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Pour citer cet article : Fiechter-Boulvard F, et al. De l’évaluation de l’aide humaine comme modalité de réparation du dom- mage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés des pratiques médicale et juridique. Méd droit (Paris) (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003 ARTICLE IN PRESS Modele + MEDDRO-479; No. of Pages 5 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Médecine & Droit xxx (2014) xxx–xxx Expertise De l’évaluation de l’aide humaine comme modalité de réparation du dommage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés des pratiques médicale et juridique Difficulty of the evaluation of the caregiver in legal redress: A medical and legal case report Frédérique Fiechter-Boulvard (Maître de Conférence) a , Audrey Giordano (Praticien Hospitalier) b , Jean-Yves Salle (Professeur des Universités) c , Virginie Scolan (Professeur des Universités) a,,b a Faculté de droit, université Pierre-Mendès-France, BP 47, 38040 Grenoble cedex 9, France b Clinique de médecine légale clinique, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France c Clinique de médecine physique et réadaptation, CHU de Limoges, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France Résumé En matière d’indemnisation du dommage corporel, un des principes généraux est celui de la réparation intégrale c’est-à-dire que la victime « doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit » 1 . Le poste de préjudice de la tierce personne permet de contribuer à respecter ce dogme et en cela apparaît essentiel à la réparation du dommage corporel. Sa détermination par le juge repose essentiellement sur un acte, l’expertise médicale. À ce titre, son évaluation peut apparaître limitée à ce seul champ de compétence médicale. Pourtant du fait de ses caractéristiques et de sa définition juridique complexe, ce poste de préjudice se rapproche de la vaste notion du handicap et aborde des situations multiples, dépassant la seule compétence du médecin expert. À partir d’un cas clinique et juridique, nous montrons toutes les difficultés de l’évaluation de ce poste de préjudice, ces enjeux et les solutions possibles. © 2014 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Aide humaine ; Dommage corporel ; Tierce personne Abstract Regarding compensation for physical injury, complete repair is one of the general principles. The post of damage helps to respect this dogma and as such seems essential in the legal request. Its determination by the judge rests essentially on an act, the medical expert assessment. As such, its evaluation can seem limited to this single area of medical competence. Nevertheless, because of its characteristics and of its complex legal definition, this post of damage is close to the vast notion of disability and addresses multiple situations exceeding the single competence of the medical expert. Through a clinical and legal case, we show the difficulties of the evaluation of this post of damage, its stakes and possible solutions. © 2014 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Caregiver; Legal redress; Disability Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Scolan). 1 Art. 1 Résolution du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dom- mages en cas de lésions corporelles 1975. La responsabilité civile a pour raison d’être la réparation du dommage causé. Varié dans ses aspects matériel et moral, le dommage retient particulièrement l’attention lorsqu’il s’agit d’un dommage corporel qui va nécessiter d’être évalué dans son étendue afin qu’une réparation juste puisse être allouée à la victime. Certes, une évaluation est toujours nécessaire quelle que soit la forme du dommage mais elle est particulièrement http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003 1246-7391/© 2014 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

De l’évaluation de l’aide humaine comme modalité de réparation du dommage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés des pratiques médicale et juridique

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Médecine & Droit xxx (2014) xxx–xxx

Expertise

De l’évaluation de l’aide humaine comme modalité de réparation dudommage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés des

pratiques médicale et juridique

Difficulty of the evaluation of the caregiver in legal redress: A medical and legal case report

Frédérique Fiechter-Boulvard (Maître de Conférence) a, Audrey Giordano (Praticien Hospitalier) b,Jean-Yves Salle (Professeur des Universités) c, Virginie Scolan (Professeur des Universités) a,∗,b

a Faculté de droit, université Pierre-Mendès-France, BP 47, 38040 Grenoble cedex 9, Franceb Clinique de médecine légale clinique, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09, France

c Clinique de médecine physique et réadaptation, CHU de Limoges, 2, avenue Martin-Luther-King, 87042 Limoges cedex, France

ésumé

En matière d’indemnisation du dommage corporel, un des principes généraux est celui de la réparation intégrale c’est-à-dire que la victime doit être replacée dans une situation aussi proche que possible de celle qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s’était pas produit »1.e poste de préjudice de la tierce personne permet de contribuer à respecter ce dogme et en cela apparaît essentiel à la réparation du dommageorporel. Sa détermination par le juge repose essentiellement sur un acte, l’expertise médicale. À ce titre, son évaluation peut apparaître limitée

ce seul champ de compétence médicale. Pourtant du fait de ses caractéristiques et de sa définition juridique complexe, ce poste de préjudice seapproche de la vaste notion du handicap et aborde des situations multiples, dépassant la seule compétence du médecin expert. À partir d’un caslinique et juridique, nous montrons toutes les difficultés de l’évaluation de ce poste de préjudice, ces enjeux et les solutions possibles.

2014 Publie par Elsevier Masson SAS.

ots clés : Aide humaine ; Dommage corporel ; Tierce personne

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Regarding compensation for physical injury, complete repair is one of the general principles. The post of damage helps to respect this dogmand as such seems essential in the legal request. Its determination by the judge rests essentially on an act, the medical expert assessment. As such,ts evaluation can seem limited to this single area of medical competence. Nevertheless, because of its characteristics and of its complex legal

efinition, this post of damage is close to the vast notion of disability and addresses multiple situations exceeding the single competence of theedical expert. Through a clinical and legal case, we show the difficulties of the evaluation of this post of damage, its stakes and possible solutions.

2014 Published by Elsevier Masson SAS.

eywords: Caregiver; Legal redress; Disability

Pour citer cet article : Fiechter-Boulvard F, et al. De l’évaluationmage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés dehttp://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (V. Scolan).

1 Art. 1 Résolution du Conseil de l’Europe relative à la réparation des dom-ages en cas de lésions corporelles 1975.

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http://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003246-7391/© 2014 Publie par Elsevier Masson SAS.

La responsabilité civile a pour raison d’être la réparationu dommage causé. Varié dans ses aspects matériel et moral,e dommage retient particulièrement l’attention lorsqu’il s’agit’un dommage corporel qui va nécessiter d’être évalué dans

de l’aide humaine comme modalité de réparation du dom-s pratiques médicale et juridique. Méd droit (Paris) (2014),

on étendue afin qu’une réparation juste puisse être allouée àa victime. Certes, une évaluation est toujours nécessaire quelleue soit la forme du dommage mais elle est particulièrement

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élicate lorsqu’elle a pour enjeu le devenir d’une personneictime d’un dommage corporel ayant des incidences à longerme sur son mode de vie. Le dommage corporel est constituéar une atteinte à l’intégrité physique et/ou psychique de laersonne, l’atteinte pouvant être temporaire ou permanente2.u-delà de cette atteinte physique et/ou psychique les inci-ences peuvent être nombreuses, emportant l’atteinte à d’autresroits de la personnalité tels que le droit à la dignité, ou àes libertés fondamentales, telles que la liberté du travail. Cesrécisions sont essentielles car, si d’un point de vue théoriquel est aisé de différencier les droits de la personnalité et lesibertés fondamentales de l’homme, la pratique est confrontée

une préoccupation constante : celle consistant à ne perdre deue aucune de ces prérogatives lorsqu’il s’agit d’appréhenderous les enjeux de la réparation du dommage corporel. Là esta tâche de l’expert à qui il incombe à la fois de détermineroutes les atteintes ainsi que leurs répercussions multiples sura vie future de la victime. Or, pour ce faire, le médecin est tenuar des notions juridiques qui ne reflètent pas toujours et pasuffisamment les réalités en ce domaine.

En effet, l’une des modalités de réparation du dommageorporel consiste en l’attribution d’une aide humaine, juridique-ent dénommée tierce personne. Désignant l’aide matérielle

rodiguée à la victime, la tierce personne désigne également’aspect purement pécuniaire d’une aide financière. Malgré laurisprudence3, cette dichotomie produit nécessairement desonfusions dans l’esprit des praticiens, qu’ils soient médecinsu juristes, mais certainement aussi dans l’esprit des victimes.l y a là un manque de confort dans les notions qui ne facilitentas la mission d’évaluation. Pourtant, il y a lieu de penser quea référence à d’autres termes pourrait rendre les choses plusbordables. En effet, si le dommage corporel a de multiplesncidences, son évaluation se rapproche de celle du handicap.t c’est sur cette notion que des propositions simplificatricesourraient être faites. Car, à bien y réfléchir, et de manièreragmatique, la notion de handicap doit être le point de départe l’expertise médicale permettant d’aborder très directementes atteintes causées à la victime : le médecin pose un regardur les atteintes portées au corps et au psychisme du patient afine participer très directement à la détermination de l’étendueu préjudice, étendue qui déterminera ensuite les modalités dea réparation.

En revanche, lorsqu’il s’interroge sur le poste de la tierceersonne, le préjudice est mêlé aux modalités de la réparatione qui n’est pas satisfaisant. En d’autres termes, si la tierce per-

Pour citer cet article : Fiechter-Boulvard F, et al. De l’évaluationmage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés dehttp://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003

onne prend toute son importance et devient l’un des postesermettant le mieux d’approcher les situations de handicap, restencore à préciser cette dernière notion. Ce sont tous ces points

2 Y. Lambert-Faivre, S. Porchi-Simon, Droit du Dommage Corporel. Systèmes’indemnisation. Précis Dalloz, 7e éd.012.3 Civ. 2e, 15 avril 2010, RCA 2010, comm. No 174. « La jurisprudence estbsolument constante sur le fait d’évaluer la tierce personne sur la base desesoins de la personne et non des dépenses, ce qui conduit à ne pas prendren compte le fait que l’aide est assurée par la famille ». Y Lambert-Faivre, Sorchi-Simon, Droit du Dommage Corporel. Systèmes d’indemnisation. Précisalloz, 7e éd. 2012, no 151, note 1.

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e discussion qui apparaissent dans l’arrêt de la cour d’appel’Aix-en Provence rendu le 14 avril 20044.

En l’espèce, une expertise médicale devait aboutir à une éva-uation de l’aide humaine allouée au jeune Karim, victime d’unccident sur la voie publique le 3 janvier 1986, à l’âge de 13 ans.oins de deux ans après l’accident, soit le 3 novembre 1987,

’expert consolide l’état de santé de l’adolescent sans donnerucune indication de temps horaire concernant la tierce per-onne alors qu’il est avéré par l’expertise que l’adolescent a subin traumatisme crânien sévère et un traumatisme médullaire.a réparation du dommage corporel subi sera dans un premier

emps réalisée sur transaction entre la famille et la compagnie’assurance par un règlement d’une indemnité globale de 3 98300 F en 1989, soit 841 000 D , pour une victime présentant unaux d’IPP évalué à 100 %. En 1993, une nouvelle transaction

lieu au titre d’aggravation à la suite d’une luxation doulou-euse de la tête fémorale gauche traitée chirurgicalement et unepilepsie rebelle. Suite à une procédure judiciaire aux fins deontestation de la validité des transactions, l’arrêt de la cour’appel d’Aix-en-Provence décide qu’il ne s’agit pas juridique-ent de transactions et procède à une ré-évaluation des besoins

e tierce personne au bénéfice de Karim5 en allouant une indem-ité supplémentaire au titre de préjudices jusque-là non établisels que les préjudices professionnel et sexuel. La cour d’appel’Aix-en-Provence se fondant sur un rapport d’expertise réalisén novembre 19926, retiendra la nécessité d’une tierce personne4 heures sur 24, estimant également que l’aide familiale n’a pas

être imputée sur cette évaluation.L’examen expertal faisait état des éléments suivants : « Karim

présente des séquelles majeures d’un traumatisme crânien du janvier 1986. Il existe en effet un syndrome tétra pyramidalvec rétractions tendineuses d’aggravation progressive malgréa kinésithérapie maintenue en permanence (. . .) des troubles dea déglutition avec fausses routes des liquides, crises comitialesréquentes, entraînant l’aggravation durant plusieurs heures de’état de conscience et un encombrement pulmonaire. Cet étate conscience se caractérise par une vie de relation très alté-ée du fait de troubles cognitifs majeurs (. . .) une importanteggravation de son état qui implique une surveillance cons-ante et nécessite la présence constante d’une tierce personne ».ar la suite le rapport décrivait l’assistance humaine : « Depuison retour à domicile (. . .), c’est la mère de Karim, ainsi que saamille, qui assurent la surveillance et l’aide qu’il nécessite (. . .)fin de pouvoir maintenir ce retour à domicile dans des condi-

ions d’astreinte acceptable pour la mère, celle-ci exprime leouhait d’obtenir l’aide d’une tierce personne complémentaire,

à 6 heures. Ce temps pourrait être utilisé à la remplacer dans’aide active de toilette et de repas, à raison de deux heures par

de l’aide humaine comme modalité de réparation du dom-s pratiques médicale et juridique. Méd droit (Paris) (2014),

our. Un complément de 4 heures par jour pourrait être affecté la surveillance passive permettant à Madame S d’être libéréee la contrainte de présence ».

4 CA Aix-en Provence, 14 avril 2004, D.2004, p. 2959, note C.Bloch, Revue Risques », juin 2004, p. 127, note G..Durry.5 Il a été notamment pris en compte le décès du père de Karim.6 Il est à noter que lors de cette expertise, le père de la victime était encore enie.

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Le médecin concluait « Il est toujours dans un état de dépen-ance complet. (. . .) le projet de vie actuellement défini à sonomicile permet, grâce à l’excellence des soins et le dévouementans limite de sa famille, de maintenir un équilibre qui deviente plus en plus difficile à long terme. Certaines améliorationsechniques (fauteuil roulant, lève malade) et une aide humainextérieure à la famille, complémentaire de 4 heures par jour, mearaissent pleinement justifiés ».

Ce cas jurisprudentiel est le reflet de nombreuses difficul-és rencontrées dans la pratique de l’expertise médicale. Enffet, l’expertise présentée en l’espèce et sur laquelle s’appuientans un premier temps l’assureur régleur puis les juridictions,omporte un contenu aux multiples contradictions et ambigüités.n particulier, ces contradictions intéressent deux notions maléfinies ou décrites de manière lacunaire. Une première notionon nommée et pourtant présente, est le handicap. Le médecin

fait référence lorsqu’il évoque l’état de dépendance de Karim.ne seconde notion prête à discussion, il s’agit de la notion de

ierce personne. Celle-ci est décrite pour certains actes pouvanttre qualifiés d’actes essentiels de la vie quotidienne et par laersonne les réalisant, en l’espèce la mère du jeune homme. Ceseux notions sont pourtant mal appréhendées, parfois enchevê-rées alors qu’elles constituent les principaux outils et enjeux de’évaluation menant à l’indemnisation qui doit être allouée à laictime.

Il convient ainsi de comprendre pourquoi il n’est pas souhai-able de se maintenir dans une confusion des notions évoquéesI) et de tenter d’y remédier, notamment par une approche affinéee la notion de handicap (II).

. Des difficultés tirées du caractère flou des notions

.1. Comment appréhender le handicap

Deux points prêtent actuellement à discussion, qui sont touseux relatifs à la manière d’appréhender la situation de handi-ap. Le premier point concerne l’appréhension du handicap dans’expertise, quand le second point concerne son appréhensionuridique.

Actuellement, la notion du handicap dans le cadre particu-ier de l’expertise médicale est abordée par une description deésavantages présentés par la victime, en réponse aux diversesuestions de la mission d’expertise intéressant les postes de pré-udices. Il s’agira de la description des déficiences de la victimeans les situations de réalisation des actes de la vie quotidienne7,e la description des activités affectives et familiales, de cellees activités de loisirs8 ou encore des activités professionnelles,e formation et d’éducation9. On le comprend, la notion de han-icap apparaît morcelée et plus ou moins réduite à certaines

Pour citer cet article : Fiechter-Boulvard F, et al. De l’évaluationmage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés dehttp://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003

ctivités restreintes dans un lieu de vie qu’est le domicile, commeans le cas jurisprudentiel présenté. Cela s’explique en partie par’approche juridique du handicap.

7 Poste de la tierce personne.8 Préjudice d’agrément.9 Préjudice professionnel.

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La gravité du sinistre, et par extension la gravité du handi-ap, constituent un élément important de la réparation, voirene spécificité de l’indemnisation. Actuellement cette appré-iation de gravité ne se limite plus au seul critère du taux deéficit fonctionnel permanent, anciennement incapacité perma-ente partielle. Cette gravité s’apprécie aussi et surtout à partire la nécessité de l’assistance d’une tierce personne.

Ainsi, sera appréciée l’incapacité de réaliser, sans aide, cer-ains ou tous les actes de la vie, qu’il s’agisse d’actes de laie privée, de la vie familiale, professionnelle ou de formation,e la vie scolaire ou des activités de loisirs. La confusion sura notion de tierce personne est entretenue par l’émergence deotions juridiques et philosophiques qui viennent s’ajouter àa seule détermination des actes de la vie quotidienne. C’estire que l’expert sera amené à porter une appréciation sur desoncepts moins tangibles tels que la sécurité, la dignité et laerte d’autonomie10, dépassant totalement son domaine médi-al. Quels seront alors les critères précis de l’évaluation ? Laualité de vie doit-elle s’apprécier de facon limitée au seul domi-ile de la victime comme dans notre cas présenté ou doit-elletre envisagée à l’aune de déplacements à l’extérieur ? Faut-ilomprendre également la formation, l’emploi, les loisirs ? Onntrevoit toute la difficulté de l’évaluation de ce poste dépas-ant les seuls besoins médicaux et actes de la vie courante etenvoyant au droit à la dignité, à la sécurité et à la liberté. Pour-ant, ces appréciations permettront de préciser l’aide humainerodiguée. Sur ce point, plusieurs difficultés sont à soulignerboutissant aux approximations mises en évidence dans ce cas.

.2. Limites de l’appréciation du handicap

Les premières difficultés de la pratique sont relatives auximites imposées aux experts du seul fait du caractère restrictif de’évaluation, à la fois d’un point de vue temporel et spatial. Cesimites sont perceptibles dans le cas soumis à l’étude, et viennentécessairement amoindrir l’efficacité de l’expertise. En effet,’est au cours des différents examens médicaux que l’expertrocède à l’évaluation du dommage. Ces temps se répartissentelon une trilogie permettant de distinguer le temps lésionnel,e temps fonctionnel et le temps situationnel au cours desquelseront déterminés les besoins qualitatifs et quantitatifs en tierceersonne, fonction des incapacités décrites et du déroulementabituel d’une journée de la victime tel qu’envisagé par le prati-ien selon les données de la victime. C’est ici que l’on constatees limites précitées. L’évaluation est faite à un temps « t » sure modèle d’un emploi du temps figé comme l’illustre le case Karim, alors qu’elle requiert un examen attentif de besoinsariables dans le temps, en particulier lorsque la personne enituation de handicap a besoin d’une aide à long terme. De plus,

de l’aide humaine comme modalité de réparation du dom-s pratiques médicale et juridique. Méd droit (Paris) (2014),

onnes aptes à préciser les modalités de l’assistance techniqueu humaine nécessaire.

10 C’est ainsi que la nomenclature Dinthilac prévoit comme éléments deétermination de la tierce personne dans le cadre des préjudices patrimoniauxermanents, le fait de « préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité etuppléer sa perte d’autonomie ».

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D’autres limites mises en exergue dans notre cas tiennent àa difficulté d’attribuer un temps moyen pour quantifier l’aiden termes horaires et mettre en place une addition de séquences.ertains auteurs regrettent que le système en place fasse « litièrees variations normales et humaines dans le déroulement dees séquences (. . .). Il fait aussi litière de toute la dimensione sécurité »11. La segmentation des aides opérant distinctionntre l’aide active ou de substitution, l’aide d’incitation et deurveillance, apparaît comme en dehors de toute réalité objectivee la vie, notamment dans le cas de personne présentant unandicap grave. Cette segmentation ne peut se comprendre quear la recherche sans conteste d’une minimisation des coûts12.lle a pour conséquences un risque non négligeable d’insécuritéour la personne en situation de handicap et une altération dea participation sociale et de celle de ses proches, sans compter’altération de leurs qualités de vie.

.3. Les missions d’expertise

Il en résulte que la définition de ce poste reste floue et ainsiend son évaluation imprécise. En effet, cette notion apparueour la première fois dans une loi datant du 31 mars 1919 estn concept juridique recouvrant deux aspects, l’un pragma-ique évoquant l’aide humaine nécessaire à la victime, l’autreurement matériel renvoyant au financement de cette aide. Or,es missions d’expertise portent sur cette double représentation,aquelle aboutit à une imprécision du terme puisqu’il y a mélangees genres13. Lorsqu’il s’agit de décrire le poste de tierce per-onne, la plupart des missions d’expertise médicale s’appuieur les actes attribués à la tierce personne. En ce sens, la tierceersonne avant consolidation est inscrite comme l’« assistanceemporaire. . .pour les besoins de la vie courante (et) pour assis-er (la victime handicapée) dans les actes de la vie quotidienne,

Pour citer cet article : Fiechter-Boulvard F, et al. De l’évaluationmage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés dehttp://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003

réserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et sup-léer sa perte d’autonomie »14. Ces actes sont ainsi abordés deanière laconique et, de surcroît, sont souvent réduits à une

11 E. Vieux, Colloque « Réparation du dommage corporel. Atelier la tierceersonne », Gaz. Pal. 10 avril 2010, no 100, p. 35.

12 Civ. 2e, 29 avril 1994 no pourvoi : 92-15908, inédit. L’indemnisation de laierce personne peut prendre la forme d’une rente au profit de la victime surécision du juge et cela même s’il n’y a pas eu de demande en ce sens. Une telleodalité a l’avantage de se préserver d’une mauvaise gestion de l’indemnisation

ous forme de capital lorsque les aidants familiaux sont en charge de la victime.ette modalité est par ailleurs conforme aux ambitions de l’Association francaisee l’Assurance contenues dans le 3livre blanc sur l’indemnisation du dommageorporel », avril 200813 Les préjudices patrimoniaux temporaires inscrits au poste de frais divers sontéfinis comme « dépenses destinées à compenser des activités non profession-elles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe duranta maladie traumatique (. . .) » ainsi que comme « l’assistance temporaire d’uneierce personne pour les besoins de la vie courante » : J-P. Dintilhac, Rapport du8 octobre 2005, « Elaboration d’une nomenclature des préjudices corporels »,a documentation Francaise, 2005.

14 Lettre AREDOC, décembre 2009, Point no 12 et no 19, Mission d’expertiseédicale, Troubles locomoteurs graves, Traumatismes crâniens graves, are-

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ie limitée au domicile15 ; c’est l’aspect spatial très réduit quipparaît alors.

Cela entraîne une nouvelle vision de la réparation du dom-age corporel et donc de nouvelles interrogations. En premier

ieu, on peut s’interroger sur les principes et objectifs pourne réparation au plus juste. Quelles dimensions sont alors

considérer comme fondamentales ? Celle de la fonction, dea dépendance, de la qualité de vie et du projet de vie ? Para même, l’évaluation préalable à la réparation doit-elle êtreormative ou avant tout situationnelle ? Limitée ou exhaus-ive ? Enfin, quelles situations précises doivent être prises enompte ? L’environnement personnel, l’environnement socio-ulturel ? Mais il est aussi d’autres interrogations relatives à’expert qui procède à cet examen. Quels sont les moyens dontl dispose pour évaluer le dommage corporel aux fins de cetteéparation ? L’expert doit-il procéder seul à l’examen ou bienaut-il préférer un collège de médecins experts, voire une équipeluridisciplinaire à même d’envisager les questions liées à laécurité de la victime dans sa vie quotidienne. Enfin de quelsutils d’évaluation doivent-ils disposer ?

Autant de questions qui aboutissent à une dernière interro-ation liée très directement à la question du caractère révisablee l’évaluation initiale. On sera alors confronté à nouveau àa délicate prise en compte des éléments caractéristiques deette évaluation nouvelle, des éléments interagissant entre euxuisqu’il s’agit toujours du sujet, de son environnement danses différents aspects, de son projet de vie, des tâches qui luincombent et de ses activités. Ces interrogations trouveraient-lles une réponse satisfaisante dans la mise en œuvre de la notione handicap ?

. De l’exploration de la notion de handicap

.1. Les références utilisables

La notion de handicap pourrait être envisagée commene solution possible venant aplanir les confusions entourant’examen expertal. Trois grands axes de conduite peuvent alorstre privilégiés, à savoir l’utilisation des classifications interna-ionales du handicap, le concept de projet de vie individualisé ete recours à un collège de professionnels pluridisciplinaires.

Sur le premier point, si l’évaluation descriptive des activitést des aides à mettre en place impliquant la personne exami-ée et son entourage reste indispensable, l’évaluation expertaleédicale peut venir la compléter. L’expert s’appuiera alors sur

es échelles validées permettant d’aborder un grand nombre de

de l’aide humaine comme modalité de réparation du dom-s pratiques médicale et juridique. Méd droit (Paris) (2014),

omaines. La Classification internationale du fonctionnement,u handicap et de la santé (CIF) dresse ainsi une liste très des-riptive et relativement exhaustive des activités et participations

15 La mission adoptée par le groupe interministériel de travail sur les trau-atisés crâniens indique par exemple les éléments suivants : « En cas de vie à

omicile, (il convient de) se prononcer sur la nécessité pour le blessé d’êtressisté par une tierce personne . . . nécessaire pour pallier l’impossibilité ou laifficulté d’effectuer les actes élémentaires mais aussi les actes élaborés de laie quotidienne. . .» : Groupe interministériel de travail sur les traumatisés crâ-iens : rapport définitif sous la responsabilité de E. Vieux, La Documentationrancaise, juin 2002.

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ue peut avoir un individu. Il en est de même de la classificationuébécquoise de processus de production du handicap (PPH) quiropose une nomenclature des habitudes de vie comprenant lesctivités de la vie quotidienne et des rôles sociaux. Toutes deuxnt leur place dans l’évaluation expertale des différents postes deréjudices et plus particulièrement de celui de la tierce personne.

En décrivant ces activités et en prenant en compte’environnement, ces classifications soulignent la difficulté de’évaluation par la seule approche médicale de celle-ci. Deschelles validées, construites à partir de ces concepts interna-ionaux, permettent l’appréciation des besoins de la personneandicapée dans le cadre du soin et seraient des outils intéres-ants et informatifs pour une telle évaluation. Elles permettraientinsi d’assoir la réparation sur des données objectives dont learactère reproductible et standardisé serait un gage de transpa-ence et d’équité.

.2. Un concept : le projet de vie

Sur le second point, le concept de projet de vie individualiséépond à la réparation du dommage in concreto16, cette appré-iation constituant l’un des dogmes de la réparation intégrale desréjudices. Il est également bien connu en médecine physiquet réadaptation17. Ce principe est défini juridiquement depuiseu par les lois du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005 rénovant’action sociale et médico-sociale18. Ce concept, s’il soulignee caractère complexe et évolutif de l’évaluation personnaliséee la personne en situation de handicap, dépend de nombreuxéterminants à ne pas négliger tels qu’une information complèteecue et comprise, l’absence de déni de la situation de han-icap ou des représentations de la personne, des ressourcesossibles personnelles et environnementales. Mais malgré cesimites, le principe de l’appréciation in concreto présente à notrevis trois grands intérêts dans le cadre de l’évaluation expertale.’une part, il constitue un guide et un outil de référence, fédé-

ateur à la fois pour la personne en situation de handicap etour l’ensemble des intervenants permettant d’harmoniser lesbjectifs de chacun. Il pourrait être accepté comme tel en répa-ation de dommage corporel, structurant ainsi l’évaluation duommage par ces différentes déclinaisons : projet thérapeutique,rojet de compensation, projet professionnel ou de scolarisa-ion/formation, projet de lieu de vie qu’il s’agisse du domicileu d’une institution. D’autre part, s’il est consacré comme assu-ant une réparation intégrale en lieu et place d’un « retour àa situation antérieure », il serait un préalable à l’acceptationar tous de la notion de consolidation écologique et ainsi de

Pour citer cet article : Fiechter-Boulvard F, et al. De l’évaluationmage corporel. Un cas d’espèce caractéristique des difficultés dehttp://dx.doi.org/10.1016/j.meddro.2014.06.003

a révision régulière des aides au cours de la vie de la per-onne/victime en situation de handicap. Enfin, il permettraita confrontation des évaluations et réponses apportées par les

16 Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel. Systèmes’indemnisation. Précis Dalloz, 7e éd. 2012, p. 26.

17 P-M. André, « Le projet de vie et son accompagnement », Cours Cofe-er, 2008, confmer.fr ; N. Sève-Ferrieu, Indépendance, autonomie et qualité

e vie : analyse et évaluations. EMC Kinésithérapie – Médecine physique –éadaptation, 2008.

18 Articles L. 311-3, L.311-4 et L.114-1-1C.Action sociale et des Familles.

epmc

fidclcfi

e & Droit xxx (2014) xxx–xxx 5

ntervenants professionnels aux aspirations de la personne enituation de handicap. Cette confrontation soulignerait parfoise caractère déraisonnable et inflationniste de certains projetsn termes de moyens humains, techniques, architecturaux etnanciers.

.3. La collégialité : une nécessité

Pour finir, l’évaluation de la personne handicapée tout le longe sa prise en charge et tout particulièrement lors de l’élaboratione son projet de vie, doit se faire de manière collégiale, nonar une seule personne mais par une équipe regroupant autouru patient plusieurs professionnels médicaux et para médicaux.a loi du 11 février 2005 souligne l’importance de cette évalua-

ion pluridisciplinaire coordonnée par le médecin, utilisant ainsi’ensemble des bilans techniques paramédicaux réalisés par desrgothérapeutes, kinésithérapeutes, neuropsychologues, ortho-honistes ou assistantes sociale, et cela au même titre que lesxamens complémentaires tels que l’imagerie, les explorationsonctionnelles ou les examens biologiques.

Cette pluridisciplinarité ne serait aucunement synonyme’abandon de la place centrale du médecin expert et ne seraiti systématique ni synonyme de surcoût, mais le garant de’élaboration d’un projet de vie et d’une personnalisation dea réparation intégrale. Afin de respecter au mieux le contra-ictoire, cette expertise pluridisciplinaire pourrait être discutéentre les différentes parties avec le juge, de manière préliminairevant l’expertise au stade situationnelle, et l’équipe de soins êtreualifiée de sapiteur ou de coexpert. De telles équipes existentujourd’hui dans les centres de rééducation ou les maisons duandicap, regroupant de nombreux professionnels spécialisésui pourraient être formés à la pratique de l’expertise et ainsiépondre aux exigences judiciaires.

Inévitablement, l’acceptation d’un tel principe de collégialitéose la question du mode de financement de telles équipes et uneévolution des mentalités. En effet, ces équipes pour la plus part’ont pas d’exercice libéral et certains professionnels tels quees ergothérapeutes et assistantes sociales, ont un exercice nonibéral quasi exclusif. Notre pratique expertale nous a démon-ré toute la difficulté qu’il y a pour les régies des tribunaux,otamment dans le cadre de procédures civiles, à accepter deerser les provisions à un organisme et non à l’expert lui-même.ais accepter une telle procédure de financement n’apparaît pas

nsurmontable en pratique.L’organisme hospitalier, MDPH, pourrait être considéré

omme personne morale et inscrite comme telle sur la liste desxperts. Cette pratique apparaîtrait sans aucun doute comme uneetite révolution des mentalités dans le monde expertal en Franceais pourrait aboutir dans le futur à la création de véritables

entres de recours d’expertises.Ces propositions ne nous semblent pas utopiques ni même

nancièrement insensées, car une juste évaluation serait le gagee dépenses mieux réparties et adaptées pour chaque personne

de l’aide humaine comme modalité de réparation du dom-s pratiques médicale et juridique. Méd droit (Paris) (2014),

oncernée. De même, certaines propositions telles que la col-égialité, pourraient n’être appliquées qu’aux cas de dommageorporel entraînant des situations de handicap graves aux enjeuxnanciers considérables.