9
ZOONOSES REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464// 61 article reçu le 10 mars, accepté le 14 avril 2014 © 2014 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. RÉSUMÉ La toxocarose est une helminthozoonose due à la présence dans l’organisme humain de larves de Toxocara sp., vers ronds de la famille des Ascaridés. À ce jour, deux espèces seulement, Toxocara canis et Toxocara cati , parasites respectifs du chien et du chat, ont été reconnues comme agents causatifs de la maladie humaine. Le diagnostic biologique des formes généralisées, larva migrans viscérale et toxocarose commune, est essentiellement sérologique, et repose sur la méthode ELISA utilisant des antigènes larvaires d’excrétion- sécrétion. Tout résultat positif ou douteux doit être ensuite vérifié par une technique de western-blot. La toxocarose commune est une parasitose fré- quente, mais la plupart du temps bénigne. Une grande majorité des sujets atteints est asymptomatique ou n’a que quelques signes cliniques, et reste donc sans diagnostic. Cette forme de toxocarose se résout généralement spontanément, et les patients guéris conservent un résidu d’anticorps spéci- fiques (« cicatrice sérologique »), de sorte qu’une séropositivité résiduelle peut être associée à n’importe quelle pathologie, infectieuse ou non. Séparée du contexte clinico-biologique, une sérologie positive n’a a priori aucune valeur diagnostique, et ne peut être prise en considération qu’une fois éliminées les autres étiologies possibles du syndrome présenté par le patient. À l’inverse de ce qui peut être réalisé dans d’autres infections, l’ancienneté de la présence des IgG spécifiques ne peut être évaluée en dosant les IgM spécifiques. Le dosage des autres classes – notamment IgE – ou sous-classes – IgG3/ IgG4 – d’anticorps spécifiques, ou la détection des complexes immuns circulants se sont avérés inaptes à différencier une parasitose active de la présence d’anticorps résiduels. À l’heure actuelle, la présence d’une toxo- carose commune active est affirmée par des arguments indirects, comme l’existence de signes cliniques qui ne peuvent être rattachés à une autre pathologie, associés à une éosinophilie sanguine et/ou à un taux élevé de protéine cationique des éosinophiles. Une telle situation est loin d’être idéale. Toxocara sp. – toxocarose humaine – zoonose – diagnostic biologique. Jean-François Magnaval a,b, *, Judith Fillaux c,d , Richard Fabre b,e Diagnostic biologique de la toxocarose humaine til l 10 té l 14 il 2014 a Service de parasitologie médicale b CNRS UMR 5288 « Anthropobiologie » Université Paul-Sabatier – Faculté de médecine Toulouse-Purpan 37, allées Jules-Guesde – 31000 Toulouse c Service de parasitologie-mycologie CHU de Toulouse – Hôpital Purpan TSA 40031 – 31059 Toulouse cedex 9 d IRD UMR 152 « Pharmacochimie et pharmacologie pour le développement » Université Paul-Sabatier 31062 Toulouse cedex 9 e Biopole 52, av. Tolosane – 31520 Ramonville-Saint-Agne * Correspondance [email protected] SUMMARY Diagnosis of human toxocariasis in laboratory Toxocariasis is a zoonotic helminthiasis due to the infection of humans with larvae of Toxocara sp. that are ascarid round worms. Only two species, Toxocara canis and Toxocara cati, are recognized so far as agents of the human disease. The laboratory diagnosis of the generalized forms of toxocariasis, namely visceral larva migrans and covert/common toxocariasis, is mostly serological, and relies upon ELISA using Toxo- cara canis excretory-secretory larval antigens. Any positive or border-line result should subsequently be checked by western blotting. Covert/common toxoca- riasis is mostly a benign frequent infection, so a large majority of infected subjects is asymptomatic or has very few symptoms, and therefore go undiagnosed. This form of toxocariasis usually is self-limiting and cured patients exhibit residual specific antibodies, so a positive serodiagnosis can be associated with any infectious or non-infectious disease. Considered apart from the clinical and laboratory context, such a positive result has no diagnostic value and should be only taken into account after the possible causes of any observed syndrome have been ruled out. Unlike what can be done for many other infections, the age of the presence of specific IgG cannot be assessed using the level of specific IgM. The detection of other classes of immunoglobulins – particularly IgE - or sub- classes – IgG3 / IgG4 - or circulating Ag was proven to be unable to discriminate between active infections and the presence of residual antibodies. Currently, the diagnosis of an active covert toxocariasis relies upon indirect arguments, e.g., the presence of otherwise unexplained symptoms along with blood eosinophilia and/or elevated levels of eosinophil cationic protein, a situation which is far from ideal. Toxocara sp. – human toxocariasis – zoonosis – laboratory diagnosis. 1. Introduction La toxocarose est une zoonose helminthique due à la pré- sence dans l’organisme humain de larves de Toxocara sp., vers ronds de la famille des Ascaridés. À ce jour, deux espèces seulement, Toxocara canis et Toxocara cati, ont été reconnues comme agents causatifs de la maladie humaine. Les adultes des deux espèces sont des parasites

Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

  • Upload
    richard

  • View
    233

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

ZOONOSES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464// 61

article reçu le 10 mars, accepté le 14 avril 2014

© 2014 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

RÉSUMÉ

La toxocarose est une helminthozoonose due à la présence dans l’organisme humain de larves de Toxocara sp., vers ronds de la famille des Ascaridés. À ce jour, deux espèces seulement, Toxocara canis et Toxocara cati, parasites respectifs du chien et du chat, ont été reconnues comme agents causatifs de la maladie humaine. Le diagnostic biologique des formes généralisées, larva migrans viscérale et toxocarose commune, est essentiellement sérologique, et repose sur la méthode ELISA utilisant des antigènes larvaires d’excrétion-sécrétion. Tout résultat positif ou douteux doit être ensuite vérifié par une technique de western-blot. La toxocarose commune est une parasitose fré-quente, mais la plupart du temps bénigne. Une grande majorité des sujets atteints est asymptomatique ou n’a que quelques signes cliniques, et reste donc sans diagnostic. Cette forme de toxocarose se résout généralement spontanément, et les patients guéris conservent un résidu d’anticorps spéci-fiques (« cicatrice sérologique »), de sorte qu’une séropositivité résiduelle peut être associée à n’importe quelle pathologie, infectieuse ou non. Séparée du contexte clinico-biologique, une sérologie positive n’a a priori aucune valeur diagnostique, et ne peut être prise en considération qu’une fois éliminées les autres étiologies possibles du syndrome présenté par le patient. À l’inverse de ce qui peut être réalisé dans d’autres infections, l’ancienneté de la présence des IgG spécifiques ne peut être évaluée en dosant les IgM spécifiques. Le dosage des autres classes – notamment IgE – ou sous-classes – IgG3/IgG4 – d’anticorps spécifiques, ou la détection des complexes immuns circulants se sont avérés inaptes à différencier une parasitose active de la présence d’anticorps résiduels. À l’heure actuelle, la présence d’une toxo-carose commune active est affirmée par des arguments indirects, comme l’existence de signes cliniques qui ne peuvent être rattachés à une autre pathologie, associés à une éosinophilie sanguine et/ou à un taux élevé de protéine cationique des éosinophiles. Une telle situation est loin d’être idéale.

Toxocara sp. – toxocarose humaine – zoonose – diagnostic biologique.

Jean-François Magnavala,b,*, Judith Fillauxc,d, Richard Fabreb,e

Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

ti l l 10 té l 14 il 2014

a Service de parasitologie médicale b CNRS UMR 5288 « Anthropobiologie »Université Paul-Sabatier – Faculté de médecine Toulouse-Purpan37, allées Jules-Guesde – 31000 Toulouse c Service de parasitologie-mycologieCHU de Toulouse – Hôpital PurpanTSA 40031 – 31059 Toulouse cedex 9 d IRD UMR 152 « Pharmacochimie et pharmacologie pour le développement »Université Paul-Sabatier31062 Toulouse cedex 9 e Biopole52, av. Tolosane – 31520 Ramonville-Saint-Agne

* [email protected]

SUMMARY

Diagnosis of human toxocariasis in laboratory

Toxocariasis is a zoonotic helminthiasis due to the infection of humans with larvae of Toxocara sp. that are ascarid round worms. Only two species, Toxocara canis and Toxocara cati, are recognized so far as agents of the human disease. The laboratory diagnosis of the generalized forms of toxocariasis, namely visceral larva migrans and covert/common toxocariasis, is mostly serological, and relies upon ELISA using Toxo-cara canis excretory-secretory larval antigens. Any positive or border-line result should subsequently be checked by western blotting. Covert/common toxoca-riasis is mostly a benign frequent infection, so a large majority of infected subjects is asymptomatic or has very few symptoms, and therefore go undiagnosed. This form of toxocariasis usually is self-limiting and cured patients exhibit residual specific antibodies, so a positive serodiagnosis can be associated with any infectious or non-infectious disease. Considered apart from the clinical and laboratory context, such a positive result has no diagnostic value and should be only taken into account after the possible causes of any observed syndrome have been ruled out. Unlike what can be done for many other infections, the age of the presence of specific IgG cannot be assessed using the level of specific IgM. The detection of other classes of immunoglobulins – particularly IgE - or sub-classes – IgG3 / IgG4 - or circulating Ag was proven to be unable to discriminate between active infections and the presence of residual antibodies. Currently, the diagnosis of an active covert toxocariasis relies upon indirect arguments, e.g., the presence of otherwise unexplained symptoms along with blood eosinophilia and/or elevated levels of eosinophil cationic protein, a situation which is far from ideal.

Toxocara sp. – human toxocariasis – zoonosis –

laboratory diagnosis.

1. Introduction

La toxocarose est une zoonose helminthique due à la pré-sence dans l’organisme humain de larves de Toxocara sp., vers ronds de la famille des Ascaridés. À ce jour, deux espèces seulement, Toxocara canis et Toxocara cati, ont été reconnues comme agents causatifs de la maladie humaine. Les adultes des deux espèces sont des parasites

Page 2: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

62 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464

du tube digestif de leurs hôtes définitifs respectifs, les canidés et les félidés [1]. Par le passé, T. canis était consi-déré comme la seule cause de la toxocarose humaine. Bien que ce rôle soit indéniable, il existe aujourd’hui des preuves substantielles que les larves de T. cati puissent aussi parasiter l’Homme, entraînant une affection au spectre clinico-biologique proche de celui causé par les larves de T. canis [2].Le premier compte rendu de la présence de la présence de larves de T. canis dans d’autres hôtes que les canidés a été faite par Random et Foster en 1920 [3]. En 1952, Beaver et al. publièrent trois observations d’enfants présentant une hépatomégalie avec lésions granulomateuses associée à une très importante éosinophilie sanguine [4]. Ils identi-fièrent les larves trouvées dans le foie comme appartenant à l’espèce T. canis et appelèrent cette nouvelle maladie : « visceral larva migrans » (VLM, ou LMV en français). Beaver donna ultérieurement une interprétation restrictive de ce terme, eu égard au fait que l’Homme joue ici un rôle d’hôte paraténique. Selon cette définition, la toxocarose ne peut pas être considérée comme une « impasse parasitaire » [5].

2. Épidémiologie

L’Homme s’infecte principalement en ingérant des œufs embryonnés (figure 1) présents sur le sol de son environ-nement ou sur la fourrure d’animaux de compagnie [6]. En conséquence, la toxocarose humaine est au premier chef une saprozoonose selon la classification OMS de 1979. À côté de cette origine environnementale des contami-nations existe aussi une voie alimentaire qui implique les larves présentes dans les tissus d’hôtes paraténiques

entrant dans l’alimentation humaine. La littérature rapporte plusieurs cas de toxocarose causés par la consommation de viande ou d’abats crus ou peu cuits venant d’animaux de boucherie ou de basse-cour (volaille, lapins) [7-9].Depuis 1979, de multiples enquêtes séroépidémiologiques ont démontré que la toxocarose humaine était une des helminthiases cosmopolites les plus fréquentes. Dans les pays au mode de vie occidental, tels que ceux du G8, la séroprévalence va de 2 à 5 % dans les zones urbaines, de 15 à 20 % dans les zones semi-rurales telles que les banlieues résidentielles des grandes villes, et atteint 35 à 42 % en milieu rural [10]. Les facteurs positivement cor-rélés avec le degré de séroprévalence sont un bas niveau socioéconomique et une hygiène environnementale défec-tueuse [11], ceci étant amplifié par la présence d’un climat chaud et humide [12, 13].

3. Physiopathologie

La toxocarose est le fait d’un parasitisme exclusivement larvaire, les vers adultes n’étant jamais présents dans l’orga-nisme humain, notamment le tube digestif. Dans le duodé-num, les larves provenant de l’éclosion d’œufs embryonnés ou libérées par la digestion des tissus d’hôtes paraténiques contaminés perforent la paroi intestinale et entament un cycle dit « somatique », à l’issue duquel elles errent pendant une durée de temps variable dans l’organisme humain. Lorsque cette migration prend fin, les larves se retrouvent piégées dans des granulomes à éosinophiles au sein desquels elles dégénèrent [14]. Les larves rejettent en permanence, à rai-son d’environ 2 ng/larve/jour, des antigènes solubles dits « d’excrétion-sécrétion » (Ag TES), de nature glycoprotéique. Ces Ag TES sont pratiquement absents de la mosaïque antigénique somatique des larves et des adultes [15]. Une partie de ces Ag TES est d’origine interne, sécrétés par la glande œsophagienne et la colonne excrétoire, l’autre provient de la libération dans le milieu des glycoprotéines de l’enveloppe externe épicuticulaire. Le renouvellement de cette enveloppe est permanent et très rapide, avec un turn-over de 50 % en 1 h, et de 80 % en 48 h [16]. Cette libération permanente d’Ag TES est très certainement à l’origine de la survie des larves chez l’hôte paraténique, en « saturant » les défenses immunitaires de ce dernier. Par ailleurs, le fait que la réponse immunitaire de l’hôte soit dirigée quasi exclusivement contre ces Ag TES, et non contre les Ag somatiques qui ne sont exposés que lors de la destruction larvaire, a été d’une importance cruciale dans le développement du diagnostic immunologique de la zoonose. Les Ag TES contiennent une puissante fraction allergénique [17], ce qui explique la fréquence des manifes-tations allergiques observées chez les individus infectés [18]. Le fort pouvoir immunogène et allergénique des Ag TES a fait naître l’hypothèse que la plus grande partie des cas de toxocarose humaine serait le fait d’inocula de taille très faible. De fait, en 1959, un volontaire qui avait ingéré 100 œufs embryonnés de T. canis présenta dans les suites une toux irritative permanente durant plusieurs mois. Le niveau de son éosinophilie sanguine était de 13 500 cellules/mm3 au 30e jour suivant l’infestation, et se situait encore à 6 150 cellules/mm3 quatre mois et demi plus tard [19].

Figure 1 – Œuf embryonné de Toxocara cati.

Cliché Pr A. Valentin, Service de parasitologie, CHU de Toulouse.

Page 3: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

ZOONOSES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464 // 63

4. Clinique

Il convient tout d’abord de souligner que la majorité des infections est très certainement infra-clinique. Concer-nant les patients symptomatiques, il y a désormais un consensus général sur la nosographie de la toxocarose humaine, qui comprend des formes généralisées et des formes compartimentées [10, 20-21].Pour les formes généralisées, l’atteinte majeure est représen-tée par le syndrome de LMV. Causé par l’ingestion de très grandes quantités d’œufs embryonnés de Toxocara sp., il est généralement observé chez des sujets présentant géophagie ou pica, à savoir des enfants vivant en milieu très défavorisé, ou des individus souffrant de retard mental ou de troubles psychiatriques graves. Le tableau clinique associe une alté-ration plus ou moins marquée de l’état général, avec fièvre et amaigrissement, une toux asthmatiforme, des sibilances, des adénopathies multiples, une hépatomégalie et des infil-trats de Loeffler sur les clichés du thorax [4]. L’existence de formes moins bruyantes avait été soupçonnée au début des années 1980, en raison du hiatus existant entre les forts taux de séroprévalence relevés dans les pays industrialisés et le petit nombre de cas de LMV rapportés dans la littérature (970 entre 1952 et 1979). Deux enquêtes réalisées quasi simultanément en France chez l’adulte [18] et en Irlande chez l’enfant [22] démontrèrent que la toxocarose humaine n’était pas une rareté, et qu’elle se présentait le plus souvent comme un syndrome associant asthénie chronique, douleurs diges-tives, manifestations allergiques diverses, souvent conjonc-tivales ou cutanées (éruptions prurigineuses ou prurit isolé), myalgies diffuses, œdèmes angioneurotiques, toux irritative et, chez l’enfant, troubles du sommeil et du comportement. Cette forme clinique fut dénommée « toxocarose commune » en France et « covert toxocariasis » ou toxocarose cachée par les Anglo-Saxons.Les formes compartimentées sont oculaires ou neurolo-giques. La toxocarose oculaire survient préférentiellement chez l’enfant, l’adolescent ou l’adulte jeune, et elle est quasi constamment unilatérale. La présence d’une seule larve dans la paroi oculaire ou à son voisinage immédiat entraîne une inflammation chronique dont les conséquences sont, soit une uvéite antérieure, soit le plus souvent une uvéite postérieure avec choriorétinite et hyalite. L’opacification du vitré peut alors s’accompagner de dépôts d’immun-complexes en périphérie de l’œil (« œufs de fourmis ») et de la formation de bandes fibreuses de traction conduisant à un décollement de la rétine (figure 2). Lorsque la larve est piégée par la réaction inflammatoire dans les membranes oculaires, un granulome rétinien se développe, souvent au pôle postérieur. Le signe d’appel le plus courant est une baisse de la vision dans l’œil atteint, s’amplifiant rapidement en quelques jours ou au maximum quelques semaines. De nombreuses atteintes sont infra-cliniques, décelées seulement lors d’un examen ophtalmologique de rou-tine. L’infection du névraxe par les larves de Toxocara sp. entraîne une symptomatologie non spécifique, méningite, méningo-encéphalite ou myélite transverse, rendant diffi-cile l’implication formelle de la toxocarose dans la genèse des troubles observés. En 2011, une revue de la littéra-ture ne trouvait qu’une soixantaine de cas publiés [23]. Les relations avec l’épilepsie restent controversées.

5. Diagnostic biologique

5.1. Biologie non spécifique

5.1.1. HémogrammeDans le syndrome de LMV, la FNS retrouve constam-ment une hyperéosinophilie, au minimum franche et souvent massive, au-delà de 10 000 cellules/mm3 [24]. Au cours de la toxocarose commune, l’éosinophilie est habituellement modérée, autour de 1 500 cellules/mm3 [18]. Elle peut même être absente [22], notamment chez les patients présentant des manifestations chroniques d’allergie cutanée [25]. Dans les formes compartimen-tées, et notamment dans la toxocarose oculaire, l’éosi-nophilie sanguine est en principe dans les limites de la normale [26]. Cependant, lorsque l’atteinte oculaire est le fait d’une migration larvaire survenant au cours d’une toxocarose généralisée, une hyperéosinophilie peut être observée [27].

5.1.2. Cytologie des liquides de ponctionLa présence de larves de Toxocara sp. dans le névraxe s’accompagne souvent d’une pléiocytose du LCR, avec éosinophilie [23]. La découverte d’éosinophiles dans l’humeur aqueuse a été rapportée au cours de la toxoca-rose oculaire, mais le faible volume de ce type d’échantillon rend cet examen difficilement utilisable.

5.1.3. Dosage des IgE totales sériquesL’augmentation permanente et franche du titre des IgE totales en liaison avec une helminthiase a été décrite pour la première fois en 1968 chez enfants éthiopiens porteurs d’Ascaris lumbricoides [28]. Cette anoma-lie a été retrouvée ensuite dans la plupart des para-sitoses vermineuses. Dans la toxocarose commune, 79 % des patients présentaient une augmentation du niveau des IgE totales [29], la moyenne étant de 850 kUI/L dans une autre série [18].

Figure 2 – Uvéite avec hyalite intense.

La flèche indique une bande de traction.

Cliché Dr A.-M. Bourdiol, Service d’ophtalmologie, CHU Purpan, Toulouse.

Page 4: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

64 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464

5.1.4. Marqueurs de l’inflammationFréquent dans la LMV, un syndrome inflammatoire est inhabituel dans la toxocarose commune/« covert toxo-cariasis », où seulement 11 % des patients présentaient cette anomalie biologique [29].

5.2. Diagnostic directSeule la microscopie permet avec certitude de faire un dia-gnostic de toxocarose (« gold standard »). Celui-ci repose sur l’identification de larves trouvées dans le LCR [30] ou les milieux intraoculaires [31], ou de sections de larves ou de débris larvaires observés à l’examen anatomo-pathologique de biopsies ou de fragments d’organes [14].Intactes, les larves de Toxocara canis, d’aspect trapu (figure 3), font en moyenne 400 μm de long sur 20 μm dans leur plus grande largeur [32]. Sur les coupes anatomo- pathologiques, la cuticule montre deux ailes latérales caractéristiques [14]. Les larves de Toxocara cati ont une morphologie similaire [32].

5.3. Diagnostic immunologiqueLa nécessité de disposer d’un sérodiagnostic spécifique a été motivée par la lourdeur et les incertitudes du diagnostic direct. À la fin des années 50, dans le cadre du mouvement scienti-fique qui allait voir appliquer en parasitologie les techniques immunologiques récemment appa-rues, une première tentative eut lieu, basée sur l’utilisation d’extraits d’Ascaris lumbricoides ou d’A. suum. Cet essai allait être suivi par beau-coup d’autres, qui employèrent essentiellement des extraits solubles ou des coupes de T. canis adultes (antigène homologue) ou d’A. lumbri-coides ou A. suum (antigènes hétérologues). Toutes ces méthodes montrèrent un net manque de spécificité [26], en raison de la complexité de la mosaïque antigénique des helminthes, génératrice de réactions croisées entre parasites parfois taxonomiquement éloignés. De surcroît, en utilisant d’une part des sérums de macaques expérimentalement infectés, d’autre part des extraits solubles d’adultes et d’œufs embryonnés de T. canis, il fut démontré que les fractions anti-géniques contre lesquelles l’organisme infecté

montait une réponse immunitaire étaient absentes du panel antigénique des vers adultes. Les techniques dia-gnostiques utilisant ces antigènes, sous forme soluble ou figurée (immunofluorescence indirecte), manquaient donc à la fois de sensibilité et de spécificité.Une première amélioration vint de l’emploi d’extraits du tractus génital d’Ascaris suum femelles, autrement dit d’antigènes ovulaires hétérologues. Leur utilisation en immunoélectrophorèse (IEP), face à des sérums de sujets hyperéosinophiliques suspects de LMV, montra un arc de précipitation caractéristique [33]. Des travaux ultérieurs démontrèrent que la fraction antigénique en cause était présente également dans les Ag ES de T. canis, mais absente des extraits somatiques de larves ou d’adultes de T. canis, ainsi que du liquide cœlomique d’A. suum. Elle donnait cet « arc majeur » (figure 4) avec un sérum de macaque expérimentalement infecté par les larves de T. canis, mais ne réagissait pas avec des sérums humains de patients porteurs d’helminthiases autres que la toxocarose [34]. Cette méthode avait donc une excellente spécificité,

Figure 3 – Larve de Toxocara canis.

Cliché J.-P. Duclos, Service de parasitologie, Faculté de médecine Toulouse-Purpan.

Figure 4 – Immunoélectrophorèse avec extraits d’organes génitaux femelles d’Ascaris suum.

Présence de l’arc majeur.

Page 5: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

ZOONOSES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464 // 65

mais une faible sensibilité, l’IEP à visée diagnostique étant connue pour exiger de fortes concentrations d’anticorps spécifiques pour se positiver.Au milieu des années 1970 fut publiée la description d’un test qui associait l’ELISA, méthode apparue en 1971, avec l’emploi d’extraits d’œufs embryonnés de T. canis [35]. Pour éviter tout problème de réaction croisée, les sérums à tester étaient adsorbés au préalable sur un extrait pulvé-rulent d’A. suum adultes. Une évaluation ultérieure trouva une sensibilité de 78 % et une spécificité de 92,3 % [26]. Cependant, l’étape d’adsorption des sérums rendait la pratique du test incommode et décapitait probable-ment les faibles infestations, comme le suggérait le niveau assez bas de sensibilité. Un progrès décisif allait être effectué en 1976, avec la publi-cation d’une technique de main-tien en survie in vitro des larves de T. canis [36]. Les Ag TES pouvaient donc être produits à un niveau per-mettant leur emploi dans une tech-nique ELISA (ELISA-TES) [37], faisant ainsi entrer l’immunodiagnostic de la toxocarose dans l’ère moderne.

5.3.1. Production des Ag TESLes laboratoires qui effectuent la « culture » des larves de T. canis utilisent tous des variantes de la méthode initiale de De Savigny [36]. Dans notre service, les vers femelles sont lavés à l’eau du robinet, puis disséqués. Les organes génitaux sont soumis à une digestion arti-ficielle contrôlée dans un mélange pepsine-HCl, afin d’éliminer les tis-sus d’enveloppe. Les œufs recueillis sont distribués dans des tubes à culture contenant du formol à 1 % dans de l’eau physiologique. Ils vont incuber pendant 2 à 3 semaines à 37 °C dans un bain-marie agité. Périodiquement, des contrôles microscopiques sont effectués pour évaluer le degré d’embryonnement. Lorsqu’il atteint 50 %, les œufs sont décortiqués dans un broyeur de Potter, puis les larves sont séparées des débris ovulaires par une technique dérivée de celle de Baermann pour le dia-gnostic coprologique de la strongyloïdose (anguillulose). Elles sont réparties ensuite dans des flacons plats pour cultures virologiques contenant du RPMI 1640 enrichi en glutamine, à la concentration d’environ 1 000 larves/ml. Ces flacons sont incubés à 37 °C en atmosphère à 5 % de CO2. Toutes les semaines, les tubes sont inclinés et, une fois les larves sédimentées, le surnageant contenant les Ag TES est décanté. Ce produit brut est ultracentri-fugé, puis dialysé contre de l’eau distillée. Après titration des protéines, il est lyophilisé sous atmosphère inerte en flacons de 5 ml. Entreposés ensuite à - 80 °C, les Ag TES ont une durée de conservation dépassant les 15 ans.

5.3.2. Méthodes de routine et stratégies diagnostiquesL’ELISA détectant les anticorps de classe IgG dirigés contre les Ag ES (ELISA-TES IgG) s’est imposée comme l’immu-nodiagnostic de référence. À l’heure actuelle, une quinzaine de firmes commercialisent des trousses revendiquant des performances relativement similaires d’un produit à l’autre. En 1991, une des premières trousses apparues sur le mar-ché avait fait l’objet d’une évaluation qui reste à ce jour la seule effectuée sur ce type de réactifs. Les investiga-

teurs avaient trouvé une sensibilité de 91 % et une spécificité de 86 % |38]. Ils signalaient cependant des réac-tions croisées avec les sérums de sujets atteints de strongyloïdose ou de trichinellose. Ce problème de spécificité avait déjà été soulevé par Lynch et al. qui, ayant mis au point en 1988 un test ELISA « maison », avaient démontré en zone tropicale que les sérums de sujets atteints d’ascari-diose induisaient de fortes réactions croisées [39].En vue de renforcer la spécificité de l’ELISA-TES IgG, et par analo-gie avec ce qui venait d’être effectué en 1985 dans le cadre du sérodia-gnostic de l’infection à VIH, un test de confirmation par western-blot détectant également les IgG spéci-fiques des Ag TES (WB) fut mis au point à la fin des années 1980 [40]. Testés par WB, les sérums de patients atteints de toxocarose et d’un lapin expérimentalement infecté montraient un profil caractéristique (figure 5), fait d’un groupe de 4 bandes de bas poids moléculaire (BPM) de 24, 28, 30 et 35 kDa, et d’un groupe de 3 bandes de haut poids moléculaire (HPM) de 132, 147 et 200 kDa. Les sérums de patients atteints d’asca-ridiose, d’hydatidose, d’oxyurose, de strongyloïdose ou de téniasis à T. saginata ne donnaient – éventuel-

lement – qu’un profil incomplet qui ne comprenait que les bandes de HPM. L’analyse statistique confirmait que seules les réactions concernant les fractions de BPM étaient spécifiques de la toxocarose. Les études ulté-rieures, réalisées dans d’autres pays tant chez l’animal, lapin ou souris, que chez l’Homme, confirmèrent ces constatations initiales, à savoir la présence de 2 groupes de bandes correspondant aux fractions de BPM et HPM, et la spécificité des bandes de BPM. Il fut également démontré que les bandes observées dans la zone de 55 à 65 kDa avec certaines trousses commerciales de WB ne correspondaient pas à des fractions spécifiques [41]. Par ailleurs, les essais comparatifs avec l’ELISA mirent en évidence une sensibilité du WB très significativement supérieure, d’environ 55 %, à celle des trousses com-merciales d’ELISA-TES IgG [42].

Figure 5 – Western-blot

avec Ag TES. Profil

caractéristique à 7 bandes.

Page 6: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

66 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464

Le diagnostic immunologique des formes généralisées de la zoonose, LMV et toxocarose commune ou « covert toxoca-riasis », repose sur l’utilisation séquentielle de l’ELISA-TES IgG, puis du WB pour contrôler les positivités ELISA. Cette stratégie est d’ailleurs inscrite à la NABM. Il est souhaitable de contrôler aussi les sérums donnant des densités optiques situées dans la « zone grise », entre le seuil qui en constitue la limite supérieure et la limite inférieure, définies toutes deux par le fabricant de la trousse ELISA. L’usage combiné de ces deux méthodes assure grâce à l’ELISA-TES IgG un rendu rapide et peu coûteux des résultats négatifs et garantit avec le WB la spécificité des positivités détectées.Le problème majeur réside dans la valeur diagnostique d’un résultat positif, en raison de la présence généralisée de forts taux de séroprévalence. La toxocarose commune est dans la grande majorité des cas une helminthiase bénigne, qui va souvent ne pas être diagnostiquée et qui va guérir spontanément en laissant des séropositivités résiduelles. Dans ce cas de figure, une positivité de l’ELISA-TES IgG perdurerait en moyenne 2,7 ans et le WB mettrait plus de 5 ans à se négativer [10]. En conséquence une positivité sérologique, correspondant à la présence d’anticorps résiduels sans signification pathologique, peut se retrou-ver fortuitement associée à n’importe quelle entité mor-bide, infectieuse ou non. Prise isolément et détachée du contexte clinico-biologique, elle n’a donc aucune valeur diagnostique. Ce n’est qu’après avoir éliminé les étiolo-gies possibles du syndrome observé, notamment celles des hyperéosinophilies, qu’un résultat positif peut être pris en considération. Une demande de sérologie de la toxocarose doit donc toujours être incluse dans un panel d’immunodiagnostics dont la composition est établie en fonction des renseignements épidémiologiques et cliniques. La présence d’une augmentation nette du taux des IgE totales qui oriente vers une helminthiase, associée à la négativité des examens parasitologiques des selles, voire du sang et des urines, représente alors un argument important.Le diagnostic sérologique des formes compartimen-tées, oculaires et neurologiques, pose un problème ardu. Du fait d’une charge parasitaire souvent minime, voire réduite à une larve, l’immunodiagnostic effectué sur sérum est le plus souvent négatif. S’il est positif, on retrouve à nouveau le problème sus-décrit posé par la prévalence élevée d’anti-corps résiduels. Pour la toxocarose oculaire, la solution est venue de la généralisation de la pratique de la ponction de chambre antérieure (PCA) qui a rendu possible l’immunodia-gnostic sur l’humeur aqueuse (HA) par ELISA-TES IgG [43] ou par WB [27]. Pour la toxocarose neurologique, les immu-nodiagnostics se font sur le LCR [30, 44]. Le diagnostic immunologique sur liquides de ponction doit être systé-matiquement couplé avec un test sur sérum. En cas de positivité dissociée – HA ou LCR positif, sérum négatif – l’existence d’une synthèse intraoculaire ou intrathécale d’IgG spécifiques est établie avec certitude. Si sérum et liquide de ponction sont simultanément positifs, une production locale éventuelle sera calculée par la formule de Reiber.Le suivi post-thérapeutique n’est pas possible par les tech-niques détectant les IgG, ELISA-TES et WB, la cinétique de cette classe d’immunoglobulines ne variant que très lentement, même après un traitement efficace.

6. Perspectives diagnostiques

6.1. Détection des infections activesÀ l’inverse de ce qui existe pour certaines infections bactériennes, virales ou à protozoaires (toxoplasmose), il n’est pas possible dans la toxocarose d’évaluer le caractère récent d’une séropositivité IgG par le dosage concomitant des IgM spécifiques, ces dernières étant présentes tout au long de l’infection. Des méthodes donnant des arguments indirects sont donc utilisées ou en cours d’évaluation.

6.2.1. Dosage de la protéine cationique des éosinophiles (ECP)Les polynucléaires éosinophiles s’accumulant préféren-tiellement dans les tissus, l’hypothèse fut émise qu’une absence d’éosinophilie sanguine pouvait ne pas corres-pondre à une absence d’éosinophilie tissulaire. L’ECP et les autres protéines cationiques contenues dans les granulations éosinophiles sont libérées quand ce type de polynucléaires est activé, notamment en présence de parasites vermineux vivants. Le dosage de l’ECP est donc utilisé depuis treize ans dans notre service pour suspecter la présence d’une toxocarose active chez les patients normoéosinophiliques [45].

6.2.2. Quantification de l’avidité des IgG spécifiquesCette méthode a démontré son utilité dans l’exploration des conversions de la sérologie toxoplasmose survenant chez la femme enceinte. Appliquée au suivi sérologique sur 6 à 12 mois de 11 enfants polonais atteints de toxo-carose, elle a révélé une augmentation significative de l’avidité chez 10 d’entre eux [46], soit un très intéressant premier résultat qui demande à être confirmé par des études ultérieures.

6.2. Amélioration de la spécificité 6.2.1. Détection des sous-classes d’IgG spécifiques des Ag TESLa recherche par ELISA des IgG3 [47] ou des IgG4 [48] s’est avérée plus spécifique mais moins sensible que l’ELISA-TES conventionnelle, et n’a pas reçu d’applica-tion en routine.

6.2.2. Utilisation d’Ag recombinantsBien que les performances du couple ELISA-TES IgG/WB soient satisfaisantes en termes de sensibilité et de spé-cificité, ce processus diagnostique est coûteux en cas d’utilisation de réactifs commerciaux, et parfois malaisé à mettre en œuvre. À partir de 1995, plusieurs études ont évalué l’intérêt diagnostique d’Ag recombinants de 26 à 30 kDa. Les meilleurs résultats furent une sensibilité de 92,3 % et une spécificité de 89,6 %, mais sur seu-lement 26 patients toxocariens [49]. Il est souhaitable de voir se poursuivre les travaux sur cette thématique, car l’utilisation d’Ag recombinants pallierait la difficulté croissante à trouver des vers adultes, tout en combinant à terme, dans un simple DOT-ELISA, un bas coût avec la spécificité du WB.

Page 7: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

ZOONOSES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464 // 67

6.3. IgE spécifiques des Ag-TES et suivi-post-thérapeutiqueLa présence d’IgE spécifiques dans le sérum de patients atteints de toxocarose avait été établie au cours des années 1980, sans qu’une application diagnostique de routine en ait découlé [50]. Au début des années 1990, un test immunoenzymatique détectant les IgE dirigées contre les Ag-TES (ELISA-TES IgE) fut développé, éva-lué et enfin appliqué en routine sur une grande échelle (environ 2 500 tests par an) dans le service de parasi-tologie du CHU de Toulouse [51]. Les performances de cette technique diffèrent nettement de celle de l’ELISA-TES IgG. Environ 20 % des patients toxocariens n’ont pas d’IgE anti-Ag TES à un niveau ⩾ 5 unités Toxocara (UT)/L. À l’inverse, des titres significatifs d’IgE anti-Ag TES ne sont trouvés que chez des patients présentant un terrain atopique, objectivé par une histoire clinique évocatrice et la positivité des tests immunologiques de dépistage. Le titre des IgE anti-Ag TES décroît rapide-ment après traitement anthelminthique spécifique, ce qui fait que l’ELISA-TES IgE est utilisé en routine dans notre service pour la surveillance post-thérapeutique des patients toxocariens avec terrain atopique associé [52]. Par ailleurs, ces IgE spécifiques ont été retrouvées dans l’HA de patients suspects de toxocarose oculaire à des titres supérieurs à ceux décelés dans le sérum, argument en faveur d’une synthèse locale et donc d’une atteinte oculaire [27].

6.4. Diagnostic des infections à T. catiDifférentes techniques expérimentales destinées au dia-gnostic sérologique de la toxocarose à T. cati ont été publiées, mais aucune n’a été évaluée en pratique. Bien que certains travaux aient montré une grande similitude entre les Ag ES de T. canis et de T. cati, l’existence de frac-tions propres à la deuxième espèce a été prouvée, ce qui pourrait conduire à la mise au point d’un test spécifique. Dans l’attente, il faut signaler que le WB utilisant les Ag ES de T. canis est de toute évidence incapable de différen-cier les deux types d’infection. Utilisé sur des sérums de patients présentant des preuves circonstanciées d’infection par les larves de T. cati, le WB n’a jamais montré de profil de positivité différent de celui initialement décrit dans la toxocarose à T. canis [40].

6.5. Diagnostic moléculaireLes techniques moléculaires sont handicapées par plu-sieurs facteurs qui ont rendu jusqu’ici problématique la recherche d’ADN de Toxocara sp. Dans la plupart des cas de toxocarose humaine, la charge parasitaire est très faible et la probabilité d’avoir une larve dans un échantil-lon de tissu semble donc minime. De plus, il s’agit là de méthodes invasives et inacceptables d’un point de vue éthique et technique, la toxocarose étant habituellement une affection bénigne. Leur seul intérêt serait l’identifica-tion de structures larvaires trouvées dans des biopsies ou des fragments d’organes venant de la chirurgie ou d’autopsies [53]. Le futur pourrait résider dans la détection de l’ADN parasitaire soluble [54], un concept prometteur mais qui demande à être validé par des évaluations portant sur de plus grandes séries.

7. Impasses actuelles

Dans le but notamment de diagnostiquer les toxocaroses actives, des ELISA sandwich destinés à détecter les Ag TES circulants ont été proposés. En raison proba-blement du bas niveau de la charge parasitaire chez la plupart des patients et de l’inclusion des larves dans des granulomes, notamment hépatiques, ce type de test a affiché une sensibilité décevante, associé à un manque flagrant de spécificité [55]. Cet axe de recherche semble pour l’heure abandonné.

8. Thérapeutique

Quelle que soit la forme clinique de toxocarose rencontrée, ou l’option thérapeutique choisie, traitement ou abstention, une prophylaxie adaptée visant à éviter toute réinfection est la première mesure à prendre. Un interrogatoire soi-gneux du patient et éventuellement de son entourage doit être effectué pour identifier les facteurs de risque ainsi que les sources probables d’œufs de Toxocara sp. dans l’environnement.Au niveau du traitement étiologique, peu de médica-ments ayant une efficacité prouvée sont disponibles, ce qui est souvent le cas pour les helminthiases humaines. Le thiabendazole (Mintezol®) n’est plus disponible, et avait une mauvaise efficacité doublée d’un taux élevé d’effets secondaires, parfois majeurs. Le fluoromében-dazole (Fluvermal®), qui n’est pas absorbé par le tube digestif, doit être écarté, ainsi que l’ivermectine, qui a fait preuve d’une efficacité très modérée. La diéthyl-carbamazine (Notézine®) est certainement la molécule la plus active, avec une efficacité autour de 93 % chez les patients atteints de toxocarose commune, mais son emploi s’accompagne d’un taux élevé d’effets secon-daires causés par l’action sur les larves (réaction de lyse parasitaire) ou liés à la molécule (effets centraux et digestifs). L’albendazole (Zentel®, Eskazole®), à la posologie de 10 mg/kg/jour, sans dépasser 800 mg/j (2 comprimés) est l’anthelminthique le plus fréquem-ment utilisé. Son efficacité est d’environ 74 % avec des effets secondaires quasiment aussi fréquents qu’avec la diéthylcarbamazine, mais mineurs.La décision de traiter ou non un patient porteur d’une toxocarose dépend du type de syndrome présenté. Enfants et adultes avec une LMV sont justiciables d’une thérapeu-tique étiologique. Les sujets présentant une toxocarose commune ou « covert toxocariasis » avec hyperéosino-philie sanguine ne doivent pas nécessairement recevoir des anthelminthiques, car cette forme de la maladie guérit souvent spontanément. Un traitement antiparasitaire ne doit être envisagé que chez des sujets dont la maladie évolue depuis plus d’un mois et, en tout état de cause, après que les seules mesures prophylactiques se soient avérées insuffisantes. Les patients asymptomatiques avec hyperéosinophilie chronique ne requièrent aucune thé-rapeutique spécifique, mais seulement la mise en place d’une prophylaxie adaptée.La toxocarose oculaire étant rare et souvent grave, aucun essai thérapeutique randomisé et contrôlé n’a été publié.

Page 8: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

68 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464

À partir des résultats provenant de cas isolés ou de petites séries les corticoïdes peuvent être recommandés locale-ment et/ou per os (1 mg/kg/jour pendant 1 mois) comme traitement initial. S’ils s’avèrent inefficaces, l’ajout d’un anthelminthique doit être envisagé.Dans les formes généralisées de la zoonose, le suivi post-thérapeutique s’effectue par le biais de consultations de contrôle, dont la première ne doit pas intervenir avant un minimum de 4 semaines suivant la fin du traitement. L’effi-cacité du traitement s’apprécie sur l’évolution clinique et sur les paramètres biologiques non spécifiques (éosinophilie, titre des IgE totales et éventuellement de l’ECP) et spécifiques (titre des IgE anti-Ag ES, s’il était élevé avant traitement).Le suivi des formes compartimentées, oculaires et neu-rologiques, relève de la pratique de ces deux spécialités, et va se baser essentiellement l’évolution des troubles fonctionnels, des anomalies décelées à l’examen ophtal-mologique, et des données de l’imagerie médicale [52].

9. Conclusion

Actuellement, le diagnostic biologique de la toxocarose humaine repose quasi exclusivement sur l’association de l’ELISA-TES IgG et du WB qui est optimale au regard de la sensibilité et de la spécificité. Cependant, l’interprétation d’un résultat positif reste délicate, eu égard à la prévalence importante dans la population générale d’anticorps résiduels témoins d’infections spontanément guéries. La recherche des IgM spécifiques n’est d’aucun intérêt dans le cadre des helminthiases, et aucune autre technique sérologique n’a fait la preuve de son efficacité en routine. L’affirmation de l’activité d’une toxocarose commune continue donc à reposer sur des arguments indirects, une situation qui est loin d’être idéale.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de

conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références[1] Miyazaki I. Helminthic zoonoses. Tokyo: International Medical Foundation of Japan;1991.[2] Fisher M. Toxocara cati: an underestimated zoonotic agent. Trends Parasitol 2003;19(4):167-70.[3] Barriga OO. A critical look at the importance, prevalence and control of toxocariasis and the possibilities of immunological control. Vet Parasitol 1988;29(2-3):195-234.[4] Beaver PC, Snyder CH, Carrera GM, et al. Chronic eosinophilia due to visceral larva migrans; report of three cases. Pediatrics 1952; 9(1):7-19.[5] Harant H. La notion d’impasse en parasitologie. Son incidence dans les éosinophilies tissulaires. Bull Soc Pathol Exot Filiales 1962;55(4):576-88.[6] Roddie G, Stafford P, Holland C, et al. Contamination of dog hair with eggs of Toxocara canis. Vet Parasitol 2008;152(1-2):85-93.[7] Stürchler D, Weiss N, Gassner M. Transmission of toxocariasis. J Infect Dis 1990;162(2):571.[8] Salem G, Schantz P. Toxocaral visceral larva migrans after ingestion of raw lamb liver. Clin Infect Dis 1992;15(4):743-4.[9] Hoffmeister B, Glaeser S, Flick H, et al. Cerebral toxocariasis after consumption of raw duck liver. Am J Trop Med Hyg 2007;76(3):600-2.[10] Magnaval JF, Glickman LT, Dorchies P, et al. Highlights of human toxocariasis. Korean J Parasitol 2001;39(1):1-11.[11] Cilla G, Pérez-Trallero E, Gutiérrez C, et al. Seroprevalence of Toxocara infection in middle-class and disadvantaged child-ren in northern Spain (Gipuzkoa, Basque Country). Eur J Epidemiol 1996;12(5):541-3.[12] Thompson DE, Bundy DA, Cooper ES, et al. Epidemiological characteristics of Toxocara canis zoonotic infection of children in a Caribbean community. Bull World Health Organ 1986;64(2):283-90.[13] Magnaval JF, Michault A, Calon N, et al. Epidemiology of human toxocariasis in La Réunion. Trans R Soc Trop Med Hyg 1994;88(5): 531-3.[14] Marty AM. Toxocariasis. In: Meyers WM, Neafie RC, et al., edi-tors, Pathology of infectious diseases. Washington, DC, Armed Forces Institute of Pathology; 2000:411-21.[15] Fernando ST, Vasudevan B, Hamza MH, et al. Precipitin reactions in monkeys (Macaca sinica) experimentally infected with Toxocara canis and in children with visceral larva migrans syndrome. J Comp Pathol 1970;80(3):407-14.[16] Maizels RM, de Savigny D, Ogilvie BM. Characterization of surface and excretory-secretory antigens of Toxocara canis infective larvae. Parasite Immunol 1984;6(1):23-37.[17] Sugane K, Oshima T. Purification and characterization of excre-tory and secretory antigen of Toxocara canis larvae. Immunology 1983;50(1):113-20.

[18] Glickman LT, Magnaval JF, Domanski LM, et al. Visceral larva migrans in French adults: a new disease syndrome? Am J Epidemiol 1987;125(6):1019-34.[19] Chaudhuri RN, Saha TK. Tropical eosinophilia. Experiments with Toxocara canis. Lancet 1959;2(7101):493-4.[20] Schantz PM. Toxocara larva migrans now. Am J Trop Med Hyg 1989;41(3 Suppl):21-34.[21] Smith H, Holland C, Taylor M, et al. How common is human toxocariasis? Towards standardizing our knowledge. Trends Parasitol 2009;25(4):182-8.[22] Taylor MR, Keane CT, O’Connor P, et al. The expanded spectrum of toxocaral disease. Lancet 1988;1(8587):692-5.[23] Jabbour RA, Kanj SS, Sawaya RA, et al. Toxocara canis myelitis: clinical features, magnetic resonance imaging (MRI) findings, and treat-ment outcome in 17 patients. Medicine (Baltimore) 2011;90(5):337-43.[24] Altcheh J, Nallar M, Conca M, et al. Toxocariasis: aspectos clinicos y de laboratorio en 54 pacientes. An Pediatr (Barc) 2003;58(5):425-31.[25] Gavignet B, Piarroux R, Aubin F, et al. Cutaneous manifestations of human toxocariasis. J Am Acad Dermatol 2008;59(6):1031-42.[26] Glickman LT, Schantz PM, Grieve, RB. Toxocariasis. In: Walls KW, Schantz PM, editors, Immunodiagnosis of parasitic diseases. New-York, Academic Press;1986:201-31.[27] Magnaval JF, Malard L, Morassin B, et al. Immunodiagnosis of ocu-lar toxocariasis using Western-blot for the detection of specific anti-Toxocara IgG and CAP for the measurement of specific anti-Toxocara IgE. J Helminthol 2002;76(4):335-9.[28] Johansson SG, Mellbin T, Vahlquist B. Immunoglobulin levels in Ethiopian preschool children with special reference to high concentra-tions of immunoglobulin E. Lancet 1968;1(7552):1118-21.[29] Magnaval JF, Glickman LT, Dorchies P. La toxocarose, une zoonose helminthique majeure. Rev Med Vet (Toulouse) 1994;145(8-9):611-27.[30] Vidal JE, Sztajnbok J, Seguro AC. Eosinophilic meningoence-phalitis due to Toxocara canis: case report and review of the literature. Am J Trop Med Hyg 2003;69(3):341-3.[31] de Souza EC, Nakashima Y. Diffuse unilateral subacute neuroreti-nitis. Report of transvitreal surgical removal of a subretinal nematode. Ophthalmology 1995;102(8):1183-6.[32] Nichols RL. The etiology of visceral larva migrans. I. Diagnostic morphology of infective second-stage Toxocara larvae. J Parasitol 1956;42(4 Section 1):349-62.[33] Niel G, Pinon JM, Couture J, et al. Aspect immunologique de syn-dromes hyperéosinophiliques évoquant une Larva migrans viscérale. Bull Soc Pathol Exot Filiales 1973;66(2):324-32.[34] Magnaval JF, Glickman LT, Grieve RB, et al. Intérêt de l’immu-noélectrophorèse utilisant des extraits d’organes génitaux d’Asca-ris suum dans le diagnostic de la toxocarose. Bull Soc Pathol Exot 1986;79(5):634-41.

Page 9: Diagnostic biologique de la toxocarose humaine

ZOONOSES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JUILLET/AOÛT 2014 - N°464 // 69

[35] Cypess RH, Karol MH, Zidian JL, et al. Larva-specific antibodies in patients with visceral larva migrans. J Infect Dis 1977;135(4):633-40.[36] de Savigny DH. In vitro maintenance of Toxocara canis larvae and a simple method for the production of Toxocara ES antigen for use in serodiagnostic tests for visceral larva migrans. J Parasitol 1975; 61(4):781-2.[37] de Savigny DH, Voller A, Woodruff AW. Toxocariasis: serologi-cal diagnosis by enzyme immunoassay. J Clin Pathol 1979;32(3): 284-8.[38] Jacquier P, Gottstein B, Stingelin Y, et al. Immunodiagnosis of toxo-carosis in humans: evaluation of a new enzyme-linked immunosorbent assay kit. J Clin Microbiol 1991;29(9):1831-5.[39] Lynch NR, Wilkes LK, Hodgen AN, et al. Specificity of Toxocara ELISA in tropical populations. Parasite Immunol 1988;10(3):323-37.[40] Magnaval JF, Fabre R, Maurières P, et al. Application of the wes-tern blotting procedure for the immunodiagnosis of human toxocariasis. Parasitol Res 1991;77(8):697-702.[41] Roldán WH, Espinoza YA. Evaluation of an enzyme-linked immu-noelectrotransfer blot test for the confirmatory serodiagnosis of human toxocariasis. Mem Inst Oswaldo Cruz 2009;104(3):411-8.[42] Gueglio B, de Gentile L, Nguyen JM, et al. Epidemiologic approach to human toxocariasis in western France. Parasitol Res 1994;80(6): 531-6.[43] de Visser L, Rothova A, de Boer JH, et al. Diagnosis of ocular toxocariasis by establishing intraocular antibody production. Am J Ophthalmol 2008;145(2):369-74.[44] Magnaval JF, Galindo V, Glickman LT, et al. Human Toxocara infec-tion of the central nervous system and neurological disorders: a case-control study. Parasitology 1997;115 (Pt 5):537-43.[45] Magnaval JF, Faufingue JH, Morassin B, et al. Eosinophil catio-nic protein, specific IgE and IgG4 in human toxocariasis. J Helminthol 2006;80(4):417-23.

[46] Dziemian E, Zarnowska H, Kołodziej-Sobociñska M, et al. Determination of the relative avidity of the specific IgG antibodies in human toxocariasis. Parasite Immunol 2008;30(3):187-90.[47] Watthanakulpanich D, Smith HV, Hobbs G, et al. Application of Toxocara canis excretory-secretory antigens and IgG subclass antibo-dies (IgG1-4) in serodiagnostic assays of human toxocariasis. Acta Trop 2008;106(2):90-5.[48] Noordin R, Smith HV, Mohamad S, et al. Comparison of IgG-ELISA and IgG4-ELISA for Toxocara serodiagnosis. Acta Trop 2005;93(1): 57-62.[49] Norhaida A, Suharni M, Liza Sharmini AT, et al. rTES-30USM: clo-ning via assembly PCR, expression, and evaluation of usefulness in the detection of toxocariasis. Ann Trop Med Parasitol 2008;102(2):151-60.[50] Genchi C, Falagiani P, Riva G, et al. IgE and IgG antibodies in Toxocara canis infection. A clinical evaluation. Ann Allergy 1988;61(1):43-6.[51] Magnaval JF, Fabre R, Maurières P, et al. Evaluation of an immu-noenzymatic assay detecting specific anti-Toxocara immunoglobulin E for diagnosis and posttreatment follow-up of human toxocariasis. J Clin Microbiol 1992;30(9):2269-74.[52] Magnaval JF, Glickman LT. Management and treatment options for human toxocariasis, In: Holland CV, Smith HV, editors, Toxocara. The enigmatic parasite. Wallingford, Oxfordshire, UK: CABI Publishing; 2006:113-26.[53] Ishiwata K, Shinohara A, Yagi K, et al. Identification of tissue-embedded ascarid larvae by ribosomal DNA sequencing. Parasitol Res 2004;92(1):50-2.[54] Pinelli E, Roelfsema JH, Brandes S, et al. Detection and identifica-tion of Toxocara canis DNA in bronchoalveolar lavage of infected mice using a novel real-time PCR. Vet Parasitol 2013;193(4):337-41.[55] Gillespie SH, Bidwell D, Voller A, et al. Diagnosis of human toxo-cariasis by antigen capture enzyme linked immunosorbent assay. J Clin Pathol 1993;46(6):551-4.