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  Firmin, Anténor (1850-1911). De l'égalité des races humaines : anthropologie positive. 1885. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisatio n commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fournitur e de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenair es. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothè que municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisat eur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisati on. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

De l'égalité des races humaines - Antenor Firmin

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Firmin, Antnor (1850-1911). De l'galit des races humaines : anthropologie positive. 1885.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numriques d'oeuvres tombes dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur rutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n78-753 du 17 juillet 1978 : *La rutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la lgislation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La rutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par rutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits labors ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accder aux tarifs et la licence

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DE L'GALITDES9

RACESHUMAINES

DE L'GALITDES

RACES HUMAINES '} /\k\\ ( ANTHROPOLOGIE POSITIVE )> PAR

~L.Membre

FT~TMIIST

de la Socit d'anthropologie de Paris,' Ancien sous-Inspecteur des coles de la circonscription du Cap-Hatien, Ancien commissaire de la Rpublique d'Hati Caracas, etc. Avocat.

-J7 PARISLIBRAIRIE COTILLON F. PICHON, IMPRIMEUR-DITEUR, Libraire du Conseil d'tat et de la Socit de Lgislation compare, 24, RUE SOUFFLOT,24. SUCCESSEUR,

t885 1885 Tous droits rservs,

,)

Puisse ce livre tre mdit et concourir acclrer le mouvement de rgnration que ma race

accomplit sous le ciel bleu et clair des Antilles! Puisse-t-il inspirer tous les enfants de la race noire, rpandus sur l'orbe immense de la terre, l'amour du progrs, de la justice et de la libert Car, en le ddiant Hati, c'est encore eux tous que je l'adresse, les dshrits du prsent et les gants de l'avenir. A. FIRMIN.

>^3F'A.CEi

Le hasard entre pour une part notable dans toutes les choses humaines. En arrivant Paris, je fus loin de penser crire un livre tel que celui-ci. Plus spcialement dispos, par ma profession d'avocat et mes tudes ordinaires, m'occuper des questions relatives aux sciences morales et politiques, je n'avais aucunement l'ide de diriger mon attention vers une sphre o l'on pourrait me considrer comme un profane. La plupart de mes amis croyaient mme que j'aurais profit de mon sjour dans la grande capitale pour suivre les cours de la Facult de droit, afin d'obtenir les diplmes de la licence et du doctorat. Ce serait certainement un rsultat bien digne de mon ambition, n'taient les exigences de la scolarit et mes devoirs de famille. Cependant, part toute autre raison, j'estime que lorsqu'on n'a pas eu le bonheur de grandir en Europe, mais qu'on a consciencieusement travaill chez soi pour mriter le titre que l'on porte, il est inutile de recommencer la carrire d'tudiant dans une branche de connaissances dj parcourue avec plus ou moins de succs. 1

PRFACE, Il y a d'autres besoins de l'esprit qui demandent galement tre satisfaits. En y rpondant, on compense largement la privation d'un papier infiniment apprciable, mais dont l'absence ne retire rien au mrite du travail accompli en dehors des universits europennes. Voici, d'ailleurs, d'o me vint l'inspiration dcisive de cet ouvrage. M. le docteur Auburtin, dont je ne saurais jamais assez louer le caractre sympathique et libral, m'ayant plusieurs fois rencontr, eut l'indulgence de trouver intressantes les conversations que nous avons eues ensemble et me fit l'offre gracieuse de me proposer au suffrage de la Socit d'anthropologie de Paris . Mes tudes gnrales me permettant de profiter immdiatement des travaux de cette socit, o tant d'hommes minents se runissent pour discuter les questions les plus leves et les plus intressantes qu'on puisse, imaginer, puisqu'il s'agit de l'tude mme de l'homme, j'acceptai avec gratitude cette offre d'autant plus prcieuse qu'elle a t spontane. Le patronage de M. Auburtin russit pleinement.Prsent par lui, MM. de Mortillet et Janvier, je'fus lu membre titulaire d la savante socit, dans sa sance du 17 juillet de l'anne dernire. Je leur y tmoigneici ma profonde et parfaite reconnaissance. Je n'ai pas le dissimuler. Mon esprit a toujours t choqu, en lisant divers ouvrages, de voir affirmer dogmatiquement l'ingalit des races

PRFACE. humaines et l'infriorit native de la noire. Devenu membre de la Socit d'anthropologie de Paris, la chose ne devait-elle pas me paratre encore plus incomprhensible et illogique? Est-il naturel de voir siger dans une mme socit et au mme titre des hommes que la science mme qu'on est cens reprsenter semble dclarer ingaux? J'aurais pu, ds la fin de l'anne dernire, la reprise de nos travaux, provoquer au sein de la Socit une discussion de nature faire la lumire sur la question, m'difier au moins sur les raisons scientifiques qui autorisent la plupart de mes savants collgues diviser l'espce humaine en races suprieures et races infrieures mais ne serais-je pas considr comme un intrus? Une prvention malheureuse ne ferait-elle pas tomber ma demande, pralablement tout examen? Le, simple bon sens m'indiquait l-dessus un doute lgitime. Aussi st-ce alors que je conus l'ide d'crire ce livre que j'ose recommander la mditation comme l'indulgence des hommes spciaux. Tout ce qu'on pourra y trouver de bon, il faut l'attribuer l'excellence de la mthode positive que j'ai essay d'appliquer l'anthropologie, en tayant toutes mes inductions sur des principes dj reconnus par les sciences dfinitivement constitues. Ainsi faite, l'tude des questions anthropologiques prend un caractre dont la valeur est incontestable. Il est certain qu'un tel sujet rclame de longues et laborieuses tudes. La prcipitation avec laquelle je l'ai trait doit indubitablement nuire au rsultat

PRFACE. ? dsir. Mais je n'aurai pas toujours des loisirs involontaires. Le temps presse et j'ignore si parmi mes congnres de la race noire, il s'en trouve qui offrent la somme de bonne volont et de patience accumule qu'il a fallu mettre en uvre pour laborer, combiner et prsenter les arguments et les recherches de la manire .que je me suis vertu de le faire. Ai-je russi, dans une certaine mesure, rpandre dans mon livre la clart, la prcision,'tous les attraits qui captivent l'esprit et font le charme des ouvrages destins propager des ides justes, mais encore contestes et mconnues? Je n'ose trop y compter. Je n'ai jamais eu une entire confiance dans mon talent de styliste. De plus, les conditions morales o je me suis trouv, en dveloppant la thse de l'galit des races, ont certainement exerc sur ma pense une inflence dpressive, hautement nuisible l'lgance et surtout l'ampleur des expressions, qui correspondent toujours la bonne sant de l'esprit, l'ardeur expansive du cur Par-ci, par-l, quelques incorrections ont d m'chapper. Je demande au lecteur son entire bienveillance, le priant de considrer les difficults des questions quej'ai eu embrasser et la hte que les circonstances m'ont, pour ainsi dire, impose. Peut-tre ai-je trop prsum de mes forces. Je l'ai senti parfois. La soif de la vrit et le besoin de la lumire m'ont seuls soutenu dans le cours de mon travail.

g

PRFACE. Pourtant, quel que soit le rsultat que j'obtienne, je ne regretterai jamais de m'y tre livr, Dans cette masse flottante de l'humanit qui tourne sur elle-mme, dit M., Mason, il existe un mouvement ordonn. Notre petit cercle est une partie d'un grand cercle et notre esprit est satisfait pour un instant, en apercevant une vrit nouvelle. La poursuite de cette vrit fortifie l'intelligence ainsi est produite la slection naturelle de l'esprit. Et tandis que les uns se fatiguent et sont incapables d'aller plus loin, les autres vont en avant et s'affermissent par ` l'effort (1). ., En tout cas, en soutenant la thse qui fait le fond de ce volume, j'ai eu essentiellement coeur de justifier l'accueil bienveillant de la Socit d'anthropologie de Paris. C'est un hommage que je rends ici chacun de ses membres, mes honorables collgues. Il m'arrive souvent de contredire la plupart des anthropologistes et de m'inscrire contre leurs opinions cependant je respecte et honore infiniment leur haute valeur intellectuelle. Il m'est agrable de penser qu'en rflchissant sur tous les points que so.ulve ma controverse, ils inclineront rformer ces opinions, en ce qui concerne les aptitudes de ma race. Ce n'est pas que je croie avoir excell dans la tche que je me suis impose; mais des hommes instruits et intelligents il suffit d'indiquer un ordre sondomaine sonbut,inRevue et (1)L'anthropologie, du scientifique iedcembre 1883.

PRFACE.

d'ides, pour que la vrit qui en dcoule brille leurs yeux avec une loquente vidence Verum animo satis hcec vestigiaparva sagaci Sunt(1). Je suis noir. D'autre part, j'ai toujours considr le culte de la science comme le seul vrai, le seul digne de la constante attention et de l'infini dvouement de tout homme qui ne se laisse guider que par ia libre raison. Comment pourrais-je concilier les conclusions que l'on semble tirer de cette mme science contre les aptitudes des Noirs avec cette vnration passionne et profonde qui est pour moi un besoin imprieux de l'esprit? Pourrais-je m'abstraire du rang de mes congnres et me considrer comme une exception parmi d'autres exceptions? Certes, j'ai trop de logique dans mes conceptions pour m'arrter cette distinction aussi orgueilleuse que spcieuse et folle. Il n'y a aucune diffrence fondamentale entre le noir d'Afrique et celui d'Hati. Je ne saurais jamais comprendre que, lorsqu'on parle de l'infriorit de la race noire, l'allusion ait plus de porte contre le premier que contre le second.. Je voudrais mme me complaire dans une telle pense mensongre et inepte, que la ralit, jamais menteuse, viendrait me faire sentir, chaque instant, que le mpris systmatique profess contre l'Africain m'enveloppe tout entier. Si le noir antillien fait De (1)Lucrce, naturarerum, iv.I, v.396. L

PRFACE. preuve d'une intelligence suprieure s'il montre des aptitudes inconnues ses anctres, ce n'est, pas moins ceux-ci qu'il doit le premier germe mental que la slection a fortifi et augment en lui. Hati doit servir la rhabilitation de l'Afrique. C'est dans cette vue que j'ai constamment tir mes exemples de la seule Rpublique hatienne, toutes les fois qu'il s'est agi de prouver les qualits morales et intellectuelles de la race nigritique. Du noir au multre, il y a bien des croisements anthropologiques. Aussi ai-je cit beaucoup de noms, regrettant encore que le cadre de mon ouvrage et la crainte de la monotonie ne m'aient pas permis d'en citer davantage. C'est ainsi que je voudrais nommer ct des autres chantillons de la race hatienne, MM.Alfred Box,Anselin, NelsonDesroches, Edmond Roumain, Georges Sylvain, Edmond Cantin, enfin une foule de jeunes et brillants esprits que je mentionnerais volontiers, si je ne devais pas viter ici la faute o j'ai eu tant de tentation de tomber dans le cours mme de ce livre. Mais Hati offre-t-elle un exemple des plus difiants en faveur de la race qu'elle a l'orgueil de reprsenter parmi les peuples civiliss? Par quoi pruve-t-elle la possession des qualits que l'on conteste aux Noirs africains? Pour rpondre convenablement ces questions, il faudrait dvelopper une nouvelle thse bien intressante, bien captivante, mais qui ne demanderait pas moins d'un volume considrable. D'ailleurs, plusieurs de mes compatriotes l'ont dj soutenue avec clat. Il suffit. de les

PRFACE.

lire pour se convaincre de tout ce qu'il y a de profonde logique et de science dlicate dans les arguments qu'ils ont su tirer de la sociologie et de la philosophie de l'histoire. Mais on doit tout d'abord se le demander. La doctrine de l'ingalit des races, enfantant les plus sots prjugs, crant un antagonisme des plus malfaisants entre les divers lments qui composent le peuple hatien, n'est-elle pas la cause la plus vidente des tiraillements et des comptitions intestines qui ont enray et annihil les meilleures dispositions de la jeune et fire nation? N'est-ce pas la croyance inconsidre qu'on a de son infriorit qu'elle doit l'absence de tout encouragement rel dans son dveloppement social ? N'estce pas aux prtentions toujours ridicules des uns et aux revendications souvent maladroites des autres que l'on doit attribuer toutes les calamits qui se sont abattues sur elle? Pour obtenir tout le rsultat qu'on est en droit d'exiger de la race hatienne, il faut donc attendre que l'instruction, rpandue sans rserve dans les masses, vienne enfin refouler et anantir tous ces prjugs qui sont pour le progrs comme une pierre d'achoppement. Cette re arrivera infailliblement. D'autres peuples, plus vieux, ont vcu des jours nombreux et pnibles dans le dsordre et la barbarie mais l'heure marque par le destin, le soleil du progrs et de la rgnration vint luire leur horizon national, sans qu'aucun obstacle pt en teindre l'clat. Je trouve en de tels exemples, si loquents

~` PRFACE. et significatifs, une force consqlante, une esprance inbranlable. Il ne faut pas croire, pourtant, que j'admette sans restriction la mthode qui consiste recourir toujours des comparaisons historiques, ds qu'il s'agit de justifier une erreur ou des pratiques malheureuses dans la vie d'un jeune peuple. Ces comparaisons ont un motif rationnel, quand il faut dmontrer que tous les peuples et toutes les races qui ont atteint la civilisation, ont travers fataleavant d'y parvenir, une priode ment, plus ou moins longue de ttonnement et d'organisation infrieur e. Cependant ne constitueraient-elles pas un positif danger, si on en usait pour la dfense de certains abus qui ont sans nul doute des prcdents historiques, mais dont l'influence a t gnralement reconnue nuisible toute volution sociale? Ainsi comprise, l'tude du pass, au lieu de profiter aux jeunes peuples qu'il faut stimuler dans la recherche du beau, du vrai et du bien, ne servirait plutt qu' leur inspirer une apathie pernicieuse, une nonchalance mortifre, contraire toute action rformatrice et volutive. Par un faux raisonnement, ils pourraient bien en conclure qu'ils sont libres de persvrer dans les voies les moins progressives, puisque d'illustres nations y sont longtemps restes. C'est l l'erreur contre laquelle il faut se prmunir. Aussi, tout en reconnaissant que la race noire d'Hati a volu avec une rapidit tonnante,

PRFACE.

je suis loin de nier que, maintenant encore, il ne lui faille faire bien des efforts, afin de rompre avec certaines habitudes qui ne sont propres qu' paralyser son essor. Quand on est en retard, il convient peu de s'amuser sur la route. Je ne me crois ni un preux^ ni un savant. A la vrit que j'essaye de dfendre, je n'apporte que mon dvouement et ma bonne volont. Mais quel point ne serais-je pas particulirement fier, si tous les hommes noirs et ceux qui en descendent se pntraient, par la lecture de cet ouvrage, qu'ils ont pour devoir de travailler, de s'amliorer sans cesse, afin de laver leur race de l'injuste imputation qui pse sur elle depuis si longtemps Combien ne serais-je pas heureux de voir mon pays, que j'aime et vnre infiniment, cause mme de ses malheurs et de sa laborieuse destine, comprendre enfin qu'il a une uvre toute spciale et dlicate accomplir, celle de montrer la terre entire que tous les hommes, noirs ou blancs, sont gaux en qualits comme ils sont gaux en droit Une conviction profonde, je ne sais quel rayonnant et vif espoir me dit que ce vu se ralisera. N'est-ce pas, d'ailleurs, les lois mmes de l'volution qui indiquent et justifient une telle aspiration? N'est-ce pas la fin inluctable de toute socit humaine de marcher, de persvrer dans la voie du perfectionnement, une fois le branle donn? Il suffit donc de dgager les forces morales, qui sont l'me du progrs, de toute compression paralysante, pour

PRFACE.

que le mouvement graduel et harmonique s'effectue spontanment, en raison mme de l'lasticit propre tout organisme social. C'est encore la libert que tout peuple jeune et vigoureux doit faire appel comme principe de salut. Toutes les lois naturelles et sociologiques s'unissent pour proclamer cette vrit. En Hati comme ailleurs, il faut la rac noire la libert, une libert relle, effective,civile et politique, pour qu'elle s'panouisse et progresse. Si l'esclavage lui fait horreur, horrible aussi doit lui paratre le despotisme. Car le despotisme n'est rien autre chose qu'un esclavage moral il laisse la libert du mouvement aux pieds et aux mains; mais il enchane et garotte l'me humaine, en touffant la pense. Or, il est indispensable qu'on se rappelle que c'est l'me, c'est--dire la force de l'intelligence et de l'esprit qui opre intrieurement la transformation, la rdemption et le relvement de toutes les races, sous l'impulsion de la volont libre, claire, dgage de toute contrainte tyrannique Depuis M. de Gobineau, aveugl par la passion, jusqu' M. Bonneau, si souvent impartial,' on a trop rpt que l'homme noir ne comprend pas l'ide du gouvernement sans le despotisme ; on s'est trop appuy sur cette opinion, corrobore par de malheureux exemples, pour dclarer que l'infriorit morale de l'thiopien l'empche de s'lever la conception prcise du respect que l'on doit la personnalit humaine, respect sans lequel

PRFACE. .11 1 la libert individuelle n'estl plus une chose sacre. Je souhaite pour ma race, en quelque lieu de l'univers o elle vive et se gouverne, qu'elle rompe avec les usages arbitraires, avec le mpris systmatique des lois et de la libert, avec le ddain des formes lgales et de la justice distributive. Ces choses sont souverainement respectables, parce qu'elles forment le couronnement pratique de l'difice moral que la civilisation moderne lve laborieusement et glorieusement sur les ruines accumules des ides du moyen ge. C'est surtout d'Hati que doit partir l'exemple. Les Noirs hatiens n'ont-ils pas dj fait preuve de la plus belle intelligence et de la plus brillante nergie? Ils se pntreront bientt, hommes d'tat ou crivains, jeunes ou vieux, que la rgnration du sang africain ne sera complte que lorsqu'on sera aussi respectueux de la libert et des droits d'autrui que jaloux de sa propre libert et de ses

propres droits. Car de l sortira pour l'thiopien cette aurole qui embellit notre front et le transfigure, la splendeur de la dignit morale, seule noblesse naturelle qui relve et galise tous' les hommes et toutes les races. Digne et fire, intelligente et laborieuse, qu'elle grandisse donc, prospre et monte sans cesse, de progrs en progrs, cette race noire si pleine de sve et de gnreuse vitalit! Pour l'aider dans son ascension, il n'y aura jamais trop d'ouvriers. ni trop de dvouement. Aussi est-ce religieusement que je

~PRFACE. lui apporte mon offrande humble et respectueuse. D'autres feront mieux que moi, un jour, mais nul ne sera plus dsireux de son relvement et de sa gloire. A. FIRMIN.Paris, 11 mai 1885.

DE L'GALITDES RACES HUMAINES. (ANTHROPOLOGIE POSITIVE )

CHAPITRE

PREMIER.

L'Anthropologie,

son importance, ses dfinitions, son domaine.IlavTWV xpTl^afojv |xrpov vOpwto; stiv.

(Pkotagoras). Connais-toi toi-mme, l\i>Qi ssaorov, Thals et ensuite Socrate qui s'appropria si heureusement cet apophtegme, ont atteint plus haut qu'ils ne savaient Ils croyaient n'mettre qu'une pense peut-tre. morale et ils ont pos la loi du progrs hnmain. La connaissance de soi est, en effet, parallle celle qu'on acquiert du monde, et si l'homme devait se connatre il n'arrivetait cette entirement, hauteur de vue qu'aprs avoir puis l'tude de tout ce qui est hors de lui. (Jules Bassac). 11 y a dans l'homme un sentiment si vif et si clair de son excellence au-dessus des btes, que c'est en vain que l'on prtend l'obscurcir ,par de petits raisonnements et de petites histoires vaines et fausses. (Nicole).

I.IMPORTANCE DE L'ANTHROPOLOGIE.

Depuis Bacon, dont le trait De augmentatis et dignitate scientiarum est un premier essai de systmatisation et d classification des sciences, l'esprit humain toujours soucieux de rgulariser ses conqutes, ne cesse de diriger

1

MEL'GAUTses efforts vers une ordonnance logique des diffrentes branches de la connaissance, afin d'en former un tout harmonique, o soient mthodiquement indiqus les degrs successifs de cette grande chelle lumineuse qui, comme dans la vision de Jacob, va de la terre au ciel, et de ses rayons embrasse l'univers et l'homme, l'espace et la pense. La science c'est bien le dieu inconnu auquel l'humanit obit souvent sans le connatre, et dont le culte grandit chaque jour, gouvernant les intelligences, subjuguant les esprits, soumettant les coeurs en dominant la raison. Les grands ouvriers de l'ide y viennent sacrifier chacun son tour. On se dispute l'envi le privilge de codifier les grandes lois par lesquelles elle se manifeste. Bacon aprs Aristote; aprs Bacon, l'Encyclopdie, Bentham (1), Ampre (2), Charma (3), Auguste Comte (4), Herbert Spencer (5), autant d'astres qui brillent sur:lavoie de l'humanit, ont entrepris cette uvre d'autant plus difficile que son excution suppose un savoir profond, universel. Sans nous arrter apprcier le rsultat plus ou moins remarquable auquel chacun a abouti, ou discuter les principes de hirarchisation adopts par les uns et contredits par les autres, disons que dans l'ensemble des branches qui forment l'arbre de science, l'anthropologie, depuis une trentaine' d'annes, est l'tude qui offre le plus d'attraits aux esprits chercheurs, dsireux de rsoudre le'grand problme de l'origine, de la nature de l'homme et de la place qu'il occupe dans la cration. d'art et science.1823. (1)Essai sur la classification d (2) Essaisur la philosophie es sciences.Exposit. d'uneclassi8cation nouvelle.1834. 1 (3)Coursde philosophie positive, 834-1842. 1850. (4)Unenouvelle classif. dessciences, d (5)Classification es sciences.

DES ACES R HUMAINES.Le sujet est bien digne d'ailleurs de cette mulation o l'on voit toutes les intelligences d'lite essayer de trouver une solution, sans que la controverse prenne jamais fin; sans que le plus perspicace ou le plus savant ait rencontr une exposition tellement logique, une dmonstration tellement claire, que le sens commun y tombe d'accord avec les dductions scientifiques, signalant enfin cette vrit dont on a soif, cette lumire aprs laquelle on l'tre vain, onaspire. C'est qu'il s'agit de l'homme doyant et divers de Montaigne, le roseau pensant de Pascal, le primate du professeur Broca. tudier 1 homme, quoi qu'on veuille et sous quelque point de vue que l'on se place, comme naturaliste ou comme philosophe, c'est embrasser l'ensemble des caractres qui constituent l'tre humain. Et combien varies ne se prsentent pas les questions qui surgissent chaque instant de l'investigation L'homme, c'est le dieu et la bte runis en des proportions indfinissables. Que l'on croise sur son chemin un tre chtif et malingre, laid et difforme, ajoutant ces disgrces de la nature l'horreur des dpravations morales, lche et malpropre, cynique et rampant, prt mordre le pied qu'il lche et baise, trouvant enfin ses dlices dans l'ordure et une joie froce dans la perptration du crime; que plus loin, on se trouve en face d'un sage se livrant en holocauste pour le triomphe de la vrit et l'amlioration de ses semblables, beau et fort, doux et humble, luttant contre l'adversit avec la patience et la constance inbranlables du juste, pourra-t-on jamais se figurer qu'ils sont de la mme espce, de la mme famille? C'est pourtant ce contraste qui fait la grandeur de l'homme. Pouvant descendre jusque dans l'abme de la plus profonde ignorance et se complaire dans les fanges du vice, il peut aussi monter jusqu'aux sommets lumineux du vrai, du bien et du beau. D'Anti. nous dont la beaut rayonne Thersite dont la laideur

DE L'GALIT

grimace, de Jsus dont la bont pardonne Judas dont la trahison fait horreur, de Humboldt au crtin auvergnat, de Toussaint-Louverture au ngre abruti, il parat exister une distance infranchissable; mais, en fait, il n'y a entre eux aucune solution de continuit tout s'harmonise et tout concorde proclamer la dignit de l'espce humaine place si bas et capable de monter si haut. Assurment, que l'homme soit un animal, primate ou bimane, il sera toujours un animal privilgi, dou d'un esprit suprieur, SaHctiuslaisanimal mentisque capaciusaltce, dont parle le pote des Mtamorphoses. L'anthropologie appele tudier un tel tre prend une importance relle parmi les autres sciences. Cette science, ne d'hier, a reu, ds l'abord, une impulsion tellement vigoureuse que dj elle semble tre vieille d'annes, surcharge qu'elle est de formules, de doctrines, de mthodes indpendantes, offrant ensemble un appareil imposant, mais fort difficile manier. Toutes les autres sciences deviennent insensiblement ses tributaires. Aussi celui qui voudrait s'en occuper avec une comptence indiscutable se verrait-il forc de s'initier tous les genres d'tudes et parcourir toutes les sphres de la connaissance, sans en omettre la moindre partie. Jamais tude ne fut plus complexe. L, il faut raisonner avec assurance sur tous les sujets, qu'ils relvent de l'esprit ou de la matire; il faut envisager le monde et la pense, le phnomne et le noumne, suivant la terminologie de Kant.'Cela n'est pas de la force de chacun, et plus d'un anthropologiste dogmatique reculerait devant l'uvre, s'il se pntrait suffisamment des conditions intellectuelles requises pour bien soutenir le rle qu'il ambitionne. L'objet principal de la science mrite cependant ce noble effort, quand bien mme il faudrait refaire son ducation scientifique, en largir la

des races humaines;base, au prix de renoncer peut-tre certains sommets occups par une supriorit spciale. C'est surtout en anthropologie qu'il faut se mettre en garde contre cette spcialit exclusive qui reserre les horizons de l'esprit et le rend incapable de considrer les objets sous toutes leurs faces. Mais est-il donn un homme, dans notre poque de travail et d'initiative, o les grandes divisions de la science se subdivisent chaque jour leur tour, d'embrasser toutes les notions scientifiques et arriver une conception assez claire de chacune d^elles? Assurment non. Un Pic de la Mirandole, on l'a bien des fois rpt, est un phnomne impossible dans les temps actuels. Il s'agit donc, afin d'viter une rudition dispersive et paralysante, de chercher dans les grandes divisions scientifiques celles qui sont les plus indispensables pour mettre l'anthropologiste mme ,de bien contrler ses tudes personnelles. Peut-tre trouvera-t-on ainsi une mthode sre et lumineuse, l'aide de laquelle on puisse atteindre le but propos. II. LES DFINITIONS. Ici vient se placsr naturellement la question suivante Quelles sont les connaissances qui concourent former les donnes de l'anthropologie ? Chacun rpondra selon le point de vue auquel la science est considre, et l-dessus tout le monde est loin d'tre d'accord. Philosophes et savants se sont disput le domaine de l'anthropologie. Les uns voulaient en faire une science philosophique, les autres une science purement biologique ou naturelle. De l sortent les dfinitions qui se croisent ou se confondent. Parmi les philosophes, c'est surtout dans Kant que l'on

DL'GALIT trouve pour la premire fois une dfinition systmatique, rompant positivement avec l'ide que les savants s'en sont faite depuis Blumenbach. On sait que le savant philosophe de Knigsberg a crit un trait d'Anthropologie pragmatique; mais c'est dans un autre de ses ouvrages qu'il dfinit ce"qu'il entend par cette expression. La physique, dit-il, a en effet, outre sa partie empirique, sa partie rationnelle. De mme de l'thique. Mais on pourrait dsigner plus particulirement sous le nom d'anthropologie pratique, la partie empirique de cette dernire science et rserver spcialement celui de morale pour la partie rationnelle (1) n. Cette division de l'thique en anthropologie pragmatique (2) et en morale proprement dite peut paratre bizarre, mais elle s'accorde parfaitement avec la mthode gnrale de l'minent philosophe qui distinguait dans toute notion pouvant rsister la critique de la raison, l'objectif et le subjectif, l'tre et la pense. L'cole kantienne a longtemps conserv la mme dfinition et attach aux mmes mots les mmes ides, sauf les volutions de forme que le kantisme a subies, en passant du matre Hegel. Celui-ci, qui a ruin le prestige des spculations mtaphysiques, force de controverser sur les notions les plus claires, a "touch toutes les branches des connaissances humaines, dans une srie de travaux un peu confus, mais d'o sortent parfois des fulgurations brillantes; travers le ddale d'une terminologie trop arbitraire pour tre toujours savante. Ainsi l'anthropologie, selon Hegel, est la science qui considre les qualits de l'esprit encore engag dans la nade des (1) Kant, Fondements la mtaphysique murs, traduct. de M. Tissot. (2)Cemot est ici plus exactque pratique; son aspect difficileseul a d porter le traducteur se servir de ce dernier terme beaucoup moins expressif.

DES ACES R HUMAINES.ture et li au monde matriel par son enveloppe corporelle, union qui est le.premier moment ou, plus clairement, la premire dtermination de l'tre humain etCet tat fondamental de l'homme, si nous pouvons nous exprimer ainsi, dit-il, fait l'objet de 'l'anthropologie (1). On sent bien ici que la dfinition de Kant a pass de l'idalisme transcendental de Fichte la philosophie de l'identit absolue de Schelling, pour aboutir l'idalisme absolu dont la Philosophie de l'esprit de Hegel est le couronne. ment. Cette enveloppe corporelle de l'esprit serait difficilement accepte par les spiritualistes orthodoxes. Je doute fort que M. Janet ou le professeur Caro consentent jamais lui faire une place dans leurs doctrines philosophiques; mais c'est dj trop s'attarder dans cette promenade travers les entits et les quiddits. Ce dont on pourrait s'tonner juste titre, c'est que Kant et son cole ignorassent les travaux de ses savants contemporains sur l'anthropologie, tel le qu'elle est constitue depuis la findu sicle dernier. Son Anthropologie pragmatique date de l'anne 1798.Or, en 1764,Daubenton avait publi son beau travail Sur les diffrences de positions du trou occipital dans l'homme et les animaux; vinrent ensuite les dissertations de Camper (2) et de Soecr~mering (3), la thse inaugurale de Blumenbach (4), qui, runies au discours de Buffon sur L'homme et les varits humaines paru ds 1749, donnrent la science anthropologique une conscration suf(1)Die-se toannwir so sagen drfen GrundlagedesMenschen de macht den Gegenstandder Anthropologie. (Hegel,La pltilosoplaie l'Esprit). dans (2)Camper,Dissert.sur les varits natur. de la physionomie les raceshumaines (1768). Ueber JMrpeWtche die Ve~sclaiedenheit desNegers von (3)Soemmering, 178t. EMfop)', D Blumenbach, e generis lzumanivarietate nativa. (4)

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fisante pour qu'elle ft nettement distingue des autres connaissances humaines. Aussi est-ce intentionnellement que Kant avait adopt la rubrique sous laquelle il exposa ses ides sur la morale pratique Non-seulement il avait donn au mot anthropologie une signification et une dfinition autres que celles que les savants y ont attaches; mais en outre il contesta la proprit de ce terme adapt aux tudes naturelles de l'homme. Pour ce qui est, dit-il, des simples crnes et de leur forme, qui, est la base de leur figure, par exemple du crne des ngres, de celui des Kalmoucs, de celui des Indiens de la mer du Sud, etc., tels que Camper et surtout Blumenbach les ont dcrits, ils sont plutt l'objet de la gographie physique que de l'anthropologie pratique (1). Hegel qui ne fait que prsenter les ides du matre sous une forme nouvelle, passe lgrement sur la question des races humaines, en s'arrtant pour le fond l'opinion de Kant. La diffrence des races, dit-il, est encore une diffrence naturelle, c'est--dire une diffrence qui se rapporte l'me naturelle. Comme telle, celle-ci est en rapport avec les diffrences gographiques de la contre o les hommes se runissent en grandes masses (2). Mais d'autre part, les savants, sans s'inquiter des opinions du grand philosophe, continurent travailler dans leurs sphres et, avec Blumenbach, persistrent considrer le mot anthropologie comme synonyme d'histoire naturelle de l'homme. Cette acception une fois reue et consacre, les naturalistes rclamrent, comme on devait bien s'y attendre, le privilge exclusif de s'occuper de la science anthropologique de prfrence tous les autres savants qui n'y travailleraient qu' titre de simple tol(1)Kant,Anthropologietraduct. de M. Tis'sot). ( de (2)Hegel,Philosophie l'esprit(trad. du Dr Vera).

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rance. Rien de plus rationnel au prime abord. Mais, en y regardant de plus prs, on dcouvre un fait incontestable c'est que la mthode impose l'histoire naturelle quand il s'agit d'tudier les minraux, les vgtaux et les animaux infrieurs l'homme, ne peut toujours s'adapter l'tude complte de ce dernier venu de la cration. Tandis que la conformation des tres infrieurs tend essentiellement raliser la vie vgtative et animale, celle de l'homme tend invinciblement la vie sociale qu'il finit toujours par raliser, en constituant sa propre histoire. Cette distinction est assez considrable pour que, ds le premier essai de systmatisation de la science, un certain schisme se soit manifest parmi les naturalistes mme. Il fallait savoir si l'homme ainsi distingu devait pourtant entrer dans le cadre des classifications adoptes gnralement pour toute la srie zoologique, ou s'il ne fallait pas en faire plutt une catgorie particulire. Linn qui, le premier, fit entrer l'homme dans la srie animale, le classa parmi ses primates, ct des singes, des chiroptres et des bradypes. Quel vnement Le roi de la cration plac ainsi parmi les animaux les plus laids et les moins grcieux! Quelques naturalistes, humilis de voir grouper leur espce en si grossire et vile compagnie, se rvoltrent contre la taxonomie du grand naturaliste sudois (1). Blumenbach(2) divisa bientt l'ordre des primates en bimanes et quadrumanes et mit l'homme dans la premire catgorie, en l'isolant des autres animaux de toute la distance d'un ordre. Lacpde (3) que son me leve, la (1)II nefaut pas croirepourtant que Linnait voulu mconnaitre Naturil a crit dignitde l'homme.Dans l'introductionau Systema en parlant de l'homme Finis oreationis tellurisest gloria Deiex opere Natur per hominemsolum.Expressionde visibleenthousiasmeo il fait l'hommeplus grand que le reste de la cration. (2)Manueld'histoirenaturelle. ~ de (3,) Mt.Ma~Mfe~e ~'AottMme. (3)Hist. naturellede l'homme.

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l'ampleur de son esprit devait naturellement conduire voir en lui-mme un modle humain plac si loin et tellement au-dessus des singes, adopta la classification de l'minent naturaliste allemand. Quand cette cole vint s'ajouter le poids et l'autorit de l'opinion de l'immortel Cuvier (1), dont la haute personnalit domine toute l'histoire des sciences naturelles, dans la premire moiti de ce sicle, tout sembla s'incliner dans le sens d'une distinction ordinale entre l'homme et les autres animaux qui circulent la surface du globe et au sein de l'ocan immense. Ce qui a frapp les savants qui ont voulu isoler l'espce humaine du reste du rgne animal, c'est la grande sociabilit de l'homme et le rsultat qu'il en acquiert. L'homme n'est homme, a crit Buffon, que parce qu'il a su se runir l'homme (2). Ce besoin de la socit ne se rencontre avec tout son dveloppement que dans l'humanit. D'autres animaux, sans doute, vont par bande et poussent parfois le sentiment de la solidarit au point de se sacrifier pour le salut de leur communaut, en dployant une nergie qui nous tonne; mais qui viendra-t-il l'esprit de comparer ces mouvements instinctifs et accidentels la constance raisonne que met l'homme, mme - travers les luttes les plus sanglantes, la constitution de la socit ? Une ide hautement philosophique domine d'ailleurs toutes les autres considrations. Chaque tre a ici-bas des conditions en dehors desquelles il lui est impossible de raliser sa destine, c'est--dire de dvelopper toute la somme d'aptitudes dont il est dou. Or, dans toute l'chelle de la cration, les individus isols peuvent se suffire eux-mmes, pourvu qu'ils aient l'nergie suffisante pour lutter contre ..< (1)Tableaulm.d'histoirenatur. desanimaux. (2)Nature desanimaux.

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les difficults matrielles des milieux o ils sjournent. Mais l'homme ne se suffit jamais lui-mme. L'orgueil ou la misanthropie dpressive, qui lui inspire parfois l'ide de cet isolement, n'est jamais autre chose qu'un cas pathologique dcelant toujours une lsion quelconque de l'organisme. C'est que l'homme a besoin de l'homme pour le perfectionnement et pour l'tude mme de sa personnalit propre. Gthe, runissant la science du naturaliste et du philosophe la comprhension large du pote, a dit .quelque part .# 1., 6') Der Mensch erkennt sichnur in Menschen, nur r/ Das Leben lernt Jedemwaser sei! Rien de plus vrai. L'homme n'apprend se connatreque dans son semblable et le commerce de la vie seul enseigne chacun sa propre valeur. Mais revenons aux discussions des naturalistes, s'efforant d'tablir la place de l'homme dans les classifications zoologiques. L'autorit de Cuvier reposait sur des titres vraiment solides. Crateur rel de l'anatomie compare qui n'a t que vaguement tudie dans les travaux de Vic d'Azir et de Daubenton, travaux peu remarquables si on veut envisager les importantes acquisitions dj faites la science par Aristote, Cuvier tait mieux que personne mme de trancher la question, savoir si l'homme mrite une place part dans l'chelle zoologique. Aussi ses opinions et celles de son cole devinrent-elles bientt l'expression de l'orthodoxie scientifique. Bien plus! Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, suivant les traces de son pre illustre dans la culture d'une science dont les attraits ne le cdent aucun autre, mais gardant l'indpendance d'esprit qui caractrise le vrai savant, enchrit sur l'cole classique, en proposant de reconnatre un rgne humain. Ici, non-seulement l'homme est spar des animaux suprieurs, mais encore il occupe une place

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part dans la cration. Il surpasse tout en dignit et en prminence. Hollard, Pruner-Bey, M. de Quatrefages pour ne citer que quelques noms, se sont runis l'opinion de l'auteur de la thorie de la variabilit limite de l'espce. Mais tout excs affaiblit. Les savants qui se dclarrent partisans du rgne humain, ne purent nier que l'homme ne soit un animal soumis aux mmes exigences naturelles que les autres animaux, tant par ses fonctions organiques que par sa conformation anatomique. Le mot rgne dut perdre dans cette thorie la signification ordinaire qu'il a en histoire naturelle et il en fut fait bon mar-. ch. On perdit donc.de vue le terrain sur lequel s'taient placs Blumenbach et Cuvier, pour ne considrer que les hautes qualits intellectuelles et morales qui font de nous une espce unique en son genre. En effet, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, reconnaissant que les diffrences taxonomiques qui sparent le groupe humain des groupes simiens ne sont que des diffrences familiales et non ordinales, revenait, intentionnellement ou non, au giron des naturalistes qui avaient adopt, avec plus ou moins de modifications, le systme de classification de Linn, tels que Bory de Saint-Vincent, Lesson, etc. Il en rsulta une espce de compromis l'aide duquel chaque opinion resta matresse de son camp, en ngligeant le reste. Lacenaire, appel dire son mot au public qui l'coutait avec un charme toujours nouveau, formula Oui, par sa forme, par sa strucenfin cette transaction ture, par l'ensemble de ses dispositions organiques, dit-il l'homme est un singe mais par son intelligence, par les crations de sa pense, l'homme est un dieu. Le.savant professeur se tira ainsi d'une position dlicate avec une adresse non commune mais l ne s'arrta pas la lutte. L'cole orthodoxe avait puis sa principale force dans le crdit des doctrines spiritualistes qui rgnrent souve-

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rainement sur les esprits, au commencement de ce sicle. L'idalisme allemand et le rationalisme franais y aboutissaient. Mais il n'en fut pas longtemps ainsi. Bientt la psychologie, enferme jusque-l dans l'enceinte de la mtaphysique, fut envahie par une cohorte de profanes. De toutes parts, on se mit contrler les penses et les actions humaines, en s'efforant de les expliquer par des impulsions physiologiques. La chimie donnant la main la physiologie, la libre pense se lignant avec la science, on vit d'illustres savants nier catgoriquement l'origine divine et la prcellence de l'intelligence humaine, pour ne la regarder que comme le rsultat d'une simple fonction du cerveau. Le mot fut enfin lch Ohne Phosphorus, kein Gedanke, s'cria Moleschott. Toute la gnration scientifique dont la premire efflorescence date de 1850 prit parti pour la nouvelle cole. Le phosphore dtrna l'esprit divin et. on lui fit tout l'honneur de la pense. En vain cria-t-on au matrialisme. Quand M. Flammarion, un des rares savants' spiritualistes de ces temps-ci, eut crit son livre de combat, Dieu dans la nature, sa voix, quoique empreinte d'une onction merveilleuse, limpide comme le langage de Platon, eut moins d'cho que celle de M. Louis Bchner. La force ou l'nergie fut reconnue comme partie intgrante de la matire. Ce qui tait considr comme une manifestation divine, parut un simple phnomne organique, nutrition ou dsassimilation des tissus, excitation ou dpression nerveuse L'ingratitude humaine oublia toutes les belles tirades closes sous l'inspiration du mens agitat molem et le spiritualisme dut en prendre son deuil. C'en tait fait. Les esprits fatigus de controverse et rassasis de spculations, se rfugirent dans le positivisme d'Auguste Comte ou l'volutionisme de M. Herbert Spencer, quand ils purent chapper la philoDe fiers lutteurs, sophie de l'inconscient de Hartmann.

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tels que les Paul Janet, les Renouvier, les Saisset, surtout le professeur Caro, poussant le courage aussi loin que leur conviction, ont lutt et luttent encore; mais le courant ne peut tre remont. Toute volution philosophique entrane invitablement une volution adquate dans les thories scientifiques, de mme que celles-ci agissent lentement sur la dsagrgation et la transformation des ides courantes. L'influence des thories rgnantes n'a donc pas besoin d'tre explique. L'homme est aujourd'hui gnralement considr comme un animal quelconque. Pour la majeure partie des savants, il ne diffre des autres animaux que par quelques degrs de supriorit. Dans les classifications les mieux reues, il est replac dans la premire famille de l'ordre des primates. Il nat, vit et meurt, est condamn au travail, et subit toutes les transformations imposes par les lois naturelles, selon les exigences des milieux o il trane son existence. L'clair de l'intelligence luit encore sur son front mais ce n'est plus cette couronne antique, c'est le modeste attribut d'un roi dtrn devenu le premier parmi ses gaux dans la rpublique zoologique. Cette petite course, travers les broussailles de la philosophie, a t ncessaire pour nous aider bien comprendre les dfinitions que les naturalistes donrfnt l'anthropologie. Elles se ressentent gnralement du point de vue o ils se sont placs pour considrer le sujet. L'anthropologie est la branche de l'histoire naturelle, qui traite de l'homme et des races humaines, dit M. Topinard (1). D'aprs le savant professeur, cette dfinition renferme les suivantes 1 L'anthropologie est la science qui a pour objet l'tude du groupe humain, considre dans son ensemble, (1)Topinard, l'Anthropologie.

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dans ses dtails et dans ses rapports avec le reste de la nature. (Broca). 2 L'anthropologie est une science pure et concrte ayant pour but la connaissance complte du groupe humain considr 1 dans chacune des quatre divisions typiques (varit, race, espce, s'il y a lieu) compares entre elles et leurs milieux respectifs 2 dans son ensemble, dans ses rapports avec le reste de la faune. (Bertillon). 30 etL'anthropologie est l'histoire naturelle de l'homme faite monographiquement, comme l'entendrait un zoologiste tudiant un animal. (de Quatrefages). Il y a bien4oin, on doit en convenir, de ces dfinitions celles des philosophes; mais pour nous qui pensons que l'histoire naturelle de l'homme, quelque point de vue o l'on se place, ne sera jamais bien faite si on l'tudie exactement comme on tudierait un autre animal, nous considrerons l'anthropologie comme a l'tude de l'homme au point de vue physique, intellectuel et moral, travers les diffrentes races qui constituent l'espce humaine. Cette dfinition diffre sensiblement de celles des savants regards juste titre comme les matres de la science; cependant malgr la grande autorit de leur opinion, je n'ai pas cru devoir m'y ranger. Je ne donne pas la mienne pour la meilleure mais elle rpond admirablement au plan que je compte suivre dans le cours de cet ouvrage et fait aussi prvoir quelles sont les connaissances que je crois indispensables l'anthropologiste. Je divise ces connaissances en quatre grandes classes, en suivant autant que possible la hirarchisation adopte ` Comte et l'cole positiviste. En premier lieu par Auguste nous placerons les sciences cosmologiques o il faut embrasser la gologie, la physique, la chimie inorganique, la gographie et l'ethnographie. Viendront ensuite les sciences biologiques runissant

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l'anatomie, la chimie organique, la physiologie, la botanique, la zoologie, la palontologie et l'ethnologie. Viennent encore les sciences sociologiques comprenant l'histoire, l'archologie, la linguistique, l'conomie po'itique, la statistique et la dmographie. On ajoutera enfin les sciences philosophiques proprement dites, comprenant la jurisprudence, la thologie, la psychologie, l'esthtique et la morale. III. DE DOMAINE L'ANTHROPOLOGIE. D'aucuns penseront sans doute qu'on peut facilement s'occuper d'anthropologie sans s'astreindre tudier particulirement toutes les sciences dont nous avons essay d'esquisser une classification rapide. Mais bien grave serait cette erreur. Sans cette prparation pralable, l'esprit le mieux fait manquera toujours de certaines bases de jugement, en l'absence desquelles on est incapable de se former une opinion personnelle sur les questions les plus discutes et les plus importantes. Faut-il le dire? Mme arm de ces connaissances gnrales, on serait parfois bien embarrass si onn'en suivait pas certaines subdivisions j usqu' leur dernire constatation scientifique. Peut-tre aurais-je ajout les sciences mathmatiques si je ne pensais pas que,*pour trouver une mthode d'investigation suffisamment claire, point n'est besoin, d'appliquer la craniomtrie les calculs trigonomtriques proposs par le Dr Broca. Car des difficults ajoutes d'autres difficults ne suffisent pas pour les aplanir; c'est l'effet tout contraire qu'elles produisent. Parmi les mathmatiques appliques, les notions de mcanique, par exemple, peuvent tre ncessaires celui qui tudie l'organisation du corps humain, lorsqu'il s'agit de se rendre compte de certains mouvements de locomotion^

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ou de chorgraphie qui semblent incompatibles avec la station droite, propre l'espce humaine. Dans la marche, dans la course et la danse, les bras excutent des balancements savants, au point de vue de l'quilibre, sans qu'on en ait le moindre soupon. Cependant les anatomistes les plus distingus n'en parlent qu'avec la plus grande sobrit. Combien moins doit-on s'en occuper, quand il ne s'agit pas de constater les lois d'quilibre, mais des caractres diffrentiels de race ou de type. Il faut aussi observer que la plupart des ethnographes, au lieu de considrer l'ethnographie comme l'tude descriptive des peuples qui sont rpandus sur la surface du globe, en font une science gnrale de l'humanit. Dans cette opinion, c'est leur science qui englobe l'anthropologie relgue alors au second plan. Au dire de M. Castaing, l'anthropologie craquerait de toutes parts, si elle essayait d'englober seulement le quart de ce que l'ethnographie embrasse sans contrainte (1.). Est-ce pourtant la faute des ethnographes si les notions les plus logiques sont ainsi troubles et renverses? N'est-ce pas plutt celle des an thropologistes? M Clmence Royer (2) l'a bien nonc en disant que la Socit d'anthropologie a une tendance faire de la squeltomanie, au lieu de s'lever aux grandes vises de la science. En effet, dit-elle, l'cole actuelle d'anthropologie laisse trop de ct l'homme moral et intellectuel elle s'occupe trop exclusivement de l'homme physique. 3> Affirmant, pour ma.part, que l'anthropologiste doit tudier l'homme, non-seulement au point de vue physique mais aussi sous le rapport intellectuel et moral, j'ai mis l'ethnographie sa vraie place. Je la considre comme (1)Congrsintern. dessciencesethnogr.tenu Paris en 1878, 441* p. (2)Ibidem,p. 438.2.

DE LGALIT

1

une branche des sciences cosmologiques, car on la rencontre infailliblement, ds qu'on s'occupe de l'tude de l'univers. C'est ainsi que l'illustre Alexandre de Humboldt a d y toucher dans son Kosmos, le trait de cosmologie le mieux fait qui ait t publi jusqu'ici. Par ainsi, on peut facilement la diffrencier de l'ethnologie qui ne s'arrte pas seulement la simple description des peuples, mais en outre les en races distinctes, tudie leurs organismes divise varis, considre les varits typiques, telles que les ttes longues, pointues ou arrondies, les mchoires saillantes ou droites; les nez aquilins, droits ou camus, etc.; enfin qui essaye de dcouvrir s'il n'en rsulte pas certaines influences expliquant les aptitudes diverses dont chaque groupe humain semble fournir un exemple particulier. En un mot, l'ethnographie, comme l'indique suffisamment l'tymologie, est la description des peuples, tandis que l'ethnologie est l'tude raisonne de ces mmes peuples considrs u point de vue des races. L'une ne regarde que les grandes lignes extrieures; l'autre examine les parties, les mesure, les compare, cherche systmatiquement se Tendre compte de chaque dtail. Tous les grands voyageurs seront des ethnographes d'autant plus comptents qu'ils auront bien vu et examin les populations qu'ils traversent; mais pour devenir un ethnologiste, il faudra en outre possder des connaissances anatomiques et physiologiques, ainsi que les principes gnraux de la taxonomie. Lorsque l'ethnographie et l'ethnologie auront fait leur uvre, viendra le tour de l'anthropologie. Celle-ci compare l'homme aux autres animaux, afin d'isoler l'objet de son tude de tous les sujets environnants; mais ce qu'elle tudie plus spcialement, ce sont les points suivants. Quelle'est la vraie nature de l'homme? Jusqu' quel degr et dans quelles conditions dveloppe-t-il ses aptitudes?

DESRACES HUMAINES;

Toutes les races humaines peuvent-elles, oui ou non, s'- # lever au mme niveau intellectuel et moral ? Quelles sont celles qui semblent tre plus spcialement doues pour le dveloppement suprieur de l'esprit, et quelles sont alors les particularits organiques qui leur assurent cette supriorit ? Voil une sphre assez vaste pour occuper dignement les intelligences d'lite. Il va sans dire que pour atteindre un rsultat srieux, il ne suffira pas l'anthropologiste d'tablir une hirarchisation arbitraire ds races humaines ou de leurs aptitudes. Il lui faudra d'abord dlimiter srement les catgories ethniques qu'il entend comparer. Mais une classification des races humaines est-elle possible avec les lments .dont dispose l science contemporaine et dont elle est oblige de se contenter? C'est ce un que nous tcherons d'tudier, afin de nous rendre compte exact de la solidit des arguments que les naturalistes mettent en avant pour appuyer leurs conclusions.

DE L'GAMT

f

CHAPITRE

II.

Premiers

essais de classification.dresser une telle statistique de l'humanit passe et prsente il faudrait toute une vie, pour concilier tous les systmes de classifications qui ont t tents jusqu'ici, pour caractriser chaque race d'aprs Jes faits enregistrs par la science moderne et, de plus, pour exposer les rsultats de ces invesPour

il tigations, ne faudrait quelques pas instants,mais une longue un suivide plusieurs exposition, cours annes. Clmence (Mm Rotbb). Je ne reviendrai pas sur les controverses ardentes qui se' sont agites propos de {la place de l'homme dans l'chelle zoologique. C'est une question vide. Actuellement, il est universellement reconnu que l'homme, au point de vue anatomique, ne diffre des singes anthropomorphes que par des dtails infiniment insignifiants, si on veut considrer la distance qui existe entre le premier groupe simien et les autres mammifres infrieurs. Sans mentionner ici les remarquables travaux de Hckel et de Huxley qui nous entraneraient sur un terrain autre que celui o nous devons rester quant ce moment, on peut regarder la question comme parfaitement lucide par les savantes discussions du professeur Broca. Dans ss Mmoires d'anthropologie, il y a rpandu la plus vive lumire, l'aide d'une science consomme, soutenue par une habilet de dialectique vraiment rare chez un spcialiste. Et pourquoi ne le dirais-je pas? C'est toujours regret que je me verrai oblig de me sparer de l'illustre savant, quand sur des points de pure doctrine, il se renferme dans un exclusivisme systmatique et en contradiction avec la thse que je crois tre l'interprtation de la vrit.

DESRACES HUMAINES.

On pourrait croire que, la place de l'homme une fois fixe dans le rgne animal, il ne se produirait plus aucun schisme, aucune controverse pour la classification des groupes humains. Mais, dans cette sphre plus troite, la discussion ne fait qu'augmenter d'intensit. Linn, qui l'on est toujours forc de remonter, toutes les fois qu'il s'agit de suivre ou d'enregistrer les phases successives traverses par les sciences naturelles, avait runi les divers types humains ou ceux qu'il regardait comme tels, en un genre compos de trois espces: l'homo sapiens, l'homo ferus et l'homo monstruosus. Des deux dernires espces la premire semble plutt dsigner certains singes anthropomorphes et la seconde se rapporte des cas de tratologie qui relvent mieux de la physiologie que de l'histoire naturelle. L'homo sapiens (homo nudus et inermis de Blumenbach) est celui qui nous intresse ici. Linn en divise l'espce en quatre varits 1 l'homme blanc aux yeux bleus et aux cheveux blonds que l'on rencontre plus spcialement en Europe; 2 l'homme jaune aux cheveux noirtres et aux yeux bruns de l'Asie; 3 l'Africain au teint noir, et aux cheveux crpus; 4 l'Amricain basan aux cheveux noirs et lisses. On peut citer une autre division quaternaire de l'espce humaine dont on parle rarement dans les diffrentes expositions de la science anthropologique. C'est celle de l'Amricain Morton. Il divise les hommes en quatre races, qui sont en ralit de vraies espces, si l'on se rapporte sa doctrine polygnique. Ce sont les peuples blancs, les peuples jaunes, parmi lesquels il comprend les Mongols et les Malais, les Peaux-Rouges et les Ngres. Cette classification repose sur des cubages oprs en remplissant les crnes de grains de poivre schs (1). Carus, savant (1)Morton,Crania ethniea.

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allemand, l'avait adopte pour une cause fort curieuse. Suivant ce dernier, ces quatre varits ethniques correspondent aux quatre variations de lumire que l'on remarque dans le jour, la nuit, le crpuscule du matin et le crpuscule du scir. Les blancs seraient ainsi les enfants du jour; les noirs, les enfants de la nuit; les jaunes, ceux du crpuscule du matin; les rouges Amricains, ceux du crpuscule du soir (1). Avait-on besoin d'avertir qu'on a affaire un savant allemand? Enfin, le professeur Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire avait propos une classification en quatre types qu'il distinguait comme suit orthognate ou caucasique, eurignathe ou mongolique, prognathe ou thiopien, eurignatho-prognate ou hottentot. Une autre division numrique est celle de Blumenbach qui maintint d'ailleurs l'unit de l'espce. Il apporta la science une mthode suprieure celle de Linn. Connaissant mieux que lui le sujet traiter, en consquence mme des progrs scientifiques, il le dveloppa avec une clart lumineuse, en imposant ses dductions . l'attention gnrale. Dans l'espce humaine, il compta les cinq varits suivantes qui, en se perptuant, devinrent les races caucasique, mongolique, thiopique, amricaine et malaise. On remarquera que l'ethnographie a principalement inspir les catgories de cette division. Elles s'adaptent toutes aux grandes divisions gographiques du globe. D'Omalius d'Halloy admit galement cinq races humaines. Mais au lieu de les dnommer d'aprs leurs milieux gographiques ou ce que l'on considrait comme tel, il les partagea en couleurs diffrentes, soit 1 la race blanche, 2 la race jaune, ? la race brune, 40la race rouge, (1) Carus, Ueber die ungleiche Befhigung der verschiedenen Menschheitsstmmen geistigenEntwickelung. zur

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5 la race noire. Ces cinq races ne rpondent pas toujours aux varits de Blumenbach. Dans la race brune, par exemple, d'Omalius d'Hailoy compte non-seulement les races ocaniques, mais aussi les Ethiopiens. M. Louis Figuier, avec des rserves et des modifications intelligentes, a adopt la classification du savant belge. On peut remarquer, d'ores et dj, qu'il retire les Egyptiens de la race blanche pour les placer dans la race brune. C'est un premier pas vers une vrit historique qu'il faudra mettre en lumire. Il faut noter aussi que le professeur Prochaska, essayant de former une classification, a conclu galement l'existence de cinq races. Seulement, ce savant physiologiste a trouv ncessaire de runir la race caucasique avec la mongolique, pour former la race blanche, dont il retire les Hindous avec lesquels il tablit une race distincte. Cependant les partisans de la thorie de l'unit de l'espce n'admirent pas tous la division en. cinq varits d Blumenbach. L'illustre Cuvier qui runissait une haute sagacit scientifique une habilet merveilleuse dans l'exposition de ses ides, rduisit au nombre de trois les grandes divisions ethniques qui forment l'ensemble de notre espce. Soit la race blanche, la race jaune ou mongolique et la' race noire. D'aucuns affirment que le dsir de se conformer l'orthodoxie religieuse et de corroborer par la science une des plus anciennes traditions de la Bible, fut la raison dterminante de cette classification. Mais il ne s'agit point de discuter la valeur taxonomique d'aucune de ces classifications qui 'se contredisent si constamment. Elles ne seront jamais rien autre chose que des tentatives plus ou moins ingnieuses d'imposer un ordre sriaire l o la nature a mis la plus capricieuse irrgularit. Les causes de diffrenciation sont tellement multiples et complexes qu'elles brisent toute srie artificielle et se moquent des

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combinaisons que font et dfont les savants pour les rglementer. Disons cependant que la distribution tripartite de l'espce humaine est parfaitement logique, pourvu qu'on admette des subdivisions qui donnent l'explication des nombreuses dviations que prsentent les types principaux. Que l'on soit condamn ttonner sans fin, quand il faut former ces subdivisions, ce n'est la faute de personne la difficult gt dans la science mme. Aussi est-ce bien le cas de renverser l'adage classique si bien connu sous la rubrique Non crimen artis quod, professoris. Malgr l'habilet de tous les professeurs, c'est l'art mme qui sera ici ternellement impuissant. Un fait indiscutable, c'est que par des croisements naturels entre les trois races blanche, jaune et noire, des degrs convenables, on peut facilement obtenir les deux autres varits de Blumenbach,' ainsi que toutes les subdivisions qu'il faut encore reconnatre dans les cinq groupes ethniques de l'minent naturaliste de Gttingue. Les grandes lignes de la classification de Cuvier ont t d'ailleurs adoptes par les anthropologistes les plus comptents de l'cole monogniste. Le savant Prichard divise aussi l'humanit en trois grandes familles aryane, smitique et gyptienne. Il est certain que ces dnominations ne dsignent pas les ides qu'on y attache ordinairement. Par la famille aryane, le naturaliste anglais dsigne la race blanche par les smites, peut-tre la race jaune, et par la famille gyptienne, la race noire. Mais qu'importe la terminologie, si la pense de l'auteur est suffisamment claire pour qu'on la saisisse dans tout son clat Smitique et asiatique se ressemblent bien et en Asie c'est la race jaune qui domine. Au temps o crivait Prichard, on inclinait ne voir dans les races europennes que des colonies aryanes et pour le reste, il sera prouv plus tard que la vraie race gyptienne se confond

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avec les Ethiopiens. D'ailleurs, ct de ces trois races, il en indique d'autres qui s'y rapportent diffrents titres. Flourens, s'tant group dans les rangs de l'cole unitaire, accepta la division ternaire des races humaines qu'il partagea en trente-trois types distincts. Mais la plus importante adhsion la conception de Cuvier est celle de M. de Quatrefages, le premier anthropologiste de France et peut-tre de l'Europe entire. En effet, le savant professeur du Musum d'histoire naturelle de Paris, a consacr toute son existence des travaux d'anthropologie d'un mrite incontestable. Il s'y est appliqu avec une constance, un dvouement infatigables qui signalent les grandes vocations. Ses subdivisions ne sont pas pourtant celles de ses devanciers. Appliquant les principes du monognisme dans toute leur rigueur doctrinale, il fait descendre toute l'humanit d'un tronc commun reprsentant l'espce. Celle-ci est partage en trois branches qui constituent les races blanche, j aune et noire chaque branche est partage en rameaux, en familles, lesquels sont forms de groupes ethniques plus ou moins diffrencis. Pour complter cette classification dj passablement complique, le savant et mthodique professeur y greffe encore des races mixtes, comme autant de ramiscules divergents qui viennent rendre plus touffu l'arbre gnalogique de l'espce humaine, partant d'Adam et ve pour rayonner sur la terre entire. Un autre savant fort modeste,'Henry Hollard, avait aussi admis les trois grands groupes ethniques. Mais au lieu de les nommer races, il les dsigna sous la dnomination de types, qui n'a aucune'valeur ni aucune prtention taxonomique. Ses trois types, caucasique, mongolique et thiopique, se subdivisent en familles, les familles en races ou nations (lvo;). Par exemple, le type caucasique renferme la famille aryane, laquelle renferme les races ou na-

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tions Hindoues, Grecques, Italiennes, Germaines, Iraniennes, Kurdes, Armniennes, Celtes, Slaves et les peuples du Caucase. Tout cela n'est cit que pour mmoire. Il faut remarquer une chose tous ces essais de classification ne reposent que sur des principes personnels et arbitraires. Tel groupe figure dans la race blanche d'un naturaliste, dans la race jaune ou brune d'un autre, et pardans la race noire d'un troisime. Par exemple, les fois Abyssiniens ou thiopiens figurent dans la race blanche de M. de Quatrefages, dans la race brune de d'Omalius d'Halloy et dans la race noire de Blumenbach et de Cuvier. Fasse la loi qui le pourra Mais qu'on ne s'imagine pas que tous les savants aient accept avec ou sans discussion la thorie de l'unit de l'espce humaine. D'abord Lacpde, tout en restant unitaire, crut devoir ajouter une nouvelle race aux cinq autres tablies par Blumenbach, presque au mme moment o Cuvier allait les rduire trois. A ct des Caucasiens, Mongoliens, thiopiens, Amricains et Malais, il plaa les Hyperborens (branche ougrienne et borale de M. de Quatrefages, comprenant les Samoydes, les Ostiaks, les Lapons, les Esquimaux). Les cinq races de Blumenbach une fois dpasses, il se produisit, l'encontre des classifications unitaires que l'on peut considrer comme classiques, une certaine tendance vers la thorie de la pluralit des espces humaines. La premire attaque fut celle de Virey qui, aprs des raisonnements plus ou moins fonds, se dcida diviser les divers types humains en deux groupes distincts, entre lesquels il dclara reconnatre des diffrences spcifiques. Ces deux espces formrent le genre humain, le mot genre prenant dans sa nomenclature le sens scientifique qu'on lui attache en histoire naturelle. Ce fut sans doute une grande rvolution dans le monde

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des savants. Le caractre en fut d'autant plus saillant que toutes les ides philosophiques d'alors tendaient resserrer les liens de l'humanit, sous l'impulsion encore agissante de la grande cole encyclopdique du XVIIIe sicle, aux inspirations si larges et si gnreuses. L'poque n'tait pas bien loin o Diderot hasardant une pense, d'Alembert la formulait, et Voltaire la vulgarisait. Tout le monde avait encore la persuasion profonde que les peuples devaient trouver le vrai lien de la fraternit dans la commune conqute de la libert et de l'galit. Sans doute, le Dictionnaire philosophique gardait l'empreinte indlbile du sourire malin et terrible du patriarche de Ferney, quand il interrogeait les thologiens sur le miracle qui a fait sortir des hommes blancs, noirs, jaunes, verts et rouges des seules oeuvres d'Adam, dont on ignore quelle tait la couleur. Mais ce n'tait que pour rire. On en riait bien dans les salons du baron d'Holbach, depuis le spirituel abb Galiani jusqu' l'rudit abb Morellet. Pour sr, s'il se prsentait dans ce cercle un ngre intelligent et surtout un esprit fort, on l'et ft l'gal de Francklin, et plus que l'illustre inventeur du paratonnerre, il serait trouv digne d'entrer, dignus intrare in corpore philosophico. Rien que pour narguer la sotte maldiction de No, qui avait abus de la vigne du Seigneur Au fond de tout cela, il ne s'agissait que d'craser l'infme. ~En effet, de cette philosophie du XVIIIe sicle tait sorti 1789.La Rvolution franaise, fulguration volcanique qui claira le monde entier, allait au bruit du canon et de la Marseillase, abaissant devant elle toutes les vieilles barrires qui sparaient les nations. En 1790, la fte de la Fdration, un illumin, Anacharsis Clootz, avait proclam la Rpublique universelle et la fraternit des races. Plus tard, un ngre fut port en triomphe devant la Convention, aux applaudissements de la foule lectrise par

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l'cho prolong de la voix de Robespierre. u rang de%i, c'est--dire comme devant se reproduire toujours, infailliblement, dans-toutes les circonstances identiques? En supposant mmequ'on ait rencontr des filets nerveux comparative, plus gros chez certains noirs que chez un ou plusieurs blancs, cela ne suffirait pas pour formuler une proposition aussi gnrale, aussi absolue que celle de Smmering, si souvent rpte. Il resterait encore savoir si, parmi un grand nombre de noirs et dans une quantit de blancs, le phnomne inverse ne se manifeste jamais. Toute investigation exprimentale, o l'preuve n'est pas contrle par une contre-preuve, ne revtira jamais un caractre suffisamment srieux ceux qui respectent la science et craignent de compromettre son nom < au profit de l'erreur. Bien plus, en considrant l'expansion d'un centre nerveux, il peut se prsenter certaine anomalie anatomique fasse illusion un observateur mme trs qui expriment,

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quand il ne se donne pas l mal d'tudier attentivement les faits. e Les nerfs n'tant que des faisceaux d conducteurs isols et indpendants, il n'est pas tonnant que parfois un filet man d'un nerf puisse s'accoler un tronc nerveux voisin et que dans ce cas la constitution intime de ce dernier ne soit pas toujours la mme; on comprend ds lors que des filets d'une paire cranienne ou rachidienne peuvent quelquefois se juxtaposer ceux d'une autre paire cranienne plus ou moins rapproche, pour gagner ensemble leur destination ultime. Les fibres nerveuses primitives n'en accompliront pas moins chacune leur rle physiologique spcial, mais la manire dont elles gagnent l'organe auquel elles sont destines peut varier. C'est ainsi; sans nul doute, que peuvent s'expliquer les rsultats diffrents et contradictoires que les physiologistes ont obtenus dans la section des troncs nerveux (1). s Aussi est-il fort probable que ceux qui ont prcipitamment avanc que le systme nerveux priphrique de l'thiopien est plus dvelopp que chez l'Europen, se soient trouvs en face d'une de ces juxtapositions de deux filets nerveux, si bien confondus qu'on peut facilement les prendre pour une seule et mme extrmit nerveuse. De l une gnralisation qui vient l'encontre de toutes ls donnes zootaxiques. Car s'il existait une opposition de plan aussi tranche dans la configuration du systme nerveux du noir compar celui du blanc, ce fait crerait entre ces hommes une diffrence non-seulement spcifique, mais ncoft* gnrique. C'est une conclusion laquelle per* sonne n'a voulu aboutir. Rien n'est aussi peu prouv que le balancement du systfiie circulatoire dont parle M. Figuier. Aussi bien n'y (1)eauniset Bouchard,Anatomiesriptive.

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a-t-ilps un seul trait d'anatomie de quelque importance o l'on en fasse mention. Mais un prjug assez gnral, c'est celui qui fait croire que le sang de l'homme noir a des proprits autres que celui de l'homme blanc. Tous ceux qui ont lu les ouvrages o la constitution du sang est srieusement tudie, tant l'tat physiologique qu' l'tat pathologique, savent la difficult qu'il y se prononcer sur les qualits spcifiques d'un liquide dont la composition molculaire et l'aspect gnral sont si instables, selon l'tat sanitaire ou moral de l'individu qui le fournit. D'autre part, l'analyse qualitative et comparative du sang ne peut se faire qu'avec la plus grande dlidatsse dans l'opration. La moindre diffrence de temprature, la plus lgre variation dans la quantit du liquide, selon la form du vase et le degr de lumire qui s'y trouve projete, en font varier l'aspect et l'arrangement molculaire. En tout cas, cette apparence visqueuse que prsente le sang de l'homme noir et dont l'excs de plasticit s'explique assez facilement par la haute temprature de son pays d'origine, n'a rien qui doive suggrer l'ide d'une diffrence organique entre lui et les hommes d'une autre race. C'est un caractre particulier du sang hJ main. Un fait observ d'abord par Hudson et Lister, et par" tous les rnicrttgfaphes contemporains, dit Lohgt, c'est la tendance qu'ont les globules rouges se rapprocher les uns des autres mme des rouleaux de pices de monnaie renverses. Cette disposition trs prononce, surtout dans le sang de l'homme, parat ne pas exister chez ls ani^ maux dont les globules ont la forme elliptique; Ch. Robin, qui particulirement dirig son attention sur ce phnomne, l'attribue l'exsudation d'une matire visqueuse qui se ferait la surface des globules, hors ds vaisseaux; 1

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$il le regarde comme un commencent d'altration (1). Suivant M. de Quatrefages, les hommes de race noire stferrt beaucoup moins que ceux de race blanche; mais l'insuffisance de la transpiration, dit-il, se compense par l'abondance de la perspiration . Sans mettre aucunement en doute la haute comptence de l'auteur de l'Espce humaine, il me semble difficile d'admettre ni le fait qu'il avance, ni l'explication qu'il; en donne. Je suis noir et n'ai rien qui me distingue hatomiquement du plus pur Soudanien. J'ai cependant une transpiration assez abondante, pour me faire une juste ide des faits. Mes congnres n'chappent pas a la loi naturelle. Aussi est-ce avec surprise que je lus, pour la premire fois, l'opinion du savant professeur. Cette compensation, cette espce de balancement qu'il suppose entre la perspiration et la transpiration n'est gure de nature convaincre mon intelligence. La perspiration et la transpiration sont un mme phnomne physiologique et ne se distinguent que par la quantit de liquide ou de vapeur exhale par les tissus organiques. Dans le premier cas, l'exhalation est peu sensible, dans le second elle est notable plus abondante la transpiration cutane se nomme sueur. Voil tout. Les produits excrmentiels qui peuvent tre considrs comme compensateurs de la transpiration sont la salive ou l'urin, surtout cette dernire toujours plus abondante, toutes les fois que les fonctions de la peau sont paralyses ou insuffisamment excites. Or, il est certain que, selon le degr de temprature ou les dpenses musculaires ralises, la peau du noir exhale la mme quantit de liquide ou de vapeur que celle du blanc, sinon davantage. Le mme anthropologiste explique par une diffrence de (1)Longet, Traitdephysiologie, II, p. 5. t.

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fonctionnement physiologique, la nature diverse des cheveux dans les races humaines. A son avis, les glandes sbaces seraient plus dveloppes, mais les bulbes pileux seraient atrophis chez le noir. Ces deux faits, dit-il, se rattachent encore la mme cause et s'expliquent par le balancement d'organes connexes. Le sang, appel la surface du corps, abandonne les bulbes pileux trop profondment enfoncs; mais par la mme raison il afflue dans les glandes sbaces qui sont places plus superficiellement. Il est tout simple que les premiers s'atrophient et que les seconds se dveloppent exceptionnellement (1). Ce point mrite d'tre tudi, car il parat que M. de Quatrefages, se rangeant l'opinion de ceux qui prtendent que la peau du noir scrte la matire sbace en plus grande abondance que celle du blanc, ne fait ici que lui chercher une explication physiologique. Cependant les choses ne se prsentent nullement comme le suppose l'minent acadmicien elles offrent une face toute contraire, tant au point de vue histologique que dans leurs effets physiologiques. Les glandes sbaces, situes plus superficiellement que les glandes sudoripares sont de petites granulations blanchtres annexes aux follicules pileux dans lesquels s'ouvrent leurs conduits excrteurs, et sigeant dans l'paisseur mme du derme. Elles manquent l o manquent les follicules pileux, sauf sur le gland, les petites lvres et la face interne du prpuce. Leur volume est, en gnral, en raison inverse du volume du follicule pileux correspondant aussi quand les poils sont forts les glandes sbaces en paraisssent des appendices quand le follicule pileux, au contraire, appartient un poil follet, (1)De Quatrefages,lococitato.

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c'est lui qui parat alors un appendice de la glande (1), Mais un histologiste d'une comptence incontestable va, si cela se peut, nous faire une description encore plus prcise, plus saisissante de la contexture de ces petits organes disposs dans un ordre absolument oppos celui que dsigne M. de Quatrefages. Les glandes sbaces, dit Leydig, se comportent comme des refoulements de la peau ou comme des diverticula des bulbes pileux. C'est de la substance conjonctive ou du derme ou de la partie conjonctive du follicule pileux que provient la fine enveloppe extrieure (tunica propria), tandis que les cellules de scrtion pithliale sont en connexion avec la couche muqueuse de l'piderme, ou bien* si la glande s'ouvre dans un bulbe pileux, avec l'enveloppe extrieure de la racine du poil (2). Or, il est notoire que les cheveux du Caucasien sont de beaucoup plus fins que ceux de l'Ethiopien* Une diffrence existe mme entre l'paisseur des cheveux blonds et celle des cheveux noirs, appartenant galement la race blanche. Suivant Leydig, les premiers ont ordinairement de 0mm,058 0mm,067 d'paisseur; tandis que les seconds ont de 0mni,067 0mm077 Le volume des glandes sbaces (3). tant en raison inverse de celui du follicule pileux correspondant, ainsi que l'ont reconnu tous les histologistes, elles doivent tre beaucoup plus dveloppes dans la race blanche (allant du blond au brun) que dans la race noire aux cheveux parfois rares, mais [particulirement pais* Contrairement encore la proposition de M. de Quatrefages, il est scientifiquement probable que la matire sbace doit tre scrte en quantit suprieure dans les races europennes, gnralement trs poilues, comparativement citato. (1)Beauniset Bouchard,loco e compare, tc.(2)Franz Leidig,Histologie (3)Franz Leydig,lococitato.

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aux races de l'Afrique. Les glandes sbaces semblent tellement s'adapter au dveloppement du systme pileux que des savants d'une haute valeur sont arrivs mme leur refuser une existence distincte. Voici un rsum de la question donn par Longet et 'qui confirme pleinement toutes les explications que nous avons dj vues. D'aprs Eichborn, dit-il, ces glandes n'existeraient point comme organes distincts, et la matire sbace serait scrte dans les kistes des poils. Partout o il y a des poils, suivant E. H. Weber, les glandes sbaces s'ouvrent dans les follicules pileux eux-mmes. Charles Robin distingue des glandes sbaces proprement dites et des glandes pileuses les premires offrent une embouchure commune avec ls follicules pileux et les secondes s'ouvrent dans de larges follicules pilifres. Quant Klliker qui admet que plusieurs des glandes sbaces sont constitues par de simples utricules pyriformS; tandis que d'autres forment des glandes en grappe simple ou ds glandes en grappe compose, il affirme qu'elles sont gri* ralement plus grosses autour ds petits poils qu'au voSi* nage des poils volumineux (1). Ce qui prouve surabondamment que la peau du noir scrte moins de matire sbace que celle du blanc, c'est la. nature mme des poils gros et relativement rares qui la couvrent dans certaines parties du corps. Partout, on lei rencontre secs, rudes et cassants; c'est ce qui les empche de s'allonger, encore bien qu'ils poussent aussi vite que ceux d'autres races. Tout diffrents sont les cheveux bu autres poils du Caucasien, et l'on doit en attribuer la qu* lit cette plus grande richesse des glandes sbaces qu'un prjug vulgaire fait accorder plutt l'homme de race africaine. En effet, leur rle physiologique consiste (1)Longet,lococitato. T.

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prcisment donner de la souplesse aux cheveux ou aux poils et en effacer la rugosit. La matire sbace, dit Longet, concourt rendre les cheveux ou les poils lisses et souples. Je ne m'arrterai pas discuter la question plutt burlesque que scientifique, d'une odeur sui generis qu'on a voulu considrer comme un caractre particulier la race noire. C'est le simple rsultat de la malpropret identifie l'habitude des sauvages africains. Ils oignent leurs corps de graisses plus ou moins concentres et. mles une sueur abondante, laquelle il faut ajouter des toilettes o le pissat sert de parfum, la manire des anciens Celtes de l'Europe barbare. On conoit bien que, par vaporation ou par un certain phnomne osmotique, l'organisme finisse par s'imprgner de ces odeurs vireuses, ,surtout au-dessous des aisselles o la sueur concentre s'aigrit naturellement. Alors l'individu, mme se lavant avec le plus grand soin, en conserve longtemps encore la dsagrable manation. Mais ce sont l des cas qui s'expliquent en dehors de toute considration de races. En Europe aussi, on trouve des personnes galement affectes de cette pnible particularit. Tous les pathologistes le savent et en parlent dans leur trait. Enfin quelques-uns prtendent encore que l'insensibilit P du noir est un caractre spcial qui le distingue des indii vidus de la race blanche, au point de vue de leur,-constitution nerveuse. Rien de moins avr. On n'aura tabli I un tel jugement que sur des noirs abrutis par un traitement infernal et devenus insensibles force d'avoir t I flagells. D'autres fois, on aura eu affaire un vrai courage, poussant la fiert et le stocisme jusqu' matriser la douleur et la ronger en silence, plutt que de passer pour un lche. Ce sera bien souvent encore un cas de fanatisme ou d'une exaltation quelconque.

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Mais dans toutes les races humaines et dans tous les temps n'a-t-on pas vu souvent de semblables exemples ? Les ilotes de Lacdmone ne se montraient-ils pas insensibles aux maltraitements du cruel Spartiate ? Oubiierat-on jamais le courage sublime mais froce de Pope, se poignardant hroquement et disant froidement son 1 mari Pte, non dolet ? Les paroles de Guatimouzin, restes clbres dans les drames de l'histoire, sont encore une preuve saisissante que ceux qui se taisent au milieu des tortures corporelles, ne souffrent pas moins intrieu rement. Le noir qui l'on demanderait. s'il est insensible aux aiguillons de la douleur, tandis qu'on lui inflige la plus cruelle preuve, rpondrait lui aussi Et suis-je sur un lit de, ross? Pour ce qui s'agit du fanatisme, on sait avec quelle insensibilit apparente les premiers chrtiens subissaient te martyre. Il est vrai que la plupart devaient tre sous l'influence d'une sorte d'analgsie, cause par la surexcitation nerveuse qu'inspire le fanatisme religieux et qu'on peut assimiler un cas d'hystrie. Durant les hauts faits de inquisition o les chrtiens, devenus les matres et plus intolrants qu les anciens paens, martyrisaient leur tour ceux qui voulaient s'carter de l'orthodoxie, des cas absolument semblables se produisirent. Mais alors, on prenait ces hommes, convaincus ou surexcits par leurs croyances, pour d'infmes sorciers. Nicolas Emric dit positivement qu'ils usaient de malfices; car ils paraissaient insensibles au milieu des preuves infernales qui accompagnaient les questions. Alicui sunt maleficiati et in questionibus maleficiis utuntur. efficiuntur enim quasi insensibiles (1). N ,(1) icolasEmeric,Directoired'inquisition,cit par Salverte dans sontrait Dessciences ocultes. o

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Je connais beaucoup d'hommes noirs qui ont montr un courage tonnant, dans le cours d'oprations chirurgicales subies sans anesthsie, ne bravant les douleurs horribles qui leur treignaient le cur que dans le but de ne pas passer pour des lches. Comme le chirurgien demande toujours au patient s'il peut subir l'opration sans l'emploi des anesthsiques, ceux-l croiraient droger, en reculant devant l'preuve. Sotte bravoure peut-tre, mais qui fait voir. combien fire et courageuse est cette nature du noir Ethiopien, toujours prt tout affronter pour inspirer de lui une haute ide.V. HYBRIDIT U MTISSAGE O ? Mais qu'on ne croie pas que la discussion entre le monognisme et le polygnisme prenne fin avec la revue des caractres anatomiques ou physiologiques qui, aux yeux des savants, distinguent les races humaines les unes des autres. Au contraire, l'cole anthropologique qui admet la pluralit des espces dclare qu'elle n'attache ces caractres qu'une importanee secondaire. On connat bien lemotd'Annibal Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome. Eh bien l'intrpide Broca, se conformant au conseil du clbre capitaine, alla, sur ls traces de l'amricain Morton, attaquer les unitaires dans leur principal retranchement. Nous avons dj mentionn cette ancienne loi physiologique de l'espce, en vertu de laquelle on prtend que la fcondit continue, de gnration en gnration, n'a lieuqu'entre les individus de la mme espce. Elle a t accepte par tous les naturalistes de l'cole classique comme une vrit scientifique et de premier ordre. Les monognistes, constatant par l'histoire que partout o les hommes se i

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sont rencontrs, les races se sont constamment croises, ce point qu'on a droit de se demander s'il existe encore des races pures,, ont rattach cette loi la doctrine de l'unit de l'espce humaine. En effet, sans cette unit spde l'humanit, il serait impossible cifique d'expliquer les croisements eugnsiques qui ont maill la surface du globe de plus de couleurs humaines qu'il n'y a de nuances dans l'arc-en-ciel. Il fallait donc aux polygnistes faire la preuve du contraire dmontrer que les espces diffrentes peuvent produire entre elles des gnrations indfiniment fcondes, ou bien que les diffrentes catgories humaines ne donnent pas toujours par leur croisement des produits dous d'une fcondit continue. Je ngligerai intentionnellement la premire partie de la dmonstration essaye par Broca. Elle ne nous intresse pas suffisamment, malgr sa haute importance au point de vue des principes. Il faut aussi dclarer que je ne me suis pas arrt spcialement sur les questions de l'hybridit animale; car je connais trop peu de faits y relatifs, pour pouvoir examiner la justesse ou l'insignifiance des arguments invoqus. Je pense pourtant que, malgr toutes les raisons allgues par l'illustre savant, il restera toujours ses adversaires une objection capitale. C'est que le croisement eugnsique des diverses espces qu'il a tudies, a toujours t provoqu par l'influence de l'homme. Et il faut encore remarquer qu'on n'a jamais pu obtenir la scurit des rsultats, puisque aucune de ces espces hybrides n'est jamais devenue assez nombreuse pour qu'on puisse les compter autrement que comme des faits de simple curiosit. Tout le temps qu'on n'aura pas encore rencontr des croisements spontans et fconds, entre espces distinctes, et l'tat sauvage, il semble qu'on doive s'abstenir de toute conclusion formelle, d'autant plus que les natura-

DE L'GALIT

listes ne tombent pas d'accord sur la caractristique mme de l'espce. La deuxime partie nous offre un ordre de faits infiniment intressants. Il s'agit des phnomnes d'hybridit dans les groupes humains. Le problme consiste savoir si tous les hommes, quelles que soient leurs diffrences de couleur, de physionomie ou de civilisation, sont aptes produire, en se croisant, des gnrations indfiniment fcondes. Le Dr Broca, ne pouvant nier compltement un fait en faveur duquel parlent tant de preuves, a distingu deux cas l'un o le croisement de certaines races est eugnsique, l'autre o il ne l'est pas. Le premier cas, tant conforme l'opinion gnrale, ne mrite pas qu'on s'y attarde. Mais il est curieux de voir les arguments sur lesquels va s'appuyer le savant, pour tablir la ralit du second. C'est d'une finesse sans exemple. Nous examinerons la fois le dit-il, sous le rapport de la fcondit et sous le rapport de la validit physique ou morale, car au point de vue qui nous occupe, il suffirait que certains mtis fussent infrieurs aux deux races mres sous le rapport de la longvit, de la vigueur, de la sant ou de l'intelligence, pour rendre fort probable que ces deux races ne sont pas de mme espce (1). Le programme seul nous indique dj combien le savant anthropologiste s'est senti faible, en abordant cette thse. C'est pour la premire fois qu'il tient compte des qualits psychologiques, ct des autres caractres que les naturalistes mettent ordinairement en ligne, pour tablir ou vrifier une classification. Avoir jusque-l refus toute valeur zootaxique l'intelligence et la morale, puis s'y rabattree dans une question o il rgne tant d'incertitudes, ce n'tait pas prendre le chemin le mieux fait pour parvenir une (1)Broca,lococitato,p. 521.

DES RACESHUMAINES.

bonne conclusion. Mais le fameux polygniste a oubli de se demander la chose principale. Tous les enfants issus d'une mme race, parmi les Anglais, les Franais ou les Allemands, sont-ils toujours gaux leurs parents maternels et paternels en longvit, en vigueur, en sant et en intelligence ? A-t-on mme jamais compar, en France ou ailleurs, les rsultats que rclamait le savant professeur, comme le caractre sine qu non de la communaut d'espce entre les races humaines? Si nous voulons nous rapporter aux seules tudes spciales et srieuses qui aient t faites dans ce sens, en consultant le savant ouvrage de M. Paul Jacoby sur La Slection, nous constaterons^in fait bien saisissant et qui retire toute valeur aux exigences de Broca. C'est que toutes les grandes qualits acquises par les parents un degr excessif, sont un gage sr d'appauvrissement pour l'hritage physiologique qu'ils laissent leur progniture. Cette pauvret qui se manifeste surtout par un manque d'quilibre organique, est cause que ceux des enfants qui continueraient tre aussi intelligents que leurs parents, auraient une sant moins bonne et vivraient moins longtemps C'est aussi l'opinion de M. Ribot et de tous ceux qui ont tudi la question si complexe de l'hrdit et de la slection. Mais il vaut mieux aborder une fois les assertions que nous voulons rfuter. L'union du ngre et de la blanche, dit notre anthropologiste, est trs souvent strile, tandis que l'union du blanc et de la ngresse est parfaitement f