6
Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente Diagnosis and management of amenorrhea in adolescent girls E. Laroche * , L. Bricaire, S. Christin-Maitre Service d’endocrinologie, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France Disponible sur Internet le 30 mai 2013 Résumé L’aménorrhée chez l’adolescente peut être soit primaire, associée à un impubérisme complet ou partiel en cas de développement mammaire, soit secondaire. La taille, l’indice de masse corporelle, l’alimentation, la quantité d’activité sportive, la présence ou non d’un hirsutisme ou d’une galactorrhée, la notion de rapports sexuels et/ou de douleurs pelviennes sont les éléments cliniques à rechercher. Le bilan biologique de base comprend un dosage d’hCG, de FSH, d’estradiol, de testostérone et de prolactine. Ces dosages permettent de distinguer les aménorrhées d’origine hypothalamo-hypophysaire des aménorrhées d’origine ovarienne. En cas d’aménorrhée primaire, l’adolescente peut présenter un hypogonadisme hypogonadotrope congénital ou plus rarement acquis. Si la FSH est élevée, une insuffisance ovarienne primaire (IOP) doit être évoquée, en premier lieu, le syndrome de Turner. En cas de développement pubertaire normal, une échographie pelvienne peut visualiser un obstacle à l’écoulement des règles, ou plus rarement une absence d’utérus (un syndrome de Rokitansky ou une insensibilité aux androgènes). Les causes les plus fréquentes d’aménorrhée secondaire chez l’adolescente sont le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) et l’aménorrhée hypothalamique fonctionnelle, plus rarement l’IOP ou l’hyperprolactinémie. Les diagnostics différentiels du SOPK sont l’hyperplasie congénitale des surrénales dans une forme à révélation tardive, un syndrome de Cushing ou une tumeur ovarienne ou surrénalienne virilisante. Le traitement de l’aménorrhée est, en l’absence de besoin contraceptif, un traitement hormonal substitutif en cas d’hypoestrogénie ou un traitement progestatif séquentiel en cas de SOPK. La prise d’une pilule estroprogestative peut être envisagée en cas de désir de contraception ou pour diminuer l’hyperandrogénie. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Amenorrhea in adolescents can be primary, with or without breast development, or secondary. Whether amenorrhea is primary or secondary, height, body mass index, food intake, the level of physical activity per week, the presence of hirsutism or galactorrhea, pelvic pain and past history of intercourse need to be investigated. Initially, blood tests should include hCG, FSH, estradiol, testosterone and prolactin serum levels. This screening will discriminate between hypogonadotropic hypogonadism and amenorrhea from primary ovarian insufficiency (POI). In case of primary amenorrhea, hypogonadism may be due to congenital hypogonadotropic hypogonadism (HH) or more rarely acquired HH. If FSH is elevated, amenorrhea is due to primary ovarian failure, mainly related to Turner syndrome. If pubertal development is normal, a pelvic ultrasound should be performed. It may visualize a hindering of menses output or less frequently an absence of uterus, as in Rokitansky syndrome or androgen insentivity syndrome. The most frequent etiologies of secondary amenorrhea are polycystic ovarian syndrome (PCOS), functional hypothalamic amenorrhea and less frequently POI and hyperprolactinemia. The differential diagnoses of PCOS are late-onset 21-hydroxylase deficiency Archives de pédiatrie 20 (2013) 817–822 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Laroche). 0929-693X/$ see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.04.004

Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente

  • Upload
    s

  • View
    221

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente

Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhéechez l’adolescente

Diagnosis and management of amenorrhea inadolescent girlsE. Laroche *, L. Bricaire, S. Christin-MaitreService d’endocrinologie, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, FranceDisponible sur Internet le 30 mai 2013

Résumé

L’aménorrhée chez l’adolescente peut être soit primaire, associée à un impubérisme complet ou partiel en cas dedéveloppement mammaire, soit secondaire. La taille, l’indice de masse corporelle, l’alimentation, la quantité d’activitésportive, la présence ou non d’un hirsutisme ou d’une galactorrhée, la notion de rapports sexuels et/ou de douleurspelviennes sont les éléments cliniques à rechercher. Le bilan biologique de base comprend un dosage d’hCG, de FSH,d’estradiol, de testostérone et de prolactine. Ces dosages permettent de distinguer les aménorrhées d’originehypothalamo-hypophysaire des aménorrhées d’origine ovarienne. En cas d’aménorrhée primaire, l’adolescente peutprésenter un hypogonadisme hypogonadotrope congénital ou plus rarement acquis. Si la FSH est élevée, une insuffisanceovarienne primaire (IOP) doit être évoquée, en premier lieu, le syndrome de Turner. En cas de développementpubertaire normal, une échographie pelvienne peut visualiser un obstacle à l’écoulement des règles, ou plus rarementune absence d’utérus (un syndrome de Rokitansky ou une insensibilité aux androgènes). Les causes les plus fréquentesd’aménorrhée secondaire chez l’adolescente sont le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) et l’aménorrhéehypothalamique fonctionnelle, plus rarement l’IOP ou l’hyperprolactinémie. Les diagnostics différentiels du SOPK sontl’hyperplasie congénitale des surrénales dans une forme à révélation tardive, un syndrome de Cushing ou une tumeurovarienne ou surrénalienne virilisante. Le traitement de l’aménorrhée est, en l’absence de besoin contraceptif, untraitement hormonal substitutif en cas d’hypoestrogénie ou un traitement progestatif séquentiel en cas de SOPK. Laprise d’une pilule estroprogestative peut être envisagée en cas de désir de contraception ou pour diminuerl’hyperandrogénie.� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Amenorrhea in adolescents can be primary, with or without breast development, or secondary. Whether amenorrhea isprimary or secondary, height, body mass index, food intake, the level of physical activity per week, the presence ofhirsutism or galactorrhea, pelvic pain and past history of intercourse need to be investigated. Initially, blood tests shouldinclude hCG, FSH, estradiol, testosterone and prolactin serum levels. This screening will discriminate betweenhypogonadotropic hypogonadism and amenorrhea from primary ovarian insufficiency (POI). In case of primaryamenorrhea, hypogonadism may be due to congenital hypogonadotropic hypogonadism (HH) or more rarely acquiredHH. If FSH is elevated, amenorrhea is due to primary ovarian failure, mainly related to Turner syndrome. If pubertaldevelopment is normal, a pelvic ultrasound should be performed. It may visualize a hindering of menses output or lessfrequently an absence of uterus, as in Rokitansky syndrome or androgen insentivity syndrome. The most frequentetiologies of secondary amenorrhea are polycystic ovarian syndrome (PCOS), functional hypothalamic amenorrhea andless frequently POI and hyperprolactinemia. The differential diagnoses of PCOS are late-onset 21-hydroxylase deficiency

Archives de pédiatrie 20 (2013) 817–822

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (E. Laroche).

0929-693X/$ see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.04.004

Page 2: Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente

and very rare ovarian or adrenal tumors. When contraception is not necessary, hormonal replacement therapy, includingestrogen and progestins should be administered in order to avoid hypoestrogenism. In case of PCOS, sequential progestinscan be prescribed. A contraceptive pill can be considered when contraception is needed and/or when hyperandrogenismneeds to be treated.� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

E. Laroche et al. / Archives de pédiatrie 20 (2013) 817–822818

1. INTRODUCTION

L’aménorrhée est définie par une absence de menstrua-tion. Il est classique de distinguer l’aménorrhée primaire etl’aménorrhée secondaire. Une aménorrhée primaire peuts’observer chez l’adolescente dans un contexte d’impu-bérisme ou bien associée à un développement pubertairepartiel, ou complet. L’absence de menstruation après l’âge de15 ans, ou plus de trois ans après le début du développementmammaire, doit être considérée comme pathologique etrequiert des investigations complémentaires. Toute aménor-rhée secondaire de plus de deux à trois mois nécessite d’êtreexplorée [1].

2. AMÉNORRHÉE PRIMAIRE DANS UNCONTEXTE DE RETARD PUBERTAIRE

Un retard pubertaire est définit par l’absence de dévelop-pement mammaire après l’âge de 13 ans (Fig. 1). Il peut s’agird’un retard pubertaire simple (30 %) mais il est souhaitabled’exclure une pathologie sous-jacente (70 %). L’aménorrhéeprimaire sans développement mammaire traduit une absencede sécrétion d’estradiol. L’évolution staturo-pondérale(courbe de croissance), l’histoire personnelle et familiale,l’examen clinique et le dosage de la FSH sont des éléments

Fig. 1. Arbre décisionnel devant une aménorrhée primaire.

essentiels dans la démarche diagnostique. Il est importantd’évaluer l’alimentation et la quantité d’activité sportivehebdomadaire.

Si les gonadotrophines sont élevées (FSH > 20 mUI/L) avecun estradiol effondré, il s’agit d’un hypogonadisme hyper-gonadotrope ou insuffisance ovarienne primaire (IOP). Lapetite taille, l’implantation basse des cheveux, un pterygiumcolli, un cubitus valgus peuvent orienter vers le diagnostic desyndrome de Turner, mais aucun de ces signes n’est constant.L’examen essentiel à réaliser est un caryotype [2]. Le syndromede Turner se définit par la perte totale ou partielle d’un desdeux chromosomes X. Son incidence est de une fille sur 2500.Dans 50 % des cas, le caryotype montre une monosomie X(45,X), dans 5 à 10 % des cas une duplication du bras long d’unchromosome X (46, X, i[Xq]). Les autres caryotypes sontsurtout des formules de mosaïque (45X, 46XX). Dans la grandemajorité des cas, l’aménorrhée est primaire. Cependant, lephénotype est très variable, et de rares cas de Turner peuventêtre diagnostiqués à l’âge adulte, lors d’un bilan d’infertilité oudevant une aménorrhée secondaire. Les autres étiologiesd’IOP, en dehors des antécédents de chimiothérapie ou deradiothérapie, sont génétiques, rares, ou associées à despathologies auto-immunes. Le plus souvent cependant, devantune aménorrhée d’origine ovarienne, l’étiologie reste inconnue(90 % des cas). Le bilan minimal à réaliser en cas d’IOP

Page 3: Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente

E. Laroche et al. / Archives de pédiatrie 20 (2013) 817–822 819

comporte le caryotype, la recherche d’une prémutation dugène de l’X fragile, un bilan auto-immun avec anticorps anti-thyroperoxydase et anti-21-hydroxylase, une glycémie et uneTSH. Le reste des investigations génétiques doit être orienté enfonction du contexte clinique [3].

Si les gonadotrophines sont basses, il s’agit d’un hypo-gonadisme hypogonadotrope. Il est congénital ou acquis,organique ou fonctionnel. En cas d’aménorrhée primaire, il estle plus souvent congénital et/ou organique, les aménorrhéeshypothalamiques fonctionnelles sont très rares et le retardpubertaire est un diagnostic d’élimination. L’examencomplémentaire indispensable est l’IRM hypophysaire afin dene pas méconnaître une pathologie tumorale.

En cas d’IRM hypophysaire normale, il peut s’agir soit d’unhypogonadisme hypogonadotrope congénital, soit d’uneaménorrhée fonctionnelle, soit d’une malabsorption oud’une aménorrhée associée à une pathologie chronique(insuffisance rénale, hépatique ou maladie cœliaque parexemple).

Les hypogonadismes hypogonatropes congénitaux (HHC)sont statistiquement des pathologies très rares [4]. Ils peuventêtre isolés ou associés à un déficit hypophysaire combiné ou àun contexte malformatif. Les HHC isolés se révèlent dans 90 %des cas par une aménorrhée primaire et sont associés à unretard pubertaire plus ou moins complet. Des signes cliniquesdoivent être systématiquement recherchés comme l’existenced’une anosmie ou d’une hyposmie, mais également la présencede mouvements en miroir, d’anomalies du palais ou d’uneagénésie dentaire, ces signes orientant vers un syndrome deKallmann. Ce syndrome est dû à un défaut de développementdes bulbes olfactifs entraînant un défaut de migration desneurones à GnRH à travers la lame criblée de l’ethmoïde. Àl’IRM, une aplasie ou une hypoplasie des bulbes olfactifs peuventêtre retrouvées. Une olfactométrie permet de confirmerl’anosmie ou l’hyposmie. Ces dernières années, plusieursmutations de gènes ont été identifiées dans ce syndrome(FGFR1, FGF8, PROKR2, PROK2, CHD7, NELF , WDR11, SEMA3A)[5]. Cependant, des mutations ont été identifiées chezuniquement 30 % des syndromes de Kallmann. D’autres gènesrestent donc à identifier.

En l’absence d’hyposmie, certaines pathologies génétiquesont été isolées, en particulier des mutations perte de fonctionde la GnRH, de son récepteur, des mutations du gène GPR54/KISSR1 codant pour le récepteur des kisspeptines et de sonligand Kiss, ainsi que des mutations des gènes TAC3 et TACR3,codant respectivement pour la neurokinine B et son récepteur.Ces nouvelles mutations ont permis de progresser dans laconnaissance de l’axe gonadotrope. Les neurones quisynthétisent la protéine Kiss, sont appelés KNDY, pour KissNeurokinine, Dynorphine. Ils jouent un rôle dans la libérationde la GnRH.

Certains hypogonadismes hypogonadotropes congénitauxpeuvent être associés à d’autres déficits hypophysairesavec parfois des anomalies morphologiques hypophysaires,par exemple une post-hypophyse ectopique. En fonctiondes déficits associés, différentes mutations de facteursde transcription impliqués dans le développement de

l’hypophyse ont été identifiées comme PROP1, LHX3,LHX4, HESX1 [6].

Les hypogonadismes hypogonadotropes congénitaux syn-dromiques sont rares. Il s’agit du syndrome de Prader-Willi, dusyndrome de Bardet-Biedl ou du syndrome de CHARGE(colobome, malformations cardiaques, atrésie choanale, retardde croissance et/ou de développement, anomalies des oreilleset/ou surdité). Enfin, chez des patientes présentant une obésitésévère, de rares mutations du gène de la leptine ou de sonrécepteur ont été décrites.

L’aménorrhée hypothalamique fonctionnelle est le plussouvent révélée par une aménorrhée secondaire [7]. Elle estliée à une sélection alimentaire avec insuffisance d’apports enlipides ou à un excès d’activités sportives. Une enquêtealimentaire approfondie ainsi que le calcul de l’indice de massecorporelle sont donc des éléments d’orientation indispensa-bles. Cette pathologie peut également entrer dans le cadred’une maladie chronique ou d’un stress émotionnel important.Il en résulte une inhibition de la sécrétion pulsatile de GnRHd’où une aménorrhée hypothalamique.

Le retard pubertaire simple est un diagnostic d’élimination, àévoquer uniquement après avoir éliminé les étiologiesorganiques. On retrouve alors dans près de 80 % des casdes antécédents de puberté tardive dans la famille. La courbe decroissance montre un infléchissement statural progressif etmodéré, sans cassure, l’âge osseux est inférieur à l’âgechronologique (< 11 ans), et il n’existe pas d’élément cliniqueorientant vers un syndrome [8].

3. AMÉNORRHÉE PRIMAIRE DANS UNCONTEXTE DE DÉVELOPPEMENTPUBERTAIRE NORMAL

Il est utile de distinguer les aménorrhées primairesdouloureuses, des aménorrhées primaires indolores (Fig. 1).L’échographie pelvienne et les dosages hormonaux (FSH,estradiol, testostérone) sont les éléments clés de la démarchediagnostique.

En cas d’aménorrhée primaire douloureuse, un obstaclecomplet à l’écoulement des règles doit être évoqué. Il peutalors s’agir d’une exceptionnelle aplasie vaginale, d’une cloisontransversale complète du vagin ou le plus souvent d’uneimperforation hyménéale. La palpation de l’abdomen montreune tuméfaction sus-pubienne rénitente plongeant derrière lasymphyse, correspondant à l’utérus distendu par la rétentionmenstruelle et surmontant le vagin qui peut être aussi distendu.Il s’agit dans ce cas d’un hématocolpos. L’échographie voirel’IRM, confirment le diagnostic.

En cas d’aménorrhée primaire indolore avec développe-ment pubertaire, le diagnostic à exclure est celui d’une absenced’utérus, le plus souvent associée à une aplasie vaginale,entrant dans le cadre du syndrome de Rokitansky. Sonincidence est très rare, entre 1/4000 et 1/5000 [9].Embryologiquement, ce syndrome correspond à une anomaliedes canaux de Müller et de leurs dérivés. Des malformationsurinaires sont fréquemment associées. Des anomalies del’appareil musculo-squelettique, des malformations cardiaques

Page 4: Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente

E. Laroche et al. / Archives de pédiatrie 20 (2013) 817–822820

ainsi que des hypoacousies, peuvent être associées. La majoritédes cas sont sporadiques mais des cas familiaux ont été décrits,notamment avec association à des signes d’hyperandrogénie(gène WNT4). Les dosages hormonaux de FSH, LH, estradiol,testostérone sont normaux. L’échographie pelvienne montreune absence d’utérus. En cas d’agénésie utérine, un caryotypedoit être réalisé. Il est de type XX dans le syndrome deRokitansky. Le principal diagnostic différentiel de l’agénésieutérine est le syndrome de résistance aux androgènes [10] ouinsensibilité aux androgènes. Il est lié à une anomalie de laréceptivité à la testostérone. Le taux plasmatique detestostérone est souvent élevé, supérieur aux taux masculins,ainsi que le taux de LH. Le caryotype est XY. Il s’agit d’uneaffection récessive liée à l’X avec perte de fonction durécepteur des androgènes. Dans la majorité des cas, unegonade est palpable au niveau inguinal. Il existe des formescomplètes et des formes partielles d’insensibilité auxandrogènes. Dans le premier cas, le diagnostic n’est souventporté qu’à l’adolescence avec un développement pubertaire etune aménorrhée. Dans le second cas, les phénotypes peuvents’étendre sur toute la classification de Prader (hypertrophiemodérée du clitoris jusqu’au micropénis) et le diagnostic estsouvent fait avant la puberté. En cas d’insensibilité auxandrogènes, il n’y a ni utérus, ni trompes, ni partie supérieuredu vagin.

S’il existe un utérus à l’échographie en cas d’aménorrhéeprimaire indolore avec développement mammaire, un arrêt dudéveloppement pubertaire est survenu puisque l’augmentationdu volume mammaire traduit une sécrétion d’estradiol.

Fig. 2. Arbre décisionnel devant une aménorrhée secondaire.

Les étiologies sont proches des étiologies d’aménorrhéesecondaire. Le diagnostic le plus probable est celui d’unsyndrome des ovaires polykystiques.

D’après une revue de la société américaine de médecine dela reproduction, la répartition des différentes étiologiesd’aménorrhée primaire est de 40 % avec un impubérisme etdes gonadotrophines élevées, 30 % avec un impubérisme et desgonadotrophines basses et 30 % avec un développementmammaire normal. [11].

4. AMÉNORRHÉE SECONDAIRE

Chez l’adolescente, l’aménorrhée secondaire est uneabsence de règles au-delà de 90 j (Fig. 2). Il est nécessaired’éliminer en premier lieu une grossesse. L’interrogatoireretrace l’histoire pubertaire, la prise de traitements, l’étatnutritionnel et psychologique, les variations de poids etl’activité physique. L’examen clinique recherche des signesd’hyperandrogénie (acné, hyper séborrhée, hirsutisme, voirealopécie du vertex, hypertrophie clitoridienne, modification dela voix) et la prise éventuellement rapide de poids durantl’adolescence. Des signes plus spécifiques doivent êtrerecherchés comme des signes d’hypercorticisme (érythrosedu visage, vergetures, amyotrophie), un acanthosis nigricans auniveau du cou ou des aisselles, témoin d’un hyperinsulinisme, etune galactorrhée orientant vers une hyperprolactinémie.

Devant une hyperandrogénie, les dosages à réaliser sont latestostérone totale et la 17-OH progestérone.

Page 5: Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente

E. Laroche et al. / Archives de pédiatrie 20 (2013) 817–822 821

En l’absence d’hyperandrogénie clinique, les dosages àdemander sont l’estradiol ou E2, la FSH, la LH et la prolactine.Un test aux progestatifs peut être réalisé. Il consiste à donnerdix jours d’un progestatif et voir si les règles surviennent dans lasemaine qui suit l’arrêt du progestatif. Si les règles surviennent,le test est dit positif, il traduit une sécrétion estrogéniquesuffisante. En l’absence de règles, le test est dit négatif, il existeune carence en estrogène. Il est utile de réaliser uneéchographie pelvienne.

Avec ces examens complémentaires, quatre groupesétiologiques peuvent être distingués, après élimination d’unegrossesse par dosage de l’hCG. Les deux premiers groupessont les plus fréquents, représentant à eux deux plus de 65 %des étiologies [11] :� les hyperandrogenies péripubertaires (SOPK, déficit non

classique en 21-hydroxylase, beaucoup plus rarementsyndrome de Cushing ou tumeur androgénosécrétante) ;� les hypogonadismes hypogonadotropes fonctionnels qui

surviennent chez une adolescente ayant une sélectionalimentaire avec éviction des lipides et réalisant une activitéphysique souvent intensive ;� l’insuffisance ovarienne prématurée (IOP), l’estradiol est bas,

et les gonadotrophines, FSH et LH, élevées (> 20 UI/L) ;� l’hyperprolactinémie, rare chez l’adolescente. Elle induit un

hypogonadisme hypogonadotrope et donc une aménorrhéesecondaire. En l’absence d’une cause évidente d’hyperpro-lactinémie telle que la prise de médicaments comme desneuroleptiques, une IRM hypophysaire doit être effectuée, àla recherche d’un prolactinome. Les autres causes d’hypo-gonadismes hypogonadotropes révélées par une aménorrhéesecondaire sont exceptionnelles. Il s’agit de tumeurshypothalamo-hypophysaires (cranio-pharyngiome, germi-nome, gliome du chiasma) ou de lésions infiltratives de larégion, par exemple l’histiocytose langerhansienne.L’étiologie la plus fréquente des hyperandrogénies est le

syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) [12]. Cediagnostic est retenu après exclusion des hyperandrogéniestumorales, du bloc en 21-hydroxylase ou du syndrome deCushing. Les hyperandrogénies tumorales sont sévères, ellessont d’apparition et d’évolution rapide. Il peut s’agir detumeurs ovariennes virilisantes, le plus souvent bénignes. Dansce cas, les androgènes ovariens sont très élevés, avec unetestostérone à au moins trois fois la limite supérieure de lanormale, souvent supérieure à 1,5 ng/mL. Il peut s’agir detumeurs à cellules de Sertoli-Leydig, de tumeurs granulothé-cales ou de dysgerminomes. Les hyperandrogénies tumoralespeuvent exceptionnellement avoir une origine surrénalienne.Ces tumeurs, rarissimes, sont le plus souvent malignes et sontsuspectées devant des signes d’hypercorticisme et des valeurstrès élevées de SDHEA. Le scanner abdominal constituel’examen complémentaire de choix pour localiser la tumeursurrénalienne.

Le deuxième diagnostic différentiel est le syndrome deCushing qui est soit d’origine surrénalienne, soit d’originehypophysaire. En cas de signes cliniques d’hypercorticisme,avec érythrose du visage, prise de poids, répartition facio-tronculaire des graisses, il convient donc de réaliser des

dosages hormonaux de cortisol libre urinaire des 24 h, et le testde freinage minute sur le cortisol. Ce test consiste à donnerdeux comprimés de Dectancyl1 à 0,5 mg à minuit et à doser lecortisol le lendemain matin à 8 h. Le troisième diagnosticdifférentiel du SOPK, plus fréquent, est le déficit en 21-hydroxylase dans sa forme « non classique » ou à révélationtardive [13]. Dans ces formes, les mutations du gène codantpour le cytochrome P450 C21 entraînent une réductiond’environ 20 à 50 % de l’activité enzymatique de la 21-hydroxylase. L’excès de précurseurs, surtout la 17-OHprogestérone, est en partie converti en androgènes surréna-liens responsables de l’hyperandrogénie. Le diagnostic biolo-gique est posé sur des valeurs de 17-OHP > 10 ng/mL de baseou après stimulation par le synacthène. Le test est réalisélorsque la valeur de base est comprise entre 2 et 10 ng/mL.

Dans la majorité des cas, l’hyperandrogenie de l’adolescenteest due à un SOPK. Ce syndrome associe des troubles du cycle,souvent une spanioménorrhée, une hyperandrogénie biolo-gique et à l’échographie la présence de plus de 12 folliculesantraux de 2 à 9 mm par ovaire. Cependant, cet aspectéchographique est fréquent chez l’adolescente. En effet, lapuberté normale peut s’accompagner d’un « mini-SOPK »physiologique, par définition transitoire. Dans le SOPK, cestroubles persistent deux ans après les premières règles et ilexiste souvent un hyperinsulinisme. En cas d’obésité, il convientde rechercher un syndrome dysmétabolique associé [14].

5. PRISE EN CHARGE D’UNE AMÉNORRHÉECHEZ L’ADOLESCENTE

Le traitement est étiologique en premier lieu.En cas d’obstacle à l’écoulement des règles, il est nécessaire

de lever chirurgicalement l’obstacle. Les tumeurs andro-génosécrétantes surrénaliennes ou ovariennes doivent êtreopérées. Une hyperprolactinémie non médicamenteuse doitêtre traitée par agonistes dopaminergiques. L’aménorrhéehypothalamique fonctionnelle doit conduire à faire modifier lecomportement alimentaire, et doit souvent inclure une prise encharge psychologique spécifique.

Toutes les autres étiologies, hormis le syndrome deRokitansky et le syndrome d’insensibilité aux androgènes danslesquels il n’existe pas de déficit hormonal, imposent untraitement hormonal. Le but est soit d’éviter la carenceestrogénique, soit d’éviter une hyperplasie de l’endomètre enraison d’une anovulation. En effet, la carence en œstrogènespeut avoir des conséquences délétères à long terme,principalement sur le plan osseux, avec un risque d’ostéopénievoire d’ostéoporose, et cardiovasculaire.

En cas d’aménorrhée primaire avec impubérisme, il s’agitdans un premier temps d’induire la puberté avec initialement defaibles doses d’estrogènes, dont la posologie est progressive-ment augmentée pour permettre un développement mam-maire adéquat. À la fin de la seconde année, un progestatif estintroduit, au moins dix jours par mois. En cas d’aménorrhéesecondaire avec puberté spontanée, un traitement progestatifpermet d’évaluer la quantité d’estradiol endogène. Si le test estpositif, il traduit une sécrétion estrogénique suffisante, un

Page 6: Diagnostic et prise en charge d’une aménorrhée chez l’adolescente

E. Laroche et al. / Archives de pédiatrie 20 (2013) 817–822822

traitement séquentiel dix jours par mois de progestatif permetde régulariser les cycles. Si le test aux progestatifs est négatif, untraitement substitutif estroprogestatif doit être instauré. Enl’absence de désir ce contraception, il est possible de donner untraitement hormonal substitutif avec du 17b estradiol sousforme orale, de patch ou de gel 25 j par mois, en association àun progestatif, dix à 12 j par mois. L’adolescente doit cependantêtre prévenue que ce traitement n’est pas contraceptif. En casde désir contraceptif, il est souhaitable de prescrire une piluleestroprogestative après avoir interrogé sur les antécédentsfamiliaux thromboemboliques. S’il existe une hyperandrogénieinvalidante, dans le cadre d’un SOPK, l’acétate de cyprotérone50 mg/jour 21 j par mois peut être donné en association à du17b estradiol. Un traitement cosmétique peut être associé.

6. CONCLUSION

La prise en charge de l’aménorrhée ne doit pas êtreminimisée. Une aménorrhée primaire nécessite des explorationsà partir de l’âge de 15 ans, ou si elle persiste trois ans après ledéveloppement mammaire. L’examen clinique, que la patienteprésente une aménorrhée primaire ou une aménorrhéesecondaire évalue la taille, l’indice de masse corporelle, laprésence de signes d’hyperandrogénie ou d’une galactorrhée.Les examens complémentaires à réaliser en premier lieu sont lesdosages d’hCG, d’estradiol et de FSH, ainsi que la testostérone etla 17-OH progestérone en cas d’hyperandrogénie clinique.Moins de 40 % des étiologies d’hypogonadismes hypogonado-trophiques congénitaux sont élucidées à l’heure actuelle.L’identification de nouveaux gènes devrait permettre de mieuxconnaître la physiologie de l’axe gonadotrope et du démarragepubertaire.

En cas d’hypogonadisme, un traitement hormonal substitutifest nécessaire pour éviter une carence estrogénique au longcours. Une prise en charge psychologique est souventnécessaire.

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

RÉFÉRENCES

[1] Bouvattier C, Thibaud E. Gynécologie de l’enfant et de l’adolescente. Paris:Doin Éditeurs; 2012.

[2] Sybert VP, McCauley E. Turner’s syndrome. N Engl J Med2004;351:1227–38.

[3] De Vos M, Devroey P, Fauser BCJM. Primary ovarian insufficiency. Lancet2010;376:911–21.

[4] Bry-Gauillard H, Trabado S, Bouligand J, et al. Congenitalhypogonadotropic hypogonadism in females: clinical spectrum, evaluationand genetics. Ann Endocrinol (Paris) 2010;71:158–62.

[5] Dodé C. Clinical genetics of Kallmann syndrome. Ann Endocrinol (Paris)2010;71:149–57.

[6] Castinetti F, Reynaud R, Saveanu A, et al. Clinical and genetic aspects ofcombined pituitary hormone deficiencies. Ann Endocrinol (Paris)2008;69:7–17.

[7] Genazzani AD, Chierchia E, Santagni S, et al. Hypothalamic amenorrhea:from diagnosis to therapeutical approach. Ann Endocrinol (Paris)2010;71:163–9.

[8] Sedlmeyer IL, Palmert MR. Delayed puberty: analysis of a large caseseries from an academic center. J Clin Endocrinol Metab 2002;87:1613–20.

[9] Morcel K, Guerrier D, Watrin T, et al. The Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser (MRKH) syndrome: clinical description and genetics. J GynecolObstet Biol Reprod (Paris) 2008;37:539–46.

[10] Hughes IA, Davies JD, Bunch TI, et al. Androgen insensitivity syndrome.Lancet 2012;380:1419–28.

[11] Practice Committee of American Society for Reproductive Medicine.Current evaluation of amenorrhea. Fertil Steril 2008;90:S219–25.

[12] Rackow BW. Polycystic ovary syndrome in adolescents. Curr OpinObstet Gynecol 2012;24:281–7.

[13] Young J, Tardy V, De la Perrière AB, et al. Detection and management oflate-onset 21-hydroxylase deficiency in women with hyperandrogenism.Ann Endocrinol (Paris) 2010;71:14–8.

[14] Deligeoroglou E, Athanasopoulos N, Tsimaris P, et al. Evaluation andmanagement of adolescent amenorrhea. Ann N Y Acad Sci2010;1205:23–32.