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S · •• , ... W -- + ilvia Mancini est profes- seur d'Histoire comparée des religions au DIH5R (Départe- ment Interlacultaire d'Histoire et Sciences des Religions) de l'université de Lausanne. Elle enseigne l'historiographie et l'épistémologie des sciences des religions et l'histoire des courants religieux marginaux et marginalisés. Ses travaux portent sur les relations entre le psychisme et les formes cul- turelles en histoire comparée des religions. Elle est l'auteur de travaux sur Lucien Lévy- Bruhl j sur "ethnologie reli- gieuse allemande d'entre les deux guerres; sur Poeuvr e d'Ernesto De Martino; sur les formes religieuses populaires de la culture méditerranéen- ne. Elle est la responsable scientifique du DEA organisé par les universités de Lausanne et de Genève, intitulé: Les états modifiés de conscience. L'Histoire comparée des religions au carrefour des sciences psychiques et des Sciences Humaines. Problèmes et méthodes. Synapse, avril 2003, N° 194 ·5

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ilvia Mancini est profes­seur d'Histoire comparée desreligions au DIH5R (Départe­ment Interlacultaire d'Histoireet Sciences des Religions) del'université de Lausanne. Elleenseigne l'historiographie etl'épistémologie des sciencesdes religions et l'histoire descourants religieux marginauxet marginalisés. Ses travauxportent sur les relations entrele psychisme et les formes cul­turelles en histoire comparéedes religions. Elle est l'auteurde travaux sur Lucien Lévy­Bruhl j sur "ethnologie reli­gieuse allemande d'entre les

deux guerres; sur Pœuvred'Ernesto De Martino; sur lesformes religieuses populairesde la culture méditerranéen­ne. Elle est la responsablescientifique du DEA organisépar les universités de Lausanneet de Genève, intitulé: Lesétats modifiés de conscience.L'Histoire comparée des religionsau carrefour des sciencespsychiques et des SciencesHumaines. Problèmes etméthodes.

Synapse, avril 2003, N° 194 ·5

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_ Bertrand Méheust : On redé­couvre en ce moment, dans les revuesd'anthropologie, une grande figure dela pensée italienne d'après-guerre, lephilosophe et l'historien des religionsErnesto de Martino (1908-1965). Direqu'on le redécouvre n'est d'ailleurs passuffisant, il vaudrait mieux dire qu'on lecélèbre. Ainsi, les Empêcheurs de pen­ser en rond ont réédité, en 2000, LeMonde magique, son premier livre, quicontient déjà l'essentiel de ses thèses.Or, pour la réédition de cet ouvrage,vous avez rédigé une imposante postfa­ce qui le replace dans son contexte,celui de la pensée italienne de la pre­mière moitié du XX, siècle, qui est fortmal connue en France. Pouvez-vousprésenter ce penseur aux lecteurs deSynopse, et expliquer les raisons de "in­térêt que suscite aujourd'hui sapensée?

_ Silvia Mancini : Effectivement, laréédition presque simultanée, en Italie et enFrance, de la plus grande partie de l'œuvrede De Martino, réouvre dans les deux pays le

débat sur une des figures intellectuelles lesplus bariolées et les plus complexes du pay­sage culturel européen d'après-guerre. Peut­être faut-il que je vous résume son parcours.De Martino a été formé à l'idéalisme néo­hégélien de Ben-edetto Croce. Il a commencépar une thèse sur l'histoire du christianisme;puis il s'est tourné progressivement versl'ethnologie et l'histoire comparée des reli­gions. Au commencement de la SecondeGuerre mondiale, il se tourne vers le magis­me ethnologique, qu'il examine à la lumièrede la métapsychique. C'est à cette époquequ'il écrit Le Monde magique, en 1940-1941.Le livre lui-même a toute une histoire; lemanuscrit a failli disparaître dans un bombar­dement et a été récupéré dans une maisonen ruines. Après la guerre, De Martino subitl'Influence décisive d'Antonio Gramsci, ce quile rapproche de plus en plus du parti com­muniste. On le voit même, en 1949, épouserla cause des paysans et participer à leurscôtés, à leurs luttes pour la terre. De Marti­no, j'insiste sur ce point, compte tenu de sonintérêt pour la métapsychique, est un intel­lectuel engagé, qui donnera toujours il saréflexion théorique sur le phénomène reli­gieux une dimension politique. Entre 58 et61, il s'intéresse il l'univers magico-religieux

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des paysans de l'Italie du Sud, et, pour mieuxcerner ce nouvel objet, il pratique en mêmetemps l'enquête de terrain, l'approche histo­rfographfque, et mène une réflexion philoso­phique sur la nature de la culture et du faitreligieux. Enfin, à partir de 1963, il commenceune réflexion sur ce qu'il appelle les "apoca­lypses culturelles". réflexion que sa mortprématurée. en 1965, ne lui permettra pas demener à terme. Il a été presque toute sa vieprofesseur de philosophie en lycée, et n'estentré à l'université que sur le tard. et il estmort d'un cancer du poumon, laissant uneœuvre inachevée.

_ B. M. : Ce qui frappe chez De Mar­tino, c'est l'audace théorique, la volon­té de synthétiser des domaines de lapensée et de l'action les plus divers et,en apparence, les plus éloignés...

_ S. M. : En France. les anthropologuesconnaissent surtout, pour ne pas dire unique­ment, ses travaux sur le folklore religieux del'Italie du Sud. Mais, pour nous, en Italie. il nes'agit que d'une facette de son œuvre, et l'onconsidère De Martino comme un des grands

penseurs de la deuxième moitié duXX, siècle, un des rares théoriciens qui aittenté de produire une théorie globale de laculture et du phènomène religieux. C'est eneffet pour construire cette théorie qu'il a ris­qué les synthèses et les hybridations les plusintéressantes, et qu'il a forgé tout un outilla­ge intellectuel inédit. Car De Martino nes'est pas contenté des outils intellectuelsexistant sur le marché, il en a inventé de nou­veaux, adaptés à son objet, suivant en celaJ'enseignement de Bergson, qui était un deses auteurs de référence. Avec une hardiessequi étonne, il convoque l'anthropologie, lapsychiatrie, la psychologie, la philosophie,l'histoire, l'enquête de terrain. Et il s'efforcede lier dans une synthèse le marxisme, l'exis­tentialisme, le néo-hégélianisme.

_ B. M.: Aujourd'hui, dans la frilosi­té actuelle, on appellerait cela unsyncrétisme...

_ S. M. : Mais on aurait tort. Car, derrièreces influences si diverses, se profile une trèscohérente théorie du sacré, aux implicationsphilosophiques et épistémologiques considé­rables. En apparence, les objets de De Marti­no sont disparates: il s'est intéressé à la

IIrnentation funèbre, à la magie cérémonielle,au tarennsme des Pouilles, aux phénomènesde cype chamanique, au magisme des sociétésarchaïques, à la psychopathologie, mais aussiaux dossiers de la métapsychique au débutdu XX, siècle ... Mais une problématiqueunique traverse son œuvre, et lUI donne sonunit.é. En fait; de livre en livre, De Martino necesse d'interroger le rapport dialectique per­manent qui se joue entre le psychisme et taculture, la nature et l'histoire, la conscienceet l'inconscient, les symboles et les symp­tômes, la volonté individuelle et le détermi­nisme social, la crise psychique et la réinté­grat.ion culturelle, Et cette même tension seretrouve au cœur de son projet intellectuel,situé à la croisée de deux exigences. D'unepart, il veut penser la genèse, la structure etla fonction du sacré, qu'il comprend, contreles visions "es sentialistes" du phénomènereligieux, comme une production de la cultu­re humaine. Et d'autre part,' on va y revenir; ilinscrit ce projet dans une conception philo­sophique très élaborée.

_ B. M. : N'est-ce pas ce qui leconduira à s'opposer aux théories d'unMircea Eliade?

_ S. M.: Oui, en 1956 il a un débat avecEliade, dans lequel il s'oppose à ses vuesessenualeres. Mais, surtout, il lui reproche dese laver les mains de la réalité des phéno­mènes paranormaux que sont censés vivreles chamans, de ne s'intéresser qu'à leursens, de dissocier le sens de la réalité. Eliadeest le représentant le plus connu de la théo­rie essenttahsœ. tandis que De r-tartmc, lui,œuvre pour construire une théorie laïque dusacré; mais, paradoxalement, c'est lui qui estle plus audacieux dans l'intégration de la phé­noménologie paranormale, le plus indifférentaux conventions académiques. Quoi qu'il ensoit. cet objectif de construire une théorielaïque du sacré, il l'inscrit dans une concep­tion philosophique précise, selon laquelle unetension instable et constante serait à l'originede toute forme de vie, qu'elle soit biologique,psychique, symbolique, historique ou magico­religieuse. Cette idée domine toute sarecherche: à travers tous ses objets, il étudiele rapport entre certaines institutions magl­co-religieuses particulières et les dynamiquesde la conscience humaine. Pour lui, laconscience humaine est écartelée entre deuxtensions: d'Une part la régression vers le"dèsindlviduè", l'indifférencié psychique; etd'autre part l'élan psychique tendant versl'individuation, état par excellence créateurd'institutions et de langages symboliques.

_ B. M. : Comment De Martinoenvisage-t-l! ce psychisme qui sous­tend l'activité symbolique, et com­ment, plus précisément, le symbolismemythico-rituel fonctionne-t-il dans sathéorie?

_ S. M. : Pour De Martino, on ne peutcomprendre la dimension opératoire dumythe et du rite qu'en faisant intervenircette double tension qui traverse le psychis-

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J'ai parlé tOU~ à l'heure de la thèse de DeMartino, selon laquelle le psychisme seraitconstitué de couches superposées, possé­dant des niveaux ènergéuques variables. 13fonction du symbole est justement pour l-vide relier ces couches hiérarchisées qui vontde l'indifférencié au différencié, de l'orga­nique au psychique, selon un principe decomplexification et d'auto-conscience crois­sants. Les couches du "bas" correspondentau psychique indifférencié, où dominent lemimétisme, la tendance à la reproduction del'identique. Les couches du "haut", quant àelles, correspondent aux comportements oùdominent l'individuation et l'autonomie dumoi. En d'autres termes, cette façon deconcevoir le psychisme est psycho-orga­nique, et non pas Jogico-formelle. Quand iltraite de la théorie générale de la personna­lité, quand il s'intéresse au phénomène despersonnalités multiples, il décrit le psychis­me comme un processus énergétiquebouillonnant.

me, ces deux mouvements de dèsindividua­non et de réindividuation. Pour lui, ces deuxmouvements sont au cœur même de la viereligieuse. À ses yeux, le psychisme est unprocessus dynamique, organisé en couchessuperposées, qui connait divers niveaux detension; c'est là chez lui une thèse centrale,qu'il a héritée, notamment, de Bergson, maisque l'on trouve aussi chez d'autres penseursde la mouvance métapsychique, comme HansDriesch. Plus généralement, c'est à ce qu'El­

-Ianber-ger- a appelé la "première psychiatriedynamique", à Piesre Janet notamment, plusqu'à Freud, qu'il se réfère. Cette conceptiond'un psychisme constitué de couches suscep­

,tibles de niveaux de tension très variablesimplique entre autres, que l'individuation neconstitue pas un acquis, qu'elle est simple­ment une tendance. C'est seulement à lasuite d'embranchements er de spécialisationssuccessifs, à partir de stades prè-individuésou moins spécialisés, que le psychisme évoluevers des formes de plus en plus îndividuées,complexes et conscientes.

_ B. M. : C'est à ce stade, si j'ai biencompris les thèses de De Martino,qu'intervient la fameuse "crise de laprésence", qui est le thème central deson œuvre.

_ S. M. : Qui. Ce que de Martino appellela "crise de la présence", notion effective­ment essentielle dans son œuvre, est unerégression vers des formes inférieures etindifférenciées de la conscience, là où dornl,ne une tendance spontanée au mimétisme. Àl'instar de la "misère psychologique" décritepar Pierre Janet, la crise de la présence estvraiment crise dans la mesure où, pourDe Martino, l'énergie psychique du sujet yreste comme polarisée mimétiquement. Lesexemples d'écholalies cttês par Janet illus­trent parfaitement ce que j'avance: te sujetabdique totalement sa présence, il devient cequ'il imite. Or, c'est justement à la faveur decet ètat.de crise, que, dans les sociétésarchaïques, interviennent le mythe et le rite,

compris dès lors comme des "techniquesculturelles" censées contrecarrer et surmon­ter cette crise. Ce qui distingue en effet lemonde magique du nôtre, c'est que la pré­sence n'y est pas garantie. Le rôle du rituelmagique est justement de la restaurer quandelle entre en crise, Le paradoxe de la tech­nique mythico-rituelle réside alors en ceci,que l'arrêt et la solution de la crise consis­tent en sa répétition mimétique. La crise estrépétée, revécue par le sujet, elle est mise enscène selon un modèle mythique, lequeldéréalise (ou "deshrstcrlse''. comme De Mar­tino le dit aussi) la crise elle-même. Autre­ment dit, la résolution de la crise repose surla capacité de la "refaire", en la projetant surle plan mythique et en la revivant sur le planrituel.

_ B. M. : Cette thèse suppose, j'ima­gine, toute une conception du symbolequi est un peu décalée par rapport ànos habitudes mentales.

_ S. M. : Cette conception est indiscuta­blement tributaire des thèses sur le symbo­lisme de la répétition avancées par Freud,notamment dans Au-delà du principe du plaisir.Mais elle s'en éloigne aussi, car elle est plusproche de la conception (partagée par lesthéorie iens de la Gestalt) selon laquelle lesmanifestations culturelles visibles renvoient àdes états psychiques qu'elles auraient cristal­lisés ou fossilisés. Il y a là une conception dusymbolisme quasiment physiologique. Or,concevoir le symbolisme sous ce moderevient à poser que l'activité symbolique pro­longe réellement. matériellement et non passeulement métaphoriquement, les autresformes d'activité vitale, qu'elle intègre etdépasse il. la fois. Evidemment, on est loin deslectures du symbole de type sémiologique.Au lieu de signifier sur un pian conventionnel.la__réalité qu'ils sont censés représenter, lessymboles, pour De Martino, contiennent etprolongent, sont réellement, sous une formeimmédiatement perceptible, cette activitédont ils constituent l'expression.

_ B. M. : Comment situeriez-vousl'originalité de De Martino par rapportà d'autres approches pratiquées enanthropologie et en histoire comparéedes religions?

_ S. M. : En ceci, notamment, qu'il intègreles outils des sciences psychiques, et de lapsychopathologie de Pierre Janet, mais dansune perspective historique et culturelle. S'ilaccepte les phénomènes paranormauxobjectivés par la métapsychique au début duXX', il critique l'objectivisme et le naturalis­me qui, souvent, sous-tendent ses vues. Pourlui, les phénomènes en question ne sontjamais des structures invariables, qui se lais­seraient décrire comme des phénomènesphysiques ou chimiques, ce sont des produc­tions historiques et culturelles. D'où cetteidée surprenante, sur laquelle je reviendrai,d'une "nature historiquement conditionnée".

_ B. M. : Avant d'aller plus loin, ilnous faut préciser à l'intention des lec­teurs ce que l'on entend par ces"sciences psychiques" auxquelles vousfaites allusion, car il n'est pas évidentque cette expressÎon soit comprise detous aujourd'hui. Les sciences psy­chiques (de "anglais psychicol studies),ne désignent pas la psychologie cou­rante mais le programme de recherchede la métapsychique, bref ce que l'onappelle encore, mais de façon assezapproximative et dépréciée, la parasy­chologie. Cette précision suffit à mon­trer l'originalité et la singularité de ladémarche de martinienne dans l'an.thropologie haut de gamme. Un pen­seur marxiste qui proclame son intérêtpour la métapsychique, qui en faitmême un de ses outils, c'est sufflsam­ment rare pour être signalé!

_ S. M. : De Martino n'hésite pas, eneffet, à prendre en compte cette face du réel.Mais, j'y insiste, son originalité consiste sur­tout dans le fait qu'il cherche .â la penser

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dans une perspective résolument historiqueet cultu re Ile. tI privt légi e cette pe rspectivaalutôt que l'approche naturaliste, car elle luirerrnet d 'interpréter la modification desètats de conscience qui sous-tendent cen­tains phénomènes de type magico-religieux.En mettant ainsl l'accent sur, la dimensionhistorico-culturelle, il ne se limite pas auxaspects purement techniques autour des­quels s'est souvent polarisé le débat surl'hypnose, sur les états modifiés de conscien­ce, ou sur la dissociation de la personnalité.Ce qui lut permet de dégager la dimensionanthropologique générale de ces phéno­mènes. C'est ainsi par exemple, qu'il il forgéla notion essentielle de "dispositif rnythico­rituel", ou de "détour mythico-rituel", Unebonne partie de son œuvre consiste à'décri­re, à interroger et à conceptualiser ce "dispo­sitif", ce "détour", et à tenter de comprendrele rôle qu'y joue lE mimétisme, compris entant que technique psychique efficace. Il, estarrivé à la conclusion que le "mimétisme"opérant dans certains comportementsmythico-ritueis constitue un dispositif ayantpour fonction de permettre la résolution decertaines tensions d'ordre psychique et exis­tentiel. Par exempte, c'est la conclusion 'àlaquelle il arrive après avoir étudié le rite dela lamentation funéraire comme travail dedeuil, le tarentisme. la magie cérémonielle

paysanne et d'autres types d'institutions cul­turelles reposant sur la technique .de ladèhistortsation.

_ B. M. : Pouvez-vous me donner unexemple l

_ $. M. : Dans le cas du tarentisrne, leprocessus de dèhistorisacion consiste enl'occurrence à attribuer à un agent mythique(celui que la tradition ident iûe à la tarentulevénlmeuse) la cause de l'état dans lequel setrouvent certai ns individ us. Leurs symptômesse résument à un vécu d'assujettissement, oùdomine le sentiment d'être agi par quelquechose d'insaisissable. qui les plonge dans lastupeur catatonique ou dans un état d'agita­tion forcenée. Dans les deux cas, les sujetsvivent cette condition morbide comme unecondition où leur volonté, leur possibilité decontrôle et leur marge d'action sur cet état

" .passivement vecu se trouvent compromises.Or, le mythe de la tarentu le qui mord eternp o isonn e offre aux hommes et auxfemmes vivant dans des conditions de misè­re , de marginalité sociale, de répressionsexuelle (ou qui ont subi l'abandon ou la

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se résument à un vécu d'assujettissement, où..l__ ~_.- 1_ ......... _ .. i .....,.~.__ .... _: __ ........ _1_ ........

mort d'un être cher), un horizon symboliqued'arrêt, de figuration et de solution de cetétat critique. le symbolisme mythique de latarentule permet en effet d'exprimer ce qui,au niveau individuel, ne pourrait être expri­mé autrement par des populations analpha..bètes, socialement et cukurellement subal­ternes, non accoutumées à verbaliser leursétats intérieurs. En outre, cette 'transfigura­tion mythique de la crise a le pouvoir de ladèhistcriser, de la dé-réaliser en quelquesorte, en la transformant en une autre situa­tion sur laquelle on peut intervenir à traversle rite. Le processus de déhistorisation opèreen effet simultanément au niveau mythique etrituel. Au niveau mythique, elle consiste àramener [es moments négatifs vécus à unniveau stéréotypé, fixé d'avance, et il le réab­sorber ainsi dans un modèle symbolique tra­ditionnalisé. Au niveau rituel. la dèshistorisa­non consiste à soumettre l'act-on de la victi­me, pendant l'exorcisme, à des mouvementségalement stéréotypés, soustraits à toute ini·tiative individuelle : ceux de la danse exécu­tée selon une discipline rythmique et ges·tuelle précise. Par ce détour, qui consiste àextraire les situations critiques de l'histoire, àles projeter dans un régime d'existence pro­tégé où rien de nouveau ne peut arriver, etoù toute se passe selon un plan rigidementdéfini. les sujets réintègrent progressivement

leur existence historique, se font centresd'initiative et d'action individuelle. En somme,le dispositif rnythico-rituel semble favoriserl'évasion en dehors des situations concrèteset pénibles. mais, en réalité, il prépare laréadaptation à l'existence historieue.Dans la lamentation rituelle mise en œuvre àl'occasion d'un deuil, dans les régions ruralesde sud de l'Italie, la même logique de deshis­torisation de la crise est en jeu. De Martino amontré que la lamentation funèbre constitueune véritable "technique rituelle du pleurer",reposant sur une dissociation contrôlée de laprésence psychique unitaire. Par des tech­niques auto-hypnotiques précises, consistanten la répétition de modules expressifs et demélopées stéréotypées, une dualité psy­chique institutionnelle se met en place chezles pleureuses, qui leur permet de vivre tacrise sur un plan dissocié. Contre le risqued'une aliénation radicale, d'une "dèshistorisa­tion psychopathologique" suscitée par ledeuil, la dissociation rituelle semble offrirplusieurs avantages. En instaurant tout aulong du tr a itement ritualisé du deu i1 undouble régime d'existence psychique, le ritede la lamentation funèbre permet de distri-

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présence psychique unitaire . Par des tech-..";"1 ~I"'I.~ ........." _ ........,,1""\""'-,,,.... ;,., .........r 1""1. ... ,.;."..; p eae- r,...,n~ i~r~nt"

buer dans le temps le traitement de la crise ~

il permet de concentrer le travail du deuilsur un seul plan, celui de la "présence psy­chique des pleurs", alors que l'autre présencereste ancrée dans la réalité quotidienne sansperdre pied par rapport à elle.

_ B. M. : Quelles seraient les posi­tions respectives des trois concepts clefsque sont, chez De Martino, la "crise dela présence", le "dispositif mythico­rituel", et la "dêhistorisation" ?

_ S. M. : Le "dispositif mythico rituel"constitue l'outil culturel à travers lequel lesindividus comme les cultures affrontent lestensions lîées aux impondérables de "exis­tence. la "crise de la présence" est le risque, ,que le dispositif rnythico-rituel est censéparer, .cf'une régression vers l'indifférencié . 'psychique. Et la "déhisrorisation" est la tech-

, 1

nique employée par le disposluf rnythico-.rituel . Elle consiste à projeter 'es momentscritiques vers l'horizon intemporel du mythe,non pas, comme on le dit habituellement,pour fuir le présent, mais pour mieux le sur­monter. Il y a là une sorte de détour impli­quant une ruse subtile de la conscience avecelle-même, un processus qui échappe totale­ment à la conscience des acteurs.

_ B. M. : Mais revenons-en à vos tra­vaux. Quelle est votre contribution àce travail de redécouverte de la penséede De Martino 1

_ S. M. : En redécouvrant De Martino.les anthropologues ont aussi redécouvertson intérêt pour la métapsychique, avec, sansdoute un certain embarras, et même unembarras certain. Us ont oscillé entre deuxattitudes :soit passer sous silence cet intérêt"incorrect", soit, comme c'est le plus souventle cas, le considérer comme un péché de jeu­nesse, 11 faudrait distinguer je bon De Marti­no, (etui de La Terre du remords, et le Martinodu Monde magique, encore pris dans sesrêves de jeunesse. Dans ma postface auMonde magique, j'ai cherché à montrer qu'ilne s'agit nullement d'un péché de jeunesse.J'ai soutenu que toute l'interprétationdémartlnienne de la vie rnaglco-religieuse ­et plus particulièrement son interprétationde la logique mythico-rituelle qUI la sous­tend - est largement tributaire des hypo­thèses formulées dans Le Monde magique, quifut son premier livre. Ce sont en effet lesapports de la psychopathologie. celle, notam­ment, de Janet, et de la métapsychique, à monavis, qui ont permis à De Martino d'établir larelation, essentielle dans sa théorie, entre lernagisme, les états altérés de conscience et lephénomène des personnalités multiples . Bref,j'ai montré que la métapsychique n'est paschez 1ui un intérêt périphérique. mais qu'elleest au centre de sa pensée.

_ B. M. : Pour un historien des rell­glons ou pour un ethnologue, marxistequi est plus est, c'est là une démarchepeu orthodoxe. Qu'est-ce qui l'aamené à fran ch ir ce pas ?

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ment, de Janet. et de la métapsychique, à mon.. ,,· t~ ,., l ,i ......n~ n ......"..,;~ .;, no M":!r-r-i.., rv ~'hf''':!hl i .. l'li

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_ s. Mf! : Cette ouverture s'inscrit dansune phase parriculière de la. biographie intel­tectuelle de De Martino. A l'époque de larédaction. du Monde magique (c'est-à-dire audébut de la Seconde Guerre mondiale) il setrouve engagé dans un effort de médiationculturelle très hardi: 11 cherche à conjuguerla philosophie nèo-vlrallste professée parMax Scheler, Henri Bergson et Hans Driesch,avec l'idéalisme néo-hégélien. Or il n'est pasindifférent pour notre propos de savoir queDriesch et Bergson ont été activement enga­gés dans la réflexion sur la métapsychique,Bergson ayant même assumé la charge dePrésldent de la SPR anglaise en 1913.C'est chez Hegel lui-même que De Martinosemble avoir trouvé l'idée d'une convergencepossible entre le vitalisme et la phi1osophiede l'esprit qui sous-tend l'hlstoricisme italien.Pour Hegel, en effet, comme pour la plupartdes philosophes romantiques, l'esprit s'iden­tifie à un processus historique continu, mou­vant. en proie à des métamorphoses perma­nentes. Or, cette conception de l'esprit setrouve également défendue par les théori­ciens de la métapsychiqu e (W. j ames,F. Myers, C, Richet, H. Bergson, H. Driesch).Aux yeux de ces derniers, le psychismehumain n'est pas donné d'avance, il n'est passtructuré selon des formes et des fonctionsdéfinies Q priori. fi se présente au contrairecomme une réalité plastique, mouvante,bouillonnant-e. Les cadres culturels, chan­geant selon les lieux et les époques, ne fontqu'inhiber ou stimuler, en tes sculptant, sespotentlal ites ; ainsi, et cet exemple est de DeMartino lui-même, la télépathie. dans cer­taines cultures sibériennes. est encouragée etdéveloppée comme un moyen ordinaire decommunication à distance.

_ B. M. : À vous entendre, on rnesu-1 re la distance qui sépare l'ethnographe

de terrain qu'ont voulu retenir lesanthropologues français, et le théort­den audacieux que connaissent les Ita­liens.' Les enjeux de sa contructionthéorique dépassent l'ethnographie.

_ s. M. : De beaucoup. Ils supposentqu'une interpénétration profonde existeentre le psychisme individuel et les représen-

, tarions culturelles véhiculées justement parle mythe et le rite, qui orientent et façonnent

, 'les manifestations du psychisme lui-même.Dans une série d'articles publiés entre 1940et 1946, De Martino a établi un parallèleentre les conditions de nroduction de cer­entre les conditions de production de cer-tains pouvoirs parapsychiques dans les cul­tures dites "primitives" ou "archaïques" (oùde tels pouvoirs sont extrêmement cou­rants), et les conditions de production de cesmêmes phénomènes pa rapsych iq ues ensituation expérimentale, dans le monde occi­dental. Il a ai nsi montré que, dans les sociétés.archaïques. ces phénomènes sont portés par'la culture, tandis que dans la nôtre, ils devien­nent de plus en pius étrangers à la mentalitégenérale, d'où leur tendance à s'étioler peu àpeu, ou à perdre leur sens. En s'intéressantainsi à la métapsychique, De Martino avaitmoins l'intention d'affirmer de façon

péremptoire la réalité des phénomènes para­normaux, que de souligner ta dévalorisationet l'exclusion volontaire dont ils ont été l'ob­jet dans notre culture. Le refus de l'horizonIdèologique du magisme est pour De Marti­no un trait central de notre histoire culturel­le. Peu à peu, de façon implacable. la penseeoccidentale est devenue étanche au magisrne,et. en même temps, elle a façonné les struc­tures et les bornes de son propre psychisme.

_ B, M. : QueUe est la position de DeMartino vis-à-vis des anthropologuesde son époque?

_ $. M. : Il est en rupture avec les thèsesde l'école sociologique française, Pour Dur­kheim, Mauss, Meyerson, et même Lévy­Bruhl, ce sont les représentations socialesqui façonnent la psychologie individuelle. DeMartino affirme, lui. que les représentationsmagico-rellgieuses reflètent des états deconscience particuliers, suscités par desconditions historiques d'existence égalementparticulières, états accompagnés souventd'une expérience objective-empirique detype paranormal. Pour lui la nature, comme laréalité psychique, sont toujours "historique­ment conditionnées", en phase a....ec des étatsde conscience à géométrie variable. C'est làune de ses thèses les plus provocantes: quela réalité psychique soit historiquementconditionnée, c'est ce que l'on a déjà du malà admettre, si on va au fond des choses. Maisque \a réalité biologique ou physique puisseégalement être historiquement et culturelle­ment conditionnée. c'est encore plus trou­blant, encore plus difficile il admettre. Ainsi,dans les cultures où le magisme ethnologiqueest vivant, la marche SUi le feu est possibie,tout simplement parce que la réalité estconditionnée "localement" par la culture.Mais l'ethnologue occidental. qui vit dans unautre monde, va, lut, se brûler cruellement,comme cela s'est vu. De Martlno. on le voit,pousse jusqu'à la limite les paradoxes de sathèse.

_ B .. M. : L'idée me vient que, "der­rière" la pensée de De Martino, si l'onprend les choses à long terme, il y a lefonds culturel italien de la magie naeu­relie typique de ta Renaissance.

_ S. 'M .. : On peut effectivement voir leschoses. de cette manière. De Martino est aucarrefour de la magie naturelle, et des philo­soohies de l'histoire : l'Irnasinanon est unesophies de l'histoire : l'imagination est unepuissance capable de remodeler le réel, maisc'est la culture et l'histoire oui 'ui fournissentses formes.

_ B. M. : Maitre à penser de l'an­thropologie italienne, De Martino a étéignoré en France, ou, du moins, on a

.ignoré les faces les plus importantes deson œuvre. A quoi attribuez-vous cetteméconnaissance?

_ s. M. : En Italie, Le Monde magique, sonpremi er travail d'inspiration ethnologique,avait suscité de nombreuses ré~(""'~(')ns et

. . . ~, t u .

provoqué un débat intellectuel. Le destinfrançais de ce livre a été très différent, ettout à falt emblématique. Italie du Sud etMagie. et La Terre du remords, les deux autreslivres de l'auteur, ont été accueillis dans laplus prestigieuse collection de Gallimard, etont bénéficié de critiques élogieuses. Aucontraire, Le Monde magique a été publié (en1971) chez Marabout Université, et il es ttombé dans un abîme de silence. D'aprèsDaniel Fabre, qui a consacré récemment àDe Martino un long article dans L'Homme, cesilence serait dû à un épisode qui a suivi deprès la publication en français du 1ivre. En1966, la revue Esprit avait pub1ié le dernierentretien qu'un intellectuel italien, C. Cases,avait eu avec De Martino. alors gravementmalade, quelques jours avant sa mort Pen­dant cet entretien, De Martino s'exprima demanière assez critique à rencontre de Lévi­Strauss, qui, à l'époque, se trouvait au som­met de sa gloire. Selon Daniel Fabre, cetteinterview expliquerait la froide réception desintellectuels français à l'égard du penseuritalien.

_ B. M ~ : De Martino aurait ensomme commis un crime de lèse­majesté..•

• $. M.' : En quelque sorte. Mais je suispersuadee que la raison de cet oubli est plusprofonde. Le Monde magique, avec ses renvoisà la litterature métapsychiste et avec sa polé­mique antipositlviste, affichait une demarcheet une problématique en contraste radicalavec celtes de "anthropologie française; onpeut même dire que les préoccupations desintellectuels français étaient alors aux anti­podes de la démarche demartinienne. Lesethnologues, en particulier. ont préféré nspas se confronter avec ce texte ou, dans Ifmeilleur de cas, Us j'ont considéré commeune "erreur de jeunesse", J'ai cherché à mon,trer; dans ma postface, qu'il ne s'agit pas dltout d'un péché de [eunesse, et que toutel'interprétation demartinienne de la ViE

rnyrhico-rttuelle est largement tributaire de:hypothèses formulées dans Le Mondlmagique. Notamment les hypothèses sur 1;fonctionnalitè du symbolisme magic:o-religieux, que "auteur met en relation avec leétats altérés de conscience et le phéncmèn.·des personnahtés multiples.

_ B. M. : J'étais présent. eldécembre 1999, à une séance donné!sur De Martino il. l'Institut Îtalien d,sur De Martino il. l'Institut italien d,Culture. où votre postface a suscit.quelques vagues. Pouvez-vous nourésumer ce qui s'est passé 1

.. S. M. : " s'agit d'un épisode significatiA "occasion de la réédition du MendmagIque aux Empêcheurs. rai contacté 1directeur de l'Institut italien de Culture potlui proposer un débat sur De Martino. Ilaccepté le projet. Mais, quand il a prconnaissance du contenu de ma postface. ilcontacté la branche "épistémologiquemercorrecte" des études demartiniennes. Tant 1

,si bien qu'à la fin - muflerie significative -

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j'al été évincée du projet que j'avais moi­même promu! Pendant la séance, un histo­rien italien, Di Donato, est parvenu à parlerdu Monde magique sans mentionner la préoc­cupation centrale de De Martino pqur lamétapsychique. Ce qui a provoqué desremous dans le public. Ce ne serait qu'unepéripétie sans intérêt si elle ne témoignaitd'un grand embarras devant cet auteur et lesquestions qu'il soulève. Depuis, les tenants dela ligne "correcte" s'efforcent de montrerque le Monde magique n'a pas influencé lereste de l'œuvre. mais, ce faisant, ils passent àmon avis à côté de De Martino, le réduisent àun ethnographe quelconque.

_ B. M. ,: Quelles sont à vos yeux lesthèses de be Martino qui donnent leplus à penser à l'anthropologie et à laphilosophie, et les prospectives que seslivres ouvrent encore de nos jours ?'

_ S. M. : À la différence de nombreuxethnologues contemporains, jamais De Mar­tino n'a envisagé J'ethnologie comme l'étudeneutre et objective de réalités culturelleséloignées de nous dans le temps et dans l'es­pace, qui demeureraient au fond ètrangères.ànotre propre histoire culturelle. D'autrepart, bien qu'il se soit penché sur les concep­tions magiques des sociétés dites "primi­tives", ou sur celles des paysans du sud del'Italie, son véritable objet d'enquête n'ajamais été le magisme en lui-même. Il envisa­geait plutôt l'ethnologie comme la science durapport entre nous et les autres. Ce qui l'in­téressait au fond, c'est la relation de notreculture avec le magisme. Il voulait com­prendre l'écart qui s'est creusé, au niveau his­torique, culturel, existentiel et psychique,entre notre vision du monde et les culturesoù le magisme constitue une institution àpart entière. En somme, De Martino est undes rares anthropologues qui ait su mettreen pratique le principe, invoqué sans cessemais rarement observé, que l'anthropologien'est pas une simple curiosité érudite, mais lelieu d'un choc culturel qui nous oblige à pro­blèrnanser, à remettre en perspective lesassises sur lesquelles repose notre raison.D'ailleurs, son dernier ouvrage consacré authème des "apocalypses culturelles" confirmebien que les véritables enjeux de sarecherche concernent moins les bizarreriesmagiques des sauvages ou des paysans qu'uneconfrontation impitoyable de la culture occi­dentale savante avec les différentes formesde l'altérité (la folie, les civilisations extra­occidentales, les couches socioculturelleseuropéennes marginalisées, etc.].

_ B. M. : C'est dans cet ouvrage, jecrois, qu'il aborde le thème de la "findu monde", pris dans un sens trèslarge.

_ S. M. : Effectivement, il explore cethème dans différents contextes. Pour- lui, la

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"fin du monde" est la figuration culturelle del'effondrement de tout horizon de sens et detout repère permettant à l'homme de trans­former l'univers donné en un "monde"domestiqué. Les thèmes abordés sont trèsdivers: il étudie les délires obsessionnelsrépertoriés par la psychopathologie, maisaussi l'image de l'apocalypse, qui domine l'hé­ritage mythique du christianisme et dumarxisme, les mythologies mûlènaristes dutiers-monde de l'époque coloniale, ou enco­re qui traverse la poétique littéraire ou figu­rative du XX, siècle. Et tous ces thèmes sontparcourus et interrogés presque exclusive­ment dans un souci de clarification de soi.Les notes de travail destinées à aboutir il unouvrage accompli ont été publiées il titreposthume en 1977, suite il la mort de l'au­teur en 1965.Derrière la diversité des thèmes et desobjets abordés, De Martino poursuivait unprojet unitaire: il recherchait le mobileanthropologique commun à tous ces faits,persuadé qu'un problème unique les sous­tend. Sa théorie du sacré déborde les lec­tures courantes en sociologie, en anthropo­logie et en philosophie de la religion. OUVertil la psychologie, mais demeurant toujoursfidèle il l'interprétation culturelle et histo­rique des faits magtco-rellgteux, De Martino atenté de penser conjointement, pour inter­préter ces faits, le niveau du psychisme indivi­duel, et le conditionnement exercé par l'envi­ronnement historique et les modèles cultu­rels. Au moment où, en sciences socialescomme en sciences de la nature, le débatintellectuel. de plus en plus en plus ouvert ilune approche hollsre des dimensions cultu­relle, biologique et psychique, débouche surles concepts de "biotope", et de "dispositif",la démarche du philosophe italien apparaîtd'une singulière actualité.

_ B. M. : Pouvez-vous nous parler devotre enseignement à l'université deLausanne?

_ S. M. : Nous cherchons il relier ce quiest habituellement dissocié. Nous essayonsde comprendre l'articulation entre deuxdomaines; d'une part certaines formationshistoriee-religieuses particulières, localiséesdans un temps et dans un espace culturelsspécifiques, et caractértsèes par !'emploi detechniques extatiques; et d'autre part la phé­noménologie psychique liée aux états modi­fiés de la COnscience humaine (transe, dèdou,blement de la personnalité, états hypnotiquesvariés, eec.). Cet enseignement se situe évi­demment dans le prolongement des idées deDe Martino. Ces formations historlco-reh,gieuses (des mysticismes anciens aux cuitesde possession contemporains, du chamams­me au spiritisme, erc.) sont abordées dansune perspective comparative, délibérémentlaïque et SCientifique, susceptible de faire res­sortir leur originalité et leurs singularitésrespectives. _

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Pour en savoir plus,www.medspe.com

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