
Méthode ............................................................................................................................................. 16
Mesures ......................................................................................................................................... 17
Satisfaction conjugale ................................................................................................................ 17
Traits de personnalité dépressifs/masochistes .......................................................................... 17
Violence conjugale ..................................................................................................................... 18
Procédure ...................................................................................................................................... 18
Plan d’analyses statistiques ........................................................................................................... 19
Résultats ............................................................................................................................................ 20
Discussion ......................................................................................................................................... 23
Bibliographie ...................................................................................................................................... 29
Tableaux ............................................................................................................................................ 35
Figures ............................................................................................................................................... 37
vii
Liste des tableaux
Tableau 1 : Moyennes, É-T, tests-t appariés et tailles d’effet pour les traits de la personnalité dépressive /masochiste (PDM), la violence physique vécue (PHYPART) et la satisfaction conjugale (DAS)……………………………………………………………………………………................................35 Tableau 2 : Corrélations entre les variables traits de la personnalité dépressive/masochiste (PDM), la victimisation (PHYPART) et la satisfaction conjugale (DAS) chez les hommes (h) et les femmes (f)………………………………………………………….…......................................................................36
ix
Liste des figures
Figure 1 : Modèle d’interdépendance acteur-partenaire montrant les associations entre la violence physique vécue (PHYPART), les traits de la personnalité dépressive/masochiste (PDM) et la satisfaction conjugale (DAS) chez les hommes et les femmes (*p<.05)……………………………………..…………………………………………………………….........37
xi
Remerciements
Je souhaite d’abord remercier Stéphane Sabourin, mon directeur de recherche et
superviseur clinique. Mon projet de mémoire doctoral m’a passionnée tout au long de mon doctorat
et a stimulé mes apprentissages tant en clinique qu’en recherche. J’estime être choyée d’avoir pu
bénéficier de votre expertise, de votre passion et de votre impressionnante expérience. J’ai eu la
chance d’avoir un directeur de recherche et un superviseur dévoué, à l’écoute, extrêmement
généreux de son temps, de son énergie et de son savoir. Vos qualités de pédagogue et l’intérêt que
vous portez à vos étudiants m’ont permis de développer non seulement mes compétences en
recherche et en clinique, mais également une assurance et une confiance en moi. J’en suis très
reconnaissante. Merci de m’avoir supportée tout au long de mon doctorat et dans tous les défis que
de telles études comportent. Merci également de m’avoir encouragée à toujours me dépasser et à
pousser mes limites. Vous me faisiez remarquer à quel point j’ai cheminé depuis le début de mon
doctorat et je suis fière aujourd’hui de constater tous ces accomplissements. Merci infiniment !
Je souhaite également remercier Catherine Bégin, membre de mon comité de mémoire
doctoral. Votre analyse, votre rigueur et votre minutie ont permis de contribuer grandement à la
qualité de mon travail. Je suis reconnaissante de cette aide précieuse et très fière du résultat final.
Je tiens également à remercier ma superviseure clinique Danielle Lefebvre. Vous avez
grandement contribué à ériger les bases de ma pratique clinique en m’enseignant l’importance de la
rigueur et de la minutie. Votre capacité à communiquer votre savoir de façon simple et claire, ainsi
que l’aide que vous m’avez offerte afin de stimuler ma réflexion sur certains aspects de moi m’ont
permis de réaliser énormément d’apprentissages qui m’accompagneront tout au long de la carrière
qui se dessine devant moi. La bienveillance, l’investissement et l’intérêt sincère que vous m’avez
porté m’ont grandement supportée tout au long de mon doctorat, même après avoir terminé mes
stages avec vous. Ces apprentissages m’ont servi dans la rédaction de mon mémoire en me
permettant d’y intégrer toute ma sensibilité et mon expérience clinique, ce qui a selon moi,
grandement contribué à enrichir mon travail.
J’aimerais remercier Karine Laforest et Sarah Paquin, mes deux superviseures pendant mon
dernier stage clinique. Vous êtes des modèles de cliniciennes et de femmes que j’admire
grandement. Dans mes yeux de supervisée, vous m’impressionniez par votre flair clinique, votre
xii
pertinence, vos habiletés de pédagogue, la confiance que vous dégagiez, et ce qui m’impressionnait
par-dessous tout, c’était que vous étiez de jeunes professionnelles qui avaient terminé leur doctorat
depuis peu. Pour moi qui doutais alors énormément de mes compétences, c’était très encourageant
de vous voir travailler et de penser que par mes efforts, j’allais probablement moi aussi développer
cette belle assurance. Vous étiez des alliées précieuses par votre délicatesse et votre sensibilité afin
de m’aider à rester à l’affut des points que j’avais à améliorer. J’estime que ces belles qualités que
vous détenez m’ont permis de réaliser beaucoup d’acquis avant de partir en internat et m’ont
grandement aidé à développer ma confiance en moi. J’en suis très reconnaissante. J’espère avoir la
chance de vous côtoyer encore longtemps!
Enfin, j’aimerais prendre quelques lignes afin de remercier mes proches. Merci à mes fidèles
amies du doctorat Mélodie, Alexandra et Émilie, à mes amies depuis toujours Béatrice, Audrey,
Fanny, Charline et Michelle, ainsi qu’à ma précieuse famille de m’avoir supportée à travers ces
longues années d’études qui ont été ponctuées de plusieurs épreuves. Vous étiez toujours là pour
prendre soin de moi dans les moments les plus difficiles et j’éprouve beaucoup de gratitude pour
cette présence. Votre amour et votre écoute ont été indispensables pour passer à travers toutes ces
années exigeantes. J’estime être choyée d’avoir des personnes comme vous à mes côtés.
1
Introduction
La dissolution d’une union conjugale marque l’aboutissement d’un processus d’insatisfaction
conjugale de durée variable et elle est associée à plusieurs conséquences négatives sur le bien-être
des individus. Effectivement, comparativement aux couples mariés, les individus divorcés rapportent
davantage de problèmes de santé, un plus grand risque de mortalité, une sexualité moins
satisfaisante et un sentiment de bonheur et d’acceptation de soi plus faible (Amato, 2000).
Actuellement, au Québec, le phénomène de dissolution des unions s’est accéléré; ainsi, de 1969 à
2008, le taux de divorce est passé de 8,8% à 49,9% (Institut de la statistique du Québec, 2011).
Dans ce contexte, la compréhension des déterminants de la satisfaction conjugale est essentielle
pour développer des modes d’intervention efficaces et pour mieux saisir les facteurs contribuant à la
longévité des relations de couple (Karney & Bradbury, 1995).
Parmi les déterminants de la satisfaction conjugale, les conceptions contemporaines font
référence au rôle central de la personnalité pour comprendre le développement, la qualité et la
stabilité des unions (Daspe, Sabourin, Péloquin, Lussier & Wright, sous presse ; Daspe, Sabourin,
Péloquin, Lussier & Wright, 2013; Claxton, O’Rourke, Smith & DeLongis, 2011; Disney, Weinstein &
Oltmanns, 2012; Lavner & Bradbury, 2010; Masarik al., 2013; O’Rourke, Claxton, Chou, Simith &
Hadjistavropoulos, 2010; Rosowsky, King, Coolidge, Rhoades & Segal, 2012). Selon les données du
Bureau central des statistiques aux Pays-Bas, près de 40% des couples divorcés ont rapporté que la
personnalité de leur partenaire constitue une raison majeure de divorce (De Graaf, 2006 cité dans
Barelds & Barelds-Dijkatra, 2006). Du côté Américain, Amato et Previti (2003) indiquent que les
problèmes de personnalité seraient la cinquième raison la plus souvent évoquée lors du divorce. Ces
statistiques ne tiennent cependant pas compte des relations de cohabitation.
Dans leur modèle Vulnérabilité-Stress-Adaptation (VSA), Karney et Bradbury (1995)
proposent que les vulnérabilités personnelles de l’individu, telle la personnalité, constituent des
variables stables qui contribuent à favoriser l’émergence de situations stressantes dans la relation
conjugale, par exemple les différences d’opinions avec le conjoint et les transitions de vie. Les
vulnérabilités personnelles déterminent également la qualité des stratégies d’adaptation que l’individu
privilégie lorsqu’il est confronté à ces situations. Ces comportements se répercuteraient ultimement
sur la satisfaction conjugale et la longévité de la relation. Quelques études longitudinales ayant
2
étudié des segments spécifiques du modèle supportent cette conceptualisation (Marshall, Jones &
Feinberg, 2011; Stroud, Durbin, Saigal, & Knobloch-Fedders, 2010; Woszidlo & Segrin, 2013; pour
une recension, voir Karney, 2015).
Toutefois, les résultats d’études longitudinales majeures réalisées au cours des 20 dernières
années suivant le développement du modèle de Karney et Bradbury (1995) ont contribué à une
remise en question de la stabilité des vulnérabilités personnelles et de la personnalité telle que
conçue par Karney et Bradbury (Roberts, Walton & Viechtbauer, 2006; Blais-Bergeron, 2013 ;
Allemand, Hill & Lehmann, 2015; Boyce, Wood, Daly & Sedikides, 2015; Kandler, Kornadt,
Hagemayer & Neyer, 2014). Par exemple, la méta-analyse de Roberts et ses collègues (2006)
auprès d’échantillons de la communauté rassemblant 50 120 participants soutient l’hypothèse d’une
évolution longitudinale normative de la personnalité. Les traits de personnalité évolueraient dans le
temps en fonction d’étapes développementales que les individus traversent dans leur vie, comme
l’entrée sur le marché du travail, le mariage, l’arrivée des enfants, etc. De même, les résultats de
l’étude longitudinale d’Allemand et al. (2015), réalisée auprès de 526 individus de la communauté sur
une période de 12 ans suite à un divorce, ainsi que l’étude de Boyce et ses collègues (2015),
réalisée auprès de 6 769 individus de la communauté ayant confronté ou non une perte d’emploi sur
une période de quatre ans, concordent également avec ceux obtenus par Roberts et al.. Ces auteurs
montrent que l’exposition à des stresseurs majeurs, comme un divorce ou une perte d’emploi, est
associée à des modifications des traits de la personnalité. Par ailleurs, l’ étude longitudinale réalisée
par Kandler et ses collègues (2014) auprès de 410 jumeaux âgés entre 64 et 85 ans sur une période
de cinq ans révèle que les stratégies d’adaptation employées afin de faire face aux réalités du
vieillissement sont associées à des modifications de la personnalité, notamment à une élévation du
névrosisme ainsi qu’à une diminution de l’extraversion, de l’agréabilité, de l’ouverture à l’expérience
et du caractère consciencieux (Kandler et al., 2014). Ces auteurs ont également montré que
l’exposition à des facteurs environnementaux différents chez chacun des jumeaux est associée à des
différences individuelles au plan de l’ensemble des traits de personnalité tels que mesurés par
l’inventaire de la personnalité en cinq facteurs (Costa & McCrae, 1992), mis à part l’extraversion. Qui
plus est, les résultats d’une étude longitudinale réalisée par Blais-Bergeron (2013) auprès d’un
échantillon de la communauté montrent que l’adoption de stratégies de gestion des conflits basées
sur des conduites de violence estimée par les partenaires, qui peut être conceptualisée comme une
stratégie d’adaptation inadéquate, prédit l’estimation ultérieure de l’organisation limite de la
3
personnalité telle que mesurée par l’Inventaire de l’organisation de la personnalité (Normandin et al.,
2002). Ces données empiriques sont d’une grande importance d’un point de vue théorique puisqu’ils
remettent en question les conceptualisations unidirectionnelles de l’association entre la personnalité,
les stratégies d’adaptation et les événements stressants telle qu’illustrée dans le modèle VSA
(Karney & Bradbury, 1995).
En raison du caractère novateur des résultats des études présentées ci-dessus et de leurs
répercussions potentielles sur les conceptualisations contemporaines de la personnalité dans le
contexte des relations conjugales, le présent projet de recherche vise à mieux comprendre
l’association entre les stratégies d’adaptation, opérationnalisées via la violence physique entre les
conjoints, et la personnalité telle que conceptualisée par Kernberg (1984).
Jusqu’à présent, la plupart des auteurs s’étant intéressés au modèle de Kernberg (1984)
dans le contexte des relations conjugales se sont penchés sur l’étude d’une portion de ce modèle,
soit les principaux construits structuraux de la personnalité, c.à.d. les défenses primitives, le contact
avec la réalité et l’intégration de l’identité. Ces concepts seront définis dans une section ultérieure du
texte. Très peu d’études portent sur la validation de la seconde portion du modèle qui concerne les
relations objectales névrotiques (hystérique, obsessionnelle et dépressive-masochiste) ou limites
(narcissique, paranoïde, infantile, schizoïde). Seulement trois études ont été recensées (Naud et al.,
2013; Doering et al., 2013; Normandin et al., 2002). Parmi ces trois études, Naud et ses collègues
(2013) se sont plus particulièrement intéressés aux traits de la personnalité dépressive/masochiste
(PDM), qui constituent un type de relation objectale caractérisé par le sacrifice de soi excessif, dans
le contexte des relations conjugales. En raison des caractéristiques de la PDM, entre autres, la
présence de difficultés au plan de la gestion de l’agressivité, il s’avère pertinent de s’intéresser à la
propension de ces individus à avoir recours à des stratégies de résolution des conflits basées, en
partie, sur des conduites de violence. Les caractéristiques de ce trouble de la personnalité sont
décrites en détail dans une section ultérieure du texte. Le présent projet propose donc de poursuivre
le travail de validation entrepris par Naud et ses collègues (2013) en s’intéressant également aux
traits de la PDM dans le contexte des relations de couple. Plus précisément, l’étude vise à mieux
comprendre l’effet médiateur des traits de la PDM sur l’association entre les stratégies d’adaptation,
dans ce cas-ci le recours à des conduites de violence physique, et la satisfaction conjugale.
4
L’approche psychodynamique
Jusqu’à présent, la plupart des chercheurs qui se sont intéressés à la pathologie de la
personnalité dans le contexte conjugal l’ont fait en se basant sur le modèle de la personnalité en cinq
facteurs, une théorie développée pour conceptualiser la personnalité normale (Costa & McCrae,
1992).
Plusieurs spécialistes ont récemment questionné la validité du modèle de la personnalité en
cinq facteurs (Costa & McCrae, 1992) pour expliquer les modes d’organisation dysfonctionnels de la
personnalité (Clark, 1993; Kernberg & Caligor, 2005; Laverdière et al., 2007 ; Shedler & Westen,
2004). Les concepts au cœur de ce modèle ne seraient pas suffisamment spécifiques pour
appréhender la personnalité pathologique (Clark, 1993). Kernberg et Caligor (2005) questionnent
également la possibilité d’utiliser les connaissances émergeant de ce modèle en pratique clinique
puisque ce dernier ne serait lié à aucune approche théorique et clinique particulière.
Le modèle de l’organisation de la personnalité de Kernberg (1984) permet de pallier à
certaines des limites du modèle de la personnalité en cinq facteurs. Il a été spécifiquement
développé afin de mieux comprendre les modes pathologiques d’organisation de la personnalité. Il
s’agit d’un modèle conceptualisant la pesonnalité sur un continuum de sévérité et qui propose un
rationnel théorique permettant d’expliquer la présence de comorbidité entre les troubles. De plus, il
est basé sur un rationnel théorique complexe qui offre des hypothèses quant à l’étiologie et la
symptomatologie des troubles (Blais-Bergeron, 2013). Par ailleurs, la qualité des relations d’objet est
centrale dans le modèle de Kernberg (1984) et constitue la base du traitement psychodynamique des
troubles de la personnalité. Les concepts au cœur de la théorie de Kernberg (1984) s’avèrent
pertinents en pratique clinique puisqu’ils font l’objet d’un manuel de traitement psychodynamique des
troubles de la personnalité dont l’efficacité a été démontrée dans des études cliniques randomisées
(Clarkin, Foelsch, Levy et al., 2001; Clarkin, Levy, Lenzenweger & Kernberg, 2007; Doering et al.,
2010; Levy et al., 2006). L’efficacité générale de l’approche psychodynamique a d’ailleurs aussi été
démontrée dans des contextes diversifiés, notamment en thérapie individuelle, familiale et conjugale
(Vermote, Lowyck, Vandeneede, Bateman & Luyten, 2012 ; Leichsenring, 2010).
En dépit de la pertinence du modèle de l’organisation de la personnalité de Kernerg (1984) et
des appuis empiriques dont il dispose, très peu de chercheurs se sont intéressés aux construits
5
psychodynamiques de la personnalité, notamment aux relations d’objet, dans l’étude des relations
conjugales (Naud et al., 2013).
Théorie de l’organisation de la personnalité de Kernberg
Kernberg (1984) propose un modèle hybride de la personnalité pathologique qui est à la fois
dimensionnel et catégoriel. Il s’agit d’un modèle qui s’intéresse principalement à l’organisation de la
personnalité, c’est-à-dire aux mécanismes à la base de la personnalité qui sous-tendent le
comportement. Le modèle de Kernberg se subdivise en deux paliers. Le premier concerne les
mécanismes structuraux c.à.d. l’intégration de l’identité, le contact avec la réalité et les mécanismes
de défenses. L’intégration de l’identité correspond au niveau auquel le concept de soi et des autres
est bien défini et intégré. Les mécanismes de défense réfèrent à des stratégies psychologiques
inconscientes de régulation des émotions chroniques et inflexibles, par exemple, le clivage, la
projection ou le déni. Le contact avec la réalité consiste en la capacité de différencier la réalité
interne de la réalité externe. Le second palier du modèle concerne les relations objectales. Les
relations d’objet déterminent la façon dont l’individu se perçoit et perçoit autrui dans ses relations
interpersonnelles et elles façonnent les comportements que l’individu adopte dans ses interactions.
La personnalité est conceptualisée sur un continuum de sévérité en fonction du degré d’altération
aux mécanismes structuraux et à la qualité des relations objectales. Kernberg identifie (1984) trois
types d’orgnaisation allant de la moins sévère à la plus sévère : l’organisation névrotique, limite et
psychotique. À l’intérieur de ces trois organisations, Kernberg identifie douze troubles de la
personnalité. Puisque le présent projet se concentre sur la PDM, un trouble se retrouvant au niveau
d’organisation névrotique, c’est seulement ce type de relation objectale qui sera approfondi dans le
présent projet.
L’organisation névrotique se caractérise par une bonne intégration de l’identité, c.à.d. une
intégration adéquate des représentations bonnes et mauvaises du concept de soi et des autres. Elle
se caractérise également par des défenses matures (p.ex. bonne tolérance à l’anxiété, contrôle des
impulsions, fonctionnement sublimatoire). L’organisation névrotique est associée à un bon contact
avec la réalité, soit une capacité à différencier adéquatement la réalité interne de la réalité externe.
Enfin, les relations objectales sont diversifiées et profondes chez ces individus. L’organisation
névrotique se distingue de la personnalité normale par sa rigidité affective, cognitive et
6
comportementale. Elle est associée notamment aux troubles de la personnalité obsessive-
compulsive, dépressive-masochiste et hystérique.
Les relations d’objet sont particulièrement pertinentes dans le présent projet puisqu’elles
constituent, à travers les relations amoureuses, une expression comportementale des autres
mécanismes structuraux mentionnés ci-dessus. Puisque ce mode d’expression comportementale est
central dans le présent projet, celui-ci sera davantage approfondi.
Les relations d’objet prennent naissance dans les relations significatives de l’enfance. Durant
cette période, lorsqu’un affect est fréquemment éprouvé dans un contexte particulier d’interaction,
l’individu se crée une représentation durable de cette interaction caractérisée par l’affect vécu. Ce
processus correspond à l’internalisation de la relation d’objet. Au cours du développement, plusieurs
types de relations objectales sont internalisés. Ces différentes relations d’objet s’activent de façon
automatique et récurrente dans les relations interpersonnelles en fonction de la personne avec qui
l’individu est en interaction (Diguer, Laverdière & Gamache, 2008). Selon Kernberg (1984), les
relations objectales sont primordiales, car elles constituent les fondements de la structure psychique
qui modulent la perception de la réalité externe de l’individu. En effet, elles permettent à l’individu
d’interpréter et de déterminer ses propres comportements et attitudes, ainsi que ceux des autres,
dans des contextes d’interaction particuliers. Lorsque les relations d’objet sont variées, nuancées et
adaptées, les individus sont en mesure d’entretenir des relations harmonieuses avec autrui. Au
contraire, lorsque les relations objectales sont appauvries, rigides et peu adaptées, les individus ont
tendance à développer des relations interpersonnelles chaotiques et instables.
La personnalité dépressive/masochiste
Dans la section qui suit, la personnalité dépressive/masochiste (PDM) telle que définie par
Kernberg dans ses écrits sera exposée (Kernberg, 1988, 1995, 2011). Les relations amoureuses
des individus ayant une organisation névrotique de la personnalité sont caractérisées par une
capacité à l’idéalisation romantique du partenaire, à la capacité de tomber en amour et de s’engager
dans la relation. Toutefois, ces individus possèdent une difficulté à établir des relations amoureuses
matures en raison notamment de leur rigidité, de leurs standards moraux élevés et de leur surmoi
punitif. Selon les observations cliniques de Kernberg, les traits de la PDM sont présents chez les
7
hommes et les femmes, mais seraient plus prévalents chez ces dernières, surtout dans le contexte
des relations amoureuses. Il existe toutefois peu de données empiriques à ce propos.
Kernberg identifie plusieurs traits spécifiques à la PDM. Ceux-ci rendent compte des
relations d’objet particulières qui s’activent dans leurs relations. Premièrement, les individus ayant
une PDM présentent des traits reflétant un surmoi extrêmement sévère. Ils ont tendance à être
sérieux, responsables, consciencieux et à accorder une grande importance au travail et à la
performance. Ils entretiennent des standards et des attentes élevées envers les autres et eux-
mêmes. Quand leurs attentes ne sont pas comblées, ces individus ont tendance à se sentir
déprimés. Dans les cas les plus sévères, ces personnes peuvent inconsciemment se placer dans
des situations souffrantes qui confirment leur impression d’être maltraitées, rabaissées ou humiliées.
Au sein des relations amoureuses, l’expiation de la culpabilité inconsciente liée à un surmoi sévère et
punitif s’exprimerait par une tendance inconsciente à s’attacher à des partenaires qui ne sont pas en
mesure ou peu disposés à répondre à leurs grands besoins d’amour et d’approbation, ce qui
confirme leur impression d’être maltraités et rejetés. Selon Kernberg, ces individus ont tendance à
rechercher l’amour du partenaire à travers la souffrance induite par un discours interne moralisateur
et punitif (« Je me soumets à ta volonté de me punir parce que venant de toi, cette punition doit être
nécessairement juste. La souffrance que je subis me permet de préserver ton amour et de te garder
auprès de moi»). C’est uniquement à l’intérieur d’une relation insatisfaisante et frustrante que
l’expression du désir sexuel et de la tendresse envers le partenaire est possible.
Typiquement, chez les individus ayant une PDM, la non réciprocité des sentiments amoureux
augmente l’intensité des affects positifs ressentis vis-à-vis le conjoint plutôt que de les diminuer
comme il est habituellement attendu. Durant l’adolescence, le fait de tomber en amour avec un
partenaire indisponible peut être considéré comme une manifestation normale de la réactivation d’un
conflit œdipien. Toutefois, la persistance de ce type d’expériences amoureuses et plus
particulièrement leur intensification suite à la prise de conscience d’une réelle non réciprocité des
sentiments amoureux est caractéristique des relations amoureuses de la pathologie
dépressive/masochiste. La persistance du conflit œdipien mène ces individus à répéter
continuellement le même type d’expérience amoureuse tandis que les individus ne présentant pas
une telle pathologie ont davantage tendance à surmonter graduellement l’idéalisation du partenaire
indisponible et à devenir de plus en plus sélectifs dans le choix de leur partenaire amoureux.
8
Deuxièmement, les individus ayant une PDM présentent des traits reflétant une dépendance
extrême au support, à l’amour et à l’acceptation des autres. La dépendance se traduit typiquement
par la soumission au partenaire et a pour but d’assurer l’amour de ce dernier. Cela contraste avec la
dépendance saine caractéristique des relations amoureuses matures qui est fortement associée au
sentiment de gratitude à l’égard de l’amour donné par le conjoint. Ces individus présentent
également une tendance à réagir de façon excessive lorsqu’ils ont l’impression que leur partenaire
ne répond pas à leurs besoins. En raison de leurs grands besoins d’amour et d’approbation, ainsi
que de leur sensibilité, les individus ayant des traits de la PDM ont souvent tendance à se sentir
rejetés et maltraités suite à des altercations mineures avec leur partenaire. Ces sentiments les
mènent à adopter inconsciemment des comportements visant à faire sentir leur partenaire coupable,
ce qui peut ensuite mener leur conjoint à effectivement se distancier. Ce cercle vicieux peut
engendrer des difficultés importantes dans les relations amoureuses et déclencher des sentiments
dépressifs lorsque l’individu a l’impression réelle ou perçue d’avoir perdu l’amour de son partenaire.
Kernberg souligne que le deuil normal vécu après une séparation inévitable devrait mener à
l’acceptation de la perte et à la volonté de poursuivre sa vie. Le deuil de la relation ne devrait pas
être empreint de sentiments excessifs de culpabilité, de dévaluation de soi ou d’insécurité. Toutefois,
chez les individus ayant un trouble de la PDM, les menaces de séparation tout comme la séparation
s’accompagnent d’une dépréciation excessive de soi et d’une soumission envers le partenaire même
si leur situation amoureuse est irréconciliable ou impossible. Malgré leurs expériences amoureuses
négatives, ces individus persistent typiquement à tomber en amour avec des partenaires
indisponibles et idéalisés, à se soumettre excessivement à ces derniers et à saboter inconsciemment
leur relation, tout en rejetant la possibilité de nouer une relation qui pourrait potentiellement être plus
gratifiante.
Troisièmement, les personnes présentant une PDM présentent des traits reflétant une
difficulté d’expression et d’identification de l’agression. Dans des conditions qui devraient
normalement provoquer de la rage ou de la colère, ces personnes ont tendance à ressentir des
sentiments dépressifs. Lorsqu’elles expriment leur colère, elles éprouvent souvent de la culpabilité,
ce qui complique davantage le cercle vicieux présenté ci-dessus. Effectivement, l’adoption des
comportements visant à faire sentir le partenaire coupable peut ensuite mener l’individu présentant
des traits de la PDM à s’excuser et à se soumettre de façon excessive. La soumission de ces
derniers et la façon dont ils se sentent traités par leur partenaire engendrent typiquement une
9
seconde vague de colère. La capacité des conjoints d’exprimer leurs sentiments suite à une
altercation sans tenter d’induire des sentiments de culpabilité est centrale dans une relation
amoureuse mature. La capacité de communiquer son sentiment d’être blessé sans blâmer le conjoint
est une qualité subtile, mais essentielle d’une communication saine et ouverte reflétant une réelle
confiance en l’autre. Le mode particulier de communication des individus ayant des traits de la PDM
indique, entre autres, la présence d’un sentiment de culpabilité lié à la possibilité de vivre une relation
conjugale harmonieuse et saine.
Masochisme et satisfaction conjugale
Seulement trois groupes de chercheurs se sont intéressés à l’association entre les traits de
la PDM et la satisfaction conjugale (Kilmann, 2012; Knabb et al., 2012; Naud et al., 2013). Ces trois
études ont démontré que ces traits semblent être liés de façon négative à la satisfaction conjugale.
Longitudinalement, cet effet serait plus fort chez les femmes que chez les hommes (Naud et al.,
2013). Knabb et al. (2012) ont étudié l’association entre les traits pathologiques de la personnalité et
le fonctionnement conjugal auprès de 270 couples hétérosexuels en détresse qui consultaient en
thérapie. Ces auteurs ont utilisé le MCMI-III, une mesure permettant d’évaluer divers traits et
pathologies de la personnalité, dont le masochisme. Leurs résultats indiquent que les femmes ne
présenteraient pas significativement plus de traits de la PDM que les hommes. Toutefois, les femmes
ayant des traits de la PDM rapporteraient un moins bon fonctionnement conjugal. Cet effet n’est pas
significatif chez les hommes. Kilmann (2012) s’est intéressé à l’association entre la personnalité et la
détresse conjugale en tenant compte de l’effet modérateur de la durée de la relation chez 92 couples
qui consultaient en thérapie. Ces auteurs ont effectué les analyses selon que les couples étaient
dans une relation de moins de six ans ou dans une relation de plus de sept ans. Tout comme Knabb
et al. (2012), ces auteurs ont utilisé le MCMI-III. Les résultats de Kilmann (2012) montrent que chez
les couples mariés depuis six ans ou moins, les traits de la PDM des femmes sont associés
positivement à leur détresse conjugale, alors que chez les hommes, leurs traits de la PDM ainsi que
ceux de leur femme sont associés positivement à leur détresse conjugale. Chez les couples mariés
depuis sept ans ou plus, les traits de la PDM des femmes sont associés positivement à leur propre
détresse conjugale, tandis que chez les hommes, aucune association n’est significative. Tout comme
chez Knabb et al. (2012), les résultats de Kilmann (2012) montrent que les femmes ne présenteraient
pas significativement plus de traits de la PDM que les hommes dans les mariages d’une durée de
10
moins ou plus de sept ans. Naud et al. (2013) ont quant à eux examiné, chez 299 couples de la
communauté, comment le style d’attachement et la PDM permettent de prédire la satisfaction
conjugale initiale et à long-terme par le biais d’une perspective dyadique. Ces auteurs ont utilisé
l’Inventaire de l’organisation de la personnalité (IPO), une mesure permettant d’évaluer la pathologie
de la personnalité selon la conceptualisation de Kernberg (1984). Les résultats des analyses de
régressions multiples hiérarchiques démontrent que les femmes présenteraient significativement plus
de traits de la PDM que les hommes, ce qui concorde avec les observations cliniques de Kernberg
(1995) discutées précédemment. Toutefois, la taille de l’effet est relativement petite. Au premier
temps de mesure, les résultats montrent que chez les hommes, leurs propres traits de la PDM ainsi
que ceux de leur femme permettent de prédire leur satisfaction conjugale initiale. Chez les femmes,
c’est seulement leurs propres traits de la PDM qui permettent de prédire leur satisfaction conjugale
initiale. À long terme, les traits de la PDM de la femme et ceux de l’homme ne permettent pas de
prédire la satisfaction conjugale de la femme, alors que les traits de la femme permettent de prédire
celle de l’homme au deuxième temps de mesure. Toutefois, les traits de la PDM constituent des
prédicteurs longitudinaux significatifs de la satisfaction conjugale des hommes et des femmes
lorsque le style d’attachement des partenaires est considéré. En effet, les résultats de Naud et ses
collègues (2013) suggèrent que la sévérité des traits de la PDM interagit de façon complexe avec le
style d’attachement préoccupé ou évitant des partenaires.
Personnalité et relation conjugale
Dans ses écrits, Kernberg (2011) explique de façon théorique et selon ses observations
cliniques comment les traits de personnalité peuvent se répercuter sur la qualité de la relation
amoureuse. Peu d’auteurs jusqu’à présent se sont intéressés à l’étude de l’association entre la
personnalité telle que conceptualisée par Kernberg (1995) et la satisfaction conjugale. En effet,
seulement deux études ont été recensées (Verreault, Sabourin, Lussier, Normandin & Clarkin, 2013;
Naud et al., 2013). Les résultats de ces études montrent que les traits pathologiques de la
personnalité sont négativement associés à la satisfaction conjugale. Kernberg (2011) souligne
l’importance de l’agressivité comme facteur permettant de mieux comprendre cette association.
Selon cet auteur, la présence de l’agressivité dans une relation conjugale mature est inévitable et
normale. Lorsqu’un conflit survient dans la relation amoureuse, la possibilité de clarifier et de
résoudre le problème avec le partenaire peut résulter en un approfondissement et une solidification
11
de la relation amoureuse. Toutefois, de telles résolutions nécessitent une capacité chez les
partenaires à pardonner à l’autre de façon authentique, c.à.d. non seulement être en mesure de
demander le pardon du conjoint, mais également être en mesure de réellement pardonner le
comportement de ce dernier. Une résolution mature des conflits nécessite également une capacité à
dépendre de son partenaire de façon saine, c.à.d. à ressentir de la confiance et de l’ouverture envers
son conjoint de façon mutuelle. Les partenaires sont alors en mesure de nourrir un intérêt réel l’un
envers l’autre et de comprendre le vécu subjectif de leur conjoint malgré les conflits. La relation
amoureuse est compromise lorsque l’équilibre délicat entre amour et agressivité est menacé, c.à.d.
lorsque l’agressivité s’est infiltrée de façon prédominante dans la relation (Kernberg, 2011). Ce
déséquilibre se manifesterait en raison des dynamiques relationnelles particulières qui s’installent de
façon graduelle en même temps que s’élabore l’intimité émotionnelle entre les partenaires (Kernberg,
2011). Ces dynamiques traduisent le souhait inconscient de réparer des relations d’objet marquantes
du passé. La répétition de ces relations permet l’expression de la vengeance et de l’agressivité qui
n’ont pu être manifestées dans le passé. Ce besoin de réparation à travers la répétition explique
l’émergence de ces relations d’objet dans la relation amoureuse actuelle (Kernberg, 2011) et par le
fait même, la possibilité que l’agressivité infiltre la relation de façon prédominante.
L’émergence de dynamiques particulières dans le couple est complexe en raison de
l’interaction entre les relations d’objet activées par chacun des partenaires à des moments
spécifiques. Effectivement, selon Kernberg (2011), lorsque des relations d’objet pathologiques
s’activent dans la relation amoureuse, les partenaires tendent à induire chez le conjoint des
conduites particulières reflétant un conflit lié à l’agression vécue vis-à-vis ces figures significatives.
Ainsi, la dynamique présente entre les conjoints ne serait pas attribuable à un seul des deux
partenaires, mais le résultat de l’interaction entre les deux partenaires. Inconsciemment, les conjoints
complètent leurs relations d’objet pathologiques de sorte qu’un équilibre est créé, générant ainsi une
relation unique et particulière (Kernberg, 2011). Cette interaction décrite par Kernberg (2011)
souligne l’importance de tenir compte de l’aspect dyadique de la personnalité dans l’étude des
relations amoureuses.
En raison des trois caractéristiques principales de la PDM identifiées par Kernberg (1988), il
est possible de s’interroger sur la propension de ces individus à se retrouver dans des situations
conjugales où l’agressivité s’est infiltrée, menaçant ainsi l’équilibre de la relation amoureuse.
12
Effectivement, la tendance des individus ayant des traits de la PDM à se placer dans des situations
qui confirment leur impression d’être maltraités, la dépendance extrême à l’amour et à l’acceptation
des autres, ainsi que la difficulté d’expression et d’identification de l’agression sont des traits de
personnalité qui pourraient entraver la capacité de ces individus à résoudre les conflits conjugaux de
façon mature. Cette capacité pourrait être notamment entravée par le déni de l’agressivité émise par
le partenaire, c.à.d. par la soumission masochiste à une perception irréaliste de la relation de couple,
où la confiance n’est pas envers le partenaire, mais envers une relation fantasmée qui ne correspond
pas à la réalité (Kernberg, 2011). Selon Kernberg (2011), l’idéalisation et la soumission masochiste à
un partenaire perçu comme agressif ou abandonnique coïncide généralement avec une incapacité à
apprécier la personnalité du partenaire de façon sincère, d’être réellement intéressé par son vécu
subjectif et d’effectuer une évaluation réaliste et en profondeur de la relation conjugale. Les
partenaires amoureux présentant des traits de la PDM pourraient donc avoir tendance à demeurer
dans des relations insatisfaisantes où ils ressentent le besoin de se protéger contre l’agressivité
réelle ou imaginée de la part de leur conjoint. Cette dépendance envers le partenaire contraste
fortement avec la dépendance saine mentionnée précédemment. D’autre part, la difficulté
d’identification et d’expression de l’agression (Kernberg, 1988) pourrait mener les individus ayant des
traits de la PDM à adopter des comportements agressifs et/ou à tolérer ceux qu’émettent leur
partenaire, et ainsi alimenter, sans nécessairement en avoir conscience, une dynamique conjugale
où l’agressivité prédomine.
L’agressivité peut se manifester de différentes façons dans la relation conjugale, notamment
sous forme de violence. La violence conjugale est une forme d’agressivité se traduisant par un
ensemble de comportements verbaux, psychologiques, physiques ou sexuels qui visent à contrôler
et à exercer un pouvoir sur le conjoint (Blais-Bergeron, 2013). Le présent projet s’intéressera à
l’association entre la violence conjugale et la satisfaction conjugale en considérant l’effet médiateur
des traits de la PDM.
Violence conjugale situationnelle
Différents types de violence sont identifiés en fonction de la sévérité des comportements
agressifs. Puisque la violence situationnelle est la forme de violence conjugale la plus prévalente
(Strauss, 2011), le présent projet s’intéressera exclusivement à celle-ci. La violence situationnelle est
dite modérée, comparativement au terrorisme conjugal qui constitue une forme grave de violence. La
13
violence situationnelle est une agressivité exprimée sous forme de violence physique par l’un des
partenaires dans le couple (Johnson, 2011). Elle traduit une réaction inadaptée au stress et à la
colère au moment d’un conflit entre les conjoints (Blais-Bergeron, 2013). Contrairement au terrorisme
conjugal, la violence situationnelle est transitoire et ne s’inscrit pas dans une dynamique relationnelle
où le conjoint tente de contrôler son partenaire de façon globale (Johnson, 2011). La violence
situationnelle serait la plupart du temps symétrique, c’est-à-dire que les deux partenaires auraient
tendance à être violents l’un envers l’autre (Johnson, 2011) et surviendrait dans près de la moitié des
nouveaux mariages (Lawrence & Bradbury, 2001; Leonard & Senchak, 1996; O’Leary et al., 1989).
Selon une méta-analyse menée par Desmarais, Reeves, Nicholls, Telford et Fiebert (2012), 24,5%
des femmes qui consultent en clinique rapportent être victimes de violence physique. Le taux de
prévalence au cours de la vie chez la femme serait de 40,7% (Desmarais et al., 2012). Chez les
hommes, ces taux seraient de 16,6% et de 17,6% respectivement.
Les répercussions de la violence conjugale sur la santé mentale des conjoints et la longévité
des unions sont bien établies. Une méta-analyse menée par Golding (1999) a démontré l’association
entre la violence conjugale physique et la santé mentale des femmes qui en sont victimes. Le taux de
prévalence de la dépression serait de 48%, de 18% pour les comportements suicidaires, de 64%
pour l’état de stress post-traumatique, de 19% pour l’abus d’alcool et de 9% pour l’abus de drogue.
Par ailleurs, Lawrence et Bradbury (2001) ont démontré que 44% des mariages dans lesquels des
comportements violents sont émis par les partenaires se terminent en divorce comparativement à
21% des couples qui ne présentent pas de tels comportements. L’importante prévalence de la
violence conjugale et les impacts de cette dernière sur les conjoints soulignent l’importance de
s’intéresser à cette problématique afin de mieux comprendre les déterminants de ce phénomène et
de mieux répondre aux besoins de cette population en pratique clinique.
Violence conjugale et personnalité
Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la personnalité comme facteur permettant de
mieux comprendre la victimisation et la perpétration de la violence dans la relation conjugale (Hines
& Saudio, 2008; Pico-Alfonso, Encheburúa & Martinez, 2008 ; Blais-Bergeron, 2013; Dutton, 1994;
Maneta, Cohen, Schulz & Waldinger (2013); Khan, Welch & Zillmer, 1993). Parmi ces travaux, une
littérature scientifique de plus en plus abondante s’intéresse à l’examen du modèle de la personnalité
14
de Kernberg (1984) afin de conceptualiser la personnalité dans des dynamiques conjugales
marquées par la violence.
Bien que peu d’études portant sur l’association entre la personnalité et la violence conjugale
se fondent sur une approche psychodynamique, les résultats des quelques études se basant sur le
modèle de l’organisation de la personnalité de Kernberg (1984) supportent la valeur de ce modèle
(Dutton, 1994, 1995; Maneta et al., 2013; Blais-Bergeron, 2013). Un bref résumé des résultats de ces
études permettra d’illustrer ce point.
Les agresseurs et les victimes se distingueraient par certains traits de personnalité. En effet,
Dutton (1994) a démontré que les hommes qui émettent de la violence envers leur conjointe et qui
présentent un haut niveau de traits de l’organisation limite de la personnalité (OLP), tels que mesurés
par l’IPO, présentaient également de plus hauts niveaux de colère, telle que mesurée par le
Multidimensional Anger Inventory (Siegel, 1986), ainsi qu’un haut niveau de jalousie, telle que
mesurée par le Interpersonal Jealousy Scale (Mathes & Severa, 1981; Mathes, Phillips, Skowran &
Dick, 1982), comparativement aux hommes ayant un bas niveau de traits de l’OLP. Les scores
obtenus à l’IPO chez les hommes étaient également significativement associés aux échelles
d’agression verbale/symbolique et d’agression physique du Conflit Tactics Scale (CTS) (Dutton,
1994; 1995). Par des analyses fondées sur un modèle d’interdépendance acteur-partenaire (APIM),
Maneta et al. (2013) ont examiné l’association entre les traits de personnalité, tels que mesurés par
l’IPO, et la violence physique, telle que mesurée par le CTS. Toutefois, comparativement aux auteurs
précédents, Maneta et ses collègues (2013) se sont intéressés au contexte dyadique dans lequel la
violence conjugale est perpétuée. Ces auteurs postulent que l’organisation de la personnalité de
l’individu se répercute sur sa propre émission de comportements violents ainsi que sur les
comportements émis par son partenaire. Les résultats de cette étude confirment l’hypothèse des
auteurs : les traits de l’OLP sont non seulement associés à la perpétration de la violence, mais
également à la victimisation chez les hommes. Chez la femme, les traits de l’OLP sont seulement
associés à la victimisation. Ces résultats soulignent la pertinence de s’intéresser à la fois à la
victimisation et à la perpétration de la violence chez chacun des partenaires lorsque la personnalité
est étudiée dans un contexte de violence conjugale. Les résultats obtenus par Blais-Bergeron (2013)
apportent un éclairage différent sur le phénomène. Cette auteure s’est intéressée au contexte
dyadique dans lequel la violence conjugale se perpétue en s’appuyant, elle aussi, sur le modèle de
15
l’organisation de la personnalité de Kernberg (1984). Par une étude longitudinale, Blais-Bergeron
(2013) visait à explorer les effets transactionnels de la violence conjugale et de l’organisation de la
personnalité chez des couples de la communauté. Ses résultats démontrent que la violence
conjugale rapportée par les partenaires influencerait l’estimation ultérieure de la violence ainsi que le
niveau de pathologie de la personnalité. Ainsi, les résultats suggèrent que l’adoption de stratégies de
gestion des conflits basées en partie sur des comportements violents pourrait constituer l’un des
mécanismes de changement de l’organisation de la personnalité. Cela suggère par le fait même
l’existence d’une interaction complexe entre la personnalité et la violence conjugale.
Les auteurs des études présentées ci-dessus se sont principalement intéressés à
l’association entre la personnalité et la victimisation et/ou la perpétration de violence conjugale, ainsi
qu’à l’interaction entre ces variables. Les études de plus en plus nombreuses suggérant la présence
d’une influence des situations stressantes et des stratégies d’adaptation sur la personnalité (Roberts
et al., 2006; Blais-Bergeron, 2013; Allemand et al, 2015; Boyce et al., 2015; Kandler et al., 2014)
soulignent l’importance de s’intéresser davantage à ces associations afin de préciser notre
compréhension du phénomène. En se penchant sur l’étude de la personnalité comme variable
médiatrice, l’étude contribuera à mieux préciser le lien entre l’adoption de stratégies d’adaptation
coercitives et la personnalité. Une méthode d’analyse des données basée sur une perspective
dyadique permettra aussi de mieux définir la contribution de chacun des partenaires aux associations
observées.
D’autre part, la prise en compte des relations objectales dans la présente étude permettra
d’apporter un appui empirique supplémentaire à la pertinence de cette notion dans le modèle de
Kernberg (1984) et de mieux définir le rôle spécifique des traits de la PDM dans la dynamique des
relations de couple.
La présente étude sera réalisée à partir d’un échantillon de couples vus en clinique.
Zimmerman, Rothschild et Chelminski (2005) soulignent la pertinence de s’intéresser à ce type de
population dans le cadre d’études portant sur la pathologie de la personnalité. En effet, selon les
résultats de ces auteurs, près de 50% des individus qui consultent en clinique présentent un trouble
de la personnalité, tel qu’évalué à l’aide de l’entrevue clinique structurée pour le DSM-IV (SCID-IV) et
l’entrevue structurée pour l’évaluation de la personnalité selon le DSM-IV (SIDP-IV). De plus, les
couples en détresse qui consultent présenteraient de plus haut niveau de névrosisme, d’introversion
16
et de basse estime de soi comparativement à des couples de la communauté (Barelds & Barelds-
Dijikstra, 2006; Daspe et al., 2013, sous presse).
Objectifs et hypothèses
Le présent projet propose d’étudier l’effet médiateur des traits de la PDM sur l’association
entre la violence situationnelle et la satisfaction conjugale à partir d’une perspective dyadique chez
des couples qui consultent en psychothérapie.
Trois hypothèses sont formulées. Premièrement, les femmes présenteront davantage de
traits de la PDM que les hommes. Deuxièmement, les effets acteurs et partenaires directs seront
significatifs chez les hommes et les femmes, c.à.d. que la violence conjugale dont l’individu estime
être victime sera associée négativement à sa propre satisfaction conjugale et à celle de son
partenaire. Troisièmement, les effets acteurs et partenaires indirects seront significatifs chez les
hommes et les femmes, c.à.d. que la violence conjugale que l’individu estime recevoir sera
négativement associée à sa propre satisfaction conjugale ainsi qu’à celle de son partenaire via l’effet
médiateur des traits de la PDM des conjoints.
Méthode
L’échantillon est composé de 158 couples canadiens-français résidant au Québec. Trois des
158 couples sont homosexuels. Les femmes de l’échantillon ont entre 18 et 70 ans et ont 38.44 ans
(ET = 10.10) en moyenne. Les hommes sont âgés entre 19 et 69 ans et ont en moyenne 42,41 ans
(ET=10.10). Pour ce qui est de la scolarité des participants, 57.6% des femmes et 51.3% des
hommes rapportent avoir complété des études universitaires. En ce qui concerne l’état civil des
participants, 44.3% d’entre eux sont mariés, 51,3 % mentionnent être conjoints de fait. La moyenne
d’années de cohabitation pour les couples est de 12.75 (ET = 10,20). Les partenaires ont en en
général deux enfants issus de leur union actuelle (M = 1.84, ET = 1,01). 81% des femmes ont un
emploi et 6.3% sont étudiantes alors que pour les hommes, ces pourcentages sont de 84.8% et 5.1%
respectivement. En ce qui concerne le salaire des hommes et des femmes respectivement, 5.1% et
12.1% rapportent un revenu de moins de 15 000$ ; 14.0% et 20.5%, un revenu entre 15 000$ et
35 000$ ; 42.7 % et 41.0%, un revenu entre 35 000$ et 65 000$ ; 17.8% et 19.9%, un revenu entre
65 000$ et 95 000$ ; 20.4% et 5.8%, un revenu de plus de 95 000$.
17
Mesures
Satisfaction conjugale
La version française du Dyadic Adjustment Scale, l’Échelle d’Ajustement Dyadique (EAD),
est une mesure auto-rapportée permettant d’évaluer la satisfaction conjugale (DAS; Spanier, 1976;
traduite par Baillargeon, Dubois, & Martineau, 1986). Cet outil comprend 32 items sur une échelle de
type Likert allant de zéro « toujours en accord » à cinq «toujours en désaccord ». La somme de ces
items permet d’obtenir un score global d’ajustement dyadique variant de zéro à 151, un score élevé
reflétant un plus haut niveau de satisfaction dans la relation. L’EAD possède une structure en quatre
facteurs (Gentili, Contreras, Cassaniti & D’Arista, 2002 ; Shek, 1995; Spanier, 1976). Les qualités
psychométriques de l’EAD sont supportées par des données empiriques. En effet, la fidélité ainsi que
la validité convergente et divergente de la version française sont satisfaisantes. Les coefficients
alpha se retrouvent entre .91 et .96 (Baillargeon et al., 1986; Sabourin, Lussier, Laplante, & Wright,
1990; Vandeleur, Fenton, Ferrero & Preisig, 2003 ). Dans la présente étude, ce coefficient est de .90
pour les femmes et de .89 pour les hommes. Étant donné les résultats de Valendeur et al. (2003)
démontrant la similarité de l’ajustement entre le modèle en un facteur et le modèle hiérarchique
complexe original, il semble adéquat d’utiliser l’EAD dans la présente étude.
Traits de personnalité dépressifs/masochistes
La version originale de l’Inventaire de l’organisation de la personnalité (Kernberg & Clarkin,
1995) est une mesure auto-rapportée constituée de 155 items comprenant deux sections. La
première section de l’outil comprend trois échelles permettant d’évaluer la diffusion de l’identité, les
mécanismes de défense primitifs et l’épreuve de la réalité. La deuxième section de l’outil concerne
les relations objectales et vise à qualifier les relations objectales selon deux classes : névrotique et
limite (Normandin et al., 2002). La deuxième section de l’outil comprend deux échelles principales :
l’échelle névrotique, permettant d’évaluer les relations objectales associées aux troubles hystérique,
dépressif/masochiste et obsessif/compulsif ; et l’échelle limite, permettant d’évaluer les relations
objectales associées aux troubles narcissique, infantile, paranoïde, schizoïde et antisocial
(Normandin et al., 2002). Puisque le présent projet s’intéresse à la personnalité
dépressive/masochiste, c’est seulement cette échelle qui sera considérée. Dans leur étude, Naud et
al. (2013) ont obtenu des coefficients alpha de .79 pour les femmes et de .82 pour les hommes. Des
18
analyses confirmatoires ont également été menées afin de déterminer si les items de l’échelle
dépressive/masochiste s’ajustent à un modèle en un facteur. Les analyses ont démontré un niveau
d’ajustement adéquat de ce modèle unidimensionnel (Naud et al., 2013). Dans la présente étude, les
coefficients alpha sont de .75 pour les femmes et de .67 pour les hommes.
Violence conjugale
La version révisée de L’échelle des stratégies de gestion des conflits (CTS-2, Straus, 2004 ;
Straus, Hamby, Boney-McCoy & Sugarman, 1996) est une mesure auto-rapportée comprenant 78
items distribués à travers cinq échelles (négociation, agression psychologique, agression physique,
coercition sexuelle et blessure) qui mesure la violence perpétrée et vécue par les partenaires dans le
couple. Les participants cotent la fréquence des comportements subis et/ou perpétrés durant la
dernière année sur une échelle de type Likert (« jamais », « une fois », « deux fois », « trois à cinq
fois », « six à dix fois », « 11 à 20 fois », « 21 fois et plus », « pas dans la dernière année, mais c’est
arrivé auparavant »). Dans la présente étude, c’est seulement l’échelle d’agression physique d’une
version française de l’outil (Lussier, 1997) qui est utilisée. Les résultats d’études précédentes ont
démontré que le CTS-2 présente une bonne validité et fidélité auprès de couples hétérosexuels de la
population générale (Calvete, Corral & Estévez, 2007 ; Straus, 2004 ; Straus et al., 1996 ; Yun,
2011). Les coefficients alpha dans ces échantillons varient de .67 à .93 pour l’échelle d’agression
physique. Dans la présente étude, ce coefficient est de .84 pour les femmes et de .82 pour les
hommes. Par ailleurs, les résultats de Vega et O’Leary (2007) ont démontré une excellente fidélité
test-restest sur une période de deux mois. Des études menées auprès d’échantillons recrutés dans
des milieux carcéraux et d’échantillons composés de femmes victimes de violence ont permis de
démontrer la validité factorielle du CTS-2 (Calvete et al., 2007 ; Lucente, Fals-Stewart, Richards &
Goscha, 2001). L’outil présente également une bonne validité de construit et est corrélé de façon
modérée à une mesure de désirabilité sociale (Straus, 2014).
Procédure
Les participants sont recrutés via l’Unité d’intervention auprès du couple du Service de
consultation de l’école de psychologie de l’Université Laval entre 2005 et 2013. Ces couples ont soit
entrepris la thérapie d’eux-mêmes ou sont référés par un professionnel de la santé mentale. Une
enveloppe contenant des questionnaires, dont l’IPO, l’EAD et le CTS-2, a été remise à chacun des
19
partenaires du couple à la première rencontre d’évaluation. Il a été mentionné aux partenaires de
remplir les questionnaires seuls, sans consulter leur conjoint. Les couples acceptant de participer à la
recherche complètent un formulaire de consentement permettant d’utiliser ces questionnaires.
Plan d’analyses statistiques
La présence de données aberrantes dans l’échantillon, ainsi que la linéarité, la normalité et
la multicolinéarité de la distribution ont été évaluées. Des analyses descriptives ont été réalisées afin
d’examiner les moyennes et les écarts-types de chacune des variables. Des analyses
corrélationnelles, des analyses de variances (ANOVA) ainsi que des tests de chi-deux ont été
effectués pour évaluer la relation entre les variables. En raison de la forte corrélation entre la
violence physique perpétrée et vécue du CTS-2 (r = .66 ; p < .01), les deux variables ne pouvaient
être incluses dans le modèle. Puisque l’échelle d’agression physique dont l’individu estime être
victime présentait les plus fortes corrélations avec les autres variables de l’étude, c’est cette-dernière
qui a été retenue dans le modèle. Les différences de genre pour chaque variable ont été testées à
l’aide d’ANOVA à mesures répétées pour tenir compte de la non-indépendance des données et les
tailles d’effet ont été calculées. Le barème établi par Cohen (1988) pour interpréter une taille d’effet
faible (η2 =.01), modérée (η2 = .09) et élevée (η2 = .25) a servi de référence. Les statistiques
descriptives ont été réalisées à l’aide du programme SPSS 20.
Un modèle d’analyses acheminatoires d’interdépendance acteur-partenaire (APIM) a été
testé avec le logiciel Mplus (Muthén & Muthén, 2012). Ce modèle examine si les traits de la PDM
constituent un médiateur de l’association entre la violence conjugale dont l’individu estime être
victime (variable indépendante; VI) et la satisfaction conjugale (variable dépendante; VD). Puisqu’un
modèle APIM tient compte de la non-indépendance des données, il est tout désigné dans le cadre
d’une étude sur un échantillon composé de couples (Cook & Kenny, 2005; Kenny, Kashy, & Cook,
2006). Ce type de modèle permet d’analyser deux effets principaux en considérant simultanément
les données des deux partenaires. Le premier constitue l’effet acteur, c.à.d. l’effet direct de la VI
mesurée chez l’individu sur la VD de l’individu. Le deuxième constitue l’effet partenaire, c.à.d. l’effet
direct de la VI de l’individu sur la VD de son partenaire. Le modèle APIM permet également
d’analyser les effets indirects (EI). Enfin, d’un point de vue théorique, les données de chacun des
partenaires devraient être distinguables en fonction du genre de l’individu. Toutefois, il est possible
que les associations ne soient pas influencées par le genre des partenaires. Afin de déterminer si les
20
données des partenaires sont effectivement distinguables, un test de distinguabilité des dyades a été
effectué sur l’ensemble des variables.
Le modèle est testé selon l’approche de Hayes (2013). Il s’agit d’une approche qui utilise les
intervalles de confiance obtenus par la procédure de rééchantillonnage afin de déterminer si les
effets indirects d’un modèle de médiation sont significatifs. Les données manquantes sont traitées
avec la méthode du maximum de vraisemblance à information complète (Arbuckle, 1996; Wothke,
2000). Il s’agit d’une méthode utilisant l’ensemble des données disponibles pour estimer les
paramètres du modèle. Les erreurs standard ont été calculées à l’aide d’une méthode d’estimation
robuste (MLR). L’ajustement du modèle a été vérifié par le biais de cinq indices : l’indice d’ajustement
comparatif (CFI), l’index Tucker-Lewis (TLI), le chi carré (χ2), la racine carrée standardisée des
résidus (SRMR) et la racine carrée de l’erreur quadratique moyenne de l’approximation (RMSEA).
Les principales lignes directrices suggèrent qu’un modèle possédant un CFI et un TLI supérieurs à
.90 est bien ajusté (Browne & Cudeck, 1993). Un modèle possédant un indice SRMR et RMSEA
inférieur à .05 est considéré comme étant bien ajusté alors qu’un modèle possédant une valeur entre
.05 et .08 est considéré comme modérément bien ajusté (Browne & Cudeck, 1993). Pour ce qui est
du test d’ajustement du chi carré, un résultat non significatif au seuil de signification .05 indique un
bon ajustement. Une procédure de rééchantillonnage a été utilisée afin de tester les effets indirects.
Pour y parvenir, 1000 échantillons aléatoires ont été générés dans le but d’élaborer des intervalles
de confiance dont les biais ont été corrigés (Edwards & Lambert, 2007).
Résultats
Les moyennes, les écarts-types, les ANOVA à mesures répétées et les tailles d’effet pour les
traits de la PDM, la satisfaction conjugale (EAD), le score à l’échelle d’agression physique dont
l’individu estime être victime au CTS2 (PHYPART) pour les hommes et les femmes sont présentés
au tableau 1. La consultation de ce tableau montre que les femmes de l’échantillon présentent un
plus haut niveau de traits de la de la PDM que les hommes (F(1.173)=14.84, p < .001), ce qui
confirme la première hypothèse. La taille d’effet associée à cette différence de moyenne est faible (η2
= .08). Les femmes seraient également moins satisfaites de leur relation conjugale comparativement
aux hommes (F(1.177)=11.64, p < .001). La taille d’effet associée à cette différence de moyenne est
faible (η2 = .06). La différence entre les moyennes des hommes et des femmes quant à la violence
physique que l’individu estime être victime n’est pas significative (F(1.170)= 2.28, p = .133).
21
Les corrélations entre les différentes variables chez les hommes et les femmes sont
présentées dans le tableau 2. La violence dont la femme et l’homme estiment être victime est
positivement associée à leurs propres traits de la PDM ainsi qu’à ceux de leur partenaire. Les traits
de la PDM de l’homme et de la femme sont associés négativement à leur propre satisfaction
conjugale ainsi qu’à celle de leur partenaire.
Pour ce qui est du test d’indistinguabilité des dyades hommes-femmes, le test omnibus de la
non indépendance des dyades atteint le seuil de signification lorsque le modèle où des contraintes
sont appliquées aux effets acteurs et partenaires est comparé au modèle où des contraintes sont
appliquées aux effets acteurs et partenaires, ainsi que sur les variances (∆χ2 ajusté de Satorra-
Bentler (3) = 35.75 ; p < .01). La dyade doit donc être considérée comme étant distinguable puisque
les variances des variables des hommes et des femmes sont significativement différentes. Les
moyennes des variables ont été contraintes à être égales puisque cette démarche ne semblait pas
détériorer significativement l’ajustement du modèle.
Les résultats des analyses APIM sont présentés à la figure 1. Les indices d’ajustement
suggèrent que les données sont bien représentées par le modèle (CFI = 1.00 ; TLI = 1.05 ; χ2 (7) =
4.24, p = .752 ; SRMR= .03 ; RMSEA= .00, 90% [.00 à .07]). Les effets acteurs sont significatifs : la
violence dont la femme et l’homme estiment être victime est négativement associée à leur propre
satisfaction conjugale (β= -.06 ; p<.05). Les effets partenaires sont significatifs : la violence physique
dont la femme et l’homme estiment être victime est négativement associée à la satisfaction conjugale
de leur partenaire (β= -.06, p<.05). L’ensemble des effets acteurs indirects sont significatifs : l’effet de
la violence dont la femme estime être victime (VI) sur sa propre satisfaction conjugale (VD) est
expliquée indirectement via les traits de la PDM (médiateur) de la femme (EI = -.05 ; 95% IC = [-.09 ;
-.02]) et de l’homme (EI = -.02 ; 95% IC = [-.03 ; -.00]). L’effet de la violence dont l’homme estime
être victime (VI) sur sa propre satisfaction conjugale (VD) est expliquée indirectement via les traits
PDM de l’homme (EI = -.05 ; IC = [-.09 ; -.02]) et de la femme (EI = -.02 ; IC = [-.03 ; -.00]). Les effets
partenaires indirects sont également significatifs: l’effet de la violence physique dont l’homme estime
être victime (VI) sur la satisfaction conjugale de la femme (VD) est expliquée indirectement via les
traits de la PDM de la femme (EI = -.03 ; IC = [-.05 ; -.01]) et de l’homme (EI = -.03 ; IC = [-.06 ; -.01]).
L’effet de la violence physique dont la femme estime être victime (VI) sur la satisfaction conjugale de
l’homme est expliquée indirectement via les traits de la PDM de la femme (EI = -.03 ; IC = [-.06 ; -
22
.01]) et de l’homme (EI = -.03 ; IC = [-.05 ; -.01]). Le modèle permet d’expliquer 18.8 % et 17.3% de
la variance de la satisfaction conjugale chez les hommes et les femmes respectivement.
23
Discussion
Les résultats de la présente étude confirment l’ensemble des hypothèses proposées au
départ. Plus précisément, le modèle final indique que la violence conjugale, opérationnalisée comme
une stratégie d’adaptation inadéquate adoptée par les partenaires afin de faire face au stress
relationnel, est négativement associée à la satisfaction conjugale et que les traits PDM expliquent
partiellement le rapport observé entre ces deux variables. Ce modèle englobe donc non seulement le
lien entre violence physique et satisfaction conjugale déjà bien établi (Wu Shortt, Capaldi, Kim &
Laurent, 2010; Ackerman & Field, 2011 ; Henning & Connor-Smith, 2011; Shorey, Febres, Brasfield
& Stuart, 2012) mais, et il s’agit là d’un fait nouveau, il met en relief que les traits de la PDM
s’expriment avec plus de force lorsque les partenaires évoluent dans un contexte de violence
conjugale. Bien que la nature du rapport de causalité n’ait pu être vérifiée dans la présente étude, la
recherche de Blais-Bergeron (2013) a déjà montré qu’en certaines circonstances, sur une courte
période d’un an, c’est la violence physique au sein du couple qui entraîne un affaiblissement de la
personnalité. Il n’est donc pas interdit de penser qu’au long cours, la violence physique entraîne une
intensification des traits PDM. Ceci devra être démontré plus rigoureusement, l’association inverse
ne peut, pour l’instant être exclue. De tels résultats pourraient éventuellement mener à une
reconceptualisation du modèle Vulnérabilité-Stress-Adaptation (Karney & Bradbury, 1995) dans
lequel les stratégies d’adaptation au stress sont déterminées par les tendances dispositionnelles des
individus et non le contraire.
Certaines pistes de compréhension peuvent être élaborées sur la base de la théorie des
relations d’objet et de l’attachement afin de mieux comprendre l’association positive entre la violence
physique et la personnalité dans la présente étude. Puisque le devis de cette recherche ne permet
pas d’émettre des hypothèses longitudinales, ces pistes de compréhension devront être vérifiées
dans des études futures. Selon Bowlby (1982, 1969), les enfants naissent avec un système
comportemental inné motivant l’individu à rechercher la proximité auprès des principales figures
d’attachement, souvent les parents, afin d’assurer sa survie. Les expériences infantiles vécues avec
ces figures sont essentielles puisqu’elles constituent, en grande partie, la base de la structure
psychologique de l’individu qui sous-tend ses motivations et ses comportements à l’âge adulte
(Clarkin, Yeomans & Kernberg, 2006). L’intensité affective caractérisant les interactions entre l’enfant
et sa principale figure d’attachement est primordiale dans ce processus (Clarkin et al., 2006). Ce lien
24
entre l’attachement et la structure psychique pourrait constituer une hypothèse intéressante afin de
nous aider à mieux comprendre les résultats de la présente étude. En effet, le système
d’attachement demeurerait actif tout au long de la vie et serait particulièrement stimulé dans les
relations amoureuses (Shaver & Mikulincer, 2005; Mikulincer & Shaver, 2009). Ainsi, il est possible
de penser que l’attachement s’établissant entre l’individu et son partenaire amoureux pourrait
constituer un puissant mécanisme via lequel des modifications à l’intérieur de la structure psychique
pourraient se produire à l’âge adulte. Les résultats obtenus par Naud et ses collègues (2013) ont
d’ailleurs révélé un lien complexe entre la personnalité, l’attachement et la satisfaction conjugale, ce
qui supporte la valeur d’une telle interprétation. Puisque la présence de violence conjugale entre les
partenaires constitue un contexte intense et chargé d’affects négatifs, il pourrait constituer un
contexte particulièrement propice à l’émergence de modifications au sein de la structure de la
personnalité. Certaines relations d’objet déjà présentes dans le monde interne des partenaires
pourraient être activées et exacerbées en raison de l’interaction particulière entre ces derniers. Une
étude longitudinale observant le lien entre l’attachement mesuré à l’enfance et la personnalité à l’âge
adulte en fonction du contexte conjugal pourrait permettre de vérifier ces hypothèses.
Des hypothèses plus spécifiques aux caractéristiques de la PDM peuvent être émises afin
d’étoffer les pistes de compréhensions élaborées ci-dessus. Encore une fois, la séquence des
phénomènes décrits ci-dessus et leurs interactions n’ont pu être vérifiés en raison des limites du
devis utilisé dans la présente étude. Ces pistes de compréhension apportent toutefois un éclairage
permettant de possiblement mieux comprendre les résultats complexes du modèle. Tout d’abord, la
difficulté d’identification et d’expression de l’agressivité que l’on retrouve typiquement chez les
individus présentant des traits de la PDM (Kernberg, 1988) pourrait constituer un des facteurs
personologiques favorisant l’émergence de comportements violents entre les partenaires.
Effectivement, le refus de ressentir ou de considérer ses propres signaux d’agressivité chez les
personnes ayant des traits de la PDM, comme les tensions musculaires et l’irritabilité, pourrait
s’accumuler et résulter en comportements violents. Les résultats d’études récentes ont d’ailleurs
démontré l’important rôle des difficultés d’expression et de régulation des émotions pour prédire
l’adoption de comportements violents dans la relation amoureuse (Kelley, Edwards, Dardis & Gidycz,
2015 ; Caldwell, Swan, Allen, Sullivan & Snow, 2009). L’accumulation des signaux chez l’individu
présentant des traits de la PDM pourrait également être alimentée par le déni de l’agressivité du
partenaire. En effet, l’individu présentant des traits de la PDM pourrait être affecté, sans en être
25
totalement conscient, par les manifestations agressives (p.ex. les comportements passifs agressifs)
de son partenaire. L’évitement des affects négatifs pourrait être motivé par les intenses craintes de
rejet caractérisant les individus présentant des traits de la PDM (Kernberg, 1988). Tenir compte de
sa propre agressivité ou de celle de son partenaire pourrait constituer une grande menace pour
l’individu qui ressent de grands besoins d’amour et d’approbation de la part de son conjoint.
L’émergence de comportements violents dans la relation conjugale pourrait déclencher un
cercle vicieux menant à l’intensification des traits de la PDM chez chacun des partenaires. Cette
hypothèse pourrait contribuer à expliquer l’association positive entre la violence conjugale dont
l’individu estime être victime et les traits de la PDM de chacun des conjoints. Dans un souci de clarté
dans la présentation de ce cercle vicieux, les partenaires, qui présenteraient initialement un certain
niveau de traits de la PDM, sont identifiés par «homme» et «femme». Ceux-ci sont
interchangeables dans la séquence : en prenant en compte les comportements violents dont elle est
victime, la femme pourrait se sentir rejetée et maltraitée par son partenaire. Les relations d’objet déjà
présentes dans son monde interne pourraient ressurgir et déclencher un discours interne
dévalorisant où elle se perçoit comme sans valeur en lien avec un partenaire idéalisé. Ce discours
interne pourrait mener la femme à croire qu’elle mérite d’être maltraitée et intensifierait sa
dépendance envers l’amour et l’acceptation de son partenaire. Du même coup, la crainte du rejet
augmenterait la propension masochiste de cette dernière qui serait alors plus encline à dénier ses
propres signaux d’agressivité et ceux de son conjoint. Dans un deuxième temps, en constatant la
façon dont elle se sent traitée et sa soumission excessive, elle pourrait s’insurger devant son
partenaire et tenter d’induire des sentiments de culpabilité chez ce dernier afin de le punir. En ayant
l’impression d’avoir blessé sa conjointe, l’homme pourrait se sentir inadéquat et avoir l’impression de
ne pas mériter l’amour de sa partenaire en raison d’un surmoi sévère et punitif. La culpabilité induite
chez l’homme par sa partenaire pourrait donc alimenter les traits de la PDM de ce dernier et ainsi
expliquer l’association positive entre les comportements violents dont l’individu estime être victime et
les traits PDM du partenaire dans le modèle.
Un niveau de traits de la PDM plus sévère pourrait intensifier la propension de l’individu à
ressentir des affects négatifs comme la culpabilité, la dévalorisation de soi, l’apitoiement, la colère et
les sentiments dépressifs, ce qui pourrait contribuer à expliquer l’association négative entre les traits
de la PDM des partenaires et la satisfaction conjugale de ces derniers. La présence d’une
26
association négative entre les sentiments dépressifs, l’estime de soi, le névrosisme (référant
généralement à une grande sensibilité) et la satisfaction conjugale a d’ailleurs été démontrée dans
plusieurs études (Davila, Karney, Todd & Bradbury, 2003; Smith, Breiding, Papp, 2012; Whitton &
Kuryluk, 2012; Gordon, Tuskeviciute & Chen, 2013; Erol & Orth, 2014 ; Schaffhuser, Wagner, Lüdtke
& Allemand, 2014 ; Mund, Finn, Hagemeyer, Zimmermann & Neyer, 2015; Daspe et al., 2013). Une
tendance à entretenir des attentes élevées envers soi-même et les autres ainsi qu’un grand besoin
d’amour et d’approbation jumelés à une grande sensibilité pourraient prédisposer les individus ayant
des traits de la PDM à réagir de façon excessive dans leur relation amoureuse. Selon Kernberg
(1988), lorsque les attentes et les besoins des individus présentant ces traits ne sont pas comblés, ils
auraient tendance à ressentir une grande déception et à se sentir maltraités. Ce vécu subjectif
pourrait expliquer la propension à éprouver des sentiments dépressifs et à s’auto-dévaluer. Par
ailleurs, les comportements qu’adopte l’individu afin de faire sentir son partenaire coupable dont il a
été question ci-dessus pourrait mener le partenaire à se distancier (Kernberg, 1988). Cela pourrait
contribuer à expliquer l’association négative entre les traits de la PDM des conjoints et la satisfaction
conjugale du partenaire. La constatation de cette distance réelle ou perçue pourrait alimenter les
affects négatifs chez l’individu pour ultimement se répercuter négativement sur la satisfaction
conjugale des partenaires. Une étude portant sur l’analyse de la séquence des interactions dans le
couple et leurs impacts sur les traits de la PDM, tout en tenant compte de l’attachement des
partenaires, pourrait permettre de vérifier ces hypothèses.
Par ailleurs, conformément à ce que Naud et ses collègues (2013) avaient observé dans leur
étude, les femmes de l’échantillon présentent davantage de traits de la PDM comparativement aux
hommes. Ce résultat concorde avec les observations cliniques de Kernberg (1995) qui stipule que
les traits de la PDM sont présents chez les hommes et les femmes, mais seraient plus prévalents
chez ces dernières dans le cadre des relations amoureuses. En effet, les femmes seraient plus
enclines à exprimer leur masochisme dans la sphère conjugale alors que les hommes l’exprimeraient
davantage dans la sphère du travail. Kernberg (1995) fait référence à des facteurs culturels et
développementaux afin d’expliquer cet écart, notamment aux caractéristiques de la résolution du
conflit œdipien distinguant les hommes et les femmes. Tout comme l’ont précisé Naud et al. (2013),
puisque la taille d’effet associée à cette différence de moyenne est faible, ce résultat devrait être
interprété avec prudence.
27
D’un point de vue théorique, nos résultats sont d’autant plus importants que ce sont les
premières données empiriques qui démontrent clairement la valeur scientifique des relations
objectales au sein du modèle de Kernberg (1984). Les résultats de la présente étude soulignent donc
l’importance de poursuivre le travail de validation de cette portion du modèle de l’organisation de la
personnalité de Kernberg (1984). Cela pourrait s’avérer particulièrement pertinent dans le contexte
des relations amoureuses en raison du caractère dyadique du concept des relations objectales.
Effectivement, ce dernier réfère à une représentation de soi et une représentation de l’autre liées par
un affect qui interagit de façon particulière avec les relations objectales du partenaire. Ainsi, un tel
concept pourrait permettre de mieux capter les phénomènes conjugaux associés à la personnalité
contrairement à d’autres construits personologiques. Au plan clinique, davantage d’appuis
empiriques quant au modèle de Kernberg (1984) souligneraient la pertinence d’intégrer la théorie des
relations d’objet dans la thérapie conjugale.
Comme l’indiquent les résultats, le modèle de la présente étude représente bien les relations
entre la violence conjugale situationnelle, les traits de la PDM et la satisfaction conjugale.
Néanmoins, certaines limites méritent d’être soulignées. Tout d’abord, puisque les hypothèses
formulées au départ ont été vérifiées à partir d’un plan de recherche corrélationnel, il n’est pas
possible de tirer des conclusions sur le rapport de causalité entre les variables. La possibilité que
d’autres variables non mesurées puissent expliquer les variations observées entre les variables ne
peut donc être exclue. Bien qu’il présente également certaines limites, un plan de recherche
corrélationnel longitudinal pourrait permettre d’établir, avec plus de certitude, le lien de causalité
entre la violence conjugale, les traits de la PDM et la satisfaction conjugale. En outre, puisque les
données ont été récoltées à partir de questionnaires auto-rapportés, les résultats obtenus peuvent
être influencés par des biais comme la désirabilité sociale et certains facteurs extérieurs au
phénomène d’intérêt. En ayant recours à d’autres types de mesures comme l’entrevue semi-
structurée, il serait possible de limiter ces biais. Par ailleurs, certaines considérations au plan de la
généralisation des résultats méritent d’être soulevées. En effet, l’échantillon est composé de couples
qui consultent en thérapie conjugale. Les résultats ne peuvent donc être généralisés à une
population clinique ou de la communauté.
Dans des recherches futures, il serait pertinent d’améliorer la compréhension des relations
dans le modèle de la présente étude en s’intéressant à l’ajout d’autres variables. Ceci permettrait de
28
mieux cibler le rôle médiateur des traits de la PDM. Par ailleurs, une étude portant sur le rôle de
l’attachement dans la relation amoureuse pourrait permettre de tester les pistes d’hypothèses
suggérées précédemment afin d’expliquer la variation entre la violence conjugale et le niveau de
traits de la PDM. Il pourrait également être pertinent de s’intéresser à d’autres formes de violence
plus sévères comme le terrorisme conjugal afin d’étoffer notre compréhension du phénomène. Bien
que les résultats de la présente étude supportent la valeur de la deuxième section du modèle de
Kernberg (1984) qui porte sur les relations objectales, et plus précisément celles de la PDM,
davantage d’études ayant pour objectif la validation de cette section sont nécessaires.
En ce qui concerne les implications cliniques, la présente étude souligne l’importance de
s’intéresser aux stratégies de gestion de l’agressivité chez les couples qui consultent en thérapie
conjugale, car celles-ci pourraient être associées à une intensification des traits de la PDM qui
pourraient à leur tour alimenter les difficultés du couple. Des interventions centrées sur les relations
objectales, qui sont au cœur de thérapies psychodynamiques comme l’approche centrée sur le
transfert, pourraient améliorer la qualité des interactions entre les partenaires. Toutefois, des études
expérimentales seraient nécessaires afin de vérifier l’efficacité de ces interventions.
29
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35
Tableaux
Tableau 1 Moyennes, É-T, ANOVA et tailles d’effet pour les traits de la personnalité dépressive /masochiste (PDM), la violence physique vécue (PHYPART) et la satisfaction conjugale (EAD). * p < .05.
Femmes Hommes
Variables Moyenne É-T Moyenne É-T F Taille d’effet (η2)
PDM 47.65 13.03 43.2 11.08 14.84 * .08
PHYPART 1.70 6.06 2.64 9.62 2.28 .01
EAD 29.98 6.53 31.91 6.01 11.64* .06
36
Tableau 2 Corrélations entre les variables traits de la personnalité dépressive/masochiste (PDM), la victimisation (PHYPART) et la satisfaction conjugale (EAD) chez les hommes (h) et les femmes (f). * p < .05.
Variables 1 2 3 5 6
1. EAD (f)
2. PDM (f) -.35*
3. PHYPART (f) -.19* .27*
5. EAD (h) .34* -.27* -.23*
6. PDM (h) -.22* .16* .23* -.37*
7. PHYPART (h) -.22* .22* .55* -.25* .27*
37
Figures
Figure 1. Modèle d’interdépendance acteur-partenaire montrant les associations entre la violence physique vécue (PHYPART), les traits de la personnalité dépressive/masochiste (PDM) et la satisfaction conjugale (EAD) chez les hommes et les femmes (* p < .05).
PHYPART
Femme
PHYPART
Homme
PDM
Femme
EAD
Femme
PDM
Homme
EAD
Homme
-.058*
32.07 6.66*
.29* -.16*
.19*
.19* -.06* -.06*
-.09*
-.09*
.29* -.16*
-.058*