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DÉSURBANISME la prévention situationnelle #19 - avril/mai 05 - prix libre

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DÉSURBANISMEla prévention situationnelle#19 - avril/mai 05 - prix libre

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La prévention situattionnelle -“Urbaniser” pour dépolitiser -

L’infra-ordinaire - Pas lieu d’être -

Plus dure sera la ville - Le développement de la police de proximité dans les serviceso

de la sécurité publique -Contre les nouvelles tendances de l’urbanisme sécuritaire:o

la participation citoyenne à la gestion de la cité - Dernier avertissement au parti imaginaire -

Bibliographie -

Les images, c’est le chien qui les a faites.

Et toujours: désurbanisme 7, rue de Montlouis 7011 [email protected]

p.2p.7p.14p.15p.17

p.25

p.30p.34p.38

Les annales de la recherche urbaine:::Au risque des espaces publics, n°82-83, septembre 1999Articles: La résidentialisation du logement social à Paris, Mutation dans lepaysage français de la sécurité publique, De la coveillance à la ville sure...

Particule:::Dossier: Rennes, vivre en vidéosurveillance?, n°17, mars 2004Analyse de la “politique de sécurisation, organisée autour du triptyque prévention, médiation, dissuasion” mise en place par la STUR (Transportsurbains rennais) et état des lieux à Rennes.(www.rennet.org/particule)

Courant alternatif:::Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, hors-série n°3, 2000Le contrôle social dans plusieurs de ses aspects (fichage, vidéosurveillance,école, action sociale...).(mensuel de l’OCL)

Urbanisme:::Dossier: Villes privées, n°312, juin 2000Une approche économique du phénomène des villes privées (privatisées) etune analyse de la ségrégation qu’il produit, en France, aux US, en Afriqueet au Japon.

Manière de voir:::Sociétés sous contrôle, n°56, mars-avril 2001Les outils du contrôle et le contexte idéologique de leur déploiement.

:::Obsessions sécuritaires, n°71, octobre-novembre 2003Des articles qui permettent de faire le lien entre villes et prisons, entresociété fondamentalement répressive et dispositifs de répression possiblesdans un contexte urbain.

Les cahiers de la recherche architecturale::: Sécurité et urbanisme, n°1, mai 1999

Le site de l’association “Souriez vous êtes filmés" contre la vidéo surveillance> > h t t p : / / s o u r i e z . i n f o /Un site bien intéressant, sur la collusion entre institutions, armée et entreprises > > h t t p : / / w w w. p i e c e s e t m a i n d o e u v r e . c o m

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B I B L I O G R A P H I E

> > L E S B O U Q U I N S < <

Mike Davis, City of quartz - Los Angeles, capitale du futur, La Découverte,1997.“Le” bouquin qu’il faut lire. Beaucoup de camarades l’ont lu ou l’ont aumoins pillé (par le biais d’extraits). On y comprend, par l’analyse (paschiante) de Los Angeles, tout le principe de la folie de ce monde.

Jean-Pierre Garnier, Des barbares dans la cité, Flammarion, 1996,La bourse ou la ville, Paris-Méditerrannée, 1997,Le nouvel ordre local, L’Harmattan, 1999.Les idées de l’article reproduit ici, développées.

Sophie Body-Gendrot, Ville et Violence - L’Irruption de nouveaux acteurs,P.U.F., Recherches Politiques, 1993.La spécialiste des villes américaines. Approche de spécialiste. Pas lu, maisça peut être intéressant.

R. Bousquet, Insécurité : Nouveaux risques - Les quartiers de tous lesdangers, L’Harmattan, 1998. Pas lu non plus, mais il est revenu à plusieurs reprises lors des recherchespour faire ce numéro (si vous le lisez, donnez donc votre avis).

> > L E S R E V U E S < <

Les Cahiers de la Sécurité Intérieure:::Les technologies de sécurité, n°21, 1995Plusieurs articles sur l’utilisation de la vidéosurveillance, des éléments dedéfinition et d’explication, et une analyse critique sur les fondements et lespratiques de la prévention situationnelle en Angleterre.

:::Urbanisme et Sécurité, n°43, 2001Le rôle de l’urbanisme dans la prévention policière des “situations à risque”de la délinquance (étant entendu qu’à peu près tout peut en être), les dispositifs de “sécurisation” de l’habitat et l’exploration des nouvelles formesde contrôle de l’espace en “impliquant” les habitants et les “acteurs de lasécurité”.

La prévention situationnelle, commesa définition, n’a pas de recoins, defragilité, elle est bloc, évidenceimposée: qu’on la retourne danstous les sens ou qu’on prenne deséléments à droite à gauche toujoursle même bloc se forme. La préven-tion situationnelle est le dispositifqui permet qu’une situation n’arrivepas, en l’occurrence, une situationd’insécurité. En fait, prévenir (voirvenir et empêcher) toute situationd’arriver. Ceci simplement en agis-sant sur la structure même du bâtides villes, sur l’organisation socialedes espaces urbains, publics et pri-vés. Elle est aussi appelée “sécuritépassive”: c’est une “conception dela prévention” basée sur le “traite-ment de l’environnement”, visant à“favoriser l’appropriation de l’es-pace” pour assurer son “contrôlesocial naturel”. L’idéal fantasmati-que d’une sociabilité lisse, sansaccroche, dans laquelle on n’entre-tient que le minimum de rapportavec l’altérité incarnée dans “lesautres”, dans laquelle tout le mondepeut se reconnaître puisque imper-sonnelle, et où on peut se perdre àforce de ne pas y trouver de sens.

Concrètement, il s’agit de penserl’insécurité comme un tout, donttout peut en être et en être facteur,chaque élément devenant ainsi,après avoir été une part du pro-blème une part de la solution, aussibien matériel qu’humain, technologi-que ou social; il s’agit d’habiterdans des prisons, et de réveiller lematon justicier qui sommeille enchacun de nous. Ceci avec un sou-rire épanoui, comme dans la pubpour cette vie-là, celle du dentifriceblanchisseur et de la bonneambiance pendant les soldes.Concrètement, il s’agit surtout dene rien laisser au hasard. La pré-vention situationnelle porte sur lesconditions matérielles et les cir-constances dans lesquelles un délitpourrait être commis. Pourrait être.Mais ON dispose de chiffres, detableaux de statistiques et de rele-vés comportementaux qui démon-trent qu’on a jamais assez raison dese méfier de ce qui pourrait arriver.De tsunami point, mais de tags; detempêtes pas plus mais de crottesde chien et d’injures, de déstabilisa-tion des propriétaires et des argen-tés.

LA PRÉVENTION SITUATIONNELLE

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Une fois qu’on a eu dit que lesgrands ensembles pouvaient êtrefacteurs d’insécurité, de par leurforme même, leur tristesse suin-tante, grise à leur horizon malade etleur ennui traîné dans les escaliers,ce qui permettait de charger la bar-que de leurs habitants, ON a répétéà l’envi: “Vous voyez, ce n’est pasde votre faute! C’est les cités!” Ainsidonc leur rébellion pouvait et devaitêtre canalisée et évacuée en répon-dant mal à une question bien posée,elle. Cette société qui engendre lescités (mais aussi: exploite tout unchacun, ethnicise les luttes, média-tise les conflits qu’elle crée, rendjustice en enfermant, relègue lesfemmes, finance l’armement total,courre d’échec en échec pour despolitiques de toutes sortes, entreautres) a le ressorts de répondre:“Vos luttes sont justes, car avecl’urbanisme nous avons failli. Nousallons résoudre ce problème, et vosproblèmes, avec, disparaîtront”.Formidable. Comme si la ville était leseul terrain de faillite, celui seul oùle conflit est manifeste, celui quipourrait ébranler la société entière.Puisque les habitants ont, d’unecertaine façon, prise sur la réalitégrâce à leur façon d’être ensembleau quotidien et d’habiter et et d’oc-cuper l’espace, et que c’est là, pardes émeutes de quartier, des

dégradations multiples, des messa-ges écrits sur les murs, des dra-peaux accrochés aux fenêtres, deslumières filtrant de dessous les por-tes, que la colère peut s’exprimer,alors simplement ON reprend ceterrain en en contrôlant la moindreparcelle, à la moindre échelle.Ainsi, les conflits qui trouvaient leursource dans l’agonie de ce monde,nous entraînant avec lui, se manifes-taient sur et dans les murs desmétropoles. ON a préféré y voir queles conflits trouvaient leur sourcedans et sur les murs des métropo-les, entraînant avec eux l’agonie dece monde.

Il suffisait donc de trouver un nou-veau concept, qui fasse mouche, unconcept englobant et attirant: ONl’a formalisé en premier enAngleterre dans les années 80, surla base de principes “testés” depuisles années 70 aux Etats-Unis et auCanada. Sa diffusion ne fut pasdifficile en France. Son applicationlégale n’est pas si facile, mais quelbesoin de la loi quand on est face àun mouvement inévitable, appelé deses voeux par la société touteentière (7 personnes sur 10 sedéclarent favorable à l’augmenta-tion de la lutte contre l’insécurité,dans un sondage de 164 personnesà la sortie d’un commissariat; et puis

Q u ’ e s t - c e q u ’ u n e b o n n e r u e ? C ’ e s t u n e r u e d a n s l a q u e l l e i lv a y a v o i r , b i e n s û r , u n e c i r c u l a t i o n d e c e q u ’ o n a p p e l l el e s m i a s m e s , d o n c l e s m a l a d i e s , e t i l v a f a l l o i r g é r e r l ar u e e n f o n c t i o n d e c e r ô l e n é c e s s a i r e , b i e n q u e p e u s o u -h a i t a b l e d e l a r u e . L a r u e , ç a v a ê t r e a u s s i c e à t r a v e r sq u o i o n p o r t e l e s m a r c h a n d i s e s , ç a v a ê t r e é g a l e m e n t c el e l o n g d e q u o i i l v a y a v o i r d e s b o u t i q u e s . L a r u e , ç a v aê t r e a u s s i c e à t r a v e r s q u o i v o n t p o u v o i r p a s s e r l e sv o l e u r s , é v e n t u e l l e m e n t l e s é m e u t i e r s , e t c . C ’ e s t d o n ct o u t e s c e s d i f f é r e n t e s f o n c t i o n s d e l a v i l l e , l e s u n e sp o s i t i v e s , l e s a u t r e s n é g a t i v e s , m a i s c ’ e s t c e l l e s - l à q u ’ i lv a f a l l o i r m e t t r e e n p l a c e d a n s l ’ a m é n a g e m e n t . E n f i n , l eq u a t r i è m e p o i n t i m p o r t a n t , c ’ e s t q u ’ o n v a t r a v a i l l e r s u rl ’ a v e n i r , c ’ e s t - à - d i r e q u e l a v i l l e n e v a p a s ê t r e c o n ç u e n ia m é n a g é e e n f o n c t i o n d ’ u n e p e r c e p t i o n s t a t i q u e q u i a s s u -r e r a i t d a n s l ’ i n s t a n t l a p e r f e c t i o n d e l a f o n c t i o n , m a i se l l e v a s ’ o u v r i r s u r u n a v e n i r n o n e x a c t e m e n t c o n t r ô l é n ic o n t r ô l a b l e , n o n e x a c t e m e n t m e s u r é n i m e s u r a b l e , e t l eb o n a m é n a g e m e n t d e l a v i l l e , ç a v a ê t r e p r é c i s é m e n t :t e n i r c o m p t e d e c e q u i p e u t s e p a s s e r .

M i c h e l F o u c a u l t , S é c u r i t é , t e r r i t o i r e , p o p u l a t i o n( c o u r s a u c o l l è d e d e f r a n c e , 1 1 j a n v i e r 1 9 7 8 )

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Article 7

Pour la sécurité de tous, il convient que l’es-

pace public soit intégralement surveillé. Là où

le contrôle demeure imparfait, la foule est

invitée à réprimer en son sein tout comporte-

ment contraire à la dignitén humaine. Tout

rassemblement anonyme, toute conduite

anormale devront donc être signalés aux

patrouilles de l’Action Préventive de

Proximité (A.P.P.). Dénoncer les agents du

Parti Imaginaire parmi nous, c’est un devoir

citoyen, c’est agir pour leur bien, et pour le

bien de tous.

Article 8

L’espace public est un espace neutre, c’est-

à-dire que toute manifestation d’existence sin-

gulière y représente une atteinte à l’intégrité

d’autrui. Tout sera désormais mis en oeuvre,

mobilier urbain, décors adéquats, Contrôle

Continu (C.C.), pour rendre impossibles de

telles manifestations, dont on sait quelles into-

lérables nuisances elles occasionnent à nos

concitoyens.

Article 9

Nous remercions l’ensemble de ceux qui,

par leur comportement, ont contribué à ce

que l’énoncé de ces principes aille de soi.

Article 10

RIEN NE DOIT PLUS ARRIVER.

Le Pen a failli être président, ça veutbien dire quelque chose.)

LES GENS/LES MATONSOrganisation des habitants pourrelever systématiquement les dys-fonctionnements (pannes d’ascen-seur, pannes de courant, absencedu gardien, nettoyage mal fait...) etles dégradations (boîtes aux lettreset portes cassées, graffitis, afficheset affichettes, poubelles retournéesou brûlées...);présence de chiens de garde dansl’équipe de gardiennage;organisation des flux humains pourque la fréquentation de l’espacejoue un rôle de dissuasion (s’arran-ger pour que les riches croisent desriches, ce qui les rassurera);favoriser des espaces utilisablespar les gens, y développer des acti-vités (festival dans un jardin public,pelouse sur laquelle on peut mar-cher, théâtre de rue conven-tionné...). On peut même lire: “enaugmentant le confort, l’accueil, laconvivialité, on améliore l’ambianceurbaine et réduit le sentiment d’in-sécurité”. La convivialité créée parl’urbanisme n’a d’autre fin queréduire le sentiment d’insécurité.On dit ainsi aux gens: “vivez en-deçà, toujours en deçà de ce quevous pouvez. L’épanouissementnon, la réduction du sentiment d’in-

sécurité oui”;délation entre voisins facilitée etfavorisée par le contact soutenuavec la police de proximité, par lesdispositions des contrats locaux desécurité, et par la récompensesociale permanente de n’importequelle action en tant quecitoyen/citoyenne...

LEURS OUTILS/LES CLESMise en place de gardiennage,allant le plus souvent de paire avecdes dispositifs de vidéosurveillance(filmant les entrées, cours, par-kings, halls, avec des caméras étan-ches et motorisées permettant desuivre les individus, effectuer deszooms, filmer de nuit...), ainsi quel’installation de clôtures, grilles etportes adaptées contre l’intrusiond’individus quels qu’ils soient,étrangers à la copropriété ou à larésidence;installation de grilles autour desterrains de sport et de jeux, fermésau moins la nuit;systèmes de fermeture de plus enplus sophistiqués, allant de la sim-ple serrure à la clef magnétique, dudigicode lumineux à l’interphonenumérique, actionnables à distances’il le faut;mise en place d’horodateurs à carteà puce, contenant toutes les infor-mations sur la voiture et sa proprié-

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taire, ses allées et venues, facilitantle stationnement payant et évitantsurtout aux pauvres de récupérerles pièces dans les horodateurs;systèmes antivol et dispositifsd’alertes des véhicules automobiles,des locaux à poubelles, des locauxà vélo, des loges de gardien, ducentral de gardiennage, émettant unsignal sonore sur place et relayé aucommissariat le plus proche éven-tuellement...

LEURS MAISONS/LES PRISONSArchitecture des nouveaux bâtispensée en amont du projet deconstruction dans le sens de la pré-vention situationnelle: une bonnevisibilité pour l’ensemble des habi-tants ou usagers, sans angles mortsni endroits cachés, avec un granddégagement visuel;la notion de territorialité permet dedécrire un sentiment d’apparte-nance à un espace, ceci étant rendupossible par une “lisibilité” de cetespace, intérieur et extérieur défi-nis, entrée et sortie canalisées,public et privé délimités...un éclairage adapté (sans pénom-bre et sans discontinuité entre lejour et la nuit), un aménagementpaysager adapté (des buissonstrop petits pour s’y cacher), unesignalétique donnant une identité

particulière à un espace, de la végé-tation pour son caractère apaisant,un mobilier urbain moderne ne favo-risant pas le squattage par desétrangers;équipements matériels fixes (camé-ras, grilles, etc.) intégrés à l’aména-gement architectural et équipe-ments matériels fixés (dans le sensde très bien fixés) au sol ou auxmurs pour ne pas pouvoir servir deprojectile ou de barricade, tels queles bancs, poubelles, jeux pourenfants, tables de ping-pong enciment, etc...

Mais de quoi avons nous peur? Dequoi devons-nous nous protéger?Je ne vois que le déplacement dansun ailleurs qui existera toujours deséchanges de toutes sortes (deals etamourettes), les incivilités se modi-fiant comme les insectes face à denouveaux insecticides. Il y aura tou-jours cette intelligence de frapper làoù ça fait mal, l’urbanisme n’ypourra rien.La prévention situationnelle veutdire: pas d’amour, pas de secrets,pas de cabanes. Elle veut aussi dire:tuer la vie où elle existe encore,en un mot les conditions de l’insur-rection.

Article 4

A chaque enfant est assigné un adulte-référent. Cet adulte est

responsable devant la Loi du comportement de l’enfant qui lui

est attribué. En raison de leur formation psycho-sociale encore

incomplète, et dans l’intérêt même de leur développement, les

enfants n’ont pas lieu de jouer dans l’espace public hors de la

surveillance de leurs adultes-référents. En tout état de cause,

les enfants se classent en deux groupes : les hypercinétiques,

qui reçoivent de la Ritaline, et les hypocinétiques, qu’il

convient de placer sous Prozac.

Article 5

Dans un souci de préservation du paysage et de respect de

l’ambiance sociale, il paraît souhaitable que les corps non

conformes aux normes esthético-sanitaires en vigueur, publiées

quotidiennement dans la presse nationale, s’abstiennent de cir-

culer dans les lieux publics entre neuf heures et vingt heures

trente. Durant cette tranche horaire, les mendiants seront en

revanche tolérés aux heures de plus forte affluence, où ils par-

ticipent à l’édification de tous, par l’exemple repoussant qu’ils

constituent.

Article 6

Le but de la vie est le bonheur. Le bonheur est une donnée

objective qui se mesure en quantités exactes. Or chacun le sait

de nos jours : là où règne la transparence, règne le bonheur ;

ce qui ne cherche pas à se montrer cherche seulement, par là,

à se cacher ; et tout ce qui cherche à se cacher doit être tenu

pour suspect. Il est par conséquent du devoir d’ingérence du

Biopouvoir de faire disparaître toute opacité de votre vie. Le

Biopouvoir veut votre bonheur. S’il le faut, il le voudra contre

vous.

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DERNIER AVERTISSEMENTAU PARTI IMAGINAIRE

concernant l’espace public

Article Premier

La destination de l’espace public est l’échange et la circulation des

marchandises. Comme toutes les autres marchandises, les hommes s’y

déplacent librement.

Article 2

L’espace public est l’espace qui n’appartient à personne. Ce qui

n’appartient à personne appartient à l’Etat. L’Etat concède à la

sémiocratie marchande l’occupation de l’espace susdit.

Article 3

Les bureaux sont faits pour travailler. La plage est faite pour bronzer.

Ceux qui veulent s’amuser vont de leur plein gré dans les espaces de

loisir, discothèques et autres luna-parks aménagés à cet effet. Dans la

bibliothèque, il y a les livres. Dans les hospices, il y a les vieux. Dans les

pavillons, il y a les familles. La vie est faite de moments détachables.

Chaque moment a sa place. Tout est en ordre. Nul ne s’en plaint.

Article 3 bis

Le désordre aussi a sa fonction spéciale. Il rentre dans l’Intégrale, à

l’emplacement prévu pour les évènements imprévus. Pour le bien-être

de tous, les citoyens sont invités à se trouver sur la voie publique lors

des fêtes organisées à leur attention, à intervalles réguliers, par les ser-

vices du Ministère de l’Intérieur et de la Culture. Nos agents d’am-

biance sont là pour vous servir. Il n’est pas interdit d’être aimable avec

eux, même si vous êtes en règle.

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Jean-Pierre Garnier démonte les stratagèmes politiques qui rendent la ville cause etsolution de tous les maux, et la démocratie policière le seul horizon, ce qui permet defocaliser l’attention sur la “dure réalité urbaine”, et non plus sur les problèmes causéspar la société techno-capitaliste - de mauvaises réponses à une question mal posée.

“ URBANISER ” POUR DÉPOLITISERLa rhétorique du spatialisme et du localisme

Jean-Pierre Garnier

“ Tant que la misère est rangée quelque part, ça arrange beaucoup demonde. Le problème, c’est qu’au bout d’un moment, ça déborde. ”

Jean-Louis Borloo, ministre de la ville

La “politique de la ville” porte bien mal son nom. Du moins si l’on entend parpolitique un champ et des pratiques qui ont partie liée avec la division et leconflit. Non pas que l’une et l’autre soit absents des préoccupations qui ontà l’origine de la dite politique. Bien au contraire, puisque sa raison d’êtremajeure, aussi inavouée soit-elle dans sa présentation officielle, est précisé-ment de chercher coûte que coûte à neutraliser le conflit et à nier la division.Pour ce faire, il suffira de qualifier d’“ urbaine ” la question posée. Et de cir-conscrire à “la ville” les réponses qui lui seront apportées.

Cette question est celle de la (ou des) “violence(s)” et de “l’insécurité”qu’elle(s) engendre(ent). Mais pas n’importe lesquelles. On ne parleraguère, sinon sur le mode allusif, des violences d’ordre économique, institu-tionnel ou symbolique infligées aux couches populaires dans une société deplus en plus inégalitaire, pas plus que l’insécurité qui en résulte pour elles auplan matériel (professionnel, résidentiel, sanitaire, alimentaire...), mais aussipsychologique et exitentiel. Cette violence sociale s’aggrave, pour les géné-rations issues de l’immigration, des vexations racistes en tout genre (discri-

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conception sécuritaire de laville, il faut opposer le déve-loppement de la démocratiede contrôle de l’action publi-que et la participationcitoyenne à la gestion de lacité.

La réappropraition de lagestion de la ville et de sesespaces par les habitantsvoilà la réponse moderne à lacrise des quartiers. Voiciquelques temps, JodelleBourdet dans un article duMonde disait : “ce dontsouffrent les quartiers diffi-ciles et les banlieues popu-laires, c’est d’un déficit departicipation sociale et poli-tique”. Il est possible decombler ce déficit : une véri-table co-élaboration desprojets et des actions estaujourd’hui une nécessitélargement reconnue. Lesproblèmes de servicespublics de proximité, de l’em-ploi, de l’espace public, de laculture, de la lutte contrel’échec scolaire et l’exclu-sion, de l’habitat, doiventêtre étudiés en partant du

sujet, c’est à dire avec lespersonnes concernées. Il est nécessaire de mettre enrelation directe les habitantsavec les professionnels del’urbanisme, de l’actionpublique, de l’architecture etdu paysage. Il faut mettretout le monde en confianceen libérant la parole. Lesprojets doivent être l’occa-sion d’une ré-appropriationdes quartiers et de la ville parles habitants. La transpa-rence des budgets publics,l’élaboration des prioritésavec les citoyens, la possibi-lité pour toutes et tous dedevenir les acteurs de la ges-tion de leur ville sont lesquestions incontournables sion veut vraiment construirela cohésion sociale moderne.

Une autre ville que la villesécuritaire est possible :celle des expériences parta-gées, celle ou l’autre n’estpas un danger mais un parte-naire, celle ou les différencesn’opposent pas mais sontl’occasion de construire uneculture plus universelle.

mination à l’embauche ou dans l’ac-cès au logement, “contrôles d’iden-tité” à répétition, jugements iniquesdans les tribunaux, etc.) suscitéespar leur “faciès” ou leur nom.

Seules seront retenues par lesgarants de l’ordre supposé républi-cain, des violences que l’on aura euvite fait de dénommer “urbaines”,sous prétexte que les phénomènesdésignés sous ce label prennent leplus souvent place en ville — com-ment en serait-il autrement dans unpays largement urbanisé? — et, plusspécifiquement, dans les espacespublics urbains.

À défaut de résoudre un problème,on peut toujours “réguler” sa nonsolution. Tel est précisément le casface à des actes et des comporte-ments nés, d’une part, de la précari-sation, la paupérisation et la margi-nalisation de masse engendrées parla “libéralisation” du capitalisme, et,d’autre part, de l’absence d’alterna-tive politique — à ne pas confondreavec l’alternance politicienne — sus-ceptible d’enrayer sinon d’inverserces tendances. Plutôt que d’admet-tre le caractère social — au sens oùun “problème de société” peut ren-voyer à un modèle de société on eûtpu envisager qu’il fasse lui-mêmeproblème — et mondial des détermi-

nants à l’origine des faits classésdans la rubrique “violences urbai-nes”, et agir en conséquence, onopérera en prenant le “territoire”comme cadre de réflexion et d’ac-tion. Pour s’imposer, la “politique dela ville” élaborée dans ce cadreempruntera à deux régistres idéolo-giques complémentaires : le spatia-lisme et le localisme.

Le spatialisme postule un rapportcausal direct entre formes spatialeset pratiques sociales, ce qui permetde transmuer des problèmes pro-pres à un certain type de société enproblèmes dus à en certain typed’espace, comme si le “cadre de vie”produisait et, donc, expliquait engrande partie les manières (bonnesou mauvaises) de vivre. Ainsi impu-tera t-on la dégradation de la situa-tion dans les cités de HLM à partirdu milieu des années 70 à la configu-ration du bâti : d’“aliénants” durantles Trente Glorieuses, les grandsensembles vont devenir “criminogè-nes”, lorsque surviendra la “crise”,suivie des “mutations” provoquéespar la “modernisation” et la “globali-salisation” de l’économie, façon dene pas appeler par son nom un capi-talisme en pleine restructuration.

Il en découle que les solutionsseront, elles-aussi, spatiales, c’est-

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à-dire architecturales et urbanisti-ques : opérations “Habitat et viesociale” sous Valéry Giscardd’Estaing, “Banlieues 89” sousFrançois Mitterrand, “renouvelle-ment urbain” avec Lionel Jospin et,maintenant, “rénovation du loge-ment social” annoncée par le nou-veau ministre de la ville, Jean-LouisBorloo. Mais les “réhabilitations” etautres “requalifications de l’espacehabité” ont rapidement montré leslimites de leurs efficacité. Les effortsaccomplis pour le rendre plusaccueillant n’ont pas rendu ses jeu-nes habitants plus conciliants.Malgré les milliards investis dans la“reconstruction des banlieues”, la“pacification” des quartiers “diffici-les” se fait toujours attendre. Et celad’autant plus que les fauteurs detroubles parqués dans ces zones derelégation multiplient les incursionsdans les beaux quartiers.

Aussi l’intervention sur le bâtiprend-elle, depuis peu, un tour deplus en plus disciplinaire avec la miseen œuvre d’une architecture dite de“prévention situationnelle”. Elle vise,selon ses promoteurs, à “aménagerles lieux pour prévenir le crime”,c’est-à-dire à les “sécuriser” pourque les nouveaux barbares ne s’ysentent plus en terrain conquis. Lespatialisme atteindra son apogée —

et le sommet du ridicule — avec ladestruction systématique des tourset des barres, “terreau de l’insécu-rité, de l’incivisme et du repli sur soi”,selon le diagnostic d’une ministre“socialiste” du logement. Autrementdit, les problèmes disparaîtraientavec la disparition des bâtiments. Face à la violence urbaine, une seulesolution: la démolition!

Cette relation postulée de cause àeffet entre espace et société évacueles rapports de domination qui, nonseulement, structurent l’un commel’autre, mais pèsent même sur lesinfluences réciproques de l’un —ou l’une — sur l’autre. Le “pouvoirdes lieux”, que l’on ne serait évidem-ment nier, n’a de sens, en effet, querapporté au pouvoir que tel ou telgroupe, classe ou catégoried’agents sociaux exerce sur uneautre. En ce sens, le spatialisme éva-cue la politique, c’est-à-dire lescontradictions, les antagonismes etles conflits entre dominants et domi-nés, pour la rabattre sur le politique,c’est-à-dire l’étatique : en l’occur-rence, le contrôle de certains espa-ces jugés “pathogènes” par les pou-voirs publics.Complément du spatialisme, le loca-lisme, quant à lui, consiste à formu-ler, étudier et traiter les problèmes làoù ils se manifestent, ce qui revient à

Les temps ont changé: GeorgesBrassens chantait les bancs publics,les grands escaliers étaient priséspar les artistes, les traboules étaientles trajets secrets préférés des habi-tants. Aujourd’hui, les espacepublics sont placés sous le coûteuxcontrôle de la vidéosurveillance. Lesbancs et les kiosques sont rempla-cés par le mobilier urbain et la signa-létique destinée à canaliser les fluxet à les orienter vers les lieux deconsommation. Et tout cela se pré-cise. Le projet de loi d’orientationpour la prévention de la délinquanceest en cours de finalisation. Il devraitêtre suivi d’un décret d’applicationpermettant la mise en œuvre d’étu-des préalables de sûreté dans lesprojets d’urbanisme (des bureauxd’études spécialisés existent déjà).Cette loi devrait aussi comporterdes incitations fiscales aux proprié-taires afin qu’ils effectuent des tra-vaux portant sur la sécurité.

Plus, le processus de normalisationeuropéenne “prévention de la mal-veillance” s’est étendu à l’urbanisme.Ce projet de pré-norme est d’ail-leurs fortement critiqué par leConseil National de l’Habitat. Selonle Conseil, ce projet “comporte des

éléments inacceptables de stigmati-sation sociale en considérant, parexemple, le statut locatif comme unfacteur d’insécurité”. En France, lesréticences vis-à-vis de ce discoursse sont malheureusement atténuéesdepuis 2002. Mais de nombreuxprofessionnels de l’urbanisme rejet-tent toujours fermement cetteapproche réactionnaire des problè-mes de la ville. Beaucoup la considè-rent comme dangereuse car por-teuse d’un projet de “fragmentationspatiale qui ne pourra aboutir qu’àplus de fragmentation sociale”. Ils ont 10 fois raison. Il ne faut paslaisser ce processus de contrôlesocial et de normalisation de notreespace prendre le dessus. Cettenotion “d’espace défendable” estporteuse de dangers lourds car ellerenforce tous les réflexes d’exclu-sion. On ne résoudra pas le sousemploi, la crise de l’école, les problè-mes globaux de la société par l’urba-nisme sécuritaire. A cette concep-tion de la vie qui considère fonda-mentalement “l’autre” comme unindésirable, comme un danger, il fautopposer la volonté citoyenne devivre ensemble, de construire ensem-ble les projets de quartiers, les pro-jets de la ville. A cette inquiétante

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Ce qu’en pensent des citoyens.Ça se passe à synthétienne.

CONTRE LES NOUVELLES TENDANCES DE L’URBANISME SÉCURITAIRE: LA PARTICIPATION CITOYENNE À LAGESTION DE LA CITÉ.

Raymond Vasselon, mai 2004

La sûreté avance à grand pas dans l’approche des problèmes de la ville. Lesprojets d’urbanisme, la conception des espaces publics intègrent de plus enplus la vision sécuritaire de la société. Cette tendance, qui consiste à aborder la question de l’espace urbain sousl’angle de la surveillance des comportements de délinquance et de leur trai-tement est issue de la théorie anglo-saxonne appelée “prévention situation-nelle”. L’objectif de cette théorie est de créer un “espace défendable”.

D’un point de vue pratique, cela se traduit tantôt par des propositionsd’aménagement préventives ou dissuasives, tantôt par des dispositionsrépressives. Souvent, les deux sont combinées. Ainsi, on condamnera l’accès aux caves, on supprimera les halls à doublesentrées, on supprimera les angles morts dans les espaces publics. On éviterales lieux rendus obscurs par l’ombre portée des arbres et donc propices auxembuscades. On évacue les bancs publics trop souvent confisqués par lesSDF. Mais on optera aussi pour des solutions de voiries qui facilitent l’interventiondes gardiens de l’ordre, l’accessibilité des forces de l’ordre. Pour cela, on éli-minera bien sur tous les dispositifs facilitant la fuite des voyous telles que lestraboules, les passages couverts et les escaliers qui font tourner les coursespoursuites à l’avantage des jeunes délinquants. Certains espaces publics sont déjà fermés aux heures où des groupes sus-pects commencent à investir les rues.

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confondre problèmes dans la ville etproblèmes de la ville. Sous cet angle,la “politique de la ville” peut se défi-nir comme une entreprise de mainte-nance locale des conflits, une tenta-tive toujours recommencées pourgérer sur place les turbulencessociales, alors que la situation “sur leterrain” trouve son principe tout àfait “ailleurs”.

Placé sous le signe de la “proximité”,ce traitement in situ “au plus prèsde la population”, selon la formuleconsacrée, ne s’en tient qu’aux fac-

teurs et aux solutions qui sont “àportée de la main”. Or, ce primataccordé aux causes “locales” permetde maintenir le black out sur les cau-ses délocalisées : structures, logi-ques, mécanismes, processus quiopérent à l’échelle nationale et, deplus en plus, planétaire. Le “nouvelordre mondial” du capital a, en effet,un corrollaire : la nécessité pour lesautorités d’intaurer un nouvel ordrelocal pour juguler “sur le terrain” lesdésordres sociaux engendrés parcet ordre lointain.

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Outre la mise entre parenthèses dela dynamique globale et maintenant“globalisée” du mode de productioncapitaliste, le localisme conforte lavision concordataire, déjà véhiculéepar le spatialisme, d’une “Cité”réconciliée sous le signe de l’“urba-nité”. Les causes locales, en effet,sont aussi, si l’on prend ce termedans sa seconde acception, descauses à défendre. Or, ellesauraient pour vertu de rassembler— refrain : “la lutte contre l’insécu-rité urbaine est l’affaire de tous lescitadins” — au lieu de diviser. Bref,des causes “citoyennes”, c’est-à-dire “apolitiques”. D’où le consen-sus dont bénéficie la “politique de laville”. Si ses modalités fournissentencore matière à débats, le plussouvent “techniques”, sa finalité faitl’unanimité : la police de la ville.

Sous prétexte de faire face à la “vio-lence urbaine”, ce que l’on s’échineà mettre en place, sous couvert de“politique de la ville”, est un ensem-ble de dispositifs destinés à éliminertoute figure de la dissidence. Par lebiais de la lutte menée contre l’insé-curité urbaine, et, en particuliercontre les “conduites à risques” desjeunes habitants des quartierspopulaires, on cherche à imposerl’image d’un monde où tout antago-nisme serait susceptible d’être dés-

amorcé pour peu qu’il fasse l’objetd’un “traitement” approprié.

Face à des jeunes gens qui réchi-gnent à intégrer la salariat précaireauquel la plupart d’entre eux sontvoués, c’est-à-dire à subir à leurtour l’insécurité économique etsociale où se débattent déjà leursparents, les élites de gaucheessaient maintenenant de dresserles seconds contre les premiers enérigeant la “sécurité”, dans sa ver-sion policière, en “deuxième priorité”de l’action gouvernementale. Si cen’est en première, “péril terroriste”aidant. Ainsi le “ droit à la sécurité ”sera t-il mis en avant pour faireoublier le démantèlement continudes droits sociaux et, bientôt, dedroits civils fondamentaux, si l’on enjuge par le contenu liberticide del’effarante loi sur la “sécurité quoti-dienne”. Il est vrai qu’il est plus facilede “lutter contre la violence urbaine”que de poursuivre le combat quiavait longtemps fondé l’identité de lagauche, en France et ailleurs : celuicontre les inégalités.

“La ville” va se trouver ainsi instituéecomme laboratoire d’une pratiquedu déni de la mésentente et du dif-férend, dont le propre est d’activerun modèle général liquidateur detoute dimension politique des révol-

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des de travail et d’organisation. La police de proximité est, par nature, ter-ritorialisée: chaque fonctionnaire exerce son activité et sa responsabilitésur un territoire déterminé (un quartier, une rue, un îlot).

Une police présente sur la voie publique

La présence de la police sur la voie publique est une demande ancienne,insistante et légitime de nos concitoyens et de leurs élus. Cette demandeest particulièrement justifiée quand elle s’exprime dans des quartiers oudes lieux où l’absence de gardiens de la paix nourrit le sentiment d’insé-curité.La présence régulière et continue sur la voie publique, y compris et sur-tout aux heures où les risques d’agression sont les plus manifestes, aune double fonction. Elle permet d’une part aux policiers d’entretenir cecontact permanent avec la population, condition d’une bonne connais-sance réciproque et source de confiance mutuelle. Elle assure d’autrepart la dissuasion, qui est le commencement de la sagesse. D’où l’impor-tance de l’îlotage, auquel la police de proximité est loin de se résumer,mais qui en constitue un moyen d’action essentiel. Cependant, la pré-sence de la police sur le terrain ne se limite pas à celle des îlotiers. Desunités d’intervention, des unités spécialisées, des CRS peuvent aussi ycontribuer.

tes sociales. Et cela d’autant plusaisément, que faute de perspectives,c’est-à-dire d’espace politique où sedéployer et de voie politique oùs’engager, ces révoltes sont le plussouvent amenées à emprunter lechemin de la déliquance. Une crimi-nalisation de fait qui ne peut quelégitimer la criminalisation idéologi-que dont la rébellion et la résistancefont a priori l’objet.

Cette “écologie de la peur” sertaussi à légitimer une conceptionpan-policière de la “gouvernanceurbaine” où la “démocratie locale”,invoquée pour obtenir la “partici-pation” ou l’“implication citoyenne”des habitants, c’est-à-dire leurcollaboration avec les forces de l’or-dre fonctionnera comme alibi. Sansdoute la politique dite “de la ville” n’at-elle jamais eu qu’une cible : certainshabitants de certaines parties de laville. Mais les médecines douces(caritativo-assistentielles, urbanis-tico-architecturales, ludico-culturel-les...) utilisées pour guérir “le malaisedes cités” ont été jusqu’ici inopéran-tes. Autant dire que le mot “cible” estdésormais à prendre au pied de lalettre. Place, donc, à la thérapie dechoc judiciaire et policière. Et, peut-être militaire, demain, comme le lais-sent prévoir les vigipirateries d’au-jourd’hui.

Émergeant du brouillard conceptueldiffusé à satiété par une cohorte depenseurs à gages parés des plumesde la scientificité, l’enjeu réel de lafocalisation de l’attention sur les“violences urbaines” et de leur dra-matisation médiatique commence àse dessiner. Aux prises avec uneforme nouvelle de conflictualitésociale, les Princes qui nous gouver-nent, toutes obédiences politicien-nes confondues, s’évertuent, avecl’aide de leurs conseillers-experts, àen empêcher toute saisie politique auprofit d’une approche sécuritaire oùla victime et le coupable (d’uneagression, d’une déprédation, d’uneincivilité, de l’insécurité en général)vont se susbtituer au sujet politique.À moins d’appeler “citoyen”, ce cita-din apeuré et délateur enrôlé pardes élus locaux bien intentionnésdans la “coproduction de sécurité”,en partenariat avec le juge et le poli-cier. Grâce à cet agent bénévole etzélé des finalités de l’État, la sociétécivile pourra se convertir — terme àprendre également avec se connota-tion religieuse — en une société véri-tablement civique où le pouvoir exé-cutif aura fait, en quelque sorte, leplein de ses exécutants pour traiterce qui “déborde”...

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L’Etat aura toujours besoin d’une police d’ordre. Aussi bien la police deproximité n’est-elle pas la fin de la police d’ordre; elle est une réorienta-tion des services de la sécurité publique, pour lutter plus efficacementcontre les formes nouvelles de l’insécurité et mieux répondre aux atten-tes des Français.

Une police qui travaille en coopération avec tous les acteurs de lasécurité

Responsabilité essentielle du chef de circonscription, l’établissement derelations entre la police et la vie de la cité est au fondement de la policede proximité.Le contrat local de sécurité est, par excellence, le cadre de la police deproximité. C’est par lui que s’organise l’ensemble de ses relations avecson territoire et les autres acteurs de la sécurité.Dans l’élaboration du diagnostic local de sécurité, la police apporte saconnaissance fine de la délinquance, de ses acteurs et de leurs cibles, deses façons de procéder et des dispositifs de prévention efficaces. Enretour, elle bénéficie des apports de chaque acteur local, observateursd’incivilités et d’actes délictueux, destinataires de doléances dont lapolice n’est pas toujours informée: maires, bailleurs, gardiens d’immeu-bles, organismes sociaux, éducateurs spécialisés, chefs d’établissementscolaire, commerçants, transporteurs.Dans le même mouvement, en définissant objectifs, moyens à déployer,calendriers d’intervention, les services de police se donnent les capacitésd’évaluer les résultats de leur propre action, c’est-à-dire de leur contribu-tion à une politique d’ensemble. Ils ne se bornent plus à enregistrer lesrésultats de l’action ou de l’inaction d’autrui. Le contrat local de sécuritéest un outil puissant pour dynamiser l’action policière, en substituant desinitiatives concertées à la seule réaction aux événements et aux sollicita-tions extérieures.Chaque territoire ou secteur doit connaître les dispositions du contratlocal de sécurité qui le concerne.

Responsabiliser les fonctionnaires sur un territoire déterminé

Le rôle central du policier de proximité, sa capacité d’initiative à laquelleon fait appel, la communication qu’il lui faut établir avec le public, tout celadoit conduire à introduire, dans la police nationale, de nouvelles métho-

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Extraits de:LE DÉVELOPPEMENT DE LA POLICE DE PROXIMITÉDANS LES SERVICES DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

par le ministère de l’Intérieur (si, si)

La priorité donnée à la police de proximité apparaît aujourd’hui indispen-sable pour répondre aux attentes de nos concitoyens. C’est ainsi qu’onparviendra à prévenir et à réprimer la petite délinquance de masse dansles quartiers où elle s’avère être la principale source de l’insécurité. Elleentraînera une transformation des modes d’organisation et de fonction-nement des services de la sécurité publique. Elle exigera des personnels,déjà amplement sollicités, des efforts soutenus, à commencer par ceuxqu’il faut fournir dans toute adaptation à des tâches nouvelles. Elle estaussi le gage de la réussite et, partant, de la satisfaction des personnelseux-mêmes autant que du public qu’ils servent.

Pourquoi cette conception nouvelle?

Parce que, aujourd’hui, dans nos villes, les formes de l’insécurité ontchangé. Nous n’avons plus affaire, comme dans les années 1950 et 60,à des manifestations de masse qui, en dégénérant, pouvaient mettre endanger les institutions de la République, ni à des grèves à tendanceinsurrectionnelle. Si l’on excepte la menace terroriste, toujours présente,l’ordre public, qui est un bien commun, dont la sauvegarde est une mis-sion essentielle de l’Etat, est ponctuellement mis en cause aujourd’huipar l’agitation médiatique de petits groupes puissamment relayés quoi-que très minoritaires. Mais surtout, la sécurité des Français est quotidien-nement troublée par l’insulte, la menace verbale, l’agression individuelle,l’incendie d’une poubelle, d’une cave ou d’une automobile, le vol à la tireet, dans quelques cas, par le pillage collectif des boutiques et parl’émeute de quartier. Ces méfaits doivent être combattus avec desmoyens adaptés.La raison d’être de la police de proximité, c’est de répondre aux besoinsde nos concitoyens, qui aspirent légitimement à la sécurité de leurs bienset de leur personne. Les changements d’organisation et de méthode detravail qu’elle implique sont dictés par cet impératif, qui est celui de toutservice public. L’adoption d’une pratique professionnelle nouvelle est unenjeu capital pour l’institution policière.

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L’infra-ordinaire Georges Pérec

«Ce qui nous parle, me semble-t-il, c’est toujours l’événement, l’in-solite, l’extra-ordinaire: cinq colonnes à la une, grosses manchet-tes (...) Il faut qu’il y ait derrière l’événement un scandale, une fis-sure, un danger, comme si la vie ne devait se révéler qu’à traversle spectaculaire, comme si le parlant, le significatif, était toujoursanormal (...) Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, lereste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et quirevient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun,l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel, comment enrendre compte, comment l’interroger, comment le décrire? Nousdormons notre vie d’un sommeil sans rêves. Mais où est notre vie.Où est notre corps? Où est notre espace?»

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Ce que montre le film “Pas lieu d’être”

“PAS LIEU D’ÊTRE”, de Philippe LignièresLes films du Sud, 2003

Une fille de médecin du monde fait une analyse sociologique d’un abribus, qui sertde point de rencontre, de noeud relationnel pour des SDF qui y restent toujours àproximité, leur permettant de se retrouver et d’y tisser des liens avec les autres habi-tants du quartier: la mairie a enlevé les bancs des abribus.

Mobilier anti-tziganes: l’entrée des parkings est équipée de portiques à hauteur limi-tée, des plots sont installés le long des routes et aires pour ne pas pouvoir y station-ner, ou des grosses pierres (très lourdes) posées à la façon d’un joli aménagementpaysager, dans le même but. Quelqu’un dit (à peu près): La mairie de Toulouse vadans le sens des gens qui aiment bien les gitans mais plus loin que chez eux, c’està dire nulle part, car il y aura toujours quelqu’un qui voudra les voir “plus loin”.

Thierry Paquot (philosophe, drôle de bonhomme de son temps) parle de la ville:“avant”, la ville était un territoire toujours ouvert, aujourd’hui, c’est un territoire d’in-terdits, ce n’est plus une ville. Plus loin, il dit que l’habitabilité de la ville, elle est pourtout le monde, à tout le monde. Pour lutter explicitement contre les SDF, on enlèvedu confort à tous, on pénalise tous les habitantEs.

Dispositifs anti-SDF: arrosage sous les ponts, pour que les affaires de ceux qui ylogent soient mouillées, arrosage des SDF eux-même en même temps que les trot-toirs lors de leur nettoyage au karcher ou en camionnette, arrosage intermittent despelouses ou, par exemple, des marches de l’atrium des halles afin qu’elles soienttoujours humides pour ne pas pouvoir s’y asseoir, barres le long des jardinets avecdes angles coupants pour ne pas pouvoir s’y asseoir, d’après un concept américainle niveau d’eau d’un bassin est calculé pour que la margelle soit toujours humidepour ne pas pouvoir s’y asseoir, grilles ou baies vitrées devant des halls pour y êtrevuE de l’intérieur pour ne pas pouvoir y stationner en toute quiétude.

Jean-Pierre Garnier (voir article “urbaniser pour dépolitiser”) parle de la normalisa-tion de l’espace urbain, grâce à une architecture et un urbanisme de “préventionsituationnelle”, d’après le concept anglais des années 70 “defensible space”.Maintenant, il y a un audit sur la sécurité avant tout projet urbanistique, c’est uneobligation légale.

Un des principes de la prévention situationnelle: toujours être vuE. Donc des gran-des baies vitrées, des passages ouverts, des caméras partout.

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y voient l’avenir des villes européen-nes... D’autres redoutent une disney-landisation de l’espace public, où leshabitants ne seraient que consomma-teurs ou spectateurs. Jamais acteurs.«On perd la qualité fondamentaled’hospitalité de la ville, constateNicolas Soulier, urbaniste. On a laissés’installer un dérèglement social et onne peut plus le déloger.» Les solutions?Il en avance quelques-unes, simples.«Faire des espaces où l’on puisse allervers son voisin, par exemple des coursque partageraient et transformeraientensemble tous les riverains.» EnAllemagne ou aux Pays-Bas, les habi-tants sont encouragés à planter desfleurs autour des arbres. «Ils s’appro-prient ainsi l’espace public, au lieu dese le voir confisquer.» Le modèle est-ilexportable? A Aulnay, dans un grandensemble agréable, des copropriétai-res ont décidé de cultiver ensemble unespace commun. L’un d’entre eux, s’es-timant lésé par cette initiative, a fait unprocès aux autres... Dans urbanisme, ily a aussi urbanité.

(1) «Le Designer et le mobilier urbain: l’as-sise sur les quais de métro», Paris-VIII,DEA d’urbanisme, septembre 2000.(2) Document de Oui Dire et Light Ciblepour consultation restreinte sur le réamé-nagement des stations du métro.(3) In «le Panoptique», ouvrage collectif,Belfond, 1977.

Le film se passe majoritairement à Toulouse, mais Paris aussi est critiquée. On yparle du baron Haussmann qui a refait Paris, avec des voies très longues, très droi-tes, dans le but de faire passer des charges de cavalerie et de tirer au canon pourendiguer les émeutes (la Commune a ébranlé le pouvoir, et il ne faut pas que çarecommence). Paris a été quadrillée, ses quartiers “malsains” détruits, et des caser-nes de gardes impériaux réparties à côté de ces grandes artères.

“L’histoire de l’architecture et de l’urbanisme” de Michel Ragon est citée.

Nicolas Soulier, urbaniste, conclut en parlant d’”avant”, comme c’était bien. Mais ilne s’agit pas de nostalgie, au contraire. Il y a une lutte à mener, il faut trouver uneforme pour récupérer ce qui était bien avant.

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Sans blague? Un article du Nouvel Obs reproduit intégralement dans désurbanisme? Ouais, sans blague...c’est pas pire que d’utiliser un ordinateur, hein.

Plus dure sera la villeHubert Prolongeau

Les bancs publics disparaissent, les immeubles se barricadent, des «piques àhumains» poussent au pied des vitrines... Lentement mais sûrement se construit

autour de nous un espace public de plus en plus rude, où la volonté d’exclure les«indésirables» finit par nuire au bien de tous.

«Ici, avant, je dormais.» Il cligne des yeux puis les ferme, comme si créer la nuitaidait à dissiper ses brumes. Depuis presque vingt ans, «Papy» vit entre lagare du Nord et le métro. Il y a ses sacs, ses potes, aborde les passagers qu’iltape de quelques sous et fuit les vigiles, boit douze litres de vin par jour etdort cinq heures par nuit les bonnes nuits. Comme sur ce banc de la stationChâtelet, ce banc sur lequel il a passé nombre de nuits, ce banc devenu sinonun «chez soi» du moins un repère, presque un territoire. Ce banc, il ne l’aplus. On le lui a enlevé. Qui ça? «Des enculés.» A la place, ils lui ont mis deuxbarres de fer. «Qu’est-ce que tu veux dormir là-dessus! On peut même pass’asseoir.»L’objet ainsi visé a été baptisé par la RATP «miséricorde», au terme d’uneréflexion conceptuelle dont le but (à peine inavoué) était de rendre la vie dif-ficile aux «indésirables», entendez SDF et autres parasites des transportspublics. Stéphanie Boucher, auteur d’une thèse consacrée à «l’assise sur lesquais de métro», constate: «La dimension esthétique véhicule une certainedimension de l’usager» (1). Celle que dessine la RATP, qui n’a pas souhaiténous répondre, est plus remarquable par ceux qu’elle élimine que par ceuxqu’elle accueille. Osons un souvenir personnel: en 1995, au cours d’uneenquête, j’avais demandé à un designer de la régie ce qui avait motivé derécents changements de mobiliers. «Virer les clodos, bien sûr», me répondit-il avant que l’attachée de presse ne se précipite pour m’expliquer que, pas

PAGE 17 de l’urbanisme et de l’architecture,biaisent. «Délires d’intello, dit l’un.On pourra toujours se bécoter surles bancs publics.» Sauf s’il n’y aplus de bancs publics… «Il faut évi-ter les espaces confidentiels et peusûrs, concède un autre. La concep-tion, héritée des années 1960, d’es-paces publics indifférenciés, où pluspersonne ne sait vraiment où il est,ne semble plus bonne.» Chez JCDecaux, premier fournisseur demobilier urbain, on nie que lescahiers des charges des villes ren-forcent la demande sécuritaire:«Tout au plus insiste-t-on sur la soli-dité des Abribus pour résister auvandalisme. Mais ce sont des préoc-cupations que nous avons toujourseues.»La remise au pas de l’espace urbainn’est pas nouvelle. Au XIXe siècle lespharaoniques travaux du baronHaussmann avaient un doubleobjectif: assainir la capitale et bâtirde grandes et larges avenues surlesquelles la construction et le main-tien de barricades serait aléatoire...Mais cette philosophie imprègnedésormais tout projet de rénovation.Dans les logements sociaux, on sup-prime les coursives, les toits-terras-ses. On y redessine la circulationpour éliminer les obstacles audéploiement des forces de police.

Les loges de concierge sont instal-lées au premier étage et en saillie surla façade. Surveiller avant de punir...Déjà en 1977, Michel Foucault dans«l’Œil du pouvoir» (3) parlait de «seservir de l’aménagement de l’espaceà des fins économico-politiques».«L’interdit est la négation de la ville»,affirme le philosophe ThierryPaquot. De l’apparition des digico-des, première brutale ligne dedémarcation entre public et privé, àla multiplication des sas d’entrée etla disparition des endroits où s’as-seoir, la ville s’endurcit. «Les zonesde transition entre l’espace public etl’espace privé disparaissent. Onpasse maintenant de l’un à l’autre»,ajoute le sociologue Daniel Terrolle,chercheur au Laboratoired’Anthropologie urbaine. «Cettearchitecture et le côté policier quil’accompagne ne peuvent qu’inciterà la crainte. Cela crée un climat para-noïde. La ville n’est plus qu’unecoexistence d’individus basée sur laméfiance. La logique extrême en serala création d’espaces de relégation,de logements fermés où l’on seretrouvera entre soi, parfois gardéspar des vigiles», poursuit Jean-Pierre Garnier. Des quartiers entiersde Mexico ou de Bogota sont déjàbâtis sur ce modèle, les gated com-munities américaines aussi. Certains

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presse qui met en avant l’esthétiquede la nouvelle réalisation et soninsertion dans le projet «MontpellierGrand Cœur». A Toulouse, le niveaude l’eau dans les fontaines a été cal-culé pour mouiller en permanence lesmargelles et empêcher que l’on s’yassoie. «Les aménagements urbainsdoivent être réfléchis en fonctionaussi de la prévention de l’insécu-rité», se justifie-t-on au cabinet dupréfet. A Bordeaux, la rénovation dela ville entreprise autour du tramwayjoue la carte du minéral plus que duconvivial: place Pey-Berland, lesbancs sont en granit, inconfortableset sans dossier; place de la Victoire,où une pelouse accueillait étudiantset parfois manifestants, il n’y a plusque des pavés. Gilles Paté et Stéphane Argillet,artistes plasticiens, se sont voués àdénoncer cette radicalisation.«L’espace de la rue devient d’uneviolence absolue, accuse le premier.Cela va plus loin que la simplevolonté d’expulsion du SDF. Celatouche au rapport du citoyen à l’es-pace public.» Tout aménagementprévu pour mettre dehors l’indésira-ble finit un jour ou l’autre par nuire àtout le monde. C’est souvent un pre-mier pas vers le tout-sécuritaire, lamultiplication des caméras de sur-veillance, les arrêtés antimendicité…

«Cette architecture qui se protègeest connue au Etats-Unis, où ellesévit depuis les années 1970, sous lenom de defensible space, explique lesociologue Jean-Pierre Garnier. EnFrance, on l’appelle “architecture deprévention situationnelle”. Elle estenseignée dans les écoles d’archi-tecture et à l’Institut des HautesEtudes sur la Sécurité.» L’idée:créer des espaces où tous soientvisibles. «On nous demande d’élimi-ner recoins, encoignures, ouvertu-res. Il faut des lignes droites, claires,surveillables», témoigne un archi-tecte. Au Futuroscope de Poitiers,les haies ont été retaillées pour quepersonne ne puisse se dissimulerderrière. A Paris, le parc André-Citroën a été conçu pour que lespelouses soient toutes visiblesdepuis les balcons environnants.Dans les projets de rénovation duForum des Halles, le marché de défi-nition met en première ligne la sécu-rité des biens et des personnes. Ducoup, toutes les propositions ontbeaucoup de perspective, de lignesdroites. L’une d’elles a même des«tours de surveillance».Architectes complices? «Ils ont inté-riorisé cette normalisation de l’es-pace public», accuse Garnier. A lamairie de Paris, les membres du cabi-net de Jean-Pierre Caffet, chargé

du tout, les voyageurs avaientexprimé leur envie profonde d’un«autre» design... Les années 1970avaient vu fleurir les sièges Motte,ces coques individuelles orange quiinterdisaient de se coucher et serontparfois disposées dos à dos, commes’il fallait surtout empêcher les gensde se parler... Le siège «miséri-corde», lui, a été mis au point audébut des années 1980 par le cabi-net Oui Dire, chargé du réaménage-ment du métro. Pour noyer le pois-son, les designers imagineront unnouveau concept: l’assis debout!«Nous voulons le siège traducteurde la pluralité des comportements:nous proposons une alternative àl’assise traditionnelle en offrant auxmusiciens, aux jeunes et autres ber-gers nomades une assise semi-debout» (2).«Papy», hélas pour lui, n’a rien d’un«berger nomade». Et le troupeauerrant qui l’accompagne a dû allerchercher ailleurs les endroits où les«assis debout» ont le droit d’êtrecouchés… Autant chercher uneaiguille dans une botte de foin. Dansles années 1990, l’Atelier Gaudin,choisi par la RATP pour changer lesbancs, a dû revoir ses modèles en yajoutant des accoudoirs, interdisantde s’allonger comme de s’asseoirl’un contre l’autre. Dans une lettre à

la régie, le concepteur y verra un«élément de torture» et une manière«péremptoire d’organiser la vie desgens», avant de finir par s’incliner.Avec l’indésirable, on a jeté le dési-rable. Autour de nous, l’agrémenturbain diminue comme peau de cha-grin. A Paris, on trouve de plus enplus de «piques à humains» sur lesrebords des vitrines, sur le mêmemodèle que les repoussoirs àpigeons. Devant une banque de laplace Gambetta, de gros cônesmétalliques ont même été plantés surle trottoir! Aux Halles, les pelousessont mouillées régulièrement. Nonpour favoriser leur repousse maispour empêcher les «indésirables» des’y vautrer... Jean-Pierre Garnier, sociologue auCNRS et professeur à l’Ecole spé-ciale d’Architecture, travaille depuisdes années sur ces problèmes. Danscette course à la déshumanisation, ilne constate aucun avantage du Sudsur le Nord, aucune supériorité de lacapitale sur la province. AMontpellier, place de la Comédie, lesmarches de la fontaine des Trois-Grâces, trop confortables pour leszonards, ont été remplacées par despierres pointues sur lesquelles l’eaus’écoule. A la mairie, personne nesouhaite s’exprimer sur le sujet, maison veut bien envoyer un dossier de

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