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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 330—335 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com EXPÉRIENCES PARTAGÉES Débat sur l’euthanasie : du respect de l’autonomie à la négation de la dignité Discussion about euthanasia: From respect of autonomy to negation of dignity Benoît F. Leheup a,,1 , Xavier Ducrocq b a Service régional de soins palliatifs, hôpital Beauregard, groupement des hôpitaux de Thionville, CHR de Metz-Thionville, B.P. 60327, 57126 Thionville cedex, France b Service de neurologie et comité de réflexion éthique nancéien hospitalo-universitaire, CHU de Nancy, Nancy, France Rec ¸u le 16 juillet 2007 ; accepté le 17 octobre 2007 Disponible sur Internet le 5 mars 2008 MOTS CLÉS Éthique ; Euthanasie ; Autonomie ; Consentement éclairé ; Dignité Résumé Le respect de l’autonomie du patient est un argument souvent utilisé pour jus- tifier une éventuelle légalisation de l’euthanasie. Or on peut se demander si cet argument est pertinent et s’il ne masque pas les véritables enjeux du débat. Pour l’éthique moderne, le consentement serait le moyen privilégié de connaître ce que veut l’individu autonome et pourrait à lui seul justifier un acte. Mais il est difficile de vérifier le caractère « libre » du consentement, soumis à de nombreux conditionnements. De plus, le consentement semble inefficace à changer la nature de l’acte auquel on consent. Enfin, l’individu « autonome » n’est pas un individu indépendant, et le respect dû à son autonomie s’inscrit dans le cadre de la vie en société, régulée par la loi. Or une loi légalisant l’euthanasie altérerait la structure du droit en niant l’égalité ontologique entre les sujets. C’est cela qui semble être l’enjeu principal du débat sur la légalisation de l’euthanasie, caché derrière le paravent du respect de l’autonomie : la négation de la dignité de certaines vies. C’est cette négation et non le respect de l’autonomie qui confèrerait à certains le droit de demander la mort et d’être exaucés. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B.F. Leheup). 1 Photo. 1636-6522/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2007.10.001

Débat sur l’euthanasie : du respect de l’autonomie à la négation de la dignité

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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 330—335

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

EXPÉRIENCES PARTAGÉES

Débat sur l’euthanasie : du respect de l’autonomie àla négation de la dignité

Discussion about euthanasia: From respect of autonomy to negation of dignity

Benoît F. Leheupa,∗,1, Xavier Ducrocqb

a Service régional de soins palliatifs, hôpital Beauregard, groupement des hôpitaux deThionville, CHR de Metz-Thionville, B.P. 60327, 57126 Thionville cedex, Franceb Service de neurologie et comité de réflexion éthique nancéienhospitalo-universitaire, CHU de Nancy, Nancy, France

Recu le 16 juillet 2007 ; accepté le 17 octobre 2007Disponible sur Internet le 5 mars 2008

MOTS CLÉSÉthique ;Euthanasie ;Autonomie ;Consentementéclairé ;Dignité

Résumé Le respect de l’autonomie du patient est un argument souvent utilisé pour jus-tifier une éventuelle légalisation de l’euthanasie. Or on peut se demander si cet argumentest pertinent et s’il ne masque pas les véritables enjeux du débat. Pour l’éthique moderne,le consentement serait le moyen privilégié de connaître ce que veut l’individu autonome etpourrait à lui seul justifier un acte. Mais il est difficile de vérifier le caractère « libre » duconsentement, soumis à de nombreux conditionnements. De plus, le consentement sembleinefficace à changer la nature de l’acte auquel on consent. Enfin, l’individu « autonome » n’estpas un individu indépendant, et le respect dû à son autonomie s’inscrit dans le cadre de la vieen société, régulée par la loi. Or une loi légalisant l’euthanasie altérerait la structure du droiten niant l’égalité ontologique entre les sujets. C’est cela qui semble être l’enjeu principal du

débat sur la légalisation de l’euthanasie, caché derrière le paravent du respect de l’autonomie :la négation de la dignité de certaines vies. C’est cette négation et non le respect de l’autonomiequi confèrerait à certains le droit de demander la mort et d’être exaucés.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (B.F. Leheup).

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1636-6522/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.medpal.2007.10.001

Débat sur l’euthanasie : du respect de l’autonomie à la négation de la dignité 331

KEYWORDSEthics;Euthanasie;Autonomy;Consent;Dignity

Summary The respect of the patient’s autonomy is an argument often used to justify a pos-sible legalization of euthanasia. But we can ask if this argument is relevant and if it couldn’tmask the true stake of the debate. For modern ethics, consent is the privileged way to knowwhat an autonomous person wants and could by itself justify an act. But it’s difficult to checkthe freedom of a consent, which is subjected to many conditionings. Moreover, consent seemsto be ineffective to change the nature of a consented action. Lastly, autonomous person isnot independent person and the respect due to its autonomy lies within the scope of a life insociety, regulated by the law. But a law legalizing euthanasia would corrupt the law structure bydenying ontological equality between persons. That seems to be the main stake of the debateon the legalization of euthanasia, hidden behind the folding screen of the respect of autonomy:negation of the dignity of certain lives. It’s this negation and not the respect of autonomy which

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Introduction

Parmi les arguments utilisés dans les débats portant sur lalégalisation de la mort donnée, le respect de l’autonomiedu patient a une place à part, puisque les partisans del’euthanasie considèrent que « le principe d’autonomieoblige à respecter chez chaque individu le soin de définirlui-même ses valeurs et ses raisons de vivre » [1]. Le respectde l’autonomie du patient obligerait à répondre favorable-ment à sa demande et à encadrer légalement la pratique del’euthanasie. Mais loin de répondre à toutes les questions,l’appel au respect de l’autonomie du patient fait naître biendes interrogations.

Il semble qu’on considère actuellement que l’autonomiedu patient s’exprime par son seul consentement, qualifiéde « libre et éclairé ». Le consentement serait le moyende connaître ce que veut l’individu autonome et devraitdonc être considéré comme un principe capable de justifierun acte du point de vue éthique [2]. Mais le consente-ment qu’un patient donne à sa propre mise à mort peut-ilêtre parfaitement libre ? Consentir à un acte change-t-il lanature juridique de cet acte ? Peut-on consentir à n’importequoi ?

Dans le but de « faire d’une liberté un droit » [3], on enappelle à la légalisation de l’euthanasie. Mais peut-on enappeler au droit pour encadrer une pratique qui « altère lastructure relationnelle du droit »[4] ? Existe-t-il un « droit àla mort » qui serait un droit opposable garanti par l’État ?

Le respect de l’autonomie obligerait à répondre auxdemandes du patient, même si celui-ci souhaite la mort.Mais quel est le rôle du regard du soignant dans l’acceptationde cette demande ? Le respect de l’autonomie du patientne risque-t-il pas de céder la place à l’appréciation de sadignité (assimilée à sa qualité de vie) par un tiers ?

Nous allons développer successivement les rapports entrel’autonomie, d’une part, et d’autre part, le consentementéclairé, l’indépendance et la dignité.

Autonomie et consentement éclairé

Le consentement éclairé a aujourd’hui une place majeuredans la réflexion éthique sur la fin de vie et l’euthanasie,ce qui ne va pas sans susciter quelques interrogations. Est-il possible d’affirmer d’un consentement qu’il est libre ? Leconsentement peut-il changer la nature morale ou légale

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require death and to be raised.s droits réservés.

e l’acte pratiqué ? N’est-il pas contradictoire de consentiribrement à ne plus pouvoir exercer sa liberté ?

e consentement à l’euthanasie peut-il êtreibre ?

n peut douter sérieusement de la possibilité pour un indi-idu de prendre une décision de facon totalement autonomen ce qui concerne sa propre mort [4]. De nombreux condi-ionnements, qui peuvent dépendre de la personne et de sasychologie, de la nature même de l’action sur laquelle leujet exprime un jugement, de l’environnement culturel, de’intention ou de la motivation du sujet, du moment où laemande est faite, peuvent influencer la prise de décision.

Parmi les facteurs liés à la personnalité du patient etsa psychologie, certains sont indépendants de l’état de

anté du patient : âge [5], origine culturelle [6], psychismee base, situation familiale [5]. D’autres seront directe-ent liés à la pathologie présentée par le patient : effetse la douleur cancéreuse sur le psychisme du patient [7],éficits fonctionnels diminuant les capacités à exprimer sononsentement.

Dans le cadre de l’euthanasie, l’action sur laquelle on’exprime est sa propre mort. Le patient atteint d’une mala-ie grave et pressentant son caractère létal va vivre desngoisses et des interrogations sur les conditions de sa fin deie. Il sera plus facile de se résoudre à disparaître lorsqu’onait que de toute facon la mort est certaine à plus ou moinsong terme, que lorsqu’on sait qu’il y a un espoir de guérison.e fait même de se savoir en fin de vie va orienter les choixu patient, quelles que soient, par ailleurs, sa psychologieu ses motivations.

Plusieurs articles mettent en avant l’existence d’unbiais culturel » qui ferait que la définition et la placeccordée au principe d’autonomie varieraient selon les pays8,9]. Ce « biais culturel » peut être renforcé par l’action deoyens de conditionnements de masse, tels que les médias,ui peuvent être mobilisés par des groupes de pression. Danse cas du débat sur l’euthanasie, le rôle de la presse semblee tout premier ordre [10,11].

On peut également s’interroger sur ce qui pousse cer-ains patients à demander l’euthanasie. La motivation desatients est souvent plus à chercher du côté de la peure l’inconnu [12], des symptômes pénibles ou de difficultésnancières liées à la dépendance [13].

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st-on libre de ne plus être libre ?

our Sgreccia [14], tout acte libre suppose en réalité la viexistante de l’homme qui le pose : la vie vient avant laiberté parce qu’on ne peut être libre que si l’on est vivant.e droit à l’autonomie n’inclut pas le droit de ne plus êtreutonome [12].

Kant et Mill ne disent rien d’autre quand l’un consi-ère le suicide comme « tout à fait contraire au suprêmeevoir que nous avons envers nous-mêmes, car il supprimea condition même de l’accomplissement de tous nos autresevoirs »1 [15] et l’autre affirme que « le principe de libertée peut exiger qu’il soit libre de n’être pas libre. Ce n’estas liberté que d’avoir la permission d’aliéner sa liberté »2

16].

e consentement change-t-il la nature de’acte auquel on consent ?

a question est simple : « Peut-on penser que le simple faite donner son consentement à un acte modifie la nature de’acte lui-même au point qu’une action illégitime devienneégitime? » [2]. Il faut affirmer ici que le consentement’est pas à lui seul un principe justificateur. Il n’est qu’uneondition légale requise à l’accomplissement de certainesctions, permettant de protéger un individu des actes desutres. Il ne suffit pas qu’un acte soit choisi pour qu’il soitoral ou légal. Le consentement est inefficace pour justi-er l’homicide pratiqué par un médecin à la demande duatient : la vie constitue une valeur indisponible.

Le consentement semble donc inefficace à changer laature morale ou légale de la mort donnée.

Le consentement, considéré comme l’expression de’autonomie du patient, soulève plusieurs problèmes quandl est utilisé pour justifier l’euthanasie. Tout d’abord, il’est pas possible de savoir si le consentement exprimeéellement la volonté autonome du patient tant il est sou-is aux influences extérieures. Ensuite, quand bien même

e consentement serait parfaitement autonome, il seraitontradictoire qu’au nom de l’autonomie, une volontéonsente à ne plus pouvoir être autonome. Enfin, si on consi-érait qu’il n’est pas contradictoire qu’un individu consenteibrement à ne plus être libre, le consentement serait inca-able de changer la nature de l’acte auquel on consent.

utonomie et indépendance

es discussions sur la légalisation de l’euthanasie sontonduites à partir d’arguments le plus souvent éthiquesu religieux, parfois démographiques ou sociologiques, trèsarement juridiques. Or pour les juristes, « la question de’euthanasie est, avant d’être une question éthique, une

uestion juridique » [4]. Pour les partisans de l’euthanasie,e patient autonome serait seul concerné par sa demande eturait un droit à la mort qui serait opposable. Il reviendraitl’État d’assurer légalement un égal accès à l’euthanasie.

1 E. Kant, Lecons d’éthique, p. 270.2 J.S. Mill, De la liberté, p. 221.

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B.F. Leheup, X. Ducrocq

ais n’est-il pas paradoxal d’en appeler à la loi pour enca-rer une pratique anomique ?

onner la mort à un malade consentant neoncerne-t-il que lui ?

e fait de considérer que le sens d’une vie n’appartientu’à son dépositaire est un argument qui se veut décisif enaveur de la légalisation de l’euthanasie. Donner la mort

un malade qui le demande ne concernerait que lui et’entraînerait pas de conséquences pour les tiers. Il n’yurait donc aucune raison de lui refuser ce qu’il demande.et argument ne résiste pas longtemps à la contradiction.n effet, « il n’est que de constater le deuil qu’ont à porteres proches d’une personne suicidée pour comprendre quee sens d’une vie appartient à la fois à son dépositaire et àon entourage, de facon indissociable » [17].

Le patient qui demande l’euthanasie ne peut pas, ou neeut pas, mettre fin lui-même à ses jours et a besoin d’uniers pour parvenir à ses fins. L’euthanasie concerne donc paréfinition le patient et le tiers impliqué dans la demande,ous deux co-responsables de la vie du patient.

Si le fait de donner la mort à un malade consentant neoncernait que lui, il n’y aurait pas lieu de s’interrogerur la nécessité de légaliser l’euthanasie. L’euthanasieourrait être assimilée à un suicide, qui n’est plus unrime dans notre pays depuis 1791 [2]. Si les partisans de’euthanasie souhaitent un changement législatif, c’est bienarce qu’ils savent que le fait de donner la mort à unatient consentant concerne le patient qui fait la demandet le tiers qui y répond. Il faut donc concilier l’autonomieu sujet qui demande à être euthanasié et celle du tiersui répond favorablement à cette demande, que ce tiersoit envisagé comme individu ou comme corps social consti-ué (corps médical, par exemple). C’est bien parce que’autorisation de donner la mort à un malade ne regardeas que lui que nous allons nous interroger sur l’existence’un « droit à la mort » et la possibilité de l’inscrire dans laoi.

xiste-t-il un « droit à sa propre mort » ?

out d’abord, l’évidence veut qu’on rappelle que mourir estne condition de la nature humaine. Ce qui est en cause’est pas le « droit de mourir » mais le « droit de se faireourir » et le « droit de faire mourir les autres ».Plusieurs instances francaises ou européennes se sont

rononcées sur l’existence d’un droit de mourir, pour leontester. D’une part, la Cour européenne des Droits de’homme qui a rejeté dans l’affaire Pretty l’existence d’unroit à mourir qui serait le parallèle du droit à la vie garantiar l’article 2 de la Convention européenne des Droits de’homme [18]. D’autre part, le Comité consultatif national’éthique qui « renonce à considérer comme un droit dontn pourrait se prévaloir, la possibilité d’exiger d’un tiersu’il mette fin à une vie. La valeur de l’interdit du meurtreemeure fondatrice » [19].

Mais s’il n’existe pas de « droit à la mort », il existeel et bien un « droit de la mort » qu’on peut décliner endroit à mourir dans la dignité » et « droit de laisser mou-ir ». Le « droit à mourir dans la dignité », défini par la Coururopéenne des Droits de l’homme, s’ajoute à celui de la

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Débat sur l’euthanasie : du respect de l’autonomie à la néga

protection humaine [20] mais n’implique pas le devoir demettre fin aux jours du patient. Le « droit à laisser mourir »est déjà prévu par les textes officiels ; la loi du 22 avril 2005relative aux droits des malades et à la fin de vie affirmantle refus de l’obstination déraisonnable et la possibilité pourun malade d’arrêter ou de ne pas entreprendre des soinsfutiles, tout en assurant la qualité de vie du malade et enrefusant l’euthanasie.

La légalisation de l’euthanasie est réclamée par ses par-tisans afin de mettre un terme à ce qui est pour eux unehypocrisie à savoir la pratique d’euthanasies clandestines.Légaliser l’euthanasie permettrait de faire disparaître lesexceptions actuelles, qui rentreraient dans la norme. Maisle droit, entendu comme une déclaration générale, s’adaptemal aux situations extrêmes dont la fin de vie est un desmodèles. Croire que légaliser l’euthanasie suffirait à rendrefaciles toutes les situations est une illusion. Et quand bienmême une loi autorisant un individu à mettre fin aux joursd’un autre individu serait efficace pour répondre à toutes lesdétresses de la fin de vie, ne serait-elle pas en contradictionavec l’objet du droit ?

Le droit civil et le droit en général ont pour fonctionde régler les rapports entre les personnes. Tout d’abord, ledroit ne pourrait consacrer, sans se contredire, un rapportdont l’objet porterait sur la suppression d’un des sujets dece rapport : il s’anéantirait lui-même dans l’anéantissementde la personne [21]. De plus, si le droit garantit les rap-ports entre les personnes, il s’agit plus précisément desrapports entre deux sujets dotés d’une égalité ontologique.Or l’euthanasie n’est pas un acte simple et nécessite uneprocédure qui peut aller jusqu’à la formalisation du tes-tament de vie. Cette procédure implique deux sujets : lepatient et l’opérateur, celui qui donne et celui qui recoitle mandat. Soit le mandat ne peut être remis en cause etl’opérateur est obligé d’intervenir, soit le mandat peut êtreremis en cause et le patient ne peut jamais être sûr queses volontés seront respectées. Donc soit le sujet est maîtrede la conscience de l’opérateur, soit l’opérateur est maîtrede la vie du sujet. Un des acteurs est donc réduit à l’étatd’objet et la relation intersubjective, garantie par le droit,est dissoute. Ainsi, l’euthanasie altérerait la structure rela-tionnelle du droit [4].

Autonomie et dignité

Après nous être interrogé sur la possibilité qu’une demanded’euthanasie soit véritablement « autonome » et sur la per-tinence du fondement sur l’autonomie de la demande delégalisation de l’euthanasie, il faut maintenant chercher àsavoir si le médecin choisissant de répondre favorablementà une demande d’euthanasie le fait d’abord pour respecterla volonté du patient ou si d’autres considérations primentsur le respect de l’autonomie.

L’autonomie est-elle le seul mobile dumédecin pratiquant l’euthanasie ?

Pour montrer que c’est bien le respect de l’autonomie quiles motive, les partisans de l’euthanasie expliquent que « leprincipe d’autonomie oblige à respecter chez chaque indi-vidu le soin de définir lui-même ses valeurs et ses raisons de

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de la dignité 333

ivre » [1]. Le tiers acceptant de pratiquer une euthanasie neerait motivé que par la demande autonome du patient quist seul capable de dire si sa vie vaut encore d’être vécue.ous pensons pour notre part que le tiers impliqué dans uneemande d’euthanasie n’est pas motivé uniquement par laemande du patient, mais aussi par le jugement qu’il porteur la situation. Il nous semble que le tiers répond favo-ablement à une demande d’euthanasie non pas, d’abord,arce que la demande lui est faite mais d’abord, parceu’il pense que c’est la réponse adaptée à la situation duatient.

Prenons un exemple simple que nous empruntons àtienne Montero [22]. Que ferait un partisan de l’euthanasieace à une jeune adolescente autonome qui demande dansa détresse qu’on l’aide à mourir. La réponse est immédiate :Ce n’est pas la même chose ». Pourtant, si l’on s’en tientla demande formulée, il n’y a pas de différence entre une

eune adolescente « qui demande qu’on l’aide à mourir » etn patient en fin de vie « qui demande qu’on l’aide à mou-ir ». Si l’on considère que les situations sont différentes,’est bien parce que l’on est motivé par autre chose quear la seule demande du patient. Notre réponse est condi-ionnée par un jugement de valeur : la vie de l’adolescenteaut d’être vécue, la vie du malade en phase terminalee vaut pas d’être vécue. Ce n’est donc pas l’autonomieu patient qui est première pour motiver la réponse àpporter à une demande d’euthanasie, mais ce qu’onourrait appeler « l’hétéroévaluation » de la dignité duatient.

a dignité, première par rapport à’autonomie ?

our Jean Cohen, « les partisans des soins palliatifs consi-èrent que la dignité est percue par le moribond dans leegard des autres. Mais si la dignité est dans le regard de’autre, cela veut dire que ma dignité se juge à la mesure dea compassion des autres. Ma dignité n’est plus une marquee ma liberté ou de mon autonomie, elle est fonction desutres » [1]. Il semble effectivement dans ce cas que leatient recoit du regard de l’autre une dignité dont il nee croyait plus possesseur. La dignité est dans le regard de’autre, mais pour y être affirmée. La position des partisanse l’euthanasie est plus dangereuse, car le patient voit saignité niée par le regard de celui qui accepte de répondreavorablement à sa demande d’euthanasie. Reprenons notrexemple. Les deux patients auraient beau considéré leursies comme profondément indignes, personne ne voudraitépondre favorablement à la demande de la jeune adoles-ente (même en cas de légalisation de l’euthanasie) parceu’il serait considéré que sa vie vaut d’être vécue. Le cri-ère discriminant ne serait donc ni l’autonomie du patientqui s’exprime dans sa demande), ni le fait qu’il considère saie comme indigne, mais le fait que la société considéreraitu’une vie vaut d’être vécue et non l’autre.

Pourquoi alors mettre en avant le respect de l’autonomieu patient et ne pas affirmer plus clairement que ce qui est

n jeu, c’est l’appréciation par la société de la dignité de sesujets ? Parce que le respect de l’autonomie du patient est leoncept le plus apte à servir le « compromis en démocratieluraliste » [22] qu’appellent de leurs vœux les partisans de’euthanasie.

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e la « nécessité du compromis en démocratieluraliste »

a seule possibilité, « dans une société sans dogme imposéroi, religion, parti. . .) »[1] serait de s’en tenir à une solu-ion neutre ne cherchant pas à répondre à la question : « Laie, droit ou obligation ? » [3]. Cette voie neutre serait cellee la légalisation qui permettrait d’assurer « la cohabitationaisible de ceux qui choisissent dans un sens et de ceux quihoisissent dans l’autre » [3].

L’appel au respect de l’autonomie du patient pourraitouer le rôle de plus petit dénominateur commun éthique,ermettant simplement de considérer comme éthique cequoi le patient consent. Nous pourrions entendre cet

rgument s’il était possible d’affirmer que l’autonomieu patient s’exprime à travers son consentement libre etclairé et si, au plan philosophique et légal, l’expressione l’autonomie individuelle n’entrait pas en contradictionvec la possibilité pour un tiers de supprimer toute capacité’exercer son autonomie.

Nous sommes déjà plus sceptique quand, au nom duespect de l’autonomie, est nié le droit du législateure s’exprimer sur les sujets éthiques qui devraient resterans la sphère de la conscience individuelle. Cette positionemble ni plus ni moins dogmatique qu’une autre.

Mais le plus difficile à comprendre est que, au nom dea tolérance, les partisans de l’euthanasie veuillent impo-er leur vision de la dignité. Derrière l’arbre du respect de’autonomie se cache la forêt de la négation de la dignitée certaines vies. La conception de la dignité prônée pares partisans de l’euthanasie n’est pas neutre philosophi-uement. Elle impose à tous le fait que la dignité estesurable à l’aune de la qualité de vie. En perdant en qua-

ité de vie, on perdrait en dignité. Cette approche est enotale opposition avec la philosophie moderne des Droits de’homme qui est fondée sur la notion classique de la dignité :’homme possèderait une dignité intrinsèque en raison dea seule appartenance au genre humain. Le préambule dea Déclaration universelle des Droits de l’homme adopté auendemain de la Seconde Guerre mondiale (ce qui n’est pasn hasard) affirme qu’il existe une « dignité inhérente à touses membres de la famille humaine » et précise que « tous lestres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit »article 1). La vision objective de la dignité étant une garan-ie contre l’arbitraire et les abus, son abandon serait lourde conséquence et ne devrait pas être décidé à la légère22]. La conception subjective de la dignité trahit le préam-ule de la déclaration universelle des droits de l’homme :i les hommes « naissent » effectivement libres et égaux enignité et en droit, les hommes « ne meurent pas » libres etgaux en dignité, certains « méritant » qu’on abrège leursours et d’autres non. . .

onclusion

’idée est en voie de s’imposer chez nos concitoyens qu’il

aut légaliser l’euthanasie pour répondre à la demande desersonnes en souffrance qui ne voient d’autre issue queeur propre mort. Il faudrait dépasser l’interdit fondamen-al du meurtre pour répondre à la demande des patientst, ainsi, respecter leur autonomie. Or il nous semble que

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B.F. Leheup, X. Ducrocq

’utilisation de l’argument de l’autonomie n’est pas effi-ace pour justifier la légalisation de l’euthanasie et, plusondamentalement, qu’il masque les véritables enjeux duébat.

Dans le cadre du débat sur la fin de vie, il est difficilee vérifier le caractère « libre » du consentement, soumisde nombreux conditionnements. Le consentement est de

lus inefficace à justifier la légalisation de l’euthanasie car,’une part, il est contradictoire qu’un individu « autonome »oit libre de ne plus être libre et, d’autre part, le consente-ent à un acte ne peut changer sa nature.L’individu « autonome » n’étant pas un individu isolé,

ndépendant, le respect dû à son autonomie s’inscrit dans leadre de la vie en société, régulée par la loi. Or une loi léga-isant l’euthanasie altérerait la structure du droit en niant’égalité ontologique entre les sujets.

C’est précisément cela qui nous semble l’enjeu princi-al du débat sur la légalisation de l’euthanasie, masqué pare paravent du respect de l’autonomie : la négation de laignité de certaines vies, l’inscription dans la loi de leurnutilité. C’est cela et non le respect de leur autonomie,ui conférerait à certains le droit de demander la mort et’être exaucés.

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de l’institut de criminologie de Paris 2006;5:79—85.

tion

[

Débat sur l’euthanasie : du respect de l’autonomie à la néga

[18] Arrêt de la chambre dans l’affaire Pretty/Royaume Uni du 29avril 2002 suite à la requête no 2346/02, communiqué du gref-fier, 2002.

[19] Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie. Comité Consultatif Natio-nal d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé. 2000;Avis no 63.

[20] Brehaux K. Les dispositions européennes en matièred’euthanasie : l’évolution d’un concept juridique, le droit de

[

de la dignité 335

mourir. Actes du 10e congrès national de la société francaisede soins palliatifs; 2004 juin; 2004.

21] Sicard D. Médicalisation et juridiciarisation de la fin de

vie. Revue de l’institut de criminologie de Paris 2006;5:33—7.

22] Montero E. Le droit à l’autonomie dans le débat sur la légalisa-tion de l’euthanasie volontaire : un argument en trompe-l’œil ?Revue générale de droit médical. (3):69—88.