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DES PRINCIPES OPÉRATIONNELS AUX PROGRAMMES D'EPS PAR C. PINEAU - 1 re PARTIE Quelles sont les voies qui peuvent désormais conduire à l'élaboration de programmes en éducation physique et sportive ? Les finalités assignées à cette discipline ne se discutent pratiquement plus. Elles la définissent (1) par rapport aux objectifs généraux de l'éducation. La démarche est parfaitement légitime, car toute discipline d'enseignement se définit par les fina- lités qui sont les siennes. Les mathématiques, les langues comme les technologies industrielles n'ont pas d'autres démarches. Les enseignements ne sont suspects (2), nous le savons bien, que lorsque leurs propres finalités deviennent « particulières » et ne s'intègrent pas dans celles, plus générales, de l'éducation. Reste alors, pour que puisse être entreprise l'élaboration d'un programme, à se référer à la construction didactique de cet enseignement, c'est-à-dire à fixer la méthodologie permettant de construire les contenus d'enseignement. C ette méthodologie comprend différentes phases, non hiérarchisées, non chronolo- giques, simultanées, toutes contempo- raines de l'analyse didactique : (1) La détermination des chemins permettant d'at- teindre les objectifs de la discipline, ceci pour le premier degré, le second degré, et par classes (en tenant compte de l'équilibre des contenus d'ap- prentissage, de leur progressivité et de l'âge des élèves). @ Cette démarche se réalisera en tenant compte du choix des activités. Ces dernières ont pour ob- jectif essentiel de mettre en jeu et de développer la motricité. Ce choix s'exercera, par conséquent, selon les domaines répertoriés des effets attendus de leur pratique. Il s'agit là de critères dont nous avons dit que, reposant sur la relation des élèves avec la nature des pratiques, ils fournissaient les références didactiques les plus pertinentes pour choisir des activités (3) et autorisaient les indis- pensables équilibres permettant de satisfaire l'en- semble des objectifs de l'éducation physique et sportive. Enfin, il est évident que ces choix por- teront sur les groupements d'activités (4) tels qu'ils sont proposés dans les instructions offi- cielles. A cet égard, si le classement des pra- tiques physiques et sportives par familles appa- raît, depuis longtemps, d'un intérêt limité, il offre, cependant, une facilité d'utilisation et une référence qui peuvent s'avérer pertinentes au plan des représentations sociales attachées aux pratiques physiques et sportives. @ Les connaissances et les savoirs seront alors identifiés par le traitement didactique et pédago- gique des pratiques retenues, à partir des trois principes opérationnels (réaliser), les principes d'action (identifier, apprécier, organiser l'action), les principes de gestion des moyens (gérer, pré- parer et accompagner l'action). 4 Il sera alors établi, pour l'ensemble des classes de l'établissement, des fiches-programme corres- pondant à chaque activité choisie. Bien entendu, il sera tenu compte des moyens horaires dont la discipline dispose. Ce sont eux, évidemment, qui limiteront le nombre de fiches et leurs contenus dans le cadre des choix opérés. Si la méthodologie est la partie incontournable, le viatique nécessaire à l'élaboration de pro- grammes permettant une unité de conception, nous voyons bien que les connaissances et les sa- voirs, définis pour chaque niveau de classes en fonction des objectifs de la discipline, constitue- ront les programmes proprement dits. A cet égard, les activités choisies en seront à la fois le vecteur, afin de répondre aux première et troisiè- me finalités de l'éducation physique, mais égale- ment les fondements, en réponse à la seconde fi- nalité. L'évaluation aux examens et la certification éta- bliront enfin la cohérence d'un système dont les éléments adaptables seront les conditions d'en- seignement et les options pédagogiques consti- tuant le fond commun de formation des ensei- gnants. Ces fiches-programme ne seront pas le simple découpage technique d'une activité physique ou sportive par palier d'apprentissage, telles qu'elles existent actuellement dans la majorité des pro- grammations d'établissement, elles seront éta- blies à partir de l'analyse des « données essen- tielles » qui formeront, dans cette activité, l'en- semble des connaissances à acquérir et des savoirs à construire pour que soient atteintes les finalités de la discipline. C'est là, finalement, qu'interviennent les principes, opérationnels, d'action et de gestion des moyens. Etant donné une production récente et relative- ment importante traitant de ces thèmes, pour ré- pondre également à certaines interrogations, il nous a semblé souhaitable de proposer quelques réflexions concernant les concepts de connais- Revue EP.S n°239 Janvier-Février 1993 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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DES PRINCIPES OPÉRATIONNELS

AUX PROGRAMMES D'EPS

PAR C. PINEAU - 1 r e PARTIE

Quelles sont les voies qui peuvent désormais conduire à l 'élaboration de programmes en éducation physique et sportive ? Les finalités assignées à cette discipline ne se discutent pratiquement plus. Elles la définissent (1) par rapport aux objectifs généraux de l 'éducation. L a démarche est parfaitement légitime, car toute discipline d'enseignement se définit par les fina­lités qui sont les siennes. Les mathématiques, les langues comme les technologies industrielles n'ont pas d'autres démarches. Les enseignements ne sont suspects (2), nous le savons bien, que lorsque leurs propres finalités deviennent « particulières » et ne s'intègrent pas dans celles, plus générales, de l 'éducation. Reste alors, pour que puisse être entreprise l 'élaboration d 'un programme, à se référer à la construction didactique de cet enseignement, c'est-à-dire à fixer la méthodologie permettant de construire les contenus d'enseignement.

Cette méthodologie comprend différentes phases, non hiérarchisées, non chronolo­giques, simultanées, toutes contempo­

raines de l'analyse didactique : (1) La détermination des chemins permettant d'at­teindre les objectifs de la discipline, ceci pour le premier degré, le second degré, et par classes (en tenant compte de l'équilibre des contenus d'ap­prentissage, de leur progressivité et de l'âge des élèves). @ Cette démarche se réalisera en tenant compte du choix des activités. Ces dernières ont pour ob­jectif essentiel de mettre en jeu et de développer la motricité. Ce choix s'exercera, par conséquent, selon les domaines répertoriés des effets attendus de leur pratique. Il s'agit là de critères dont nous avons dit que, reposant sur la relation des élèves avec la nature des pratiques, ils fournissaient les références didactiques les plus pertinentes pour choisir des activités ( 3 ) et autorisaient les indis­pensables équilibres permettant de satisfaire l'en­semble des objectifs de l'éducation physique et sportive. Enfin, il est évident que ces choix por­teront sur les groupements d'activités (4) tels qu'ils sont proposés dans les instructions offi­cielles. A cet égard, si le classement des pra­tiques physiques et sportives par familles appa­

raît, depuis longtemps, d'un intérêt limité, il offre, cependant, une facilité d'utilisation et une référence qui peuvent s'avérer pertinentes au plan des représentations sociales attachées aux pratiques physiques et sportives. @ Les connaissances et les savoirs seront alors identifiés par le traitement didactique et pédago­gique des pratiques retenues, à partir des trois principes opérationnels (réaliser), les principes d'action (identifier, apprécier, organiser l'action), les principes de gestion des moyens (gérer, pré­parer et accompagner l'action). 4 Il sera alors établi, pour l'ensemble des classes de l'établissement, des fiches-programme corres­pondant à chaque activité choisie. Bien entendu, il sera tenu compte des moyens horaires dont la discipline dispose. Ce sont eux, évidemment, qui limiteront le nombre de fiches et leurs contenus dans le cadre des choix opérés. Si la méthodologie est la partie incontournable, le viatique nécessaire à l'élaboration de pro­grammes permettant une unité de conception, nous voyons bien que les connaissances et les sa­voirs, définis pour chaque niveau de classes en fonction des objectifs de la discipline, constitue­ront les programmes proprement dits. A cet égard, les activités choisies en seront à la fois le

vecteur, afin de répondre aux première et troisiè­me finalités de l'éducation physique, mais égale­ment les fondements, en réponse à la seconde fi­nalité. L'évaluation aux examens et la certification éta­bliront enfin la cohérence d'un système dont les éléments adaptables seront les conditions d'en­seignement et les options pédagogiques consti­tuant le fond commun de formation des ensei­gnants. Ces fiches-programme ne seront pas le simple découpage technique d'une activité physique ou sportive par palier d'apprentissage, telles qu'elles existent actuellement dans la majorité des pro­grammations d'établissement, elles seront éta­blies à partir de l'analyse des « données essen­tielles » qui formeront, dans cette activité, l'en­semble des connaissances à acquérir et des savoirs à construire pour que soient atteintes les finalités de la discipline. C'est là, finalement, qu'interviennent les principes, opérationnels, d'action et de gestion des moyens. Etant donné une production récente et relative­ment importante traitant de ces thèmes, pour ré­pondre également à certaines interrogations, il nous a semblé souhaitable de proposer quelques réflexions concernant les concepts de connais-

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sance et de savoir. Nous en profiterons pour re­venir également sur les notions de principe opé­rationnel, de principe d'action et de « transversa-lité des apprentissages ».

LES CONNAISSANCES

ET LES SAVOIRS

Nous avons déjà souligné ( 5 ) combien, selon nous, en éducation physique et sportive, les no­tions de connaissance et de savoir sont présentes et apparaissent comme les clés permettant l'ap­proche de ce que devrait être un programme dans cette discipline. Constatons toutefois que nulle part autant qu'en éducation physique (sauf peut-être dans le do­maine des enseignements techniques et technolo­giques), ce débat sur les connaissances et les sa­voirs semble avoir atteint une telle acuité. En effet, au sens le plus courant, la notion de sa­voir est rarement attachée, dans nos cultures oc­cidentales, aux activités autres que mentales. Or, nous pensons que savoir implique une mise en œuvre de la capacité d'agir. Le concept de « savoir » est souvent lié à celui de « pouvoir », sans doute parce que savoir c'est aussi prévoir les effets de l'action et par conséquent être assuré, en quelque sorte par l'expérience, que ces effets peuvent être reproduits et que l'on en maîtrise la réalisation. Savoir comme substantif (le savoir ou les sa­voirs) est surtout employé dans le sens de connaissance. Il est toutefois apporté à cette ac­ception une distinction en précisant qu'il s'agit plutôt d'un ensemble de connaissances systéma­tisées, acquises par une activité mentale soute­nue (6). Ce débat pourrait donner à penser qu'au cours de l'élaboration de notre culture, le verbe savoir a été substantivé et coupé de ses racines actives, l'homo sapiens repoussant inconsciemment l'ho-mofaber dans les lointains de l'oubli. C'est évidemment le verbe « savoir », lorsqu'il est suivi d'un infinitif et au sens générique, qui nous intéresse, tel que : savoir lire, compter, mar­cher, nager ou usiner une pièce. « Savoir faire » en est alors la forme indéfinie et générale. Là en­core le verbe s'est substantivé pour traduire une sorte d'habileté générale : le savoir-faire. Mais li­re, compter, sauter ou danser sont des savoirs dont l'identique construction exige l'engagement et l'implication de la personnalité. C'est par une extension du langage que les uns sont classés en savoirs et les autres en « savoir-faire ». Ainsi, le plus fréquemment, tout se passe comme si les savoirs différaient de nature selon qu'ils ont été élaborés par des étages supérieurs ou nobles de l'être humain ou par des étages inférieurs. Or, les savoirs se déterminent non par l'interven­tion d'hypothétiques niveaux d'intégration mais bien par l'être dans sa totalité tant il est vrai qu'il faut une intime et active communication avec l'information, la connaissance et la compréhen­sion pour que celles-ci deviennent savoirs (7). Ce sont les domaines sur lesquels s'exercent la compréhension et le pouvoir d'agir qui définis­sent et diversifient les savoirs. Seules les carac­

téristiques d'une société amènent celle-ci à les hiérarchiser. Si la connaissance est l'appropriation des rap­ports qui lient le sujet et l'objet et, d'une manière générale, les phénomènes entre eux, le savoir est l'élaboration individuelle, à partir des connais­sances, d'un pouvoir que l'on se donne pour pré­voir et agir. Il s'agit là d'un acte personnel qui donne accès à l'autonomie. Nous sommes obli­gatoirement acteurs des savoirs que nous construisons (8 ) . A cet égard, si connaître suppose une attitude dé­jà active ou, pour le moins, une adhésion de l'en­tendement impliquant la compréhension, savoir implique une véritable construction par le sujet, mettant en jeu sa volonté, sa participation et sa relation à l'expérience. On peut s'interroger sur l'origine de telles ambi­guïtés. Elle pourrait nous venir de l'Université où, par définition, l'enseignant est également chercheur et où le connaître est étroitement lié au savoir et implique la maîtrise de la réalisation. En tout état de cause, les frontières, mal définies entre les concepts de connaissances et de savoirs, apparaissent relativement bien acceptées lors­qu'il s'agit d'activités mentales et donnent lieu, le plus souvent, à des « compromis sémantiques ». Ces compromis sont par contre difficilement re-cevables lorsqu'il s'agit des domaines de l'action et du mouvement, là où l'utilisation du verbe sa­voir ne peut s'entendre que suivi d'un infinitif. C'est alors qu'apparaissent les divergences au plan de la compréhension, divergences entrete­nues par des oppositions d'origines sémasiolo-gique (9) et onomasiologique (10). Or, en éducation physique, il est couramment fait référence, pour rendre compte de la maîtrise de certaines techniques, voire de certaines sciences, à des savoir-faire ou à des savoirs pratiques. Constatons à cet égard que ces expressions, dans le domaine de la pédagogie, créent de très graves difficultés aux disciplines d'enseignement qui, parce qu'elles répondent à de nouveaux besoins de la société, sont d'apparition récente. En effet, il ne leur est pas facilement accordé d'être déten­trices et génératrices de savoirs. Tomber dans le piège qui consiste à énumérer les savoirs en fonction d'objectifs d'apprentissage, nous semble présenter des dangers et offrir la ten­tation de distinguer les verbes savoir et faire et d'en souligner les différences en les juxtaposant dans leur forme substantivée : « savoir-faire ». Le risque est identique si l'on utilise les concepts, outre celui de savoir-faire, de savoirs théoriques (dont il est dit par ailleurs qu'ils sont des connais­sances objectives du réel), de savoirs pratiques et de savoirs procéduraux.

En mathématiques, on connaît un théorème, mais on « sait » résoudre un problème. Un chirurgien opère, il met en œuvre des connaissances et des savoirs, mais il opère parce qu'il « sait » et seules les connaissances ne lui permettraient pas « d'in­tervenir ». Bien que l'on parle de praticien, ose­rait-on dire que les savoirs du chirurgien sont des savoir-faire ou des savoirs pratiques ? Ces dérives sémantiques pourraient ne pas être préoccupantes si elles ne nous apportaient pas, pour les compenser, un cortège de concepts : ca­pacité, compétence, habileté et autres succéda­nés du vocabulaire didactique qui, pour être re-cevables dans d'autres domaines, obscurcissent assez gravement le débat dans celui de l'ensei­gnement. Tous sont évasifs, généraux, globali­sants et compromettent l'identification des sa­voirs en éducation physique (11) qui, nous le sa­vons, doivent être déterminés en fonction des principes attachés à la motricité.

PRINCIPES OPÉRATIONNELS,

PRINCIPES D'ACTION

Les données essentielles Les contenus d'enseignement font appel à des connaissances et à des savoirs. Aucun système d'éducation ne peut espérer que dans les domaines scientifiques et culturels cou­verts par les disciplines enseignées, les savoirs, en tant que maîtrise d'un « pouvoir d'agir », soient constamment présents et accompagnent l'ensemble des connaissances proposées. Seul un très haut niveau scientifique aura, par définition, pour exigence de réunir le « connaître » et le « pouvoir ». Toutefois, l'ensemble des connaissances « inter­médiaires » ou partielles, structurantes de connaissances plus complexes, sous-tendent des possibilités d'élaboration de savoirs également « intermédiaires » ou séquentiels, accessibles aux différents niveaux de formation. C'est une des fonctions premières de la pédagogie. Un en­fant connaît les procédés de la multiplication : bien que ne connaissant pas les fondements du raisonnement arithmétique relatif à cette opéra­tion, il saura multiplier un nombre par un autre. Sur la base d'un enrichissement de ses connais­sances, ce « savoir » (12) l'aidera ultérieurement à l'élaboration de savoirs plus complexes. Les contenus d'enseignement sont évidemment fonction des finalités de l'éducation physique et sportive et des étapes pour les atteindre. Pour programmer l'apprentissage d'une activité sportive, les contenus d'enseignement doivent être élaborés en fonction des données essen­tielles pour la construction de savoirs dans cette pratique. Des choix didactiques s'imposent donc. Mais il n'est pas possible, nous le comprenons bien, que ces choix ne tiennent compte que des seules fina­lités de cette activité, dont la nature est d'organi­ser, de réglementer et, par voie de conséquence, de préparer à la compétition. Il faut que les choix didactiques tiennent compte également des fina­lités de l'éducation et de celles de la discipline. A la question de savoir si ces choix peuvent n'être fondés que sur les seuls objectifs de per­formance et définir ainsi les apprentissages par rapport aux exigences de la compétition, la ré­ponse introduit une autre interrogation : l'éduca­tion physique et sportive peut-elle envisager que les contenus d'enseignement relatifs à l'appren­tissage d'une activité sportive ne puissent concerner qu'un faible pourcentage d'élèves en mesure de satisfaire aux exigences de celle-ci ? La démarche doit donc être différente et les contenus d'enseignement concerner tous les élèves. Sinon, paradoxalement, l'enseignement du basket ou du saut à la perche s'attacherait, de fait, au cours de sept années d'enseignement se­condaire, à dissuader 93 % des élèves à pratiquer un sport qui, au regard de ses finalités, ne serait pas conçu pour eux, au seul bénéfice des 7 % d'élèves qui seraient en mesure de lui apporter leur intérêt et pour lesquels cette pratique serait réservée. On peut évidemment présenter ce pro­blème autrement et dire qu'un enseignement, mal adapté dans ses finalités, ne concerne que 7 % de

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la population scolaire et ne présente aucun inté­rêt pour 93 % des autres. Les effets demeure­raient les mêmes. Le problème est sérieux et il n'est pas particulier à la seule éducation physique. C'est l'un des plus graves que les systèmes modernes d'éducation rencontrent actuellement. Par conséquent, les choix ne peuvent être établis en fonction des seuls critères inhérents à la natu­re de l'activité choisie et à ses finalités, ils de­vront tenir compte également, et dans une mesu­re appréciée par le pédagogue, des objectifs et des conditions de l'enseignement. La diversité des critères qui fonderont les choix implique des techniques d'analyse permettant d'identifier les données essentielles qui donne­ront lieu à apprentissages. Ces techniques d'ana­lyse relèvent, nous l'avons vu, d'une « recherche opérationnelle » (13). Celle-ci permet de déga­ger les principes opérationnels qui sont à la fois, « source ou cause d'action et origine des effets » recherchés par l'enseignant et permettant l'opti­misation des apprentissages. Ainsi, en éducation physique et sportive, seront opérationnels les principes qui couvriront au plus près le champ des composantes diverses : méca­nique, énergétique, ergométrique, bio-fonction­nelle, mais également psychologique, sociolo­gique et pédagogique, qui permettront d'optimi­ser la tâche, en évaluant avec le plus d'exactitude possible les choix à effectuer et les décisions à prendre.

Même si le technicien puise dans l'arsenal des connaissances qui sont les siennes pour définir et proposer un modèle, seul en définitive, le péda­gogue jugera de l'adéquation de ce modèle aux hypothèses de formation qu'il aura adoptées et dont il a la responsabilité. Ces deux rôles, dans le système d'éducation, sont tenus par le même ac­teur : l'enseignant (14). Les principes opérationnels sont donc les don­nées essentielles identifiées par l'enseignant au travers de la connaissance qu'il a des élèves, des finalités de son enseignement et de la nature des pratiques sociales proposées. Au regard de l'activité et de la construction di­dactique. « les principes opérationnels se défi­nissent logiquement, en éducation physique, comme les causes des effets recherchés dans le cadre d'une action définie. 11 s'agit là de l'inter­prétation pédagogique des données essentielles qui s'inscrivent dans l'algorithme (15) d'une tâche à réaliser ». Précisons que la notion d'algorithme implique une répétitivité potentielle, et qu'elle trouve sa véri­table signification dans la spécificité des appren­tissages et dans leur contextualisation. Ils sont difficilement transférables et sont, à cet égard, des éléments infiniment moins porteurs de « transver-salité » (16) que ne le sont les principes d'action et les principes de gestion des moyens. Nous aurions sans doute souhaité ne pas utiliser un concept aussi complexe que celui de principe opérationnel. Ne risque-t-il pas, en effet, d'en­traîner des incompréhensions, voire des confu­sions ? La notion de « données essentielles » de signification assez proche, n'est pas, toutefois, entièrement satisfaisante car elle se réfère à « l'essentiel des données techniques » d'une acti­vité, alors que le principe opérationnel, nous l'avons vu, englobe d'autres composantes desti­nées à optimiser l'apprentissage. En fait, le concept de principe opérationnel est le seul qui puisse permettre d'échapper à une analy­se des contenus d'enseignement passant par les seuls critères attachés aux finalités de la compé­tition, ce qui ne saurait être de la responsabilité

de l'école. Ils autorisent l'élaboration de ces contenus en fonction d'impératifs liés à la didac­tique de l'éducation physique et à sa pédagogie. Mais ne nous trompons pas, si l'identification ou la détermination des principes opérationnels propres à une activité physique ou sportive doit se dégager de l'influence totalitaire que les ori­gines de cette activité ne manqueraient pas d'in­duire, il est certain que notre enseignement ne saurait tourner le dos à l'essence même de cette pratique sociale. Il prendra en compte ses carac­téristiques d'activité conçue initialement pour la compétition. Ainsi, les données inhérentes à cet aspect social de l'activité donneront lieu égale­ment à l'élaboration de contenus d'enseignement. Nous avons pris ici l'exemple d'une activité de nature compétitive, il en serait de même d'une activité de loisir ou de caractère esthétique. Ainsi, comme les algorithmes auxquels ils se ré­fèrent, les principes opérationnels ne sont pas porteurs de transversalités. Ils appartiennent à une activité physique déterminée. Si. d'une façon générale, ils ne se plient pas aux finalités qui sont assignées à celle-ci, ils n'en trahiront pas pour autant les données tonnelles non plus que le sou­ci d'efficience.

Les principes d'action, nous le rappelons, corres­pondent à des savoirs plus globaux portant sur des mises en œuvre soit interstitielles, soit de portée plus large selon les activités, par rapport à des tâches diverses, inféodées à des objectifs d'action qui les dépassent mais auxquels elles participent. Ils donnent leur signification à des activités plus complexes qui font intervenir des tâches de natu­re spécifique et dont il sera nécessaire de dégager des principes opérationnels, générateurs eux-mêmes d'apprentissages. Très souvent compor­tementaux, ils se situent dans l'intimité immédia­te des règlements de l'activité et peuvent être por­teurs de messages spécifiques, toujours en relation avec les règlements et la logique de la pratique mais introduisant parfois des compo­santes extérieures : sociales (sécurité, éthique), psychologiques ou analytiques (observation, an­ticipation, stratégie, rapports de force, tech­niques générale et spécifique des déplacements,

rythmes de l'action, improvisation), esthétique, athmosphériques, etc. Ils peuvent également concerner des activités qui dépassent l'engagement de l'individu, car le ré­sultat ne dépend pas de lui seul. C'est ainsi que des composantes d'incertitude in­troduisent d'autres séries de principes d'action, concernant notamment les situations probléma­tiques, les analyses de caractère décisionnel, les situations relationnelles : opposition, coopéra­tion, etc. L'identification, dans la plupart des activités physiques et sportives, des principes opération­nels et des principes d'action pose relativement peu de problèmes, sauf peut-être dans les sports collectifs pour lesquelles la « logique interne » de leur pratique semble réserver une place pré­dominante aux principes d'action. En effet, la si­gnification de ces activités ressortit davantage aux principes d'action qu'aux principes opéra­tionnels. Ceci ne nous semble pas de nature à rendre plus délicate l'élaboration des contenus d'enseignement porteurs de ces activités. Les principes opérationnels et les principes d'ac­tion sont donc, avec les données d'accompagne­ment que sont la gestion des moyens (17), et l'or­ganisation de la vie physique, les connaissances et les savoirs de l'éducation physique et sportive. Ce sont eux qui. identifiés et organisés à partir d'une didactique élaborée pour répondre aux fi­nalités de cette discipline, constitueront les pro­grammes de l'éducation physique et sportive.

Paris, le 30 novembre 1992

Claude Pineau, Inspecteur Général

de l'Education Nationale, Doyen du groupe EPS.

N.D.L .R . : La suite de l'article comprendra : - les données d'accompagnement de l'ac­tion. Les principes de gestion des moyens ; - les apprent issages et les « transversali­tés ».

(1) Rappelons-les (cf. « Introduction à une didactique de l'éducation physique ») : Le premier est de développer chez tous les enfants et les adolescents, les capacités organiques et motrices. Le second est de permettre l'accès à un domaine de la culture en permettant l'accès à des pratiques corpo­relles et notamment à des pratiques sportives et d'expression qui constituent des faits de civilisation. Le troisième est d'of­frir à chacun, outre les connaissances permettant une meilleure pénétration du tissu social et culturel, celles concernant l'entretien de ses propres potentialités et l'orga­nisation de sa vie physique aux différents âges de son exis­tence.

Précisons que ces objectifs généraux intègrent des préoccu­pations éducatives plus extensives, mais toujours présentes quand il s'agit d'éducation, telles que la santé, la sécurité, la solidarité.

(2) Sans doute faudrait-il envisager, pour être précis, les structures politiques, économiques, culturelles et la société à laquelle appartient le système d'éducation. Nous pensons, bien entendu, aux systèmes d'éducation des pays qui se réfè­rent à la Déclaration universelle des Droits de l'homme.

(3) Revue EPS n° 237.

(4) Appelés également « familles d'activités ». (5) « Introduction à une didactique de l'éducation physique » octobre 1990.

(6) Le Grand Robert de la langue française. (7) « Programme et savoirs » Cl. Pineau Revue EPS n° 216 mars-avril 1989 et « Introduction à une didactique de l'édu­cation physique » Dossier n° 8 - Revue EPS - octobre 1990. D'autres auteurs se sont référés à ces passages depuis ces pu­blications.

(8) « Introduction à une didactique de l'éducation physique » Dossier n° 8 - Revue EPS - octobre 1990.

(9) Science des significations, parlant du mot pour en étudier le sens.

(10) Science des significations partant de l'idée (notion, concept) pour en étudier l'expression.

(11) A cet égard, la crainte de voir s'introduire en éducation physique des contenus d'enseignement qui ne seraient pas en rapport direct avec le mouvement et l'action a autorisé parfois l'emploi de l'expression de « savoirs en action ». Cette crain­te nous semble non fondée et ne pas justifier ce pléonasme.

(12) Nous nous limiterons à remarquer que des savoirs génè­rent également des connaissances. Nous n'entrerons pas dans le débat qui n'est pas de notre propos : savoirs sans connais­sances, concepts de connaissances empiriques, naïves, sen­sibles, voire de croyance, en relation avec les savoirs.

(13) « L'évaluation en EPS » Revue EPS n° 235.

(14) Ibid. (15) Rappelons noire définition (Revue EPS n° 235) « Dans le domaine des activités physiques et sportives, une tâche définie et délimitée avec précision, parce que stricte­ment codifiée, peut être représentée par l'ensemble des po­tentialités d'analyses comprenant un schéma de calculs, les signes et les règles opératoires qui la caractérisent. Cette re­présentation, d'ordre mathématique, est l'algorithme de cette tâche. (16) Cette notion sera abordée dans une seconde partie de l'article, dans le prochain numéro de la Revue.

(17) Il s'agit bien de moyens qui permettent de gérer l'action ou qui l'accompagnent pour l'optimiser.

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