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CAS CLINIQUE Devenir des hamartomes sébacés : une étude anatomopathologigue prospective illustrée par un cas volumineux de la région auriculaire Evolution of sebaceous hamartoma: prospective pathologic study illustrated with a voluminous ear location A. Gleizal a , K. Chekaroua b , J.-L. Beziat c, *, E. Delay b a Service de chirurgie maxillofaciale, hôpitaux Nord, Lyon, France b Service de chirurgie plastique, centre Léon-Bérard, Lyon, France c Service de chirurgie maxillofaciale, CHU de Lyon, hôpital Nord, 93, grande rue de la Croix-Rousse, 69317 Lyon cedex 04, France Reçu le 10 décembre 2004 ; accepté le 26 mai 2005 MOTS CLÉS Hamartome sébacé ; Trichoblastome ; Carcinome basocellulaire KEYWORDS Sebaceous hamartoma; Trichoblastoma; Basal cell carcinoma Résumé Après l’exérèse récente d’une forme majeure d’hamartome sébacé de la région auriculaire contenant un trichoblastome mimant histologiquement un carcinome basocel- lulaire, nous avons réalisé une relecture anatomopathologique avec immunomarquage de 24 cas de carcinomes basocellulaires sur hamartome sébacé opéré sur une période de huit ans. L’examen anatomopathologique a permis de mettre en évidence sur 24 cas, 19 cas de trichoblastomes initialement étiquetés carcinomes basocellulaires. Cette étude va donc dans le sens de la littérature actuelle qui tend à prouver que les hamartomes sébacés de Jadasshon ont un risque de dégénérescence carcinomateuse minime, mais que leurs exérèses restent justifiées du fait d’un risque évolutif vers une forme verruqueuse extensive. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract After an exeresis of a sebaceous hamartoma of retroauricular area, histologic examination showed a trichoblastoma mimicking a basal cell carcinoma. So we realized a retrospective study with histologic examination of 24 cases of basal cell carcinoma after hamartoma. On 24 cases, 19 were not basal cell carcinoma, but trichoblastoma. So the study goes in the same direction of the world literature: hamartoma have a minimal risk of basal cell carcinoma transformation. Exeresis is indicated because of the risk of evolution to a hypertrophic tumour. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-L. Beziat). Annales de chirurgie plastique esthétique 50 (2005) 739–742 http://france.elsevier.com/direct/ANNPLA/ 0294-1260/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.anplas.2005.05.002

Devenir des hamartomes sébacés : une étude anatomopathologigue prospective illustrée par un cas volumineux de la région auriculaire

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CAS CLINIQUE

Devenir des hamartomes sébacés : une étudeanatomopathologigue prospective illustrée parun cas volumineux de la région auriculaire

Evolution of sebaceous hamartoma:prospective pathologic study illustratedwith a voluminous ear locationA. Gleizal a, K. Chekaroua b, J.-L. Beziat c,*, E. Delay b

a Service de chirurgie maxillofaciale, hôpitaux Nord, Lyon, Franceb Service de chirurgie plastique, centre Léon-Bérard, Lyon, Francec Service de chirurgie maxillofaciale, CHU de Lyon, hôpital Nord, 93, grande rue de la Croix-Rousse,69317 Lyon cedex 04, France

Reçu le 10 décembre 2004 ; accepté le 26 mai 2005

MOTS CLÉSHamartome sébacé ;Trichoblastome ;Carcinomebasocellulaire

KEYWORDSSebaceoushamartoma;Trichoblastoma;Basal cell carcinoma

Résumé Après l’exérèse récente d’une forme majeure d’hamartome sébacé de la régionauriculaire contenant un trichoblastome mimant histologiquement un carcinome basocel-lulaire, nous avons réalisé une relecture anatomopathologique avec immunomarquage de24 cas de carcinomes basocellulaires sur hamartome sébacé opéré sur une période de huitans. L’examen anatomopathologique a permis de mettre en évidence sur 24 cas, 19 cas detrichoblastomes initialement étiquetés carcinomes basocellulaires. Cette étude va doncdans le sens de la littérature actuelle qui tend à prouver que les hamartomes sébacés deJadasshon ont un risque de dégénérescence carcinomateuse minime, mais que leursexérèses restent justifiées du fait d’un risque évolutif vers une forme verruqueuseextensive.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract After an exeresis of a sebaceous hamartoma of retroauricular area, histologicexamination showed a trichoblastoma mimicking a basal cell carcinoma. So we realized aretrospective study with histologic examination of 24 cases of basal cell carcinoma afterhamartoma. On 24 cases, 19 were not basal cell carcinoma, but trichoblastoma. So thestudy goes in the same direction of the world literature: hamartoma have a minimal riskof basal cell carcinoma transformation. Exeresis is indicated because of the risk ofevolution to a hypertrophic tumour.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.-L. Beziat).

Annales de chirurgie plastique esthétique 50 (2005) 739–742

http://france.elsevier.com/direct/ANNPLA/

0294-1260/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.anplas.2005.05.002

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Introduction

L’hamartome sébacé est une tumeur congénitalebénigne fréquente de diagnostic facile. L’évolutionvers une dégénérescence en carcinome basocellu-laire a récemment été contredite par plusieursétudes rétrospectives qui sont à l’origine d’un re-gard nouveau sur cette pathologie [1,2]. Devant cesconstatations et après l’exérèse récente d’uneforme majeure de la région auriculaire contenantun trichoblastome, nous avons réalisé une relectureanatomopathologique avec immunomarquage de24 cas de carcinomes basocellulaires sur hamar-tome sébacé opéré sur une période de huit ans.

Cas clinique

Nous rapportons l’observation d’une femme de48 ans, présentant depuis plus de 20 ans une volu-mineuse lésion exophytique d’aspect verruqueuxde la région auriculaire (Figs. 1,2). La zone centraleapparaissait indurée sans ulcération ni saignement.À l’interrogatoire, on retrouvait l’existence d’unelésion congénitale de couleur jaune orangée planeévocatrice d’un nævus sébacé de Jadasshon. Cettelésion avait ensuite évolué à la puberté pour attein-dre l’état actuel hypertrophique et extensif. Cettelésion était développée aux dépens de l’hélix, de larégion pré- et sus-auriculaire ainsi que du sillonrétroauriculaire en remontant en région temporo-pariétale, mesurant ainsi 7 × 5 cm. Le reste del’examen cervicofacial était strictement normal, etnotamment sans adénopathies cervicales.Malgré cet aspect hypertrophique, un hamar-

tome sébacé était suspecté avec possible dégéné-rescence carcinomateuse en son centre. Une exé-rèse de la lésion avec reconstruction dans le mêmetemps opératoire avait donc été décidée et réaliséeavec :

• exérèse monobloc de la lésion, emportant larégion rétro- et sus-auriculaire jusqu’au fasciaprétemporal et de toute la région rétroauricu-laire droite en empiétant sur le cuir chevelu ;

• réalisation d’un lambeau de fascia prétemporaltransféré en région rétroauriculaire pour com-bler la perte de substance rétroauriculaire etassurer un lit vasculaire de bonne qualité à lagreffe de peau mince ;

• reconstruction de la région temporopariétalepileuse par un volumineux lambeau d’avance-ment de cuir chevelu ;

• couverture de l’hélix et la région rétroauricu-laire par une greffe de peau mince prélevée surle cuir chevelu.L’examen anatomopathologique de la pièce

d’exérèse mettait en évidence une hyperplasie sé-

bacée avec présence de nombreux foyers de folli-culite. De plus, on retrouvait des follicules pileuximmatures d’aspect embryonnaire.Tous ces éléments étaient donc en faveur du

diagnostic d’hamartome sébacé. En revanche, lazone indurée observée lors du prélèvement corres-pondait à une tumeur annexielle développée auxdépens de cellules germinales folliculaires qui fai-saient évoquer le diagnostic de trichoblastome no-dulaire (Figs. 3,4).Les suites postopératoires ont été simples et le

résultat à six mois était esthétiquement très cor-rect sans séquelle alopécique et avec une bonnerestauration du relief de l’hélix et de l’unité ré-troauriculaire (Figs. 5,6).

Discussion

L’hamartome sébacé est une tumeur congénitalefréquente (0,3°% des nouveau-nés), rencontrée leplus souvent au niveau de l’extrémité céphalique

Figure 1,2 Aspect clinique de la lésion auriculaire qui apparaîtindurée et verruqueuse.

740 A. Gleizal et al.

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[3]. C’est l’aspect évolutif de ces hamartomes (dufait du développement de tumeurs annexielles) quifait réaliser pendant de nombreuses années l’exé-rèse chirurgicale systématique de ces lésions. Eneffet, la notion de dégénérescence des hamarto-mes sébacés est ancienne et le carcinome basocel-lulaire a longtemps été considéré comme la tumeurla plus fréquente (6,5 à 50 % en fonction des séries)[4].L’évolution clinique naturelle est stéréotypée :

• à la naissance : l’enfant présente une plaquerosée de petite taille finement granitée, déve-loppée dans la plupart des cas aux dépens de larégion cervicofaciale et particulièrement au ni-veau du cuir chevelu (50 % des cas), et du front(30 % des cas) ;

• à la puberté, la surface de la lésion devientmamelonnée et a tendance à se pigmenter. Ceschangements morphologiques et histologiquess’expliquent par la croissance des glandes séba-cées sous l’influence des hormones sexuelles[5] ;

• à l’âge adulte, la lésion devient kératosique,ferme et surélevée, pouvant prendre de façonexceptionnelle comme dans notre observationun aspect hypertrophique polylobé et extensif.En 2000, trois études ont fait part de chiffres

différents concernant le risque de dégénérescencede ces tumeurs [1,2,6]. La synthèse des études deCribier et Kaddu retrouve respectivement sur596 et 316 cas d’hamartomes sébacés une fré-quence authentique de CBC très faible, inférieure à0,8 %, avec aucun cas de dégénérescence malignechez l’enfant de moins de 16 ans. En revanche, ils

Figure 3,4 Aspect postopératoire de la région auriculaire aprèsgreffe de peau totale.

Figure 5,6 Examen anatomopathologique d’un trichoblastomese présentant avec une palissade périphérique proche du carci-nome basocellulaire et un stroma fibroblastique avec proliféra-tion de cellules basaloïdes et éosinophiles exprimant plusieurssortes de cytokératines.

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mettent en évidence le développement de tumeursbasaloïdes bénignes qui miment cliniquement etsurtout histologiquement le carcinome basocellu-laire. Les lésions les plus fréquentes dans ces sériessont les trichoblastomes et les syringocystadéno-mes papillifères. Merrot et Pellerin, sur une étuderétrospective de 19 carcinomes basocellulaires surhamartomes sébacés initialement diagnostiqués,retrouvaient en fait 16 cas de tumeurs bénignes detypes trichoblastomes, syringocystadénomes pa-pillifères, hidrocystome apocrine [6].

Devant ces constatations récentes, nous avonsdonc réalisé une relecture des lames de 24 cas decarcinomes basocellulaires sur hamartome sébacéopéré en dix ans dans le service de chirurgiemaxillofaciale des hôpitaux Nord à Lyon. L’examenanatomopathologique, réalisé à l’aide d’une nou-velle fixation, auquel s’ajoutait un examen immu-nohistochimique, a permis de mettre en évidencesur 24 cas, 19 cas de trichoblastomes initialementétiquetés carcinomes basocellulaires grâce à lamise en évidence d’amas de cellules basaloïdes etéosinophiles exprimant la cytokératine CK5/6,CK14, CK17, évocateurs des trichoblastomes [7,8].

Le trichoblastome se présente cliniquementcomme un carcinome basocellulaire superficielavec un aspect nodulaire. L’apparition d’une ulcé-ration peut faire évoquer le diagnostic de carci-nome basocellulaire, mais également de synringo-cystadénome papillifère [9]. Histologiquement, letrichoblastome se présente avec une palissade péri-phérique proche du carcinome basocellulaire et unstroma fibroblastique avec prolifération de cellulesbasaloïdes et éosinophiles exprimant plusieurs sor-tes de cytokératines [7]. Il faut noter que la diffé-renciation histologique avec une quantité tissulaireréduite est délicate et l’association de multiplestumeurs histologiques différentes au sein du mêmehamartome est décrite [10].

Conclusion

L’exérèse précoce des hamartomes sébacés appa-raît moins un problème carcinologique qu’esthéti-que, puisque le pronostic est toujours bénin chezl’enfant et rarement malin chez l’adulte. Mais l’ex-cision précoce présente cependant plusieurs avan-tages :

• d’une part, elle évite l’évolution, certes rarecomme dans notre observation, vers une formehypertrophique et extensive ;

• d’autre part, elle facilite la chirurgie en bénéfi-ciant de la laxité cutanée importante chez l’en-fant.

Références

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[5] Hamilton KS, Johnson S, Smoller BR. The role of androgenreceptors in the clinical course of nevus sebaceous ofJadassohn. Mod Pathol 2001;14:539–42.

[6] Merrot O, Cotten H, Patenotre P, Piette F, MartinotDuquennoy V, Pellerin P. Sebaceous hamartoma ofJadassohn: trichoblastoma mimicking basal cell carci-noma? Ann Chir Plast Esthét 2002;47:210–3.

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[10] Goldstein GD, Whitaker DC, Argenyi ZB, Bardach J. Basalcell carcinoma arising in a sebaceous nevus during child-hood. J Am Acad Dermatol 1988;18:429–30.

742 A. Gleizal et al.