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ÉTUDES PHILOSOPHIQUES POUR VULGARISER LES THÉORIES D'ARISTOTE ET DE S. THOMAS ET MONTRER LEUR ACCORD AVEC LES SCIENCES THÉORIE FONDAMENTALE DE L'ACTE ET DE LA PUISSANCE OU DU MOUVEMENT LE DEVENIR, SA CAUSALITÉ, SA FINALITÉ Avec la critique De la Philosophie « nouvelle » de MM. Bergson et Le Roy ou du Modernisme philosophique PAR Mgr Albert FARGES Prélat de la Maison de Sa Sainteté Docteur en Philosophie et en Théologie Anc. Dir. aux Séminaires de Saint-Sulpice et de l'Institut catholique de Paris Membre des Académies de S. Thomas de Rome, de Paris et de Louvain SEPTIÈME ÉDITION entièrement refondue. Tables générales Ouvrage honoré d'une Lettre de S. S. Léon XIII et couronné par l'Académie Française PARIS BERCHE ET TRALIN, LIBRAIRES 69, RUE DE RENNES, 69 1909 Tous droits réservés I

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  • TUDES PHILOSOPHIQUESPOUR VULGARISER LES THORIES D'ARISTOTE ET DE S. THOMAS

    ET MONTRER LEUR ACCORD AVEC LES SCIENCES

    THORIE FONDAMENTALEDE

    L'ACTE ET DE LA PUISSANCE OU DU MOUVEMENT

    LE DEVENIR, SA CAUSALIT, SA FINALIT Avec la critique

    De la Philosophie nouvelle de MM. Bergson et Le Roy

    ou du Modernisme philosophique

    PAR

    Mgr Albert FARGES Prlat de la Maison de Sa Saintet

    Docteur en Philosophie et en ThologieAnc. Dir. aux Sminaires de Saint-Sulpice et de l'Institut catholique de Paris

    Membre des Acadmies de S. Thomas de Rome, de Paris et de Louvain

    SEPTIME DITIONentirement refondue. Tables gnrales

    Ouvrage honor d'une Lettre de S. S. Lon XIIIet couronn par l'Acadmie Franaise

    PARISBERCHE ET TRALIN, LIBRAIRES

    69, RUE DE RENNES, 69

    1909Tous droits rservs

    I

  • IMPRIMATURParisiis, Die 8a Februarii, 1909.

    P. FAGESvic. gen.

  • A notre Cher Fils Albert FARGES, prtre de Saint-Sulpice,Paris.

    LEON XIII, PAPECher Fils, salut et bndiction apostolique.L'hommage que vous avez voulu Nous faire, comme un

    bon fils, des prmices de votre talent et de votre science, ennous offrant vos Etudes philosophiques, nous a t bienagrable, et Nous tenons, par la lettre que Nous vous cri-vons, vous en tmoigner Notre satisfaction paternelle.

    Ds le commencement de Notre Pontificat, une de nos plusvives proccupations a t de ramener les tudes suprieuresaux vrais principes des anciens, en les remettant sous l'au-torit de saint Thomas d'Aquin, et c'est avec une joie tou-jours croissante, que Nous voyons de tous cts, tant d'heu-reux rsultats rpondre nos souhaits. Or, la Compagnie laquelle vous appartenez, et vous personnellement, cher fils,vous Nous avez procur ce sujet de joie, par le zle avec le-quel, vous conformant religieusement Nos instructions, vousvous tes appliqu, soit autrefois dans l'enseignement de lajeunesse, soit depuis par les crits que vous publiez, re-mettre en honneur cette belle philosophie des anciens doc-teurs, et montrer son harmonie, surtout en ce qui touche l'observation et l'tude de la nature, avec les progrsconstants des sciences modernes. On ne peut que louer l'uvreque vous avez entreprise et la mthode, assurment excel-lente, avec laquelle vous la menez sa fin.

    A une poque o tant de gens, avec l'arrogance de cesicle, regardent avec ddain les ges passs et condamnentce qu'ils ne connaissent mme pas, vous avez fait une uvrencessaire en allant puiser aux sources mmes la vraie doc-trine d'Aristote et de saint Thomas, de manire lui rendre,d'une certaine faon, par l'ordre lumineux et la clart devotre exposition, la faveur du public. Et quant aux repro-ches qu'on lui fait d'tre en dsaccord avec les dcouverteset les rsultats acquis de la science moderne, vous avez euraison d'en montrer, par la discussion des faits et des argu-ments allgus de part et d'autre, la faiblesse et l'inanit.

  • Plus vous marcherez dans cette voie, plus s'tablira et se fortifiera votre conviction, que la philosophie aristotli-cienne, telle que l'a interprte saint Thomas, repose sur lesplus solides fondements, et que c'est l que se trouvent en-core aujourd'hui les principes les plus srs de la science laplus solide et la plus utile entre toutes.

    L'uvre que vous avez entreprise, cher fils, vous deman-dera, Nous le comprenons bien, de longs et pnibles travaux.Mais prenez courage, Nous vous l'ordonnons, bien persuadque vos forces seront la hauteur de cette tche, et que detrs rels avantages pourront en dcouler non seulementpour ceux qui s'occupent des tudes sacres, mais surtoutpour ceux qui, s'appliquant aux sciences naturelles et celles qui leur sont apparentes, se laissent en si grandnombre, Nous le constatons avec douleur, carter de la vri-t, soit par leurs opinions prconues, soit par les erreursd'un matrialisme grossier.

    Dans cette voie vous trouverez un honorable encourage-ment dans la faveur que vous ont acquise, auprs des sa-vants, vos crits dj publis, et que vous obtiendrez dansune mesure d'autant plus large, que vous mettrez plus desoin poursuivre votre uvre, sous les auspices de si grandsmatres.

    Mais puisque ces sympathies des savants, comme vousl'avouez avec une pit toute filiale, n'ont de prix vos yeux,que si la Ntre vient s'y ajouter, Nous voulons entourer votrepersonne et vos travaux de toute Notre bienveillance, etNous formons pour vous, et en mme temps pour la vraiescience, le vu que votre uvre ait un plein et complet suc-cs.

    Comme gage de cette bienveillance, et pour vous assurerle succs que vous implorez du secours divin, c'est de toutcur que Nous vous accordons vous, vos confrres et vos lves, la bndiction apostolique.

    Donn Rome, prs saint Pierre, le 21 mai 1892, la quin-zime anne de Notre Pontificat.

    LON XIII, PAPE.

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  • Dilecto Filio Alberto FARGES, Sacerdoli e Sodalitate Sulpi-tiana, Parisios.

    LEO PP. XIII

    Ditecte Fili, salutem et apostolicam benedictionem. Primitias ingenii sollertiaeque tuae, Etudes philosophi-

    ques , dono a te Nobis in morem filii missas, acceptas quidem habuimus, et paternam de iis voluntatem Nostram, litteris adte datis, placuit declarare.

    Nobis enimvero, qui ab initio muneris apostolici id etiam contendimus ut disciplinas maiores ad certam veterum ratio-nem, auctore Thoma Aquinate, revocaremus, optati exitus lae-titia in dies augescit, ex fructuum copia quos videmus late optimos provenire. ln quo a tua quoque Sodalitate, proprieque a te, dilecte fili, est causa oblata laetandi, qui praescriptis Nostris religiose obsecutus, iamdiu iuventute edocenda, nuncpraeterea scriptis edendis, impense curas ut veteri optimorum philosophiae, quatenus in observatione et cognitione naturae versatur, suum vindices decus, eamque convenire plane cum perpetua rei physicae progressione convincas. Laudabile per se patet consilium quod es in primis molitus, et recta sane, quam instituisti, ad assequendum via.

    Quando enim pro saeculi arrogantia, multi multa superio-rum aetatum fastidio habent et vituperant quae ne noverunt quidem, utique oportebat doctrinam Aristotelis et sancti Tho-mae ex ipsis fontibus sinceram te petere, quam dilucido ordine perspicuaque expositone deductam, in vulgus quodammodo commendares : ea vero quae in illam arguerent, tanquam cum inventis pugnantia ratisque legibus recentiorum, aequum erat, rebus et causis utramque in partem expensis, infirmari a te singula et refelli.

    Hac tibi via gradienti certum erit perfectumque propositum,Aristoteleae nimirum philosophiae, Angelico Doctore inter-prete, fundamenta constare firma, ex usque verissimam doc-trinae rationem etiamnum existere, quae maxime omnium omni in genere valeat et proficiat.

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  • Intelligimus quidem, dilecte fili, rem te suscepisse diuturni laboris nec exigui : at iubemus confirmare te animum, hoc persuaso, neque vires tibi rei pares deesse, et solidam inde uti-litatem redundare posse, tum iis qui disciplinis sacris, tum iis largius qui physicae cognatisque studiis dant operam, quos do-lendum vel praeiudicata opinione vel caligine materiae crassa tam multos a veritate deflectere.

    Ad haec, honesto fuerit tibi incitamento eruditorum homi-num gratia, quam editis adhuc scriptis es meritus, eo scilicet meriturus ampliorem, quo studiosius opus tuum, tantis usus magistris, institeris. Quae quidem gratia quoniam, ut pie fa-teris, non ita te capit et movet, ni accesserit Nostra, te ideo tuaque studia omni Nos benevolentia complectimur, tibi pari-ter ac bonis disciplinis optantes ut consilia tua eveniant omnia feliciter.

    Huius autem voluntatis Nostrae ut pignus habeas, atque incrementa simul quae expetis divinae opis, apostolicam bene-dictionem tibi et sodalibus alumnisque tuis ex animo imperti-mus.

    Datum Romae, apud S. Petrum, die XXI maii an. MDCCCXCII Pontificatus Nostri quintodecimo.

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    LEO PP. XIII.

  • THORIE FONDAMENTALE

    DE

    L'ACTE ET DE LA PUISSANCEOU DU MOUVEMENT

    SOMMAIRE

    AVERTISSEMENT DE LA SEPTIME DITION

    INTRODUCTION. a) Pass, Prsent et Avenir du mouvementde renaissance no-scolastique . . .

    b) Plan et division de l'ouvrage

    PREMIRE PARTIENature du Mouvement. Passage de la

    Puissance l'Acte.

    Plan et division de cette partieI. Existence du mouvement

    a) Il domine toute la nature ; b) C'est en vain qu'on l'a ni. (Les quatre ar-

    guments de Znon. Leur discussion) ; c) Rien ne prvaut contre un fait vident ; d) Il nous reste l'expliquer.

    II. Tout n'est pas mouvement : Existence de l'tre.1 Preuve par l'exprience.

    a) Appel la conscience ; une remarque surle cogito ergo sum.

    b) Appel l'induction ; les donnes des scien-ces physiques.

    2 Preuve de raison.3 Preuve par l'absurde.

    a) Ngation de l'tre.b) Ngation du principe d'identit.c) Ngation du principe de contradiction.d) Ngation de la pense elle-mme. Quelques

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    citations des modernes, dj rfuts parAristote.

    e) Les consquences panthistiques.4 Contre-preuve par le sens pratique. Leur thorie

    ne saurait tre vcue.I. COROLLAIRE sur la Substance

    a) Sa nature, son double rle.b) Vains efforts pour s'en passer. Incons-

    quences de nos adversaires.c) Le principe de substance.

    II. COROLLAIRE sur la Connaissance cinmatographique de M. Bergson

    a) Une brillante mtaphore. Les erreursqu'elle recouvre.

    b) Ce qui a tromp M. Bergson.c) Origine de cette erreur.d) Son remde d'aprs Aristote.

    III. L'Acte et la Puissance1 Comment Aristote vite deux excs contraires.2 Notions d'Acte et de Puissance active, passive,

    prochaine, loigne.3 Ralit de ces notions ;

    A) Preuves exprimentales : a) Faits biologiques ; b) Faits chimiques ; c) Faits physiques ; d) Faits mcaniques ;

    B) Preuves par l'absurde.4 Critique de la thorie leibnitzienne.

    IV. Les Forces de la Nature1 Exagration des Dynamistes ;

    a) Un point de vue leur chappe ; b) Exemples.

    2 Exagration des Mcanistes ; a) Leur guerre aux entits occultes ; b) Tmoignage des Savants ; c) Impossible de se passer de la force.

    3 L'ide de Force, synthse des deux notions d'Acteet de Puissance

    V. Nature du Mouvement1 Ses trois espces.

    a) Changements dans le lieu, la qualit, laquantit.

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    b) Ils se provoquent mutuellement ; c) Belle conclusion sur les moteurs immo-

    biles .2 Importance du changement local.

    a) C'est le mouvement proprement dit.b) Il est un instrument universel.c) Instrument de la vie. La vibration vitale .

    3 Insuffisance du mouvement local.4 Dfinition aristotlique du Mouvement.

    VI. Dfinition cartsienne du Mouvement1 Critique de cette dfinition.

    a) Elle pche par la forme et par le fond.b) Sa critique par M. Bergson est juste mais

    excessive.c) Son vice de mthode. Les ides claires .

    Les lois a priori du mouvement. Ddainde l'exprience, son rle subordonn.

    2 Son influence sur les ides contemporaines. Uneraction s'impose. Elle est dj commence parles philosophes et les savants contemporains.

    DEUXIME PARTIELa cause Motrice ou efficiente. Premier

    facteur du Mouvement.

    Division et planI. Existence de la causalit. Le fait

    1 Le fait est bien constat.2 Ses ngateurs :

    A) Les Monistes de la philosophie nouvelle .a) Leur hypothse : tout est un. b) Sa critique gnrale.c) Critique du continu bergsonien . Son

    morcelage s'impose tous, savants etignorants ; Ils ne peuvent s'en passer.

    d) Conclusion.B) Les Dynamistes occasionnalistes.

    a) L'occasionnalisme contredit les faits ; b) Amoindrit la puissance de Dieu ; c) Ruine la science humaine.

    C) Les Positivistes. a) Critique de leur hypothse. Elle n'explique

    ni la ncessit d'un antcdent, ni la na-

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    ture du consquent, ni leur ordre quipourrait tre renvers.

    b) Origine de cette erreur.3 Conclusion : La causalit s'impose.

    II. Le Principe de Causalit1Formule de ce principe.2 Ncessit de ce principe.

    a) On le fonde sur le principe de contradiction ; b) Sur le principe d'identit ; c) Sur le principe de raison suffisante.

    3 Une objection de Kant.I. COROLLAIRE sur le Primat de l'Acte

    a) Triple priorit : logique, ontologique, chro-nologique.

    b) Objection de M. Le ROY.c) Objection de M. Bergson.

    II. COROLLAIRE sur la Contingence a) Contingence de l'ordre nie par M. Bergson.

    Critique.b) Contingence des tres nie par M. Bergson.

    Critique.III. Nature de l'effet produit dans un mobile passif

    ou actif1 Effet produit dans une puissance passive.2 Effet produit dans la puissance active.3 Synthse des deux lois.

    I. COROLLAIRE. Quel est l'effet qui manifeste la cause.II. COROLLAIRE. Comment on se meut soi-mme.

    IV. Origine de l'effet produit1 Hypothse de l'identit. Critique.2 Hypothse de la simple quivalence.

    a) Ses preuves.b) Elle claire le fameux problme des projec-

    tiles.c) Le moteur n'est pas pour cela crateur.d) Vrai sens de la transformation des for-

    ces.3 Les objections de M. Le Roy. Leur solution.

    V. Comment le moteur peut-il agir hors de lui-mme ?

    1 Argumentation d'Aristote.2 Argumentation de Saint Thomas.3 Approbation de Descartes.

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  • 1 Le moteur agirait l o il n'est pas. Rponse.2 Les accidents migreraient hors de la substance.

    Rponse.3 Nouvelle instance : L'action est transitive.

    a) L'action produite par deux co-principes,actif et passif, les informe tous les deux la fois.

    b) Conciliation des aphorismes de Saint Tho-mas.

    4 Rsum des solutions.VII. Dernire difficult des modernesIls confondent l'tre et son opration.

    1 C'est un malentendu.2 Consquences de cette confusion.

    a) Harmonie prtablie.b) Plus d'assimilation possible ni d'union.c) La nature entire devient inintelligible.

    3 Conclusions.

    TROISIME PARTIELa cause Finale. Deuxime facteur

    du Mouvement.

    PRLIMINAIRES : a) Raison de cette tudeb) Place de cette tude.c) La synthse des quatre causes. d) Plan de cette troisime partie.

    I. La cause finale dans les uvres de l'artNotion et espces de finalit.

    1 La finalit intelligente. a) Son rle.b) Nature de sa causalit.c) Elle est la cause des causes.d) Grandeur et noblesse de l'ide.

    2 La finalit aveugle. a) Survivance de l'ide de l'ouvrier dans son

    uvre.b) Finalit seconde et drive.

    II. La cause finale dans les uvres de la Nature. . 1 La question qui se pose.

    a) S'agit-il de finalit immanente ou extrin-sque?

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    VI. Objections de Leibnitz et des modernes . . . .

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    b) Diffrences essentielles entre les uvres dela nature et celle de l'art.

    c) Ressemblances frappantes.d) Sens prcis de notre thse.

    2 Rponse des faits scientifiques : a) Oprations de l'instinct animal.b) Oprations de la vie vgtative.c) Oprations physiques des cristaux.d) Affinits chimiques.e) Attraction universelle.f) Harmonie de l'ensemble.

    3 Rponse de la raison : a) Tout agit pour une fin.b) L'orientation est l'effet d'un choix.c) Pas de choix sans but.d) Cette fin est le bien, le beau, le plus par-

    fait.e) C'est l'exprience et la raison qui imposent

    cette conclusion.

    III. Les objections contre la Finalit1 La finalit serait un miracle perptuel.2 La finalit serait une illusion.

    a) Comment M. Bergson explique l'illusion.b) Invraisemblance de cette explication.

    3 La finalit serait un contre-sens.a) Fin ou rsultat ? b) Notre critre pour les distinguer.

    4 Le mcanisme pur suffirait.A) Rle immense des mcanismes.

    a) Mcanismes psychiquesb) Mcanismes vitaux.c) Mcanismes physico-chimiques.d) Mcanismes cintiques. Les lois de la m-

    canique et la finalit. Examen de cha-cune de ces lois gnrales.

    B) Insuffisance totale du mcanisme.5 La finalit est inutile en Gomtrie.6 L'ordre viendrait-il du hasard ?

    IV. Le Hasard1 Notion de l'accidentel.

    a) Ses trois espces. Exemples. Caractrecommun.

    b) Pourquoi Aristote le bannit de la science.c) Commentaires de Saint Thomas.

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  • 15

    2 Consquences de la thorie : a) Le hasard existe.b) Le hasard n'existe pas.c) Il vient de notre ignorance, et aussi de

    l'indtermination partielle des causes.3 Parallle avec les autres thories :

    a) Le hasard divinis.b) Le hasard cause universelle de tout.c) Le hasard pure illusion.

    V. Utilit des Causes finalesLa question de l'utilit.

    1 Rponse des sciences en gnral.a) L'tre n'est intelligible que par l'action et

    l'action par sa fin.b) La fin fait comprendre les moyens.

    2 Rponse des sciences de la nature.a) La foi en la finalit intrinsque est le res-

    sort de l'observation et de l'induction.b) La finalit extrinsque n'a pas la mme por-

    te scientifique.c) Leur confusion est cause de la controverse

    depuis Bacon.d) Renaissance de la finalit ; en biologie, en

    physique.3 Rponse des sciences Morales.

    a) La fin dernire de l'homme.b) Conclusion gnrale.

    VI. Les axiomes qui rsument et fixent toute lathorie

    1 Axiomes sur l'Acte et la Puissance.2 Axiomes sur le Mouvement.3 Axiomes sur la Causalit.4 Axiomes sur la Finalit.

    PILOGUE

    I. Application de la thorie la perception des sensexternes

    Merveilleuse fcondit, signe des vrits premires.1 La sensation est une espce de mouvement, dans

    un tre qui peut en avoir conscience.2 Rsum et application de la thorie. Avant,

    pendant et aprs le contact du moteur et du mo-bile. Double jeu des organes.

    3 Explication de l'extriorit. Obj. de l'hallucination.

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    4 Explication du passage du subjectif l'objectif.5 Explication de la notion vulgaire de la Vrit. 6 Explication de la relativit partielle.7 Explication du contraste entre la perception de

    l'objet et la perception de l'image (image cons-cutive, hallucinatoire, et du souvenir).

    8 Importance capitale de cette thorie.CONCLUSION GNRALE.

    APPENDICES

    I. Synthse abrge du Modernisme philosophique.II. Tables gnrales des neuf volumes d'tudes phi-

    losophiquesIII. Bibliographie gnrale des principaux ouvra-

    ges

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    432

  • AVERTISSEMENT

    SUR LA SEPTIME DITION.

    Depuis la renaissance de la philosophie d'Aristoteet de S. Thomas, au cours du XIXe sicle, ce trait del'Acte et de la Puissance a t, croyons-nous, le pre-mier essai tent sur un sujet si dlicat, et surtout siimportant, puisqu'il est la clef de toute la Mtaphysi-que de l'Ecole (1).

    Quoique paru, pour la premire fois, depuis plus devingt-deux annes, en 1886, il ne nous a pas sembl tropvieilli, mais facile rajeunir, remettre au point et enrichir de nouveaux traits chapps une premirebauche.

    Nous avons surtout complt notre uvre premire,en ajoutant la thorie de la Cause motrice ou effi-ciente celle de la Cause finale, qui la fait ressortir parson singulier contraste et la complte si bien, et nousavons replac l'ensemble de ces thories dans son cadrenaturel : la clbre synthse des Quatre Causes.

    On aura ainsi, dans ce premier volume, la partiefondamentale et comme la moelle de la Mtaphysiquegnrale ou Philosophie premire de l'Ecole. Ce seradu moins une introduction largement suffisante auxEtudes particulires qui suivront.

    Avertissons aussi le lecteur qu'une proccupation

    (1) La Mtaphysique des Causes du P. de Rgnon ne parut que quel-ques mois aprs notre ouvrage.

    ACTE ET PUISSANCE 2

  • 18 AVERTISSEMENT

    nouvelle a orient tout ce travail : celle de rpondreaux besoins nouveaux des esprits contemporains qu'ontplus ou moins troubls les objections rcentes soulevescontre l'antique thorie par les philosophes modernis-tes issus de l'cole bergsonienne. Comme ceux-ci n'-taient pas encore ns lors de nos premires ditions,nous n'en pouvions parler. Mais aujourd'hui, aprs lebruit retentissant fait autour de leur berceau, ils mri-tent bien les honneurs d'une discussion et d'une cri-tique.

    Sans doute, le Modernisme est une erreur surtoutthologique. Il est en effet, malgr des apparencescontraires, car il retient toutes les anciennes formulesdogmatiques aprs les avoir vides de leur sens tradi-tionnel, il est la ngation, plus ou moins dguise,du surnaturel chrtien. C'est l'antique erreur du natura-lisme qui tente un renouveau en se greffant sur la tigede la Philosophie nouvelle , dont elle emprunte lasduction ou la vogue passagre, et c'est uniquement parce ct qu'elle rentre dans la domaine du philosophe.

    Or la philosophie dite nouvelle , quoiqu'elle soitrenouvele du monisme volutionniste de Hgel et duvieil Hraclite, est son tour la ngation, on pour-rait dire l'lgante subtilisation, des notions fonda-mentales de la raison humaine, et c'est pour cela, comme nous l'avons si souvent rpt, que la crise de la foi provient aujourd'hui d'une crise de laraison elle-mme.

    En effet, cette philosophie plonge ses racines subtilesdans la ngation systmatique des notions les plus l-mentaires du sens commun sur l'tre, la substance, lemouvement, la causalit, la contingence, la finalit et lesprincipes premiers d'identit, de contradiction, de causa-lit... qui sont prcisment l'objet de ce premier volume.Les modernistes eux-mmes en ont fait l'aveu, notam-

  • DE LA SEPTIME DITION 19

    ment dans leur trs irrvrencieuse Risposta l'Ency-clique Pascendi de S. S. Pie X, o ils dclarent expres-sment ne vouloir plus s'incliner devant ces idola tribus qui sont les conceptions aristotliciennes (et dusimple bon sens) de mouvement, de causalit, decontingence et de fin (1) .

    Nous leur montrerons aisment que ces notions, biencomprises, s'imposent aujourd'hui, comme autrefois, tout exercice philosophique de la raison humaine, dontelles demeurent le fondement inbranlable, et qu'ils sesont gars pour n'avoir pas su les comprendre.

    D'autre part, comme toutes ces nouveauts philoso-phiques sont lgitimes leurs yeux par la prtenduencessit d'une volution perptuelle ou d'un perptueldevenir de l'tre et du vrai, dont ils font le postulatpremier ou le pivot de toute leur doctrine, et quel'Encyclique a signale comme le point capital deleur systme, nous en instituerons la critique ds ledbut de cette tude.

    Enfin, parce que la nature mme du sujet que nousallons aborder est trs complexe et ardue, nous nous som-mes appliqu, comme il convient une uvre dehaute vulgarisation, carter tout ce luxe et cetteprofusion de dtails moins utiles, toutes ces subtili-ts, au moins apparentes, o s'est parfois compluel'analyse merveilleusement pntrante et sre de nosgrands Docteurs.

    Tous les lecteurs cultivs, mme les plus novices, s'ils sont aptes la philosophie, pourront donc, sanscrainte, en aborder l'tude, et se prparer ainsi l'in-telligence plus complte des chefs-d'uvre de ces illus-tes matres, dont nous ne prtendons pas remplacer,mais seulement faciliter l'tude.

    Une table analytique des principales ides contenues(1) Rplique des modernistes, p. 124.

  • 20 AVERTISSEMENT DE LA SEPTIEME DITION

    dans les neuf volumes de cet ouvrage facilitera les re-cherches.

    Quant la bibliographie, nous donnerons d'aborddans ce tome premier la liste gnrale des principaux ou-vrages dus la renaissance du Pripattisme thomisteou des philosophies medivales et grecques. En outre,chaque volume contiendra de nombreuses indicationsbibliographiques spciales chacun des sujets traits,en vue de faire aussi de ces tudes un instrument detravail.

  • THORIE FONDAMENTALE

    DE

    L'ACTE ET DE LA PUISSANCEOU DU MOUVEMENT

    INTRODUCTION GNRALE

    Vetera novis augere et perficere. LON XIII.

    La thorie de l'Acte et de la Puissance ou du Mouve-ment est la clef de vote de tout ce gigantesque dificelev, la gloire de la philosophie spiritualiste, par legnie d'Aristote et de S. Thomas d'Aquin.

    Il suffit d'avoir parcouru leurs principaux ouvragespour constater que les ides d'Acte et de Puissancereviennent chaque instant sous leur plume, se m-lent d'une manire plus ou moins explicite presquetous leurs raisonnements, et inspirent la plupart dessolutions qu'ils proposent aux grandes questions mta-physiques, notamment aux prtendues antinomies dela raison pure. Ainsi, par exemple, l'antinomie du De-venir, qui semble la fois tre et n'tre pas, sera fa-cilement dissipe par la notion de Puissance.

    Celui qui ne serait pas initi cette thorie fondamen-tale risquerait fort de ne rien comprendre l'cole de nosgrands Docteurs, ou tout au moins de rester la surface

    Impor-tance de

    cettepremire

    tude.

  • 22 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    des choses, sans rien approfondir. C'est ce demi savoirqui a dj conduit plus d'un historien ou interprte bien des mprises regrettables et mme de vritablestravestissements de la philosophie de l'cole, commenous aurons occasion de le voir dans toute la srie deces tudes philosophiques.

    Cette tude prliminaire htons-nous de le dire ne sera pas aussi abstraite ni aussi aride que son titrepourrait le faire craindre. Elle nous conduira sans dou-te sur les hauteurs de la mtaphysique, mais quel'on se rassure nous aurons toujours pied--terresur le sol ferme de l'observation vulgaire et scientifi-que ; et c'est en cela que la mtaphysique pripatti-cienne, essentiellement positive et exprimentale, sedistingue de toutes les mtaphysiques a priori que tantd'autres coles ont difies grands frais sur les nuagesou dans le vide.

    Seule, elle se fait gloire d'tre scientifique, c'est--dire conforme aux donnes positives des sciences exp-rimentales. Et comme les sciences croissent et serenouvellent sans cesse, la manire des organismesvivants, elle a su choisir des cadres assez souples pourse prter aux largissements quotidiens de la science.

    Et que l'on ne dise pas toutes les philosophies suscep-tibles de cadrer avec la science. Il en est au contraire,comme la Psychologie cartsienne, qui en sont la contra-diction flagrante, et d'autres comme nous le verronsds ce premier volume qui, sans la contredire siouvertement, ne sont vraiment pas l'expression fidle etsuffisante de la ralit observe. Du reste, s'il n'y a qu'unseul plan idal ralis par le Crateur dans la nature,il n'y a qu'une seule philosophie qu'on en puisse tirercomme expression sincre et adquate de la ralit cre,et c'est cette philosophie, unique comme la Vrit, quenous rechercherons dans tout le cours de ces tudes.

    Soncaractrepositif.

  • INTRODUCTION 23

    Donc, bien loin de nous les constructions aprioris-tiques. Nous professons que toutes les ides de l'esprithumain doivent lui venir des ralits observes et nondes rves fantaisistes de l'imagination : Pour les sim-ples mortels, dit Aristote, c'est l'exprience qui enfante l'art et la science (1). Aussi nos thories ne seront-elles que l'abstraction la plus haute des faits lgitime-ment constats. Notre mthode n'est donc pas si aridequ'on se l'imagine parfois, puisqu'elle tire toujoursl'ide abstraite des faits concrets.

    D'ailleurs, notre marche serait-elle un peu froide etsvre, comme celle d'un thorme, qui oserait s'enplaindre ? pourvu qu'elle nous conduise srement aubut dsir, et qu'elle nous dcouvre la clef d'une grandephilosophie, de celle qu'on a justement appele Ph i -losophia perennis, parce qu'elle est la philosophieimprescriptible du sens commun, et qu'au lieu de r-pudier le patrimoine sculaire de l'humanit pensante,elle s'applique le conserver religieusement et le d-velopper sans fin travers les ges ? Quel lecteur s-rieux oserait reculer devant un effort d'attention et demditation personnelle qui peut lui ouvrir des horizonsnouveaux sur ce bas monde et sur l'Au-del ?

    Pour l'y encourager, en mme temps que pour l'di-fier sur le but que nous allons poursuivre dans cesEtudes, nous lui dirons tout d'abord o en est aujour-d'hui le mouvement de renaissance no-pripatticienneet scolastique, quels sont ses premiers succs depuis unquart de sicle, et ses esprances pour un prochain ave-nir.

    ** *

    Philoso-phie

    scientifi-que.

    La Re-naissancedu tho-

    misme, ily a 25 ans.

    (1) Per experientiam autem ars et scientia hominibus efficitur. .Arist. (Didot) Mta., l. I, c. 1, 4. Cf. I Analyt., l. I, c. 30 ; DeGenerat., l. I, c. 2. Cf. S. Thomas, la 2, q. 51, a. 1.

  • 24 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    Dans nos premires ditions, il y a plus de vingt-deuxans, nous avertissions le lecteur dans une prface qu'onnous permettra de reproduire ici pour mieux mesurerdu regard le chemin parcouru, qu'un grand nombrede professeurs du haut enseignement avaient vu avecplaisir, plusieurs mme avec enthousiasme, ce re-tour aux anciennes traditions, qu'ils en avaient mesurdu premier coup d'il toute la porte, et qu'un desesprits philosophiques les plus pntrants et les pluslumineux de nos contemporains, le regrett Mgrd'Hulst, aprs avoir rsum en quelques mots la tho-rie fondamentale que nous avions expose, n'hsitaitpas la donner comme un exemple des solutions quetient en rserve pour les plus hautes questions l'admira-ble thorie de l'Acte et de la Puissance, du Moteur et duMobile , et comme un exemple des ressources inat-tendues qu'un systme si longtemps dcri sous le nomde scolastique peut offrir aux philosophes dsireux decultiver de bonnes relations avec la science (1).

    Dans un camp oppos, nous avions aussi, ds lespremires annes, recueilli des aveux encourageantssous la plume de philosophes sincres, qui ont com-menc rouvrir ces in-folio poudreux que nos rfor-mateurs du XVIIe sicle avaient mis l'index. Le posi-tivisme, crivait M. Vacherot, n'a plus beau jeu contreAristote. C'est son cole surtout qui est une cole descience et de philosophie positives, s'il est permis d'ap-pliquer un mot si moderne une antique doctrine.Rien de moins spculatif que sa philosophie, si l'onentend par ce mot toute conception a priori, mme eny comprenant cette Philosophie premire, laquelleun incident bibliographique a fait donner le nom demtaphysique. Toute la doctrine d'Aristote repose sur

    (1) Mgr d'Hulst, Annales de philosophie chr., novembre 1885, p. 126.

    Sespremierspatrons.

  • Sesorigines.

    INTRODUCTION 25

    une formule qui n'est que l'expression la plus abstraiteet la plus haute de l'exprience : Puissance et Acte,ces deux mots rsument toute sa pense et expliquenttoute chose (1).

    Le mme philosophe ajoutait ailleurs ce sage conseil ses contemporains : Ce que la philosophie a demieux faire, aprs plus de deux mille ans, c'est dereprendre la formule pripatticienne, en l'expliquantet en la traduisant dans notre langue moderne (2).

    Ce mouvement de renaissance pripatticienne et tho-miste, loin d'tre une improvisation peu rflchie, avaitt lentement prpar en France ds la fin de la grandeRvolution par une raction universelle contre cetteignorance et ce mpris systmatique que l'on affectaitpour le pass, surtout l'gard de cette longue nuit du moyen ge. On se mit l'tudier. Penseurs et potes,littrateurs et historiens, artistes, peintres et musiciensrivalisrent bientt dans cette dcouverte d'un mondeo tout tait pour eux nouveaut et surprises (3).

    Les philosophes leur tour suivirent cet lan gnral.Voici que l'cole de Cousin fait rentrer dans l'histoire lesphilosophies mdivales. Munck s'occupe de la philoso-phie juive et arabe ; Renan, d'Averros ; Ch. de Rmu-sat, de S. Anselme et d'Abailard ; E. Charles, de RogerBacon ; J. Simon, Vacherot, Barthlmy Saint-Hilaire,de l'Ecole d'Alexandrie. Ce dernier, ds 1837, encoura-g par Cousin, entreprend la traduction de tous lestraits d'ristote : uvre grandiose, encore utile mal-gr ses graves imperfections, qui lui demandera un

    (1) Vacherot, Le nouveau spiritualisme, p. 163.(2) Vacherot, Science et Mtaphysique, t. I, p. 427.(3) Au nombre des initiateurs de cette renaissance littraire, nous

    aurions pu citer : Chteaubriand, Mme de Stal, Lamartine, VictorHugo, Mrime, Th. Gautier, Casimir Delavigne, Alex. Dumas,Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Musset, Villemain, etc.

  • 26 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    labeur de cinquante-cinq annes (1). De son ct, FlixRavaisson s'illustre par un Essai sur la mtaphysique d'Aristote ; Rousselot nous donne trois volumes d'E-tudes sur la philosophie du moyen ge ; Haurau critl'histoire de la philosophie scolastique ; Jourdain faitcouronner au concours de l'Acadmie Franaise Laphilosophie de S. Thomas ; Ozanam fait connatre laDivine Comdie, rsum de la synthse philosophiquedu XIIIe sicle. De Bonald, J. de Maistre, Lamennaistudient et admirent S. Thomas, et encouragent le re-tour aux traditions thomistes, tandis que Sansvrino,Zigliara, Liberatore, Cornoldi, Brin, Vallet, etc., compo-sent les premiers manuels de philosophie scolastique.

    Depuis lors, ce mouvement de renaissance s'est net-tement affirm et propag dans tous les grands pays del'Europe, et s'est impos l'attention du monde entier.La philosophie de l'cole est dj rhabilite, non seule-ment en Espagne et en Portugal, o elle n'a gure cessd'tre la base de l'enseignement universitaire, surtout Salamanque, Combre, Alcala, mais encore enAllemagne o d'illustres critiques nous ont rendu danssa puret le texte d'Aristote ; en Italie, o ont surgi,surtout Rome, les champions les plus nombreux etles plus minents du thomisme ; en Belgique, o l'colede Louvain s'est illustre par des matres tels que MgrMercier ; en Autriche, en Hollande, au Tyrol, en Suisse,en un mot dans tous les pays de la science (2).

    Cette antique philosophie n'est donc plus pour lapense moderne une trangre mconnue et ddaigne ; les barrires des vieux prjugs sont tombes ; on l'tu-

    (1) Nous la citerons quelques fois (B.S.-H.) ; mais d'ordinaire nosrfrences renvoient aux textes latins et grecs de l'dition FirminDidot. Notez que la division des livres et des chapitres varie un peuavec les ditions.

    (2) La bibliographie de la philosophie no-scolastique est dj im-mense. Voyez-en un abrg la fin de ce volume.

  • die ; on cherche retrouver le secret de ses vieilles for-mules ; et les premires dcouvertes dans cet ordre derecherches ont dj impos tous le respect et sus-cit l'adhsion d'un grand nombre de penseurs mi-nents.

    Les chos de l'Institut de France ont retenti des lo-ges adresss S. S. Lon XIII, pour l'impulsion ner-gique imprime, ds le dbut de son rgne, cette grandeuvre de rnovation philosophique, et pour l'ditionmonumentale des uvres de S. Thomas imprime sousses auspices. Des voix autorises y ont soutenu avecassurance et conviction les vieilles thories de l'Acteet de la Puissance, de la Matire et de la Forme, ducompos humain, de la connaissance sensible et intellec-tuelle (1).

    A la Sorbonne, au Collge de France, dans le mondeuniversitaire, les matres les plus distingus ont trouvbelle et sduisante la pense de ressusciter cette grandephilosophie. M. Paul Janet apprciait en termes lo-gieux l'essai de M. Ravaisson ; et, donnant lui-mmel'exemple, il prenait d'Aristote les thories et jusqu'aulangage, dans les questions fondamentales de l'intel-lect actif , du compos humain , des sens et de laraison, etc. (2).

    M. Rabier, directeur de l'enseignement secondaire,qui tient S. Thomas en si haute estime, et qui est si rap-proch des docteurs scolastiques par le tempramentphilosophique et la mthode vigoureuse et subtile, a pareillement adopt les solutions thomistes sur plusieurspoints caractristiques tels que l'origine des ides. Ilexplique la formation de l'ide de parfait dans les ter-

    (1) Voyez surtout le rapport de M. B. Saint-Hilaire, dans la sancedu 17 janvier 1891.

    (2) P. Janet, Trait lmentaire de philosophie, pp. 14, 218, etc. La philosophie contemporaine.

    Sespremiersprogrs.

    INTRODUCTION 2 7

  • 28 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    mes mmes de nos manuels scolastiques, par un em-pirisme intelligent (1).

    M. Boutroux, que l'on avait cru jusqu'ici fidle admi-rateur de Kant, ne lui donne pourtant pas le dessus dansson parallle avec Aristote qu'il considre encore au-jourd'hui comme un des matres de la pense humaine . Son systme, dit-il, peut tre mis sans dsavantage enface des deux doctrines qui tiennent aujourd'hui la plusgrande place dans le monde philosophique : l'idalismekantien et l'volutionnisme. Il semble mme que l'aristo-tlisme rponde particulirement aux proccupations denotre poque. Et il conclut que la plus grande gloired'Aristote, son uvre la plus considrable est sans con-tredit la constitution de cette philosophie chrtienne sicomplte, si prcise, si logique, si fortement tabliedans ses moindres dtails qu'elle semble cre pour l'-ternit (2). Magnifique loge qui dpasse tout ce queles scolastiques ont jamais os dire de leur philosophie.

    Ceux-l mmes qui critiquent encore le thomismesentent dsormais qu'il s'impose leur respect et par-fois leur admiration : J'admire S. Thomas, crivaitl'un d'eux ; ceux qui croient que scolastique est syno-nyme de confusion et d'obscurit ne le connaissentpas (3).

    Inutile de multiplier ces citations que nous avonschoisies parmi les philosophes universitaires les plusautoriss et les moins suspects de partialit envers notreenseignement, et en ngligeant dessein les tmoignagesunanimes des professeurs les plus distingus de nos Ins-tituts catholiques de Paris, de Lille, d'Angers, de Lyon,de Toulouse ou de Louvain.

    (1) Rabier, Leons de philosophie, 1, p. 464, etc.(2) Boutroux, Grande Encyclopdie, p. 933-954, Article Aristote, ou

    Etudes d'histoire de la philosophie, p. 200-202.(3) Sailles, Revue philosophique, 1890, p. 553.

  • INTRODUCTION 29

    Cette orientation nouvelle des esprits notre poque,si manifeste pour tous les regards, ne saurait surpren-dre ceux qui ont suivi de prs l'histoire des vicissitudesde la pense contemporaine. Qui dira les ruines que lessystmes modernes ont accumules autour d'eux ; quidira le dsarroi jet dans les esprits et le trouble semdans les mes par tous ces systmes dcevants et ph-mres qui ont tour tour paru et disparu, comme debrillants mtores, dans le ciel obscur de ce sicle dou-teur !

    On ne parle que de progrs et de science positive, etcependant le monde est devenu plus mystrieux quejamais ; plus nous devenons riches de faits accumuls,plus nous paraissons pauvres d'explications et d'ides ; le mcanisme cartsien ne satisfait plus personne ; l'-volutionnisme parat beaucoup trop simple et demande tre complt et dpass ; l'empirisme pur est tropvulgaire et trop grossier ; l'idalisme kantien, en ren-versant les rapports naturels du sujet connaissant l'-gard de l'objet connu, a tout mis au rebours et tout con-fondu, comme dans un rve brillant et fantastique ; letraditionnalisme n'a t qu'une crise phmre d'un dog-matisme aveugle ; la libre-pense, avec ses tendancesau criticisme sceptique, n'a t qu'un dissolvant capa-ble de tout dtruire sans rien difier. Or le doute tue etl'homme veut vivre.

    De ce malaise gnral des esprits, devait fatalementrsulter une raction lgitime, un retour vers ce passsi injustement oubli et mconnu depuis trois sicles.On a jet un regard en arrire, d'abord curieux, puisadmirateur, vers ces vigoureux gnies si remarquablespar la rectitude de leur bon sens et leur intrpide con-fiance dans la puissance de la raison humaine. Dj onles interroge, on les coute, on commence les com-prendre, et l'on se demande dsormais pourquoi n'y

    Sesprincipales

    causes.

  • 30 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    aurait-il rien garder ou reprendre de cette grandeconception des choses qui a t celle de la Grce anti-que, et l'on peut dire celle du monde savant tout entierpendant plus de vingt sicles ?

    Une telle philosophie, dj fonde sur l'observationde la nature par ce vaste gnie qui fut la fois le cra-teur des sciences naturelles et le pre de la mtaphy-sique, doit avoir des aptitudes vivre, s'adapter et se dvelopper avec le progrs des sciences. Pourquoin'en ferions-nous pas un essai loyal, en prenant pour de-vise cette belle parole de Lon XIII (dans son immortelleEncyclique terni patris) qui exclut toute ten-

    dance troite ou rtrograde et rconcilie enfin le pro-grs avec la tradition : Vetera novis augere et perfi-cere ?

    Voil ce que nous pensions et ce que nous crivions, ily a plus de vingt-deux ans ; avons-nous aujourd'huichang d'avis, ou tout au moins attnu l'lan d'espoirque nous avions alors conu ? Loin de l. Depuis lors,en effet, l'cole no-scolastique, rayonnant de trois cen-tres principaux : Rome, Paris, Louvain, par l'enseigne-ment de matres minents et par des publications re-marquables, dsormais rpandues dans le monde entier,n'a cess de se propager et de s'tendre, lentement peut-tre, mais srement, tandis qu'elle acclrait vigou-reusement la dcadence fatale du Cartsianisme et duKantisme.

    Les derniers dbris du spiritualisme franais, issu deDescartes et de Leibnitz, ont achev de disparatre. Osont, cette heure, les disciples de Victor Cousin, deMaine de Biran ou de Jouffroy ? S'il en existe encore,ils sont des isols et n'ont plus d'cole. Les honorablesefforts de MM. P. Janet, F. Bouiller, Caro, Saisset, J. Si-

    Sa devise.

    ** *

    Le Cart-sianisme

    n'est plus.

    La Re-naissancedu Tho-misme

    aujour-d'hui.

  • INTRODUCTION 31

    mon ou Garnier, ne furent que d'loquentes protesta-tions en faveur du spiritualisme, et nullement la fon-dation durable d'un systme et d'une cole.

    Quant au spiritualisme kantien, difi par la raisonpratique sur les ruines de la raison pure, sa vogue re-tentissante, mais phmre, est bien finie sans retour.Un des philosophes amricains les plus en faveur denos jours, William James, pouvait crire rcemment,sans soulever aucune protestation, cette sentence ddai-gneuse : L'esprit de Kant est le plus rare et le pluscompliqu de tous les vieux muses de bric--brac... La Revue philosophique, elle-mme, se contentait derpondre avec une tristesse rsigne : Les irrvrencesde James son gard ( l'gard de Kant) ne font quesouligner une conclusion laquelle la presque totalit des philosophes est dj venue avec clat (1) .

    En effet, ce qui reste de l'uvre de Kant, c'est sa criti-que ngative, ce sont les ruines qu'il a accumulespar son scepticisme subjectif et sa dfiance de la raisonhumaine. Quant au dogmatisme moral, avec lequel ilvoulait contenir ce criticisme intellectuel qu'il avaitdchan, il fut bientt emport par le criticisme lui-mme. Aussi y a-t-il dj longtemps que le fameux impratif catgorique de Kant et ses postulats surDieu, l'me et l'immortalit ont t traverss et dpas-ss par une morale sans obligation ni sanction. Sesamis en conviennent eux-mmes, lorsqu'ils prennent,pour leurs articles de revue, ce titre dcourag mais si-gnificatif : le Crpuscule de la morale kantienne (2).Ils y reconnaissent avec tristesse que la morale achvede sombrer dans un positivisme utilitaire le plus radicalqui n'est plus digne de ce beau nom de morale.

    Dsormais, pour lutter, au nom de la raison et du

    (1) Revue philosophique, 1906, vol. 61, p. 143.(2) Par Lionel Dauriac, Anne philosophique, 1906.

    Ce quireste duKantisme.

  • 32 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    bon sens, contre l'envahissement de ces erreurs dissol-vantes issues du criticisme et du panthisme allemand,il n'y a plus debout qu'une seule cole spiritualiste,la vieille Ecole d'Aristote et de S. Thomas, rajeunie aucontact des sciences modernes, et largement ouverte tous les progrs.

    Dj, en 1896, dans son clbre discours de Namurqu'on a si justement appel son testament philoso-phique , Mgr d'Hulst dclarait que la lutte allait tredsormais circonscrite entre deux mtaphysiques rivales : ou thomisme pripatticien ou monisme volutionniste ! Et le regard tourn vers l'avenir, il annonait que cemonisme volutionniste serait le dernier stade de laphilosophie moderne. Elle y arrive, disait-il, de tousles points la fois, et par toutes les voies... C'est unecoalition des gnies les plus opposs, et ce n'est certespas le moindre pril, c'est le plus grand ! Ensuite,montrant du doigt ce chaos d'coles rivales enfin rcon-cilies sous la bannire du monisme , il osait prdireentre ces deux mtaphysiques le duel formidable quiallait inaugurer l'ge philosophique dont nous voyonsdj blanchir l'aurore (1).

    Son gnie, si pntrant d'ordinaire, avait-il mal ludans l'avenir ? Avait-il pris ses dsirs ou ses craintespour une prdiction ? Des amis ont pu le croire uninstant, en prsence d'vnements imprvus qui sem-blaient lui donner un dmenti. En effet, tout coup a surgi du nant, par une gnration d'apparencespontane, mais en ralit par une raction violentecontre les consquences sceptiques et amorales de cekantisme dont on n'osait pas encore renier les prin-cipes, le concert bruyant et quelque peu discordantdes jeunes aptres de la philosophie nouvelle , qui

    (1) Discours de Namur, 18 mai 1896. D'Hulst, Mlang. orat., t. IV,p. 154, 155.

    Thomis-me ou

    monismevolu-

    tionniste!

  • INTRODUCTION 33

    peine ns se proclamaient eux-mmes, un peunavement, une re nouvelle , un quatrime tat del'humanit , le point culminant de la philosophiemoderne (1).

    Or la note dominante de ce concert assez confus taitd'abord, nous semble-t-il, celle d'un anti-intellectua-lisme croyant (2). Elle donnait la volont le pas surl'intelligence ; bien plus, elle bannissait la fois les cat-gories ou les concepts de la raison pure et les postulatsaprioristiques de la raison pratique, pour ne se fierqu'aux intuitions mystiques de l'instinct ou du cur.D'o la fameuse mthode de l'immanence, qui mprisetout ce qui ne vient pas du dedans, et prtend enclorel'individu dans sa propre autonomie.

    Des penseurs distingus, et mme d'excellents catho-liques, s'enthousiasmrent la pense d'humilier, unefois de plus, la raison au profit de la foi, et de fonder unrenouveau de fidisme sous une tiquette toutefoisnouvelle et moins dprcie.

    Mais bientt on s'aperut que ce n'tait l qu'uneescarmouche d'avant-garde, comme une manuvre defaade, masquant trs involontairement, sans doute un mouvement tournant de l'ennemi sculaire. Ons'aperut que ce mpris hautain de la raison et de lamtaphysique impliquait l'affirmation, d'abord timide,insinuante, bientt audacieuse et catgorique, d'unemtaphysique nouvelle, aux antipodes de l'anciennemtaphysique. Tant il est vrai que le vide appelletoujours le plein, et qu'on ne peut chasser de l'espritune mtaphysique qu'en lui en substituant une autre,

    (1) De Sailly, Ann. de phil., nov. 1905, p. 183.(2) Voir leurs diatribes contre l'intelligence : Blondel, Lettre sur les

    exigences de la pense contemporaine, p. 21, 29 ; Laberthonnire,Essai de philosophie religieuse, p. 4, 45, 46, 48, 8l, 186. Intellectua-lisme, systme, disent-ils, qui fait sourire de piti et ds longtempsprim. Encyc. Pascendi, 8 sept. 1907.

    ACTE ET PUISSANCE 3

    La phi lo-sophie n o u -

    velle .

  • 34 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    car jamais la foi aveugle ne pourra suffire l'homme quivoudra toujours justifier sa foi par sa raison.

    Or, cette mtaphysique prtendue nouvelle nel'est gure, il est vrai, que par l'tiquette et par laforme littraire, parfois sduisante, qui l'enveloppe et larevt de ses charmes, car elle rdite les lucubrationsbien connues de Hegel, de Guillaume d'Occam ou autresdcadents de la scolastique, et du vieil Hraclite. Lisezattentivement l'volution cratrice de M. Bergsonou les nombreux articles de M. Le Roy, notamment ceuxqu'il a intituls : Comment se pose le problme deDieu , car ces deux publications sont, nos yeux,une date dcisive dans l'volution de la philosophie nouvelle , vous y trouverez dispers a et l, commeau hasard, tout un ensemble organique de thses net-tement hgelliennes, gravitant autour de ces deux prin-cipales : 1L'tre n'est pas ; tout est Devenir (1) ; ensorte que tout le rel et toute la vrit sont dans un per-ptuel coulement qui les rend insaisissables ; 2 N-gation du principe de contradiction (2), et partantidentit des contradictoires s'accordant et fusionnantdans le grand Tout.

    En prsence de ces deux assertions ou ngations fon-damentales, plus d'hsitation possible pour un profes-sionnel de la philosophie. C'est bien l le rveil mena-ant de l'hglianisme, malgr bien des diffrenceset des oppositions de dtail (3), c'est--dire le rveil

    (1) Choses et tats ne sont que des vues prises par notre espritsur le devenir. Il n'y a pas de choses, il n'y a que des actions. Bergson. L'Evolut. cratr., p. 270.

    (2) Le principe de non contradiction n'est pas universel et nces-saire autant qu'on l'a cru. Le Roy, Revue de Mtaph. et de Mor., 1905,p. 203. Les contradictoires logiques s'identifient dans les profon-deurs supralogiques Ibid., p. 200.

    (3) Ainsi par exemple : Hegel est intellectualiste absolu ; Bergson,anti-intellectualiste absolu ; Hegel ramne le rel au rationnel ; Berg-son le rationnel au rel ; mais tous les deux, fils d'Hraclite, fusion-nent dans un monisme volutionniste. Le panthisme de Hegel est

    Ses deuxnouveauxdogmes.

  • INTRODUCTION 3 5

    du monisme volutionniste, comme l'avait prdit Mgrd'Hulst. Plus les faits scientifiques infligent de dmentis l'hypothse de l'Evolution universelle embrassanttous les rgnes de la nature, et plus le philosophe mo-niste s'y cramponne et y revient avec acharnement, com-me une ncessit de systme.

    Sans doute, il y a des spiritualistes et mme des catho-liques dans l'cole bergsonnienne ; M. Le Roy en est unexemple clatant. Mais s'ils se croient de force endi-guer le flot panthistique, ou le dvier vers un pan-thisme orthodoxe, (1) suivant leur audacieuseformule, nous croyons qu'ils s'illusionnent grande-ment, parce qu'on n'endigue pas le flot de la logique.Aprs avoir pos les principes, ces catholiques impru-dents resteront seuls ne pas tirer les consquences ; ils resteront seuls s'imaginer saisir directement en leurconscience, par quelque intuition mystique , la pr-sence de Dieu ; les autres, moins clairvoyants sansdoute, ne saisiront tout au plus qu'un besoin du divin ; tandis que le vulgaire, incapable de tels artifices, o l'in-gniosit le dispute la noblesse d'me, n'aura aucuneintuition du tout, ni de Dieu, ni du divin. Ce sera le videdes mes et l'athisme pratique !

    Oh ! comme Mgr d'Hulst nous semblait bien inspirlorsqu'en voyant se dessiner les premires tendances decette philosophie nouvelle , il dnonait le sophismequi, sous prtexte que la vrit est la vie de l'me ,enlve la vrit son caractre absolu ; et lorsqu'il re-prochait certains penseurs de talent leurs trou-blantes complaisances pour un certain monisme ; lors-qu'il les conjurait, surtout, de rsister ces doctrines

    idaliste ; celui de Bergson semble plutt sensualiste ou affectif ; aussia-t-on pu l'appeler un hglianisme affectif ...autant du moins qu'ilsoit possible de saisir des penses si ondoyantes et si fluides.

    (1) Le Roy, Dogme et Critique, p. 145.

    Leurscons-

    quencespanthis-tiques.

  • 36 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    funestes qui ne laissent plus rien debout, transportantaux premiers principes le caractre mobile qui appar-tient aux phnomnes, et entranant l'absolu lui-mmedans le perptuel coulement des choses ! (1)

    Au dbut de ce mouvement encore indcis, on a pus'y tromper de bonne foi, mais aujourd'hui la lumireest faite, et il faudrait tre bien aveugle pour ne pasvoir que la lutte du XXe sicle est bien le duel prdit formidable , entre les deux mtaphysiques rivales,qui sont les deux ples opposs de la pense humaine ; la mtaphysique hglienne du Devenir pur ou du non-tre, et la mtaphysique de l'tre, sous sa double formede l'Acte et la Puissance, qui seule explique sans con-tradiction le Devenir et le progrs, et seule peut serclamer la fois du sens commun et des plus grandsgnies de l'humanit.

    Sans tre aucunement prophte, peut-on prdire au-quel des deux lutteurs doit finalement rester la victoire ? Une question d'un si grave intrt mrite bien l'hon-neur d'un examen. Que si nous interrogions l dessusMgr d'Hulst, sa rponse ne serait point hsitante. Dansle mme discours de Namur, il ajoutait en parlant dela mtaphysique de S. Thomas : La solidit d'unetelle uvre offrira un contraste chaque jour plus frap-pant avec l'instabilit des doctrines monistes, avec leurinsuffisance fonder une morale et une science de lavie . . . car dans le monisme, il n'y a plus de place pourle vrai Dieu, ni pour la libert humaine (2).

    Mais cette rponse, malgr sa justesse, pourrait pa-ratre quelques lecteurs suspecte de partialit. Cher-chons un tmoignage qui soit irrcusable. Interrogeonsnos adversaires eux-mmes, car ils ont eu la franchise,

    (1) D'Hulst, lbid., p. 149, 150, 154.(2) D'Hulst, Ibid., p. 149, 158.

    Le duelformida-ble.

    Quellesera

    l'issue dela lutte ?

  • INTRODUCTION 37

    je ne dis pas de nous donner leur solution, du moinsde nous fournir des lments de solution trs curieuxet des plus significatifs.

    Demandez M. Bergson ce qu'il pense de la philoso-phie grecque d'Aristote et de Platon, vous serez sur-pris des loges dont il comble ces redoutables adver-saires. Impossible, dit-il, de se soustraire leurfascination : Artistes jamais admirables, les Grecsont cr un type de vrit suprasensible, comme debeaut sensible, dont il est difficile de ne pas subirl'attrait. Ds qu'on incline faire de la mtaphysiqueune systmatisation de la science, on glisse dans la di-rection de Platon et d'Aristote. Et une fois dans la zoned'attraction o cheminent les philosophes grecs, on estentran dans leur orbite (1)

    La mtaphysique d'Aristote est donc d'une incompa-rable beaut, mais est-elle aussi conforme la naturede l'esprit humain ? Voici la rponse de M. Bergson : Les grandes lignes de leur doctrine... n'ont rien d'ac-cidentel, rien de contingent, rien qu'il faille tenir pourune fantaisie de philosophe... Si l'on en limine toutce qui est venu de la posie, de la religion, de la viesociale, comme aussi d'une physique et d'une biologieencore rudimentaires, si l'on fait abstraction des mat-riaux friables qui entrent dans la construction de cetimmense difice, une charpente solide demeure, etcette charpente dessine les grandes lignes d'une mta-physique qui est, croyons-nous, la mtaphysique na-turelle de l'intelligence humaine (2).

    (1) Bergson, L'volution cratrice, p. 375.(2) Bergson, Ibid. p. 341, 325. (C'est nous qui soulignons.) M. Le

    Roy dit de mme : Le grand courant philosophique, jusqu' cesderniers temps (jusqu' M. Bergson, dont l'uvre admirable est lepoint de dpart d'une profonde rvolution dans les ides tradition-nelles), coulait en plein rationalisme, conformment l'impulsionoriginelle qu'avaient donne les Grecs (Rev. de Mtaph. et de Mor.,1899, p . 727).

    Rponsede M.

    Bergson.

  • Graveporte decet aveu.

    38 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    Impossible d'avouer plus franchement qu'elle est lamtaphysique du sens commun de l'humanit, la mta-physique du grand bon sens, approfondi et codifi,comme on l'a si souvent observ (1).

    Mais alors, direz-vous, la mtaphysique anti-intellec-tualiste de M. Bergson, qui en est le contre-pied, serait-elle la mtaphysique du contre-bon-sens ? Faudra-t-ilfaire violence la nature de l'esprit humain pour philo-sopher avec M. Bergson ou Hgel ? Encore une fois,M. Bergson lui-mme va nous rpondre. Pour philosopheravec lui, il faudrait, dit-il, que notre conscience se d-tacht du tout fait (de l'tre) et s'attacht au se faisant (au devenir) ; il faudrait que, se retournant et se tordantsur elle-mme, la facult de voir ne fit plus qu'un avecl'acte de vouloir. Effort douloureux, que nous pouvonsdonner brusquement en violentant la nature, mais nonpas soutenir au del de quelques instants (2). C'estce qu'il appelle ailleurs tout nettement : pousser l'in-telligence hors de chez elle par un acte de volont ,par la torsion du vouloir sur lui-mme (3).

    Ne nous tonnons pas de la franchise de cette rponse.Elle est d'ailleurs la mme que celle dj faite par Hgelqui, lui aussi, reconnaissait que pour philosopher sanouvelle manire, l'esprit doit prendre une positionrenverse (vertehrte Gtellung) (4).

    Du reste, le matre de Hgel et de Bergson, Kant, nes'tait-il pas vant, le premier, d'avoir renvers l'axe dela connaissance humaine ? On ne doit plus tre surprissi les disciples se voient contraints aux mmes aveux (5).

    (1) La philosophie de S. Thomas... est avant tout, dans son fondet dans sa mthode, une philosophie de sens commun. Dunan, En-qute du Dr Rifaux, p. 192.

    (2) Bergson, L'Evolution cratrice, p. 258.(3) Bergson, Ibid., p. 211, 272.(4) Hegel, uvres, t. VI, p. 178.(5) M. Le Roy dit de mme : La vraie mthode philosophique

    procde l'inverse de la pense commune. Revue de Mtaph. et de Mo-

  • Eh bien, nous le demandons au lecteur sincre dontl'esprit n'est pas encore fauss par les sophismes d'cole,est-il possible de faire de la philosophie nouvelle une critique plus radicale, nous allions dire plus humi-liante, que celle que ses inventeurs eux-mmes viennentd'en faire si ingnuement, en proclamant ainsi leurcomplte rupture avec le dveloppement normal del'esprit humain ?

    Du reste, ils n'ont rien exagr, et ne se sont pointcalomnis eux-mmes, car il faut vraiment faire vio-lence l'esprit et le forcer se tordre sur lui-mme ,pour penser l'unisson de la philosophie nouvelle ses principales thses, non moins dconcertantes lesunes que les autres, entr'autres celles-ci :

    1 L'tre n'est pas ; tout est Devenir pur, sansqu'aucun tre puisse devenir, ou soit dj devenu, etpuisse demeurer identique lui-mme, sous le flotchangeant des phnomnes. En d'autres termes, il n'y a plus ni substances, ni causes, mais seulement des actionssans agent, des attributs sans sujet, des accidents sanssubstance, des manires d'tre sans tre, un devenirperptuel de ce qui ne peut jamais tre !

    2 Ngation des principes d'identit et de contra-diction, lois du discours, disent-ils, et non du rel .En effet, puisque l'tre n'est pas, on ne peut plus le direidentique lui-mme ; quant au contradictoire, il resteencore impensable, vu la constitution prsente de notreesprit, mais il n'est plus impossible. Au contraire, ilest au fond du Devenir et la racine mme des choses.Ainsi les contradictoires logiques s'identifient merveil-le dans les profondeurs supra-logiques !

    3 Ngation du principe de causalit. Puisqu'il n'ya plus ni cause, ni effet, le principe de causalit n'a plusrale., mars 1907 (Principe mis propos de la notion du mouvement,et applique de fait toutes les autres notions de sens commun).

    Cet aveun'a rien

    d'exagr.

    INTRODUCTION 3 9

  • 40 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    de sens, en sorte que ce qui commence n'a pas de causeet devient tout seul. Aussi bien l'volution cratrice est-elle conue comme un pur mouvement sans aucunechose qui soit mue ou qui meuve ; comme un mouve-ment qui se cre lui-mme, en se donnant incessamment lui-mme l'existence qu'il n'a pas (1). L'ide de com-mencement absolu est ainsi mise partout dans l'Uni-vers, au commencement, la fin et au milieu de touteexistence, et pousse jusqu' la plus clatante absurdit !

    4 Ngation de la multiplicit des individus : tout est un. Le moi et le non-moi, le sujet et l'objet, le preet le fils ne sont, parat-il, que des illusions de notre postulat du morcelage ! Tous les individus fusion-nent dans le grand Tout (2).

    5 Ngation du primat de la raison. L'instinct est,nous dit-on, suprieur l'intelligence, laquelle n'estqu'un rtrcissement par condensation d'une puis-sance plus vaste (3), savoir de l'instinct. Aussi faut-ilse dfier des concepts cristalliss ainsi que des juge-ments et raisonnements de l'intelligence, dont l'appa-rente ncessit est illusoire, et se fier uniquement aux intuitions de l'instinct. Et c'est cette prtendue in-tuition pure ou sympathie divinatrice , impossible

    (1) Tout est obscur dans l'ide de cration si l'on pense deschoses qui seraient cres et une chose qui cre, comme on le faitd'habitude, comme l'entendement ne peut s'empcher de le faire.C'est l une illusion naturelle notre intelligence ... Mais choses ettats ne sont que des vues prises par notre esprit sur le devenir. Iln'y a pas de choses, il n'y a que des actions... Ainsi d'un immenserservoir de vie s'lance sans cesse des jets, dont chacun retombantest un monde. Or ce rservoir, ce centre, n'est pas une chose,mais une continuit de jaillissements . L'volution cratrice, p. 269,270.

    (2) M. Hamelin rplique justement : Le panthisme n'admetqu'un seul individu. Si donc nous constatons l'existence d'une plu-ralit de consciences, le panthisme est inacceptable, car une cons-cience c'est un individu, c'est un tre, quelque difficult que la re-connaissance de ce fait puisse entraner. Essai sur les lments de lareprsentation, p. 452.

    (3) Bergson, Lvolut. crat., p. 50, 191.

  • dfinir (1), qui, parat-il, lgitime, aux yeux de ces Mes-sieurs, des affirmations si aprioristiques, si gratuiteset si renversantes pour le sens commun, car il n'est pasun seul de ces postulats qui ne renferme cent fois plusde mystres que toute notre mtaphysique.

    Eh bien, que penser de cette revanche audacieuse del'intuition esthtique ou de l'inspiration potique sur laraison froide et calculatrice ? Et quel avenir durablepeut-on prdire une telle philosophie ?

    Sans doute, elle pourra surprendre par sa nouveautet mme enthousiasmer la jeunesse inexprimente denos coles ; elle pourra sduire quelques esprits super-ficiels par le mirage de ses conclusions monistiques, quidonnent le vertige tant de ttes ; mais ceux qui ont

    une fois compris la contradiction et le nant du pan-thisme ne se laisseront jamais convaincre par des as-sertions si grosses de sophismes !

    Elle pourra surtout attirer en foule ces auditoires l-gants et mondains toujours prts applaudir aux nou-veauts brillantes, exposes tantt avec les charmesd'une littrature images ingnieuses et blouissantes,tantt avec les attraits mystrieux d'un terminologieprofondment obscure et trange, qui semble vous ini-tier une science sotrique rserve quelques pri-vilgis de l'esprit. Mais ce ne sera l qu'une sductionpassagre comme celle de la mode ou de l'attraction dujour. Eh ! comment garderaient-ils longtemps leur pres-tige les philosophes qui se laissent entraner planerau-dessus ou au-del de la logique, et narguer, quandil leur plat, les premiers principes du sens commun,y compris le principe de contradiction, sous prtexte

    (1) Voici cependant une dfinition de M. Bergson : Je veux direcette facult de voir qui est immanente la facult d'agir (?) et quijaillit en quelque sorte de la torsion du vouloir sur lui-mme. (? ?.)L'Evolution cratrice, p. 272.

    L'avenird'une

    telle phi-losophie?

    INTRODUCTION 41

  • 42 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    que les contradictoires doivent s'identifier dans lesprofondeurs supra-logiques !... A la dernire exposi-tion universelle, la maison l'envers eut, elle aussi,un succs immense, mais un succs de curiosit, sansaucune prtention une dure ternelle.

    Donc, rassurons-nous sur l'issue finale de la luttecommence. Quel que soit le talent littraire ou la vir-tuosit de nos adversaires ; quel que soit le concert pres-tigieux de rclame mutuelle qui les enguirlande et lesporte au pinacle, les forces en conflit sont par trop in-gales, puisqu'ils ont contre eux, comme ils le confessent,le bon sens, le sens commun, ou si l'on veut la droi-ture naturelle de l'esprit humain dans ses tendances lesplus invincibles. Ils ont beau vouloir forcer l'esprithumain se tordre sur lui-mme , tt ou tard lebon sens reprendra son empire et ses droits imprescrip-tibles : chassez le naturel, il revient au galop ! Fina-lement, nous reverrons Hgel abandonn de tous etrptant son fameux cri de dtresse : Un seul hommem'a compris, et encore celui-l mme ne m'a-t-il pascompris !

    Ce pronostic, bien loin d'tre tmraire, a l'tonnan-te fortune d'tre en parfait accord avec celui de M. Berg-son. Un irrsistible attrait, crit-il, ramne l'intelli-gence son mouvement naturel, et la mtaphysique desmodernes aux conclusions gnrales de la mtaphysiquegrecque. Et il ajoute mlancoliquement : Illusion,sans doute, mais illusion naturelle, indracinable, quidurera autant que l'esprit humain (1). L'aveu loyal estcomplet, et dpasse toutes nos esprances : M. Bergsonlui-mme n'a qu'une confiance assez mdiocre en l'ave-nir de sa philosophie nouvelle !

    Arrire donc ceux qui voudraient nous intimider en

    (1) Bergson, L'Evolut. crat., p. 355, 369.

    Rassu-rons-nous !

  • raillant notre pense fossile et en nous menaantdes anathmes de la pense moderne (1). Toutes leserreurs, toutes les hrsies ont eu la mme prtention : chacune a eu son heure de mode ou d'actualit ; chacunes'est vante d'tre la pense moderne , et chacune n'ena pas moins vieilli et disparu son tour. Comme si unedate plus rcente pouvait tre un critre d'infaillibilit ! M. Poincar lui-mme sourit de cette plaisante vanit : Chaque sicle se moque du prcdent, remarque-t-iljustement ; Descartes avait piti des Ioniens ; Descartes son tour nous fit sourire ; sans aucun doute, nos filsriront de nous quelque jour (2).

    Il n'y a que la vrit ternelle, dont le puissant choest pour nous le sens commun de la nature humaine,qui soit sans dclin et sans terme. Elle seule ne passepas : elle est de tous les sicles, car l'homme ne sauraitvivre longtemps en marge du bon sens universel. Elleseule a permis Aristote de triompher d'Hraclite, et ce fut un progrs incontestable dans l'histoire de lapense humaine ; elle seule permettra aux disciples d'A-ristote de triompher derechef des nouveaux disciplesd'Hraclite.

    Du reste, cette pense moderne dont ils se rcla-ment avec un naf orgueil, o est-elle et comment la d-finir ? Quelle est la formule doctrinale capable de runirles adhsions, je ne dis pas de la majorit des philoso-phes modernes, mais mme d'un groupe un peu nota-ble de ces philosophes ? Cette formule reste introuva-ble. Chacun cherche, au contraire, se distinguer duvoisin, en pensant et en parlant autrement que lui, sibien que les ressemblances doctrinales deviennent deplus en plus insaisissables.

    S'il n'y a plus de doctrine commune parmi eux,

    (1) Cf. art .de Le Roy, dans Demain, 15 juin, 1906.(2) Poincar, La Science et l'Hypothse, p. 168.

    Les ana-thmesdela

    pensemo-

    derne .

    O est la pense

    mo-derne ?

    INTRODUCTION 4 3

  • 44 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    y aurait-il du moins une orientation commune, un mme esprit ? L'esprit subjectiviste tait, en effet, trs r-pandu depuis Kant et devenu presque universel. Lapense tait rpute ne pouvoir saisir qu'elle-mme.Et voici que le principal fondateur de la philosophie nouvelle est prcisment le premier s'affranchirhardiment de ce prjug kantien, comme nous lemontrerons bientt, et s'affirmer nettement objecti-viste et raliste. M. Le Roy va-t-il, pour cette opposi-tion capitale, excommunier M. Bergson de la pensemoderne ?

    Quant l'esprit anti-intellectualiste , ce nouveau-n est encore un peu trop jeune pour avoir la prtentionde rsumer en lui l'esprit moderne. En effet, ce n'estpas seulement la pense grecque et moyengeuse, ristote et S. Thomas, qu'il s'oppose, mais encore Bacon et Descartes, Leibnitz, Malebranche, Bossuetet Fnelon, Maine de Biran, Victor Cousin, en unmot, tous les plus illustres philosophes modernes pa-rus avant Kant, et Kant lui-mme et protest avecnergie si on l'et proclam le pre ou le grand-pre del'anti-intellectualisme. Or, si l'esprit humain se dve-loppe travers les ges, comme nous le croyons volon-tiers, c'est avec une sage continuit, non par des -coupssi brusques et des revirements si contradictoires, na-tura non facit saltum. Passer subitement de l'intellec-tualisme l'anti-intellectualisme, de l'affirmation langation de la raison, ne sera donc jamais un progrs,mais un renversement des choses, un progrs rebours.

    Entre ces deux directions opposes, il faut pourtantchoisir, au lieu de soutenir, comme on l'a fait, cettecontre-vrit que l'une est un progrs sur l'autre. Et dj,au nom de la science, M. Poincar a fait son choix, endclarant sans hsiter : La science sera intellectualiste

    Une rup-ture n'estpas un

    progrs.

  • INTRODUCTION 45

    ou elle ne sera pas ! (1) A notre tour, et plus forteraison, pouvons-nous dclarer : La philosophie seraintellectualiste ou elle ne sera pas !

    Jamais l'intuition des faits particuliers ne suffira fonder une science, sans des ides gnrales, des principeset des raisonnements, car il n'y a de science que du gn-ral, qui seul permet l'homme de prvoir l'avenir et dereconstituer le pass. Du reste, l'intuition pure est unfait introuvable et inexistant. Toute intuition est dou-ble d'une ide gnrale qui nous la fait comprendredans l'analyse de ses dtails et puis dans sa synthse.Une intuition pure, sans ide gnrale, resterait incom-prise et ne dirait rien l'esprit. Rien n'est connu qu'autravers des ides, non pas des ides toutes faites, ouinnes, s'appliquant de force au rel, car nous rejetonscet hyper-intellectualisme de Kant, mais au traversd'ides abstraites du rel par l'intuition de notre esprit,et puises peu peu au sein mme des choses qui ex-priment et ralisent l'idal. Voil les ides gnrales quiclairent les faits particuliers, et sans lesquelles nous nepourrions ni les concevoir ni en parler.

    Pour fonder une science quelconque, il est donc im-possible de se passer d'ides, de principes et de raison-nements. Aussi, pour nous dmontrer leur monismevolutionniste, nos no-positivistes, ces pourfendeursrsolus de l'intellectualisme, font-ils eux aussi de l'in-tellectualisme, sans le dire... ou sans le savoir. Sous laparure des descriptions ou des mtaphores qui les ex-priment ou les dguisent, nous retrouvons facilementles ides, les principes et les raisonnements dont ils seservent, comme le commun des mortels. Ils font mme, leurs heures, profession de principes absolus, euxqui ont horreur de toute proposition absolue et cris-

    (1) La valeur de la science, p. 214-220. Cf. Piat, Insuffisance des philosophies de l'intuition, 1908.

    Un sageintellec-tualisme

    s'impose.

  • 46 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    tallise , puisque c'est bien une condamnation ab-solue et sans appel qu'ils ont fulmine contre la pense ancienne , attribuant ainsi une valeur non pas re-lative, mais absolue, leur pense moderne . Con-tradiction flagrante et non moins instructive ! (1)

    Aussi bien ne nous laisserons-nous point troubler pard'insuffisantes ironies sur notre mentalit archa-que . Nous resterons en paix, indfectiblement unis la philosophie du grand bon sens de l'humanit. Soyonscertains, en effet, que ce bon sens naturel, si dformqu'il soit par les sophismes, ne prit jamais complte-ment chez les humains. Toujours il conserve un rested'empire chez ceux-l mme qui se font gloire d'en tremancips. Aussi la philosophie base sur les premiersprincipes du sens commun aura-t-elle toujours ses portesd'entre ou de rentre, publiques ou secrtes, dans lesesprits les plus imbus de prjugs modernistes. Il n'y a donc point, comme on voudrait le faire croire, de cloisontanche entre la no-scolastique et l'esprit moderne.Tt ou tard ils sauront se rejoindre, et la raison finirapar avoir raison ... Attendons patiemment, pour nousrconcilier avec la philosophie nouvelle , qu'elle sesoit elle-mme rconcilie avec le sens commun ! L'es-sentiel pour nous est de ne pas nous laisser rebuter pardes paroles hautaines et ddaigneuses ; d'aller toujoursde l'avant, appuys sur le pass et le regard tourn versl'avenir, en resserrant chaque jour plus troitement notrealliance des ides avec les faits, de la mtaphysiqueavec la science moderne.

    (1) Ainsi M. Le Roy ose appeler la philosophie d'Aristote et deS. Thomas une philosophie prime dsormais tombe en dsutude, laquelle aucun de nous ne saurait revenir . (Revue de Mtaph. et deMor., mars 1907, p. 132). L'arrt est prononc dfinitivement (Ibid., juill. 1907, p. 499). Ailleurs, il est vrai, il dclare que luiet ses amis se sentent en continuit avec l'Ecole ! ... (Demain,15 juin l906). Ces contradictions logiques doivent, sans doute, s'i-dentifier dans les profondeurs supra-logiques (Revue de Mtaph.et de Mor., 1905, p. 200).

    La raisonfinira par

    avoirraison.

  • INTRODUCT10N 4 7

    Dans cette voie, nos derniers et plus rcents succsseraient pour nos lecteurs un puissant encouragement,si nous avions le temps de les passer en revue, au moinsrapidement.

    En Psychologie et en Biologie, notre succs a dpassnos esprances, et l'on peut affirmer qu'il n'est plus con-test dsormais par les savants. Ce sera l'ternel honneurde la Psychologie contemporaine d'avoir retrouv la pre-mire, sur bien des points, parfois il est vrai sans s'endouter, la vieille tradition aristotlique depuis si long-temps oublie. On en voit des exemples frappants dansles nombreux ouvrages de psychologie exprimentalede M. Ribot, dans les Sens et l'Intelligence d'Alex. Bain,dans les Principes of Psychology de William James, etjusque dans Matire et Mmoire de M. Bergson o noustrouvons, par exemple, notre grande surprise, la percep-tion immdiate des sens remise en honneur et explique peu prs comme chez Aristote, par l'acte commun du sen-tant et du senti, ou par l'assimilation l'objet du sujetqui nous en prsente l'empreinte fidle cliche sur cetobjet (1). Pas mme d'exception pour les qualits secon-des, telles que les sons et les couleurs. La matire estabsolument comme elle parat tre , dit-il encore, etc'est un trange aveuglement de la dpouiller deses qualits sensibles pour en revtir l'esprit (2). Aveu-glement non moins trange d'attribuer la perception dessens externes au cerveau, alors qu'il n'est nullementoutill pour de telles fonctions (3). Aussi M. Bergson,rompant ouvertement avec le relativisme kantiste de sescontemporains, a-t-il pu leur faire entendre, au

    (1) Bergson, L'Evolut. crat., Prf., p. IV.(2) Bergson, Matire et Mmoire, p. 66, 217, 225, 228.(3) Bergson, Ibid., p. 16, 27, 31.

    Nos suc-cs les plus en-coura-

    geants.

    l E nPsycho-

    logie.

    ** *

  • 48 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    risque de les scandaliser trangement, cette profes-sion de foi digne d'un vrai scolaslique : Dans l'absolunous sommes, nous circulons et nous vivons. La connais-sance que nous en avons est incomplte, sans doute,mais non pas extrieure ou relative. C'est l'tre mme,dans ses profondeurs, que nous atteignons par le dve-loppement combin et progressif de la science et de laphilosophie (1). Ce retour offensif contre le kantisme,qui est assurment la meilleure inspiration du matre, quoiqu'il ne paraisse pas suivi par ses meilleurs disci-ples, mriterait de faire date dans l'histoire de lapense contemporaine.

    Dans les Sciences physiques, qui semblaient auxantipodes de la pense scolastique, un rapprochementprtendu impossible, il y a quelques annes, s'est djaccompli. On a vu des savants incontests, commeM. Duhem, par des travaux de tout premier ordre, don-ner leurs prfrences la philosophie ancienne, rompreavec le mcanisme pur, et revenir ces qualits soi-disant occultes, si dcries, et dont la science ne pourraplus se passer dsormais dans une explication profondeet complte de son objet. Il a t suivi dans cette voienon seulement par d'autres physiciens, mais encorepar des philosophes tels que M. Bergson, comme nousl'expliquerons bientt plus longuement.

    On a vu aussi le mme savant laborer une thoriede la matire, analogue celle d'Aristote et de S. Tho-mas, et dsormais la matire et la forme ont grandechance d'tre enfin comprises et estimes de la sciencecontemporaine (2).

    En Thodice, en Morale, des controverses rcentes(I) Bergson, L'Evolut. crat., p. 217. Cf. p. 52, 216, 225, 251, 387,

    389. Cette formule ne suppose pas ncessairement l'identit dusujet et de l'objet mais seulement leur union. Son interprtationmonistique ne s'impose donc pas.

    (3) Cf. Duhem, Le mixte et la combinaison chimique, 1902.

    3 EnThodi-ce et enMorale.

    2 EnPhysique.

  • et retentissantes ont prouv l'insuffisance et le dsarroicomplet de toutes les Thodices nouvelles, et de toutesles nouvelles Morales sans obligation ni sanction. Il n'ya plus dsormais de Morale digne de ce nom que laMorale traditionnelle, comme nous le montrerons enson lieu, au cours de ces Etudes.

    Ce serait, en effet, anticiper sur chacune de nos Etu-des prochaines, de vouloir numrer ici en dtail lesgains dj obtenus sur chaque point de la Philosophie.Ds ce premier volume, nous aurons en indiquer plu-sieurs de la plus haute importance. Bornons-nous main-tenant citer deux ou trois tmoignages gnraux dus la sincrit de penseurs minents, qui ne sont pasdes ntres, et choisis au hasard dans les plus savantesnations de l'Europe.

    En Allemagne, voici ce que nagure proclamait l'und'entre eux, en 1907 : Il est sr, crivait-il, que dans lecadre de la scolastique, les dcouvertes de la science con-temporaine viennent s'insrer avec un rare bonheur. Etcet assemblage n'est pas l'uvre d'une dialectique arti-ficielle. Incontestablement beaucoup de conclusionsmtaphysiques de la Psychologie contemporaine retour-nent vers Aristote (1).

    En Angleterre, le clbre Max Mller ne craignaitpas de dire : Si l'on essaye de traduire les pensesdes scolastiques dans le langage philosophique de notretemps, on est stupfait, non seulement de l'exactitude,mais encore de la profondeur de leur argumentation,et l'on doit rougir de la lgret avec laquelle des phi-losophes modernes ont parfois tudi ces mmes pro-blmes, que les philosophes scolastiques, tant bafous,ont trait sous tous leurs aspects avec beaucoup plusde pntration (2).

    (1) O. Klemm, dans le Vierteljahrsschrift... III. Heft, 1907.(2) M. Mller, Science of thought, London, 1887, p. 40, 41.

    ACTE ET PUISSANCE 4

    Quelquestmoi-gnages

    minents.

    INTRODUCTION 4 9

  • 50 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    Enfin, la Sorbonne, dans une des chaires de l'Ecolepratique des Hautes-Etudes, en mars 1904, M. Picavetne craignait pas de prendre pour sujet d'un de ses cours : Rsultats philosophiques et religieux, politiques etsociaux, de la restauration du Thomisme sous le ponti-ficat de Lon XIII , et d'y proclamer notamment la gloire de l'Universit catholique de Louvain, deMgr Mercier et de sa vaillante phalange de professeursthomistes, de leur Revue no-scolastique dont l'espritrigoureusement scientifique et objectif a conquis unetelle autorit (1) . Et il ajoutait, en 1905, dans songrand ouvrage sur l'Histoire des Philosophies mdi-vales, cette constatation remarquable : Le fait a montr tous que ces doctrines, thologiques et phi-losophiques, que l'on considrait comme mortes, sontcapables de revivre et de s'opposer celles que l'onaurait pu croire dfinitivement triomphantes (2).

    En prsence de ces clatants tmoignages de succs,dont il nous et t facile de prolonger la liste, les pr-tendus quasi-insuccs de la no-scolastique se r-duisent facilement leur juste proportion. Sans doute,la ralit n'a pas march aussi vite que nos rves deconqute. Mais c'tait l des rves de jeunesse ; les con-qutes de la pense, pour tre durables, doivent allerlentement et srement. Il ne faut donc pas nous enplaindre : telle est la loi.

    Peut-tre, au contraire, devrions-nous tre agrable-ment surpris de la rapidit relative d'un mouvement sicontrari par les conditions mmes o il est n.

    Les esprits modernes, mme les plus cultivs, taientsi peu prpars recevoir un tel enseignement ! En effet,la formation philosophique la plus lmentaire a peuprs compltement disparu de nos lyces et de nos col-

    (1) Cf. Ami du Clerg, 1904, p. 551.(2) Picavet, Ibid., p. 289.

    Nos pr-tendus

    insuccs.

  • lges. La mtaphysique est supprime des program-mes ; la logique est elle-mme dlaisse. On a complte-ment dsappris l'art de raisonner avec justesse, et notregnration, si fire de ses progrs, prsente l un stig-mate inquitant de dgnrescence.

    D'autre part, il faut bien le reconnatre, le nouvelenseignement n'tait gure sympathique a priori. Cen'tait plus du haut des chaires officielles qu'il descen-dait : les puissances du jour lui taient hostiles. Pourrayonner sur le monde, il a d sortir de l'obscur abri dessminaires o la flamme sacre tait toujours entrete-nue, comme autrefois les trsors de la littrature antiquetaient sortis des clotres du Moyen Age, qui les avaientsauvs de l'oubli. Or, ces conditions natives, par cetemps d'anticlricalisme fanatique, loin de rendre cemouvement populaire, a fatalement veill des dfian-ces, qui pour tre injustifies n'en sont pas moins tenaceset aveugles. Nous avons entendu des cris d'alarme ! (1)Nous avons vu la physique d'un savant de premier or-dre, M. Duhem, traite a priori de physique decroyant , et la pense d'Aristote lui-mme parat en-core certains penseurs suspecte de clricalisme ! Letemps seul, et il faudra encore bien des annes, pourra calmer ces injustes dfiances.

    Mais si nos origines sont une faiblesse, n'oublions pasqu'elles sont aussi une force, car tandis que les philoso-phies spares se divisent et s'opposent dans les crisesperptuelles d'un individualisme outrance, aprsavoir perdu cette boussole des traditions et de l'autoritnaturelle qui guide encore les autres sciences, la phi-

    (1) Le Mercure de France faisait cho ces cris d'alarme dans sonnumro de dcembre 1898. Le no-thomisme, y lisions-nous, estaujourd'hui en pleine force et en plein accroissement... Cette revivis-cence singulire d'une pense fossile (?) la persvrance et l'ardeurde ses interprtes actuels mrite qu'on s'en inquite (?) autrementqu'en de simples chroniques.

    O seranotre

    force.

    O a tnotre

    faiblesse.

    INTRODUCTION 5 1

  • 52 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    losophie scolastique, au contraire, tout en tant ja-louse de l'autonomie complte de ses principes et deses mthodes, que les Conciles lui garantissent, a trouvson centre d'unit et de ralliement dans l'autorit tu-tlaire du bon sens et dans le respect des traditionssculaires des ges passs.

    Or l'une de ces vrits de bon sens et de tradition,c'est qu'il faut galement viter les excs opposs et deceux qui proclament l'impuissance native de la raisonhumaine, et de ceux qui la divinisent en prtendantqu'elle peut suffire, sans un enseignement divin, au gou-vernement de la vie. La vrit est entre ces deux extr-mes. La philosophie ne mrite ni ce dnigrement sys-tmatique, ni cet excs d'honneur. Elle doit rester auto-nome, c'est vrai, mais sans tre spare, car une sciencespare des autres est toujours incomplte.

    Qu'elle vive donc en bonne intelligence, et sans seconfondre, avec toutes les sciences voisines, humainesou divines, surtout avec celle qui garde le patrimoine deces vrits religieuses et morales dont les socits nepeuvent se passer sans prir ! Telle est l'orientation tra-ditionnelle qui fait notre unit et sera notre force.

    Persuads que la Philosophie, comme toute autrescience, ne peut tre que l'uvre collective et progres-sive de toutes les gnrations humaines, nous demeure-rons les disciples dociles et loyaux du sens commununiversel, et les continuateurs de la grande traditiondes sicles passs ; aussi enthousiastes de tous les pro-grs lgitimes, qu'adversaires irrductibles des rvolu-tions et des recommencements perptuels, car si chaqueouvrier pouvait reprendre l'difice pied d'uvre, labtisse n'avancerait jamais.

    Arme de cette double force que donnent l'me lesconvictions profondes, acquises par de longues annesd'tude ou d'enseignement, et la confiance dans l'orien-

    Notreprogram-me, nosespran-

    ces.

  • tation si sre de la sagesse antique, appuye sur le pas-s et les yeux fixs sur l'avenir, la lgion volontaire desno-scolastiques peut continuer sa marche en avant et salutte contre l'erreur, avec pleine confiance dans le suc-cs final. Elle a pour elle des intelligences amies dansla place assige : savoir le bon sens et la science, quicombattent pour elle et lui assureront la victoire. Oui,avant la fin du sicle nouveau, nous aurons vu, je l'es-pre, la dfaite de ces erreurs modernes que l'on auraitpu croire dfinitivement triomphantes, comme le disaitM. Picavet, et le triomphe de ces vrits ternelles dubon sens que l'on considrait comme mortes et qui seportent assez bien.

    Mais pour restaurer et rajeunir ces antiques thories,il faut les tudier avec ordre et mthode ; il faut recons-truire l'difice en commenant par la base, et voil pour-quoi nous ouvrons la srie de ces Etudes par la thoriefondamentale de l'Acte et de la Puissance ou du Mouve-ment, que nous mettrons en constant parallle avec laphilosophie nouvelle de MM. Bergson et Le Roy.

    Pour procder cette tude, nous allons sans doutenous servir de nos sens et de notre raison, intuitiveou discursive, sans nous demander, par une questionpralable, si nous en avons le droit. Toutes les sciencesprocdent ainsi, et leur merveilleux succs justifie plei-nement leur confiance naturelle en notre pouvoir deconnatre ce qui est. Quel est le physicien, l'astronomeou le naturaliste qui attend, pour se servir de sesyeux, d'avoir dissqu, analys et compris le merveil-leux mcanisme de l'il humain ? Aucun assurment,et aucun n'a eu le regretter. Du reste, il ne pourraitprocder qu'avec ses yeux cette tude anatomique del'il, et ds lors le voil au rouet... De mme pour le

    ** *

    Par ocommen-cer ? parla base.

    INTRODUCTION 53

  • 54 THORIE FONDAMENTALE : ACTE ET PUISSANCE

    philosophe, qui ne pourrait juger la raison qu'avec sa rai-son. Bon gr, mal gr, cette confiance en elle-mme s'im-pose donc la raison ds le dbut de son exercice.

    Et cependant, nous le savons, la haute critique moder-ne, depuis Kant, procde tout autrement. Cette confian-ce lui parat nave , et, ds le but, elle rige en sys-tme a priori la dfiance des plus lmentaires viden-ces du sens commun ; elle met un point d'interrogationsolennel sur tout ce qui a le tort de paratre clair toutle monde. Aussi, logiquement, la raison finit-elle parse troubler en doutant d'elle-mme ; elle finit par de-venir agnostique, c'est--dire aveugle et paralytique, parauto-suggestion. Mais comme un tel tat d'esprit n'estpas viable et ne saurait tre sincrement vcu, nossceptiques se ddommagent par des accs intermittentsde dogmatisme autoritaire et sans preuve. C'est tanttla foi aveugle, tantt l'intuition mystique, ou l'inspira-tion la plus fantaisiste, tant est grand notre besoin depenser et de vivre ! qui ont alors remplac la raison,sans que l'on puisse nous dire ce que le philosophe a pu gagner au change. Il y a perdu au contraire, car en amoindrissant la raison au profit des instincts, il de-vient moins homme, et perd cette orientation vers laperfection croissante ou l'achvement de sa nature rai-sonnable, si bien caractrise par Aristote d'un seulmot, .

    Du reste, cette question de la valeur de la raison hu-maine, dont nous sommes les premiers reconnatrel'importance, bien loin de pouvoir tre solutionnea priori, avant tout essai de philosophie, suppose djacquis une multitude de faits et de notions tudis nonseulement en Logique, mais encore en Psychologie, enOntologie, voire mme en Thodice et en Morale, en unmot, suppose une vue gnrale de la Philosophie toutentire. Elle ne peut donc venir utilement qu' la fin.

    Vraieplace dela Crit-riologie.

    La Criti-que com-mence au-trement.

  • Alors seulement nous aurons acquis des informationssuffisantes, qui nous permettront de trouver la clef dugrand mystre, et nous empcheront de risquer a prio-ri, comme tant d'autres, des hypothses qui dtruisentla connaissance sous prtexte de l'expliquer.

    Sans doute, il serait plus logique de commencer parun trait de la certitude et de n'avancer qu' la lumirede ce phare conducteur. Malheureusement, l'ordre lo-gique de la connaissance tant l'inverse de l'ordre onto-logique ou rel, ce droit de prsance se heurte une impossibilit pratique, si l'on tient viter touta priori, tout arbitraire, ou toute ptition de principesplus ou moins inconsciente.

    On a dit et rpt que la Mtaphysique tout entiredpend de la thorie de la connaissance ; nous croyons,au contraire, que c'est la thorie de la connaissance quidpend de la mtaphysique que l'on aura adopte. Enfait, il n'est pas une seule thorie de la connaissancequi ne postule ou ne sous-entende des thories mta-physiques. Celle de Kant ou de ses imitateurs en est unexemple frappant. Non seulement elle suppose hors deconteste l'impossibilit mtaphysique de l'action tran-sitive pour conclure (avec tous le