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Alors que l’Union européenne (UE) se préparait, par différentes réformes, à éviter ou à affronter une nouvelle crise financière, elle a dû faire face à une crise sanitaire majeure qui, à la différence de la crise déclenchée en 2007-2008, impacte directement l’ensemble de la société de chaque État de l’UE. Mais, comme il y a 12 ans, et pour des raisons différentes, l’UE est mal préparée pour faire face à une crise de cette ampleur. En effet, le traité de Lisbonne ne lui donne pas le pouvoir de mener une politique sanitaire commune. De ce fait, chaque État a pris les mesures qui lui semblaient les plus appropriées avec les moyens dont il disposait. Or, ces moyens se sont révélés largement insuffisants dans la plupart des pays. En effet, leurs politiques de délocalisation ont conduit à une dépendance forte des Européens par rapport aux pays extra- européens pour leur approvisionnement en matériel médical et en molécules. De plus, la gestion du secteur de la santé s’est traduite par des restrictions de personnel et des structures d’accueil dans les hôpitaux. Elle a surtout abouti à un ralentissement ou un arrêt depuis quelques années de la recherche fondamentale sur les N° 42 Été 2020 Université de Strasbourg : Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA) Éditorial – La gestion de la crise sanitaire européenne : faiblesses et espoirs Gilbert Koenig Sommaire Éditorial – La gestion de la crise sanitaire européenne : faiblesses et espoirs Gilbert Koenig..............................................................1 La réponse de la BCE face à la pandémie de Covid-19 Meixing Dai..................................................................5 Comment gérer le coût de la défense contre la pandémie ? Aristomène Varoudakis...............................................15 Les débats sur le projet de budget européen pluriannuel 2021-2027 reflets des divergences entre les États européens Gilbert Koenig............................................................25 Où en sont la taxation des entreprises numériques et la lutte contre l’évitement fiscal ? Damien Broussolle......................................................35

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Alors que l’Union européenne (UE) se préparait, par différentes réformes, à éviter ou à

affronter une nouvelle crise financière, elle a dû faire face à une crise sanitaire majeure qui, à

la différence de la crise déclenchée en 2007-2008, impacte directement l’ensemble de la

société de chaque État de l’UE. Mais, comme il y a

12 ans, et pour des raisons différentes, l’UE est mal

préparée pour faire face à une crise de cette

ampleur. En effet, le traité de Lisbonne ne lui

donne pas le pouvoir de mener une politique

sanitaire commune. De ce fait, chaque État a pris

les mesures qui lui semblaient les plus appropriées

avec les moyens dont il disposait. Or, ces moyens

se sont révélés largement insuffisants dans la

plupart des pays. En effet, leurs politiques de

délocalisation ont conduit à une dépendance forte

des Européens par rapport aux pays extra-

européens pour leur approvisionnement en matériel

médical et en molécules. De plus, la gestion du secteur de la santé s’est traduite par des

restrictions de personnel et des structures d’accueil dans les hôpitaux. Elle a surtout abouti à un

ralentissement ou un arrêt depuis quelques années de la recherche fondamentale sur les

N° 42

Été 2020 Université de Strasbourg : Bureau d’économie théorique et appliquée (BETA)

Éditorial – La gestion de la crise sanitaire européenne : faiblesses et espoirsGilbert Koenig

Sommaire

Éditorial – La gestion de la crise sanitaireeuropéenne : faiblesses et espoirs

Gilbert Koenig..............................................................1

La réponse de la BCE face à la pandémie deCovid-19

Meixing Dai..................................................................5

Comment gérer le coût de la défense contre lapandémie ?

Aristomène Varoudakis...............................................15

Les débats sur le projet de budget européenpluriannuel 2021-2027 reflets des divergencesentre les États européens

Gilbert Koenig............................................................25

Où en sont la taxation des entreprisesnumériques et la lutte contre l’évitement fiscal ?

Damien Broussolle......................................................35

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coronavirus faute de financement public comme le rappelle l’un des chercheurs

dans ce domaine1.

Du fait de l’insuffisance des moyens médicaux et des difficultés à

appréhender une telle crise et d’en évaluer les dangers, les États européens ont

d’abord traité cette crise d’une façon empirique avant d’adopter des mesures de

discipline sanitaire plus ou moins souples, accompagnées par des fermetures plus

ou moins complètes de leurs frontières à l’intérieur de l’UE. La sortie progressive

du confinement décidée en mai 2020 se fait également selon des modalités qui

diffèrent selon les pays et leurs moyens (tests, traçage).

La Commission européenne (CE) n’a pu influencer que faiblement ces

décisions, même si celles-ci allaient à l’encontre des principes européens, comme

celles portant sur la gestion des frontières intérieures. Cette impuissance renforce

l’évolution observée depuis la crise financière vers une influence croissante des

États et de leurs intérêts nationaux dans les décisions concernant l’UE.

Dans la période 2014-2020, l’UE disposait de peu de ressources budgétaires

pour soutenir directement l’activité économique européenne, car son budget

pluriannuel était faible et peu flexible. Tout en restant assez modestes, ces

ressources augmenteront sensiblement pour la période 2021-2027 si la proposition

de la CE d’intégrer le plan européen de relance dans le budget pluriannuel est

acceptée par le Conseil européen. La Banque centrale européenne s’est engagée à

soutenir ces mesures budgétaires en fournissant des liquidités importantes aux

banques pour leur permettre de continuer à distribuer des crédits.

La CE a fourni un soutien indirect à l’activité européenne en activant la

clause du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui permet aux membres de

l’UE de mettre la rigueur budgétaire entre parenthèses en cas d’événements

exceptionnels. Elle s’est également engagée à adopter un cadre juridique

temporaire qui permet aux pays européens de venir au secours de leurs banques et

de leurs entreprises.

La perspective d’une sortie de la crise sanitaire et économique suscite

beaucoup d’espoirs sur l’émergence d’un modèle économique et social différant

sensiblement de celui d’avant la crise. Certains de ces espoirs risquent toutefois

d’être déçus, car leur réalisation nécessite la mise en cause de certains dogmes qui

1 https://mrmondialisation.org/coronavirus-le-cri-de-colere-dun-chercheur-du-cnrs / .

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fondent le modèle actuel. C’est ainsi que la prise de conscience de l’efficacité du

personnel sanitaire dans le traitement des malades et du soutien financier de l’État

aux secteurs en difficultés a fait naître l’espoir d’un arrêt ou d’une inversion de

l’évolution vers ‘le moins d’État’ et d’une revalorisation des services rendus par

l’État dans l’intérêt général. Mais la satisfaction de cet espoir mettrait en cause un

dogme auquel ont adhéré les États dans leur grande majorité depuis son émergence

dans les années 1980. Dans cette optique, le rôle de l’État se limite à assurer le bon

fonctionnement des marchés. Ses interventions économiques et sociales sont

considérées comme inefficaces ou contre-productives. Elles peuvent cependant être

tolérées temporairement dans des cas exceptionnels, comme dans la crise sanitaire

actuelle. Lorsque la crise sera surmontée, cette tolérance temporaire devra sans doute

disparaître au nom du principe de la libre concurrence entre les pays européens,

comme cela a été le cas après la crise financière qui avait suscité un espoir analogue.

La fin du mythe de la mondialisation heureuse fait également l’objet d’espoirs.

Il ne s’agit pas de renoncer aux échanges internationaux, mais de rendre compatible

une certaine liberté des échanges avec des stratégies nationales qui écartent les biens

publics, comme la santé, des principes de fonctionnement des marchés et qui

assurent une indépendance nationale d’approvisionnement. La reconquête de cette

indépendance nécessitera notamment une relocalisation d’entreprises dans les

secteurs stratégiques et un freinage des délocalisations. Elle sera difficile et longue.

Elle nécessitera des changements structurels que les pouvoirs publics devront

soutenir par des aides et des mesures de protection qui risquent de se heurter à l’un

des principes de l’UE consistant à « encourager l'intégration de tous les pays dans

l'économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au

commerce international » (article 21 du traité sur l’UE).

On peut également espérer que les initiatives de la CE sur le PSC constituent le

signe de l’abandon du dogme budgétaire de l’UE. Or, la CE n’a pas aboli le PSC.

Elle a uniquement suspendu temporairement son application sur la base d’une clause

de ce pacte, comme elle l’a fait lors de la crise financière, avant de rétablir la rigueur

budgétaire et de la renforcer. L’abandon d’un tel dogme qui nécessiterait l’unanimité

des États membres de l’UE semble peu probable. L’engagement de respecter le PSC

constitue d’ailleurs une condition pour bénéficier des aides européennes.

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Enfin, l’observation de la baisse de la pollution atmosphérique due au

confinement a pu faire naître l’espoir d’une prise de conscience de l’impact des

activités humaines sur l’environnement et de la nécessité de changer les modes de

production et de consommation pour contribuer à éviter une crise climatique qu’il sera

beaucoup plus difficile à gérer que la crise actuelle. Mais là encore, il faudra mettre en

cause les fondements de la société de consommation et des modes de production

courants, comme ceux de la production agricole intensive.

Faute de pouvoir instaurer un modèle post-crise avec des fondements nouveaux,

on peut au moins espérer que des mesures seront prises pour corriger certaines

insuffisances du modèle actuel. Dans cette optique, l’adoption par le Conseil européen

de la proposition de la CE d’une mutualisation des dettes nationales permettrait de

raviver le principe européen de solidarité qui, bien que souvent bafoué, constitue un

fondement essentiel de l’action européenne. De même, l’acceptation du projet de la CE

d’instaurer des programmes européens sanitaires et écologiques encouragerait les États

à corriger les insuffisances de leur gestion de la crise sanitaire et à se préparer à

affronter la future crise climatique.

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La réponse de la BCE face à la pandémie de Covid-19

Meixing Dai*

Du fait de la forte contagiosité du nouveau coronavirus, de la difficulté à le détecter, d’untaux élevé de mortalité chez les personnes âgées contaminées, de l’absence d’un traitement ef-ficace et peu coûteux, et de l’indisponibilité dans l’immédiat des vaccins, la pandémie de Co-vid-19, a obligé les pays membres de la zone euro à adopter des mesures de confinement sansprécédent pour limiter la contagion et l’effondrement des systèmes de santé et pour sauverdes vies humaines. Ces mesures ont entraîné des conséquences économiques négatives trèsimportantes et incertaines qui appellent la Banque centrale européenne (BCE) à agir de façontrès agressive.

La pandémie de Covid-19 a induit des effetsnégatifs très importants à la fois sur l’offre et lademande globales dans les pays membres del’Union économique et monétaire (UEM) del’Union européenne (UE). Selon des prévisionsrécentes, le PIB des États membres de l’UEMpourrait chuter de 6 à 12 % selon le pays. Leseffets négatifs à court terme de cette pandémiepourraient devenir persistants car ilsendommagent gravement les bilans desentreprises de nombreux secteurs et desinstitutions financières et mettent beaucoupd’entre elles en grande difficulté. Lesgouvernements nationaux de l’UEM, qui ont faitun très grand effort pour soutenir les entreprisesprivées et pour compenser la perte de revenu destravailleurs, vont accuser d’importants déficitsbudgétaires et voir leur dette s’envoler à desniveaux nettement plus élevés. Des pays commel’Italie et l’Espagne pourraient être à nouveauconfrontés au risque d’une double crise de ladette souveraine et bancaire, car leurs dettes sontdéjà élevées avant la pandémie, alors qued’autres pays membres risqueraient fortement devoir leurs conditions de financement sedétériorer. Les marchés d’actions et de la dette dela zone euro s’effondrent en mars 2020 parcrainte que les réponses des politiquesbudgétaires et monétaires ne soient passuffisantes pour faire face aux gravesconséquences économiques négatives de lapandémie de Covid-19 et par peur d’unedétérioration plus importante de la situation.Dans ce contexte de grande instabilité financière,la BCE a un rôle très important à jouer pour

assurer des conditions de financement stablesaux États membres et aux entreprises privéesfinancières et non financières de la zone euro.

Les effets économiques de la pandémie

En réponse à la Covid-19, deux optionsopposées se présentent. La première consiste àlaisser se développer la pandémie et doncl’immunité collective1. Si cette option avait étéadoptée, beaucoup de personnes pouvant êtresauvées ne pourraient pas l’être à cause de lasurcharge du système de santé. Peu dedirigeants politiques peuvent porter laresponsabilité d’adopter une telle option quidébouche sur des conséquencescatastrophiques en termes de vies humainessimplement pour préserver quelques points depourcentage du PIB. De plus, il est incertainque l’absence de confinement officiel empêcheles effets négatifs importants de la pandémiesur l’économie. Beaucoup de personnesauraient tendance à pratiquer l’auto-confinement en s’interdisant d’aller dans deslieux à forte fréquentation. En l’absence de

1 Cette option a été initialement envisagée par legouvernement britannique mais finalement abandon-née suite aux critiques virulentes. La Suède continueavec cette option avec des conséquences indésirablessur le plan sanitaire, et des effets économiques moinsnégatifs à court terme mais incertains à moyen terme.Dans la zone euro, les Pays-Bas ont choisi dans unpremier temps l’option d’immunité collective mais l’aabandonnée par la suite en glissant progressivementvers un « confinement intelligent ».

* Université de Strasbourg, Université de Lorraine, CNRS, BETA, 67000 Strasbourg, France. Contact : BETA, 61 avenue

de la Forêt Noire, 67000 Strasbourg ; e-mail : [email protected].

Je remercie Gilbert Koenig et Phu Nguyen-Van pour leurs commentaires qui ont permis d’améliorer cet article. Bien évi -demment, en tant qu’auteur, je reste responsable des erreurs qui pourraient subsister

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mesures de contrôle vigoureuses, le nombre demalades atteints du coronavirus pourraitaugmenter de façon exponentielle, ce quiobligerait quand même beaucoup de secteurs àréduire fortement leurs activités par manque depersonnels et en raison d’une baisse de lademande pour les biens et services.

La deuxième option consiste à appliquer desmesures de confinement et vise à réduire lenombre de personnes atteintes de la Covid-19 àun niveau inférieur à celui que les systèmes desanté peuvent gérer sans grande difficultés. Cetteoption est pratiquée plus ou moins strictementdans les pays membres de la zone euro. Unconfinement très strict, mis en placesimultanément dans tous les pays du monde etscrupuleusement respecté par tous les citoyens,permet d’éliminer la pandémie en moins de deuxmois. En réalité, pour des raisons économiques,politiques, sociales voire culturelles, il estdifficile de coordonner les actions des différentspays et de contrôler les comportements de toutesles personnes concernées pour éradiquer lapandémie en un temps si court. Chaque paystente de faire le mieux possible selon ses propresconceptions et en fonction de ses propresmoyens, sachant que plus tôt les mesures sontadoptées, plus elles seront efficaces. A part lessecteurs liés à la santé et aux besoins essentiels,dont certains sont même favorisés par lapandémie, le confinement affecte trèsnégativement des pans entiers de l’économieavec certains secteurs quasiment à l’arrêt. Lesentreprises et les salariés de ces secteurssubissent des pertes de revenus très importantes,que les aides publiques et les allocations diversesne compensent que partiellement. Des entreprisesfinancièrement vulnérables peuvent faire failliteet d’autres vont voir leurs résultats et leurs bilansse dégrader fortement. La baisse de la demandeaurait des conséquences dramatiques pour lessecteurs fournissant des produits et services nonessentiels à la vie quotidienne. Ceci est vraimême quand les entreprises dans ces secteurspeuvent produire et vendre pendant la pandémie.Ce problème pourrait persister lors de la phase dedéconfinement si le coronavirus continue àcirculer dans la population.

A la mi-avril 2020, la France a révisé lacroissance du PIB en 2020 à –8 % et le déficitbudgétaire à 9 % du PIB, contre un taux decroissance de +1,1 % et un déficit budgétaire de2,2 % du PIB prévus fin 2019. Ces prévisionsdonnent une première idée de l’importance deseffets macro-économiques de ce choc sanitaire

mais sous-évaluent l’ampleur de la crise. Audébut juin, le gouvernement français réduit lacroissance prévue du PIB en 2020 à –11 % etélève le déficit budgétaire prévu à 11,4 % duPIB. La décroissance est presque aussi graveen Italie et en Espagne. Par contre, elle estsensiblement moindre en Allemagne dont lesystème de santé est performant et dans lespays de l’Europe centrale et orientale qui ontpris très tôt des mesures de confinementdrastiques. La baisse du PIB national cache unedistribution très inégale des pertes de revenusentre les différents acteurs économiques dansun pays. Les mesures compensatoires pourlimiter les impacts économiques de la Covid-19, à savoir apporter des aides financières pourmaintenir les entreprises à flot et accorder desaides aux ménages en difficulté, vont setraduire par un accroissement important etdurable de la dette publique de certains paysmembres de la zone euro. Les effets de ce chocpourront durer longtemps après la crise ducoronavirus. Ils deviendront persistants via uneforte dégradation des bilans des entreprises etdes banques et une hausse spectaculaire desdéficits budgétaires et des dettes publiques desgouvernements nationaux. Par ailleurs, bienque tous les pays membres soient touchés parla crise de Covid-19, ils sont toutefois affectéséconomiquement et financièrement de façonhétérogène. Ainsi, cette crise peut mettre enpéril la stabilité de la zone euro en accentuantfortement les déséquilibres macroéconomiquesdans certains pays membres.

Les facteurs susceptibles d’aggraver les risques macroéconomiques

Plusieurs facteurs pourraient aggraver le risqueéconomique et financier dans la zone euro suiteà la pandémie de Covid-19 et rendre les piresscénarios difficiles à cerner.

La baisse drastique des activités économiquesdans de nombreux secteurs peut entraîner unehausse des défaillances d’entreprises et unaccroissement du nombre de ménages nepouvant pas rembourser leurs crédits, causantainsi des pertes importantes aux banques. Il estdonc plus probable que certaines banques de lazone euro connaissent de grandes difficultésdans les prochains mois. Étant donnél’importance des banques dans l’économie, unetransmission des effets économiques de lapandémie vers le secteur bancaire pourrait

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induire l’instabilité financière et rendre larécession économique en cours plus sévère.

Ce risque est d’autant plus important que le cycled’expansion montrait déjà des signes de faiblesseavant la pandémie. La pandémie apparaît dans uncontexte où la croissance est soutenue par despolitiques monétaire et budgétaire extrêmementaccommodantes, qui ont porté la croissance duPIB au-dessus du potentiel à long terme dans uncertain nombre de pays industrialisés. En fait, lesmesures d’assouplissements quantitatifs mises enplace après la grande crise financière de 2008sont à peine levées. Les taux d’intérêt directeursest au plus bas dans la zone euro. Ils ne sont quefaiblement et prudemment relevés aux États-Unis. La marge de manœuvre de la politiquemonétaire n’est pas reconstituée par des haussessignificatives des taux d’intérêt comme dans lescycles précédents. La politique budgétaire trèsaccommodante a induit des déficits budgétairesélevés et des dettes publiques croissantes dansbeaucoup de pays industrialisés au cours des dixdernières années. De nombreux gouvernementsrenoncent à créer un espace budgétaire en vued’une politique de relance ou de soutien àl’économie en cas de crise économique etfinancière majeure. Dans la zone euro, quelquespays dont l’Allemagne et le Pays-Bas ont faitexception en dégageant des excédentsbudgétaires au cours des dernières années(Eurostat 2020).

La croissance après la grande crise financière de2008 dépendait aussi des effets de richesse et debilan positifs excessifs : la hausse exceptionnelledes cours boursiers depuis mars 2009 portée pardes politiques monétaire et budgétaireextrêmement accommodantes pousse lesménages à dépenser plus. Le retour de labalançoire peut apporter de très mauvaisessurprises aux économies qui manquent demoteurs de croissance. Le récent krach boursiersuite à l’aggravation de la situation sanitaire auniveau mondial est susceptible de réduiresignificativement la demande des ménages pourles biens et services et donc la croissance. Labaisse des prix d’actifs peut aussi impacternégativement des entreprises et des banques quipossèdent un montant important d’actifsfinanciers dans leurs bilans, serrant ainsi lescontraintes de financement de ces entités.

En partant du sommet d’un cycle d’expansionbasée sur l’endettement public et privé excessif,il est fort probable de voir certains emprunteurspublics et privés d’importance systémiquerencontrer des difficultés majeures suite à la

récession importante en cours. Une crisefinancière pourrait alors se déclencher etviendrait à son tour aggraver la récession. Parexemple, la chute vertigineuse du prix depétrole, qui est même tombé incroyablement àun niveau très négatif pour certains contrats àterme suite à la forte baisse de sa demande2,causerait de graves difficultés budgétaires pourles pays exportateurs du pétrole. Cette baissedu prix du pétrole pourrait aussi mettre àgenoux des entreprises qui l’extraient à coûtsélevés, notamment les producteurs du pétrolede schiste aux États-Unis, et donc desinstitutions financières qui les financent. Larécente évolution du prix du pétrole à elle seuleconstitue un important facteur pouvantdéclencher une crise financière internationale,qui à son tour peut impacter négativementl’économie de la zone euro.

La forte interdépendance des productions entreles différents pays constitue aussi un facteurmajeur aggravant les risques macro-économiques dans les pays largement ouvertsaux échanges extérieurs. Les pays membres dela zone euro sont généralement très ouverts auxéchanges entre eux et avec les pays du reste dumonde. Ce risque est amplifié du fait que laCovid-19 entraîne plus facile-ment desruptures importantes dans les chaînes deproduction et d’approvisionnement qui relientles entreprises réparties à travers le monde. Lesmesures de confinement mises en placeréduisent l’inter-connectivité entre les pays, cequi empêche le bon fonctionnement del’économie mondiale et aggrave la récession.L’économie de la zone euro souffreparticulièrement d’une inter-connectivité enforte baisse. Tant qu’on n’a pas trouvé detraitements et vaccins efficaces, la lutte contrele nouveau coronavirus ne s’arrêtera pas. Desmesures de confinement même allégées seronttoujours nécessaires s’il y a des pays ou desrégions où la pandémie persiste. Les mesuresde restriction du transport des marchandises etde la mobilité des personnes peuvent affecterdurablement l’économie mondiale et doncl’économie de la zone euro, et plus

2 L’expiration au mardi 21 avril 2020 du contrat pourlivraison en mai sur le marché à terme de New Yorks’est soldé par une chute du baril de pétrole de WTI(West Texas Intermediate) à –37,63 dollars. Lesacheteurs du pétrole à terme ne peuvent pas prendre lalivraison du fait de la saturation des capacités destockage et de l’effondrement de la demande desproduits pétroliers, et doivent baisser le prix pourdébarrasser leur pétrole acheté à terme.

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particulièrement certains secteurs qui dépendentfortement des services de transport et sontsusceptibles d’être le vecteur de diffusion ducoronavirus.

Par ailleurs, la crise sanitaire actuelle aggrave lesdifficultés budgétaires d’un certain nombred’États et pourrait causer la défaillance decertains parmi eux. Ces défaillances éventuellesaffecteront les secteurs financier et non-financierdu pays concerné, et éventuellement les marchésfinanciers internationaux s’il y a une forteparticipation étrangère au financement de l’Étatdéfaillant et du secteur financier national encrise. De telles crises, par effet de contagion,peuvent rendre l’ambiance sur les marchésfinanciers internationaux délétère, provoquer unefuite des investisseurs vers les actifs de qualité etdétériorer gravement la situation financièred’autres États dont le niveau d’endettement estdéjà élevé suite aux déficits budgétaires massifsentraînés par la pandémie de Covid-19. Dans lazone euro, l’Italie, le Portugal et l’Espagne parmid’autres sont confrontés à ce type de risque quipourrait déboucher sur une double crise bancaireet de la dette souveraine auto-réalisatrice.

Fondement théorique justifiant une réponse agressive de la BCE

Les anticipations pessimistes sur les marchésfinanciers pourraient entraîner l’économie del’UEM dans une spirale descendante quiaugmenterait sérieusement le risque d’éclatementde la zone euro. La BCE a un grand rôle à jouerpour stabiliser le marché financier. Elle doit êtreagressive dans ses actions en tenant compte despires scénarios possibles.

L’agressivité de la politique monétaire enréponse aux pires scénarios est soutenue par desétudes qui examinent comment la banquecentrale devrait agir lorsque les implications dela technique de contrôle robuste, dontl’application en macroéconomie est initiée parHansen et Sargent (2007), sont intégrées dans lesdécisions de politique monétaire (Giannoni 2002,Giannoni et Woodford 2002, Onatski et Stock2002, Giordani et Söderlind 2004, Leitemo etSöderström 2008, Dai et Spyromitros 2012,Gonzalez et Rodriguez 2013, Qin, Sidiropouloset Spyromitros 2013). Par ailleurs, si les agentsprivés forment des anticipations à l’aide d’unprocessus d’apprentissage adaptatif face à unesituation incertaine, la politique monétaire doitêtre encore plus agressive pour faire face aux

pires scénarios (André et Dai 2018). Or, vul’incertitude qui règne actuellement,l’apprentissage semble être une hypothèsecrédible pour décrire les comportements desagents économiques en matière de formationdes anticipations.

La BCE agit de façon agressive face aux piresscénarios en mettant en œuvre des mesurespolitiques qui amortissent plus radicalementque dans des circonstances normales les effetsde chocs négatifs exceptionnellementimportants sur l’économie de la zone euro tantdu côté de l’offre que du côté de la demande,évitant ainsi le mauvais équilibre auto-réalisateur redouté par les opérateurs desmarchés financiers.

La BCE est en fait très réactive depuis mars2020 et reste prête à faire tout ce qui estnécessaire pour calmer les inquiétudes sur lesmarchés financiers. La BCE vise d’une part lesecteur privé. Les premières mesures incluentla mise à disposition d’un montant jusqu’à3 000 milliards d’euros de liquidités par lebiais des opérations de refinancement de laBCE, y compris des prêts aux banques au tauxd’intérêt le plus bas jamais offert par la BCE(−0,75 %). D’autre part, la BCE vise le secteurpublic. Elle a notamment annoncé leProgramme d’achat d’urgence en cas depandémie (Pandemic Emergency PurchaseProgramme)3 d’un montant égal à 750milliards d’euros afin de stabiliser les marchésde la dette souveraine de la zone euro enévitant des écarts de taux croissants quecertains pays membres doivent supporter pourémettre leurs obligations par rapport aux tauxallemands suite à la pandémie. Les maturitésrésiduelles des actifs publics pouvant êtreachetés vont de 70 jours à 30 ans et 364 jours.Le 4 juin, la BCE a porté le programme d’achatà 1 350 milliards d’euros et a élargi lescatégories d’actifs à racheter, y compris lescréances émises par les entreprises non-financières. Notons que ces mesuress’accompagnent d’un assouplissement desratios réglementaires par les autorités desurveillance bancaire européennes, qui apermis de libérer un capital bancaire

3 Ce programme d’achat d’actifs n’est pas limité auxdettes publiques. Dans le cadre de ce programme, laBCE achètera une série d'actifs comprenant desobligations d’État, des titres émis par des institutionssupranationales européennes, des obligationsd'entreprises, des titres adossés à des actifs et desobligations sécurisées.

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supplémentaire estimé à 120 milliards d’euros,permettant ainsi de soutenir une capacitésupplémentaire de prêt considérable des banquesde la zone euro.

L’efficacité attendue de la politique monétaire

Les banques centrales visent principalement àstabiliser l’inflation et la production. Depuis lacrise financière globale de 2008, certainesbanques centrales s’octroient implicitement ouexplicitement une responsabilité en matière destabilité financière, ce qui se traduit pour ellespar un rôle significatif dans la surveillancemacro-prudentielle, une communication activeavec les opérateurs des marchés financiers, etmême la mise en œuvre des mesures de soutienen cas de forte baisse des prix d’actifs.

Les missions multiples des banques centralesrendent leur processus de décision encore pluscomplexe. Les politiques monétaires mises enplace depuis la crise financière globale de 2008et la crise de la zone euro de 2010-12 reflètent lecompromis entre ces trois préoccupations.

Avant l’actuelle crise sanitaire, les taux d’intérêtsfixés par les banques centrales dans les paysdéveloppés sont proches des niveauxhistoriquement bas alors que dans la zone euro,le taux d’intérêt sur les dépôts auprès de la BCEest même négatif. Une telle politique du tauxd’intérêt est un soutien important pour les prixd’actifs financiers et réels, faisant reposer unepart significative de la croissance sur les effets derichesse et de bilan positifs. Le fait que lesbanques centrales n’ont pas reconstitué desmarges de manœuvre suffisantes signifie qu’ellesne peuvent pas apporter un soutien massif à lacroissance dans une crise majeure où les effets dela pandémie de Covid-19 viennent s’ajouter à unrisque accru de récession cyclique après plus de10 ans d’expansion économique. Les quelquespetites baisses des taux d’intérêt par les banquescentrales depuis la crise sanitaire auront peud’impacts sur l’économie. Dans la zone euro,certaines banques, ne pouvant pas assez prêterpour diverses raisons, souffrent même des tauxnégatifs appliqués sur les réserves excédentairesdepuis un certain temps.

Les taux d’intérêt bas ont montré leur limite entant que stimulants de la croissance. Ce type depolitique opère une redistribution de richesseentre les emprunteurs et les épargnants.L’efficacité de la politique repose sur une

dépense accrue des emprunteurs et peut seréduire suite à un changement decomportement chez les épargnants. Cesderniers, au lieu de baisser leur épargne face àla baisse des taux, pourraient augmenter leureffort d’épargne pour atteindre un objectifd’épargne fixé initialement, annulant ainsi enpartie l’effet stimulant de la politique du tauxd’intérêt bas. De plus, la pandémie de Covid-19 pourrait inciter les ménages à épargnerdavantage et les entreprises à réduire leurendettement dans le futur. Il s’agit notammentde ceux qui ont durement éprouvé desdifficultés financières durant cette période decrise.

Malgré la marge de manœuvre faible au niveaude la politique des taux, les banques centralespeuvent toujours jouer un rôle important enmettant en place des mesures de politiquemonétaire non-conventionnelles, notammentl’achat massif d’emprunts publics et privés àdes maturités différentes et à des degrés derisques variés. Dans un contexte où des déficitsbudgétaires massifs doivent trouver dessources de financement, ces mesures non-conventionnelles permettent de réduire lestensions sur les marchés des dettes publiques etprivées. Cela évite une forte hausse généraliséedes taux d’intérêt et rend plus aisé lefinancement des États et des entreprisesprivées, réduisant ainsi le risque de crisesbancaire et de dette souveraine. Ce type derisque est particulièrement élevé dans la zoneeuro au vu de ses contraintes institutionnelles.

La politique monétaire ne pourrait pas êtreconsidérée comme la mesure miraculeuse poureffacer les impacts économiques négatifsgraves de cette crise sanitaire bien qu’elle aitune certaine efficacité lorsqu’il s’agitd’atténuer les effets néfastes de la pandémiesur l’économie et d’assurer la stabilitéfinancière en empêchant notammentl’apparition des cercles vicieux des criseséconomique et financière. En particulier, lapolitique monétaire ne pourrait pas compenserla baisse importante du revenu national qui estbien réelle. Une hausse de la quantité demonnaie via des crédits bancaires ne produitpas de richesse sauf dans certaines situations(Goldstein et Razin 2015) : celles qui sontcaractérisées par les contraintes de financementet de liquidités qui empêchent le compromisintertemporel optimal entre les consommationsprésente et future des ménages, et qui limitentla production et l’investissement des

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entreprises ; ou encore celles, plutôt rares, où lesmauvaises anticipations auto-réalisatrices ontconduit l’économie vers un mauvais équilibreavec des activités économiques anormalementbasses. Dans ces situations, une hausse de créditsà l’économie peut générer une croissancesupplémentaire sans inflation.

Face aux difficultés financières actuelles desentreprises, injecter simplement des liquiditésdans le système financier ne suffit ni pourendiguer la baisse des prix d’actifs ni poureffacer les effets de la crise sanitaire sur lesactivités économiques. Des mesures de politiquemonétaire peuvent être prises pour minimiser lerisque que ce choc sanitaire temporaire ait deseffets négatifs durables et importants surl’économie à moyen terme en causant desdéfaillances massives des entreprises et desdégâts importants aux bilans de celles quisurvivent. Il est impératif de prendre des mesuresspécifiques destinées aux entreprises qui étaienten bonne santé financière avant la crise sanitairepour préserver les chaînes de production et dedistribution des biens et services de sorte que cesentreprises puissent reprendre normalement leursactivités une fois le déconfinement est achevé.Ce faisant, on pourrait ainsi espérer une bonnereprise du marché du travail et une préservationdes pouvoirs d’achat des salariés dans l’après-crise sanitaire.

Par ailleurs, les banques centrales devraientprendre des mesures pour inciter les banques àaccorder des prêts supplémentaires auxentreprises qui en ont besoin et/ou reporter leremboursement des prêts existants. Bien que detelles mesures soient efficaces, elles ne peuventpas effacer complètement les effets de lapandémie sur les défaillances d’entreprises. Eneffet, cette pandémie, par ses effets importants etcomplexes sur l’économie, accroît les asymétriesd’information entre les banques et lesemprunteurs, ce qui pousse les banques à devenirplus prudentes dans leurs activités de crédit.Compte tenu des contraintes réglementaires etdes principes de gestion de risques, les banquesne peuvent pas prendre le risque d’accorder descrédits à des entreprises qui ont une probabilitéélevée de faire faillite dans les mois à venir.

Les contraintes économiques et institutionnelles pour la conduite de la politique monétaire dans l’UEM

Selon les statuts de la BCE, son objectifprioritaire est la stabilité des prix dans la zoneeuro. Elle ne peut soutenir la croissance que sil’inflation moyenne dans la zone euro estmaintenue sous contrôle. Depuis quelquesannées, la BCE est aussi chargée d’une missionmacro-prudentielle. La stabilité financière n’estpréoccupante pour la BCE que quand le risquede crise systémique menace la stabilité del’inflation et la croissance. Pour assurer sesmissions de stabilité financière, la BCE suit lesévolutions dans les secteurs bancaires de lazone euro et de l’UE dans son ensemble, ainsique dans d’autres secteurs financiers, dans uneoptique d’identifier les éventuellesvulnérabilités et de vérifier la résilience dusystème financier.

La BCE conduit la politique monétaire sousdes contraintes économiques etinstitutionnelles spécifiques. La constructionde l’UEM a réduit la résilience des paysmembres face aux chocs macro-financiersnégatifs en raison de l’abandon de lasouveraineté monétaire nationale. L’absenced’une union bancaire et d’une union fiscale etbudgétaire signifie que les États membresdoivent faire face seuls aux chocs économiqueset financiers majeurs qui affectent leurséconomies nationales. La mobilité insuffisantedes facteurs de production et le manque deflexibilité des marchés du travail nationauxsignifient que l’ajustement d’une économiesouffrant de chocs négatifs et asymétriquesmajeurs ne peut se faire sans grande difficulté.Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) estconçu pour limiter les déficits budgétaires afind’éviter l’aléa moral des États membres dansleur gestion de la politique budgétaire qui, sansaucun contrôle, peuvent obliger la BCE àmonétiser un jour la dette publique de certainsÉtats membres. Il existe un risque accrud’insolvabilité pour un État membre trèsendetté en raison de la clause de non-renflouement prévue par le traité deMaastricht4.

En attendant une avancée significative auniveau du fédéralisme budgétaire, le rôle de lapolitique budgétaire nationale est mêmerenforcé par l’abandon de la souveraineté

4 La clause de non-renflouement est l’un des principesde base définis dans le traité de Maastricht. L'article125 du traité sur le fonctionnement de l’UE a renduillégal le sauvetage d’un État membre par les autresdepuis sa version de 2007 (également connu sous lenom de traité de Lisbonne).

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monétaire. De plus, il y aurait des coûts élevés àsupporter par le budget national en cas de crisebancaire, car chaque État membre estresponsable de la régulation et de la supervisionbancaires et de la résolution des crises bancairesau niveau national. Il s’agit du coût direct d’unecrise bancaire nationale due à la recapitalisationdes banques ou à d’autres mesures de soutien, etdu coût indirect dû à la faiblesse des recettesfiscales pendant une période prolongée après unecrise bancaire.

La BCE est responsable de la conduite de lapolitique monétaire commune à tous les pays dela zone euro, indépendamment de toute autoritéeuropéenne et des gouvernements nationaux.Étant donné l’hétérogénéité des économies desÉtats membres, la politique commune pourraitêtre trop expansionniste pour certains pays ettrop restrictive pour d’autres. La politiquemonétaire commune pourrait avoir du mal àrépondre à la pandémie de Covid-19, qui est unchoc symétrique mais avec des conséquenceshétérogènes, si la contrainte sur les clés derépartition d’achats de titres publics des Étatsmembres n’est pas levée5. En outre, elle ne peutêtre correctement coordonnée avec les politiquesbudgétaires qui sont menées par lesgouvernements nationaux de manière souveraine.Or, cette souveraineté budgétaire est limitée parle PSC. Elle est aussi limitée par la clause denon-renflouement, qui stipule qu’un État membrene doit pas renflouer un autre financièrement,tandis que la BCE s’abstient de quasimentmonétiser les dettes des États membres en lesachetant sur le marché primaire.

Il existe une incompatibilité, mise en évidencepar la crise de la zone euro de 2010-12, entrel’indépendance de la BCE, la souverainetébudgétaire et la clause de non-renflouement6. Laclause de non-renflouement élimine les risquesmoraux, qui pourraient survenir lorsque lapromesse de renflouement de l’UEM incite unÉtat membre à augmenter sa dette souveraine.Un tel comportement détruirait tôt ou tard lesfondements de l’UEM. Par conséquent,l’imposition d’une telle clause permet en théoriede laisser la souveraineté sur la politique

5 Jusqu’à la crise de Covid-19, la BCE achète des dettespubliques des États membres en fonction de leur partdans le capital de la BCE. La crise actuelle a conduit laBCE à abandonner temporairement cette règle pourassurer une meilleure transmission de sa politiquemonétaire.6 Voir, parmi d’autres, Beck et Prinz (2012) qui discutenten détail cette trinité.

budgétaire aux États membres. Cependant, lapolitique budgétaire a tendance à tenir lapolitique monétaire en otage si les déficitsbudgétaires et la dette publique des Étatsmembres ne sont pas limités. Il existe unconflit entre les niveaux élevés et disparates dedette publique dans les États membres et unepolitique monétaire unique avec un objectifd’inflation relativement faible qui limite lapossibilité de réduire la valeur réelle de la dettepublique. De plus, comme les autoritésbudgétaires sont responsables du sauvetage desbanques nationales sous leur supervision, ilexiste une « boucle diabolique », selon laterminologie de Brunnermeier et al. (2011,2016), entre les difficultés financières d’un Étatmembre et la crise bancaire au niveau national.Cette boucle est d’autant plus susceptibled’apparaître quand le niveau de dette publiqueest élevé et une part importante des actifs aubilan des banques nationales est investie dansla dette publique nationale à risque.

Comme l’a montré la crise de la dettesouveraine dans la zone euro en 2010-12, laBCE ne pouvait pas refuser de jouer le rôle duprêteur en dernier ressort pour sauver les Étatsmembres surendettés au risque de briserl’UEM. Cela conduit à une perted’indépendance de la BCE. Le PSC et la clausede non-renflouement visent tous deux à rendrela zone euro stable. Le non-respect du PSCaugmente le risque de scission de la zone euro.En effet, dans la zone euro, les risques sur ladette souveraine sont différents selon les paysmembres et devraient se traduire par des tauxd’intérêt différents malgré la politiquemonétaire unique. Cela réduit l’efficacité dumécanisme de transmission monétaire dans lespays dont les gouvernements sont soumis à unrisque d’insolvabilité élevé. Brandissant desmenaces de sortie de la zone euro, ces payspeuvent exercer de fortes pressions sur l’UEMpour qu’elle renonce à la clause de non-renflouement et abandonne l’indépendance dela BCE. Or, sans cette indépendance, la BCErisque de ne pas être crédible et donc de voirl’efficacité de ses politiques s’amenuiser dansle futur.

Les contradictions évoquées ci-dessuspourraient être atténuées en réduisant lesambitions de chacun des trois objectifs. Entermes de politique monétaire, la BCE met enœuvre des mesures d’« assouplissementquantitatif » en achetant de grandes quantitésd’obligations souveraines pour protéger la zone

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euro contre les risques de déflation etd’éclatement. Sur le plan financier, le mécanismeeuropéen de stabilité (MES), mis en placependant la crise de la zone euro, fournit uneassistance financière aux États membressurendettés sur la base des conditions strictes etd’un niveau d’endettement soutenable. Enintroduisant le Pacte pour l’euro plus en 2011,l’UEM oblige les États membres à améliorer leurcompétitivité et leurs finances publiques par desréformes. Enfin, la création de l’union bancairepermet de rompre la « boucle diabolique » entrela crise de la dette souveraine et la crise bancaireau niveau d’un État membre. Il est à noter quel’achèvement d’une union bancaire européenneest entravé par des obstacles à la création d’unegarantie des dépôts unique, et que l’on ne sait pascomment les coûts de résolution seront répartis siun montant important de pertes reste non absorbéune fois le principe de sauvetage défini parl’union bancaire européenne est appliqué. Malgréces réformes, si les États membres ne renoncentpas à leur souveraineté budgétaire, il existetoujours un risque de crise pour l’UEM à longterme, ce qui implique soit que les Étatsmembres en difficulté quittent la zone euro, soitque des règles claires et strictes soient édictéespour encadrer les défaillances souveraines.

Ces diverses réformes ont permis à la zone eurod’être plus résiliente en cas de crise. Toutefois,les contraintes institutionnelles de l’UEMlimitent encore l’ampleur des réponses à courtterme face à la pandémie de cette échelle. Pourfaire face à la pandémie, la BCE atemporairement mis de côté les clés derépartition pour l’achat d’obligations publiques.Son audace doit s’accompagner des mesures depolitique budgétaire qui assouplissent lescontraintes financières sans imposer une austéritébudgétaire aux économies nationales durementtouchées par la crise. Ainsi, le MES n’est pas unoutil approprié car les conditionnalités qu’ilimpose découragent les États membres mêmedans un besoin urgent à demander lefinancement. Pour éviter l’impasse, laCommission européenne a proposé, le 27 mai2020, d’émettre une dette commune européennede 750 milliards d’euros, dont 500 milliardsd’euros sont utilisés pour subventionner les paysqui sont les plus touchés par la crise.

Partage des risques, largage d’argent par hélicoptère et monétisation de la dette publique

Étant donné l’urgence de la situationéconomique, il est tentant pour les décideurspolitiques et les économistes de pousser laBCE à faire un « largage d’argent parhélicoptère », ou de manière équivalente, àdistribuer une somme d’argent à chaqueménage, et/ou à financer des dépensespubliques supplémentaires par la créationmonétaire en réponse à la pandémie de Covid-19 (Gali 2020).

Ces mesures politiques sont réalisables dansune certaine mesure. Leur efficacité pourstimuler la croissance est limitée (Dai 2011).Même si elles sont efficaces, il y a un grandrisque qu’elles soient utilisées à mauvaisescient pour des raisons politiques. Leséconomistes s’accordent à dire qu’une banquecentrale crédible dispose d’un certain pouvoirpour créer des revenus de seigneuriage sansprovoquer une flambée de l’inflation. Dans lacrise actuelle, peu importe que ces revenus deseigneuriage soient versés aux ménages et auxentreprises ou qu’ils servent à financer lesdéficits budgétaires du gouvernement.Toutefois, il faut garder à l’esprit que lesrevenus de seigneuriage qui peuvent êtreobtenus ne sont pas si élevés dans de nombreuxpays, y compris la zone euro, et qu’un recoursexcessif à la création monétaire au-delà de lalimite supérieure de ce pouvoir est une sourced’inflation élevée et rend l’inflation difficile àcontrôler à l’avenir7. En outre, la banquecentrale peut perdre ce pouvoir si elle en abusede manière répétée, car les agents économiquespeuvent abandonner la monnaie nationale auprofit de monnaies étrangères et d’autres actifs.

La BCE n’a pas pour mandat de jouer un rôledans la redistribution des richesses. Le largaged’argent par hélicoptère ou la monétisation dela dette publique pourraient impliquer une telleredistribution, car tous les pays n’ont pas lemême besoin de soutien et ne reçoivent pas lamême aide de la BCE. La BCE peut créer de lamonnaie à partir de rien, mais les effetsinflationnistes de la création monétairepourraient affecter négativement la richessenationale des États membres qui reçoivent une

7 Par exemple, en 2016, la Fed a versé 92 milliards deses profits nets au gouvernement fédéral des États-Unis. Les profits nets de la BCE varient entre 10 et 30milliards d’euros sur la période 2002-2015 (Gros2016). Cette différence du niveau de revenu deseigneuriage entre les États-Unis et la zone euros’explique pour une bonne partie par le fait que lamonnaie américaine joue un rôle central dans lesystème monétaire mondial.

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part de la monnaie nouvellement créée moinsimportante que leur poids dans l’économie de lazone euro. Par conséquent, un soutien favorisantplus certains pays membres pourrait poser desproblèmes existentiels pour la zone euro. D’unepart, l’identité européenne est loin d’êtrepleinement réalisée, ce qui limite la solidaritéentre les peuples des différents États membres etla possibilité d’un transfert systématique decertains pays vers les autres. D’autre part,certains États sont plus susceptibles de générerdes déficits importants en raison de leursstructures politiques et institutionnelles alors qued’autres le sont moins. En effet, le soi-disant« partage de risque » cache la vérité que lepartage du risque dans la zone euro correspond àun transfert systématique de revenus de certainspays vers d’autres. Le principe de base dupartage des risques ne s’applique pas car pourque les pertes éventuelles soient partagées par lebiais de contrats d’assurance, elles doivent êtreprobables et non certaines. La BCE ne pourraitpas faire un travail de transfert de revenus sicertains pays membres refusaient de payer desmontants importants aux autres. En effet, lespays contributeurs nets considèrent qu’ils payentà fonds perdus alors qu’ils devraient obtenir desretombées financières espérées équitables si leprincipe de base du partage des risques étaitrespecté, alors que les pays bénéficiaires nets deces fonds pensent qu’ils reçoivent ce qui devraitleur revenir puisque les pays payeurs ontlargement profité de la construction de l’UEM.

Le largage d’argent par hélicoptère est en faiteffectué dans l’UEM par les gouvernementsnationaux qui apportent des aides financièreset/ou des garanties à grande échelle auxentreprises en difficulté et compensent les pertesde revenus des travailleurs qui sont enconfinement ou en chômage partiel.

Les dépenses publiques extraordinaires desgouvernements nationaux dans la zone euro fontcraindre une monétisation à grande échelle par laBCE. Ce point de vue n’est pas partagé parBlanchard et Pisani-Ferry (2020) qui considèrentque la BCE fait un assez bon travail et que lescraintes de monétisation ne sont pas fondées. LaBCE mettra à disposition 3 000 milliards d’eurosde liquidités par le biais des opérations derefinancement, y compris des facilités de prêt àdes taux d'intérêt négatifs, et mettra en œuvre leProgramme d’achat d’urgence en cas depandémie pour un montant qui s’élève à 1 350milliards d’euros. En recourant à ces mesuresexceptionnelles, la BCE n’a pas besoin de

procéder directement à un largage d’argent parhélicoptère ou à une monétisation de la dettedes gouvernements nationaux. Les mesures derelance actuelles de la BCE sont équivalentes àun largage d’argent par hélicoptère et à unemonétisation des déficits budgétaires desgouvernements nationaux tant que la BCE nefait pas d’opérations inverses. Comparées à unlargage d’argent par hélicoptère ou à unemonétisation de la dette publique, ces mesuresont l’avantage d’être réversibles et ne sontdonc pas inflationnistes lorsque la conjonctureest bien améliorée.

Conclusion

La BCE adopte une approche agressive dansses actions pour faire face aux importantesconséquences économiques négatives de lapandémie de Covid-19. L’ampleur desprogrammes est très impressionnante, même sielle est éclipsée par ceux mis en œuvre par laFED. La BCE est prête à adopter des mesuressupplémentaires dès qu’elle constatera que lesprogrammes et mesures existants ne sont passuffisants. Cependant, les contrainteséconomiques et institutionnelles existantes dela zone euro rendent les efforts de la BCE pluslaborieux et limitent la liberté de ses actions.Mais d’un autre côté, ces limites peuventrendre la BCE plus crédible et constituer unfilet de sécurité l’empêchant de s’engager surla voie d’une inflation élevée et incontrôlablequi serait préjudiciable à la croissanceéconomique à long terme et à la stabilité de lazone euro.

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Comment gérer le coût de la défense contre la pandémie ?

Aristomène Varoudakis*

L’Europe a réalisé des avancées dans le financement de la défense économique communecontre la pandémie, à travers l’accroissement des emprunts de la Commission européenne. Enmême temps, la zone euro a manqué une occasion de renforcer sa cohésion par l’émission dedette mutuelle. La question de la gestion du coût des mesures de soutien se posera à plus longterme et il faudra assurer la pérennité de la dette publique accrue. Un effort de consolidationbudgétaire deviendra nécessaire, car les solutions de type « monnaie hélicoptère »comporteraient des effets secondaires indésirables pour la santé financière, l’indépendance etla crédibilité de la banque centrale. L’effort fiscal devrait s’appuyer sur des impôts sans effetsnocifs sur la croissance, ce qui ne serait pas le cas d’une réintroduction de l’impôt sur lafortune. La taxe carbone pourrait revêtir un rôle important pour favoriser aussi une reprisequi atténuerait à plus long terme les risques climatiques. Toutefois, si l’hypothèse de« stagnation séculaire » est vérifiée, la politique budgétaire ne serait pas confrontée à unecontrainte de solvabilité trop forte en vertu des faibles niveaux des taux d’intérêt réels.

La pandémie est en train de dévaster l’économiemondiale. Tous les pays, en fonction de leursmarges budgétaires, ont pris des mesures pouramortir la récession entraînée par la pandémie1.Les déficits budgétaires se creusent. Le FMIprévoit un déficit de 7,5 % du PIB dans la zoneeuro en 2020 et de 15,4 % aux États-Unis (IMF2020). Le Pacte de stabilité et de croissance del’Union européenne (UE) a été suspendu, toutcomme les règles régissant les aides d'État.

Le coût élevé de la défense économique contrela pandémie soulève deux questions:

• Le financement des déficits, de manière àéviter une nouvelle crise de la dette commecelle subie par la zone euro en 2010-13.C’est, en somme, la question dufinancement à court terme de la défenseéconomique contre la pandémie.

• Les options pour gérer le coût de cettedéfense, qui confrontera les États à unnouveau « mur de la dette », comme dansles périodes d’après-guerre.

1 Les mesures comprennent: (a) des augmentations dedépenses et des réductions d’impôts, qui ont un coûtbudgétaire direct, et (b) un soutien à la liquidité,principalement des entreprises, avec des garanties deprêts bancaires, des prêts directs sur des fonds publics,ou des aides en capital. Les mesures d’amélioration de laliquidité peuvent avoir un coût indirect, dans la mesureoù les prêts ne sont pas recouvrés ou bien les garantieséchouent.

La première question a été prioritaire depuis ledébut de la pandémie, tandis que la seconde estdéjà débattue, mais avec moins d’ardeur, car ellese réfère aux options à considérer à plus longterme, lors du recul de la pandémie. S’il est horsde question de financer à court terme le coût parla fiscalité, sous peine d’aggraver la récession,cette question se posera inéluctablement sousune forme ou une autre à plus long terme.

La nécessité d’une ligne de défense commune en Europe

Dans l’UE, et en particulier dans la zone euro, ilest primordial, à la fois politiquement etéconomiquement, de mettre en place une lignede défense commune dans une pandémie quiaffecte tous de manière égale et dont aucun paysn’est responsable. Sur le plan politique, ladéfense commune favorise la cohésion des pays,qui est l’un des enjeux de l’intégrationéconomique européenne et de la zone euro. Siles mesures de soutien prises par chaque pays nedépendent que de son potentiel économique, nonseulement la cohésion ne sera pas maintenuemais les divergences seront élargies. Il est doncimportant que les États membres aient lapossibilité de mettre en place des mesures desoutien économique similaires, quelles quesoient leurs capacités financières.

* Université de Strasbourg, LaRGE, Institut d’études politiques, F-67000 Strasbourg, France.

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D’un point de vue économique, il est égalementimportant de maintenir des conditions deconcurrence dans le marché unique européen.Cet objectif est compromis lorsque seuls lespays économiquement solides ont les moyens desoutenir financièrement certains secteurséconomiques, tels que les compagnies aériennesou les banques. En somme, la solidarité et ladéfense commune doivent être des priorités dansl’action menée par les pays membres de l’UE.

Dans la zone euro, les défis varient d’un pays àl’autre suivant leur endettement et leurs margesbudgétaires. Des interventions ont éténécessaires dans deux directions pour la défensefinancière commune contre les effets de lapandémie:

• Interventions de la Banque centraleeuropéenne (BCE) pour éliminer lapossibilité d’une crise de la dette dans lespays surendettés, neutralisant dès le départles soi-disant « anticipations auto-réalisatrices » des marchés.

• La recherche de nouvelles ressourcesfinancières, à long terme et à moindre coût,pour répondre aux besoins de financementdes États membres de l’UE.

Les interventions critiques de la BCE

La BCE a annoncé en mars un nouveauprogramme d’achat de titres visant à maintenirles rendements des obligations d'État aussi basque possible. Le programme (PandemicEmergency Purchase Program - PEPP) a étéporté à 1 350 milliards d’euros au début juin. Ildurera au moins jusqu'en juin 2021. Il porteradavantage sur les pays dont les titres sont souspression sur le marché, à la différence des règlessuivies jusqu'à présent dans le cadre del’assouplissement quantitatif qui sont basées surles quotas des pays au capital de la BCE.

L’intervention de la BCE a réussi à atténuer lerisque de crise, en maintenant les rendements dela dette souveraine des pays de la périphérie dela zone euro à des niveaux très bas. Cependant,l’intervention a été éclipsée par la décision de laCour constitutionnelle allemande, qui a contestédébut mai le plus important des programmesd’achat de titres de la BCE (le Public SectorPurchase Programme - PSPP), représentant80 % du portefeuille total de titres détenus par laBCE dans le cadre de l’assouplissementquantitatif.

La Cour constitutionnelle a considéré que legouvernement allemand n’avait pas examiné sile programme de la BCE était compatible avecle principe de proportionnalité qui régit lestraités de l’UE. Selon ce principe, l’action desinstitutions de l’UE (et donc de la BCE) ne doitpas dépasser les limites nécessaires àl’accomplissement de leur mandat. La Cour ajugé que le programme d’achat de titres excèdele mandat de conduite de la politique monétairede la BCE2. La décision fait écho à l’opinion decertains cercles conservateurs allemandscraignant que les programmes d’assouplisse-ment quantitatif aient créé une liquiditéexcessive, incitant les gouvernements à ladépense sous l’effet des taux d’intérêt très bas.

La question de la dette conjointe

Mobiliser des sources de financementcommunes à faible coût a fait l’objet denégociations au sein de l’UE, mais aussi d’unevive controverse, dans la zone euro notamment,entre les pays dits du Sud et du Nord. Neuf paysde la zone du Sud ont proposé l’émissiond’obligations conjointes afin de lever à desconditions favorables les fonds nécessaires. Ladette conjointe est entendue comme uneresponsabilité indéfinie et solidaire (« joint andseveral liability ») des pays émetteurs.Juridiquement, les créanciers pourraient seretourner contre n’importe lequel des paysémetteurs pour obtenir le règlement del’ensemble des dettes en cas de besoin (si, parexemple un ou plusieurs pays sont en crise, nepouvant pas rembourser leur part de la dettemutuelle). Les rendements des obligationsconjointes seraient faibles, voire négatifs, car lesmarchés ne mettraient pas en cause la viabilitéd’une dette mutuelle pour laquelle tous les paysmembres de la zone euro sont des codébiteurssolidaires, contrairement à la dette nationale. Ladette mutuelle pourrait probablement avoir unelongue maturité, ce qui est difficile pourl’emprunt des pays surendettés.

Le fait que l’émission de dette mutuelle se feraitsur une base juridique de responsabilitéindéfinie et solidaire ne devrait pas exclure lapossibilité d’instaurer des règles sur l’utilisation

2 La Cour a décidé que la banque centrale allemande(Bundesbank) devrait quitter le programme, tout enliquidant plus de 500 milliards d’euros de titres achetéspour le compte de la BCE, si cette dernière ne prouvepas dans les trois mois que le programme est nécessaireet compatible avec les traités.

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et le remboursement des fonds empruntéesconjointement. Une option serait, par exemple,de prévoir l’utilisation et le remboursement desfonds proportionnellement à la taille deséconomies des pays, qui resteraient descodébiteurs solidaires. Les pays du Sudpourraient ainsi tirer parti de la meilleuresolvabilité des économies les plus robustes etmoins endettées du Nord (Varoudakis 2020a)3.

Les pays du Nord, notamment l’Allemagne etles Pays-Bas, ont rejeté cette solution, craignantque même l’émission temporaire d’une detteconjointe ouvrira la porte à sa perpétuation. Celaaffaiblirait les incitations à la discipline budgét-aire et pourrait transformer la zone euro en uneunion de paiements de transfert des États éco-nomiquement plus forts aux États plus faibles.

Mais cela n’a pas lieu de se produire si lesrègles de discipline budgétaire du Pacte destabilité et de croissance fonctionnentcorrectement. Il serait, par ailleurs, possible demettre en place des incitations à la disciplinebudgétaire sur la base des lois des marchés,atténuant « l’aléa moral » créé par la dettemutuelle. Une proposition dans ce sens concernele remboursement privilégié de la dette mutuelle(dette senior) et la sécurisation moindre de ladette nationale (dette junior) en cas de crise(Delpla et von Weizsacker 2010).

Les compromis sur les lignes de défensecommunes

Faute d’accord sur la dette conjointe, dessolutions de compromis ont été mises en placegraduellement et de manière relativementfragmentaire. Début avril, l’Eurogroupe estparvenu à un premier accord sur un montagefinancier commun de 540 milliards d’euros basésur trois piliers:

(a) Lignes de crédit du Mécanisme européen destabilité (ESM Pandemic Crisis Support),totalisant 240 milliards d’euros, disponiblesdans les États membres de la zone euro. Laseule condition pour leur octroi estl’engagement des États à utiliser lesressources pour financer le soutien direct etindirect des systèmes de santé face à lapandémie.

3 Un tel système n’impliquerait donc pas que les fondsempruntés mutuellement seraient utilisés par les pays quien ont besoin à cause de déficits chroniques, alors qu’ilsseraient remboursés par les pays les plus solides.

(b) Financement des entreprises touchées par lapandémie par la Banque européenned’investissement (BEI), par le biais d’unfonds de 25 milliards d’euros, dont lecapital sera garanti par les États membresde l’UE. Ces garanties seront utilisées parla BEI pour lever des fonds de 200milliards d’euros qui seront ensuite allouésaux entreprises des États membres.

(c) Prêts de la Commission européenne,disponibles dans tous les États membres del’UE, dans le cadre d’un mécanisme desoutien temporaire pour atténuer les risquesde chômage (Support to mitigateUnemployment Risks in an Emergency -SURE). La Commission européenneempruntera sur les marchés un montanttotal de 100 milliards d’euros, mobilisant25 milliards d’euros de capital garanti parles États membres de l’UE.

Ces mécanismes ont été complétés par lacréation d’un fonds de relance pour financer leredémarrage des économies après la pandémie.Le plan annoncé par la Commission fin mai, quisera débattu par les pays membres avant sonadoption, concerne l’emprunt par laCommission de 750 milliards d’euros pourcouvrir les besoins financiers des Étatsmembres, dont 500 milliards d’euros serontoctroyés sous forme de subventions et 250milliards d’euros sous forme de crédits. LaCommission européenne remboursera cesemprunts de 2028 à 2058, avec des ressourcespropres qui seront portées à 2 % du PIB del’UE. Les fonds seront alloués sur la base detrois piliers de programme, la priorité étantdonnée au soutien des pays les plus touchés. Leplus important des trois piliers est le Fonds derelance et de résilience, d’un montant de 560milliards d’euros, dont 310 milliards serontalloués par des subventions et le reste par desprêts.

Les financements appuieront les investissementset réformes des États membres sur la base desplans économiques et budgétaires passés enrevue au cours du semestre européen. Il estnotoire que l’un des piliers proposés finance unprogramme européen de prévention et de gestiondes crises sanitaires, ce qui constitue undomaine inédit de politique commune enEurope. Un accord sur le projet de laCommission n’est pas attendu avant juillet,comme la récente réunion du Conseil européen arévélé des divergences de vue entre les États.Celles-ci concernent : (a) l’enveloppe financière

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du fonds de relance qui est jugée par certainspays (notamment l’Autriche, le Danemark, lesPays-Bas et la Suède) excessive et (b) lapréférence par ces mêmes pays pour l’octroi deprêts plutôt que de subventions, sous conditionde mise en œuvre de reformes économiquesstructurelles.

Les emprunts de la Commission européennepour financer le fonds de relance sont souventconsidérés analogues à l’émission de detteconjointe. Il s’agit bien d’une dette commune,dans le sens où elle sera contractée par laCommission pour le compte de tous les paysmembres de l’UE4. Il y a, toutefois, deuxdifférences essentielles par rapport à la dettemutuelle telle que définie auparavant :

• Comme pour les emprunts précédents de laCommission, les pays se porteront garantsde la dette à la hauteur de leurs contributionsau budget communautaire qui servira pourson remboursement. Cette dette engageradonc la responsabilité indéfinie et conjointedes pays membres de l’UE, mais pas leurresponsabilité indéfinie et solidaire, commedans le cas d’une dette mutuelle.

• L’utilisation des fonds de l’UE sera soumiseà la surveillance mutuelle dans le cadre dusemestre européen, tandis que les fondslevés par le biais de la dette conjointeauraient pu être utilisés par les Étatsmembres de manière plus flexible, en dehorsde la surveillance mutuelle.

La « monnaie hélicoptère » et la question de la santé financière de la banque centrale

L’arsenal financier que nous venons d’examinerimplique des emprunts à faible coût, qui devrontêtre toutefois remboursés à l’avenir. Afind’éviter l’augmentation de la dette publique, une

4 La Commission européenne avait, pour la premièrefois, lancé un emprunt communautaire pour le comptedes pays membres en 1975, au lendemain du premierchoc pétrolier (Horn, Meyer et Trebesch 2020). Depuis,la Commission emprunte sur une base régulière sur lesmarchés des capitaux pour apporter du soutien financierà des pays tiers (dans le cadre de l’assistance macrofinancière) et des pays membres de l’UE n’appartenantpas à la zone euro au titre du soutien de la balance despaiements. Les fonds pour ces appuis financiers peuventêtre levés uniquement par l’emprunt et pas sur le budgetcommunautaire. L’encours de la dette de la Commission,dont la notation est AAA, s’élève actuellement à 52milliards d’euros.

proposition radicalement différente prône lefinancement par ce qu’il est convenu d’appeler« la monnaie hélicoptère », reprenant unemétaphore formulée par Milton Friedman en1969 (Kapoor et Buiter 2020, Gali 2020). Ilexiste deux façons principales de créer de « lamonnaie hélicoptère » :

(a) La banque centrale crédite les comptesprivés dans le système bancaire, afind’alimenter la demande, en remplacementdes transferts budgétaires mis en place dansla plupart des pays. Cependant, étant donnéque la crise économique due à la pandémiene résulte pas seulement d’une demandedéficitaire mais aussi de la réduction forcéede l’offre, cette solution ne seraitprobablement pas probante. Pour faire faceà la crise, l’État a besoin de ressources poursoutenir les entreprises et les secteurstouchés.

(b) Pour fournir les ressources nécessaires àl’État, la banque centrale inscrit une lignede crédit à son passif, qui pourrait êtreutilisée par l’État (les États des pays de lazone euro dans le cas de la BCE), pendantune certaine période et jusqu'à un certainmontant. Il s'agirait d’un financementmonétaire des déficits budgétaires, qui n’estactuellement pas permis dans la zone euro.

Il y a deux soucis majeurs concernant cesoptions. En premier lieu, la banque centraleserait transformée en un instrument definancement de l’État, soit en créant de lamonnaie pour remplacer des transfertsbudgétaires (cas a), soit en finançantdirectement les déficits budgétaires (cas b). Celarisquerait de mettre en doute son indépendance,et de nourrir probablement des anticipationsinflationnistes, ce qui se refléterait sur les tauxd’intérêt à long terme et les futurs coûtsd'emprunt privés et publics.

En second lieu, dans les deux cas, la banquecentrale subirait une perte en capital car sesactifs resteraient stables tandis que son passifaugmenterait. L’État actionnaire de la banquecentrale (les États membres de la zone euro dansle cas de la BCE) subirait donc des pertes encapital d’un même montant. La richesse nette dusecteur public consolidé (qui inclut l’État et labanque centrale) finirait par diminuer dumontant de la création monétaire opérée par labanque centrale (National Bank of Belgium2016).

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Ces pertes en capital auraient-elles desconséquences pour le fonctionnement de labanque centrale ? Les banques centrales despays en hyperinflation, notamment en Amériquelatine, ont connu des pertes massives en capital,mais il y a des banques centrales qui ont connudes pertes (Chili, Israël, Suisse) et ont réussi àmaintenir le cap sur la stabilité des prix. A ladifférence des banques commerciales, lesbanques centrales ne peuvent pas devenirdéfaillantes à long terme. La banque centralepeut progressivement couvrir ses pertes àtravers : (i) des revenus de « seigneuriage »5 et(ii) en suspendant les reversements de profitsnets à l’État. Le renflouement de la banquecentrale par l’État, par un transfert interne, seraitune solution de dernier ressort, mais aux dépensdes contribuables.

Les pertes que subirait la banque centrale nesoulèvent donc pas tellement un souci d’ordreéconomique mais plutôt politique, lié à lasauvegarde de son indépendance. La banquecentrale serait tributaire de l’État (donc, dusystème politique) pour son renflouement, ycompris pour parvenir à un accord concernant lasuspension ou la réduction des reversements deses profits à l’État (ECB 2004). L’effritement dela confiance du public dans l’indépendance de labanque centrale pourrait, à son tour, saper laconfiance dans la monnaie et nourrir desanticipations d’inflation.

Cela serait probablement aussi le cas si labanque centrale essayait de maintenir sonindépendance sans recevoir du soutien financierde l’État. Elle serait alors amenée à augmenterses revenus de « seigneuriage » en recourant à la« planche à billets », ce qui serait anticipé par lepublic, créant des anticipations inflationnistesauto-réalisatrices (Del Negro et Sims 2015). Parconséquent, la création de « monnaiehélicoptère » ne fonctionnerait guère comme unepanacée, comme le présentent parfois sesadeptes.

Les dilemmes à long terme posés par l’accroissement de la dette publique

La dette publique nationale seraexceptionnellement élevée à l’issue de la crise

5 Le revenu du « seigneuriage » provient de la monnaieémise par la banque centrale (l’équivalent d’environ 8 %du PIB dans la zone euro), qui n’est pas rémunérée, alorsque la banque centrale peut investir en contrepartie surdes actifs financiers (obligations d’État) rémunérateurs.

actuelle. Dans les économies avancées elleatteindra 122,4 % du PIB en 2020, contre105,2 % en 2019 (IMF 2020). La dette publiquedépassera de loin le niveau de la fin de laSeconde Guerre mondiale, en 1945, lorsqu’elleatteignait 90 % du PIB des économies alorsdéveloppées. Quant à la dette qui sera contractéepar la Commission européenne pour financer lefonds de relance, il faudra à long terme qu’ellesoit remboursée par des contributions accruesdes États au budget de l’UE.

Il faut remarquer d’emblée que la dette publiquenationale n’a pas vocation à être intégralementremboursée. Les États refinancent la dette quiarrive à échéance par de nouveaux emprunts, enveillant à ce que la dette reste soutenable, demanière à maintenir la confiance des marchéspour assurer son refinancement à un coûtmodéré. Cela n’implique pas pour autant que leniveau de la dette publique est sans importance.L’excédent budgétaire primaire que l’État doitdégager (et, donc, l’austérité budgétairenécessaire) pour assurer la soutenabilité de ladette est d’autant plus élevé que cette dette estélevée par rapport au PIB6. Le cas de la Grèce,qui est censée maintenir des excédents primairesélevés jusqu’en 2060, en témoigne. Uneaustérité persistante risquerait de freiner lacroissance, ce qui mettrait la soutenabilité de ladette en question.

Pour éviter une austérité persistante, il faudradonc réduire la dette par rapport au PIB et il y a,de manière générale, trois voies pour yparvenir :

• Le remboursement d’une partie de la dette, àtravers la fiscalité, qui est le principal outilde consolidation budgétaire.

• L’effacement d’une partie de la dette, àtravers des opérations de restructuration, quiréduiraient automatiquement son fardeau.

• La réduction graduelle du fardeau de la dettepar rapport au PIB par le biais d’une érosionde sa valeur réelle par l’inflation et avecl’aide de taux d’intérêt peu élevés.

6 Un certain niveau de dette est soutenable s’il peut êtrestabilisé par rapport au PIB, vu le taux de croissance, letaux d’intérêt et l’état des finances publiques (le soldebudgétaire), en évitant ainsi que la dette devienneexplosive. Si le taux d’intérêt réel est supérieur au tauxde croissance du PIB, un excédent budgétaire primaireest nécessaire pour payer une partie des intérêts sur ladette et contenir son augmentation par rapport au PIB. Ilfaut donc que les recettes fiscales dépassent les dépensespubliques sans compter les paiements d’intérêt sur ladette (voir Sidiropoulos et Varoudakis 2019).

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La consolidation budgétaire – faut-il envisager des taxes carbone ou un retour de l’impôt sur la fortune ?

L’équilibre des comptes de l’État devra êtrerestauré au fur et à mesure que la pandémiereculera, en retirant progressivement les mesuresde soutien mises en place pendant la crise. Cetteconsolidation budgétaire devra être graduelle,tenant compte du fait qu’un soutien continu seraprobablement nécessaire pour certains secteurs àcause des effets plus durables de la pandémie.La zone euro devrait éviter les erreurs commisesau lendemain de la crise financière mondiale, en2010-11, lorsque l’austérité budgétaireexcessive, imposée par les règles du Pacte destabilité et de croissance, a bridé la reprise etcontribué à une deuxième récession de l’activité(Barbier-Gauchard, Sidiropoulos et Varoudakis2018).

Pour aboutir à une réduction de la dettepublique, la consolidation budgétaire s’appuieraforcément à terme sur une augmentation de lafiscalité. Il sera souhaitable que cela repose surdes impôts peu nocifs pour la croissance,comme, par exemple, les taxes sur laconsommation ou les taxes foncières (OECD2020). Il serait aussi souhaitable qu’uneaugmentation de la fiscalité repose autant quepossible sur un élargissement des assiettesfiscales, plutôt que sur des augmentations destaux, à travers une évaluation systématique del’utilité des différentes exemptions fiscales etdes régimes fiscaux spéciaux.

L’utilisation plus répandue des taxes carboneserait également souhaitable. La consolidationbudgétaire pourrait ainsi s’appuyer davantagesur des recettes fiscales provenant des« pollueurs », et moins sur des taxes des revenusdu travail et du capital qui exercent desdistorsions sur les incitations et peuvent freinerla croissance (Burke, Fankhauser et Bowen2020). Il s’agit d’initiatives qui pourraient êtreenvisagées au niveau de l’UE, afin derembourser la dette commune contractée pour leFonds de relance et les autres instruments desoutien. Des taxes carbone plus ambitieusesseraient aussi nécessaires pour freinerl’intensification des risques climatiques enraison de la forte chute des prix descombustibles fossiles, entraînée par la crise, quirisque de promouvoir leur utilisation. Lereversement d’une partie des recettes de la taxe

carbone sous forme d’un dividende de carbone,en priorité aux plus démunis, offrirait unecompensation de l’alourdissement de la fiscalitéqu’impliquerait la consolidation budgétaire.

D’autres propositions ont une connotation pluspolitique, concernant notamment l’instaurationau niveau européen (la réintroduction dans lecas de la France) d’un impôt sur les grandesfortunes (Landais, Saez et Zucman 2020).Comme la pandémie a fonctionné comme un« accélérateur des inégalités », affectantdavantage les plus démunis, ne faudrait-il pasque son coût économique repose davantage surles nantis ? Même si l’argument a un certainattrait, il faut garder à l’esprit quel’augmentation de la fiscalité au lendemain de lapandémie, pour rétablir les équilibresbudgétaires, reposera naturellement sur lesrevenus les plus élevés. En France, les 2 % descontribuables qui déclarent plus de 100 000d’euros de revenu contribuent à hauteur de 40 %aux recettes de l’impôt sur le revenu (IR).

En Europe, l’impôt sur la fortune (IF) n’est envigueur actuellement qu’en Suisse, en Espagneet en Norvège, les autres pays l’ayant suppriméau cours des quinze dernières années. Il seraitpeu réaliste de considérer que sa réintroductionpourrait être envisagée au niveau européen,alors qu’il a été supprimé pour se prémunir de laconcurrence fiscale, mais aussi parce que sabase était souvent étroite ou arbitraire (excluant,par exemple, en France les œuvres d’art). L’IFpénalisait aussi de manière contre-productivel’épargne (actions et obligations) investie dansles entreprises. Selon des estimations, en France,l’IF a été l’un des facteurs favorisant « l’exilfiscal ». Depuis le « choc fiscal » de 2012 etjusqu’en 2016, ce phénomène a concerné 18838contribuables, représentant 2,5 % des 750 000ménages déclarant plus de 100 000 euros derevenu (Direction générale des financespubliques 2019).

L’érosion de l’assiette fiscale de l’IR, provoquéepar des phénomènes « d’exil fiscal », nuirait auxefforts de consolidation budgétaire et nefaciliterait pas le ciblage d’objectifs d’équité.Par ailleurs, comme l’IF réduit le rendement desinvestissements, il est susceptible d’exercer uneffet de freinage sur la croissance. Dessimulations effectuées avec un modèle CGE(Computable General Equilibrium) pourl’Allemagne démontrent qu’un IF uniforme de0,8 % pourrait réduire le PIB potentiel de cepays de 5 % à long terme (Fuest, Neumeier,Stimmelmayr et Stohlker 2018).

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Annuler ou « neutraliser » une partie de la dette ?

L’effacement d’une partie de la dette à travers sarestructuration — ce qui équivaudrait à undéfaut sur la dette — n’est pas une solutionattractive. Il implique des pertes pour lesdétenteurs privés de la dette (banques,investisseurs institutionnels, ménages) quipeuvent amorcer des crises financières majeures.Qu’en est-il, cependant, de la dette détenue parles banques centrales qui est en traind’augmenter en flèche suite aux programmesd’assouplissement quantitatif ? Serait-il possibled’alléger le fardeau de la dette sans coût, enannulant une partie, voire la totalité, de la dettedétenue par les banques centrales ?

Deux options sont avancées à cet égard : • La banque centrale achète de la dette

souveraine (comme dans le cadre desprogrammes d’assouplissement quantitatifde la BCE), créant ainsi de la monnaie, puisla dette est annulée unilatéralement par labanque centrale, dispensant ainsi l’État del’obligation de la rembourser (Collectif2020).

• Alternativement, une partie de la dette peutêtre « neutralisée », en la convertissant enobligations perpétuelles à taux zéro, quiseraient détenues par la banque centrale.

La Banque centrale subirait une perte en capitaldans le premier cas puisque ses actifs seraientréduits en raison de l’annulation de la dettepublique. C’est un cas similaire au cas (b) decréation de « monnaie hélicoptère » examinéauparavant. Dans le deuxième cas, il n'y a pas deperte en capital, mais la banque centrale subitune perte permanente de revenus d’intérêts, alorsqu'elle devra payer des intérêts sur les réservesbancaires lorsque les taux d’intérêtaugmenteront à l’avenir par rapport aux niveauxnégatifs auxquels ils se trouvent actuellement.

Comme on vient de le noter, le désavantagemajeur de telles solutions est qu’elles seraientdommageables pour l’indépendance et lacrédibilité de la banque centrale, etprobablement aussi pour la confiance dans lamonnaie qu’elle émet. La conversion d’unepartie de la dette détenue par la banque centraleen dette perpétuelle est une solutionpotentiellement moins nuisible mais inférieure àl’émission directe d’obligations perpétuellespour le financement des mesures de soutien

économique face à la pandémie. Cette option aété proposée par des économistes (Giavazzi etTabellini 2020), des financiers (Soros 2020) etreprise par le gouvernement espagnol commeinstrument de financement du fonds de relancemis en place par le Conseil européen (El Pais2020)7.Cette option n’a pas été retenue dans leschéma finalement proposé pour le fonds derelance.

L’érosion du fardeau de la dette par l’inflation et des faibles taux d’intérêt ?

La dette publique peut aussi être réduite enpourcentage du PIB si la croissance nominale(c.-à-d. la croissance du PIB réel augmentée dutaux d’inflation) est suffisamment supérieure autaux d’intérêt nominal. C’est essentiellement parcette voie que les pays victorieux ont réussi àréduire le fardeau de la dette après la deuxièmeguerre mondiale. En plus d’une inflationgénéralement élevée, la dette a pu être réduite àtravers un régime de « répression financière »,consistant à créer un marché captif faiblementrémunéré pour la dette publique, qui a prévaludans les économies avancées jusqu’au milieudes années 80 (Reinhart et Sbrancia 2015).Malgré la libéralisation financière à partir desannées 80, une croissance nominale du PIBsupérieure au taux d’intérêt nominal a été lanorme pour l’essentiel de la période de l’aprèsguerre aux États-Unis, facilitant la stabilisationde la dette publique à des niveaux modérés(Blanchard 2019).

Qu’en est-il des perspectives de croissance duPIB nominal, qui dépendent de la croissanceréelle et de l’inflation ? Malgré le rebond prévude l’activité économique en 2021-22, lacroissance du PIB potentiel est susceptible de setrouver durablement affaiblie au lendemain de lapandémie. Les mécanismes en œuvre concernentun ralentissement durable des gains deproductivité — à cause notamment d’un reculdes chaînes mondiales de valeur — unaffaiblissement de la formation du capital et unimpact éventuellement négatif del’augmentation persistante du chômage sur la

7 Les obligations perpétuelles (Consols) avaient étéutilisées par la Grande-Bretagne pour financer lesguerres napoléoniennes et la Première Guerre mondiale.Le coût des paiements d’intérêts annuels représenteraitprobablement un faible pourcentage du budget de l’UEet la demande serait forte de la part des investisseursinstitutionnels, en particulier des compagniesd’assurance.

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formation de capital humain (Varoudakis2020b).

Si la croissance réelle reste anémique, est-ilpossible que l’inflation surgisse, accélérant ainsila croissance nominale du PIB ? Étant donné laprofondeur de la récession, une résurgence del’inflation est peu probable, au moins à moyenterme. La récession a, par ailleurs, provoqué uneforte chute des prix de l’énergie et des matièrespremières, alors que le chômage élevé tempéreraprobablement les augmentations des coûtssalariaux. La différence entre le rendement desobligations souveraines à 10 ans et celui desobligations de même durée indexées surl’inflation constitue un bon indicateur desanticipations d’inflation à long terme. Aux États-Unis, cet écart se situait à la mi-juin 2020 à1,26 %, contre 2,13 % en juin 2018, indiquantun fléchissement des anticipations d’inflation.

Est-il possible que la forte création monétaire, àtravers les programmes d’assouplissementquantitatif, entraîne une hausse de l’inflation ?Depuis la crise financière mondiale, cesinjections monétaires n’ont guère pesé surl’inflation. Les liquidités abondantes sont plutôtdirigées vers les marchés financiers, entraînantdes hausses des cours boursiers et des prixobligataires, posant en même temps le risque debulles sur ces marchés. L’apparente déconnexionentre l’effondrement continu de l’activité réelleet l’euphorie des marchés boursiers, après lecrash initial au début de la pandémie, entémoigne (Artus 2020).

La faiblesse du taux d’inflation, malgré lesinjections monétaires massives depuis la crisefinancière mondiale, et les niveaux très faiblesdes taux d’intérêt nominaux et réels évoquent,comme explication possible, la thèse de« stagnation séculaire » (Summers 2016). Ledéclin des taux d’intérêt réels s’expliquerait parla conjonction d’un recul de la demanded’investissement et d’une surabondanced’épargne. La faiblesse de la demanded’investissement pourrait refléter la diminutionde la population en âge de travailler, qui réduit lecapital nécessaire dans la production, ou bien labaisse des prix relatifs des biens d’équipementen raison de la révolution des technologiesd’information. La surabondance d’épargne,quant à elle, pourrait refléter la distribution durevenu en faveur des couches plus aisées de lapopulation qui épargnent davantage, mais aussil’incertitude quant à la pérennité des systèmes deretraite par répartition étant donné le

vieillissement de la population et l’augmentationde la dette publique.

La baisse de l’investissement risque de seprolonger à cause des incertitudes ambiantes etde la baisse de la consommation qu’entraîne lapandémie. L’épargne des ménages risque aussid’augmenter à cause du chômage et del’incertitude causée par la pandémie. Une étude,couvrant les périodes historiques lors de 15pandémies depuis le 14e siècle, est parvenue àdes conclusions analogues à celles del’hypothèse de « stagnation séculaire ». Elle aétabli que les taux de rendement réels sont restésdéprimés à long terme (pendant environ 40 ans)au lendemain de ces pandémies (Jorda, Singh etTaylor 2020). Si ces tendances se vérifient, desexcédents budgétaires primaires plus faiblesseraient nécessaires pour stabiliser le ratio de ladette au PIB, grâce aux faibles niveaux des tauxd’intérêt réels. Il serait par ailleurs possible quele fardeau de la dette graduellement diminue sile taux de croissance est supérieur au tauxd’intérêt réel.

Conclusion

La zone euro a manqué une occasion d’avancerdans la voie d’une plus grande cohésion àtravers l’émission de dette conjointe pourfinancer la défense économique communecontre la pandémie. Le fonds de relance mis enplace, financé par des emprunts de laCommission européenne, est toutefois uneavancée considérable dans la voie de lasolidarité. Le fait qu'une grande partie desressources seront octroyées par le biais desubventions est très positif pour minimiserl’endettement des pays à court terme. Mais cesressources ne sont pas gratuites, car les paysdevront à long terme rembourser les empruntscommuns contractés par la Commission. Lesfinancements mis en place ne font, et à justetitre, que décaler dans le temps la question de lagestion du coût des mesures de soutien adoptées.Assurer la pérennité de la dette publique accrueimpliquera sans doute un effort fiscal qui devraits’appuyer sur des impôts moins nocifs pour lacroissance et sur un élargissement des assiettesfiscales. La taxe carbone pourrait revêtir un rôleimportant pour favoriser une reprise quiréduirait à long terme les risques climatiques. Enrevanche, une réintroduction de l’impôt sur lafortune est susceptible de s’avérer contre-productive. Si l’hypothèse de « stagnationséculaire » est vérifiée, la politique budgétaire

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pourrait être davantage utilisée par les États pourappuyer la reprise dans le temps, malgrél’augmentation de la dette entraînée par lesmesures de défense économique contre lapandémie.

Références bibliographiques :

Artus, P. (2020), « On ne voit plus de lien entrecroissance de l’offre de monnaie et inflation »,Le Monde, 30 avril 2020.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/30/patrick-artus-le-probleme-de-l-assurance-contre-la-perte-de-revenu-est-repousse-d-un-niveau_6038282_3232.html

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Les débats sur le projet de budget européen pluriannuel 2021-2027 reflets des divergences entre les États européens

Gilbert Koenig*

Le projet de budget européen pluriannuel 2021-2027 présenté par la Commission européennea fait l’objet de nombreux échanges, depuis 2018, entre des institutions européennes et denégociations intenses entre les États de l’Union. Le Conseil européen de février 2020 devaitmettre un terme à cette procédure en dégageant un accord unanime sur le budget qui auraitpu traduire un consensus sur les priorités à assigner aux politiques européennes. Or, ceConseil a surtout permis de faire le point des divergences existant entre les pays membres, cequi a conduit à une impasse. La proposition faite par la Commission européenne en mai 2020d’intégrer le plan européen de relance dans les négociations sur le budget pluriannuel permetd’élever les débats essentiellement fondés depuis 2018 sur des arguments comptables et menéssur la base des intérêts nationaux. En effet, ce projet introduit une vision de l’avenir del’Europe fondée sur la solidarité entre les États et sur la volonté de mettre en œuvredes mesures susceptibles d’éviter la future crise climatique ou au moins d’en atténuerles effets. Il risque cependant d’accroître les divergences entre les États européens etde rendre plus difficile l’obtention d’un accord unanime sur le budget pluriannuel.

Le cadre financier pluriannuel (CFP) qui estnégocié dans l’Union européenne (UE) depuis2018 constitue un budget européen de sept anscouvrant la période 2021-2027. Les budgetseuropéens établis chaque année au cours decette période doivent s’y conformer. Unepremière version de ce cadre a été soumise, enmai 2018, par la Commission européenne (CE)au Conseil de l’UE sous la forme d’unrèglement. Après plusieurs semaines dediscussions au sein de ce Conseil et d’échangesentre cette institution, la CE et le Conseileuropéen1, le président du Conseil de l’UE aproposé en décembre 2019 un cadre denégociations assorti de chiffres. A la suite decette proposition, les dirigeants des pays del’UE ont chargé le président du Conseileuropéen de faire avancer les négociations envue de parvenir à un accord final. Un Conseileuropéen extraordinaire a été convoqué pour le20 février 2020 dans l’espoir d’un accordunanime qui permettra d’enclencher leprocessus d’adoption du CFP. En effet, sur cette

1 Bien que le Conseil européen n’ait pas decompétences législatives, il intervient d’une façonimportante dans les négociations en se fondant surl’article 15 du traité sur l’UE qui lui confie le rôle dedéfinir pour l’UE « les orientations et les prioritéspolitiques générales ».

base, le Conseil de l’UE pourra élaborer uneversion amendée du projet de la CE qu’il devraadopter à l’unanimité de ses membres. Mais cetexte ne sera applicable dans l’UE que si leParlement européen (PE) n’utilise pas son droitde veto et l’accepte à la majorité de sesmembres sans l’amender.

Après une période de négociations de deux ans,on pouvait espérer que les discussions au seindu Conseil européen extraordinairepermettraient de faire émerger un consensusentre les dirigeants des pays de l’UE sur lespriorités et les objectifs à assigner auxpolitiques européennes, ainsi qu’une visioncommune du projet européen et descontributions des États membres à saréalisation. Or, ce Conseil a surtout permis defaire le point des divergences existant entre lespays membres. De ce fait, les négociations ontabouti à une impasse. Ces divergences risquentd’être amplifiées par la proposition de la CEd’intégrer son plan européen de relance présentéle 27 mai 2020 dans le budget européenpluriannuel 2021-2027. Ce ne sera que lorsqueces divergences seront aplanies que l’on pourraévaluer les ambitions des États de faire avancerle projet européen.

L’article porte, dans les trois premières sections,sur les divergences qui se sont manifestées entre

* Université de Strasbourg, Université de Lorraine, CNRS, BETA, 67000, Strasbourg, France.

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les États au cours des négociations menées surle budget pluriannuel 2021-2027 avant etpendant le Conseil européen extraordinaire du20 février 2020. Ces divergences concernentl’importance du budget pluriannuel, le montantdes contributions des États ainsi que la nature etle montant des dépenses dont les contributeurspeuvent bénéficier en retour. La quatrièmesection expose les incidences de l’intégration duplan européen de relance dans le budgetpluriannuel 2021-2027 et envisage les nouvellesdivergences que risque de susciter cetteintégration entre les États.

1. Les divergences sur le volume du budget pluriannuel

Les propositions portant sur la dimension dubudget pluriannuel avant l’intégration du planeuropéen de relance (Tableau 1) traduisent desdivergences assez importantes entre lesinstitutions européennes qui défendent lesintérêts des États et celles qui représentent lesintérêts de l’UE. A ces divergences s’ajoutentcelles des intérêts nationaux que révèlent lesnégociations au sein du Conseil européen et duConseil de l’UE.

La CE qui tente de concilier les intérêts de l’UEet ceux des États membres propose un CFP dontle montant, exprimé sur la base des prix de 2018et correspondant à des crédits d’engagement2,s’élève à 1 135 milliards d’euros pour 7 ans. Cemontant représente 1,11 % du Revenu NationalBrut (RNB) de l’UE formée par 27 pays (UE-

2 Les crédits d’engagement correspondent aux sommesque l’UE s’engage à allouer à certains projets ou àcertaines opérations au cours de l'année del’engagement ou plus tard. Tandis que les crédits depaiement correspondent aux sommes que l’UE envisageeffectivement de dépenser au cours de l’année, ycompris pour des engagements prévus les annéesprécédentes. Ils représentent 1 105 milliards d’eurosdans le projet du CFP de la CE.

27). Il est en hausse de 4,9 % par rapport auCFP « virtuel » de 2014-2020 (Encadré 1).

Le PE, qui tient sa légitimité des électionseuropéennes au suffrage universel et qui défendles intérêts de l’UE, propose d’amender le projet

de la CE dans sonrapportintermédiaire établisur la base d’unerésolution denovembre 2018. Ildemande notammentque le montant dubudget de 7 anss’élève à 1 324milliards d’euros auprix de 2018, ce quireprésente 1,3 % duRNB de l’UE-27.

Cela correspond à une hausse de 22 % parrapport au CFP « virtuel » de la période 2014-2020 et à une augmentation de 16 % par rapportau budget proposé par la CE. Il s’agit pour le PEd’utiliser cette hausse en grande partie pourpermettre à l’UE de mener une politique plusambitieuse sans sacrifier les politiques actuelles.

L’analyse du projet de la CE par le Conseil del’UE, dont les membres représententessentiellement les intérêts de leurs pays et netiennent leur légitimité que de leurs instancesnationales, a suscité de nombreux débats en sonsein et des échanges avec le Conseil européen.Après ces discussions, la présidence tournante

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Encadré 1 : Définition du CFP « virtuel »2014-2020

Afin d’évaluer la variation du montant du CFPde 2021-2027 par rapport à celui du CFP de2014-2020, le service de recherche du PE arendu comparable ces deux montants. Pourcela, ses chercheurs ont défini un montant« virtuel » du CFP de 2014-2020 en l’exprimentsur la base des prix de 2018 comme le CFP de2021-2027, en déduisant les conséquencesfinancières du Brexit (UE-27) et en introduisantles ressources du Fond européen dedéveloppement (FED) qui est désormais inclusdans le CFP de 2021-2027. On obtient ainsi unCFP « virtuel » de 2014-2020 (CFP1 pour UE-27 + FED) de 1 082 milliards d’euros (1,16 %du RNB de l’UE-27) qui peut être comparé auCFP de 2021-2027 (CFP2 pour UE-27).

Source : M. Parry et M. Sapała (2018).

Tableau 1 : Les propositions des institutions européennes sur la dimension du budgetpluriannuel 2021-2027

Institutions européennes

CFP2 en milliardsd’euros

(prix de 2018)

CFP2 enpourcentage du

RNB de l’UE-27

CFP2 − CFP1

CFP1

Commission européenne 1 135 1,11 % 0,049Parlement européen 1 324 1,30 % 0,184Conseil de l’UE 1 087 1,07 % 0,005

Source : M. Parry et M. Sapała (2018). Note : CFP1 : cadre financier pluriannuel « virtuel » de l’UE-27 pour 2014-2020 ; CFP2 :

cadre financier pluriannuel de l’UE-27 pour 2021-2027.

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du Conseil de l’UE a enfin proposé un CFPchiffré. Ce texte prévoit un budget pluriannuelde 1 087 milliards d’euros représentant 1,07 %du RNB de l’UE-27. Ce budget, qui estnettement plus faible que ceux proposés par laCE et le PE, est d’un montant légèrementsupérieur au budget virtuel de la période 2014-2020.

En février 2020, Charles Michel, le président duConseil européen propose à ses membresd’adopter un budget pluriannuel correspondantà celui proposé par la présidence tournante duConseil de l’UE. En effectuant cetterecommandation, il a probablement considéréque la proposition du président du Conseil del’UE avait été approuvée, au moinsimplicitement, à l’unanimité des membres decette institution qui représente, comme leConseil européen, les intérêts des États. Or, lesmembres du Conseil européen ont nonseulement repoussé le volume du CFP proposépar le Parlement européen considéré commeexcessif par rapport à l’effort de financementqu’ils sont disposés à faire, mais ils n’ont pasnon plus adopté à l’unanimité la proposition deleur Président.

Les débats au sein du Conseil européensemblent avoir tourné autour de trois catégoriesde propositions. L’une préconise un CFP del’UE-27 pour 2021-2027 plus faible que celuide la période précédente. En effet, les partisansde cette proposition considèrent que la réductionde la dimension de l’UE résultant du Brexitdevrait s’accompagner de celle du budgeteuropéen pluriannuel. A l’opposé de cetteproposition, les pays qui bénéficient des fondsde cohésion sont favorables à la hausse dubudget pluriannuel proposée par la CE et le PE.Ces deux propositions ne semblent pas pouvoirfaire l’objet d’un accord unanime. La troisièmeproposition émane des contributeurs les plusimportants au financement du budget quipréfèrent s’en tenir au budget des sept annéesprécédentes. Le montant de ce budget devraitdonc être un peu inférieur à celui proposé par leprésident du Conseil de l’UE et correspondre àpeu près à 1 % du RNB de l’UE-27. Cetteproposition traduit une volonté de ne pas tropdiminuer le montant du CFP par rapport à celuide la période précédente, malgré la baisse descontributions résultant du Brexit. Mais lemontant du budget européen annuel qui seracompatible avec un CFP de 1 % du RNB est trèsmodeste par rapport à celui des espaceséconomiques de même importance, ce qui limite

la capacité de l’Europe de faire face auxnouveaux défis.

2. Les divergences sur le financement du budget pluriannuel

Le financement du budget pluriannuel comportedeux catégories de sources :

• les versements des États membres de l’UEissus de leurs budgets nationaux respectifset correspondant à des prélèvements surleurs RNB. Ces versements généralementappelés contributions RNB représentaientenviron 70 % du financement total dans leCFP de la période 2014-2020.

• les ressources propres de l’UE.

La répartition des contributions RNB entre lesÉtats dépend de leurs poids économiquesrespectifs, ce que certains États ont mis en causedans le passé afin d’obtenir des rabais sur leurscontributions. Mais les divergences actuellesportent essentiellement sur le retour que chaqueÉtat espère obtenir de l’UE en contrepartie de sacontribution. Elles pourraient être atténuées parla création de nouvelles ressources propres del’UE. Mais la nature de ces nouvelles ressourcesne fait pas non plus l’unanimité des États.

2.1 Les contributions et les bénéfices nets des États

D’une part, chaque État verse au budget de l’UEsa contribution RNB. Il s’y ajoute les ressourcescommunes propres de l’UE qu’il a collectéessur son territoire pour le compte de l’Union,ainsi qu’une participation basée sur la TVA.D’autre part, chaque État bénéficie des dépensesbudgétaires effectuées par l’UE dans sonterritoire. La différence entre ce qu’il verse aubudget et ce qu’il en perçoit constitue un soldebudgétaire national net.

Les intérêts des pays de l’UE diffèrent les unsdes autres selon que leur solde net est positif ounégatif. Les débats que suscitent cesdivergences se placent dans une optiqueessentiellement comptable et se fondent sur lanotion de « juste retour ».

Les divergences entre les intérêts nationaux

Les pays les plus riches versent plus au budgeteuropéen qu’ils en perçoivent sous la forme dedépenses de l’UE. Ils constituent des

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contributeurs nets. Les pays dont lescontributions sont inférieures à ce qu’ilsperçoivent du budget sont des bénéficiaires nets.Les objectifs de ces deux ensembles de paysdivergent dans la mesure où les uns aimeraientminimiser leurs contributions nettes et les autresdésireraient maximiser leurs bénéfices nets. Lesdivergences entre les États résultentessentiellement des intérêts nationaux défenduspar trois groupes de pays :• un groupe de pays formé par l’Autriche, le

Danemark, les Pays-Bas et la Suède etsoutenu par l’Allemagne. Il fournissait plusde la moitié des contributions nettes totalesen 2018. Ces pays se caractérisent par unegestion budgétaire particulièrementrigoureuse qu’ils veulent imposer aux autrespays. De ce fait, ils sont considérés commeformant le club des « pays frugaux » (frugalfive) (Massaux 2020).

• un second groupe composé par des pays del’est et du sud de l’UE. Ils sont desbénéficiaires nets et dépendent beaucoup desFonds de cohésion. De ce fait, ils sontconsidérés comme formant le clubdes « amis de la cohésion ».

• un troisième groupe formant les « amis de lapolitique agricole commune (PAC) ». Il estsoutenu par la France qui est un contributeurnet, mais qui bénéficie d’une grande partiedes dépenses de la PAC.

Chaque groupe a ses priorités. C’est ainsique certains contributeurs nets, notamment« les pays frugaux » contestent l’importancede la PAC qu’ils considèrent comme lasource essentielle de l’importance excessivedes dépenses budgétaires européennes et deleurs contributions. Cela les oppose surtoutà la France qui profite le plus de cesdépenses. La contestation du montant descrédits consacrés à la cohésion conduit àune opposition entre les pays les plus richeset ceux qui ont besoin de ces fonds pourmieux s’intégrer dans l’UE. Ces désaccordssont accentués par les revendications decertains contributeurs fondées sur la notiondu « juste retour ».

La notion du « juste retour »

Lors du sommet européen de Dublin denovembre 1979, le gouvernement britannique seplaint de supporter une contribution nette aubudget européen trop importante, notammentparce qu’il bénéficie peu de la PAC qui induit

les dépenses budgétaires européennes les plusimportantes. Cette situation a amené MargaretThatcher à exiger, au nom du Royaume-Unidont elle est première ministre, unecompensation pour sa contribution dans lestermes tranchés suivants : « What I want is verysimple : I want my money back » (Ce que jeveux est très simple : je veux que l’on me rendemon argent)3. Cette exigence a été satisfaiteaprès cinq ans de négociations par l’octroi auRoyaume-Uni d’un rabais sous la forme d’unremboursement représentant 66 % de sacontribution nette. La part non versée par leRoyaume-Uni est mise à la charge des autresÉtats membres4.

Cette revendication a rendu explicite la notionde « juste retour » qui constituait déjà uneréférence implicite pour les pays quis’efforçaient de réduire le plus possible leurscontributions nettes. Cette notion implique quechaque État membre de l’UE s’attend à ce quesa contribution au budget européen soit établieen fonction des bénéfices qu’il pourra obtenirdes dépenses financées par ce budget. Elle sefonde sur une approche purement comptable. Eneffet, dans cette approche, il suffit de comparerle montant de la contribution d’un État aubudget de l’UE et celui des dépensesbudgétaires de l’UE dans cet État pour connaîtrel’importance de tous les bénéfices qu’il tire del’UE ou de la charge qu’il doit supporter en tantque contributeur net. La référence à la notion de« juste retour » met au centre des négociationssur les contributions au CFP les soldesbudgétaires nets nationaux, ce qui a participéd’une façon importante à l’échec du Conseileuropéen extraordinaire de février 2020. Uneanalyse de la pertinence de cette notionpermettrait probablement de débloquer lesnégociations.

3 Cette exigence qui a été exprimée au cours de laconférence de presse en réponse à une question d’unjournaliste a été renouvelée, sous une forme un peumoins abrupte au sommet de Fontainebleau de juin1984 dans les termes suivants : « We are not asking fora penny piece of Community money for Britain. Whatwe are asking is for a very large amount of our ownmoney back » (Nous ne réclamons pas un sou à laCommunauté pour la Grande Bretagne. Nousdemandons simplement qu’on nous rende un montanttrès important de notre propre argent).4 L’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suède ontobtenu des rabais sur cette charge au motif qu’ilsbénéficient moins de la PAC que d’autres pays.

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L’absence de pertinence de la notion du « juste retour »

La notion de « juste retour » est peu pertinente,tant sur le plan comptable que dans l’optiqueéconomique. De plus elle est peu compatibleavec le principe de solidarité de l’UE.

Sur le plan comptable, la détermination du soldebudgétaire national net d’un pays est fondée surdes conventions d’imputation des recettes et desdépenses budgétaires souvent contestables. Dece fait, il n’est pas possible de tirer de ce soldedes conclusions indiscutables sur les coûts et lesbénéfices résultant pour chaque pays de sacontribution (Le Cacheux 2005). Deuxexemples permettent d’illustrer lesconséquences de l’application de cesconventions.

Du fait des difficultés à imputer certainesdépenses aux pays auxquels elles devraientbénéficier, on a décidé d’imputer une grandepartie des dépenses administratives de l’UE, quigénèrent des services bénéficiant à tous lespays, aux États abritant les institutionseuropéennes. De ce fait, la Belgique et leLuxembourg deviennent des bénéficiaires nets,alors que sans ces imputations, ils sont descontributeurs nets.

L’imputation des recettes budgétaire de l’UEaux États membres peut également se révélerarbitraire. En effet, leurs versements au budgeteuropéen comprennent leurs collectes desressources propres de l’UE qu’ils reversent aubudget européen. Une grande partie de cesressources formées notamment par les droits dedouanes sur les importations de l’UE estcollectée par la Belgique et les Pays-Bas dontles ports sont des points d’entrée importants demarchandises. De ce fait, leurs versements aubudget européen sont artificiellement gonflés etleurs soldes budgétaires nationaux nets nepermettent pas de mesurer leurs effortscontributifs.

Sur le plan économique, les soldes budgétairesnationaux nets ne peuvent pas être considéréscomme des critères satisfaisants pour comparerles coûts et les avantages des contributions. Eneffet, ils excluent des bénéfices importants,notamment ceux que retirent tous les pays del’UE de leur appartenance à un marché uniquede 450 millions de consommateurs (CE 2020a).Selon la CE (Guitton 2020), les bénéfices dumarché unique sont beaucoup plusimportants que les coûts de la contributiondes États au budget européen. Ils

représentent, selon son évaluation, chaqueannée, un montant moyen de 923 milliardsd’euros aux prix de 2018, dont 43 % vont àquatre pays considérés, sur le plancomptable, comme des contributeurs netsimportants (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas). Ce bénéfice estimé correspond à 6 %du RNB, alors que les versements del’ensemble des pays au budget européenreprésentent moins de 1 % du RNB.

Différents autres programmes financés ou nonpar le budget européen sont susceptibles defournir des avantages qui sont souvent difficilesà quantifier et à attribuer à un pays spécifique.C’est le cas, par exemple, des avantages peuchiffrables du programme Erasmus financé parle budget européen, pour le pays qui le met enœuvre et pour ceux qui reçoivent lesbénéficiaires du programme.

La notion du juste retour, fondée sur uneconception purement comptable d’unerépartition équitable des charges et desbénéfices générés par les contributionsnationales, est en contradiction avec le principede solidarité qui devrait, selon les traitéseuropéens, orienter toutes les actions entreprisespar l’UE. Si l’on veut appliquer ce principe, ilconvient de dissocier le mode de déterminationdes contributions des États de la manière derépartir les dépenses budgétaires entre les États(Le Cacheux 2005). Cette répartition ne doit passe faire en fonction de ce que chaque État aversé au budget européen. Elle doit êtreeffectuée en fonction des objectifs despolitiques communes de l’UE dont la réalisationest fondée sur le principe de solidarité. Ceprincipe ne s’applique pas directement auxcontributions RNB qui résultent de décisionsbudgétaires nationales et de la capacité de l’UEd’obtenir des ressources propres

2.2 Les ressources propres de l’UE

L’UE possède les ressources propressuivantes pour financer son budget :• les ressources propres traditionnelles

qui sont collectées par les pays membrespour le compte de l’UE et quireprésentaient 16 % des recettes totalesversées au budget européen de 2018.Ces recettes sont forméesessentiellement des droits de douanessur les importations des pays hors del’UE.

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• les ressources TVA qui résultent desreversements des pays au budgeteuropéen d’une part de leurs recettesprovenant de la TVA qu’ils perçoivent.Elles représentaient 12 % des recettestotales du budget européen de 2018.

• des ressources diverses comme cellesprovenant des amendes payées par lesentreprises qui ne respectent pascertaines règles européennes,notamment celles régissant laconcurrence. Elles représentaient à peuprès 1 % des recettes du budget 2018.

Dans le cadre des négociations portant surle CFP 2021-2027, la CE proposed’instaurer trois nouvelles ressourcespropres :

• une ressource fondée sur une assiettecommune consolidée de l’impôt sur lessociétés (ACCIS). Elle permettrait derenforcer les objectifs du marché unique.

• une taxe carbone prélevée, au taux de20 %, sur le système européen d’échangede quotas d’émission de CO2 ;

• une taxe calculée sur la base du volume dedéchets d’emballages plastiques danschaque État membre (0,80 euro par kilo).Cette taxe comme la précédenterépondraient aux objectifsenvironnementaux et climatiques de la CE.

Selon les évaluations de la CE, cesressources supplémentaires pourraientreprésenter 13,9 % des ressources propresanticipées pour 2027. Cela permettrait de

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Tableau 2 : Evolution des crédits d’engagement proposée par la CE pour le CFP de 2021-2027(en milliards d’euros aux prix de 2018)

Crédits d’engagement CFP 2014-2020(UE-27 + FED)

CFP 2021-2027Évolution

en %

1. Innovation, numérique marché unique

116,361 166,303 42,9 %

Recherche et innovation 69,787 91,028 30,4 %

Investissements stratégiques 31,886 44,375 39,1 %

Espace 11,502 14,404 25,2 %

2. Cohésion et valeurs 387,250 391,974 1,2 %

Fonds européen de développement régional 196,564 200,622 2,1 %

Fonds de cohésion 75,848 41,374 −45,6 %

Fonds social européen Plus 96,216 89,688 −6,8 %

Union économique et monétaire

0,276 22,281 n.s.

3. Ressources naturelles et environnement

399,608 336,623 −15,8 %

PAC 382,8 324,1 −15,3 %

Environnement et action pour le climat

3,492 5,085 45,3 %

4. Migration et gestion des frontières

10,050 30,829 206,8 %

5. Sécurité et défense 1,994 24,323 n.s.

6. Voisinage et monde 96,295 108,929 13,1 %

7. Administration publique européenne

70,791 75,602 6,8 %

Total Crédits d’engagement 1082,320 1134,583 4,8 %

Source : M. Parry and M. Sapała (2018).

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réduire la dépendance du budget européenpar rapport aux contributions RNB des Étatset de développer ainsi les politiqueseuropéennes dans des domaines nouveaux.Mais cette autonomie croissante du budgeteuropéen soulève la crainte de certains Étatsd’une évolution qu’ils ne souhaitent pas, endirection d’une Europe fédérale.

Du fait des retards pris par les négociationsbudgétaires, il semble peu probable que denouvelles ressources propres soientintroduites dans le CFP de la période 2021-2027. Mais, les divergences sur lescontributions nationales dans lesdiscussions sur ce CFP pourraient êtreatténuées si les contributeurs netsobtenaient la garantie d’une réduction deleurs charges grâce à l’adoption future deressources propres.

3. Structure des dépenses

Bien qu’elle ne propose qu’une hausse de 4,8 %du CFP de la période 2021-2027 par rapport auCFP « virtuel » de la période précédente, la CEouvre les perspectives d’un développement despolitiques de l’UE au-delà des politiquesmenées traditionnellement. Cette ouverture setraduit par une nouvelle présentation du budgetqui permet d’afficher clairement les priorités del’UE. Afin de comparer l’évolution desdépenses d’un CFP à l’autre, Parry et Sapała(2018) ont reconstitué le CFP de 2014-2020dans le cadre de la structure du CFP de 2021-2027. Le tableau 2 qui présente ce résultat,comporte les sept rubriques de dépenses quisont prévues pour 2021-2027 ainsi que lesprincipales composantes des trois premièresrubriques.

L’évolution des dépenses que l’UE s’engageà financer au cours de la période couvertepar le CFP se caractérise par une baisseimportante des crédits d’engagements affectésaux politiques traditionnelles de l’UE et par unehausse des montants permettant de financer despolitiques devenues prioritaires. En effet, leprojet de la CE prévoit :

• une réduction des dépenses de la PAC de15,3 % par rapport à la période précédente(rubrique 3). De ce fait, leur part dans lesdépenses budgétaires européennes totalespasse de 35,3 % dans la période 2014-2020à 28,5 % dans la période suivante.

• une baisse des dotations au Fonds decohésion et au Fonds social européen(rubrique 2) respectivement de 45,6 % et de6,8 % par rapport à la période précédente.La dotation au Fonds européen dedéveloppement régional augmentefaiblement de 2 %. Les ressourcesconsacrées à ces trois Fonds représentent85 % de celles comptabilisées dans laseconde rubrique et 29,2 % des dépenses duCFP de 2021-2027, alors qu’ellesconstituaient 34,1 % des dépenses du CFPprécédent.

Ces diminutions de dépenses traduisent lavolonté de la CE de réduire l’importance despolitiques européennes traditionnelles orientéesvers la PAC et les politiques de cohésion et demaintenir au même niveau que précédemmentles dépenses de la politique régionale. De cefait, la part des dépenses prévues pour cespolitiques traditionnelles passe de 69,4 % desdépenses totales pour la période 2014-2020 à57,7 % pour la période suivante. Ces baisses dedépenses sont destinées à compenser les effetsfinanciers du Brexit et à financer les nouvellespriorités de l’UE dans les domaines suivants :

• la recherche et l’innovation, lesinvestissements stratégiques européens etl’espace dont les dotations, répertoriéesdans la première rubrique, augmententrespectivement de 30 %, de 39 % et de25 % par rapport au CFP de la période2014-2020 ;

• l’Union économique et monétaire (rubrique2) à laquelle on alloue un nouveau budgetde plus de 22 milliards d’euros pourfinancer un programme d’aide à la mise enplace des réformes structurelles dans sespays membres afin d’améliorer leprocessus de convergence ;

• l’environnement et l’action pour le climatdont les dépenses sont comptabilisées dansla troisième rubrique du budget5. Cesdépenses augmentent de 45,7 % par rapportà celles de la période 2014-2020, mais leurmontant de 5,1 milliards d’euros est très

5 Le regroupement des dépenses engagées pourl’environnement avec les dépenses de la PAC dans unemême rubrique semble curieux dans la mesure où laPAC bénéficie en grande partie à l’agriculture intensivequi est souvent accusée de générer une pollutionimportante de l’environnement. Il ne semble pas que lesversements effectués à ce secteur soient soumis à desconditions écologiques.

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modeste par rapport aux ambitionseuropéenne affichés6 ;

• la migration et la gestion des frontières(rubrique 4) qui n’ont pas fait l’objet d’unerubrique spécifique dans la période 2014-2020. Les dépenses prévues pour ces deuxdomaines augmentent respectivement de39 % et de 247 % par rapport à la période2014-2020 ;

• la sécurité et la défense (rubrique 5) dont ladotation globale représente 12 fois celle dela période 2014-2020. La défense obtient71 % de cette dotation du fait que sonbudget est 20 fois plus important que celuidu CFP précédent ;

• l’action extérieure dont les créditsreprésentent plus de 80 % de ceux allouésaux activités de la sixième rubrique et dontla dotation proposée augmente de 13 %.

Le PE est partisan du développement depolitiques européennes nouvelles, maisn’accepte pas qu’il se réalise au détriment despolitiques traditionnelles. Il considère que lefinancement de ces politiques doit être assurépar un budget européen plus important (1,3 %du RNB) que celui proposé par la CE. Cettevolonté de maintenir l’importance des politiqueseuropéennes traditionnelles est partagée par laFrance qui s’oppose à toute réduction desdépenses consacrées à la PAC et par le groupedes « Amis de la cohésion » qui s’est réuni àPrague en novembre 2019 pour défendre lemaintien des ressources allouées au Fonds decohésion. Certains États, comme l’Allemagne,se disent prêts à faire quelques concessions surle montant et la structure du CFP à conditionqu’ils conservent les rabais qu’ils ont obtenussur le financement de la remise accordée en1984 à la Grande-Bretagne et que la CE proposede supprimer.

4. L’intégration du plan européen derelance dans les budgets européenspluriannuels

Le 27 mai 2020, la CE a présenté un planeuropéen de relance qui doit aider les pays del’UE à sortir de la récession résultant de la crisesanitaire et qui doit « préparer un meilleur

6 La CE (2020a) s’engage cependant, dans le cadre dupacte vert pour l’Europe, à exiger des bénéficiaires duFonds de développement régional et du Fond socialeuropéen Plus à orienter leurs dépenses vers l’actionpour le climat.

avenir pour les prochaines générations » (CE2020b et c).

Ce plan sera financé par un emprunt de 750milliards d’euros lancé par la CE sur lesmarchés financiers au nom de l’UE.L’affectation de ces ressources s’effectuerapar l’intermédiaire de Next Generation EUqui est un nouvel instrument de relance. Lespays européens pourront obtenir 250milliards d’euros sous la forme de prêtsqu’ils devront rembourser, ce qui devraitsatisfaire les pays « frugaux ». De plus, ilspourront bénéficier de 500 milliards d’eurossous la forme de subventions par le canal dubudget européen, comme l’avait proposé lecouple franco-allemand en avril 2020.L’emprunt alimentant ces subventions seraremboursé par l’UE à partir de 2028, ce quipèsera sur les budgets pluriannuels de 2028à 2058. Pour aider à financer leremboursement de l’emprunt et le service dela dette, la CE espère obtenir une hausse desressources propres du budget (CE 2020d).Ce financement devra éventuellement êtrecomplété par une baisse des dépensespubliques et/ou une hausse descontributions des États européens au proratade leurs richesses et non en fonction dessubventions dont ils ont bénéficié.

Les ressources empruntées par la CE doiventpermettre de soutenir les États pour relancerl’économie de l’UE, et de financer desprogrammes nouveaux qui doivent corriger lesfaiblesses du traitement de la crise sanitaire.Elles devront abonder le budget pluriannueleuropéen 2021-2027 dont les crédits depaiements devraient représenter, selon la CE,1 100 milliards d’euros avant la prise en comptedu plan de relance. Ces dotations budgétairessupplémentaires affecteront essentiellement lesrubriques 1 à 3 du projet de budget pluriannuelinitial comme le montre la répartition descrédits décrite dans le tableau 3.

Le plan de relance prévoit d’affecter 560milliards d’euros dont 310 milliards sous formede subventions, au soutien financier des effortsd’investissement et de réformes (rubrique 2)orientés vers les transitions écologique etnumérique qui forment les priorités de la CE.Un complément de 50 milliards d’euros estprévu pour les programmes de cohésion(rubrique 2) et sera réparti en fonction del’importance des effets économiques et sociauxde la crise selon les pays. La dotationsupplémentaire prévue pour la rubrique 1 se

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répartit entre les investissements stratégiqueseuropéens (56 milliards d’euros) et la rechercheet l’innovation (14 milliards d’euros). Lesdotations prévues pour la rubrique 3 iront àl’action environnementale et climatique (30milliards) et au développement rural (15milliards). Celles affectées à la rubrique 5 porteessentiellement sur des programmes de sécuritésanitaire et de préparation à des crises sanitairesfutures. Enfin, 16 milliards d’euros sont prévuspour la coopération internationale et l’aideextérieur (rubrique 6).

L’essentiel des crédits issus du plan de relancedevrait être utilisé dans les quatre prochainesannées. Pour répondre à des besoins immédiats,la CE propose de modifier le CFP de 2014-2020pour débloquer des crédits supplémentaires de11,5 milliards d’euros dès 2020.

Pour bénéficier des aides du plan de relance, lespays devront présenter un programmed’investissements et de réformes qui devra êtrecompatible avec les objectifs prioritaires de laCE. Ces objectifs visent à instaurer un pactevert (green deal) et à réaliser la transitionécologique et une plus grande souverainetéeuropéenne.

Il semble que tous les États s’entendent sur lanécessité d’un plan européen de relance. Parcontre, les modalités d’application de ce plansoulèvent des divergences qui s’ajoutent à cellesmises en lumière lors du Conseil européen du20 février 2020. Une divergence importantepeut résulter de l’opposition des pays« frugaux » à la mutualisation des dettesnationales qu’implique l’affectation d’une partiedes fonds du plan sous forme de subventions. Ilscraignent qu’en tant que pays riches, ils devrontsupporter l’essentiel du remboursement de la

dette contractée pour financer des subventionsdont d’autres ont bénéficié. Ils considèrent doncque les fonds doivent être affectés sous la formede prêts remboursables. Mais certains Étatss’opposent à cette forme d’affectation, car ellerisque d’aggraver leur situation financière enaugmentant leur endettement souvent déjàélevé. Des concessions peuvent éventuellementêtre obtenues des pays « frugaux » par un appelà la solidarité européenne que le projet de la CEveut raviver et, si ce n’est pas suffisant, par lemaintien des rabais budgétaires dont ils

disposent depuis plusieursannées et que la CE proposede supprimer.

Il est également probableque des divergences semanifesteront sur le projetde mise en œuvre immédiatedu pacte vert. En effet, lesÉtats dont les économiessont fortement impactées parla crise pourront être incitésà demander une suspensiontemporaire des mesures detransition écologique enattendant que les entreprisesse remettent de la crise. Onleur opposera l’intérêt pourla reprise économique de la

relance d’investissements massifs dans lessecteurs de la transition écologique.

Conclusion

Les débats qui auront lieu au sein duConseil européen qui doit se tenir à la mi-juillet 2020 sur le projet de budgetpluriannuel 2021-2027 seront probablementencore plus animés que ceux du Conseil defévrier du fait des nouvelles divergencesentre les États provoquées par laproposition d’intégrer dans ce budget leplan européen de relance. Mais la prise encompte de cette proposition permettrad’élever les débats budgétairesessentiellement fondés depuis 2018 sur desarguments comptables et menés sur la basedes intérêts nationaux. En effet, elle inciterales chefs d’État et de gouvernement à sepositionner par rapport à la vision del’avenir de l’Europe fondée sur la solidaritéentre les États et sur la volonté de mettre enœuvre des mesures susceptibles d’éviter lafuture crise climatique ou au moins d’en

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Tableau 3 : Allocation des crédits de paiements du plan européen derelance par rubriques du budget pluriannuel prévisionnel

(en milliards d’euros aux prix de 2018)

Crédits de paiement Budget horsplan de relance

Plan derelance

Total descrédits

1. Innovation, numérique marché unique

140,456 70 210,456

2. Cohésion et valeurs 374,460 610 984,4603. Ressources naturelles

et environnement357,032 45 402,032

5. Sécurité et défense 19,424 9,7 29,1246. Voisinage et monde 102,205 16 118,205Rubriques 4 et 7 105,724 0 105,724

Total 1099,301 750,7 1850,0

Source : M. L’Hote et S-F Servière (2020).

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atténuer les effets. Mais l’adoption dubudget européen devra se faire àl’unanimité des États. Cela nécessitera unconsensus obtenu grâce à des concessionsplus ou moins importantes de la part desnégociateurs. On peut espérer que cesconcessions ne se feront pas au détriment nidu principe de solidarité, qui est l’un desfondements importants du projet européen, ni del’impulsion écologique que la CE veut donner àl’Europe.

Références bibliographiques :

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Commission européenne (2020b), « L’heure del’Europe : réparer les dommages et préparerl’avenir pour la prochaine génération »,Communication sur le plan de relance,Bruxelles.

Commission européenne (2020c), « Le budgetde l’Union moteur du plan de relance pourl’Europe », Bruxelles. https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/factsheet_1-fr.pdf.

Commission européenne (2020d), « Financementdu plan de relance pour l’Europe », Bruxelles.

https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/factsheet_3_fr_29.05.pdf.

Le Cacheux, J. (2005), « Budget européen : lepoison du juste retour, Études etRecherches », Rapport, Notre Europe, InstitutJ. Delors.

Guitton, M. (2020), « Budget européen 2021-2027: 5 choses à savoir pour comprendreles négociations », Toute l’Europe. https://www.touteleurope.eu/actualite/budget-europeen-2021-2027-5-choses-a-savoir-pour-comprendre-les-negociations.html

L’Hote, M., et S-F Servière (2020), « Plan à 500milliards de l’Union européenne : 39 milliardspour la France ? », Fondation IFRAP pour larecherche sur les administrations et lespolitiques publiques.https://www.ifrap.org/europe-et-international/plan-500-milliards-de-lunion-europeenne-39-milliards-pour-la-france.

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Parry, M., et M. Sapała (2018), « Le cadrefinancier pluriannuel 2021-2027 et lesnouvelles ressources propres - Analyse de laproposition de la Commission », Noted’information du service de recherche duParlement européen (EPRS).

Saurel, S. (2019), « Quel budget pour l’Unioneuropéenne après 2020 ? », Parole d’expert,Vie-publique.fr.

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Où en sont la taxation des entreprises numériques et la lutte contre l’évitement fiscal ?

Damien Broussolle*

En 2016, les cinq GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont payé moinsde 10 % d’impôts sur leurs bénéfices hors États-Unis (Vicard 2019). D’une manière plusgénérale, l’OCDE estimait qu’en 2015, les pertes de recettes publiques dues à l’évitementfiscal, se situaient entre 4 % et 10 % des recettes de l’impôt sur les sociétés dans le monde,soit de 100 à 240 milliards de dollars US par an. Cela s’accompagnait d’un transfert artificield’environ 36 % des profits des multinationales vers des paradis fiscaux (Tørsløv et al. 2018).Cet article fait le point sur la stratégie suivie, au niveau international et dans l’Unioneuropéenne (UE), pour lutter contre l’évitement fiscal pratiqué par les entreprisesmultinationales. Il présente également les mesures déjà prises dans l’UE. A cet égard, l’année2020 est une année charnière, car elle se situe après la mise en place unilatérale de taxesnationales, notamment en France, et devait connaître l’aboutissement des démarches menéesen parallèle par l’OCDE et la Commission européenne.

Les pratiques de contournement fiscal réduisentles taux d’imposition effectifs payés par lesentreprises multinationales (EMN). Selon laCommission européenne, ces taux se situententre 4 et 8,5 points de pourcentage (pp) endessous de ceux appliqués à des entrepriseséquivalentes, exerçant leur activité uniquementsur un territoire national. Le phénomène estencore plus fort pour les modèles d’affairess’appuyant sur le numérique, puisque toujoursselon la Commission, le taux effectif de cesentreprises pratiquant une planification fiscaleagressive, serait même négatif (Montgolfier2018).

L’ensemble des pratiques des EMN, contraires àl’esprit des législations fiscales et visant àéluder l’impôt sur les sociétés (IS), est résumédans la notion d’évitement fiscal. Il ne s’agit pasde fraude caractérisée, dans la mesure où cespratiques s’appuient sur des techniques légalesou à la limite de la légalité (zone grise). Ellesrecouvrent l’optimisation fiscale dite« agressive », qui reste une activité opaque etclandestine, mais aussi l’érosion des basesfiscales, qui désigne un comportement deréduction de l’impôt par diminution de sonassiette, par exemple en augmentant artificielle-ment les coûts financiers payés à l’étranger.

L’IS que l’évitement fiscal vise à réduireradicalement, remplit pourtant plusieursfonctions économiques essentielles : c’est unfilet de sécurité pour l’impôt sur le revenu desparticuliers. S’il n’existait pas, les propriétaires

d’entreprises et les indépendants auraient intérêtà maintenir l’essentiel de leurs revenus dansl’entreprise pour ne pas être taxé. Cela saperaitévidemment la progressivité de l’impôt sur lerevenu. Ensuite, c’est une contribution desentreprises au financement des services etinfrastructures publics locaux, incorporés dansla production et permettant leur viabilité. Enoutre, c’est aussi un moyen de réduirel’appropriation de rentes oligopolistiques, unamortisseur conjoncturel des bénéficesdistribués.

Au-delà d’une condamnation morale et de sesinconvénients pour les finances publiques,l’optimisation fiscale agressive produitégalement des distorsions de concurrence, car lacapacité d’évitement des entreprises est variableselon la géographie de leurs implantations.

Une action globale est donc nécessaire pourmettre un terme à une course au « moinsdisant » fiscal, qui risquerait de déplacerl’assiette globale de la taxation vers des basesmoins mobiles, comme le travail peu etmoyennement qualifiés ou la consommation, cequi affaiblirait la souveraineté fiscale desnations. Il s’agit de rapprocher l’impôt de lacréation de valeur et de colmater les brèchesqui, dans l’architecture fiscale internationale,facilitent cette évasion fiscale. Les actionsconduites doivent alors redresser la situationactuelle sur deux plans : d’une part au niveau del’impôt payé, l’ensemble des entreprises devantêtre traitées également et d’autre part au niveau

* Université de Strasbourg, LaRGE, Institut d’études politiques, F-67000 Strasbourg, France.

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du territoire, les pays qui bénéficient depaiements devant être ceux où la valeur estcréée.

Les problèmes précédemment soulevés sontparticulièrement aigus avec les modèleséconomiques des entreprises numériques. Dansces cas, en effet, les chaînes de valeur utilisantinternet éloignent le lieu de perception de lavaleur, du territoire de création. En captant àdistance la valeur ajoutée créée, les servicesnumériques amplifient l’érosion des basesfiscales. Par exemple, dans le secteur hôtelier, lacommission prélevée par un site de réservationsitué à grande distance, peut atteindre 30 % duprix (Charrié et Janin 2015). Non seulement lesÉtats ne perçoivent que peu de revenus fiscauxsur les entreprises numériques, mais en outre,comme elles aspirent de la valeur ajoutée, ellesréduisent l’assiette fiscale du reste del’économie.

Les profils types des pays bénéficiaires et desperdants ne sont pas toujours ceux que l’onimagine. En effet, si le montant des moins-values fiscales est bien le plus élevé dans lespays développés (PD), en revanche, enpourcentage du PIB, les pertes les plusimportantes sont subies par les pays endéveloppement (PED). Les deux groupes depays ont donc intérêt à une modification ducadre fiscal international. À l’inverse et sanssurprise, les grands gagnants de la situationactuelle sont les États à faibles tauxd’imposition ou à faibles normes detransparence fiscale et, dans une moindremesure, les États-Unis, pays siège desprincipales entreprises numériques.

Cet article est structuré en trois parties. Lapremière évalue le coût de la perte de recettesfiscales pour la France. Elle donne l’occasiond’expliquer la principale manière de mesurerl’évitement fiscal. La deuxième partie présentela démarche internationale suivie dans le cadrede l’OCDE pour limiter les pratiques fiscalesabusives. L’année 2020 devait voirl’aboutissement du processus visant les servicesnumériques. La troisième partie détaille lastratégie mise en œuvre par la Commissioneuropéenne et la France.

1. Combien coûte l’évitement fiscal aux finances publiques de la France ?

L’évaluation du coût de l’évitement fiscal peuts’appuyer sur plusieurs catégories de méthodes.

Une première résulte d’enquêtes de terrain,menées notamment par les services fiscaux.C’est la technique la plus détaillée, mais aussi laplus lente et la moins globale. Une deuxièmeméthode consiste à tirer parti d’anomaliesvisibles dans les données économiquesstandards. Ainsi, par exemple, les paradisfiscaux affichent un ratio de profit par employéétrangement élevé : dans certaines îlescaribéennes comme la Barbade, ce taux est 125fois plus élevé que la moyenne habituelle(Laffite et Toubal 2019). S’appuyer sur cesdiscordances est une démarche moins précise,mais plus simple et qui produit des résultatsplus généraux.Les anomalies de localisation des profits, aubénéfice des pays à faible taxation, sontrepérables dans certains flux monétairesenregistrés par la Balance des Paiement. C’esten particulier le cas avec les revenusd’investissements, qui sont des revenus netsd’impôt. Un gonflement des profits déclarésdans les paradis fiscaux a tendance à augmenterles flux sortants de revenus d’investissementétranger. Inversement dans les PD, puisquel’évitement fiscal minore la rentabilité desinvestissements, cela a tendance à les réduire.Pour un même PD, l’effet global se traduit pardes flux sortants de revenus d’investissementsétrangers modestes, mais par des entrées derevenus d’investissements nationaux àl’étranger élevés. Le bilan net des flux derevenus d’IDE est alors positif (Vicard 2019). La France est emprunteuse nette au niveauinternational, en particulier depuis 2004 puisquesa balance commerciale est déficitaire. Celadevrait se traduire par une dégradation de saposition extérieure nette1. Elle s’est au contraireaméliorée, grâce notamment au solde largementpositif des revenus d’investissements (> 1 % duPIB).

L’évitement fiscal des multinationales pourraittrès bien expliquer ce phénomène. Surtout qu’ilcoïncide avec le creusement progressif del’écart du taux de l’IS entre la France et sespartenaires (Broussolle 2017). Son niveau estpassé de 5 pp en 2000 à 12 en 2018, avec unmaximum à 16 entre 2016 et 2015. Ladifférence de rendement entre lesinvestissements en France et ceux dans les paysà bas taux d’imposition, s’interprète ainsi

1 La position exte� rieure nette repre�sente lepatrimoine ou l’endettement net de la France vis-a� -vis du reste du monde. Elle comprend notammentles investissements directs et de portefeuille.

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comme la trace statistique laissée par lestransferts de bénéfices vers les paradis fiscaux.Comme on a pu le constater, cette manière deraisonner repose sur l’idée selon laquelle, ilserait justifié de distinguer entre un taux deprofit normal et un niveau excessif. Elle est à labase des propositions de l’OCDE qui serontexaminées dans la partie suivante.

Quoiqu’il en soit, à partir de la démarche desanomalies et en se référant au taux d’impositionlégal, l’évitement fiscal correspondrait pour laFrance à une perte de recettes fiscales annuellesde l’ordre de 14 milliards d’euros, soit 29 % desrecettes de l’IS en 2015. Un chiffre qui auraittendance à augmenter, puisqu’en 2012 la pertefiscale n’aurait été que de 15 %. Selon Vicard(2019) les profits non déclarés se monteraient àenviron 36 milliards d’euros en 2015, soit 1,6 %du PIB, un montant 30 fois supérieur à ce qu’ilétait au début des années 2000. D’autres sourcesdonnent des chiffres un peu plus faibles, maisconvergents (Lafitte et al. 2019).

Face à cette situation insatisfaisante, et qui sedégrade, un cadre international de négociation aété lancé par l’OCDE.

2. La stratégie suivie par l’OCDE pour lutter contre l’évitement fiscal

Pour lutter contre l’évitement fiscal, un pland’action international contre l’érosion de labase et le transfert des bénéfices (BEPS,Base Erosion & Profit Shifting) a démarréen 2013 dans le cadre de l’OCDE (OCDE2015). 137 États participaient auxnégociations en 2020.

Quinze domaines d’actions ont étéapprouvés en 2015, la plupart d’entre euxconcernent les sujets en négociation cetteannée, en particulier : les actions 1, 4, 8-10et 14 (Encadré 1).

Traditionnellement, les sociétésmultinationales sont imposées en fonctionde leur présence physique, c’est-à-dire dansle pays où leurs installations de productionsont installées (critère de l’établissementstable). Dans le nouveau contexte del’économie numérique, cette dispositionouvre la porte au contournement de l’IS. Unconsensus international se dégage donc pouraccorder aux États, même en l’absence deprésence physique, le droit d’imposer unepartie des bénéfices des entreprises qui yvendent leurs biens et services (appelés paysde marchés par l’OCDE). Cela concerneévidemment au premier chef les servicesnumériques, mais pas seulement. Cettedémarche suppose la consolidation auniveau du groupe des résultats desdifférentes juridictions (pays). Elle ne visetoutefois la réallocation que d’une partie des

profits : celle qui est indûment transférée àl’extérieur du pays source de la valeur créée(partie dite résiduelle).

La réforme proposée par l’OCDE se déploie surdeux plans ou « piliers ». Le premier s’intéresseà la réallocation des bénéfices en fonction d’unenouvelle conception du lien économique(nexus) entre entreprises et marchés, ledeuxième cherche à établir un taux minimumd’imposition. Certaines des règles qui découlentde ces piliers recouvrent celles déjà prévuesdans l’UE par la directive Anti Tax Avoidancede 2018, qui est étudiée plus bas. Les dispositifsdéjà mis en œuvre sont donc présentés dans lapartie consacrée à l’UE. Ne sont examinés dans

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Encadré 1 : les 15 actions engagées sous l’égide del’OCDE dans le processus international BEPS (Base

Erosion & Profit Shifting)

Action 1 Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique ;

Action 2 Neutraliser les effets des dispositifs hybrides ;Action 3 Concevoir des règles efficaces concernant les

sociétés étrangères contrôlées ;Action 4 Limiter l’érosion de la base d’imposition faisant

intervenir les déductions d’intérêts et autres frais financiers ;

Action 5 Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ;

Action 6 Empêcher l’octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu’il est inapproprié d’accorder ces avantages ;

Action 7 Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable ;

Actions 8-10 Aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur ;

Action 11 Mesurer et suivre les données relatives au BEPS ;Action 12 Règles de communication obligatoire

d’informations ;Action 13 Documentation des prix de transfert et

déclarations pays par pays ;Action 14 Accroître l’efficacité des mécanismes de

règlement des différends ;Action 15 L’élaboration d’un instrument multilatéral pour

modifier les conventions fiscales bilatérales.

Source : OCDE (2015).

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celle qui suit, que ceux dont la discussion étaitprévue avant que la pandémie de Covid-19 ne sedéclare, pour déboucher à la fin de l’année2020.

2.1 Pilier 1 : introduction d’une nouvelle règle d’allocation des bénéfices

À l’origine des négociations, ce pilier visaituniquement les activités numériques, mais sondomaine a été élargi par la suite, en fonction ducritère du « nexus » (lien), aux entreprises quiont « une participation significative et durable àl’économie » (OCDE 2020a). À présent sontdonc concernées toutes les entreprises de plusde 750 millions d’euros par an de chiffred’affaires (CA) mondial. Plusieurs secteurs sontnéanmoins exclus : les services financiers,extractifs et autres producteurs de matièrespremières de base, ainsi que les compagnies detransports maritimes et aériennes. D’après lesestimations de l’OCDE, seuls 10 à 15 % desentreprises multinationales répondent à cetensemble de caractéristiques.

Ce premier « pilier » répond aux questions :quelle part des profitsconsolidés redistribuer etcomment le faire ? Lesréponses déterminent lajuridiction qui estaffectée. Pour ce faire, le« pilier » utilise laméthode du « profitrésiduel » déjà évoquéedans la première partie.Elle consiste àredistribuer une part duprofit considéré commeexcessif (Encadré 2), quiest ensuite taxé dans lepays récipiendaire(attributaire), ce qui suppose d’avoir déterminéau préalable un niveau de profit régulier.

La démarche définit donc d’abord le profit dit« routinier », c’est-à-dire considéré commenormal (par exemple un niveau de 12 %, cf.plus bas). Pour ce faire, elle mesure le bénéficetotal en utilisant des prix de transfert deréférence, obtenus selon le principe de « pleineconcurrence » (Arm’s Length Principle, ALP).L’ALP stipule que les prix des transactionsintra-groupe devraient être identiques à ceux quiauraient été pratiqués pour des transactionssimilaires entre établissements indépendants.Autrement dit, les prix internes devraient être

les mêmes que ceux que l’on pourrait constatersur un marché concurrentiel extérieur. Ceprincipe est simple à saisir mais difficile àmettre en œuvre, car la comparaison n’est pastoujours disponible et les valeurs alors retenuessouvent discutables. Les activités commercialeset de distribution qui pratiquent l’achat pourrevente, sont une source de difficultés à cetégard. De telles activités peuvent facilement seprêter à des manipulations de prix de transfert,qui font varier le revenu local. Leur appliquer latechnique ALP pourrait donner lieu à unegrande complexité administrative et susciter desdifférends juridiques sur ses interprétationspossibles. Voilà pourquoi le revenu de cesentreprises devrait être évalué de façon fixedans le pilier 1. Ce système forfaitaire auraitpour avantages de simplifier et sécuriserl’application du contrôle des prix de transferts,tout en garantissant au pays une assiette fiscalede référence au titre de sa place dans les chaînesde valeur.

Dans une deuxième étape, la méthode permetd’appliquer un taux d’imposition local à la partdu bénéfice « résiduel » conventionnellementréattribuée (souvent 20 %, cf. plus bas).

Au final, selon sa position dans les flux et leschaînes de valeur internationaux, un pays gagneou perd des droits à taxer. En règle générale, lespays à faible taux (paradis fiscaux) en perdent,alors que les autres en gagnent.

Selon Fuest et al. (2019), sur la base d’un tauxde profit « normal » à 12 % et si 20 % desbénéfices résiduels étaient redistribués, laFrance gagnerait 0,1 % d’impôt sur les sociétés.Le mécanisme apparaît compliqué pour unrésultat si modeste. C’est que, dans l’éventualitéoù le taux de profit d’une entreprise serait de18 % dans un pays à faible taux d’imposition,sur un total de 6 pp de bénéfices « résiduels »,seuls 1,2 % seraient finalement ré-alloués à

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Encadré 2 : Répartition du profit total des groupes multinationaux selonla méthode du profit « résiduel »

% ré-allouéPartie sur laquelle les pays attributaires peuventappliquer leur taux d’imposition

Profit « excessif »ou résiduel

Partie imposée selon la présence physique (sanschangement)

Profit normal ou « routinier »

Partie imposée selon la présence physique (situationactuelle), mais avec application du système ALP pourles prix de transferts (de façon fixe pour les activités decommercialisation et distribution)

Source : OCDE (2020b).

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l’ensemble des pays attributaires [(18 %−12 %)*0,2 = 1,2 %].

Se pose alors la question suivante : s’il s’agit deprofits résiduels qui sont dans leur ensemble« anormaux », pourquoi seulement 20 %devraient-ils être réaffectés ?

Une mesure de simplification pourrait consisterà accroître le taux « normal » et à ré-allouer letotal du résidu. Dans l’exemple précédent, enaccroissant le taux normal à 15 %, la partredistribuable augmente à 3 pp. Cette démarcheaurait néanmoins l’inconvénient de faire sortirdu mécanisme les entreprises, dont le taux seraitsitué entre 12 et 15 %, réduisant ainsi sonétendue. Le choix d’un taux de réallocation plusfaible, vise également à tenir compte del’incertitude qui porte sur la valeur précise dutaux normal. Il permet d’éviter un effet de seuilde type couperet. Finalement, il serait doncpréférable de garder un taux normal faible, etd’augmenter la proportion des bénéficesrésiduels ré-allouée, sans néanmoins allerjusqu’à 100 %. Dans l’exemple précédent, avecun taux normal de 12 %, mais en ré-allouant50 % du montant « résiduel », la partredistribuée ressort à nouveau à 3 pp.

Reste à expliquer comment la redistribution desdroits à taxer s’effectue entre les paysattributaires.

Une formule combinant à des degrés divers, lesventes (chiffre d’affaires), l’emploi (montanttotal des salaires ou effectifs), le capital(montant des investissements), est en cours denégociation. Bien qu’il s’agisse là d’un progrèstrès net, dans ce schéma, des possibilités dedéplacement des bénéfices subsistent,puisqu’une entreprise pourrait éventuellementmodifier le volume de l’emploi et de son capital

selon son niveau local de taxation (Delpeuch2019). Par ailleurs le poids accordé à chacunedes trois composantes fait l’objet d’âpresdiscussions internationales entre les PED (où setrouve souvent l’emploi) et les PD (où sont plussouvent situées les ventes). La Chine pour sapart s’intéresse tout particulièrement au critèredu capital, car certaines multinationalesnumériques s’y trouvent installées (par exempleTencent, propriétaire de WeChat, équivalentchinois de WhatsApp).

Le système envisagé par le premier pilierpourrait devenir inefficace, si la concurrencefiscale entre pays attributaires les conduisait àpoursuivre la baisse des taux d’IS déjàconstatée. Dans un cas, actuellementhypothétique, le pilier 1 pourrait alors conduireà ré-allouer des montants résiduels de bénéficesà des pays où le taux d’IS serait inférieur à celuidu pays de présence physique. Le deuxièmepilier a donc pour fonctions d’éviter qu’unespirale à la baisse ne s’enclenche et d’assurerque les EMN paient un taux minimum. S’il seprésente comme un complément indispensableau premier pilier, son principe de taux minimal,est certainement ce qui pourrait s’avérer le plusnovateur pour l’avenir.

2.2 Pilier 2 : les propositions de Global anti-base erosion (GLoBE) pour un taux minimal d’imposition des sociétés

Le pilier 2 vise à réduire les transferts debénéfices qui érodent l’assiette de l’IS, en fixantun taux minimum effectif d’imposition dessociétés.

Le taux effectif se calcule en rapportant lemontant d’impôt payé par les sociétés à leurs

bénéfices. Il est généralementnettement plus faible que letaux officiel de l’IS, car savaleur est minorée parl’ensemble des dispositifs decrédit d’impôts ou deréduction de l’assiette,comme par exemple enFrance, le crédit d’impôtrecherche ou encorel’amortissement spécifiquedes investissements (Choucet Madiès 2016). En 2015, letaux d’imposition effectifmoyen s’établissait auxenvirons de 15 % dans l’UE,alors que la moyenne simple

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Encadré n°3 : Impôt sur les sociétés payé par les EMN en application duprincipe de la règle d’inclusion du revenu (IIR)

Source : OCDE (2020b).

Taux minimum effectif global consolidé (%) à atteindre

Impôt payé par les filiales dans un paradis fiscal

Montant à percevoir sur les revenus payés à la société mère en application de la règle d’inclusion du revenu

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des taux officiels était de 23 % (Broussolle2017). L’objectif de ce deuxième pilier est doncde fixer une fiscalité plancher pour les grandesentreprises.

Ce pilier s’appuie sur deux dispositifs (règles),le premier ne suffisant pas à lui seul à rendre letaux minimal vraiment incontournable :

Règle d’inclusion du revenu (Income Inclusion Rule, IIR)

Le dispositif d’inclusion du revenu (IIR), mis enœuvre au niveau de la société mère, prévoit queles revenus internationaux provenant des filialessituées dans un pays à faible imposition, sontautomatiquement imposés au taux minimum(Encadré 3). Il est équivalent à une impositionminimale pays par pays.

Le niveau du taux minimal opposable faitl’objet de propositions très ouvertes : de 12,5 %pour l’OCDE, à 25 % pour l’ONG ICRICT(ICRICT 2019), en passant par 15 % pour Fuestet al. (2019) et 20 % pour Lafitte et al. (2020).Le niveau envisagé par l’OCDE, restenéanmoins modeste, puisqu’il est presque deuxfois plus faible que la moyenne constatée pourl’UE en 2015 (Broussolle 2017). Son effetpratique sera donc modéré.

La règle de l’IIR peut néanmoins êtrecontournée si la société mère est installée dansun pays non adhérent au système. Elle devientalors une incitation à déplacer les sociétésmères, d’où la nécessité de lui ajouter uncomplément.

Introduction d’un impôt sur les paiements érodant la base (Tax on Base Eroding Payments, TBEP)

Le dispositif TBEP consiste à refuser lesdéductions ou les allégements prévus par lesconventions fiscales au titre de certainspaiements à l’étranger (versements à desentreprises associées, dividendes…), à moinsque ces paiements n’aient au préalable étésoumis à un taux effectif d’impositionminimum. Il s’agit d’un moyen indirect demettre à contribution les filiales d’entreprisesmultinationales qui sont rattachées à une sociétémère dans un pays non coopératif (cf. plus basdirective ATA).

Selon les estimations de Fuest et al. (2019),avec un taux minimal fixé à 15 %, celarapporterait à la France, 18 % de recettes

supplémentaires d’impôt sur les sociétés, soit del’ordre de 8 milliards d’euros.

La stratégie des deux piliers oblige à modifier lalégislation interne des pays, ainsi que lesconventions fiscales internationales. Elleintroduit une source de différends dans lamanière de procéder et sur le calcul desmontants récupérables. C’est la raison pourlaquelle elle s’accompagne d’une rénovation ducadre multilatéral (action BEPS n°15) et durenforcement de la procédure d’arbitrage, quideviendrait contraignante (action BEPS n°14).Ce dernier aspect suscite des inquiétudes,puisqu’il conforte les capacités de mise en caused’États par des entreprises.

Selon une estimation de l’OCDE publiée enfévrier 2020 (OCDE 2020b), la mise en œuvredes deux piliers permettrait de récupérer au planmondial 4 % de recettes supplémentairesd’impôt sur les sociétés, soit environ100 milliards de dollars. C’est le chiffre du basde la fourchette calculée en 2015. L’essentieldes gains proviendrait du pilier 2.

Pour arriver à ce résultat, l’OCDE a utilisé lesconventions suivantes : • S’agissant du Pilier 1, le taux de rentabilité

normal déterminant la part résiduelle d’uneentreprise est fixé à 10 %, puis 20 % duprofit excédentaire est ré-alloué aux paysdans lesquels l’entreprise exerce une activitésignificative, où il se trouve alors taxé autaux local ;

• S’agissant du Pilier 2 le taux minimumd’imposition retenu est de 12,5 %.

Avec ces hypothèses de travail, plutôt modestes,tous les pays sont gagnants à l’exception des« hubs d’investissement ».

Avant l’épidémie du Covid-19, le planningprévoyait qu’en juillet 2020 des réunions detravail permettraient de clarifier les détailstechniques restants, afin qu’en novembre uneréunion des dirigeants du G20 adopte ledispositif global. Il paraissait déjà bienoptimiste. Compte tenu de l’ampleur destravaux à mener, son respect apparaît à présentintenable (cf. plus bas).

3. La démarche suivie dans l’Unioneuropéenne

Cette partie examine d’abord l’action de laCommission européenne, puis brièvement cellede la France.

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3.1 L’action de la Commission

En parallèle avec la démarche internationalemenée dans le cadre de l’OCDE, la Commissioneuropéenne a lancé en juin 2015, un pland’action pour une fiscalité juste et efficace dansl’Union. Celui-ci a notamment débouché surune stratégie « pour faire face aux menacesextérieures qui pèsent sur les basesd’imposition » et « garantir que les bénéficesgénérés sur le marché unique sont effectivementimposés là où se déroule l’activité » (COM2016). Elle repose sur plusieurs axes, seuls ceuxen relation directe avec les mesures discutées en2020 sont décrits ci-dessous.

Un ensemble de mesures générales

Pour mémoire, même s’il reste beaucoup à faire,certaines avancées ont eu lieu pour rendre plustransparentes les décisions fiscales favorisantdes entreprises particulières (rescrits fiscaux),développer l’échange automatique derenseignements (essentiellement pour lesplacements à l’étranger), encadrer l’usage de« patent boxes » (régimes fiscaux privilégiéspour les revenus de la propriété intellectuelle).Une liste européenne, des pays non coopératifsen matière fiscale, existe également depuis2016. Elle ne concerne toutefois que les pays endehors des frontières de l’UE et, depuis février2020, sa partie « noire » ne comprend plus que13 pays.

La directive Anti Tax Avoidance (ATA) applicable à partir de janvier 2019

La directive ATA contre l’évitement fiscal (DIR2016), introduit une série de mesures qui visentles principales formes d’évasion fiscale. Elles’inscrit dans la stratégie BEPS de l’OCDE etanticipe certaines mesures des deux piliersexpliqués plus haut. Elle prévoit ainsi cinqdispositifs anti-évasion ou anti-érosion del’assiette fiscale qui seront succinctementévoqués ci-dessous : • Limitation des intérêts : la directive

généralise une limitation du montant desintérêts qu’une société peut déduire de sonrevenu imposable. Il devrait ainsi êtremoins intéressant pour les sociétés dedéplacer artificiellement leur dette àl’étranger afin de réduire leurs impôts. LesÉtats membres qui sont déjà dotés de règles

similaires peuvent les conserver jusqu’à ceque l’OCDE établisse une norme minimalegénérale, ou au plus tard jusqu’au 1er

janvier 2024.• L’exit tax ou l’imposition à la sortie : cette

taxe vise à dissuader les entreprises dedélocaliser leurs actifs, alors qu’elles enconservent parallèlement le contrôle ou lapropriété, dans le seul but d’éviter l’impôt.Les groupes intégrés ne sont toutefois pasconcernés. Elle s’applique à trois types detransferts internationaux : les transferts decapitaux, les transferts d’activité et lestransferts de résidence fiscale.

• Clause anti-abus générale (CAG) : cetteclause s’applique aux montages fiscauxabusifs lorsqu’il n’existe pas d’autre règleanti-abus spécifique. La CAG sert donc defilet de sécurité dans les cas où d’autresdispositions anti-abus ne peuvent êtreappliquées. Elle permet aux autorités detaxer les entreprises en fonction de laréalité économique de leurs activités.

• Règle relative aux sociétés étrangèrescontrôlées (SEC) : afin de réduire la chargefiscale du groupe, les entreprisesmultinationales transfèrent parfois lesbénéfices de la société mère vers desfiliales situées dans des pays à fiscalitéfaible ou nulle. La mesure SEC harmonisel’imposition de la société mère sur lesbénéfices qu’elle déplace vers un pays àfiscalité faible. Cela devrait donc ladissuader de se livrer à une telle pratique(cf. pilier 2). Elle s’appliquera si l’impôtdans le pays tiers est inférieur de moitié àcelui qui aurait été payé dans l’Étatmembre de la société mère, ce qui est peucontraignant.

• Dispositifs hybrides : cette mesureconcerne les cas où existe une différencedans la qualification juridique despaiements, ou des entités, dans l’interactionentre les systèmes juridiques de deux pays.Les divergences de ce type se traduisentsouvent par une déduction dans chacun desdeux États concernés, ou une réduction desrevenus dans un État, sans qu’ils n’aient étépris en compte dans l’assiette d’impositionde l’autre État. Une entreprise ne devraitplus pouvoir bénéficier d’une doubledéduction dans l’UE.

Ces mesures sont complétées par l’obligation,résultant de la Directive 2018/822 (dite DAC 6),

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faites aux intermédiaires qui proposent certainsmontages fiscaux transfrontaliers agressifs (parexemple les cabinets juridiques), de les déclareraux autorités, avec échange automatique desinformations entre États membres. L’applicationde cette directive a été décalée de six mois àcause de l’épidémie de Covid-19.

Les services numériques

Pour tenir compte des particularités del’économie numérique, en 2018, la Commissioneuropéenne a proposé deux directives (COM2018a et b, n°147 et n°148). La secondeintroduit transitoirement dans l’UE une Taxe surles Services Numériques (TSN), ou DigitalServices Tax (DST), au taux de 3 %. Il s’agitd’un impôt sur le CA, destiné à être abrogé unefois que les contours de l’établissement stableauront été redéfinis par l’OCDE, en s’appuyantsur le critère de « présence numériquesignificative », qui est l’objet de la première desdeux propositions.

Les conventions internationales retiennent eneffet la notion d’établissement stable commecritère de rattachement territorial des bénéfices.Cette notion fait actuellement référence à uneinstallation physique, ce qui apparaît dépassédans le contexte de l’économie numérique. Il esttoutefois difficile et certainement passouhaitable de tracer une séparation stricte entreles services numériques et le reste del’économie. Pour réintégrer ces entreprises dansun cadre fiscal plus sain, plutôt que deconstruire une notion spécifiqued’établissement, il est plus simple et tout aussiefficace, d’adapter la notion d’établissementstable aux nouvelles réalités de l’économienumérique. Pour ce faire, il serait envisageablede l’élargir par exemple aux activitéspréparatoires et d’entreposage, typiques ducommerce en ligne (celles qui apparaissent dansle pilier 1, taux fixe ALP), ou encore de prendreen compte « une présence numériquesignificative » en considérant le nombred’utilisateurs ou de contrats (COM 2018a).Cette approche se fonde sur le pays dedistribution du service, à la place du lieu deproduction, pour définir un nouveau droit àimposer.

La proposition de directive COM (2018a,n°147), vise donc à réformer les règlesd’imposition des bénéfices des sociétés enintroduisant le critère de « présence numériquesignificative », afin que les profits issus des

activités numériques soient imposés dans lespays où ils sont réalisés. Ce critère s’inspire dela démarche du « nexus » utilisée par l’OCDE(cf. pilier 1). Les modèles d’affaires pris encompte par la proposition sont ceux qui nepourraient pas exister sans la participation desutilisateurs : prestation de services de publicité,services d’intermédiation, vente de donnéesgénérées à partir des informations fournies parles utilisateurs. La modification envisagée nepeut cependant pas entrer en vigueur tant queles conventions internationales n’intègrent pasaussi ce nouveau critère. Voilà pourquoi elleprévoit expressément qu’elle ne sera pasapplicable aux entreprises et entités établieshors UE, ce qui en constitue une limiteconsidérable.

La proposition de directive COM (2018b,n°148), vise alors à combler cette limite eninstituant une taxe transitoire de 3 % sur lechiffre d’affaires des activités numériques. Elleconcerne les entreprises dont le CA annuel estsupérieur à 750 millions d’euros au niveaumondial et qui ont un revenu annuel de plus de50 millions d’euros dans l’UE. Cette solutiontemporaire répond à une demande exprimée parplusieurs États membres, dont la France.

En l’absence de consensus au sein des Vingt-sept, les propositions de directives avaienttoutefois été gelées dans l’attente du résultat destravaux de l’OCDE. En décembre 2018, laFrance a réussi à obtenir au prix d’importantesconcessions, la neutralité de l’Allemagne.L’éventuelle entrée en vigueur de la taxe a étéretardée à 2021, soit après l’échéance prévuepour les travaux de l’OCDE sur le sujet.L’assiette est fortement réduite par rapport auprojet initial. Seuls les revenus de la publicité enligne seraient concernés, et non plus la reventede données. Malgré ces concessions, trois Étatsmembres, l’Irlande, la Suède et le Danemark, yrestent opposés, empêchant d’atteindrel’unanimité nécessaire.

La France, ainsi que plusieurs États européens,ont alors unilatéralement adopté une taxe sur lesservices numériques : Autriche, Italie ainsi queRoyaume-Uni (graphique 1). Dans le reste dumonde, l’Inde, l’Indonésie et la Turquie ontégalement adopté une démarche semblable.Selon une étude de KPMG, 22 États ont déjàune telle taxe, six ont un projet de loi en coursd’examen, et dix ont annoncé leur intentiond’en introduire une.

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3.2 La taxe numérique en France

En juillet 2019, la France a décidé d’appliquerune taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires sur lesentreprises dont le niveau global annuel générépar les activités numériques est supérieur à 750millions d’euros, et dont 25 millions sontréalisés sur son territoire. 29 entreprises sontsusceptibles d’être affectées par cette mesure.Trois catégories d’activités numériques « quigénèrent le plus de valeur » sont affectées :• la publicité ciblée en ligne ;• la vente des données à des fins

publicitaires : « l’objectif de cette taxationest d’éviter le contournement de lapremière activité » ;

• la mise en relation des internautes par uneplateforme : « car elle résulte des donnéesqui sont apportées par les utilisateurs ; plusil y a d’utilisateurs, plus la valeurmarchande de la plateforme estimportante ».

Sous la pression des États-Unis, la France, où lerendement de la taxe a été de 350 millionsd’euros en 2019, a suspendu son recouvrementjusqu’à la fin de l’année 2020. En contrepartie,les États-Unis n’imposeront pas les nouveauxdroits de douane sur des produits français,

prévus sur une valeur de 2,4 milliards dedollars. La France a néanmoins fait savoirqu’elle percevrait rétroactivement les taxes audébut 2021, si l’OCDE échouait à trouver unaccord sur une taxe numérique.

Conclusion

En France, les pertes de recettes dues àl’évitement fiscal se situent entre 5 et 10milliards d’euros chaque année. Compte tenu dela situation des finances publiques, ces pertessont un luxe qu’elle ne peut pas se permettre.

L’OCDE a lancé depuis 2015 une stratégie endeux piliers, pour contrecarrer l’évitement fiscalet rapprocher, le paiement de l’impôt desentreprises multinationales, des territoires où lavaleur est créée. L’UE a accompagné cettedémarche et certains pays dont la France ontmême unilatéralement décidé une taxetransitoire sur les entreprises numériques.L’année 2020 devait initialement êtrel’aboutissement de cet ensemble d’actions.

La stratégie de l’OCDE repose sur deux pilierspour lesquels d’intenses négociations sontencore nécessaires.

Le Pilier 1 s’attaque plus particulièrement auxentreprises numériques. Il prévoit un systèmecompliqué, pour un résultat prévisible plutôtmodeste. Il suppose le calcul d’une part dite

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Graphique n°1 : Taxes sur les services numériques dans le monde

Source : Les Echos, 18 juin 2020.

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routinière des profits, puis la réallocation d’unefraction de la part dite résiduelle, entre plusieurspays, selon une formule qui n’est pas encoreclarifiée. Tout cela pour un faible gain derecettes fiscales, mais probablement avec unesource élevée de contentieux. En s’inspirant dudicton populaire, on pourrait penser que lemontage accouche d’une souris. Il est certespossible d’arguer que l’essentiel est de pouvoirétablir un point de départ, ou de fairereconnaître le principe du « nexus » (présencenumérique significative), afin de sortir du cadred’imposition devenu étriqué de la seuleprésence physique. Mais il est égalementloisible de s’inquiéter que l’attractivitéintellectuelle de ce pilier, ne soit un leurre,conduisant à la dissipation en vain d’uneénergie qui pourrait être mieux employéeailleurs.

Le Pilier 2, également complexe, puisqu’il sesubdivise en deux sous-dispositifs, produiraitnéanmoins de bien meilleurs effets, car ilapporterait l’essentiel des gains attendus de lastratégie de l’OCDE. Il s’appuie sur l’idée d’untaux effectif d’imposition minimal opposable,qui est à la fois simple et peut aussi s’appliqueren dehors du cadre de l’OCDE.

Dès avant la pandémie du Covid-19, lessceptiques mettaient en avant l’ampleur et lacomplexité du chantier pour prédire son échec,surtout que les États-Unis faisaient déjàmachine arrière. Depuis, le risque d’enlisementdu processus a sévèrement augmenté. Du restela présentation par l’OCDE du résultat desnégociations a été repoussée à octobre 2020. Le17 juin 2020, les États-Unis ont même décidé dese retirer des négociations et menacé dereprésailles les pays qui appliqueraient une taxesur les services numériques. Il reste qu’un échecdu cadre multilatéral international ne signeraitpas nécessairement la mort de toutes lesmesures discutées. Deux prolongements sontconcevables. L’UE seule pourrait déjà enappliquer l’essentiel, surtout que le Royaume-Uni ne peut plus s’y opposer pour protéger lesîles anglo-normandes. L’UE pourrait aussiprendre la tête d’un consortium international depays qui décideraient d’appliquer le principe dutaux effectif minimum opposable. La plupartdes pays ont à y gagner. Cela paraît le plussimple et le plus efficace à établir à court terme.C’est la stratégie que défendent Lafitte et al.(2020), avec un taux minimum de 20 %. Adéfaut, la voie unilatérale de la taxe sur les

services numériques reste ouverte, avec sesinconvénients.

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une solution à court terme », IndependentCommission for the Reform of the InternationalCorporation Tax, Communiqué de Presse 7Octobre.

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OCDE (2015), « Projet OCDE/G20 sur l’érosionde la base d’imposition et le transfert debénéfices », Rapports finaux 2015, Résumés.

OCDE (2020a), « Déclaration du Cadre inclusifsur le BEPS de l’OCDE et du G20 relative àl’approche en deux piliers visant à relever lesdéfis fiscaux soulevés par la numérisation del’économie », Janvier 2020, Cadre inclusif sur leBEPS de l’OCDE et du G20, OCDE, Paris.

OCDE (2020b), « Tax Challenges Arising FromThe Digitalisation Of The Economy Update OnThe Economic Analysis & Impact Assessment »,Webcast 13 February 2020.

Tørsløv, T., Wier L. et Zucman G. (2018), « TheMissing Profits of Nations », NBER WorkingPaper, n° 24701.

Vicard, V. (2019), « L’évitement fiscal desmultinationales en France : combien et où ? »,La Lettre du CEPII, N° 400, Juin.

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Osons enfin les États-Unis d’Europe

Michel Dévoluy1

Un court essai publié par Michel Dévoluyen mai 2019 (éditions Vérone) défend lanécessité d’aller avec détermination versles États-Unis d’Europe pour la zoneeuro. Nous reprenons ici le texte de la 4e

de couverture.Inachevée et privée de

souveraineté politique, l’Unioneuropéenne est dans l’incapacité dedéployer ses forces au bénéfice de sescitoyens et de ses États membres. Or,l’Union possède la bonne dimension pourse défendre contre la mondialisationdébridée et répondre aux grands défiscontemporains. L’urgence appelle lesÉtats-Unis d’Europe.

Ce livre prend acte des apports del’Union, mais il critique son architectureinstitutionnelle et sa doctrineéconomique trop libérale. Il combat lesdangereuses chimères des replisnationaux et démontre le besoin d’uneEurope résolument fédérale pour la zoneeuro. L’auteur nous invite à regarderl’avenir en face, en pensant auxgénérations futures. Seuls les États-Unisd’Europe offriront aux Européens duXXIe siècle un espace politique autonome,puissant, respecté et protecteur.L’identité européenne viendra alorss’ajouter aux identités nationales.

Essai (broché) paru chez Éditions Vérone le1er mai 2019, grand format, 68 pages.

ISBN : 979-10-284-0851-0

Prix : 11 euros

1 Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR 7522, F-67000 Strasbourg, France.

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La gouvernance économique de la zone euroRéalités et perspectives

Amélie Barbier-Gauchard*, Moïse Sidiropoulos*, Aristomène Varoudakis#

L’ouvrage de référence pour comprendre les débats sur l’avenir de la zone euro.

Depuis la signature du Traité deMaastricht, le parcours de l’euro n’a pasété un long fleuve tranquille : critiquesdu rôle de la Banque centraleeuropéenne, absence de politiquebudgétaire commune, crise de la dettesouveraine, remise en cause desfondements de la monnaie unique…L’architecture de la zone euro pose des

questions. L’UEM cherche un secondsouffle dans un contexte internationalinstable.

Cet ouvrage permet de comprendre lesdifficultés auxquelles la zone euroest confrontée et les défis qu’elledoit relever pour se rapprocherd’une zone monétaire optimale. Enabordant à la fois les problématiquesmonétaires, budgétaires, fiscales,financières et bancaires, il permet decerner, de façon exhaustive, lesdifférentes facettes de lagouvernance économique de la zoneeuro.

Cet ouvrage s’adresse à un public trèslarge : étudiants en scienceséconomiques, sciences politiques, droit,candidats aux concours des grandesécoles ou aux concours administratifs,praticiens ou observateurs del’intégration européenne et, d’une façongénérale, toute personne qui souhaitesaisir les enjeux relatifs à l’unionmonétaire européenne.

Broché : 448 pages, 26,50 eurosÉditeur : De Boeck SUP (22 mai 2018) Collection : Ouvertures économiques Langue : Français ISBN-10 : 2807320104 ISBN-13 : 978-2807320109

Pour une note de lecture, voir https://opee.unistra.fr/spip.php?article378

* Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR 7522, F-67000 Strasbourg, France. # Université de Strasbourg, LaRGE, Institut d’études politiques, Strasbourg, France.

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Macroéconomie en pratique

Moïse Sidiropoulos*, Aristomène Varoudakis#

Cet ouvrage présente les grandsconcepts et mécanismes de lamacroéconomie en alliant la théorie àl’étude des faits, et en analysant lesimplications des réalités observéespour la politique macroéconomique.Pour cela, plus de 40 études de cassont présentées sous forme de focusthématiques.

Tout en privilégiant les analyses nonformalisées et les outils graphiques, lamacroéconomie est ici abordée dans sacomplexité actuelle, issue desbouleversements économiquesprofonds qu’ont entraînés les crisesrécentes. Les chapitres couvrent unvaste champ d’analyse et s’organisentautour:

• d’un cours structuré, assorti defocus thématiques et denombreuses figures;

• d’une rubrique L’essentiel pourretenir rapidement les points clésdu chapitre;

• de questions de révision pours’évaluer.

Éditeur : Dunod Date de parution : 22/05/2019 Collection Eco sup – Etude (broché)ISBN : 2100793721Nombre de pages 260Prix : 21,90€ (papier), 14,90€ (ebook).

Voir pour une note de lecture :

http://opee.unistra.fr/spip.php?article397

* Université de Strasbourg, CNRS, BETA UMR 7522, F-67000 Strasbourg, France. # Université de Strasbourg, LaRGE, Institut d’études politiques, Strasbourg, France.

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Les ouvrages collectifs publiés par l’OPEE

Les politiques économiques européennes

Sous la direction de Michel Dévoluy & Gilbert Koenig, 2e édition, Éditions du Seuil, 2015.

Ce livre couvre tous les champs de la politiqueéconomique européenne (budget, monnaie,emploi, agriculture, industrie, élargissement,coopération internationale, etc.). Pour chaquepolitique, il décrit ses fondements, ses résultats,ses problèmes et ses perspectives.

Ouvrage deréférencecomplet etaccessible à unlarge public, ilconcerne aussibien lesétudiants queles citoyenssoucieux decomprendrevraiment despolitiques qui,plus quejamais, setrouvent aucœur des plusvifs débats.

Cette nouvelleédition est trèslargement

refondue pour tenir compte des bouleversementsinstitutionnels et politiques survenus après l’échecdu projet de Constitution européenne (2005) etdepuis la crise financière de 2008.

Les auteurs sont des enseignants-chercheurs del’université de Strasbourg. Ils sont membres del’Observatoire des politiques économiques enEurope (OPEE) qui est rattaché au Bureaud’économie théorique et appliquée (BETA).L’ouvrage est dirigé par Michel Dévoluy etGilbert Koenig, tous deux professeurs émérites àl’université de Strasbourg.

www.lecerclepoints.comCouverture : © John Foxx/Getty ImagesÉditions Points, 25 bd Romain-Rolland, Paris14. ISBN 978.2.7578.5041.1/Imp. en France01.15 – 10,50€

L’Europe économique et sociale : Singularités, doutes et perspectives

Sous la direction de Michel Dévoluy & GilbertKoenig, Presses Universitaires de Strasbourg,2011.

L’évolution future du système européen peut seplacer dans la continuité sous réserve dequelques réformes destinée à améliorer lagestion des crises économiques et de rassurerles marchés financiers. Elle peut également seréaliser à la faveur de changements plusprofonds qui permettraient notamment de

rapprocher le système de la conception despères de l’Europe.L’analyse de l’orientationactuelle du système économique et socialeuropéen permet d’évaluer le bien fondé d’unetelle conception. De plus, elle lève certainesambiguïtés, notamment celle qui porte sur larelation entre l’économique et le social. Enfin,en évaluant les performances du système et sagestion de la crise économique de 2008-2009,elle permet de comprendre les inquiétudes quesuscite son fonctionnement.

Le système économique et social européensuscite des interrogations et des doutes qui

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résultent surtout des ambiguïtés qui pèsent surla nature de ses objectifs et sur sa finalité. Cesambiguïté ont émaillé toute l’histoire dudéveloppement du projet européen qui esttraversée par des tensions entrel’intergouvernemental et le fédéral, par desrivalités entre les approches libérales etinterventionnistes et par des oppositions entrel’Europe des élites et l’Europe des peuples. Cesconflits résultent essentiellement des difficultésà trouver une voie satisfaisante pour assurerl’intégration européenne. Jean Monnet a joué unrôle particulièrement important dans cetterecherche en essayant de faire passer dans lesidées et les faits sa conception de l’intégrationeuropéenne par la voie économique. On peutvoir une application de cette conception dans lacréation d’une union monétaire européenne.

Éditeur : Presses universitaires de StrasbourgSupport : Livre broché, 24€Nb de pages : 320 p.ISBN-10 : 2-86820-476-7 ISBN-13 :978-2-86820-476-9 GTIN13 (EAN13) : 9782868204769

L’Euro, vecteur d’identité européenne

Sous la direction de Gilbert Koenig, PressesUniversitaires de Strasbourg, 2002.

L’euro peut s’imposer durablement dansl’espace européen non seulement à cause de sesavantages économiques, mais aussi grâce à sacapacité de susciter un sentimentd’appartenance à cet espace.

Cet ouvrage se propose d’étudier dans uneperspective historique et économique, commentl’instauration de l’euro peut contribuer audéveloppement d’un tel sentiment. En tant quemonnaie commune à plusieurs pays, l’euroétablit des liens sociaux, économiques etjuridiques entre les Européens, ce qui suscite un

sentiment d’attachement à une communauté. Deplus, il délimite l’espace européen vis-à-vis dureste du monde, ce qui favorise l’affirmationd’une appartenance des citoyens à l’Europe parrapport à l’extérieur.

Cette affirmation se traduit notamment par unevolonté de détenir une monnaie forte etsusceptible de jouer un rôle important dans lesystème monétaire international. En tant quefacteur d’intégration, l’euro façonne uneorganisation économique, politique et sociale àlaquelle les Européens peuvent s’identifier. Cerôle s’exerce essentiellement par l’intermédiairede la Banque centrale européenne qui gère lamonnaie commune, de l’agencement despolitiques macro-économiques que celle-ciengendre et des relations de travail quis’établissent dans l’union monétaire.

Éditeur : Presses universitaires de StrasbourgSupport : Livre broché, 22€Nb de pages : 336 p.ISBN-10 : 2-86820-201-2ISBN-13 : 978-2-86820-201-7

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Les relecteurs/rapporteurs de ce numéro : EricRugraff (BETA), Phu Nguyen-Van (CNRS, BETA),Meixing Dai (BETA), Damien Broussolle (LaRGE),René Kahn (BETA), Gilbert Koenig (BETA), ValérieMalnati (Commissariat général à l’investissement).

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Appel à contributions pour le Bulletin

Le Bulletin de l’OPEE qui est répertorié dans la base bibliographiqueRePEc fait appel à des contributions. Des propositions d’articlesportant sur la construction de l’Union européenne et ses politiqueséconomiques et sociales sont les bienvenues. Ces articles, précédésd’un bref résumé (destiné à introduire l’article dans le bulletin), nedoivent pas dépasser, sauf exception, 6 000 mots. Les auteurs serontinformés rapidement de la décision prise par le Comité de rédaction surleurs propositions. Envoyez vos contributions à dai @unistra.fr .

O B S E R V A T O I R E D E S P O L I T I Q U E S E C O N O M I Q U E S E N

E U R O P E

Pôle européen de gestion et d’économie (PEGE), 61 avenue de la forêt Noire, 67085 StrasbourgSite Internet : http://opee.unistra.fr

Coresponsabilité de l’OPEE : Meixing Dai et Gilbert KoenigDirecteur de la publication : Meixing DaiImprimé à l’Université de StrasbourgNuméro ISSN : 1298-1184

Les auteurs ayant contribué à ce numéro : Meixing Dai, Université de Strasbourg (BETA) – DamienBroussolle, Université de Strasbourg (LaRGE) – Gilbert Koenig, Université de Strasbourg (BETA) –Aristomène Varoudakis, Université de Strasbourg (LaRGE).

Conception graphique : Pierre Roesch

Mise en page : François Mauviard Université

de Strasbourg