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Dictionnaire des nationalités et des minorités de l'ex-U.R

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des nationalités et des minorités de fex-U.R.S.S.

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dictionnaire

des nationalités et des minorités

de fex-U.R.S.S.

Roger Caratini

-—-RÉFÉRENCES L a r o u s s e

17, RUE DU MONTPARNASSE - 75298 PARIS CEDEX 06

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Responsable de collection Emmanuel DE WARESQUEL

Secrétariat d'édition Catherine ZERDOUN

Fabrication Michel PARÉ

Cartographe Charles ROZO

Réalisation EMPREINTES, Antony

Tableaux Atelier FERCIOT

(Ç) Larousse, 1992

Toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, de la nomenclature contenue dans le présent ouvrage et qui est la propriété de l'Editeur, est strictement interdite.

Distributeur exclusif au Canada : les Éditions Françaises Inc.

ISBN 2-03-720263-6

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PRÉFACE (de la deuxième édition)

J'ai écris ce livre il y a deux ans, en 1990. En ce temps-là, qui nous paraît bien loin- tain si rapide a été le changement, l'URSS était un Etat fédéral hautement centralisé, composé de quinze « Républiques » dites constituantes et qualifiées de « socialistes soviétiques » (en RSS) ; chacune d'entre elles abritait une population autochtone dominante en nombre (de 36 % au Kazakhstan à près de 90 % en Arménie : voir le tableau statistique n° V, en fin de volume). Entre ces quinze RSS étaient distribuées vingt « Républiques socialistes soviétiques autonomes » (les RSS ) . dont seize pour la seule République de Russie. Leur struc- ture démographique était, et est encore, plus variée que celle des RSS ; par exem- ple, dans la RSSA de Bouriatie, il y a environ 72 % de Russes et 23 % seule- ment de Bouriates, alors qu'en Tchouva- chie les autochtones (Tchouvaches) repré- sentent plus de 68 % de la population et les Russes seulement 26 % (voir à ce sujet le tableau statistique VII, à la fin de l'ouvrage). Ce n'est pas tout. L'administration sovié- tique avait en outre découpé, dans les Républiques (les RSS) des régions autono- mes (« région » se dit oblast en russe), au nombre de huit, et dix districts autonomes (« district » se dit okrug en russe), corres- pondant à des territoires abritant des peu- ples relativement peu nombreux. Ainsi donc, dans l'ancienne URSS, cin- quante-trois peuples possédaient un statut territorial et national plus ou moins auto- nome en théorie ; les républiques (RSS ou RSSA) étaient dotées d'organes gouverne- mentaux hiérarchisés (le gouvernement et l'Assemblée d'une RSSA avaient des com- pétences et des pouvoirs locaux, subor- donnés à ceux de la RSS dans laquelle elle

était intégrée ; les RSS elles-mêmes étaient subordonnées au pouvoir central, siégeant au Kremlin, à Moscou). Quant aux régions et aux districts autonomes, ils ne disposaient guère que d'une autonomie culturelle surveillée par le Parti commu- niste de l'Union. dont le Comité central était le détenteur effectif du pouvoir ; depuis 1977, d'ailleurs, le Premier secré- taire du Parti cumulait ce titre avec celui de chef de l'État soviétique (président du Praesidium du Soviet suprême). En outre, à côté de ces cinquante-trois peuples reconnus, il y avait en URSS près de deux cents autres nationalités minoritaires sans droits particuliers, sinon ceux de se taire et d'obéir, comme tous les citoyens sovié- tiques et surveillés, comme eux, par le terrible KGB, le Comité de sécurité d'État.

Qu'est-il advenu de cette pyramide, en apparence inébranlable, en 1992, après le plus formidable tremblement de terre géo- politique de l'histoire contemporaine ? Les trois Républiques baltes, la Lituanie, l'Estonie et la Lettonie, dont l'indépen- dance a été officiellement reconnue le 6 septembre 1991 par le Conseil d'État de l'Union soviétique (nouvel organe exécu- tif de l'URSS, créé par Gorbatchev, com- posé du président de l'Union et des princi- paux responsables des Républiques, qui s'est réuni pour la première fois le 6 sep- tembre 1991) ; reconnues ensuite par les autres nations, elles sont admises à l 'ONU le 17 septembre. L'URSS n'est plus : elle a été dissoute le 8 décembre 1991 par les présidents des trois Républiques slaves (Russie, Ukraine, Biélorussie), signatai- res de l'accord de Minsk créant la Com- munauté d'États indépendants ou CEI, à laquelle toutes les autres Républiques de

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feue l'Union soviétique sauf une (la Géor- gie) ont adhéré : la CEI a été officielle- ment instaurée par la conférence d'Alma- Ata, réunissant les présidents des onze Républiques qui la constituent, le 21 dé- cembre 1991. En d'autre termes, l'ancien empire que les tsars avaient transmis à Lénine et à Staline par l'effet de la Révolution d'Oc- tobre s'est « dévissé », en « poupée russe » qu'il était. Les quinze RSS de l'Union, débarrassées du pouvoir commu- niste, sont devenues quinze États indé- pendants : — les trois Républiques baltes et la Géor- gie assument individuellement leur des- tin ; — les onze autres ex-RSS (Russie, Ukrai- ne, Biélorussie, Moldavie, Arménie, Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan) forment la CEI.

Autrement dit, sur les quelques deux cents peuples qui vivaient dans l'ex-URSS, il en est quinze — ceux qui étaient les plus nombreux — qui ont acquis leur indépen- dance pleine et entière, dans des circons- tances que nous allons conter plus loin. Cela signifie que les articles de ce Diction- naire concernant les Arméniens, les Azé- ris, les Biélorussiens, les Estoniens, les Géorgiens, les Kazakhs, les Kirghizes, les Lettons, les Lituaniens, les Moldaves, les Ouzbeks, les Tadjiks, les Turkmènes et les Ukrainiens doivent être mis à jour, ce que nous nous proposons de faire dans cet Avant-Propos. Mais, pour tous les autres, des Abkhazes aux Zyriènes, il n'y a, pour l'instant, rien de changé. Certes, depuis deux ans, il est tombé bien des dépêches mentionnant des conflits interethniques dans le Haut-Karabakh, des émeutes chez les Gagaouzes, les Tchétchènes, les Ossè- tes, etc. ; mais ce ne sont là que des soubresauts sans lendemain, parmi des milliers : nous n'avons pas à en tenir la chronique car, pour le moment du moins, ils n'infléchissent pas, hélas, le destin de ces peuples. Lorsque j'ai publié ce livre, en 1990, je désirais éclairer mes lecteurs

sur leur histoire et leur statut ; en 1992, rien, pour eux, n'a évolué, sinon la dispa- rition du pouvoir communiste et du KGB dans les Républiques qui les abritent : pour eux, l'histoire est restée immobile, voici comment elle a été mise ou remise en marche pour les autre.

La perestroïka

Lorsque le tsar Nicolas II abdique, le 2 mars 1917, l'Empire bâti par ses prédé- cesseurs est encore intact. Le 25 octobre 1918 (selon le calendrier russe cette date équivaut au 7 novembre 1918 dans le calendrier grégorien) les bolcheviks pren- nent le pouvoir : la Révolution est comm- mencée, dirigée par Lénine, et elle est marquée par une impitoyable guerre civile qui se terminera en 1920. Lénine instaure alors le centralisme démocratique, interdit les « tendances » au sein du Parti commu- niste, Staline accomplit un travail de « ré- cupération des nationalistes » considéra- ble, et l'URSS est constituée en 1922 ; le régime soviétique est officiellement défini par la Constitution de 1924. Lénine meurt en janvier 1924 ; le pouvoir est exercé, pour un temps, par la « troïka » (Staline - Zinoviev - Kamenev), puis, à partir de 1929, par Staline seul. Celui-ci se déba- rasse des opposants (procès de Moscou, 1936-1938, accompagnés de « purges » politiques) et fait adopter une nouvelle Constitution de Y Union en 1938. A la mort de Staline succède au pouvoir, suc- cessivement, Malenkov, Nikita Khrou- chetchev (1953-1964), Léonid Brejnev (1964-1982), Iouri Andropov (1982-1984), Konstantin Tchernenko (1964-mars 1985) et enfin Michaïl Gorbatchev (1985-1991), qui fut le dernier Secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique (PC US).

Le système soviétique de production, tel qu'il fonctionnait au temps de Brejnev, était celui d'une économie socialiste plani- fiée et bureaucratique. Le pouvoir central établissait des priorités politiques, telles

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l'élaboration d'une force armée supé- rieure à celle des États-Unis, la conquête de l'espace ou la guerre en Afghanistan, et fixait en conséquence les niveaux de production, tant des biens de première nécessité, comme le pain, l'énergie, les vêtements pour enfants, que des biens dits « de luxe » (vodka, voitures indivi- duelles, manteaux de fourrure par exem- ple) et des biens d'équipements (militai- res, etc.). Les prix des biens de consom- mation étaient fixés administrativement, non pas en fonction de l'offre et de la demande du marché ou du prix de revient des produits vendus, mais selon des impé- ratifs politiques et sociaux de l'État ; compte tenu du gigantisme territorial, le « Plan » était mis en application par une armée de fonctionnaires, de bureaucrates, d'organisation d'État, et surveillé, aux quatre coins de l'Union, par les autorités communistes locales, la police économi- que, voire le KGB. Tant que l'homme du Kremlin, en l'occurence Brejnev, put dominer cette toile d'araignée politico- économique, le système permit à tous les soviétiques de travailler, de se nourrir et de se vêtir, à l'Union d'être la plus grande puissance militaire du monde et à la nomenklatura de faire passer le message que tout était pour le mieux dans le meil- leur des mondes. Ce système a commencé de péricliter lors- que les rapports avec l'Occident se sont multipliés, après le choc pétrolier du début des années 70, et, surtout, à l'occa- sion de l'intervention militaire en Afgha- nistan (décembre 1979). Chefs d'entrepri- ses, ingénieurs, militaires, écrivains et journalistes, savants, artistes, et quelques autres catégories de citoyens ont ressenti les contradictions profondes inhérentes au « Plan » et à ses conséquences, dont les plus désastreuses étaient les échecs de l'armée soviétique en Afghanistan, la pénurie qui s'installait lentement dans la société soviétique et les scandales finan- ciers éclaboussant divers notables de la nomenklatura (voir, par exemple, le scan- dale du coton en Ouzbékistan après l'arri-

vée, à la tête du PC de cette République, du « déstalinisateur » Charaf Rachidov, p. 164). Dans le même temps, à travers toute l'Union, le marché noir faisait recette et des réseaux parallèles, contrôlés bien souvent par des Tartares, se dévelop- paient lentement ; la concusssion et la corruption finirent même par atteindre la famille proche de Léonid Brejnev et de divers membres du Politburo !

Les successeurs de Brejnev, mis en place pour expédier les affaires courantes en attendant que les membres du Comité central fussent en mesure de décider qui, des partisans de l'ancien système ou des rénovateurs, devraient prendre les rènes du pouvoir, laissèrent pourrir la situation, entre 1982 et 1985. C'est ainsi que Mikhaïl Gorbatchev fut élu Secrétaire général du PCUS, le 11 mars 1985, le lendemain même du décès de Tchenenko.

La tâche que devait accomplir M. Gorbat- chev était double : 1° enrayer la crise économique qui com- mençait à s'étendre à tout le pays, sous peine de voir s'installer partout, une pénu- rie comparable à celle des pires années de la Seconde Guerre mondiale et moderni- ser l'économie soviétique ; 2° relâcher l'étreinte politique et idéologique exercée par le PCUS et par la bureaucratie admi- nistrative. De fait, dès le 15 octobre 1985, il mettait en train une série de réformes tendant à restructurer l'URSS ; « moder- niser » l'économie, cela impliquait, évi- demment, l'abandon de l'idéologie socia- liste, fondement de la Constitution de 1977. L'ensemble de ces réformes, qui se sont prolongées jusqu'en 1991, a été appelé par lui-même perestroïka (« res- tructuration ») ; parmi celles-ci : un plan de liquidation sur quinze ans de tout l'ar- mement nucléaire soviétique, une loi ins- taurant un secteur semi-privé (19 novem- bre 1986), la signature d'un traité sur le démantelement des forces nucléaires

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intermédiaires avec les États-Unis (mai 1988-février 1989), l'institution d'un sys- tème de location des terres aux paysans (juillet 1988), la mise sur pied d'un pro- gramme d'assainissement de l'économie (septembre 1989), l'exclusion des conser- vateurs (ou du moins de certains d'entre eux) du Bureau du PCUS, etc. Parallèlement à cette perestroika, d'ail- leurs freinée par les hommes en place à divers échelons, M. Gorbatchev entre- prend d'assouplir le régime des libertés d'expression. Il engage à la glasnost (« transparence ») instances politiques et administratives, et promet que cette trans- parence sera appliquée à propos de l'en- quête sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine (26 avril 1986). Les premières mesures sont spectaculai- res : le physicien Andreï Sakharov est libéré (19 décembre 1986), et devient, par là même, un auxiliaire de choix pour la perestroika ; le ministre de la défense (conservateur), à savoir le maréchal Soko- lov, est limogé (mai 1987) ; Gorbatchev prône l'indépendance des partis commu- nistes étrangers à l'URSS ; les victimes des procès de Moscou sont réhabilitées ; la Constitution « brejnevienne » de 1977 est abrogée et remplacée par la Constitu- tion du 28 octobre 1988 (multipartisme, élections libres ; un Congrès des déportés du peuple, élus au suffrage universel, élit un Soviet suprême qui élit le chef de l'État), etc. Ces modifications ont profondément ébranlé la société politique de l'URSS. Les courants les plus divers se sont mani- festés, allant jusqu'à réclamer la dispari- tion de l'État soviétique ou l'instauration de pouvoirs indépendants dans les RSS. Et, tandis que la pénurie s'étendait, que le Parti communiste s'affaiblissait, que des rénovateurs plus extrémistes que M. Gorbatchev étaient élus au nouveau Parlement soviétique ou aux Parlements des Républiques (tel Boris Eltsine, qui dirigeait encore, en 1987, le PC de Russie, élu au congrès des députés du peuple avec 85 % des voix à Moscou, en mars 1989),

que les nationalistes de tous poils redres- saient la tête dans les RSS de l'Union, que les conflits interethniques éclataient, l'URSS se dégradait. C'est dans les pays baltes que l'Union soviétique a commencé par se diviser (voir plus loin). Mikhaïl Gorbatchev, qui veut encore sauver l'Union, a déclenché un processus irréversible. Le 1er mai 1990, sur la place Rouge, à Moscou, il est hué par la foule ; le 29 mai, Boris Eltsine est élu président du Parlement de la Fédéra- tion de Russie (la République russe est la plus grande des Républiques maintenant indépendantes, et elle incluait alors seize RSSA : voir le tableau I de l'annexe statis- tique) et, le 2 juillet, à l'ouverture du XXVIIe Congrès, il quitte le parti. Dès lors, ce personnage, qui faisait partie du Groupe interrégional des démocrates (mouvement créé en 1989 par des intellec- tuels) devient le leader de la lutte contre le Patri communiste et contre le socia- lisme. Il ne va cesser de s'opposer aux tentatives désespérées de Gorbatchev pour maintenir, fût-ce au prix des plus grands sacrifices, l'Union soviétique : le combat durera pendant toute l'année 1991 et, on le sait, se terminera par la victoire d'Eltsine. La perestroika avait abouti à l'anéantissement de l'URSS.

La naissance de la CEI

L'URSS a disparu, sans révolution et sans combat, grâce aux dispositifs mis en place par Mikhaïl Gorbatchev qui ne souhaitait cependant pas cette disparition. Les cau- ses sont d'abord l'aggravation de la crise économique : l'inflation a atteint près de 500 % pour la seule année 1991 ; la masse monétaire en circulation sur le territoire de l'ex-URSS a doublé au cours de la même année ; le nombre de chômeurs a atteint 30 Millions (soit 10 % de la popu- lation totale de l'URSS) ; les scandales pullulent et les réseaux parallèles prospè- rent. Il est possible que Mikhaïl Gorbat- chev ait mis la charrue devant les bœufs,

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en réformant d'abord les institutions (ce qui était facile et devait être bien accueil- li) ; dès lors, tous les rouages de l'écono- mie ont échappé au contrôle de l'État, et le naufrage économique a eu lieu.

Comment donc en est-on arrivé à la CEI ? L'analyse des événements de l'an- née 1991 est pleine d'enseignements pour le sujet qui nous occupe dans ce livre, à savoir le devenir des minorités sous la botte des tsars puis sous celle de la bureaucratie soviétique et du KGB : nous allons voir que les deux cents peuples de l'ancienne Union ont été les « dindons de la farce ».

Commençons par la chronologie des pro- clamations d'« Indépendance » ou de « Souveraineté » ; elles ont été exprimées en 1990-1991, mais leur effet n'a pas été immédiat, comme le montre le tableau ci-après. De plus, elles ne concernent que les peuples dominants. Ainsi, le 12 juin 1990, la Russie a proclamé sa « souverai- neté », mais celle-ci est bien loin d'impli- quer celle des Bachkirs, des Bouriates, des Caréliens, des quarante ou cinquante peuples du Daguestan, des Iakoutes, des Kabardes et des Balkars, des Kalmouks, des Komis, des Maris, des Mordves, des Ossètes, des Oudmourtes, des Tatars, des Tchétchènes, des Ingouches, des Tchou- vaches et des autres qui vivent sur son immense territoire (20 % de la population de Russie n'est pas russe). Ainsi même, la Géorgie a proclamé son indépendance le 9 avril 1991, mais le tiers de sa population est composée de peuples pour lesquels nulle indépendance n'a été prise en consi- dération (on pense aux Abkhazes, aux Ossètes, aux Arméniens, aux Azéris et aux Russes de Géorgie). Et ainsi de suite.

La CEI ne s'est pas construite dans le sang : il n'y a pas eu de guerres de séces- sions meurtrières, mais uniquement des émeutes locales, causant un petit nombre de victimes (mais il ne faut pas oublier qu'une victime est une victime de trop). Le processus de dislocation a été engendré par les mouvements nationalistes baltes.

favorisés par la perestroika, et par la crise économique qui s'installe définitivement dès 1989 ; il a favorisé la prise du pouvoir par Boris Eltsine. Celui-ci, membre suppléant du bureau politique du PC US, en avait été expulsé en février 1988 par Mikhaïl Gorbatchev. La Constitution du 28 octobre 1988 devait lui permettre une ascension fulgurante : elle avait institué un nouveau Parlement pour l'URSS, le Congrès des députés du peuple (voir ci-dessus) et, aux élections générales du 26 mars 1989, Boris Eltsine recueilliat plus de 85 % des voix à Mos- cou, sur un programme anticommuniste, antisocialiste et nationaliste slave. Le 29 mai 1990, il était élu président de la République fédérative de Russie (qui était alors la RSFSR décrite ci-après). Le 12 juin il faisait proclamer, par ce même Parlement, la Russie « État souverain » et, le 2 juillet, il déchirait sa carte de membre du Parti communiste. C'est alors que la situation se précipite : les uns, comme Gorbatchev, font tous leurs efforts pour maintenir l'URSS en la réformant, les autres, comme Eltsine, poussent à la réunion et d'autres encore, comme Edouard Chevardnazé (ministre des Affaires étrangères d'URSS, démission- naire le 20 décembre 1990), craignent la « dictature qui s'avance ». L'année 1990 se termine donc dans l'incertitude, tandis que les grandes puissances occidentales (États-Unis, CEE), tout en soutenant l'émancipation des Républiques baltes, appuient les efforts de Mikhaïl Gorbat- chev pour sauver l'Union soviétique en la transformant. En 1991, Gorbatchev (qui cumule les fonctions de Chef de l'État et de Secré- taire général du PC US) commence par organiser un référendum proposant de transformer l'URSS en une « Union renouvelée de Républiques souveraines » : l'Union restera un État fédéral dirigé de Moscou, mais les Républiques ne seront plus « socialistes soviétiques ». Le réfé- rendum a lieu le 17 mars 1991 et Gorbat- chev receuille 76,4 % de suffrages favora-

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Comment la « poupée russe » s'est-elle divisée

Les Républiques baltes ont été les premières à quitter l 'URSS, qui a reconnu le fait accompli le 6 septembre 1991. Sous l'impulsion de Boris Eltsine, la République fédérative de Russie a proclamé sa souveraineté en avril 1990 et a pris l'initiative de la réunion de Minsk (8 décembre 1991) où fut décidée la création d'une Commu- nauté d'États indépendants composée des trois

Républiques slaves (Russie - Ukraine - Biélo- russie) ; les autres Républiques du Caucase et de l'Asie centrale furent invitées à rejoindre la CEI, ce qu'elles firent sur l'invitation de la Géorgie, le 21 décembre 1991. par l'accord d'Alma-Ata, ce fut la fin de l'URSS qui avait été fondée en 1922.

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bles à son projet ; mais, à Moscou, à Léningrad et à Kiev, il essuie un échec cuisant, et six Républiques (Estonie, Let- tonie, Lituanie, Moldavie, Géorgie, Arménie) refusent d'organiser le référen- dum. Par ailleurs, près de 10 % des suffra- ges exprimés approuvent l'instauration d'un régime présidentiel pour la nouvelle Union, avec un président élu au suffrage universel. Enfin, le 31 mars, en Géorgie, a lieu un référendum déclaré « illégal » par Moscou : 99 % des électeurs se pro- noncent en faveur de l'indépendance, pro- clamée le 9 avril suivant (au mois de mai, H. Zviad Gamsakhourdia sera élu prési- dent de la République de Géorgie avec 87 % des suffrages exprimés). L'été 1991 approche. La popularité de Boris Eltsine croît et, le 1er mai, les Mos- covites huent Mikhail Gorbatchev sur la place Rouge : le chef de l'État quitte la tribune officielle où avaient paradé jadis, sans que nul ne murmurait, Lénine, Stali- ne, Krouchtchev et Brejnev. Le 12 juin, conformément à la Constitution, les élec- tions présidentielles locales ont lieu en Russie : Boris Eltsine est élu au premier tour président de la Fédération de Russie par 57,3 % des suffrages exprimés. Il faut comparer ce résultat aux 85 % de voix qu'il avait obtenues aux élections législati- ves, à Moscou-ville (et non pas dans toute la Russie) deux ans plus tôt, en mars 1991 : il trahit l'existence de tendances conservatrices importantes parmi les Soviétiques qui, comme le dira M. Gor- batchev quelques mois plus tard, « ne peuvent tirer un trait sur la vie de leurs pères et de leurs grands-pères ». Quoi qu'il en soit, Boris Eltsine entreprend de « décommuniser » la République russe (par exemple, il interdit l'activité des par- tis politiques au sein des entreprises et des administrations, il redonne une place pré- pondérante à l'Église russe en octroyant, par décret, au patriarcat orhodoxe la cathédrale de l'Assomption, dans l'en- ceinte du Kremlin, et celle de Saint-Basi- le, sur la place Rouge). Dans le même temps, Mikhaïl Gorbatchev multiplie les

pourparlers avec les démocraties occiden- tales, à la recherche de soutiens pour sa politique économique, visant à instituer en URSS une économie de marché ; il rencontre, à Londres, le 17 juillet, les représentants de sept pays les plus indus- trialisés (à l'occasion de leur « sommet » annuel) et signe avec eux un accord en six points (mais ne reçoit aucune aide finan- cière).

Le 18 août 1991, Mikhaïl Gorbatchev, en vacances familiales en Crimée, est isolé dans sa datcha par son vice-ministre de la défense, Vladislav Achalov, tandis que des militaires et des civiles communistes conservateurs tentent de s'emparer du pouvoir : ce putsch échoue le 21 août, grâce à la résistance de Boris Eltsine à Moscou. Les putchistes sont arrêtés, Mik- hail Gorbatchev est libéré et regagne Mos- cou, où son rival politique est maintenant tout-puissant ; le gouvernement de l'Union soviétique est dissous, le PC de Russie doit suspendre ses activités, et Gorbatchev lui-même démissionne de son poste de Secrétaire général du PC US qui est dorénavant interdit dans l'armée et les organismes d'État et dont les fonds sont placés sous le contrôle des Parlements des Républiques. Les conséquences du putsch ont été décisives : reconnaissance de l'in- dépendance des Républiques baltes ; autodissolution du PCUS ; proclamations d'indépendance en Ukraine, en Biélorus- sie, en Moldavie, en Azerbaïdjan, suivies, à quelques jours de retard, par celles du Kirghizistan, de l'Ouzbékistan (voir le tableau p. VI) ; sûr de lui, Boris Eltsine va même plus loin : il annonce, le 26 août, uen révision des frontières (au profit de la Russie). De son côté, Mikhaïl Gorbatchev appelle à la reprise des pourparlers entre les Républiques pour signer un nouveau traité d'Union, modifiant celui de 1922. Mais l'URSS est à l'agonie : le Soviet suprême prononce la suspension des acti- vités du Parti communiste dans toute l'URSS, retire à Mikhaïl Gorbatchev ses pouvoirs spéciaux en matière économique

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et s'autodissout (29 août 1991). Les deux plus puissantes Républiques de l'Union (Russie et Ukraine) signent, le même jour, un accord sur le respect de leurs frontières ; la Russie fait de même avec le Kazakhstan le 30 août. La suite des événements est rappelée dans le tableau chronologique ci-après. Elle aboutit, après de nombreuses propositions et hésitations, aux accords de Minsk et d'Alma-Ata déjà évoqués, et a malgré les tentatives désespérées de Mikhaïl Gorbat- chev pour sauver l'Union dont l'effondre- ment, prédit-il le 3 décembre 1991, serait « une catastrophe pour toute la commu- nauté internationale ». Mais nul ne veut de son projet d'État confédéral rempla- çant l'ancienne URSS. Le dimanche 8 dé- cembre 1991, les présidents de la Russie (Boris Eltsine), de l'Ukraine (Léonid Kra- vtchouk) et de la Biélorussie (Chouchke- vitch) se réunissent à Minsk et signent l'accord suivant (dépêche de l'agence Tass, reproduite par Le Monde du 10 dé- cembre 1991) : « Nous, Républiques de Biélorussie, Fédé- ration de Russie et Ukraine, en tant qu 'État fondateurs de l'URSS ayant signé le traité de l'Union de 1922, appelés ci-dessous les hautes parties contractantes, constatons que l'URSS en tant que sujet du droit international et réalité géopolitique n 'existe plus », lit-on dans le préambule de ce document. » Les chefs des trois États ont fait ce pas en partant de la communauté historique des peuples (...) en voulant construire des États démocratiques de droit (...) dans le respect de leur souveraineté mutuelle, des principes de l'égalité en droits et de la non-ingérence dans les affaires intérieures f...). » Afin de développer une coopération égale et mutuellement avantageuse entre les peuples et les États, il est décidé de conclure des accords spéciaux dans le domaine politique, économique, culturel, de la santé, de la science, du commerce, de l'environnement et autres. Les parties ont confirmé la reconnaissance et le respect de

l'intégrité territoriale des États ayant signé l'accord, de l'inviolabilité des frontières existantes, de leur ouverture et de la liberté de déplacement des citoyens. Les parties ont confirmé leur fidélité aux buts et aux principes de l'ONU, de l'Acte final d'Hel- sinki. (...) Elles garantissent à leurs citoyens, indépendamment de leur nationa- lité, des droits et libertés égaux, et s'enga- gent à contribuer à la préservation et au développement des traditions culturelles, linguistiques et religieuses des minorités nationales. » Les membres de la Communauté vont coopérer pour assurer la paix internatio- nale et la sécurité, pour réduire les budgets militaires et les armements. En même temps, ils respecteront leur volonté d'at- teindre un statut de zone dénucléarisée et d'État neutre. Il est décidé de conserver un commandement unifié de l'espace commun militaro-stratégique et un contrôle unifié de leurs armes nucléaires. Dès le moment de la signature de cet accord, les normes des pays tiers, y compris de l'ancienne URSS, ne sont plus applicables sur les territoires des États signataires, les activités des organes de l'ancienne Union s'arrêtent. » Les parties garantissent le respect des obligations internationales découlant des accords et des traités signés par l'URSS. L accord est ouvert à tous les membres de l'ancienne Union ainsi qu'aux autres États qui partagent les buts et les principes de ce document. La ville de Minsk est choisie comme le lieu de l'installation des organes de coordination. » La proclamation de cette Communauté d'États signifie la mort de l'URSS. Mik- haïl Gorbatchev a tenté un « baroud d'honneur », en demandant qu'elle soit soumise à un référendum, mais en vain et il dut s'incliner. En effet, le 13 décembre, les Républiques du Kazakhstan, de Kir- ghizie, d'Ouzbékistan, du Tadjkistan et du Turkménistan annonçaient, par l'inter- médiaire de leurs présidents respectifs, qu'elles désiraient rallier la Communauté d'États indépendants à titre de « membres fondateurs » et sur un pied d'égalité avec

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les Républiques slaves. Mikhaïl Gorbat- chev n'avait plus, dès lors, qu'à se résigner et à faire en sorte que le passage de l'URSS à la CEI se fasse dans l'ordre et dans la dignité. Enfin, le samedi 21 décembre 1991, tous les présidents des Républiques ex-soviéti- ques, à l'exception de ceux des Pays bal- tes, détachés de l'Union depuis le 6 sep- tembre, et de celui de la Géorgie, se réunissaient à Alma-Ata, capitale du Kazakhstan. Ils contresignent, en les com- plétant, les accords du 8 décembre fon- dant la CEI ; mêmes ceux qui étaient les plus hésitants ou les plus indépendantis- tes, les présidents de la Moldavie, de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie, veulent maintenant y participer et la Géorgie, qui refuse d'entrer dans la CEI, a quand même envoyé deux observateurs. La Rus- sie de Boris Eltsine n'en a pas moins récolté les marrons du feu : le 19 décem- bre, avant de partir pour Alma-Ata, elle s'était appropriée les bâtiments du Krem- lin, celui du ministère des Affaires étran- gères de l'ex-URSS, ceux de toutes les ambassades soviétiques à l'étranger ; le 21 décembre, elle obtient le siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, auparavant occupé par l'URSS et le contrôle, en principe, des armes nucléaires de l'ex-URSS. Il ne restait plus à Mikhaïl Gorbatchev qu'à clore l'histoire de l'URSS par une démission publique. Il le fit devant les caméras de la télévision, le mercredi 25 décembre, dans la soirée. L'allocution qu'il a prononcée commençait par ces mots : « Chers compatriotes et concitoyens, en raison de la situation créée par la forma- tion de la Communauté des États indé- pendants, je mets fin à mes fonctions de président de l'URSS »

Puis, M. Gorbatchev, après avoir regretté que la « dislocation de l'Etat » n'ait pas été soumise à un référendum, a tenté d'expliquer cet effondrement trop rapide, qui s'est effectué avant qu'un nouveau système ait pu se mettre en marche, par le temps qu'il a fallu perdre à liquider le système totalitaire antérieur et à mettre le pays sur la voie de l'économie de marché. Il a terminé en déclarant : « Je quitte mon poste avec inquiétude, mais aussi avec espoir... » et par un vœu abstrait : «Je vous souhaite à tous tout le bien possible. » Voici maintenant la chronologie annon- cée. La suite de l'histoire de la CEI, nous l'ignorons : comment les Républiques feront taire leurs rivalités, comment seront distribuées les richesses, quelles alliances passeront-elles avec les autres nations, comment la CEI sortira-t-elle d'une crise économique qui peut, par ses conséquences, déclencher une nouvelle révolution, comment les grandes républi- ques se répartiront-elles effectivement les forces militaires, et plus spécialement les forces nucléaires ? Nous l'ignorons. Mais la dislocation de l'ex-URSS n'est sans doute pas terminée. Que vont devenir les anciennes Républiques autonomes et les peuples suffisamment important, démo- graphiquement, culturellement et histori- quement, pour revendiquer le droit d'être une nation ? Les onze États-membres de la CEI, affaiblis économiquement, militai- rement, politiquement, vont-ils pouvoir composer avec les peuples qu'ils domi- nent, ou bien vont-ils se démembrer comme l'ex-URSS ? Va-t-on assister à une « libanisation » de l'ancienne Union, comme le ciaignait Gorbatchev, ou à la construction d'un système multinational nouveau à l'intérieur de chaque Républi- que ? Le XXIe siècle sera-t-il le siècle des minorités ou celui des Communautés ?

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Les derniers mois de l'URSS : du putsch du 18-21 août 1991 au « putsch » de Boris Eltsine, le 8 décembre 1991, aboutissant au fait accompli de la CEI

Dates ( 1991) Événements et commentaires

18-21 août Putsch manqué des « conservateurs communistes ». On s'inter- roge sur ce coup d'État : s'agissait-il d'une réaction sans lende- main de certains militaires ou des « conservateurs », ou bien d'un « coup monté », soit par Gorbatchev pour impressionner Elstine, soit par ce dernier, afin de précipiter l'évolution ou vers la CEI slave du 8 décembre ?

22 août A Moscou, la statue de Feliks Dzerjinski (1877-1926). un Polo- nais membre du Comité central du parti bolchevik en 1917, chargé d'organiser la première police politique bolchevique, la Tcheka. transformée en Guépéou en 1922, précurseur du KGB, est déboulonnée.

23 août Dissolution du gouvernement soviétique.

24 août Gorbatchev démissione de son poste de Secrétaire général du PCUS et engage les membres du Comité central à faire de même. Le Parlement ukrainien proclame l'indépendance de l'Ukraine.

25 août Le Parlement biélorussien proclame l'indépendance de la Biélo- russie.

26 août Boris Eltsine publie un communiqué mençant les Républiques qui feraient sécession sans concertation avec les autres Républi- ques (en fait, avec la Russie) d'une « révision des frontières ». Cette menace est grave et retient, notamment, la Moldavie de se lancer trop vite dans la course à l'indépendance. Quant aux autres Républiques (d'Asie et du Caucase) elles voient réappa- raître dans ce communiqué, les vieux démons de l'impérialisme russe, comme au plus beau temps des tsars. Le Soviet Suprême de l'Union est réuni en session extraordinaire. Gorbatchev appelle instamment les représentants des Républi- ques soviétiques à modifier la structure de l'Union qui avait été décidée en 1922 et à conclure un nouveau traité faisant de l'Union une Confédération (et non plus un État fédéral). Il annonce aussi une réorganisation du KGB et l'extension effective des libertés publiques.

27 août La Moldavie proclame son indépendance en vue de sa réunifica- tion avec la Roumanie (les menaces de Boris Eltsine ont été inefficaces). Les États de la Communauté Européenne reconnais- sent les trois États baltes indépendants.

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Dates (1991) Événements et commentaires

29 août Le Soviet suprême s'autodissout. La Russie et l'Ukraine signent un accord, à Kiev, concernant le respect mutuel des frontières entre ces deux États.

30 août La Russie et le Kazakhstan signent un accord similaire. L'Azer- baïdjan proclame son indépendance.

31 août Le Kirghizie et l'Ouzbekistan proclament leur indépendance.

5 septembre Création d'un nouvel organe exécutif : le Conseil d'État, com- posé du président de l'Union (alors : Mikhaïl Gorbatchev) et de représentants de dix Républiques. Ce conseil envisage un traité consacrant une « Union d'États souverains ».

6 septembre Le Conseil d'État reconnaît l'indépendance de la Lituanie, de la Lettonie et de l'Estonie. Leningrad retrouve son ancien nom de Saint-Pétersbourg. Fon- dée sous ce nom par Pierre le Grand, en 1703, la ville a été la capitale de l'empire russe. En 1914, son nom avait été russifié en « Petrograd » (la Russie était alors en guerre contre l'Allema- gne) ; en 1924 à la mort de Lénine, elle prit le nom de Leningrad, mais, depuis 1918, Moscou était redevenue la capitale de l'ancien empire russe, c'est-à-dire de l'URSS.

13 septembre Déclaration américano-soviétique stipulant que les États-Unis et l'URSS cesseront de livrer des armes aux parties qui combattent en Afghanistan.

A partir du L'Arménie et les Républiques qui ne s'étaient pas encore pronon- 21 septembre cées proclament leur indépendance (voir le tableau p. VI).

24 septembre Troubles en Géorgie, où le gouvernement trop autoritaire du président Gamsakhourdia est contesté ; ces troubles prendront peu à peu l'aspect d'une guerre civile et conduiront celui-ci à renoncer au pouvoir (voir p. XIII ci-après).

17 octobre Une aide financière de 7,5 milliards de dollars est promise à l'URSS par la CEE, les États-Unis et le Japon.

1er novembre Boris Eltsine obtient du Parlement russe des pouvoirs spéciaux pour engager la Russie sur la voie de l'économie de marché.

14 novembre Nouveau projet (Gorbatchev) transformant l'Union soviétique en « Union des États souverains ». Les Républiques intéressées sou- haitent que ce projet soit examiné par leurs Parlements respectifs.

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Dates (1991) Événements et commentaires

1er décembre Référendum organisé par le président Léonid Kravtchouk en Ukraine, qui obtient plus de 90 % de « oui » pour l'indépendan- ce ; L. Kravtchouk annonce la sécession de la République qui ne signera pas le traité de l'Union proposé par Gorbatchev. L'Ukraine est la plus riche et la plus puissante des Républiques soviétiques après la Russie : sa sortie de l'Union accélère le processus de « dévissage » de la poupée russe.

8 décembre Accord de Minsk (1'« Union slave », voir ci-dessus).

21 décembre Accords d'Alma-Ata : l'URSS n'est plus, place à la CEI.

L'indépendance des quinze Républiques

Comme on l'a dit plus haut, quinze peu- ples, parmi les deux cents peuples de l'ex-URSS, sont devenus souverains et indépendants. Voici donc quelques infor- mations qui mettent à jour les articles de ce Dictionnaire les concernant. Quant aux autres, les ignorés et les sans-grade, ils subissent, plus que jamais, leur condition minoritaire : nous les évoquerons plus loin. Rappelons enfin que toutes les Républiques de l'ex-URSS font partie de la CEI depuis le 21 décembre 1991 (Alma- Ata), à l'exception de la Géorgie.

ARMÉNIENS — Les Arméniens ont pro- clamé leur « souveraineté » le 23 août 1990, dans le climat d'affrontement avec les Azéris que nous avons décrit dans ce livre à l'article qui les concerne. Cette souveraineté est devenue « indépendan- ce » par le référendum du 21 septembre 1991, qui a confirmé la présidence de Ter Petrossian. Cependant, le conflit du Haut- Karabakh n'est pas réglé pour autant ; en effet, l'Azerbaïdjan, par un vote à l'unani- mité de son Parlement, a supprimé le statut d'autonomie de cette région (26 no- vembre 1991), dont la majorité de la population est arménienne, et il n'y a plus d'autorité centrale, siégeant à Moscou,

pour faire pression sur le président azéri (Ayaz Moutalibov). Celui-ci considère que c'est aux Arméniens de faire des efforts en vue d'une coexistence pacifique et le Front populaire azéri considère que le vote du Parlement de Bakou n'a rien d'anticonstitutionnel.

Le 30 décembre 1991, les responsables arméniens du Haut-Karabakh ont lancé un appel au secours à l'ONU, à la CEE et à la CEI (créée huit jours plus tôt), après les durs combats qui ont eu lieu autour de Stepanakert, chef-lieu arménien de la région. Mais Boris Eltsine, leader pour l'instant incontesté de la CEI. s'en tient à une politique de non-intervention, vala- ble, d'ailleurs, pour tout le Caucase ; tou- tefois, la Russie a signé avec l'Arménie un accord « d'amitié et d'assistance com- mune » dont le texte n'a pas encore a été diffusé au moment où nous écrivons ces lignes. Cet accord est historique, car il est le premier de ce type entre les nouveaux États souverains de la CEI ; il montre aussi que la Russie reste engagée politi- quement dans le Caucase et il fait rêver les Arméniens : la Russie occupe en effet le siège de l'ex-URSS à l'ONU (au Conseil de sécurité) et pourrait demander l'envoi d'une force internationale dans le Haut-Karabakh, ce qui stabiliserait le sort des Arméniens et le destin de l'Arménie.

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AZÉRIS — Les Azéris ont proclamé leur souveraineté le 23 septembre 1990 et le Parlement d'Azerbaïdjan a « restauré » l'indépendance de cet Etat le 30 août 1991 (trois semaines avant le référendum armé- nien). L'Azerbaïdjan indépendant, dirigé par le président Ayaz Moutalibov, a été reconnu comme tel par la Turquie, en novembre 1991 (les Azéris sont turcopho- nes) et a été admis, le 8 décembre 1991, dans l'Organisation de la conférence isla- mique (l'OCI. créée en 1987 et qui siège à Koweït). Le problème majeur de l'Azerbaïdjan reste la situation dans le Haut-Karabakh, rappelée ci-dessus, et qui a pour consé- quence la présence de forces d'interposi- tion ex-soviétiques dans la région. A l'ins- tar du président ukrainien, Ayaz Moutali- bov s'est proclamé commandant de toutes les forces armées sur son territoire, ce qui a rendu inextricable la situation militaire, d'autant que les Arméniens du Haut- Karabakh en sont encore à réclamer leur indépendance. Nul ne peut dire, à l'heure actuelle, si la paix interviendra dans cette région ou si, au contraire, on assistera à un embrasement général.

BIÉLORUSSlENS — La Biélorussie a pro- clamé sa « souveraineté » le 27 juillet 1990 et son indépendance un an plus tard, le 25 août 1991, après le putsch du 18- 21 août. Des trois Républiques slaves (les deux autres sont la Russie et l'Ukraine), elle fut la plus rebelle à la perestroïka, avec un Parlement fortement conserva- teur, avec seulement 27 députés d'opposi- tion et nationalistes sur 360 et un prési- dent conservateur (N.I. Dementei) ; on peut donc se demander ce qui l'a poussé à emboîter le pas sans hésiter à la Russie et à l'Ukraine. Pour les observateurs politi- ques, l'explication est la suivante : le parti nationaliste (le Front populaire) a été rejoint par une centaine de communistes conservateurs, qui ont ainsi réagi à une hausse démesurée des prix qui avait pro- voqué une grève ouvrière en avril 1990. En septembre 1991, le Parlement élit

comme président l'homme qui avait conduit les négociations avec les grévistes, l'ingénieur Stanislav Chouchkévitch : c'est lui qui signa les accords de Minsk avec la Russie et l'Ukraine, le 8 décembre suivant. Précisons aussi que la Biélorussie est une des quatre Républiques déposi- taire d'un armement nucléaire.

ESTONIENS — Les Estoniens ont proclamé la restauration de leurs droits souverains le 30 mars 1990, mais le Parlement d'Esto- nie avait prévu une « période de transi- tion » avant l'indépendance, qui fut pro- clamée le 20 août 1991, en même temps que celle de la Lettonie, pendant le putsch du 18-21 août et ratifiée par Moscou le 6 septembre suivant l'Estonie est devenue membre de l'ONU le 17 septembre 1991.

GÉORGIENS — Le feu nationaliste a tou- jours couvé en Géorgie, surtout depuis les « émeutes staliniennes » (voir Dictionnai- re, p. 79), qui traduisaient la vexation d'un peuple supportant mal l'atteinte à la mémoire de Staline, héros géorgien. Pour le calmer, Krouchtchev avait alors envoyé à Tbilissi, comme chef de la police, un enfant du pays, Edouard Chevardnadzé : celui-ci devient ensuite le Premier secré- taire du PC de Géorgie (1972-1985) et fut amené à combattre les nationalistes géor- giens à l'époque de Brejnev : il a donc laissé chez certains un bien mauvais sou- venir. Puis Edouard Chevardnadzé devint ministre des Affaires étrangères de l'URSS sous Gorbatchev ; il démissionna de ce poste le 20 décembre 1990, après avoir dénoncé la « dictature » qui mena- çait l'Union. Pour comprendre l'évolution récente de la Géorgie, ce bref rappel de la carrière d'un personnage qui est, après Staline, le Géorgien le plus connu dans le monde était nécessaire. En effet, les élections législatives d'octobre 1990 ont vu une majorité nationaliste dominer le Soviet Suprême de la RSS de Géorgie, avec 155 sièges sur 250 ; en fait, il s'agit d'une coalition nationaliste réunissant deux par-

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tis : celui de la Table ronde, dont le leader est Zviad Gamsakhourdia, et celui de la Géorgie libre. A l'époque, Edouard Che- vardnazé, ancien adversaire de Zviad Gamsakhourdia, était sur le point de prendre ses distances avec la vie politique de l'URSS : son silence devait durer un an. Zviad Gamsakhourdia entreprend donc de construire l'indépendance de la Géor- gie, qui ne s'appelle plus, dès novembre 1990, la « RSS de Géorgie », mais la « Ré- publique de Géorgie ». En mars 1990, lorsque le gouvernement de l'URSS orga- nise son référendum sur le maintien des Républiques dans 1'« Union rénovée », la Géorgie fait partie des six Républiques qui ont refusé d'y participer (avec la Mol- davie, l'Arménie et les trois Républiques baltes) ; en revanche elle organise un réfé- rendum jugé « illégal » par Moscou, auquel les indépendantistes géorgiens obtiennent 98,9 % des voix : l'indépen- dance est donc proclamée le 9 avril 1991 et, en mai, Zviad Gamsakhourdia est élu président de la Géorgie au suffrage uni- versel, avec 87 % des voix : son Premier ministre est Tengiz Sigoua. Désormais, la Géorgie va vivre son histoire sans se préoccuper du reste de l'URSS. Cependant, cette indépendance tourne mal. Les méthodes autoritaires du nou- veau président ne sont guère appréciées des citoyens qui l'avaient élu triomphale- ment. Grèves et manifestations se multi- plient, conduisant Zviad Gamsakhourdia à instituer l'état d'urgence (septembre 1991) et à traiter les opposants de bandits de droit commun et d'ennemis de l'inté- rieur. La situation devient de plus en plus tendue : tandis que l'URSS se disloque (à Minsk et à Alma-Ata), la Géorgie se déchire. Le lendemain des accords d'Alma-Ata, auxquels la Géorgie n'a pas participé, de violents combats se dérou- lent entre le président Gamsakhourdia et ses fidèles, assiégés dans l'enceinte du Parlement à Tblissi, et les opposants, conduits par Tengiz Sigoua ; des bruits courent alors que le soulèvement serait

télécommandé de Moscou contre Gam- sakhourdia, allié ou du moins ami des dirigeants Tchétchènes qui se soulèvent alors contre Moscou et Boris Eltsine (la Tchétchénie-Ingouchie est une ancienne RSSA intégrée dans la République fédéra- tive de Russie ; voir Dictionnaire). En fait, les Géorgiens sont divisés en de nombreuses fractions, dont les leaders sont loin d'être d'accord. Outre le parti de Zviad Gamsakhourdia, il faut compter avec les troupes de Tengiz Sigoua, avec la garde nationale rebelle que dirige Tengiz Kitovani, avec le Parti démocratique national de Gerogi Chantouria, avec l'ar- mée (qui dépend du ministre de la Défense Bessik Koutateladzé), etc. Depuis le début du mois de janvier 1992, les Géorgiens sont à la recherche de l'homme providentiel qui les sortira de l'anarchie et les yeux se tournent vers Edouard Chevardnazé, qui s'est déclaré prêt à regagner sa terre natale (il est né à Mamati, en Géorgie occidentale) pour participer à l'instauration d'un régime démocratique. Mais, à l'heure où nous écrivons ces lignes, l'issue est incertaine. En effet, le président déchu à Tblissi ne l'est pas dans les campagnes, où il a de nombreux soutiens (un correspondant du Monde rapporte, le 13 janvier 1992, ce mot d'une paysanne géorgienne : « Il faut tuer tous les habitants de Tbilissi car ils ont trahi leur président ») et il entretient de bons rapports avec les dirigeants de l'ex-RSSA de Tchétchénie.

KAZAKHS — Le Kazakhstan a proclamé sa souveraineté nationale le 26 août 1990 et il fut la dernière République de l'Union à se déclarer indépendante, le 16 septem- bre 1991 (la Russie exceptée). Boris Eltsine aurait sans doute préféré négocier d'abord le tracé frontalier, car environ 41 % de la population de cet État est russe et ces Russes sont implantés princi- palement dans le Nord du pays et dans les régions frontalières, mais le prési- dent Noursoultan Nazarbaev a été le plus rapide.

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Quarante-huit heures plus tard, le même président prenait position contre les pré- tentions de la Russie à contrôler, seule, l'armement nucléaire et à succéder à l'URSS comme membre permanent du Conseil de sécurité. Toutefois, le 21 dé- cembre 1991, le Kazakhstan a adhéré à la CEI.

KIRGHIZES — Le Kirghizistan a proclamé sa souveraineté nationale en décembre 1990, et son indépendance le 31 août 1991 ; il a adhéré à la CEI, le 21 décembre 1991.

LETTONS — Au mois de janvier 1991, Mikhaïl Gorbatchev était encore partisan d'une politique de fermeté à l'égard des Républiques baltes, dans lesquelles Mos- cou avait envoyé des bataillons de para- chutistes pour faire appliquer la loi sur l'incorporation des appelés dans l'armée soviétique. Le 3 mars suivant, un référen- dum « illégal » accordait 77 % de voix aux partisans de l'indépendance. Puis la Lettonie s'est écarté progressivement de l'URSS : elle refuse d'organiser le réfé- rendum sur la rénovation de l'Union soviétique (17 mars 1991) et voit son indé- pendance, proclamée le 20 août 1991, reconnue par la République de Russie (Boris Eltsine) le 24. Le Conseil d'État (créé le 5 septembre 1991), reconnaît offi- ciellement, lors de la première séance, l'indépendance des Républiques baltes (6 septembre 1991). Le 17 septembre sui- vant, la Lettonie devient membre de l'ONU et poursuit son histoire indépen- damment de celle de l'URSS.

LITUANIENS — La Lituanie, par qui a débuté le « dévissage » de l'URSS, a été la première République à proclamer son indépendance, le 11 mars 1990 (voir, ci- après, le Dictionnaire). Après des mois de tension avec le pouvoir central, les Litua- niens ont connu la même histoire que les Estoniens et les Lettons : les parachutistes à Vilnius, en janvier 1991 ; le référendum « illégal » le 9 mars 1991 (90,4 % de

« oui » à l'indépendance) ; le refus du référendum sur l'organisation de l'Union en mars 1991 ; la reconnaissance comme État indépendant par la Russie de Boris Eltsine le 29 juillet 1991, puis par le Conseil d'État de l'Union soviétique le 6 septembre 1991 ; l'admission à l'ONU le 17 septembre suivant.

MOLDAVES — Les Moldaves ont proclamé leur souveraineté nationale le 23 juin 1990. La Moldavie, dirigée par le prési- dent Mircea Snegur, a refusé d'organiser le référendum sur la rénovation de l'Union soviétique (17 mars 1991), et pro- clamé son indépendance le 27 août 1991. Cette indépendance est plébiscitée par le référendum du 8 décembre 1991 et la Moldavie adhère à la CEI le 21 décembre 1991 (accords d'Alma-Ata). Deux partis s'opposent actuellement dans la République moldave : les russophones (environ 27 % de la population, composés de Russes et d'Ukrainiens russophones) et les partisans de la réunification avec la Roumanie. Il faut aussi que les autorités moldaves tiennent compte des quelque 150 000 Gagaouzes, qui revendiquent leur autonomie (voir l'article les concernant dans le Dictionnaire).

OUZBEKS — L'Ouzbékistan, dont le prési- dent était alors Islam Karimov, a pro- clamé sa souveraineté nationale en juin 1990 et son indépendance le 31 août 1991. Cette indépendance a été confirmée par l'adhésion de la République à la CEI (21 décembre 1991) et par l'élection au suffrage universel d'Islam Karimov, le 29 décembre suivant, et par un référen- dum qui eut lieu conjointement. Les imams ont appuyé la candidature d'I. Ka- rimov et le parti d'opposition (le parti Berlik) n'a pu s'exprimer ; il faut souli- gner que le « Parti démocarte » d'Islam Karimov n'est autre que l'ancien PC ouzbek, épuré et remanié.

RUSSES — Dans notre Dictionnaire, consacré aux minorités de l'ex-Union

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soviétique, il n'y avait évidemment pas d'entrée « Russes », les événements qui viennent de se dérouler nous imposent maintenant d'en tenir compte. Les Russes, en effet, sont présents dans toutes les Républiques de la CEI : il y a en plus de 40 % au Kazakhstan, plus de 25 % en Kirghizie, plus de 20 % en Ukraine, entre 11 et 13 % en Biélorussie, en Moldavie, et dans les Républiques d'Asie ; en revanche, ils sont à peine 7 % en Géorgie et en Azerbaïdjan, et 2,3 % en Arménie. Ils constituent donc, dans ces nouveaux États, des minorités dont, assez paradoxalement (du moins en géné- ral) la situation est dominante économi- quement et politiquement (exception faite pour les Républiques slaves et la Géor- gie). La question qui va se poser est alors la suivante : ces Russes vont-ils regagner la mère-patrie, c'est-à-dire la Russie de Boris Eltsine (pour l'instant), ou rester, en tant que minorités dans les pays qu'ils ont contrôlés depuis près de deux siècles ?

Examinons donc, pour débuter, l'his- toire du désengagement de la Russie. Celle-ci, qui était régie par la Constitution de 1978 (calquée sur celle de l'URSS), a modifié cette Constitution en 1990 ; elle s'appelle alors « Fédération de Russie », dotée d'un Parlement (Soviet Suprême de Russie) et d'un exécutif. Le 29 mai 1990, Boris Eltsine, député de Moscou (où il avait été élu en 1989, avec 85 % de suffra- ges), est élu président du Parlement de la Fédération de Russie : le 12 juin, il pro- clame la souveraineté nationale de cette dernière. Si l'on excepte les pays baltes, ce fut la première proclamation de ce genre dans l'URSS. Boris Eltsine va d'ail- leurs plus loin : le 2 juillet, il quitte le PCUS et il va désormais mener jusqu'au bout la construction de la CEI, faisant de la Russie une République fédérative indé- pendante des autres. C'est au printemps 1991, que Boris Eltsine déclare la guerre ouverte à l'État fédéral qu'est l'Union soviétique (300 000 mani- festants sous les murs du Kremlin), dirigée par Mikhaïl Gorbatchev. Celui-ci va être

obligé, entre mars et décembre 1991, non seulement de dévisser l'URSS pour en faire la CEI, mais de faire à la Russie concessions sur concessions, après avoir conclu une trève politique avec Boris Eltsine, le 23 avril 1991. C'est ainsi, par exemple, qu'il accepte de transférer à la Russie le contrôle des mines de charbon sibériennes, où les mineurs étaient en grève depuis le mois de février (ces mines étaient auparavant gérées par le gouver- nement de l'URSS) : le lendemain de cette décision (6 mai 1991), les mineurs de Sibérie reprenaient le travail. Le 12 juin 1991, Boris Eltsine est élu président de la Fédération de Russie, avec 57,3 % des suffrages (ce qui est suffisant, certes, mais significatif : il est bien loin de faire l'unanimité). Le putsch du 18- 21 août vient à point pour servir ses ambi- tions, puisqu'il devient le « sauveur » de la démocratie en train de s'installer et celui de Mikhaïl Gorbatchev ; il peut alors engager, comme il l'entend, les réformes de la vie politique et économique de la Russie, en interdisant les activités du PC russe et en ouvrant la Russie à l'économie de marché. Il se nomme lui-même chef du gouvernement de Russie (6 novembre 1991) pour appliquer ses réformes et prend sous sa responsabilité les ministères (russes) de la Défense et de l'Intérieur, ainsi que le KGB. Il est alors confronté aux premiers sur- sauts des minorités que la Fédération de Russie — ex-RSFSR — tient sous sa cou- pe. Les Tchétchènes, menés par leur diri- geant Djohar Doudaev, revendiquant la souveraineté d'une République Tchétchè- ne ; Eltsine réagit selon la vieille méthode tsariste et stalinienne : il décrète l'état d'urgence dans la région car, pense-t-il, la dislocation de l'ancienne URSS a des limi- tes ! Mais, le 12 novembre, il revenait sur sa décision et reconnaissait son erreur (ce qui n'a pas résolu le problème : les Tchét- c h è n e s sont un p e u p l e d ' e n v i r o n 700 000 âmes, et ils revendiquent leur indépendance, au même titre que les Estoniens ou les Arméniens). Après les

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Tchétchènes, ce sont les « Allemands de la Volga » qui se manifestent (le 30 dé- cembre 1991), par l'intermédiaire... du ministre allemand de l'Intérieur : que fera Boris Eltsine de 2 millions d'Allemands de souche déportés au Kazakhstan en 1941 ? Après cette « erreur », le président russe continue de progresser dans le sens du libéralisme. Il fait voter au Parlement, une décision importante : la prise de con- trôle de la Gosbank (l'équivalent soviéti- que de notre Banque de France), qui gère notamment l'émission monétaire de l'an- cienne URSS. Le 17 décembre, il reçoit, à Moscou, le Secrétaire d'État américain, James Baker, en présence du maréchal Chapochnikov (ministre de la Défense) ; il le rassure sur les intentions de la Russie en matière nucléaire. A la fin du mois de décembre, il s'empare du Kremlin — sym- bole de la puissance ex-soviétique - , réforme le KGB (devenu Comité de sécu- rité interrépublicain ou CSI) et impose la Russie comme l'héritière de l'ancienne URSS en ce qui concerne les droits et les obligations internationaux, y compris ceux qui découlent de la Charte des Nations Unies. La Russie est donc en marche. Les pre- mières difficultés ne tardent pas à se mani- fester : comment vont se définir les rela- tions de cette République avec les dix autres Républiques de l'Union ? Com- ment la Russie de Boris Eltsine résoudra- t-elle le délicat passage à l'économie de marché qui se traduit déjà par une pénurie de biens fondamentaux, une hausse des prix considérable, le développement des réseaux économiques parallèles (marché noir à grande échelle), la paralysie de certains moyens de production et un chô- mage catastrophique ? Comment la Rus- sie partagera-t-elle la flotte de la mer Noire avec l'Ukraine et l'armement nucléaire avec la Biélorussie, l'Ukraine et le Kazakhstan ? Comment, enfin, règlera- t-elle les problèmes des minorités qui sont sur son immense territoire et dont le Dic- tionnaire qui suit conte les tristes et sem-

blables histoires ? Va-t-on vers un « bain de sang », comme le craignait Mickhaïl Gorbatchev, ou vers une nouvelle dicta- ture comme le craignait Edouard Chevar- nadzé ?

TADJIKS — Le Tadjikistan a proclamé sa souveraineté nationale en juin 1990 et son indépendance le 9 septembre 1991, il a rejoint la CEI le 21 décembre 1991 (Alma-Ata), après avoir élu au suffrage universel un nouveau président, Rak- hmon Nabiev, un conservateur brejne- vien ; le Parlement tadjik est d'ailleurs contrôlé à 95 % par des communistes plus ou moins conservateurs, mème si le parti a changé de nom pour un mois, en s'intitu- lant « parti socialiste » : depuis le 20 jan- vier 1992, il se renomme à nouveau « Parti communiste ». Les Tadjiks vivent donc, à l'heure actuelle, dans la République la plus conservatrice de la CEI.

TURKMÈNES — Les Turkmènes ont pro- clamé leur souveraineté le 23 août 1990 et leur indépendance le 24 août 1991. Ils ont adhéré à la CEI le 21 décembre 1991.

UKRAINIENS — L'indépendantisme le l'Ukraine, la plus peuplée, la plus riche et la plus puissante des Républiques de l'ex- URSS après la Russie, n'a surpris person- ne. Le 16 juillet 1990, elle proclamait sa souveraineté nationale, le 24 août 1991, son indépendance, et le monde entier attendait le verdict du référendum du dimanche 1er décembre 1991 et de l'élec- tion présidentielle qui devait avoir lieu le même jour : si l'Ukraine quittait le navire de l'Union, il faudrait y voir le début de la fin du grand empire des tsars. Le résultat, pourtant attendu, fit du bruit : 90 % des Ukrainiens se prononcè- rent pour l'indépendance de l'Ukraine, et à peu près 62 % des suffrages sont allés à Léonid Kravtchouk, un apparatchik qui était déjà en place avant l'élection prési- dentielle, devant Tchernovil (23 % des voix), candidat du Roukh (Mouvement démocratique d'Ukraine) et devant le

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nationaliste légendaire (20 ans de goulag) Loukianenko (4,5 % des voix). Même la Crimée, peuplée à 52 % de Russes et russophones, a voté à 80 % pour l'indé- pendance. Bien entendu, l'Ukraine a ensuite signé l'accord de Minsk (8 décem- bre) instituant l'Union slave, et ceux d'Alma-Ata (21 décembre) instituant définitivement la CEI. Puis le temps est venu des revendications. L'Ukraine est baignée par la mer Noire : elle revendique donc, dès le 30 décembre 1991, une partie de la flotte ex-soviétique qui croise dans cette mer (et en Méditerra- née) : en tant que puissance maritime, elle considère avoir droit à une flotte de guerre. De plus, l'Ukraine ne supporte pas que la Russie soit le « parrain » de la

CEI : un vieux contentieux relatif à l'im- périalisme russe resurgit, car l'union entre Kiev et Moscou n'a pas toujours été fra- ternelle. Il y a aussi le problème de la Crimée, terre « russe » donnée à l'Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 1954. Autre problème : celui des arme- ments nucléaires en territoire ukrainien, que Léonid Kravtchouk se déclare « prêt à détruire », mais avec l'aide des Arméri- cains. Enfin, pour ne pas dépendre de la Russie, l'Ukraine aurait intérêt à battre monnaie sans passer par la Gosbank. Dans tous les cas, le gouvernement ukrai- nien brandit la menace qui effraye le plus Boris Eltsine : quitter la CEI. Nul ne sait, évidemment, comment tourneront les événements.

Conclusion

Quinze peuples libérés, indépendants, maîtres de leur destin, dont quatre (les trois Républiques baltes et la Géorgie) naviguent seuls et onze de concert (dans la CEI). Cette nouvelle distribution géo- politique du vieil empire russe est fragile. Si l'avenir des pays baltes est tout tracé (intrégration à l'Occident), celui de la Géorgie est encore incertain : cet État ne risque-t-il pas de s'autodétruire dans des guerres civiles sans fin, comme aux temps de son ancienne histoire ? D'autre part, les forces centripètes qui unissent les onze autres Républiques sont peut-être moins puissantes que les forces centrifuges qui les poussent — ou les pousseront — à quitter la CEI. Le renouveau de l'Islam peut être le moteur qui détachera les Républiques asiatiques et l'Azerbaïdjan

du système, les rivalités entre Etats peu- vent fort bien éloigner l'Ukraine d'une CEI trop dominée par la Russie ; la Mol- davie louche vers la Roumanie, etc. Enfin et surtout, la poupée russe n'en a pas terminé de se dévisser. Comme on l'a dit au début de cette introduction, les peuples sont là, captifs depuis parfois des siècles. Suffira-t-il de les faire accéder aux bonheurs (?) de l'économie de marché (si elle s'installe sans trop attendre) et aux joies de la démocratie libérale pour les satisfaire par le simple exercice des droits de l'homme ? Les droits de l'homme passent par les droits des peuples.

Roger Caratini janvier 1992

N. B. : les mentions URSS dans le texte courant de l'ouvrage sont à lire : ex-URSS.

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Tableaux statistiques*

I - Union des Républiques Socialistes Soviétiques

II - Les principaux peuples d'URSS par familles linguistiques

III - Principaux peuples d'URSS par Républiques et par Régions autonomes

IV - Bilinguisme des peuples d'URSS

V - Structure nationale des quinze RSS d'Union soviétique de 1926 à 1979

VI - Évolution de la population urbaine en URSS

VII - Composition des Républiques autonomes (RSSA) de 1926 à 1979

VIII - Répartition des peuples d'URSS dans leur République et hors de

leur République

IX - Pourcentage des populations autochtones vivant dans les Républi-

ques d'Union soviétique

* Sauf indications contraires, les données numériques sont celles du dernier recensement officiel (1989), communiquées à la fin de 1990, ou des estimations établies à partir de ces données.

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I - UNION DES RÉPUBLIQUES (recensement officiel

LA RSFSR (RUSSIE)

Républiques et Régions autonomes Superficie Démographie (en km2) (janvier 1989)

RSFS de Russie 17 075 400 148 041 000

RSSA :

• des Bach kirs 143 600 3 964 000

. des Bouriates 351 300 1 049 000

• de Carélie 172 400 796 000

• du Daguestan 50 300 1 823 000

• des Iakoutes 3 103 200 1 099 000

• de Kabardino-Balkarie 12 500 768 000

• des Kalmouks 76 100 325 000

. des Komis 415 900 1 265 000

• des Maris 23 200 754 000

•desMordves 26 200 964 000

• d'Ossétie du Nord 8 000 638 000

• des Oudmourtes 42 100 1 619 000

• des Tatars 68 000 3 658 000

• desTchétchènes-lngouches 19 300 2 9 0 000

• des Tchouvaches 18 300 1 340 000

•desTouvas 170 500 314 000

RA (Régions autonomes, au 1erjanvier 1989» :

• des A dygiiéens 7 600 432 000

• du Gorno-Allai 92 600 192 000

» des Juifs 36 000 216 000

• des Karatchaïs- Tcherkesses .............................................. 14 100 418 000

• des Khakasses ....................................................................... 1 61 900 569 000