36
digital art i #12 janvier-février-mars 2013 - 6 / 8 $ US FRED FOREST ARTS & SCIENCES ROBERT HENKE ART SONORE PETER WEIBEL ANNE-MARIE DUGUET ŒUVRE NUMÉRIQUE & ESPACE PUBLIC IMAGE ET FLUX… GRÉGORY CHATONSKY Le Magazine International de l'Art Numérique et de l’Innovation www.digitalarti.com #12

Digitalarti Mag #12 (Français)

Embed Size (px)

DESCRIPTION

36 pages d'Art Numérique avec : - L'interview de Grégory Chatonsky - Fred Forest expose au Centre des arts d'Enghien - Les œuvres numériques dans l'espace public - Rencontre avec Peter Weibel, directeur du ZKM - La dernière installation de Robert Henke - L'Atelier Arts & Sciences de Grenoble - Etat des lieux de l'Art sonore

Citation preview

Page 1: Digitalarti Mag #12 (Français)

d i g i t a l a r t i # 12janvier-février-mars 2013 - 6 € / 8 $ US

FRED FOREST ARTS & SCIENCES ROBERT HENKE ART SONORE PETER WEIBEL ANNE-MARIE DUGUET ŒUVRE NUMÉRIQUE & ESPACE PUBLIC

IMAGE ET FLUX…

GRÉGORYCHATONSKY

Le Magazine International de l'Art Numérique et de l’Innovation

www.digitalarti.com

#12

Page 2: Digitalarti Mag #12 (Français)
Page 3: Digitalarti Mag #12 (Français)

JANVIER/FÉVRIER/MARS 2013

SOMMAIRE

03 EDITO

04 DIGITALARTI.COMinfos, blogs et liens

05 ART-LABrésidences, workshops et événements

06 NEW YORKexpositions, lieux et initiatives

07 CHRONIQUESFrank Rose, Jacqueline Caux…

08 FRED FOREST l'homme media n°1 (exposition/retrospec-tive)

12 ŒUVRE NUMÉRIQUE & ESPACE PUBLIC Lab[au], Antoine Schmitt, Samuel Bian-chini, Scenocosme…

16 GREGORY CHATONSKY image et flux (interview)

20 ARTS & SCIENCES L'Hexagone, Scène Nationale de Meylan

22 ROBERT HENKEFragiles Territories (installation)

26 PETER WEIBEL director / ZKM (interview)

28 ANNE-MARIE DUGUET Anarchive (vidéo)…

30 ART SONOREZKM (Karlsruhe), MAC (Lyon), Centquatre(Paris)

32 AGENDAexpositions, festivals…

EDITO

BONNE ANNÉE CRÉATIVE HAPPY CREATIVE NEW YEAR

Digitalarti poursuit cette année avec grand plaisir son travail de valorisation de la création contemporaine numérique. Dans nos éditions 2012, vous avez pu découvrir des artistes commeOlga Kisseleva, Edwin Van Der Heide, Robert Stadler & MathieuLehanneur, 1024 Architecture, Samuel Bianchini, Adelin Schweitzer,Don Foresta, Christian Zanési & Jérôme Soudan, Trafik, Shu LeaCheang, Dan Roosegaarde, Random International, des reportages surles festivals, des dossiers sur les corps connectés, les villes créatives, la téléprésence, des articles sur le design et l’innovation…

Nous avons également développé nos activités de production dansnotre artlab, et de diffusion avec l’aide de partenaires privés et publicsfrançais : Water Light Graffiti, une création d’Antonin Fourneaucoproduite par Digitalarti, sera à l’honneur du 9 au 16 février, dans le nouveau lieu consacré à la création numérique à Cergy, la rosace de la gare de l’Est est illuminée par une création de Stéphane Perraud,Flux, jusqu’en avril 2013, les aéroports de Paris ont installé Lumifoliade Scenocosme dans leur nouveau terminal de Roissy…En effet, si l’art numérique investit l’Internet, les galeries, les musées(parfois), il est aussi présent dans l’espace public (voir article page 12).Mention spéciale aux artistes et structures New Yorkaises qui ontaffronté la tempête Sandy, et restent actives comme Eyebeam malgrécette irruption dévastatrice du réel.

Nous aimons particulièrement rendre hommage aux pionniers : dans ce numéro l’artiste français incontournable et inclassable Fred Forest mais aussi Anne-Marie Duguet et Peter Weibel pour leur engagement durable aux côtés des artistes. Et à l’affiche du prochain numéro, Jeffrey Shaw et Norbert Hillaire…

Nous vous souhaitons à tous, artistes, producteurs, diffuseurs, ingénieurs, hackers et bien sûr chers lecteurs, une année heureuse et riche de chocs esthétiques et de découvertes artistiques.

ANNE-CÉCILE WORMS

Telefossiles, Gregory Chatonsky, exposition au Musée d'Art Contemporainde Tapei (2013). © D.R. #12

digitalarti #12 - 03

Page 4: Digitalarti Mag #12 (Français)

la chaîne de l'Art numérique.Reportages, interviews, Art video, teasers…Nous avons interviewé Benjamin Gaulon aka Recyclism, artiste hackti-viste, à l’occasion de la programmation de deux de ses œuvres à Paris :2,4 Ghz dans le cadre de Mal au Pixel, à la Gaîté Lyrique, et Kindle Glit-cher, petit dernier de la série Corrupt, commandité par l'Espace virtueldu Jeu de Paume dans le cadre de l'exposition Erreur d'impression,publier à l'ère du numérique proposée par Alessandro Ludovico… < http://www.digitalarti.com/fr/blog/digitalarti_mag/interview_de_benjamin_gaulon_aka_recyclism >

04 - digitalarti #12

DIGITALARTI NEWS

DIGITALARTI.COMBest of des dernières news de la communautéInformations, blogs, liens et news à retrouver sur le site

La galerie Les Territoires, organisme à butnon lucratif, est un centre d'art où diffusion

et analyse de l'art émergent et de ces nouvelles pratiques vontde pair. Elle a comme objectif de permettre aux artistes émer-gents de développer leur carrière sur la scène institutionnelle,de faciliter leur intégration au marché de l'art et de les soutenirdans leurs différentes manifestations artistiques. La galerie LesTerritoires offre un lieu d'exposition à la fois accessible et pro-fessionnel. Le développement de son espace vise à contribuer àla diffusion de l'art actuel à l'échelle nationale et internationaleet à diversifier la scène artistique contemporaine à Montréal.< http://www.digitalarti.com/fr/blog/les_territoires >

advitam est un blog sur la création de Pascale Barret.Artiste hybride de la scène internationale, Pascale se

joue de médiums tangibles et virtuels, scientifiques et historiques pouraborder les questions identitaires. Elle combine et distord les pratiquesavec la conscience accrue que la technologie tend à transformer notreperception du soi et d’autrui. Pascale Barret se géo-localise à Bruxelles,en Europe et sur Internet. Elle expose à partir de 2001 en France, enEurope et aujourd’hui à l’international. Elle est membre d’iMAL, Centrepour les cultures digitales et technologiques; et participe à Body Intima-cy Network, un projet de wiki initié par Mutin pour la recherche sur lecorps numérique.< http://www.digitalarti.com/fr/blog/advitam >

Focus

ADVITAMFocus

LES TERRITOIRES

AgendaErreur d’impression, publier à l’ère du numériqueDepuis 2007, le Jeu de Paume ouvre sonEspace virtuel aux net-artistes. Les projetssont tous créés spécialement pour le Web.Jusqu'au mois de mars, vous pouvez visiter,de votre ordinateur, Erreur d'impression,publier à l'ère du numérique, exposition pro-posée par Alessandro Ludovico. < www.digitalarti.com/m12_1 >

Présences électroniques, expérimentations sonores à GenèveLes 11 & 12 janvier, les amoureux du sonont rendez-vous à Présences Électroniques, àGenève. Pour sa 3ème édition, le festivalcontinue son exploration des musiques élec-troniques, acousmatique et électroacous-tique ainsi que des styles plus populaires,voire dansants.. < www.digitalarti.com/m12_2 >

ArtistesOuverture de melodiane.comLe site officiel du méta-domaine de Melo-diane dévoile l'utopie melodienne sous for-me d'épisodes. < www.digitalarti.com/m12_3 >

Tubulophones Lumineux 2012Pour créer les sons et les lumières desTubulophones, il suffit de placer les mainssur les capteurs tactiles. < www.digitalarti.com/m12_4 >

Festivals, Centres d’ArtArtlabovient d'ouvrir ! Lancement de Artlabo, uneplateforme de mutualisation et d'échangede savoirs autour de la culture numériqueliée aux pratiques artistiques.< www.digitalarti.com/m12_5 >

Festival GAMERZ 08GAMERZ réunit tous les ans des artistes,des chercheurs, des professionnels de lacréation français et étrangers afin de propo-ser au public un parcours récréatif et cultu-rel. < www.digitalarti.com/m12_6 >

Cube in Cube, une projection de G8 LabsDeux cubes tournent sur le même axe, l'undans l'autre. Le plus grand semble vide ettransparent, et contient un plus petit, quisemble plein et blanc. < www.digitalarti.com/m12_7 >

Leap Motion : les premiers essaisLeap Motion est une technologie de détec-tion de mouvements en trois dimensionsprésentée il y a quelques semaines publi-quement dans une vidéo virale.< www.digitalarti.com/m12_8 >

Page 5: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 05

Ouvert en 2011, le Artlab est un lieu de recherche, dedéveloppement et de prototypage, où artistes et tech-niciens se rencontrent dans une démarche créative etcollaborative. L'approche est multidisciplinaire, aucarrefour entre les possibilités de la technologie etl'inspiration des artistes.L’accueil des artistes et techniciens prend des formesdiverses : résidence, free-lance, visite, formation/assistan-ce, atelier… La sélection des projets se fait sur plusieurscritères : qualité artistique, connaissances techniques,contribution au développement du Artlab…Jason Cook, artiste/technicien, gère le Artlab, aidé d'un réseau d'artistes et de techniciens assistants.Suivez l’actualité du Artlab sur < www.digitalarti.com/artlab-fr >

Portrait

TOM WERSINGERNouveau résident, Tom Wersin-ger suit une approche softwaretournée vers un web ouvert etsocial. Son travail vient ajouterune touche logicielle tout enrestant cohérent avec la domi-nante hardware du Artlab. Lire la suite < http://www.digitalarti.com/fr/blog/artlab/tom_wersinger_lart_du_code_entre_au_artlab >

Œuvre

LULU WHITE créée par Jason Cook au ArtlabDigitalartiCette création s’intègre dans"Objet Avatar", une série d’in-vestigations sur les capteursappliqués au corps humain pourmanipuler à distance des objetssculpturales. Lire la suite < www.digitalarti.com/fr/blog/artlab/lulu_white_cr_e_par_jason_cook_au_artlab_digitalarti >

Workshop

L'ECV AU ARTLAB Introduction aux Arts Numé-riques et initiation à Arduino :c'était le programme que les étu-diants de l'ECV ont pu suivrelors d'un workshop animé parJason Cook au Artlab le 8 octobre dernier. Lire la suite < http://www.digitalarti.com/fr/blog/artlab/workshop_au_artlab_pour_les_tudiants_de_lecv >

Création

HELLO ROBOTA l'entrée du Artlab, une mainmécanique salue chaque person-ne, ou la "bénit" au nom de larobotique. Cette main est issuedes recherches ayant précédél'oeuvre Lulu White.

DIGITALARTI ARTLAB

by

Best of des dernières news du Artlab

Page 6: Digitalarti Mag #12 (Français)

06 - digitalarti #12

IN SITU NEW YORK

Douce coïncidence, un couple d’artistes deBrooklyn, Chris Klapper et Patrick Galla-gher, a conçu et construit une installationvisuelle, musicale et interactive qui simulele phénomène poétique d’une tempête depluie dans la Skybox Gallery de Philadel-phie. Sous forme de quatre cylindresimmenses suspendus au plafond, leurSymphony in D Minor[1] répond aux coupslégers des visiteurs avec des images denuages en turbulence et une symphonietantôt tempétueuse, tantôt tranquille, maisjamais pareille. Les tempêtes sont par naturemenaçantes et magnifiques, explique Chris.Avec Symphony nous voulions exprimer cet-te puissance à travers le volume, la masse etle mouvement. Si certains peuvent être inti-midés par sa taille gigantesque, ils sont viteséduits par son caractère ludique.

Autre œuvre formidable, cette fois àl’échelle d’une armurerie, The Event of aThread de Ann Hamilton[2] occupe de longen large la salle d’exposition principale dela Park Avenue Armory, qui a toujours sucommissionner des projets à la hauteur deson imposant espace physique.

On se croirait dans un film de Peter Gree-naway : dispositif baroque et multisensoriel(champs symétriques de balançoires,grand rideau blanc ondoyant, sacs enpapier sonores, gramophone), animauxvivants (pigeons voyageurs en cage) et per-formance live (lectrices, écrivain et chan-teuse) ; le tout symbolique d’un écosystè-me esthétique dans une ambianceonirique. Le jeu consiste à basculer sur lesbalançoires de façon à animer le rideaucentral comme un théâtre de marionnettes,tout en écoutant le murmure des parolesprononcées par les lectrices en transmis-sion directe aux sacs en papier sans fildepuis derrière les pigeons. L’expériencesurréaliste devient presque mystique.

À une échelle plus intime, mais tout aussiimmersif, le Gamelatron Jalan Jiwo[3] deAaron Taylor Kuffner cherche à trans-mettre le côté spirituel du Gamelan, la tra-ditionnelle musique de percussions indo-nésienne, en investissant l’espace principaldu Clocktower Gallery, directement en-dessous de la grande cloche résidente.Avec ses authentiques vibraphones, tam-bours, carillons, cloches et gongs en bron-ze éparpillés dans la salle blanche, le spec-tacle cinétique émeut autant qu’un concertacoustique… à la seule différence que lespercussionnistes sont des marteaux robo-tiques jouant une partition numérique.

Toujours à la tour de l’horloge, nousretrouvons une arcade de jeux triptyquesignée Babycastles, le collectif des jeuxDIY par excellence, dans une petite salletransformée en pizzeria rétro par SliceHarvester (a.k.a. Colin Hagendorf), artisterenommé pour ses fanzines de dégustationde pizza, et décorée par Yusuke Okada,punk rocker à talents multiples. L’installa-tion in situ qui résulte de cette collabora-tion, c’est Babyharvester[4], ou la dernièreincarnation d’une vision singulière de lanouvelle arcade, où jeux vidéo indépen-dants sont exposés et joués dans un cadresocial de bricolage, souvent underground.Au menu des jeux récoltés : Peacemaker,Harpooned, I Was In The War.

À l’heure de Wreck It Ralph [en français LesMondes de Ralph, NDLR], ce film d’anima-tion 3D nostalgique des 8-bits, on peut seréjouir par ailleurs de l’acquisition annoncéede 14 jeux vidéo classiques de la part duMoMA[5]. Ce début de sélection à s’élargir(Pac-Man, Tetris, Myst, The Sims, Dwarf For-tress…) fait partie de la collection Architec-ture et Design du musée, et sera exposé dansses galeries en mars 2013. Cette initiativemarque un pas d’avance considérable nonseulement pour la reconnaissance institu-tionnelle des jeux vidéo (sans parler des artsnumériques) en tant qu’œuvres d’art à partentière, mais aussi pour leur conservationprofessionnelle et systématique.

Enfin, comme un feu vert au carrefourentre l’art et le commerce, la démocratisa-tion de la modélisation tridimensionnellese matérialise à NoLiTa dans MulberryStreet entre East Houston et Bleecker. Lefabricant pionnier d’imprimante 3D desk-top MakerBot[6] y a ouvert sa première bou-tique en septembre 2012, avec pleins d’ob-jets imprimés par sa nouvelle Replicator 2en démonstration omniprésente, des "gum-ball machines" à 5 dollars le jouet, et larévélation surprise du vernissage officiel le20 novembre, le 3D Photo Booth. Ce photo-maton 3D permet à n’importe qui de venirse faire scanner la tête pour 5$, puis dechoisir une taille de modèle en plastique àimprimer, dont le plus petit mesurequelques centimètres et coûte 20 dollars.Certes, la technologie 3D ne date pas d’hier,mais c’est son accès ici directe, facile, popu-laire et infiniment ludique qui nous plongedans un pays de merveille.

CHERISE FONG

(1) < http://symphonyindminor.com >

(2) < www.armoryonpark.org/programs_events/detail/ann_hamilton >

(3) < http://artonair.org/exhibition/the-gamelatron-jalan-jiwo >

(4) < http://artonair.org/residency/babyharvester >

(5) < www.moma.org/explore/inside_out/2012/11/29/video-games-14-in-the-collection-for-starters >

(6) < www.makerbot.com/retail-store >

GAMEPLAY EN HIVERPlusieurs d’un mois après le passage dévastateur de la tempêteSandy, les quartiers les plus affectés de New York reprennentvie petit à petit. Si la résurrection le 20 décembre de Eyebeam,qui a perdu 250.000 dollars de matériel technologique dansl’inondation, symbolise la résilience du quartier des galeries à Chelsea, la communauté artistique new-yorkaise, elle, s’est remise à jouer.

Chris Klapper & Patrick Gallagher,Symphony in D Minor.

Barack Obama vs MakerBot.

© P

HO

TO

KE

N S

HU

LE

R

© P

HO

TO

D.R

.

Page 7: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 07

CHRONIQUES LIVRES - DVD

BUZZ…Multiplication des supports, atomisation despublics, séquentialisation de la publicité, inter-action des médias, généralisation de l'hypertex-te, buzz… En une décennie, Internet a obligé àrepenser le processus de création et de diffusiondes fictions. Frank Rose, journaliste à Wired,analyse cette culture "en rhizome".Postulat de base : une création de divertisse-ment, quelle qu'elle soit (livre, musique, film,série télé, jeu vidéo, web série, etc.), ne sedéploie plus sur une seule dimension, mais sedécline et se ramifie sur plusieurs plans. Postu-

lat numéro 2 : rien ne peut plus se concevoir sans les réseaux sociaux.YouTube, Twitter, Facebook doivent être pensés comme des médias àpart entière; au même titre que la presse papier, la radio, la télévision,les sites web, etc. Postulat numéro 3 : il n'y a plus de lecteur ou spectateur. Le consomma-teur devient acteur et sa participation est le meilleur gage de son addic-tion… L'histoire et les personnages lui appartiennent autant qu'aux scéna-ristes. Postulat numéro 4 : cette révolution copernicienne est portée parune communication virale, qui emprunte à la ruse et au jeu de rôle.Le phénomène de novellisation et de gadgetisation publicitaire (des flip-pers aux figurines à l'effigie des héros des blockbusters) s'apparente désor-mais à la préhistoire comparé à la "force de persuasion" des stratégies decommunication développées autour des réseaux sociaux. D'autant que cesmanipulations débordent très largement la sphère du virtuel.Ainsi, après avoir laissés quelques signes cabalistiques, captés de manièrepresque subliminale par quelques otakus, les nouveaux démiurges des stu-

dios vont jusqu'à disséminer des artefacts dans le monde réel, envoyer desmessages téléphoniques ou mettre en scène des événements particulierspour valider des histoires parallèles relayées par des sites dédiés, devrais/faux profils Facebook, etc.Mieux encore, grâce à ces éléments mis à sa disposition, le "consom-acteur" est invité à concevoir sa propre publicité du "produit" culturelqu'on lui livre en pâture puis de la valoriser dans son réseau. Le "spec-tacle" est complet… Debord fait des sauts quantiques dans sa tombe…Résumons le protocole de ce marketing 2.0 : quelques geeks décodent desmessages cachés et découvrent quelques indices matériels dans desendroits improbables, les "followers" qui n'ont jamais si bien portés leursnoms, bien que s'imaginant devancer le mouvement, servent d'agrégatpour le grand public en validant en nombre les contours incertains de cet-te "réalité alternée"…Blockbuster ou jeu vidéo, nous sommes confrontés à une nouvelle maniè-re de raconter des histoires, en accord avec les nouvelles possibilités denarration qui sont offertes par le multimédia et nous affranchissent descontraintes de linéarité et verticalité, pour privilégier des récits qui sollici-tent une approche transversale et participative : c'est l'ère du mix et dudeep media.Ce ne sont plus des histoires à regarder ou à lire, mais à vivre… En atten-dant l'immersion totale dans un environnement virtuel, sur le modèle del'holodeck de Star Treck auquel l'industrie du jeu travaille déjà. Ainsi quel'armée américaine au travers d'un projet répondant au doux nom deCHAOS (Combat Hunter Action and Observation Simulation)… Ce n'est pas de la science-fiction. Simplement la démonstration que lefutur nous fait signe alors que nous l'inventons encore…

Frank Rose, Buzz (Éditions Sonatine). < www.sonatine-editions.fr >

LA MÉCANIQUE DU TEMPSAvec le recul, on a peine à imaginer l'opprobre quifut jetée sur les musiques électroniques, et singu-lièrement sur la techno lors de son émergence,par les thuriféraires des musiques dites"savantes". Au delà du clivage générationnel quisurmultipliait cette guerre de tranchée, il a fallul'autorité et l'ouverture d'esprit de quelques troprares météores pour établir des ponts, une passe-

relle entre la musique répétitive, expérimentale et les échos mécaniques enprovenance de Detroit. En France, bien sûr, c'est Daniel Caux qui incarnaitcette approche. Disparu en 2008, ce musicologue, essayiste et homme de radiovoit son analyse célébrée par les musiciens qu'il avait valorisé — La MonteYoung, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, Richie Hawtin… — dans cetteperspective trans-historique au travers d'un film réalisé par sa compagne quiréunit pièces inédites et archives millésimées.

Les couleurs du prisme, la mécanique du temps : de John Cage à la Techno, en passant par le minimalisme et le post-modernisme, un film de Jacqueline Caux. La Huit (96 + 40 mn, DVD multizone, français/anglais). < www.lahuit.com >

ART GÉNÉRATIFParmi les multiples procédés, techniques et dispo-sitifs mis en œuvre dans les créations numériques,les programmes algorithmiques apportent unedimension particulière. Ils donnent l'illusion d'unevie autonome à une œuvre et semblent accroîtreson potentiel d'interactivité au point que l'artefacten question semble échapper à son créateur… Et l'artiste se rêve en démiurge… C'est ce que lais-se à penser l'essai de Pierre Berger & Alain Lioretintitulé L'art génératif : jouer à Dieu… un droit ? un devoir ? Pour autant, l'art génératif ne saurait serésumer à une série d'équations absconses en guise

de "premier moteur"… C'est surtout et avant tout une question d'attitude.Le maître mot de cette attitude étant "aléatoire". L'art génératif précèdedonc l'arrivée de l'informatique. Les mathématiques et la robotique n'étantque le moyen pour l'artiste de prolonger son intention, sa perception, soninterprétation, ses émotions…

Pierre Berger & Alain Lioret, L'art génératif : jouer à Dieu… un droit ? un devoir ?(L'Harmattan / coll. Histoires et idées des arts).< www.harmattan.fr >< www.artgeneratif.com >

Page 8: Digitalarti Mag #12 (Français)

08 - digitalarti #12

ART NUMÉRIQUE FRED FOREST

Né à une époque où la télévision n'existaitpas (Fred Forest voit le jour en 1933, àMouaskar en Algérie), il a expérimenté enautodidacte puis en professeur assermenté(après avoir soutenu une thèse de docto-rat transformée en happening) toutes lesfacettes de l'art sociologique et de l'esthé-tique de communication. Ce parcoursexceptionnel lui permet de porter unregard sans complaisance sur le mondeartistique actuel, n'hésitant pas à affirmerhaut et fort sa singularité face aux "profes-sionnels de la profession". Son expérience"multimédia" lui sert aussi, toujours etencore, à se renouveler, à chercherd'autres champs d'expression artistique,d'autres performances esthétiques. Après les États-Unis et le Brésil, la Francese décide enfin, grâce au Centre des Artsd'Enghien, de consacrer une rétrospectiveà cet homme media par excellence.

Pour expliquer aux personnes qui neconnaîtraient pas ton terrain d'expérience,comment résumes-tu ton champ d'activitéartistique ?Je suis un artiste du numérique ayant réa-lisé ma première œuvre notoire dans ce

domaine dès 1995(1), mais je préfèreendosser le qualificatif plus juste, à monsens, d’artiste de la communication trans-media. Mon travail (qui a démarré main-tenant il y a près d’un demi siècle…) a,tour à tour, utilisé en pionnier des sup-ports comme l’animation de communica-tion participative en banlieue parisienne(1965), la vidéo (1967), les inserts depresse (1972), le téléphone (1972), laradio nationale (1972), la TV nationale(1975), le Minitel (1982), le slow scan(1987), le journal à diodes électroniques(1986), le câble (1987), le fax (1987), lesondes hertziennes (1987), Internet(1989), Second Life (1998). Veuillez excuser cette fastidieuse énumé-ration, mais il faut bien faire un peu depédagogie à l’égard des institutions fran-çaises, hélas toujours en retard d’un train,et leur apprendre ce qu’elle devrait savoirdepuis longtemps… Je revendique également cette identitéd’artiste de la communication, entreautres, pour les événements dont je suisà l’origine, comme mes actions au coursde la XIIème Biennale de Sao Paulo, leMètre carré artistique, l’exposition de

Madame Soleil au Musée Galliera, la ven-te en première mondiale deParcelle/Réseau à Drouot, mon propremariage avec l’artiste Sophie Lavaud surInternet ou ma candidature à la fonctionde Président de la TV Nationale Bulgarecomme représentant les forces d’opposi-tion au régime communiste. Pour fairevite, je dirai que le champ de mon activi-té artistique s’est développé sur un dis-cours critique, croisant tous les mediasque j’ai pu m’approprier au fil du temps.J’interviens au cœur même du tissumédiatique et/ou urbain, menant uneréflexion de fond sur les systèmes decommunication visibles et invisibles, qui conditionnent les pouvoirs culturels,politiques et financiers dans nos sociétés.

On te présente comme artiste "et" théori-cien. Quel "statut" revendiques-tu ?À vrai dire les deux se confondent chezmoi. Je revendique d’abord le statut à partentière d’artiste novateur, ensuite j’acceptele fait d’être un universitaire à l’origine dedeux mouvements artistiques, ceux del’art sociologique et de l’esthétique de lacommunication, pour lesquels j’ai contri-bué d’une façon soutenue à la théoriecomme à la pratique. Pour le premier(l’art sociologique) avec Jean-Paul Thénotet Hervé Fischer des années 1974 à 1981,pour le second (l’esthétique de la commu-nication) avec le Professeur Mario Costade 1982 à nos jours(2).

En 2007 à Philadelphie, il y a déjà eu unerétrospective à la Slought Foundation :quelle va être la différence par rapport àcet événement ?Je prends le soin de vous rappeler que j’aibénéficié également d’une précédenterétrospective en 2005 au Paço das Artesde Sao Paulo au Brésil. Je suis en quelque

FRED FOREST

DE L'ART VIDÉO AU NET-ARTPionnier : c'est le terme qui revient le plus souvent pour caractériserla place de Fred Forest sur l'échiquier des arts dits "médiatiques".Deux autres mots sont également récurrents : "réseau" et "territoire";en quelque sorte l'abscisse et l'ordonnée de son activité artistique.Une activité qui prend racine au siècle dernier, en "trafiquant" l'imageet le papier, tout d'abord, puis en annexant progressivement tous lesmoyens de communication : de la vidéo aux mondes virtuels.

Page 9: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 09

sorte un cumulard de rétrospectives qui sesuivent et ne se ressemblent pas (rires). Lapremière à Sao Paulo, sous l’égide deDaniela Bousso avec, comme commissai-re, Priscila Arantes, avait tout l’espacenécessaire, mais, hélas, manquait demoyens financiers pour traduire toutel’ampleur de mon travail. Un travail, ilfaut bien dire, pléthorique. Puis en 2007celle de la Slought Foundation avec com-me sénior curator Osvaldo Romberg, quidisposait au contraire des moyens néces-saires, mais c’est l’espace qui faisait cettefois-ci défaut. L’originalité de celle que je fais au Centredes arts d’Enghien en janvier 2013, c’estque je me suis moi-même investi de lafonction de commissaire ! Les moyens sontsuffisants, mais modestes en ces temps decrise. Quant à l’espace disponible, il estencore nettement au-dessous de la capacitépour traduire dans son détail une activitéqui s’est déroulée sur un demi siècle, repré-sentant plus d’une centaine d’œuvres maté-rialisées, et plus de 600 numéros, inscritsau patrimoine national de l’Ina, constituésde bandes 1/2 pouces, VHS, U-Matiques etde K7 audios. Et comme les murs ne peu-vent se pousser comme par enchantementdans une architecture faite de béton, jem’en fais une raison. En attendant ma prochaine… rétrospecti-ve ; que négocient déjà, pied à pied, en cemoment, deux universitaires américainesbardées de diplômes, avec le responsableéclairé (le seul à ma connaissance…)d’une grande institution française. Si çamarche, j’en serai alors à ma quatrièmerétrospective (rires)… Mais comme engénéral les rétrospectives sont l’apanage

des gens qui sont déjà morts, j’ai encoredu temps devant moi pour ne pas baisserles bras prématurément, et collectionnerles rétrospectives, comme d’autres collec-tionnent les papillons. À condition, bienentendu, que je ralentisse un peu le ryth-me de ma production actuelle, si je désireque la péréquation s’opère un jour pourmoi, entre le budget disponible et l’espaceà remplir (rires encore…).

Comment s'est effectué le choix desœuvres proposées… ? Comment tout celaest-il structuré ? Par périodes ? Par typede dispositifs ? Par intention ?Voilà où on arrive, inévitablement, auxquestions qui fâchent. ;-) Ou plus exacte-ment, qui risquent de heurter la logiquedes experts. Entre le choix d’une chrono-logie traditionnelle, mais ennuyeuse et,par exemple, celle de se baser sur desintentions par supports ou thèmes, j’aidécidé d’un choix, une fois de plus trans-gressif, celui de ne pas choisir ! Je n’ai riencontre une pédagogie directive, et mesanciens étudiants de l'École des Beaux artset de l’Université pourront vous le confir-mer. Néanmoins, compte tenu descontraintes inhérentes à l’espace offert, jepropose au visiteur un parcours créatif.Cela veut dire quelques repères d’ordreemblématique de ma démarche placés iciou là dans l’espace. Par exemple, le M2 artistique sous formed’inserts de presse agrandis, Vidéo Troisiè-me âge avec une installation regroupantdes photos et la diffusion de documentsvidéos, ou Le blanc envahit la ville d’unefaçon analogue, ou encore, Avis derecherche de Julia Margaret Cameron, ce jeu

social de piste médiatique, utilisant desannonces quotidiennes dans Var Matin, laradio, la télévision FR3 et Antenne 2, oùquatre mois durant, une ville entière s’estmise à la recherche d’un personnage ima-ginaire, s’identifiant et communiquantavec lui, à l’aide d’envois postaux et duMinitel. Une vingtaine d’écrans baliserontmon exposition pour présenter ces diffé-rentes installations.

Avec le recul, comment juges-tu — jauges-tu — tes pièces anciennes ? Quelles problé-matiques amènent-elles avec le temps ?Mes œuvres anciennes sont très actuelles.La problématique que j’y soulève est lamême que celle que je développe dans despièces plus récentes. Une interrogationcritique sur l’art et la société, et sur ledevenir comportemental de l’être humaindans ce contexte qui est le nôtre. Pour moi, dans mon travail, l’éthique pri-me sur l’esthétique depuis toujours. Voilà pour le fond. Par ailleurs, avec letemps qui a passé, les concepts de base éta-blis par les artistes des années 70 se sontavérés ceux-là mêmes qui sont simplement"réactivés" par l’utilisation de certainestechnologies : présence et action à distance,temps réel, jeux et rôles sociaux, ubiquité,interactivité, échange, participation contri-butive, gestes et comportements, réseau,territoire, pouvoir, hybridation, coexisten-ce de l’imaginaire et de la réalité.Nous étions pourtant en droit d’attendreun certain renouvellement. Je trouve queles jeunes générations avec un usage plusmarqué pour les nouvelles technologies etla programmation n’ont guère avancé leschmilblick vers de nouveaux concepts.

Fred Forest, TheTraders Ball,

installation/actionsimultanée in situet su Second Life.

LabGalley, NewYork, 2010.

>

© P

HO

TO

FR

ED

FO

RE

ST

Page 10: Digitalarti Mag #12 (Français)

10 - digitalarti #12

Je veux dire des concepts autres que ceuxque les artistes des années 70 ont large-ment créés, comme par exemple, l’a faitRoy Ascott (l’auteur "partagé", "distri-bué") ou Robert Adrian pour ne citerqu’eux deux. Comme si l’emploi des nou-veaux outils avait en quelque sorte assé-ché les apports d’une réflexion attenduelogiquement de nos vœux. Des apports,relevant de l’art, de la philosophie, de l’an-thropologie, de la sociologie, que sais-jeencore ? Alors que nous avons vu plutôt,et souvent à outrance, les savoirs fairetechniques dominer la pensée. Car, enfin,cet engouement, pour ne pas dire cettemode pour les manipulations techniquesdans le contexte de l’art, est à mon avistotalement stérile. Totalement stérile, tant qu’on ne peut voirrien d’autre encore émerger dans le champde l’art à l’horizon des années 2010 que desdonnées d’ordre scientifique, souvent maldigérées, intégrées de fait à l’expressionartistique, la dominant et s’y superposant.Génératrice plus, d’une confusion desgenres, que d’un éclairage pertinent dupoint de vue de l’art. La manipulation tech-nique ne pouvant jamais se substituer à lapensée elle-même, même si elle donne quel-quefois lieu à de l’invention pratique. Avec des petits génies de la bidouille, quidonnent fort heureusement aux arts techno-logiques leurs lettres de noblesse. Quand àla vogue qui semble saisir beaucoup d’ar-tistes aujourd’hui pour la contribution parti-cipative, sous les regards béats de quelquespenseurs ignorants, uniquement parce qu’el-le transite par les réseaux sociaux ou Inter-net, je les renvoie à leurs classiques, ou plusexactement à leurs aînés, qui avaient pourcertains d’entre eux, préfiguré déjà l’Inter-net, avant que celui-ci n’existe…

Est-ce qu'il y aura également des créations/installations nouvelles ?Ah oui ! Il y aura un site critique et contri-butif sur le fonctionnement des médias[flux-et-reflux.org]. Un site sur lequel lesinternautes pourront partager en tempsréel leurs opinions au sujet de la diffusionde vidéos, que tout un chacun peut voircirculer aujourd’hui sur YouTube. Un thè-me récurent chez moi que ce regard enbiais sur les médias. Une borne, aussi, oùl’on devra se déchausser pour offrir sonpied au réseau dans le cadre d’une opéra-tion œcuménique planétaire, dite du Pieduniversel, vous invitant à quitter un ins-tant les écrans pour prendre conscience dela partie terminale de votre corps dans sanudité intrinsèque. Avec le cheminementde tous les pieds scannés circulant surInternet, nécessairement à des vitesses dif-férentes, pour être déposés dans unebanque du pied, sans garantie de les revoirun jour, bien au chaud, chez un providerdes Antilles. Enfin, une biennale libre departicipation pour les artistes du mondeentier, sans institution, sans commissaireet sans censure, par conséquent inéditedans son genre.

Est-ce qu'il y aura aussi des performances/interventions dans le cadre de cette manifestation ?Oui une performance, le jour du vernissa-ge s’effectuant simultanément sur SecondLife et dans le lieu de l’exposition, où lesinternautes comme les visiteurs sontappelés à danser dans le cadre de WallStreet, en quelque sorte pour fêter/dénon-cer la crise par un grand bal populaire,rythmé par deux rappeurs américainsréunis par Ferdinand Corte avec unevidéo de Robin Alamichel.

Qu'en est-il de ton combat contre les institutions culturelles, de ta vision de l'art numérique par rapport au marché de l'art actuel ?Mon combat contre certaines institutions quireprésentent le marché international plusque les artistes Français (suivez mon regard;-) après les performances faites au MoMAcomme au Centre Pompidou, est toujoursd’actualité et en passe, plus que jamais, d’êtregagné, car l’imagination se trouve bienentendu de mon côté. La culture du jam-ming a encore des beaux jours devant ellepour pouvoir gagner un combat à coup sûrdans le long terme par la dérision, le détour-nement, la subversion des signes ou la gué-rilla sémiotique. Que le numérique rentre oupas dans le marché n’est vraiment pas mapréoccupation. S’il devait y entrer un jourc’est par le biais de structures d’accueil radi-calement différentes et un état d’esprit autredes artistes eux-mêmes.

Que devient le Webnetmuseum ?Il se porte très bien merci, bien qu’il atten-de depuis sa création, pour atteindre touteson ampleur, les budgets de la culturenécessaires à ses développements. Budgetsqui ne sont jamais venus du fait que lesdeux égéries qui plombent ses commis-sions d’attribution, Christine Bravache etPascale Chassedeau, ont décrété, une foispour toute, et d’un commun accord, qu’ilne s’agissait pas là d’art ! Soit, ce qui étaitpensé comme juste hier, l’est déjà un peumoins aujourd’hui et le sera encore moinsdemain. Mais au demeurant ce n’est pasgravissime quant on constate ce quedeviennent les budgets, une fois sur dix, àqui ils sont confiés par ces dames. Il noussuffit d‘attendre notre heure qui ne tarderapas à arriver d’une façon ou d’une autre.

Sur la distance, quelle évolution as-tu observé concernant l'art "technologique" ;les pratiques artistiques qui utilisent et/oudétournent la photo, la vidéo puis l'informa-tique, le numérique, les réseaux, etc. ?Ici encore l’art “technologique" n’a pointinnové en matière de concept de détourne-ment depuis les années 80. Il s’est contentéde s’adapter pragmatiquement aux nou-veaux supports de communication et d’uti-liser la formidable caisse de résonnanceque constituent les mass media et plusrécemment celle de YouTube et desréseaux sociaux. Que ce soit les Yes Menavec la TV, ou encore les étudiants du Québec par le détournement des noms dedomaine et la création de faux sites gou-vernementaux à l’occasion de leurs der-nières grèves. La forme la plus réussie dedétournement étant, à mon avis, celle dugroupe Etoy Corporation créé en 1994, quiréunit des centaines de personnes commu-niquant à distance par Internet pour sub-vertir, pratiquement en temps réel, dessociétés commerciales ayant pignon surrue dans le système consumériste.

>

Fred Forest, Chemin de croix, installation. Galerie Christian Depardieu, Nice, 2005.

© P

HO

TO

D.R

.

Page 11: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 11

Des formes d’activisme artistique qui sesituent entre le politique et l’économie etqui refusent le marché de l’art. Un mar-ché de l’art qui repose sur la spéculationfinancière, qu’ils jugent antinomique auxvaleurs éthiques prônées par le réseau,basées sur le partage et une solidaritédésintéressée. Une position qui leursemble la seule raisonnable pour sortird’une crise avant tout morale, et créer lesconditions d’une société meilleure quipuisse préfigurer une nouvelle phase del’humanité, demain. Ce qui remet encause une orientation de l’art, tributaireet dépendante, aujourd’hui, de plus enplus des avancées des domaines tech-niques et scientifiques. Alors qu’il fau-drait nous engager plutôt pour une éco-logie de l’esprit, dont les artistes, selonmoi, sont les promoteurs naturels lesmieux désignés.

Hors de la dimension purement technologique, est-ce que ces nouvellestechnologies ont vraiment redéfini les pratiques artistiques ?On ne peut pas répondre à votre questionsous cette forme, car dans la pratique l’artc’est d’abord l’outil avec lequel il est faitqui est primordial. Et de ce point de vue,il est évident que la pratique est radicale-ment différente entre la technique dunumérique et celle par exemple de lapeinture, physiquement parlant, comme

aux effets, ne serait-ce que de matière etde lumière obtenus. Par contre, il estbeaucoup d’artistes numériques, culturel-lement et viscéralement attachés à desmodèles de la grande peinture, ou voire dela peinture de chevalet, n’ayant pas encoreviré leur cuti, qui font, si j’ose dire… de lapeinture avec le numérique, pourrépondre au goût du jour du public. Certes on peut considérer que c’est unmieux comme avancée par rapport à ceuxqui font encore de la peinture avec de latérébenthine, mais je ne suis pas si sûrque ces derniers feront partie de ceux quiauront inventé les modèles visuels et invi-suels de demain. Mais, grand bien leurfasse… Donc pour terminer ici mon pro-pos, disons que si les nouvelles technolo-gies n’ont pas encore vraiment redéfini lespratiques artistiques, elles sont en passenéanmoins de le faire par une poignée desplus éclairés des artistes du numérique, etquand on sait qu’il aura fallu à un MarcelDuchamp né le 28 juillet 1887 le tempsnécessaire pour devenir l’artiste embléma-tique qu’il est aujourd’hui, nous avonstout le temps d’être patient…

En dehors des variations "sémantiques"(art médiatique, multimédia, etc.), est-cequ'il y a une spécificité — des courants oudes pratiques — de l'art numérique enFrance ? Non, ni en France, ni pas plus qu’ailleurs,maintenant que la mondialisation aplatit tout au même niveau sur la ligned’horizon.

Quelles évolutions futures entrevois-tu ou souhaiterais-tu par rapport à l'art "numérique" ?Je souhaite des évolutions fulgurantes quinous laisseront le cul par terre, mais quine viendront pas, bien sûr, car la chimiedu temps, comme je le souligne un peuplus haut en filigrane, cette maturationexige une longue élaboration durant deuxou trois générations et des changementsdrastiques de nos contextes culturels,sociaux, économiques, politiques, envi-ronnementaux, à moins qu’advienne uneécologie de l’esprit qui peut surgir à toutmoment si les firmes Apple, Google etMicrosoft, conjuguaient de façon désinté-ressée (?) leurs efforts afin de trouver cenouveau gadget, miraculeux, et suscep-tible de tout changer à l’intérieur de nostêtes (rires).

Quel message adresses-tu aux jeunes générations qui ont, notamment, toujoursconnu un environnement informatique, si ce n'est numérique… ?Je leur adresse le message suivant : à vousde jouer maintenant, nous vous passonsbien volontiers le relais, à condition quevous regardiez toujours droit devant vous,comme nous l’avons fait, sans ménagervos efforts et votre créativité, pour trouverà l’aide de ces outils extraordinaires, quisont nés avec vous, non pas de faire n’im-porte quelle prouesse technique mais del’art, mais au-delà de l’art, lui-même, unart qui vise à changer le monde. C’est làvotre responsabilité, aujourd’hui, une res-ponsabilité que vous devez assumer vous-même, sous notre regard à la fois attentif,bienveillant et critique.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DIOUF

(1) De Casablanca à Locarno, l’amour revu parInternet (Grand prix de la ville de Locarno au Festival des arts électroniques, 1995)(2) cf. Art sociologique vidéo (Éditions 10/18,Paris, 1977), Manifeste de l’esthétique de la communication (Revue+ - 0, n° spécial 43,Bruxelles, octobre 1985), L’art à l’heure d’Internet(L’Harmattan, Paris, 2005), Art et Internet(Éditions Le cercle d’art, Paris, 2009)

+ D’INFO :

< www.cda95.fr/en/node/664 >

< www.flux-et-reflux.org >

< www.fredforest.org >

< www.webnetmuseum.org >

ART NUMÉRIQUE FRED FOREST

Fred Forest : l'homme media n.1,exposition/rétrospective au Centredes Arts d'Enghien, du 25 janvier au 31 mars 2013

Fred Forest devant Wall Street,préparation de son action TheTraders Ball, New York 2010.

© P

HO

TO

D.R

.

Page 12: Digitalarti Mag #12 (Français)

12 - digitalarti #12

ART NUMÉRIQUE STRATÉGIE

Le débat aujourd’hui n’est plus de démon-trer que l’œuvre numérique a sa placedans l’espace public. Ses diverses modali-tés d’intégration, des panneaux d’affichagedu projet A+ de Thierry Fournier à latransposition sous forme d’installationsdes marqueurs de géo-localisation GoogleMaps d’Aram Bartholl (MAP), ont large-ment intégré la capacité des formatsnumériques les plus divers à exister dansl’espace réel et urbain.Aujourd’hui, la question essentielle reposedavantage sur la capacité de ces œuvres às’installer durablement dans l’espacepublic. De nombreux artistes intègrent deplus en plus cette problématique temps

dans leur travail. UVA avec sa voûte lumi-neuse Canopy à Toronto, le collectifLab[au], dans le sillage de son travaild’éclairage de la Tour Dexia de Bruxelles ily a quelques années, le collectif Anti VJtrès récemment avec Omicron, sa premièreprojection de mapping permanent sur ledôme de 65m de diamètre de la Halle duCentenaire de Wroc_aw en Pologne; ouencore l’artiste japonaise Fujiko Nakaya,dont le Nuage de Mer, Installation de bru-me# 07015 nimbe les abords de la gare Lil-le Europe depuis l’ouverture de Lille 3000cet automne. Des projets qui se multiplient et bénéfi-cient le plus souvent, en France et enEurope, de modalités de financement etde montage de projets qui intègrent oupermettent de réfléchir à une certainelogique de pérennisation de l’œuvrenumérique dans l’espace public.

1% artistiqueUne formule célèbre veut que "quand lebâtiment va, tout va". L’idée d’allouer lasomme de 1% d’un budget chantier publicà la réalisation d’une œuvre d’art procèdedonc d’un certain bon sens et s’ouvre deplus en plus concrètement à l’intégrationd’œuvres numériques.Déjà habitué à la réalisation de pièces s’in-tégrant dans l’espace public, comme leurrécent panneau circulaire Signal To Noise à

l’aéroport de Toronto, le collectif d’archi-tectes numériques bruxellois Lab[au] s’estattelé à différents projets récents – etd’autres à venir également, avec l’usineAZF de Toulouse notamment – dans lecadre de ce dispositif 1%.Ils ont ainsi réalisé une étrange mosaïquebaptisée Moza1que pour La Maison Méca-tronique d’Annecy-le-Vieux, un véritablemur de 3m sur 6, divisé en 390 briquesindividuellement motorisées. Le déplace-ment informatisé de ces briques, et la pro-jection de lumières colorées permettent decréer à la fois des variations de séquencesgéométriques en trois dimensions et desjeux d’illuminations apparaissant et dispa-raissant en vertu des mouvements descomposants du mur.Autre projet ambitieux, le Siloscopedevrait en principe voir le jour à Vitry-sur-Seine. Il s’agit d’une construction en LEDsde 24 mètres de haut, une architecture de lumière jouant les phares ou les portesde ville. Inscrites dans une logique de renouvelle-ment urbain mené par les pouvoirspublics, celui de la Maison Mécatroniqueà Annecy pour le premier et du quartierautour du Quai Jules Guesde de Vitrypour le second, ces œuvres ont donc unelogique de durée directement induite dansleur conception "citoyenne". Il en va demême pour le projet Bosuil Lights Quartet :Music for city windows que mène actuelle-ment Antoine Schmitt dans le cadre d'unchantier de rénovation du quartier deBosuil en Belgique, au financement à peuprès similaire.C’est une commande que m’a passé le districtde Deurne, une banlieue d'Anvers, pour uneœuvre pérenne, explique Antoine Schmitt.C’est un projet qui m'a beaucoup inspirépour City Lights Orchestra [proposé endécembre au festival L’Ososphère de Stras-bourg]. Les deux projets se présententainsi comme une symphonie visuelleouverte pour les fenêtres de la ville etaccessibles à tous via le réseau web et sessupports connectés (ordinateurs, smart-phones), une partition visuelle se recréantindéfiniment, à partir d’un ADN initial,comme Antoine Schmitt se plaît à l’ima-ger. À Bosuil, le dispositif animera quatrefenêtres artificielles placées sur les quatreplus hauts bâtiments du district, qui pulse-ront différemment mais ensemble, comme unquartet musical. En Belgique, cette part — qui ne s'appellepas 1% artistique — ne semble pas autantfigée qu’en France. Je ne crois même pasque ce soit obligatoire de placer un pourcen-tage du budget dans une œuvre. C'est ici unchoix de la ville et de ses habitants à traversun comité représentatif, précise AntoineSchmitt.

L’ŒUVRE NUMÉRIQUE DANS L’ESPACE PUBLICNouveaux commanditaires, 1% artistique, commandes directes… les dispo-sitifs artistiques numériques se doublent de plus en plus de dispositifsde financement insistant sur leur logique de durée dans l’espace public.Une avancée qui ne doit pas éluder une vraie réflexion sur toutes lesproblématiques liées à ce principe de pérennisation augmentée.

© P

HO

TO

D.R

.

Thierry Fournier, A+, installation vidéo @ Lille 3000 / Lille.

Page 13: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 13

Par contre son incidence en terme depérennisation est là aussi notable. L'œuvreest pérenne et la ville s'engage à la maintenir15 ans renouvelable, poursuit AntoineSchmitt. A priori, un contrat de maintenan-ce sera mis en place avec le prestataire quil’installera. Cela induit bien sûr certainesconsidérations : matériaux les plus simpleset robustes possibles, accessibilité, etc. Mais, mis à part une légère augmentation dela complexité de maintenance, totalement

gérable par des contrats classiques, il n'y apas de différence qualitative entre une œuvreélectronique et une œuvre classique en ce quiconcerne la pérennité.

Les Nouveaux CommanditairesS’il n’y a pas forcément de différence qua-litative dans le temps, l’œuvre numériqueinduit un certain nombre de probléma-tiques particulières. Son coût bien sûr (et notamment celui de ses composantstechnologiques) mais aussi sa conceptionmême. Sa réalisation nécessite un monta-ge de dossier et même un dialogue entre lepasseur de commande et l’artiste qui peuts’avérer long et compliqué, notammentquand le client n’est pas une institutionpublique ou une collectivité, mais un par-ticulier.Destiné à favoriser la commande directed’œuvres — pas seulement numériqued’ailleurs — par une personne à un artiste,le dispositif des Nouveaux Commandi-taires introduit un principe de médiationpar un professionnel agréé qui facilitegrandement un échange constructif sur ladurée. Une procédure qui n’est pas là aus-si sans conséquence sur la pérennisationde l’œuvre produite elle-même.Réalisé dans le cadre de ce dispositif, lapièce A Distances de l’artiste Samuel Bian-chini occupe depuis le mois d’octobre ladevanture de la Maison du Geste et del’Image à Paris. Elle se caractérise par unmonolithe noir installé dans la vitrineprincipale et qui s’illumine dès que quel-qu’un passe devant. Tant que le public setient à distance, il affiche une image, celled’un portrait vu de dos, mais en s’appro-chant, le passant prend la place de lareprésentation qui devient progressive-ment lumière.Médiatrice du projet, Mari Linnman —

et sa structure dédiée 3-CA — est l’unedes huit médiateurs et/ou structuresmédiatrices agréés par la Fondation deFrance pour accompagner le dispositif(250 phases d’études réalisées depuis l’in-troduction du dispositif en 1995).

Le dispositif Nouveaux Commanditaires per-met au citoyen, sans critères de sélection, deprendre la main et d’initier une commanded’œuvre d’art trouvant son territoire d’ex-pression dans une logique d’intérêt général,en lien avec des questions de sociétés, dedéveloppement de territoire, explique-t-elle.Pour A Distances, l’équipe du personnel dela MGI est venue nous voir. Nous avons tra-vaillé ensemble sur un cahier des chargesqui a permis au bout d’un certain temps deréalisation, assez long, de poser les bases duprojet. Durant ces quelques mois, on parletrès peu d’art, on parle davantage du besoind’œuvre qu’on peut avoir. En clair, on identi-fie une problématique. Avec la MGI, la pro-blématique à identifier a été : comments’adresser aux autres ? Comment rendrevisible l’existence de la MGI ? >

À Distance, Installation interactive de Samuel Bianchini,pour la Maison du geste et de l'image, Paris, 2012-2015,dans le cadre de l'action Nouveaux commanditaires de laFondation de France (www.nouveauxcommanditaires.eu).

Avec le soutien de la Maison du geste et de l'image (MGI), Paris de l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis de l'Atelier Arts-Sciences (CEA Grenoble - Hexagone Scène nationale de Meylan) et de l'association Dispothèque Médiation.Production: Mari Linnman, 3-CA, médiateur agréé par la Fondation de France pour l’action Nouveaux commanditaires.

© P

HO

TO

SA

MU

EL

BIA

NC

HIN

I

© P

HO

TO

S C

HA

NG

-CH

IH C

HE

N

Aram Bartholl, Map,

installation publique,

Tapei 2010.

Page 14: Digitalarti Mag #12 (Français)

14 - digitalarti #12

Ce n’est seulement qu’ensuite qu’inter-vient le choix de l’artiste. Je connaissaisbien sûr le travail de Samuel Bianchini, safaçon de construire des œuvres qui mettentjustement en relation le geste et l’image.Pour moi, il s’agissait donc à l’évidence duchoix le plus pertinent. Je les ai fait se ren-contrer et j’ai rédigé un contrat d’étudespour artiste. C’est là principalement que ledispositif et le rôle de la Fondation de Fran-ce intervient : en fonction du cahier descharges, la Fondation de France s’engage surl’étude. C’est très important car, de fait, onne sait pas si le projet va être mené à son ter-me. C’est donc quelque chose de très lourd àporter pour un particulier.Pour Samuel Bianchini, travailler dans lecadre de ce dispositif était une premièremais l’expérience ne lui a pas déplu. C’est un dispositif spécifique car on n’élaborepas tout seul, reconnaît-il. Le point positifest qu’au-delà de la commande, il s’agitd’une commande guidée par un besoin. Il y aune véritable utilité du projet artistique, entermes politique, en termes de communica-tion, voire au sens du design (…). Il y a uneforme d’utilité de l’œuvre sans la convertirforcément en une œuvre utile. L’élaboration du projet a cependant été plu-tôt longue. Il y a eu une période importanted’immersion. Il m’a fallu apprendre à connaîtrele lieu, son activité, son public particulier.L’idée était que le processus de création soitplus important que le résultat. Du coup, ça aété assez long. D’autant plus que j’ai essayé depousser le projet dans une véritable rechercheautour de la création d’une technologie, mais

on n’y est pas arrivé pour des raisons écono-miques. Les projets Nouveaux commanditairessont de toute façon toujours très longs. En moyenne deux/trois ans, pour A Distances,ça a duré environ quatre ans.À l’arrivée, l’installation est donc contrac-tualisé pour trois ans renouvelables, maispour les personnes impliquées dans leprojet, la perspective de sa pérennisationpasse avant tout par une véritableréflexion budgétaire, notamment sur lesquestions de maintenance. Il est en effetdifficile de défendre des œuvres qui se péren-niserait sans qu’on prenne le temps de réflé-chir ou de renégocier la maintenance, sou-ligne Mari Linnman. Pour Samuel Bianchini, on devrait d’unemanière générale, prévoir un véritable budgetde maintenance car réfléchir à cette questionde la pérennisation, c’est aussi réfléchir par cesystème de garanties à la viabilité écono-mique et technologique du projet. C’est trèscompliqué car on est sur des budgets tendus etjusqu’à présent on préfère assurer en amont.(…) Même les artistes ne sont pas toujoursconscients de ce problème.

Commandes d’œuvre directe Face à cet enjeu important du budget etdes coûts de réalisation technologique oude maintenance — de médiation également— dans une logique de pérennisation, lacommande d’œuvres directement passée àdes artistes constituent une option nonnégligeable. Dans ce cadre, une structurecomme Digitalarti agit souvent comme por-teur du projet et coproducteur artistique,

comme sur les tous nouveaux dispositifs :Lumifolia de Scenocosme à l’aéroport Rois-sy-Charles de Gaulle et Flux de Stéfane Per-raud à la Gare de l’Est.Commande directe avec appel d’offres passépar Aéroports de Paris pour être installé àRoissy — Charles de Gaulle, Lumifolia faitsuite au projet Phonofolia, œuvre pérennefinancée sur du 1% artistique et se trouvantà la Maison de l'intercommunalité — écolede musique et de danse d’Albertville depuisoctobre 2012. Lumifolia est un jardin sono-re interactif, proposant un espace de déam-bulation, de rencontres et d'expériencessensorielles, incorporant un principe sup-plémentaire de luminosité.Comme dans de nombreux travaux deScenocosme, le son procède de l’interac-tion entre les personnes présentes et lefeuillage des végétaux. Le visiteur fait ain-si émettre un son à la plante en s’enapprochant, un son plus vif encore si lapersonne touche la feuille. L’intensité decette interaction est ensuite retranscrite ennotes de couleurs, les quatre arbres dudispositif étant liés à quatre lampes"soleils" dans un espace scénographié…La pièce a été livrée le 15 décembre, pourune période de deux ans, et est située auterminal 2C de l’aéroport de Roissy, entrela zone de contrôle frontières et la zone delivraison bagages. Elle introduit donc unpeu de "vie" dans une zone de transit plu-tôt blafarde. Nous utilisons les plantes comme des cap-teurs naturels et vivants, sensibles à des fluxénergétiques divers, précise Gregory Las-

>Stéfane Perraud,Flux, installation monumentale, Gare de l'Est, Paris. Collaboration Technique : Laurent Brun.

Scenocosme (Grégory Lasserre & Anaïs met denAncxt), Phonofolia,installation permanente. Maison de l'intercommunalité –école de musique et de danse, Albertville.

UVA (UnitedVisualArtists),Canopy, Toronto.

© P

HO

TO

S D

.R.

Page 15: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 15

ART NUMÉRIQUE STRATÉGIE

serre. Et en interprétant cette sensorialitépar des interactions diverses, nous rappelonsque notre environnement est fait non pas dechoses inertes, mais vivantes, réactives.Chaque partie de la plante (feuilles ou tiges)est réactive. Lorsqu'une personne physiquela touche, cette variation lumineuse devientplus forte, plus chaleureuse et intense. Et lorsque plusieurs personnes caressentensemble la plante, son intensité lumineuses'amplifie d'autant plus.Travailler au sein d’un terminal aéropor-tuaire apporte également une dimensionsupplémentaire. Faire un projet dans unaéroport en zone protégé est plus compliqué,souligne Grégory Lasserre. Il faut respecterdes règles administratives et sécuritaire trèsstrictes. Chaque élément doit être vérifié etvalidé par différents organismes de manièretrès protocolaire. Le soutien logistique deJulie Miguirditchian et de l’équipe de Digita-larti a été capital pour la faisabilité de ceprojet. Mais l’artiste n’est pas inquiet outremesure sur les conditions de dégradationsdiverses et d’entretien technique qui nemanqueront pas de se poser. Ces questions se posent aussi lorsque nosœuvres sont exposés dans des musées sur delongues durées, parfois plus de six mois. Nous sommes extrêmement méticuleux etrigoureux sur le matériel que nous fabriquons,testons, et utilisons. Nous prévoyons aussitoujours des systèmes d'assistance et de main-tenance technique à distance. Il est aujour-d'hui facile de prendre la main sur des ordina-teurs à l’autre bout de la planète via le réseau.Pour son projet Flux, qui va transcender larosace de la Gare de l’Est pendant quatremois, Stéfane Perraud a reçu une comman-de directe (sans appel d’offres). Flux y estprésenté du 17 décembre au 23 mars, avantune éventuelle reconduction pour une pluslongue période. L’installation joue avec leflux de voyageurs (100 000 personnes parjour), en créant un jeu d’illumination fluc-tuante sur la rosace de la gare orientée versle Boulevard de Strasbourg.

Une localisation particulièrement visible dejour comme de nuit conçue à partir demodules de LEDs fixées sur une barreaimantée au contact direct de la structuremétallique intérieure de la rosace. Son animation lumineuse s’effectue heurepar heure, en fonction de l’arrivée desvoyageurs. Elle n’est pas déclenchée pardes capteurs, ni par une interaction phy-sique, mais par une base de données sti-mulant des petits points lumineux, dessi-nant une fleur et ses pétales, etreprésentant un voyageur entrant. Ceux-ci varient en fonction des horaires(heures creuses, heures de pointe, etc.) :les couleurs chaudes et bleutés correspon-dent aux petites affluences : les couleursblanches aux heures d’affluence. Grâce ausystème utilisé en RVB, différents scéna-rios de luminosité et de colorationsvariables se dévoilent aussi (pour Noël, leJour de l’An, la Saint-Valentin, etc.). Malgré les contraintes techniques du pro-jet — comme celle concernant l’accrocha-ge, particulièrement rigoureux du fait quela rosace est classée aux monuments his-toriques —, son insertion visuelle sur unespace public aussi fréquenté correspondau souhait de Stéfane Perraud de repenserl’usager-spectateur dans son rapport àl’environnement urbain. Je m'intéressebeaucoup aux données liées à l'activitéhumaine, explique-t-il. Pour cette installa-tion lumineuse à la Gare de l’Est, j'ai étéattiré par la circulation intense liée aux fluxde voyageurs générés. En montrant auxvoyageurs cette cartographie des flux, j'es-saie à la fois de mettre en relation les passa-gers entre eux, de leur faire prendreconscience collectivement des déplacementset de poétiser cette cartographie par un sym-bole très simple, un point lumineux égale unhomme, une femme.Au-delà de la reconduction potentielle del’œuvre, Stéfane Perraud a déjà anticipédans son approche la question de la péren-nisation. J'utilise souvent des lumières pro-

grammées qui me permettent de gérer plus oumoins le temps de vie d'une sculpture, dévoi-le-t-il. Une Led n'est pas une ampoule commeles autres, car sa vie moyenne est de 10 ans.Elle est ici directement soudée à un ensemblede composants, ce qui ne facilite pas l'entre-tien, ni la rénovation. D’autant plus que cha-cun de mes projets est fait sur mesure et trèssouvent à la main. Je les conçois avec un pro-gramme spécifique qui "économise" le pluspossible, leur vie mais qui ne l'assure paspour l'éternité !De fait, et sans aller jusqu’à l’éternité, lalogique de pérennisation de l’œuvre numé-rique dans l’espace publique ne peut pas serésumer par la seule question de sa mainte-nance. Sa pertinence, en lien avec l’obsoles-cence rapide de ses composants technolo-giques, mais aussi avec sa propre évolutionartistique, se pose également. La principaledifficulté concernant la pérennisation est liéeà la maintenance, mais aussi à la dimensiond’œuvres qui puissent être variables, affirmeainsi Samuel Bianchini au sujet de sa pièceA Distances. Mes œuvres ont souvent pouratout de pouvoir être évolutives, et c’est uneidée que l’on a intégré avec les commandi-taires. Il est donc probable que je refasse desworkshops pour changer les images quiréagissent au public.

LAURENT CATALA

Fujiko Nakaya, Nuage de mer,

installation de brume #07015

@ Lille 3000 / Lille Europe,

Lille.

O (Omicron), installation permanente

de Romain Tardy & Thomas Vaquié

/ AntiVJ.

Lab[au], Signal to noise,

installation sonore,Toronto.

© P

HO

TO

S M

AX

IME

DU

FO

UR

, D.R

.

Page 16: Digitalarti Mag #12 (Français)

16 - digitalarti #12

PROFIL GRÉGORY CHATONSKY

Pour commencer, peux tu revenir sur lespièces présentées, en ce mois de décembre,dans le cadre d'Ososphère ("Notre Mémoire, Les Villes au loin, À l'image du texte")…Thierry Danet m'a proposé de participer àOsosphère. J'y avais présenté une installa-tion il y a une dizaine d’années, donc c'étaitune reprise de contact. Thierry connaît trèsbien mon travail, je crois qu'il saisit les dif-férents fils de ma production, sa cohérence.Je me suis rendu à Strasbourg pour décou-vrir cette usine qui a été abandonné dujour au lendemain. C'est un endroit éton-nant, étrangement habité comme beaucoupde lieux désaffectés. On a décidé avecThierry de présenter des pièces sur la dis-parition et la mémoire afin de former unrécit qui rencontrerait la tonalité du lieu.Notre mémoire est un disque dur horsd'usage qui produit des cliquetis qui sontrécupérés et dont je me sers pour faire desrequêtes visuelles dans Google. Ainsi l'inci-dent devient la source d'un autre fonction-nement par traduction formelle. Les villesau loin sont une ville générée à partir desentiments et L'image du texte est un textede Beckett dont chaque mot est traduit aus-si en images sur Internet, de sorte que lelivre devient une série visuelle contingente,mais ces écarts de langage sont autant dezones de significations possibles pour lespectateur. Le livre devient alors une spé-culation visuelle.

Ainsi que sur "Das Ding II", qui fait suite au Forum sur la Démocratie ayant eu lieu à Strasbourg et est présentée uniquementen ligne…Le Forum sur la démocratie à Strasbourgétait sans doute un peu formel, mais il yavait sans doute là quelques réflexions…Je n'étais pas là, Laura Romero a enregis-tré des fragments de discussion, des atmo-sphères sonores et a précisément localiséesur un plan chacun de ces sons. J'ai ensui-te modélisé l'espace en 3D et j'ai spatialiséchaque son dans son lieu d'origine. On peut dès lors se déplacer dans l'espace,traverser différents sons et reconstituer

Qu'il s'agisse de vidéos ou d'œuvres en réseau, de petits dispositifs ou d'installations sonores, les pièces proposées par Grégory Chatonsky s'attachent à rendre visible ce que l'onne voit pas, ou ce que l'on ne voit plus, d'en saisir les traces,d'en exhumer les rhizomes, sans faire l'économie d'une inscriptiondans le réel, dans une géographie urbaine et humaine… L'image, fixe ou animée, et le flux ("technologique, corporel ou physique") sont "le fil conducteur principal" de ce travail, "même si ce fil est tumultueux et tourbillonnaire…"

GRÉGORY CHATONSKY

IMAGE ET FLUX…

© P

HO

TO

D.R

.

Capture, Musée d'art

contemporain de Montréal - surproduction

numérique (2010).

Page 17: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 17

peu à peu ce qu'il y a entre tous ceux-ci.Ce travail s'inscrit dans une rechercheplus large que je mène depuis plusieursannées avec des projets comme Reve-nances (2000) ou encore Interstices (2006)sur la fiction interactive et spatialisée, fic-tion qui ne serait plus tenue par une tem-poralité narrative, mais par une reconsti-tution espacée. Il me semble qu’il y a unlien entre cette manière de se déplacer etune certaine promesse démocratique, lapromesse d’une place publique avec sesconflits et ses amitiés, ses rencontres etses séparations.

Peux tu aussi revenir sur "Somewhere",proposé dans le cadre de l'exposition "virtuelle" "La Vanité du monde", organiséepar SPAMM (Super Art Modern Movement)/ Arte Creative…?Somewhere (2009) fait parti des projetsquotidiens; c’est-à-dire ceux dont j’ai ledésir le matin et qui sont terminés le jourmême. J’aime cette légèreté et cette indé-pendance, pouvoir tout faire de A à Z dansson home studio et puis diffuser sur Inter-net sans attendre la décision d’un institu-tionnel. C’est un site qui détourne GoogleMaps en tirant au hasard un lieu quel-conque. On se retrouve n’importe où surterre. Puis, pendant quelques minutes, onse déplace sur ce lieu qu’on ne connaît pasla plupart du temps. Cet hasard n’est pasinsignifiant parce que Google est en trainde quadriller la terre de manière systéma-tique que ce soit avec Maps ou StreetViewsur lequel j’avais réalisé un autre projetautour du cinéma (Vertigo@home, 2006).Google est une entreprise ontologique departage entre la terre et le monde.

En février aura lieu l'exposition "Télofos-siles" au Musée d'Art Contemporain deTapei : quelles circonstances ont présidé àl'organisation de cet événement ? Et enquoi consistent ces installations…?J’avais été invité par Shuling Sheng l’annéedernière à Taipei pour une exposition sur lalumière et j’étais tombé sous le charme desTaïwanais et de ce pays. Je suis régulière-ment invité en Asie par Paul Devautour àShanghai dans son incroyable école Xi YiTang ou à l’institut franco-japonais parSamson Sylvain, mais Taipei croise toutesces régions et ces influences. De surcroît,c’est un lieu très ouvert sur l’art technolo-gique, avec le Digital Art Center et le muséed’art contemporain qui a pu organiser en unan une exposition personnelle qui investiela moitié de ce grand bâtiment. Pour ceux qui connaissent le fonctionne-ment d’un musée national, cela relève del’exploit, et puis il reste rare qu’un artisterepéré comme “numérique” puisse s’ins-crire dans un tel espace en solo. Je doisavouer que c’est la ténacité de ShulingCheng et de Sylvie Parent, les deux com-missaires de cette exposition, qui l’a ren-due possible, ainsi que le désir du direc-teur du musée et de toute son équipe.Télofossiles est une exposition qui regroupedifférents projets sur la destruction du mon-de que j’ai réalisé depuis 2001. Il y a doncune quinzaine d’installations numériques etanalogiques. Ce qui m’intéresse dans ce thè-me est moins le côté apocalyptique que lecaractère esthétique et sensible de la destruc-tion, la manière dont un objet oscille entre leréalisme et l’abstraction, entre le fonctionne-ment et l’incident, entre la totalité et des frag-ments, entre la relation et la solitude.

L’exposition se clôt par un environnementmonumental réalisé en collaboration avecDominique Sirois et dont l’univers sonoreest composé par Christophe Charles. Il s’agit de se placer après la destruction,quand tout ceci, cette civilisation, cesmachines, nous auront tous disparus. En finir avec le romantisme qui ne cesse demettre en scène le drame humain pour pré-férer voir les choses en face. Il ne resteraplus alors que la surface d’une terre déser-tique et muette, une terre en notre absence.Si une conscience découvre cette terre, sielle creuse le sol, elle découvrira de nom-breux objets enfouis dont elle ne connaîtrapas l’usage. Elle pourra les observer, lesmanier comme des choses précieusesdénuées de fonction instrumentale. Serait-ce cela une œuvre d’art ? Le tempsqui passe sur nos traces ? La disparition desvies humaines ? C’est une spéculation quinous place en notre propre absence. Je m’interroge beaucoup sur cette esthé-tique autonome, sans sujet, sur des échellesde temps démesurées dans lesquelles nousnous plongeons en devant anticiper notremort. On verra cette immense terre déser-tique, des fossiles technologiques, desaffects enregistrés sur Internet. L’espace ceclôt par une question : le visiteur met uncasque EEG. S’il se concentre une lourdeporte de métal se déplace vers l’avant etfrappe le mur du white cube. Il doit ensuitese détendre pour que la porte recule etpuisse refrapper le mur marqué par laconcentration des visiteurs précédents. Le casque oblige le public à adopter unemanière de penser en alternant l’attentionet l’inattention. La porte obstinémentfrappe le mur de l’exposition. >

Télofossiles, exposition

personnelle au Muséed'Art Contemporain

de Taipei, du 2 févrierau 14 avril 2013.

www.mocataipei.org.tw/blog

© P

HO

TO

D.R

.

Page 18: Digitalarti Mag #12 (Français)

18 - digitalarti #12

D'une manière générale, lorsque l'on regarde ton travail, on a l'impression quetu privilégies souvent des dispositifssimples, dans leur fonctionnement — de petits logiciels de calcul ("Au moment dema mort") et/ou de génération aléatoire("Cette absence"), un vidéo-projecteur… Cela dépend de chaque projet. Certainssont complexes comme les fictions inter-actives et génératives ou le groupe de rockCapture, d’autres sont plus simples. Mais simple en quel sens ? Techniquement ?J’avoue que je suis peu sensible à cettequestion parce que je refuse de me placerdu côté de l’innovation et du fonctionne-ment technologique. Ce qui m’importe estplutôt le caractère ambigu et paradoxaldes propositions, c’est cette complexitéspéculative qui m’intéresse. On peut faire des installations énormesavec beaucoup de capteurs, des trucs quiclignotent partout et qui amusent lepublic, mais au bout d’une minute on acompris, on a fait le tour, on a épuisé lespossibles parce qu’il n’y en avait aucun, etpuis en utilisant cette esbroufe technolo-gique on participe d’une société de domi-nation. Une grande partie de l’art numé-rique relève de cette logique del’animation socio-culturelle. Au moment dema mort est effectivement très simple,presque idiot. C’est une horloge quicompte le temps à partir de ma naissance.Ce temps est mon temps. Nous avons lemême temps, un temps physiologiquepour moi, un temps langagier pour elle. Mais au moment de ma mort, il ne resteraplus que ce temps numérique qui conti-nuera à avancer et qui ne sera plus lacontemporanéité de ma vie, mais lemonument de ma naissance.

On fête parfois la naissance des célébrités,les 158 ans d’Arthur Rimbaud, comme siceux-ci étaient éternels. Ma mort sera ence sens un événement pour un logiciel, dela même manière que la disparitiond’Opalka a changé ses peintures. Dans Cette absence, un logiciel captureune image de votre webcam à un momentaléatoire et vous renvoi celle-ci par email àun moment tout aussi aléatoire. Ainsi vous vous recevez en étant étrangerà vous-mêmes. Peut être n’étiez-vousmême pas devant votre ordinateur. Vous verriez alors votre appartementétrangement habité par la machine à lamanière de la maison dans Lost Highway.

Le son est également prépondérant dansles installations interactives que tu pro-poses… en termes d'ambiance, de résonance,etc. Sur quels paramètres délimites-tu ladimension sonore d'une pièce…? J’ai du mal à séparer le son des autres élé-ments. Souvent cela vient ensemble, com-me un tout. Il arrive, comme dans Notremémoire que le son soit un élément opéra-tionnel du dispositif, puisque le son esttraduit, ou encore que la question de l’in-dustrie musicale soit posée comme dansCapture (2009) qui est un groupe de rockgénératif si productif que personne nepeut (ne veut ?) tout écouter, ni le publicni les prétendus auteurs dont je fais parti.J’ai beaucoup de respect pour la questionsonore, c’est pourquoi je travaille réguliè-rement avec des musiciens, comme pourla fiction en réseau Sur Terre (2005) dontla bande son associait Fennesz, Scanner,Atau Tanaka, Pita et bien d’autres[1]. Ou encore, ma collaboration fréquente avecOlivier Alary. Il y a bien sûr quelque chose

d’étrange qui se passe entre les images, leson et le texte, une difficulté de langage...

Depuis les toutes premières photographiesretravaillées sur Amiga à la fin des années80, on constate que l'image (photo, vidéo)est souvent au centre de tes créations… L’image est effectivement le fondement demon travail. Très concrètement, je suisdevenu artiste parce qu’enfant je ne ces-sais de dessiner, c’était une passion insa-tiable. J’ai eu la chance d’avoir des parentsqui ont pris au sérieux cette passion et quim’ont envoyé à des cours de dessin trèsjeune et visiter le Louvre de façon hebdo-madaire. Ma passion ne commence doncpas du tout par les technologies. Ceci n’est venu que dans un secondtemps, comme un moyen pour l’imagelorsque le hasard a fait que j’ai pu en 1986travailler à Canal+ sur l’une des premièresPaint Box en France. L’image restequelque chose d’absolument fascinant etmystérieux, la puissance de l’image, cettechose qui ne devrait pas avoir lieu et quiproduit un lieu.

Images reprisent sur Google, générées sur des pages web… Il est parfois difficiled'expliquer ce qu'est le net-art : quel en est ta définition ? La question de la définition d’une formeartistique est problématique en général,alors même que le propre de la productionartistique est de mettre en danger les défi-nitions. On peut définir le netart selonune perspective greenbergienne commeréférence au médium : le netart serait cequi ne peut exister que sur Internet et parInternet, se nourrissant du réseau et deve-nant le réseau.

Transcription, installation interactive en réseau (2013).

>

© P

HO

TO

D.R

.

Page 19: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 19

Au-delà de cette figure autophage moder-niste, je pense qu’Internet a été pour magénération un monde, pour ceux quiavaient une pratique numérique ou non.Internet a modifié notre accès au mondeet c’est pourquoi il a affecté l’art contem-porain en son ensemble et non pas unechapelle particulière. Le réseau a transfor-mé la manière de faire de nombreuxpeintres. Il a transformé la manière de tra-vailler, d’accéder aux autres artistes, demonter les expositions, d’écrire desarticles, etc. Ce qui est paradoxal c’est que la victoired’Internet, la société étant de plus en plusconnectée, signe la mort du net-art quiperd sa spécificité. C’est sans doute pourcette raison qu’actuellement le net-art estde plus en plus nostalgique de lui-mêmeet répète des formes obsolètes comme lesgifs animés, les formulaires html, etc. Cette nostalgie vintage saisit l’ensemble dela société avec des cycles de plus en pluscourt, le revival 2000 est déjà en marche,de sorte que nous allons être prochaine-ment nostalgique de nous-mêmes et denotre propre présent.

Tu pratiques aussi ce que l'on pourrais ap-peler l'auto-fiction virtuelle ("My spaces,My life is an interactive fiction, Au momentde ma mort")… Il y a un moment, il y a des endroits ou lavie devient impersonnelle, ou il ne s’agit pasde sa vie factuelle constituée d’une suited’événements heureux ou malheureux, maisd’une vie absolument contingente. C’est cette vie là qui m’intéresse et que j’es-saye de toucher dans mon travail. Je ne saispas si le terme d’autofiction est adapté, ceserait plutôt l’inverse, quelque chose commeun hétéro-réalisme : dire cet homme commeje pourrais dire n’importe quel homme (oufemme). Il est donc souvent question dedépossession et d’anonymat. Dans My spaces ce sont des souvenirsd’enfance qui n’ont fait l’objet d’aucunetrace photographique que j’illustre avecdes vues aériennes de Google Maps. Dans Ma vie est une fiction interactive II,j’ai envoyé pendant 30 jours dans un lieud’exposition (Oboro, Montréal) les alter-natives auxquelles j’étais confronté (tour-ner à droite ou à gauche dans une rue) etje laissais au public le choix de décider.Ainsi, pendant un mois ma vie ressemblaità un jeu vidéo où je butais contre un mur,parce qu’il fallait non seulement que quel-qu’un soit là mais aussi qu’il décide dechoisir. Une vie impossible donc, cette viesans doute.

Tu as réalisé plusieurs œuvres en collabora-tion (Reynald Drouhin, Jean-Paul Civeyrac,Jean-Pierre Balpe…). Quels "avantages" etlimites — s'il y a lieu — retiens-tu de cettemodalité de fonctionnement… ?Je suis en même temps très solitaire, ausens ou je peux réaliser des travaux tout

En parallèle à tes activités artistiques, tu es enseignant. Que t'apporte cetteconfrontation avec des étudiants qui onttoujours baigné dans un univers numé-rique/informatique…? L’enseignement ne se distingue pas demon activité artistique. Il ne s’agit pasd’une confrontation avec les étudiants,mais plutôt d’un échange à égalité parceque je ne sais rien de plus qu’eux. J’essaye de me mettre à leur écoute, de lesaider techniquement, conceptuellementdans leurs projets, d’augmenter leur pou-voir d’agir. Le simple fait de se rendre dis-ponible au travail d’un autre est une joie.Ces échanges sont émouvants pour moi,parce qu’ils m’obligent à reposer certainsde mes réflexes d’artiste à leur racine.C’est touchant de voir des travaux se faire,hésitants, fragiles, parfois au bord de l'ef-fondrement et du miracle. Je pense que jene pourrais pas autant produire si je n’en-seignais pas.

Pour conclure, d'une manière générale etavec le recul, comment juges-tu l'évolu-tion technologique (informatique, techno-logies de communication, internet, etc.) et son impact sur la création artistique ?Il y a un impact conscient, lorsque l’artquestionne la technique en tant que tech-nique, mais il y a aussi un impact incons-cient puisque tout le monde, même lespires ennemis du numérique, n’arrêtentpas de naviguer sur Internet, d’écrire destextes sur Word (ou Open Office), peutêtre jouissent-ils ici aussi. Sans doute lestechnologies configurent-elles un nou-veau rapport entre la terre et le monde,mais cela n’a-t-il pas toujours été le cas ?Mais quant l’impact est trop conscient, ilpeut devenir naïf et littéral, lorsque lesartistes adoptent les dernières innovationsparce que c’est disponible, lorsqu’ils sui-vent les modes technologiques. Il fautmieux se décaler, du dedans, mais se déca-ler, là encore les flux.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DIOUF

[1] La bande-son de cette installation a été éditéeen France par le label Ytterbium sous le titreSoundtrack For Variable Fiction [NDLR]

seul, et très solidaires parce que j’adoretravailler avec d’autres. C’est tout simple-ment une histoire d’amitié. Très tôt, aulycée lorsque j’étais en arts plastiques jefaisais des travaux avec mes amis. C’était une manière très belle de vivrel’amitié, de dire qu’on partageait quelquechose d’important, qu’on était capabled’oublier nos egos et nos intérêts person-nels, de faire quelque chose de concret.C’était aussi sans doute parce que jevenais d’un milieu underground danslequel on faisait des groupes de musique,des fanzines, des concerts, etc. J’aime letravail d’équipe lorsque plusieurs per-sonnes, pour des raisons différentes, ten-dent vers un objectif commun. Sans douteest-ce en lien avec ce que je disais surl’existence : quelque chose d’impersonnelau cœur même du plus intime.

Tu partages ton temps entre la France etle Canada (Québec) : y a t-il une différencenotable quant au soutien institutionnel accordé à l'art numérique, à sa place dansle circuit de l'art contemporain ?De façon générale, la situation des artsnumériques (à supposer qu’une telle ter-minologie soit justifiée) est plus fluide auQuébec. Il existe beaucoup d’infrastruc-tures d’aide tant en production qu’en dif-fusion comme la SAT, Elektra, Oboro ettant d’autres. Ce sont souvent les artisteseux-mêmes qui ont créé ces structures etqui ont pris en main leur destin. Les insti-tutions classiques sont ouvertes, ellesappréhendent l’art numérique comme del’art. Point. Par ailleurs, au niveau natio-nal et provincial, les règles d’évaluationdes subventions sont beaucoup plus expli-cites et les artistes font partie des comitésdécisionnels. C’est un biotope trèsagréable dont la France devrait s’inspirerpour assouplir l’atmosphère parfois unpeu lourde qui y règne. C’est surtout l’im-plication collective des artistes qui est dif-férente. On ne peut pas demander à unpouvoir administratif d’être autre choseque ce qu’il est surtout quand on le laissetout seul.

PROFIL GRÉGORY CHATONSKY

+ D’INFO :< http://chatonsky.net >

Das Ding II, site internet

(2012).

Laocoon, moulage (2011).

© P

HO

TO

S D

.R.

Page 20: Digitalarti Mag #12 (Français)

20 - digitalarti #12

INNOVATION ARTS & SCIENCES

L’Atelier Arts et Sciences est une structure plutôt originale. Depuis quandexiste-t-il et quelle est sa mission, sa vision stratégique ?La création de l’Ateliers Arts Sciencesremonte à 2007. Elle procède d’un accordentre le CEA et le Théâtre de l’Hexagone.Il y a aussi d’autres partenaires comme leCCSTI (Centre de Culture ScientifiqueIndustrielle et Technique) de Grenoble.L’idée est de permettre à des artistesd’avoir le temps et l’argent nécessaire pourpouvoir développer un objet commun, encollaboration avec des scientifiques, destechnologues. Cela comprend toute unephase d’appropriation, d’échanges, d’éva-luation des attentes de chacun, de façon à

construire un véritable projet viable. Le temps pour chacun des projets estdonc très variable. Cela peut prendre laforme de séminaires ou de résidence detrois ou quatre jours, ce qui permet ensui-te à chacune des parties de pousser plusloin la recherche, de l’affiner. On n’est pasdans une logique de résidence à long ter-me. Certains projets nécessitent cepen-dant une adaptabilité supplémentaire,notamment ceux qui vont fabriquer de latechnologie car les difficultés sont plusgrandes. Cela a été le cas pour l’une de nos pre-mières collaborations, celle avec AnnabelleBonnéry qui travaillait sur des capteurs demouvement sur différentes parties ducorps. On s’était aperçu que le temps quele traitement du signal s’effectue, laretranscription du mouvement se faisaitavec une demi-seconde de retard. Ce déca-lage constituait un vrai problème pour laréalisation et la dimension forcément sen-sible et poétique du projet. Alors les ingé-nieurs du CEA sont retournés dans leurlabo pour refaire un nouveau protocoled’échanges. Ils sont parvenus à réduire ledécalage à 5 millisecondes ce qui n’étaitplus détectable pour l’œil humain. En ce moment, Ezra [NDLR : talentueuxbeatboxer] travaille lui aussi sur le projet

Bionic Orchestra 2.0, nécessitant deséchanges, des allers retours sans arrêt, enl’occurrence un gant lui permettant decontrôler directement sur scène la modu-lation de la lumière et des sons. Il est venurécemment passer une semaine sur le pla-teau pour faire plein d’essais de traitementélectronique. Sont également en cours lestravaux autour de la lumière menés par lecompositeur Michele Tadini, avec Gille LeBlevennec et Angelo Guiga du CEA. L’objectif est de composer de la lumièrecomme on composerait de la musique.

Ça c’est pour la partie développement des outils en quelque sorte, mais vous soutenez en ce moment d’autres types decollaborations ?Oui, nous avons un deuxième axe de tra-vail qui se consacre plus à la façon dontles nouvelles technologies modifient lemonde, une approche plus anthropolo-gique en quelque sorte. Nous développonsun programme Nouvelles Connaissances,Nouvelles Écritures. C’est encore pourl’instant à une échelle un peu empirique,mais ça va se développer avec les projetsque nous menons actuellement, commecelui avec le dramaturge québécois DanielDanis. Dans la même logique, il y a lacompagnie les Ateliers du spectacle(Daniel Chouquet, Balthazar Daninos,Clémence Gandillot, Léo Larroche) et leurprojet Le t de n-1, présenté à Arcueil, àAnis Gras, le 18 janvier. On les accom-pagne dans leur protocole d’écriture, quivise à montrer comment ça marche dansle cerveau d’un mathématicien. C’est unedémarche scientifique et en même tempspoétique, des sortes d’haïku visuel, desobjets poétiques qui durent cinq à dixminutes.

La dimension budgétaire doit avoir une incidence non négligeable sur la réalisationdes projets ? Comment subventionnez-vousles artistes dont vous portez les projets ?On fait bien sûr en sorte qu’ils soientpayés, mais les financements sontvariables en fonction des projets. L’aspect technologique est bien sûr trèsimportant et sous-entend une partie denégociations non négligeable. Le CEAassure ainsi une partie des financements,mais on part aussi en chercher d’autrescomme dans le cadre du FEDER (FondsEuropéen de Développement Régional).La reconnaissance croissante de l’atelierfait que l’on rentre dans le cadre de finan-cement pour des institutions derecherche, comme ceux de l’ANR (Agen-ce Nationale de la Recherche). Il estimportant de souligner que cette phasede recherche est un moment primordialdans l’élaboration des projets.

Michele Tadini et Angelo Guiga, La Terza Luce(prix A.R.T.S. 2011).

LE DIAPASON DES ARTS ET DES SCIENCESEn mettant en relation autour de projets concrets artistes et chercheurs,l’Atelier Arts Sciences de Grenoble s’inscrit dans un rapport de défrichage à long terme, où de nouvelles expériences porteuses, comme celles actuellement développées autour des nouvelles écritures, élaborent de nouvelles perspectives technologiques, artistiques, mais aussi citoyennes.Rencontre avec Antoine Conjard, directeur de l'Hexagone - Scène Nationalede Meylan, et initiateur de l'Atelier Arts Sciences.

© P

HO

TO

LA

UR

EN

CE

FR

AG

NO

L

Page 21: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 21

C’est donc une phase à financer indépen-damment de la phase de création pure, del’approche artistique. Pour celle-ci, nousessayons de trouver plutôt des finance-ments et des subventions culturelles.

Ce travail de collaboration entre artisteset chercheurs se passe-il toujours bien ?Est-ce qu’une phase d’immersion réciproque dans l’univers de l’autre estvraiment indispensable ?Ce principe d’immersion est quasimentsystématique. Souvent, les artistes ont despré-requis, s’imaginent des choses sur lemonde scientifique et les scientifiques ontaussi leurs préjugés. Il y a toujours néces-sité de passer par cette phase de mise enrelation. Et puis si certaines fois ce sontdes préjugés négatifs, cela peut être aussiune forme d’admiration paralysante : desartistes qui ne s’estiment pas au niveau ;des scientifiques qui se jugent limités, seconsidèrent seulement comme de petitstechniciens. La notion de creuset partagé que portel’Atelier Arts Sciences est donc très impor-tante et sa réussite est aussi le fait d’unimportant travail de médiation. Il y a desmoments d’exaltation mais aussi de doute.Là, par exemple, on travaille avec YannNguema sur un gros projet de dispositif,un afficheur 3D pour réfléchir à la maniè-re de faire de la sculpture à partir deLEDs. Comment être sûr que les parti-pristechniques ou technologiques sont lesbons ? C’est aussi ça la recherche.

La finalité pour les artistes comme pourles chercheurs étant aussi de trouver desdébouchés économiques pour leur travail,comment se passe l’accompagnement desprojets après leur réalisation ? Aidez-vousles artistes à déposer des brevets de leurcréation technologique par exemple ?La question du brevet est épineuse. Un brevet coûte cher et n‘est souventaccessible qu’à des structures disposant debeaucoup de moyens et d’une véritableassise juridique. On travaille donc plutôtsur une logique d’open source. Par contre,il y a maintenant un véritable enjeu nou-

veau, au vu de la politique actuelle et del’évolution dans le temps de notre activité,plutôt artisanale au départ, mais qui aquand même mené à la création de nom-breux dispositifs à travers les douze pro-jets menés par l’Atelier Arts Sciences :comment transposer ces dispositifs dansle domaine industriel ?J’ai l’impression qu’en France, on n’a pasencore compris, notamment du côté desindustriels, le poids incontournable qu’apris la culture. Dans son article publiédans Le Monde [du 04/12/12], Laure Kal-tenbach, membre fondateur du Forumd’Avignon met en comparaison les240.000 emplois du secteur automobileen France avec les 545.000 emplois dusecteur artistique. C’est plus du double !Tout cela participe de l’ambigüité et desdifficultés actuelles.

Au vu des projets passés par l’AtelierArts Sciences, croyez-vous à une hybridation possible des pratiques ? À l’avènement annoncé par certains, surtout à l’ère numérique, d’un véritableartiste-chercheur ?Ce qui nous intéresse avant tout, c’est unprojet, un dispositif, qui part de l’actionculturelle et qui vient au contact du mon-de de la recherche. On a toujours défendule principe d’un artiste d’un côté et d’unartiste de l’autre. Pour moi, il n’y a pas dedomaine art/science. Il faut que chacun

reste à sa place et chercher à favoriser desespaces de croisement. L’artiste n’a pasvocation à devenir chercheur et récipro-quement. Cependant, on peut toujourstrouver des contre-exemples. Adrien M estde ceux-là. Il a une thèse en informatiqueet en même temps c’est un artiste. Il vientbrouiller les pistes et rappeler qu’on nepeut pas faire de généralités.

Ce transfert vers le monde économique est-il la raison d’être première d’un saloncomme "Experimenta" que vous tenez unefois par an ?Experimenta est un espace de rencontreentre artistes, scientifiques et industriels.À notre échelle, on ne maîtrise pas forcé-ment ce qui se passe ensuite dans les discussions entre artistes et industriels,mais de belles histoires se font parfois. On est surtout content de voir que de plus en plus d’entreprises se déplacent,des entreprises de logiciels, de nouvellestechnologies.

Il y a aussi l’idée de partager le travail de l’Atelier avec le public ? Est-ce le rôledes "rencontres-i" ?Les rencontres-i sont la biennale de l’Ate-lier Arts Sciences. La prochaine éditionaura lieu en octobre 2013. Le contact avecle public est quelque chose qui nous inté-resse fortement. Nous partons au départde considérations artistiques et scienti-fiques, mais notre souhait est de les voirinterroger des questions de territoires, desquestions sociales. Ce sont les grandesquestions d’aujourd’hui. Nous réfléchis-sons en ce moment à la thématique 2013qui devrait être : comment aller à la ren-contre du futur ? C’est une vraie démarchecitoyenne.À notre façon, à notre échelle, nousconstruisons le progrès. On pourrait choi-sir de rester dans notre coin, avec nostechnologies pointues. Mais il noussemble plutôt important de se poser unevraie question, même si celle-ci est parfoismal perçue : comment peut-on partager leprogrès ? C’est là encore un véritableenjeu.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT CATALA

Anabelle Bonnéry (Cie Lanabel), Virus // Antivirus.

+ D’INFO :< www.atelier-arts-sciences.eu >

© P

HO

TO

D.R

.

Castagna & Ravelli,Le Chromatophore —Degrés de lumière.

© P

HO

TO

LA

UR

EN

CE

FR

AG

NO

L

Page 22: Digitalarti Mag #12 (Français)

22 - digitalarti #12

INSTALLATION ROBERT HENKE

On lui connaissait quelques disposi-tifs, plus modestes par leur taille(Transition machine, Traffic, Cyclone)qui faisaient appel essentiellement àde la vidéo et des interactionssonores. Là, le primat va à la lumièrede faisceaux laser qui scintillent, cré-pitent et s'éparpillent comme deslucioles selon des algorithmes alambi-qués… Le tout dans une ambiancesonore très dark-ambient, révélant laface obscure de Robert Henke qui

poursuit par ailleurs ses explorationsminimal-dub et chaotiques sous lenom de Monolake… Entretien.

Comment as-tu conçu "Fragile Territo-ries" ? Sur quelles bases techniques etconceptuelles ?J’ai longtemps été fasciné par la qua-lité spécifique de la lumière laser. Il y a environ deux ans, j'ai décidéqu'il était temps pour moi d'explorer

pleinement ce support. Le reste s'estpassé par étapes, à partir d'une idéeinitiale relativement modeste et denombreuses recherches, je suis par-venu à l'installation actuelle oùquatre projecteurs laser dessinentdes formes sur un mur, le toutaccompagné de son. La fascination pour ce support vientdu fait qu'il s'agit d'une très bellelumière intense et, en même temps,vraiment difficile à maîtriser.

ROBERT HENKE

LIGNES DE FUITE

Curieuse impression au moment de se glisser entre les tentures noires qui obstruent le grand hall du Lieu Unique à Nantes : mélange de curiosité, d'excitation, d'inquiétudeaussi… C'est la première fois que nous allons être confronté à "Fragile Territories", une installation tentaculaire réalisée par Robert Henke.

Page 23: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 23

La seule façon de créer des formes estde déplacer des miroirs de manièretrès rapide et très précise. Cela demande énormément d'un pointde vue technique, mais la restrictionconduit aussi à des décisions artis-tiques intéressantes. On doit travailleravec le support et intégrer ses limites àson travail, ce qui est formidable.

La "bande son" qui accompagne "FragileTerritories" s'apparente à une boucle

drone/dark ambient qui, comme les traceslaissées par les lasers, n'a ni début nifin… Quelques mots sur ce choix…Certains aspects de l'image et duson sont très bien synchronisés,d'autres n'ont que des liens disten-dus ou sont complètement indépen-dants. Le lien le plus évident est uneombre noire qui semble se déplacerà travers l'espace tous les 4,2secondes et qui est accompagnée duson d'une grande lame qui tranche

l'air. Les sons et la partie visuellesont créés en utilisant des tech-niques stochastiques, de l'aléatoirecontrôlé qui permet une variationconstante à l'intérieur de certainsparamètres prédéfinis. Ainsi, on està l'opposé de la boucle, plutôt dansquelque chose qui change constam-ment. On reste dans un domainesimilaire, mais sans jamais vraimentse répéter, ce qui est très importantà mes yeux.

Robert Henke @ Fabric,

The Ghosts in surround Tour,

Londres, Mars 2012.

>

© P

HO

TO

JIM

MY

MO

UL

D

Page 24: Digitalarti Mag #12 (Français)

24 - digitalarti #12

"Fragile Territories" est une pièce immersive, mais tes précédentes installa-tions sonores reposaient plus sur desdispositifs interactifs et des vidéos…Quelques mots également sur ce nouveauchamp d'expérimentation…Pour moi, c'est de l'histoire ancienne,j'ai toujours voulu travailler ainsi, ilm'a juste fallu un peu de temps pourme décider à commencer. À bien deségards, le travail sur l'installation laserest très similaire à la façon dont je tra-vaille en musique. Je définis les struc-tures qui produisent des sons. Dans ce cas précis, ces structurescréent des formes visuelles. D'unpoint de vue conceptuel, il y a trèspeu de différences.

As-tu déjà d'autres projets de ce type ou faisant appel à d'autres protocolestechniques ?Je n'en ai pas fini avec ce support. Au cours de mes recherches et de la

préparation de Fragile Territories, j'aisoulevé un grand nombre de sujetstrès intéressants qu'il me faudraitexplorer davantage. J'ai délibérémentdécidé de n'en utiliser qu'une petitepartie dans ce projet là, parce que jevoulais me concentrer sur un nombrerestreint d'idées. Le risque, lorsqu'onfait quelque chose pour la premièrefois, c'est de s’enthousiasmer àoutrance quant aux possibilités tech-niques et de se retrouver avec unevitrine de démonstration au lieud'une œuvre bien définie.

Lors de la soirée de vernissage, tu asfais un live-set qui a commencé très soft,dans l'esprit "microscopic-music", puis latonalité générale a évolué vers deschoses plus minimal/dubby-groovy avantde finir avec des morceaux carrémentbreakbeats comme on peut en trouver, parexemple, sur ton dernier album "Ghosts"(cf. "Lilith", etc.)… Est-ce que l'on peutdire que cela résume les différentes approches musicales de Monolake...?Je pense que oui. J'essaie d'arriver àun grand nombre de productions dis-tinctes en utilisant un ensemble trèslimité de concepts sous-jacents. J'aime pouvoir naviguer, partir dedrones et de paysages sonores pouraller vers une musique très rythméeet revenir à mon monde intérieur. Je crois que, plus je produis d'oeuvres,indépendamment du support, plus lesprincipes sous-jacents s'éclairent etquelques contradictions potentiellesse résolvent également pour le public.

> Fragile Territories. Installation co-réalisée avec La Cité, le Centredes Congrès de Nantes et le festivalinternational de science-fictionUtopiales, jusqu'au 6 janvier 2013au Lieu Unique à Nantes. > www.lelieuunique.com

À ÉCOUTER :Monolake, Ghosts(Imbalance ComputerMusic, 2012)

© P

HO

TO

RO

BER

T H

EN

KE

Page 25: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 25

En parrallèle, les compositions que tu signes sous ton nom, Robert Henke,semblent plus ambient/expérimentaleset souvent dédiées, justement, à des installations… Quel distinguo musicalfais tu entre ces deux signatures (Monolake et Robert Henke) ?Monolake est destiné à un publicdebout et susceptible de bouger sur lamusique. C'est en général plus axé sur lerythme. Robert Henke représente moncôté plus introverti, plus expérimental etdans ce cas, pour les concerts, je préfèreun public assis qui puisse vraiment s'im-merger dans la musique.

On connaît ton implication dans l'élabo-ration du logiciel Ableton Live. Peux-tunous dire, en quelques mots, quelles nouvelles applications, effets ou inter-faces souhaiterais tu développer... ?

J'en suis presque totalement sorti.Même si j'aime développer des logi-ciels, j'ai décidé de consacrer montemps à utiliser cet outil, ou d'autres,pour la création. Mon statut actuel estplutôt celui d'un consultant. Par ailleurs, comme c'est l'usage, lapolitique de l'entreprise ne permet pasde parler de l'avenir. Tout ce que jepeux en dire, à ce stade, c'est que Live9 sortira bientôt, qu'il marche bien etcontient quelques nouvelles fonction-nalités que j'aime vraiment beaucoup.

Au printemps 2013, tu seras artiste-invité à la prestigieuse Université deStandford où tu enseigneras la composi-tion / ordinateur et performance… Peux-tu nous en dire plus sur cette résidence ?Pour une raison qui dépasse monimagination, le département de

musique a pensé que je pourrais êtrela personne adéquate pour donnerdes cours sur les sujets mentionnésci-dessus et préparer un concert avecmes étudiants. C'est donc ce que jevais faire au printemps. Par ailleurs, je compte profiter de cette occasionpour apprendre autant d'eux que, jel'espère, ils apprendront de moi. Ce projet me remplit de joie et d'en-thousiasme. J'aime enseigner et j'aimele défi de le faire face à des étudiantsqui, dans un grand nombre dedomaines, en savent beaucoup plusque moi. Je m'attends à ce que desdiscussions, assez intéressantes etsources d'inspiration, émergent decette expérience.

PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT DIOUF INTERVIEW PUBLIÉE SUR DIGITALMCD.COM / COURTESY: MCD

INSTALLATION ROBERT HENKE

+ D’INFO :< www.monolake.de >

Robert Henke, Fragile Territories

(installation), Le Lieu Unique,

Nantes, Décembre 2012.

© P

HO

TO

RO

BER

T H

EN

KE

Page 26: Digitalarti Mag #12 (Français)

26 - digitalarti #12

ART NUMÉRIQUE INTERVIEW

Tout le monde connaît votre travail dethéoricien et de commissaire d’exposition,mais c’est tout d’abord en tant qu’artisteque vous investissez la scène artistique.Je me souviens de votre installation "Possible" (1967), de son effet de surprise !L’illusion, tout comme la surprise, ne seraient-elles pas des notions récurrentesdans les arts médiatiques ?Les êtres humains sont dirigés par les illu-sions. Vous pouvez appeler cela le désir, lamotivation, ou toute autre chose, le faitest que l'illusion n'existe pas. C'est unespace de possibles. Vous savez qu’ellen'existe pas, mais vous pouvez la concréti-ser. Je ne dirais jamais cela au sens plato-nique, classique ou ontologique, qui fait ladistinction entre réalité et possibilité. Je dis simplement que le possible est ins-crit dans le réel (…).Wittgenstein a dit, le monde est ce quiexiste. Ce n'est pas vrai. Le monde estbien plus, c'est ce qui n'existe pas. De sorteque l’espace du possible est beaucoup plus

vaste que l’espace de ce qui existe. Ce quiexiste dépasse ce que nous pouvonsconceptualiser. Ce que nous pouvons for-maliser par le langage est moindre parrapport à ce que nous pouvons concep-tualiser. Normalement, les gens pensentqu'il est possible de décrire entièrementune chose. En fait, nous pouvons penser àbeaucoup plus que ce que nous pouvonsdécrire par le langage. Mais ce qui existedans la nature dépasse ce que noussommes capable de penser. On ne peutl'approcher que lentement. En ce sens, lemonde est un continuum du possible, dece qui n'est pas fermé.Autrefois, l'expression la plus pure de cet-te idée était la science. Puis, pendant long-temps c'est devenu l'art. Aujourd'hui, cen'est plus le cas, mais longtemps, l'art s'estapparenté à la science (…). La surprise etl'innovation font toujours partie de lascience, de l'art aussi, tant qu'il se situedans la même veine que la science. De nos jours, l'art est une chose à part…

Cela a commencé avec le postmodernis-me, car avec lui on pouvait faire des cita-tions. Il n'était pas nécessaire, commedans l'art moderne, d'avoir recours à l'in-novation. Ainsi, le postmodernisme a tuél'illusion, la science, etc. Je pense qu'unart de bonne qualité contient toujours unélément de surprise. C'est ce que j'essaiede faire dans mon travail (…). J'ai enviede surprendre à la fois d'un point de vuetechnique et conceptuel.

Vous avez été le Directeur Artistique d’"ArsElectronica", le premier des festivals dédiésaux pratiques artistiques émergentes. Le succès grandissant de telles manifes-tions, notamment en Europe, ne trahit-ilpas l’incapacité des institutions muséalesà intégrer de telles pratiques ?Le plus grand problème c'est le marché.J'ai observé que les œuvres des plusgrands artistes des médias — comme BillViola ou Nam June Paik — ne sont jamaisvendues aux enchères (…). Le marché desenchères concerne seulement la sculpture,la peinture et les arts graphiques. Même lorsque vous portez un nomcélèbre comme Bruce Nauman, qui faitdes installations vidéo et des sculptures,ses sculptures sont vendues aux enchères,mais pas ses œuvres vidéos. L'acceptationde l'art des médias s'est opérée par les fes-tivals et les biennales (…).La plupart des musées ont encore peurdes médias, ils suivent la logique du mar-ché, ils exposent toujours les mêmesartistes, les artistes du marché (…). Nous avons donc besoin de plus en plusde biennales et de festivals. C'est malheu-reusement la seule plateforme où l'art desmédias peut être montré.

Vous comptez parmi ceux qui ont théorisésur le virtuel ou l’interactivité. Or n’est-

Peter Weibel est artiste, commissaire et théoricien des médias. Il a tout d’abord exploré l’art de la performance avant de découvrir le potentiel créatif des médias et technologies. Mais il a aussi été directeur artistique d’événements d’art numérique ou commissaire d’expositions dédiés aux nouveaux médias dans l’art, tout en dirigeant le ZKM de Karlsruhe.

PETER WEIBELDIRECTEUR DU ZENTRUM FÜR KUNST UND MEDIENTECHNOLOGIE

ZKM.

© P

HO

TO

S U

LI

DE

CK

Page 27: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 27

ce pas la meilleure des définitions relativesà l’interactivité que vous donnez en 2008lorsque vous présentez "Fiat Lux" (1967),de Yaacov Agam, à l’entrée de la Biennaled’Art Contemporain de Séville ?C'est l'œuvre parfaite pour expliquer cequ'est l'interactivité. Cela signifie que lespectateur est au même niveau que le com-missaire. Yaacov l'exprime très bien. Fiat Lux, vient précisément du fait que lalumière artificielle prend sa source dansl'électricité. Les Arts Électroniques contien-nent toujours le mot "électricité" et pluspetite particule d'électricité est l'électron.Les Arts Électroniques sont en fait un tra-vail sur la lumière artificielle (…).La différence entre l'art numérique et lavidéo, le cinéma ou la photographie, c'estl'interactivité. Aucun de ces autres médiasne peut être interactif. Le cœur même del'art électronique c'est l'interactivité. À l'heure actuelle, nous avons accès à toutesces plateformes de réseau, toutes ces révo-lutions soutenues par les médias sociaux.Les médias sociaux ont pour effet l'interac-tivité des médias électroniques (…).

La récente exposition "Digital Art Works",au ZKM, s’articulait autour des probléma-tiques de conservation des œuvres numé-riques. Est-ce si important de préserverdes œuvres que l’on pourrait aussi bienconsidérer comme éphémères en les docu-mentant avec des médias appropriés commeon le fait pour les installations "in situ"ou les performances artistiques ?La conservation de ces œuvres éphémères,le fait de les conserver sur la durée est unproblème de taille. C'est un projet crucialsur lequel nous travaillons au ZKM. Nous possédons nos propres laboratoireset de nombreux artistes le savent et vien-nent nous demander de l'aide. Je pense qu'il s'agit de l'élément essentiel :comment voulez-vous conserver lesœuvres vidéo qui utilisent de vieux moni-teurs ou les œuvres de Dan Flavin à basede lampes fluorescentes (…). Nous avonsdes tubes cathodiques. J'ai donc acheté,environ 400 vieux moniteurs et deschoses de ce genre tant qu'il est encoretemps (…). J'ai vraiment envie de devenirle Louvre de l'art des médias des 500 pro-chaines années.De même avec notre exposition Video Vin-tage. Avec une œuvre vidéo, les specta-teurs devant leur poste de télévisionobservent les spectateurs à l'intérieur dece téléviseur. L'erreur concernant cettetélévision est la projection d’une œuvre deBill Viola sur le mur, comme au cinéma(…). Avec l'idée du spectateur inversé, ildevient évident que la cassette vidéo doitêtre visionnée sur un moniteur. Vous nepouvez pas la regarder comme un film.C'est comme si dans les arts traditionnelsquelqu'un disait "c'est une peinture" alorsqu’il s’agit d’une aquarelle.

Dans l'art classique, on a l’aquateinte,l’aquarelle… Il existe des centaines denuances dans les catégories de dessins,d'arts graphiques et de peinture. Personnene laisserait passer un catalogue où il seraitdit qu’il s’agit d’une peinture alors que l’onvoit un dessin. C'est idiot. Mais dans lesmédias, nous avons un sacré niveau d’idio-tie. Les gens disent que c'est un film, maisc'est une vidéo. Les gens disent que c'estune vidéo, mais c'est un film (…).

L'art des nouveaux médias n'offre-t-il pasl'occasion de revisiter l'histoire de l'art autravers de pratiques réactivées ?Un grand pan de l'art moderne, comme lepop art et l'art cinétique, a été redécouvertgrâce à l'expérience des médias. Cela remonte à la peinture romantique, lapeinture de paysage et, encore plus tôt, àla perspective. Matisse a fait des plaisante-ries : si quelqu'un peint une perspective, c'estcomme s’il faisait un trou dans le mur.Lorsque quelqu'un peignait une perspecti-ve, tout le monde voulait une surface pla-ne, à l’ancienne. Nous avons aujourd'huides ordinateurs qui contiennent toutes cesvariables pour pouvoir faire des objetsmerveilleux dans l'espace. Nous avonsredécouvert la perspective (…).La recréation par Bill Viola de peinturesclassiques a ouvert les yeux de beaucoupde gens, les obligeant à observer de plusprès des mondes d'artistes, à voir les chosesdifféremment. La plus grande victoire del'art des médias n'est pas seulement qu'ilexiste, mais précisément l'influence que lesmédias ont sur la peinture et la sculpture.Aujourd'hui, de nombreuses sculptures,tout comme le land art ou l’art de la perfor-mance, sont documentés par la photogra-phie et la vidéo. C'est le seul matériau qu'ilnous reste. On peut donc dire que lesmédias sont devenus le matériau exclusifde la sculpture et des performances. Nousproduisons pour les médias.

Ainsi, le triomphe des médias réside dansles effets qu’ils produisent sur des formesd'art qui leur sont antérieures (…).

Dans une société façonnée par les techno-logies du numérique, les artistes exploi-tant ces mêmes technologies ne sont-ilspas les plus à même pour nous donner deslectures ou interprétations du monde ?C'est précisément mon axiome. Cela acommencé avec Seurat, le maître, le plusscientifique des impressionnistes. Il a dit,je tiens à donner une image de mon tempsavec les moyens de mon temps. Quandnotre monde est créé par les médias élec-troniques, les artistes sont les plus à mêmede donner une image du monde contem-porain en utilisant les moyens par lesquelsle monde contemporain se construit. Ainsi, dans 100 ans, quand les gens vou-dront savoir comment c’était au 20è siècle,ou dans 200 ans comment c’était au 21e siècle, les meilleurs témoignagesseront les arts des médias — que ce soitdes installations vidéo, des installationsinformatiques ou autres.

INTERVIEW PAR DOMINIQUE MOULONLE 02 NOVEMBRE 2012, À KARLSRUHE, EN ALLEMAGNE

+ D’INFO :Peter Weibel< www.peter-weibel.at >

ZKM< www.zkm.de >

ZKM.

ZKM.©

PH

OT

O V

OL

KE

R N

AU

MA

NN

© P

HO

TO

FA

BRY

Page 28: Digitalarti Mag #12 (Français)

28 - digitalarti #12

Fujiko Nakaya & Anne-Marie Duguet.

PROFIL ANNE-MARIE DUGUET

Avant tout le monde, elle est entrée dansl'ère numérique en accompagnant unnombre incalculable d'artistes pionniers desnouveaux médias dont elle a suivi les études,le travail, les expositions et la carrière. Tête pensante (avec l'artiste Jean-Louis Bois-sier) du festival Artifices qui, entre 1990 et96, mit la Seine Saint-Denis à l'heure de l'artde demain. Tout au long de sa trajectoire,Anne-Marie Duguet a fait fi des frontièrestant géographiques et professionnelles. Elle a fait œuvre sur tous les fronts et, depuis13 ans, elle est même devenue éditrice ; figu-re de proue d'une collection transmédiasAnarchive. Après l’Espagnol Muntadas, lefrançais Kuntzel, le canadien Snow, le suisseOtth, c'est aujourd'hui le tour de la japonaiseNakaya (qui vient de réaliser hjhjhj cet été,une commande publique pour Lille 3000) designer ce dernier opus d’Anarchive : Fog ñ∂Brouillard. Retour sur l'art des nouveauxmédias selon Anne-Marie Duguet, surl'aventure Anarchive et le volume #5 qui meten lumière Fujika Nakaya, la magicienne quisculpte le brouillard.

Anne Marie Duguet, aujourd’hui retraitée de l’université, vous semblez toujours aussiactive, pourquoi et quels sont vos prochainsdéfis ?La "retraite" dans le domaine de la recherchene signifie rien pour moi. Il y a tantd’œuvres, et de champs de savoir qui stimu-lent toujours ma curiosité, tant d’approchesdiverses à mettre en relation pour affiner nos

connaissances. Outre la poursuite de la col-lection Anarchive, j’ai plusieurs projets d’ex-position que j’aimerais faire assez vite etdeux livres sur lesquels je travaille depuis un moment. C’est déjà beaucoup ; trop certainement.

L’art numérique, ou l’art des nouveaux medias, est-il selon vous assez soutenu en France ? Il est mieux soutenu en France, je pense,que dans d’autres pays. Il existe des bourses,même si elles ne sont jamais assez nom-breuses, des lieux d’exposition s’ouvrent peuà peu, et surtout l’enseignement des techno-logies s’est largement développé dans lesécoles d’art et les universités. Bientôt peut-être l’utilisation de technologies dans lesœuvres, à quoi renvoie vaguement le labeld’"art numérique" (que je n’aime vraimentpas), sera devenue suffisamment familièrepour que l’on n’en fasse plus une catégorie àpart, comme cela est arrivé avec la vidéo. Il n’y aura plus que des projets exigeant desaides spécifiques dont l’importance doit pou-voir varier en fonction de la complexité destechniques impliquées.

De la vidéo à des artistes comme Maurice Benayoun, Grégory Chatonsky ou SamuelBianchini, vous avez vu les artistes s’approprier les nouvelles technologies àvitesse grand V. Comment voyez-vous évoluerles rapports entre les artistes et les technologies de demain ?La familiarisation et la banalisation de cestechnologies dans le quotidien, à la portéed’un plus grand nombre de personnes,devraient permettre une maturité de ces rap-ports, augmenter les exigences du public, etréduire les effets de surprise ou le caractèrespectaculaire reposant avant tout sur la tech-nique et qui font souvent seuls la notoriétéde ces œuvres. Je ne suis pas contre la surpri-se ni le spectacle quand ils sont portés pardes idées. Et le spectacle de la techniquepeut être aussi une idée critique. Je pense icià Nam June Paik, ce formidable techno-idiot.

Commissaire d’expositions (dont"Artifice(s)" qui a marqué la monstration desnouveaux médias en France), théoriciennedes premiers pas de la vidéo, vous êtes surtous les fronts, mais pourquoi devenir AUSSI éditrice ?Je n’ai jamais eu l’intention de devenir éditrice. Je le suis par défaut, presque parhasard, parce que je n’ai pas rencontré d’édi-teur assez audacieux, ou disons assezinconscient, pour m’accompagner dans cetteaventure. Devenir éditrice était le seulmoyen d’être autonome et d’assurer la surviede la collection. Mais je trouve aujourd’huique c’est un travail vraiment intéressant,pour lequel j'aurais aimé avoir plus de compétences.

Qu’elle a été l’idée première d’"Anarchive" ?Depuis le début, il s’agit de constituer unemémoire de l’ensemble de l’œuvre d’un artis-te à travers de multiples documents d’archi-ve, et d’encourager la création de réalisationsmultimédias originales, en particulier unerecherche sur les interfaces, au delà de laseule base de données.

Créer "Anarchive" est-il le reflet d’une urgence ?Oui le projet a commencé quand j'enseignaiset écrivais sur la vidéo et les nouveauxmédias. J’étais constamment confrontée auproblème du manque de documents pourparler du processus de création et de l’œuvremême. J’avais la chance, en voyageant beau-coup, de pouvoir faire l’expérience d’œuvrestelles que les installations, mais comment lacommuniquer, comment décrire et analyserde telles réalisations sans pouvoir s’y référervisuellement ? J'ai constaté alors à quel pointles archives des artistes étaient lacunaires, lesphotos souvent mauvaises quand elles exis-taient, les dessins préparatoires en partie per-dus, etc. Il fallait d’urgence profiter de la pré-sence de l’artiste pour faire passer leurmémoire vive dans un autre type de mémoi-re. L’urgence est toujours actuelle, mais lesartistes plus jeunes tendent à penser lamémoire de l’œuvre et sa promotion enmême temps qu’ils la conçoivent. Ils ont leursite web, ils documentent leurs travaux, etsauvegardent au fur et à mesure les donnéesmises à disposition du lecteur. Ce n’était pasle cas, ou du moins pas aussi systématique-ment, pour beaucoup d’artistes jusque dansles années 90.

Cinq ouvrages en 13 ans, l’aventure se poursuit mais semble laborieuse !Pas 13 ans, mais 18 ans !! Nous avons com-mencé à travailler sérieusement sur le projetavec Antoni Muntadas en janvier 1995."Laborieux" est un adjectif un peu péjoratif,mais oui chaque projet est le résultat d’unlong "labeur", soumis à toutes sortes devicissitudes, d’imprévus, où il faut ajuster enpermanence des préoccupations et des

Anne-Marie Duguet est une dame discrète, mais incontournable dans le mondede l'art des nouveaux médias français et internationaux. En retraite (forcée)de l'université, elle est l'une des premières théoriciennes de la vidéo (cf. "Vidéo : la mémoire au poing", Hachette - Collection l'Échappée Belle,1981) et des arts électroniques (comme on disait avant le numérique).

ANARCHIVE

© P

HO

TO

D.R

.

Page 29: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 29

Foggy Forest, 1992,

Parc Showa Kinen, Tachikawa,

Tokyo, Japon.

temps de travail différents… Et puis il estdifficile souvent de savoir où il faut arrêter larecherche d’archives…

Comment choisissez-vous les artistes que"collectionne" "Anarchive" ?C’est l’œuvre qui me porte vers l’artiste, pas uneœuvre, mais un ensemble, une attitude à l’égardde l’art et de la création dont il me semblenécessaire de préserver la mémoire. Les artistessollicités travaillent généralement avec plu-sieurs médias, et plus particulièrement avec lesimages électroniques, la performance et les ins-tallations. Mais surtout à l’origine il y a toujoursune expérience, une “alerte” intellectuelle, uneémotion, qui me conduit à proposer ce projet àl'artiste. Il faut aussi qu’il aime, ou du moinsaccepte, de travailler avec une équipe (graphis-te, programmeur, historien d’art…) et qu’il y aitentre nous un minimum d’affinités, qu’uneconfiance et une connivence s’établissent. Ceci est une condition essentielle.

Comment s’est passé le choix de Fujiko Nakaya qui est en dehors d’un travail surl’image et les NT comme Muntadas, Snow,Kuntzel ; les précédents artistes concernéspar "Anarchive" ?On ne sait pas assez que Fujiko Nakaya estnon seulement une pionnière des sculpturesde brouillard mais aussi de la vidéo au Japon.Elle a participé à la création du premier collec-tif vidéo Video Hiroba, a ouvert la galerie vidéoSCAN, et elle a aussi réalisé plusieurs vidéosdès 1971. Et puis les sculptures de brouillardproduisent d’étonnantes images, vous ne trou-vez pas ? Ou bien elles peuvent servir d’écranincertain, fragile à des images projetées. Elles sont aussi tout à fait interactives… Je pense que l'on a souvent une conceptiontrop étroite de la technologie, trop limitée à laproduction d'images, quoiqu'avec le dévelop-pement de la robotique, le regain d’intérêtpour l’art cybernétique et cinétique, cela chan-ge. Les sculptures de brouillard de FujikoNakaya impliquent paradoxalement une tech-nologie lourde et assez complexe.

Combien de temps prend la collection desdonnées d’un "Anarchive" ?C’est toujours très long car nous travaillonsavec des artistes qui ont déjà une longue carrière derrière eux et donc en principebeaucoup d’archives; il faut retrouver desdocuments éparpillés, les restaurer parfois, les compléter souvent, les numériser, les clas-ser… Pour tout ceci, la participation desartistes est indispensable. Et comme ils conti-nuent à travailler et que le projet d'Anarchiven'est pas de les en empêcher, l’organisation dutemps consacré à la collecte des données estaussi dépendante de leur disponibilité.

Faire un numéro d’"Anarchive" est-ce faireœuvre d’exposition monographique ?D’une certaine manière oui, mais l’espace estici virtuel et c’est là une grande part de la

recherche qui m’intéresse. La conception del'interface est une étape clé de chaque Anar-chive, c’est-à-dire la définition d’un espace àparcourir, les passages entre les données,leurs possibilités de confrontation. Comment va-t-on se déplacer dans cettemémoire, quels modes d’exploration serontles plus pertinents par rapport à l’œuvre, auxprincipes essentiels qui la caractérisent ?

Qui sera le prochain, vous citez beaucoup de noms de Gerz à Hill en passant par Viola,Fujihata ou Hatoum, le travail semble êtreimmense ?Oui, il y a beaucoup d’artistes avec lesquelsnous aimerions faire un titre d'Anarchive etqui ont signé un accord de principe, parfois ily a 15 ans !! Le prochain sera Masaki Fujiha-ta, avec qui la recherche a commencé depuislongtemps. Mais le "prochain" sera vraimentcelui/celle qui pourra consacrer du temps à ceprojet, et pour lequel, très concrètement, jetrouverai des financements !

Il n’y a pas si longtemps une analyse sur les artistes des nouveaux médias disait que,s’ils étaient si mal collectionnés par lesinstitutions, c’était parce que les critiquesd’art n’en parlaient pas assez et que donc les collectionneurs privés ne s’en préoccupaient pas ; et ainsi de suite ! Qu’en pensez-vous ?Il est vrai que la critique joue un rôle impor-tant dans la promotion des œuvres. Les col-lectionneurs ont l'argent, mais pas toujoursla formation nécessaire pour se faire une opi-nion personnelle, alors ils passent par desintermédiaires : les critiques qui restent peunombreux et pas toujours très critiquesd’ailleurs. Il faudrait initier davantage les res-ponsables des collections au développementdes œuvres impliquant les technologiesavancées.

"Anarchive" peut palier ça ?L'objectif d’Anarchive n’est pas de promou-voir les œuvres, les artistes avec lesquelsnous travaillons n’ont pas vraiment besoinde nous pour cela. Ils sont en général suffi-samment connus déjà. Mais il y a disons des

retombées dont nous nous réjouissons. Par exemple, je suis contente que l’œuvre deFujiko Nakaya puisse être mieux diffusée enEurope. Et le titre d'Anarchive y contribue unpeu. Mais l'œuvre de Jean Otth, le 4ème titre,reste encore trop secrète et c'est très domma-ge. Nous n'avons sans doute pas assez tra-vaillé à donner plus de visibilité à Anarchive.

Aujourd’hui l’édition est-il le seul média envisageable pour médiatiser et conserver le travail de ces grands artistes ?De plus en plus d'institutions, musées oubibliothèques, se soucient de conservertraces et documents multiples sur les artséphémères, performances, programmesinformatiques, installations, etc. L’éditionnumérique est un mode de médiatisationparmi d’autres. Je pense que la descriptionprécise d’œuvres comme les installations estune manière de les "conserver".

Considérez-vous "Anarchive" comme unmusée, ou une alternative ?Non ce n’est certainement pas un musée. La mémoire est vivante, et grâce à Internetelle peut être constamment actualisée etenrichie. Nous nous efforçons maintenantd’adapter les anarchives publiées pour Inter-net. Digital Snow est déjà accessible en ligne,et bientôt le premier titre Media ArchitectureInstallations de Muntadas.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-JACQUES GAY

FUJIKO NAKAYA est une grande artiste, presque inconnue en Europecar son travail in situ est peu vu, souvent mal photographiable et telle-ment expérimentable qu’il doit être senti de l’intérieur. Pionnière dela vidéo nippone, cette fille de physicien qui étudie aux USA pourdevenir peintre, parcourt l’Europe et revient à New York, en 1966, sejoindre aux expériences réunissant artistes et ingénieurs : les UtopiesBauhausiennes qui aboutiront à la création d’E.A.T (Expériment in Artand Technology) où des scientifiques collaboreront à Cage, Tinguely,Cunningham, Warhol et Fujiko ! C'est ainsi que naquit la premièresculpture de brume de Nakaya (le Pavillon Pepsi lors de l'expositionuniverselle d'Osaka de 1971). Aujourd’hui, l'aventure de Nakayacontinue avec Fog, sa première monographie qui rassemble ses textes,dessins, peintures, vidéos et films de 50 œuvres; dont ses sculpturesde brouillard réalisées entre 1971 et 2011. Fog est un Anarchive quiréinvente la rencontre entre art, science et technologie.

+ D’INFO :Fujiko Nakaya, Fog ñ∂ Brouillard(Anarchive n.5, livre + DVD-rom + DVD-vidéo, septembre 2012)www.anarchive.net

© P

HO

TO

SH

IGE

O O

GAW

A

Page 30: Digitalarti Mag #12 (Français)

30 - digitalarti #12

FEEDBACK ART SONORE

De l’appropriation des pratiques amateursY a-t-il encore des différences entre les pratiquesvidéo amateurs et professionnelles quand noussommes tous potentiellement directeurs de nospropres chaînes de télévision sur Internet ?Relèveraient-elles de l’intention, de la popularitéou plutôt des espaces de diffusion ? Quand unevie entière ne suffirait pas à la visualisation detoutes les séquences relatives à la saisie du mot"chat", en anglais, sur YouTube ! C’est en effec-tuant une telle recherche que l’artiste américainCory Arcangel a collecté les films amateursdocumentant les quelques pas d’innombrablesquadrupèdes sur autant de pianos, entre autressynthétiseurs ? Il donne volontiers, à qui veuts’y intéresser, le nom de l’application qui lui apermis d’ordonner les échantillons selon lesnotes de l'opus 11 des trois pièces pour piano(Drei Klavierstücke, 1909) d'Arnold Schoenberg.

Se faisant, il s’approprie les témoignages de gensordinaires pour les magnifier dans le musée.Cette pratique du video sampling à l’ère du parta-ge global relève, une fois encore, d’une formerelationnelle.

La synthèse de toutes nos peursÀ chaque catastrophe, industrielle ou naturelle,correspond une sirène. Et tous les enfants,n’ayant pas connu la guerre, ont joué un pre-mier mercredi du mois sur le son grave, puisstrident et tournant, d’une sirène de midi. Rien qu’en France, on en dénombre plusieursmilliers qu’on imagine aisément aux formes etcouleurs les plus diverses. Or c’est précisémentde cette diversité dont il est question dans lapièce de Tyler Adams intitulée Sirens et datantde 2012. Celui-ci en a assemblées seize, toutesdifférentes, au sein d’une grille vidéo. Mais cettechorégraphie est menaçante car elle précèdel’horreur dans nos imaginaires. En fusionnantles sons de multiples sirènes, l’artiste se joue detoutes nos peurs associées. Et l’on se met à pen-ser aux sirènes qui ont joué durant la SecondeGuerre mondiale, à celles qui fort heureusementsont restées silencieuses durant la Guerre Froi-de comme à celles qui retentissent aujourd’huien Syrie, en Israël ou à Gaza. Car il y a toujours,quelque part dans le monde, une sirène quiretentit. N’ayant généralement pour écho queles silences de ceux qui vivent en paix.

Chronique d'une mort annoncéeLes gestes de Christian Marclay, dans le filmGuitar Drag, sont mesurés. Sans précipitationaucune, il attache une Fender Stratocaster parle manche à un Pick Up qu’il démarre enfin.C’est alors que la destruction annoncée s’amor-ce, que le dernier des solos est étiré jusqu’à safin. Une plainte infinie ! Et il y a le son, sur lechemin, qui est plus chaotique encore. Enfin, l’œuvre s’interrompt quand l’amplifica-teur n’a plus rien à amplifier. Le concert est ter-miné. On pense inévitablement à Pete Town-shend ayant pris pour habitude d’extirper les

derniers sons de ses guitares en les projetantviolemment sur le sol ou à Nam June Paiktirant, plus tranquillement, un violon derrièrelui. À moins qu’il ne faille envisager l’horreur decrimes racistes consistant à tracter des hommes,pour la couleur de leur peau, derrière descamions comme se fut encore le cas au Texas en1998. Mais la violence, dans le film de ChristianMarclay datant de 2000, se situe davantage dansla préparation. Quand la sentence a été pronon-cée et quand la préparation est comparable aucérémonial qui précède l’exécution dans le cou-loir d’une mort annoncée.

La plasticité du silenceIl est, au ZKM, une autre guitare électrique quis’est tue quand elle a été à demi enfouie dans unbloc de béton par l’artiste Douglas Henderson.L’œuvre Stop, date de 2007 et pourrait êtreconsidérée comme un hommage de plus aux4’33’’ de silence que John Cage composa en1952. Aucun son, dans le Media Museum, nesortira plus de cette guitare figée dans le tempscomme l’ont été tous les objets de Pompéi en 79de notre ère. L’ampli Marshall auquel la guitareest raccordée ne révèle que son potentiel. Cette œuvre, dans cette exposition, participe àrepousser les limites de l’art sonore jusqu’à lapratique de la sculpture où le son n’est figuréque par l’absence, le manque. Le bloc de bétonconserve l’œuvre en privant l’instrument de safonctionnalité première. Or n’est-ce pas la fonc-tion première du musée que de conserver ! Stop, au-delà de son évidente plasticité est uneœuvre ouverte aux multiples interprétations.Car elle pourrait tout aussi bien symbolisercelles ou ceux que l’on réduit au silence, cellesou ceux qui se retrouvent entre quatre murs debéton quand leurs idées dérangent. Quand iln’est définitivement plus question de musicalité !

CorrespondancesPour expérimenter l’installation sonore d’Ed-win van der Heide, il faut tout d’abord se pour-voir d’un casque audio qui est relié à un boîtieréquipé d’un capteur photosensible. Car la qua-lité des lumières émissent par Sound ModulatedLight varie d’une ampoule à l’autre. Or c’est lamain, équipée d’un tel boîtier électronique, quicherche les sons correspondant aux différentssignaux lumineux. Ce que nous entendonsn’est autre que la conséquence de ce que nousvoyons et nous sommes tout particulièrementattentif à l’environnement qui nous entoure,comme le sont les photographes au travers deleurs objectifs. Alors on cherche les sons quisont dissimilés dans la lumière ambiante de laboîte noire délimitant l’œuvre. À la sortie, celuiqui n’a pas retiré son dispositif de captations’aperçoit que l’écran de l’œuvre vidéo quijouxte Sound Modulated Light émet elle aussison propre signal audio. Le monde qui nousentoure serait ainsi empli de messages sonoresqui n’attendent que notre écoute. L’installationlumineuse d’Edwin van der Heide, au-delà dujeu de la découverte "par la main" des sons dis-simulés dans l’espace, nous incite à mieuxentendre le monde qui, trop souvent, nous estmasqué par regard.

Le futuriste italien Luigi Russolo, durant les années 1910, envisageaitdéjà le son tel un medium en jouant des "bruits" avec son instrument intitulé Intonarumori. Depuis, nombreux sont les artistes ou plasticienssonores qui participent de ce que l’on nomme aujourd’hui le Sound Art.Des centres d’art tel le ZKM de Karlsruhe, le MAC de Lyon ou le Centquatre, à Paris, en font l’écho.

SOUND ART@ ZKM, MAC & 104

Douglas Henderson, Stop, 2007.

© P

HO

TO

D.R

.

Page 31: Digitalarti Mag #12 (Français)

digitalarti #12 - 31

Nos corps résonnantsL’artiste Kaffe Matthews demande au public dese déchausser avant de s’allonger dans sonSonic Bed ayant quelque peu les allures d’uncercueil pour trois personnes. Mais il est équi-pé d’une installation sonore totalement invi-sible qui pourrait faire pâlir d’envie quelquesamateurs de tuning. Confortablement allongé,corps et esprits doivent alors s’abandonner,lâcher prise, pour que l’expérience soit totale.Les corps complètent ainsi l’œuvre en réson-nant des fréquences jouées par celle-ci.S’étendre sur ce lit sonique revient à entendreson corps via les sons qui le traversent. Car ilest des sons, des fréquences parmi les plusbasses, qui s’écoutent de l’intérieur, au traversde nos squelettes et jusque dans nos chairs.L’expérience sensorielle du Sonic Bed peut être

partagée par deuxou trois partici-pants, même si lesvoyages intérieursqui y sont effec-tués sont résolu-ment personnels.Une fois encore,cette expositionorganisée par PeterWeibel, le direc-teur du ZKM, etJulia Gerlach, nousincite à écouterautrement les sonsdu monde quinous entourent.

Au Musée d’Art Contemporain de LyonIl faut encore se déchausser avant de pénétrerdans la Dream House que le Musée d’ArtContemporain de Lyon a réactivée en 2012après l’avoir initialement exposée en 1999.Mais c’est au début des années quatre-vingt-dixque le Fond National d’Art Contemporain l’aacquis auprès de la galerie Jacques Donguyalors La Monte Young et Marian Zazeela ontconçu leurs premières installations sonores etlumineuses permanentes durant les annéessoixante. Le modérateur, à l’entrée, est étrange-ment équipé d’un casque ! Serait-ce pour seprémunir d’un possible lâcher prise ? Les spec-tateurs, quant à eux, s’abandonnent aisémenten faisant corps avec la matière sonore et lumi-neuse de l’installation. Il y a ceux qui se dépla-cent pour agir sur le son étiré de cet espace pro-pice aux états modifiés de conscience. Alorsque d’autres sont assis, ou couchés, à même lesol uniformément teinté du rose de l’espaceintérieur de l’œuvre. Les yeux sont ouverts, oufermés, les corps et les esprits sont ici et main-tenant dans l’expérience d’une durée.

Au CentquatreEnfin, au Centquatre, il y a cette installationd’une apparente complexité dont le nom nousinforme sur les composants mis en œuvre soit :416 prepared dc-motors, hemp cords, cardboardboxes 60x60x60cm. De l’extérieur, l’œuvre a lesallures d’une sculpture monumentale dont lematériau, du carton, trahit pourtant la fragilité.De l’intérieur, on perçoit un son comparable àcelui d’une pluie battante. Et dedans, le regard

peine à se fixer car la structure est uniformé-ment animée de micromouvements. La formede l’architecture qui s’élève vers le haut estminimale alors que les mouvements sont sichaotiques qu’ils parviennent à s’unir dans unmême bruit, presque blanc. On dit du son de lafontaine qu’il est apaisant, or c’est une fontaineque l’artiste suisse a installée au Centquatre.Les 416 moteurs, isolément les uns des autres,n’ont aucun intérêt. Mais c’est par le rassemble-ment qu’ils font sens tous ensemble. Tout com-me les bonbons bleu de Felix Gonzales Torres.Quant à l’aspect cinétique de l’œuvre deZimoun, il n’a pas échappé à la galerie DeniseRené qui le représente en France depuis peu.

DOMINIQUE MOULON

+ D’INFO :Centquatre < www.104.fr >

Christian Marclay< www.paulacoopergallery.com/artists/CM >

Cory Arcangel < www.coryarcangel.com >

Denise René < www.deniserene.com >

Douglas Henderson < www.douglashenderson.org >

Edwin van der Heide < www.evdh.net >

Kaffe Matthews < www.kaffematthews.net >

Musée d’Art Contemporain de Lyon< www.mac-lyon.com >

Sonic Bed < www.musicforbodies.net >

Sound Art < http://soundart.zkm.de/en >

Tyler Adams < www.t-adams.com >

Zimoun < www.zimoun.ch >

ZKM < www.zkm.de >

Kaffe Matthews, Sonic Bed, 2005.

3/ Zimoun, 416 prepared dc-motors, hemp cords, cardboardboxes 60x60x60cm, 2012.

4/ Christian Marclay, Guitar Drag, 2000. 5/ Tyler Adams, Sirens, 2012. 6/ Cory Arcangel, Drei Klavierstücke op. 11, 2009.

1/ La Monte Young & Marian Zazeela,Dream House, 2012. 2/ Edwin van der Heide, Sound ModulatedLight 3, 2004-2007.

© P

HO

TO

CO

LIN

ME

AR

NS

1 3

65

2 4

© P

HO

TO

S C

OU

RT

ESY

PA

UL

A C

OO

PE

R, B

LA

ISE

AD

ILO

N, D

.R.

Page 32: Digitalarti Mag #12 (Français)

PRESENCIA ACTIVAExposition à LaboralGijón, EspagneJusqu’au 25 février< www.laboralcentrodearte.org >

INTER-FACING THE ARCHIVEExposition au ZKMKarlsruhe, AllemagneJusqu'au 24 février 2013< www.zkm.de >

ERREUR D’IMPRESSIONExposition dans l’Espace virtuel du Jeu dePaumeParis, FranceJusqu’en mars < http://espacevirtuel.jeudepaume.org >

ZIMOUNWoodworms, wood, microphone, sound systemExposition au CentQuatre, Paris, FranceJusqu’au 17 mars.< www.104.fr >Performing HistoriesExposition au MoMA, New York, USAJusqu’au 11 mars < www.moma.org >

TECHFESTBombay, Inde3 au 5 janvier< www.techfest.org >

MARINA ZURKOWNecrocracyExposition à la galerie Bitforms, NY, USA10 janvier au 16 février< www.bitforms.com >

PRÉSENCES ÉLECTRONIQUESGenève, Suisse11 et 12 janvier< www.presenceselectroniques.ch >

DES SOURIS ET DES HOMMES #6St Médard en Jalles, France15 janvier au 1er février < www.lecarre-lescolonnes.fr >

MOBILE FILM FESTIVALParis, France + Internet16 janvier au 6 février< http://fr.mobilefilmfestival.com >

FRED FORESTL’Homme Media n°1Exposition au CDA d’Enghien-les-Bains25 janvier au 31 mars< www.cda95.fr >

TRANSMEDIALE & CTMBerlin, Allemagne29 janvier au 3 février< www.transmediale.de >

MOIS MULTIMontréal, Canada31 janvier au 28 février< www.moismulti.org >

>>>

>>> >>>

32 - digitalarti #12

EVENTS COMING SOON

(AGENDA)

Page 33: Digitalarti Mag #12 (Français)

JARDIN NUMÉRIQUERennes, France6 au 10 février< www.jardinnumérique.org >

YEBIZO FESTIVALTokyo, Japon8 au 24 février< www.yebizo.com >

NODE 13Frankfurt, Allemagne11 au 17 février< http://node.vvvv.org >

ICI L’ONDEDijon + Mâcon, France14 au 17 février< www.whynote.com >

VIA FESTIVALMaubeuge, France12 au 24 mars< www.lemanege.com >

FÊTE DE L’ANIMATION Lille, France14 au 17 mars< www.fete-anim.com >

VIDEOFORMESClermont-Ferrand, France20 au 23 mars< www.videoformes-fest.com >

LAVAL VIRTUALLaval, France20 au 24 mars< www.laval-virtual.org >

TILT FESTIVALPerpignan, France22 au 24 mars< www.elmediator.org >

SAVE FESTIVALMoscou, Russie24 mars< http://mixtura.org/save >

ELECTRON FESTIVALGenève, Suisse28 au 31 mars< www.electronfestival.ch >

>>>

>>>

>>>

digitalarti #12 - 33

Page 34: Digitalarti Mag #12 (Français)

34 - digitalarti #12

WHO’S

Digitalarti MagDigitalarti est publié par Digital Art International.

RÉDACTRICE EN CHEF :Anne-Cécile Worms < [email protected] >

RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINT :Laurent Diouf < [email protected] >

CONSEILLER ÉDITORIAUX : Julie Miguirditchian < [email protected] >Malo Girod de l’Ain < [email protected] >

RÉDACTEURS : Anne-Cécile Worms < [email protected] > Cherise Fong < [email protected] > Dominique Moulon < [email protected] > Jean-Jacques Gay < [email protected] >Laurent Catala < [email protected] > Laurent Diouf < [email protected] > Sarah Taurinya < [email protected] >

TRADUCTION : Cherise Fong (Français > English) < [email protected] >Valérie Vivancos (English > Français) < [email protected] >

PARTENARIAT & PUBLICITÉ :Julie Miguirditchian < [email protected] >

COMMUNICATION : Sarah Taurinya < [email protected] >

MAQUETTE ORIGINALE : Autrement le Design, Antoine Leroux, < [email protected] >

GRAPHISTE :Yann Lobry < [email protected] >

CONTACT:Digital Art International, 13 rue des Écluses Saint Martin, 75010 Paris, France.Représenté par sa gérante, Anne-Cécile Worms,directrice de la publication. E-mail: [email protected]: www.digitalarti.com

Couverture © Gregory Chatonsky, Telefossiles, D.R.

DIGITALARTI est membre du RAN (Réseau Arts Numériques/Digital Art Network)< www.ran-dan.net >

Digitalarti est une société dédiée à l'art numérique et l'innovation, avec 4 pôles d'activités :

> Le premier réseau social international dédié à l’art numérique et à l’innovation, avec une communauté en ligne, des appli mobiles, et une newsletter envoyée à plus de 65 000 abonnés.

< www.digitalarti.com/community >

> Un média avec ce magazine trimestriel, reconnu par le Ministère de la Culture et de la Communication comme entreprise de presse en ligne. Ce magazine est disponible en français et en anglais, en téléchargement gratuit, en version multimédia à lire en ligne augmentée de vidéos, et sur tablettes & mobiles. Il est également imprimable à la demande.

< www.digitalarti.com/blog/digitalarti_mag >

> Des services aux entreprises : événementiel clé en main"art numérique et innovation", conférences et colloques, conseil eninnovation, communications innovantes, contenu artistique exclusif…

< www.digitalarti.com/blog/digitalarti_services >

> Le ArtLab : un atelier de création ouvert spécifiquement pour lesartistes numériques, sur le modèle des Fablab ou techshops, avec unespace informatique, un espace de fabrication et un studio d'enregis-trement, dans le 10ème à Paris. En cours de réalisation, de nombreusesco-productions innovantes avec des artistes numériques.

< www.digitalarti.com/blog/artlab >

Digitalarti Mag distribution:

> Commander un exemplaire papier, 6€ + frais d’envoi,

> PDF (iPad et Web) gratuit ou versioninteractive avec vidéos en ligne:

http://www.digitalartimag.com

Acheter le magazine> Eyebeam,

540 W. 21st Street, New York, NY 10011, USA

> Do you read me??Auguststrasse 2810117 Berlin-MitteAllemagne

> Boutique de la Gaîté Lyrique:"Creative Shop Amusement",3 bis rue Papin, 75003 Paris

Page 35: Digitalarti Mag #12 (Français)

9€, disponible sur w w w . d i g i t a l m c d . c o m

Page 36: Digitalarti Mag #12 (Français)

Atelier de création ouvert spécifiquement pour les artistesnumériques, créateurs, designers, ingénieurs R&D…

Sur le modèle des Fablab ou techshops avec: espace informatique,espace de fabrication et studio d'enregistrement.

Des Workshops et des formations sont proposés.

> Physical computing> Logiciel 3D> Initiation à l’imprimante 3D> Art & Médias> Initiation artlab

Ouverture du artlab de Digitalarti dans le 10e arrondissement, à Paris

[email protected]

by

Digitalarti.com : la communauté internationale et le magazine dédiés à l'art numérique et à l'innovation.Digitalarti services : expositions, installations, événementiels…Contact : [email protected]