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7 actualités Actualités pharmaceutiques n° 479 Novembre 2008 Le jus de pamplemousse était jusqu’alors connu pour être un puissant inhibiteur enzymatique et pour augmenter l’absorption de médicaments. Mais une récente étude clinique nous apprend que les jus de pamplemousse, d’orange et de pomme pourraient, en fait, réduire l’absorption de certains médicaments, donc les rendre inefficaces. L e docteur David G. Bailey, professeur de pharmacolo- gie clinique à l’université de Western Ontario, avait démontré, il y a une quinzaine d’années, que le jus de pamplemousse contient un flavonoïde, la naringine, qui, après transformation en naringénine, est capable d’inhiber les enzymes du cytochrome P450 et en particulier l’isoforme CYP3A4, et ceci, essen- tiellement au niveau de la paroi intestinale 1 . D’autres molécules constitutives du pamplemousse comme la bergamottine ont éga- lement été incriminées. Des surdosages avérés Le métabolisme des médica- ments administrés par voie orale en est altéré. Il en résulte une augmentation des concentra- tions plasmatiques de certaines spécialités comme des inhibi- teurs calciques de la famille des dihydropyridines et, en particu- lier, la félodipine (Flodil ® ). Depuis, d’autres auteurs ont identifié une cinquantaine de molécu- les dont les taux plasmatiques sont affectés par la prise de jus de pamplemousse comme la ciclosporine (Néoral ® ), le tacro- limus (Prograf ® ) ou, plus récem- ment, le vardénafil (Lévitra ® )... Il avait aussi été démontré que de grandes quantités de jus de pamplemousse peuvent aug- menter les concentrations plas- matiques de simvastatine (Loda- lès ® , Zocor ® ) et, plus faiblement, d’atorvastatine (Tahor ® ), ceci pou- vant entraîner des surdosages, et les effets toxiques qui vont de pair. Par ailleurs, il avait même été mis en évidence que la consom- mation de 250 mL de jus de pam- plemousse (soit un verre) peut augmenter de façon marquée la biodisponibilité d’inhibiteurs cal- ciques comme la félodipine, la nicardipine (Loxen ® ), la nifédipine (Adalate ® ), la nimodipine (Nimo- top ® ) ou la nitrendipine (Nidrel ® ), ce qui, parfois, peut modifier leurs effets hémodynamiques 2 . Une efficacité mise à mal En 2008, la même équipe, diri- gée par DG Bailey, a réalisé une étude sur des volontaires sains chez qui a été administré un anti- histaminique H 1 utilisé pour lutter contre les allergies, la fexoféna- dine (Telfast ® ). Ces patients ont été randomisés en trois groupes recevant, par ailleurs, chaque jour, respectivement un verre de jus de pamplemousse, de l’eau contenant de la naringine ou uni- quement de l’eau. Lorsque le médicament était administré avec le jus de pam- plemousse, seule la moitié de la dose était absorbée par les patients par rapport aux per- sonnes recevant de l’eau plate. Or, bien évidemment, perdre la moitié de la dose ingérée peut se révéler critique au regard de l’efficacité de certains médicaments. Les auteurs de l’étude ont même montré que la naringine était l’effecteur responsable car elle était capable de bloquer un transporteur-clé pour l’absorp- tion intestinale de médicaments, appelé polypeptide transpor- teur d’anions organiques 1A2 (OATP1A2) 3 . Si cette étude, dont les don- nées, aussi capitales qu’inat- tendues, ont été présentées au 236 e Congrès national de la Société américaine de chimie, à Philadelphie, fin août dernier, ne concerne que la fexoféna- dine, il ne serait pas surprenant que l’absorption de nombreux médicaments soit altérée par la prise concomitante de jus de pamplemousse. En effet, des anticancéreux (étoposide), cer- tains bêtabloquants (aténolol, céliprolol), certains antibiotiques (ciprofloxacine, lévofloxacine), des antifongiques (itraconazole) et, paradoxalement, la ciclospo- rine ont montré une absorption diminuée par la prise de jus de pamplemousse, mais aussi d’orange et même de pomme. Les jus d’orange et de pomme également incriminés Les jus d’orange et de pomme semblent contenir des molé- cules similaires à la naringine, qui inhiberaient le transporteur OATP1A2. Dans le jus d’orange, il s’agirait de l’hespéridine (un des principes actifs à visée veinotonique contenus dans Daflon ® , Cirkan ® ou Cyclo 3 Fort ® ), la substance responsable contenue dans le jus de pomme n’ayant toujours pas été formel- lement identifiée. De plus, la liste des médicaments effective- ment transportés par la protéine membranaire OATP1A2 reste à démontrer. Recherche De nouvelles raisons d’éviter le jus de pamplemousse avec les médicaments © BSIP/Chassenet Le plus sage est de recommander aux patients prenant des médicaments d’éviter de consommer des jus de pamplemousse, d’orange ou de pomme. Naringine. Hespéridine.

De nouvelles raisons d’éviter le jus de pamplemousse avec les médicaments

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7 actualités

Actualités pharmaceutiques n° 479 Novembre 2008

Le jus de

pamplemousse était

jusqu’alors connu

pour être un puissant

inhibiteur enzymatique

et pour augmenter

l’absorption de

médicaments.

Mais une récente

étude clinique nous

apprend que les jus

de pamplemousse,

d’orange et de pomme

pourraient, en fait,

réduire l’absorption de

certains médicaments,

donc les rendre

inefficaces.

Le docteur David G. Bailey, professeur de pharmacolo-gie clinique à l’université de

Western Ontario, avait démontré, il y a une quinzaine d’années, que le jus de pamplemousse contient un flavonoïde, la naringine, qui, après transformation en naringénine, est capable d’inhiber les enzymes du cytochrome P450 et en particulier l’isoforme CYP3A4, et ceci, essen-tiellement au niveau de la paroi intestinale1. D’autres molécules constitutives du pamplemousse comme la bergamottine ont éga-lement été incriminées.

Des surdosages avérésLe métabolisme des médica-ments administrés par voie orale en est altéré. Il en résulte une augmentation des concentra-

tions plasmatiques de certaines spécialités comme des inhibi-teurs calciques de la famille des dihydropyridines et, en particu-lier, la félodipine (Flodil®). Depuis, d’autres auteurs ont identifié une cinquantaine de molécu-les dont les taux plasmatiques sont affectés par la prise de jus de pamplemousse comme la ciclosporine (Néoral®), le tacro-limus (Prograf®) ou, plus récem-ment, le vardénafil (Lévitra®)...Il avait aussi été démontré que de grandes quantités de jus de pamplemousse peuvent aug-menter les concentrations plas-matiques de simvastatine (Loda-lès®, Zocor®) et, plus faiblement, d’atorvastatine (Tahor®), ceci pou-vant entraîner des surdosages, et les effets toxiques qui vont de pair. Par ailleurs, il avait même été mis en évidence que la consom-mation de 250 mL de jus de pam-plemousse (soit un verre) peut augmenter de façon marquée la biodisponibilité d’inhibiteurs cal-ciques comme la félodipine, la nicardipine (Loxen®), la nifédipine (Adalate®), la nimodipine (Nimo-top®) ou la nitrendipine (Nidrel®), ce qui, parfois, peut modifier leurs effets hémodynamiques2.

Une efficacité mise à malEn 2008, la même équipe, diri-gée par DG Bailey, a réalisé une étude sur des volontaires sains chez qui a été administré un anti-histaminique H1 utilisé pour lutter contre les allergies, la fexoféna-dine (Telfast®). Ces patients ont été randomisés en trois groupes recevant, par ailleurs, chaque jour, respectivement un verre de jus de pamplemousse, de l’eau

contenant de la naringine ou uni-quement de l’eau.Lorsque le médicament était administré avec le jus de pam-plemousse, seule la moitié de la dose était absorbée par les patients par rapport aux per-sonnes recevant de l’eau plate. Or, bien évidemment, perdre la moitié de la dose ingérée peut se révéler critique au regard de l’efficacité de certains médicaments.Les auteurs de l’étude ont même montré que la naringine était l’effecteur responsable car elle était capable de bloquer un transporteur-clé pour l’absorp-tion intestinale de médicaments, appelé polypeptide transpor-teur d’anions organiques 1A2 (OATP1A2)3.

Si cette étude, dont les don-nées, aussi capitales qu’inat-tendues, ont été présentées au 236e Congrès national de la Société américaine de chimie, à Philadelphie, fin août dernier, ne concerne que la fexoféna-dine, il ne serait pas surprenant que l’absorption de nombreux médicaments soit altérée par la prise concomitante de jus de pamplemousse. En effet, des anticancéreux (étoposide), cer-tains bêtabloquants (aténolol, céliprolol), certains antibiotiques (ciprofloxacine, lévofloxacine),

des antifongiques (itraconazole) et, paradoxalement, la ciclospo-rine ont montré une absorption diminuée par la prise de jus de pamplemousse, mais aussi d’orange et même de pomme.

Les jus d’orange et de pomme également incriminésLes jus d’orange et de pomme semblent contenir des molé-cules similaires à la naringine, qui inhiberaient le transporteur OATP1A2. Dans le jus d’orange, il s’agirait de l’hespéridine (un des principes actifs à visée veinotonique contenus dans Daflon®, Cirkan® ou Cyclo 3 Fort®), la substance responsable contenue dans le jus de pomme n’ayant toujours pas été formel-lement identifiée. De plus, la liste des médicaments effective-ment transportés par la protéine membranaire OATP1A2 reste à démontrer.

Recherche

De nouvelles raisons d’éviter le jus de pamplemousse

avec les médicaments

© B

SIP

/Chassenet

Le plus sage est de recommander aux patients prenant des médicaments d’éviter de consommer des jus de pamplemousse, d’orange ou de pomme.

Naringine.

Hespéridine.

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Actualités pharmaceutiques n° 479 Novembre 2008

Conseils à l’officineLe jus de pamplemousse n’a pas fini de nous surprendre et de révéler tous ses secrets. Si l’in-terprétation des résultats d’une étude isolée doit se faire avec prudence, ces données récentes montrent la complexité des inte-ractions entre les médicaments et les jus de fruits. On peut aussi regretter qu’une seule équipe dans le monde semble s’inté-resser à ces interactions ou du moins publie des données sur les effets “iatrogènes” des jus de fruits. En attendant d’y voir plus clair, le plus sage est cer-tainement de recommander aux patients prenant des médica-ments, en particulier à marge thérapeutique étroite, présentant des effets indésirables importants ou destinés à traiter des maladies graves, d’éviter d’en consommer, au minimum lors de la déglutition des formes orales. En effet, il y a fort à parier que la liste, déjà lon-gue, de médicaments touchés, ne va pas manquer de s’allonger dans les années à venir...

Sébastien Faure

Maître de conférences des Universités,

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]

Références1. Bailey DG, Arnold JM, Munoz C,

Spence JD. Grapefruit juice-felodipine

interaction: mechanism, predictability,

and effect of naringin. Clin Pharmacol

Ther 1993; 53(6): 637-42.

2. Glaeser H, Bailey DG, Dresser GK,

Gregor JC, Schwarz UI, McGrath JS,

Jolicœur E, Lee W, Leake BF, Tirona RG,

Kim RB. Intestinal drug transporter

expression and the impact of grapefruit

juice in humans. Clin Pharmacol Ther

2007; 81(3): 362-70.

3. Bailey DG, Dresser GK, Leake BF,

Kim RB. Naringin is a major and

selective clinical inhibitor of organic

anion-transporting polypeptide 1A2

(OATP1A2) in grapefruit juice. Clin

Pharmacol Ther 2007; 81(4): 495-502.

Pour en savoir plusNote de l’Afssaps : http://

afssaps.sante.fr/pdf/10/map-int-

pamplemousse-med.pdf

Consciente qu’une

réforme est nécessaire,

la loi Hôpital patients

santé et territoires

(HPST) devrait se

concentrer sur l’avenir

de la biologie médicale.

Les nouvelles

réglementations

qui seront proposées

par le gouvernement

seront sans doute

directement inspirées

du rapport Ballereau.

Le rapport Ballereau, remis à la fin du mois de septem-bre à Roselyne Bachelot,

rappelle avec force plusieurs principes. Il indique tout d’abord que la « biologie est une disci-pline médicale » qui ne saurait être « assimilée à un service technique ». Il remarque par ailleurs que « l’offre de biologie

médicale doit être réorganisée autour de l’intérêt des patients ». Outre ces principes généraux, le rapport pose plus concrètement la question de l’accréditation des laboratoires. Celle-ci « sera obli-gatoire pour tous les laboratoires de biologie médicale sur la tota-lité des examens » peut-on lire dans la synthèse du document. La totalité de l’activité devra être effectivement accréditée dans six ans selon le souhait de Michel Ballereau.Par ailleurs, concernant la ques-tion cruciale de l’investissement dans les laboratoires de biolo-gie médicale, le rapport propose que celui-ci soit « libre » sous réserve de plusieurs conditions. Celles-ci concernent entre autres la répartition des labora-toires d’analyse sur le territoire, la « réservation de la majorité » aux biologistes médicaux exer-çant, l’interdiction pour un labo-ratoire « d’investir dans d’autres laboratoires » ou encore le main-tien des règles actuelles sur les conflits d’intérêts.

L’ensemble de ces garde-fous n’est cependant pas pour ras-surer totalement les biologistes. L’intersyndicale des biologistes estime ainsi que « l’ouverture totale du capital des laboratoi-res » pourrait « menacer de dis-parition plus de 1 000 laboratoi-res d’analyses ».

Aurélie Haroche

© jim.fr

Biologie

Le rapport sur l’avenir de la biologie médicale

n’apaise pas les inquiétudes

Michel Ballereau, conseiller général des établissements de santé, lors de la remise de son rapport sur la réforme de la biologie médicale.

© B

SIP

/Chagnon

Médicaments à l’hôpital, le CIP propose un nouvel outil interactifLe code UCD (unité commune de dispensation) est un référentiel qui permet notamment de gérer les commandes,

la dispensation et la facturation des médicaments à l’hôpital. Il contribue à améliorer la traçabilité et la sécurisation

du médicament dans le circuit de distribution.

Depuis la mise en œuvre du contrat de bon usage des médicaments en 2006, ce code doit obligatoirement être présent

dans les systèmes d’information de tous les établissements de santé1.

Afin de faciliter la diffusion des codes UCD, le Club Inter Pharmaceutique (CIP)2 lance un nouveau service en ligne gratuit

sur www.ucdcip.org. Il offre à tous les établissements de santé et aux laboratoires pharmaceutiques la possibilité

d’accéder directement à la base de données UCD qui contient des informations quotidiennement actualisées, qu’elles

soient d’ordre technique, règlementaire ou économique.

E.D.

Notes1. Circulaire DHOS/E2/DSS/1C no 2006-30 du 19 janvier 2006, décret n° 2004-546 du 15 juin 2004 relatif à la rétrocession.2. Association interprofessionnelle regroupant tous les acteurs de la chaîne de distribution du médicament.

Dispensation