Dix petites sorcières

Dix petites sorcières

Sophie DieuaideIllustré par Marie-Pierre Oddoux

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C H A P I T R E 1

ThermoMagix ?Festinus ou

A llongée sur mon lit, là-haut dans ma chambre sous les toits de la maison de Sorcière Agatha, je feuilletais mon

cahier d’Histoire des Astres. Mandragore, sur son coussin en fourrure rose, n’était pas très actif non plus.

– Tu rêvasses ou tu travailles, Esther ? a rigolé mon chat. Et alors ? Pour une fois depuis que le Grand Conseil des Sorcières nous avait envoyés dans l’Autre monde, chez les humains, nous n’avions rien à faire d’urgent. Je n’étais pas en retard pour

FESTINUS OU THERMOMAGIX ?ESTHER ET MANDRAGORE

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renvoyer les devoirs que me faisait parvenir la directrice de l’école. Je n’avais pas non plus de grosses bêtises à rattraper et aucun sort d’Oubli à lancer. Aucun humain ne m’avait surprise en pleine magie et mon chat ne s’était pas mis à parler soudain en pleine rue. Même Agatha, occupée à je ne sais quoi dans la cuisine depuis deux lunes, ne me confiait pas la moindre mission, même pas une petite course en ville.

– Tu ne devrais pas être en train d’observer les humains ? De découvrir un autre de leurs petits secrets pour avoir quelque chose à raconter au Grand Conseil ? m’a demandé mon chat.

– Si, si... Mandragore s’est étiré.

– Et si on descendait voir ce que traficote Agatha ?

– Je ne sais pas... Je suis bien... ai-je répondu. Tu vois, Mandragore, au début, ça ne me plaisait pas, l’école par correspondance. Je trouvais ennuyeux d’étudier sans mes amies, mais plus j’y réfléchis...


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– ... plus tu préfères ta couette aux bancs de l’école ! m’a interrompue Mandragore. Et plus tu aimes te lever à n’importe quelle heure et que personne, Dame Cyrielle par exemple, n’entre dans ton dortoir en criant : « Esther Fleurdefer ! Toutes les nuits, vous êtes en retard en classe ! » Pas étonnant que tu ne regrettes pas notre vie d’avant ! Quitter le dortoir dans les courants d’air glacé, supporter dès le réveil les bavardages d’Éloïse et Mahaut, avaler un affreux petit déjeu-ner de pain et de soupe malodorante dans le ré-fectoire, et atteindre enfin la classe pour écouter les cours jusqu’à la levée du jour... Bon ! On des-cend ?

– Je ne sais pas...– Oh, Esther ! s’est écrié mon chat. Tu te mets à

aimer la sieste encore plus que moi ! Est-ce qu’il n’y aurait pas, dans l’Autre monde, une sorte de pollution atmosphérique qui aurait un effet étrange sur les petites sorcières ? Peut-être ce gaz carbonique dont ils parlent tant ?


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Content de lui, Mandragore a souri.– Oui... a-t-il dit. C’est ça... Quelque chose dans

l’air d’ici te transforme peu à peu... en chat !On est descendus. Par les escaliers. Même mon chat qui n’aime pas marcher ne m’a pas demandé de lancer un sort pour nous transporter au rez-de-chaussée. On fait moins de magie quand on n’est pas pressé.La porte de la cuisine était fermée. Bizarre… Et on entendait beaucoup de bing ! et quelques chkling !

– Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ? a dit Man-dragore.De l’index, j’ai tracé un cercle sur la porte et j’ai murmuré :

– Quid mihi Agatha...Bien sûr, dans un halo scintillant, une image diffuse est apparue.

– C’est flou, a râlé Mandragore. Répète la formule, ça sera peut-être plus net !

– Quid mihi Agatha...


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C’était mieux, en tout cas suffisant pour voir qu’Agatha vidait les placards et jetait toutes sortes de récipients.

– Maiiiiis... a bêlé Mandragore, est-ce que ça veut dire qu’elle ne nous fera plus jamais la cuisine ?

– Il te restera tes croquettes.– Oui, mais je préfère les bons petits plats...

La porte s’est ouverte avant que je n’ai eu le temps de répondre.

– Alors ? On lance des sorts pour m’espionner ? a dit Agatha. Me prenez-vous pour une sorcière débutante qui ne sent pas quand on pratique la magie à proximité ? Entrez !

– Tu... jettes tout ? a gémi Mandragore en déviant sa route pour éviter un tas de casseroles.

– Silence, espion ! a tonné Agatha. Regarde là-bas !Impossible de le rater : l’énorme engin occupait la moitié de la table. Composé d’un socle d’un rouge intense et d’une cuve en métal, il brillait de mille feux.


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– Wahou... une invention d’humain, m’a chuchoté Mandragore.

– Tais-toi, James Bond poilu ! a continué Agatha (mais je n’ai pas compris pourquoi elle lui disait ça). Je jette les ustensiles dont je n’ai plus besoin. Admirez donc mon nouveau, mon merveilleux, mon extraordinaire ThermoMagix !Et, avec des gestes enthousiastes, elle s’est lancée dans une démonstration. D’après elle, la machine coupait, éminçait, mixait, cuisait, mijotait absolument n’importe quel plat à son bon vouloir. J’ai pensé qu’un sortilège de Festinus lui aurait permis de faire apparaître encore plus vite un sublime banquet, mais je n’ai rien dit, Agatha mettait déjà des ingrédients dans la cuve.

– Voilààà... a-t-elle chantonné en tapotant des boutons. J’entre dans l’ordinateur intégré le nom du plat et... j’attends !Après un bruit infernal suivi d’un bip-bip, le ThermoMagix s’est arrêté pour prononcer d’une voix métallique :


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– Pou-let-à-l’espa-gnol... prêt... à... con-som-mer...

– Aaaaaah ! a crié mon chat. Il parle !Joyeusement, Agatha nous a servi une assiette et une écuelle.

– Si mademoiselle Fleurdefer et monsieur Mandragore 007 veulent bien goûter...C’était bon. Très bon, même. Mandragore a seulement fait remarquer que c’était trop épicé.

– Bien sûr... Le chorizo, ce n’est pas ce que pré-fèrent les chats, a répondu Agatha. Mais quand j’ai passé la commande de mon cher ThermoMagix, j’ai pensé à toi, Mandragore.Et sous les yeux ébahis de mon chat, elle a posé un livre sur la table. Il était petit, il était carré, il était joli. Sur la couverture, un charmant chaton se léchait les babines devant un bol bien garni.


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– Lis-moi ce qui est écrit, Esther ! s’est impatienté mon chat.

– Relis ! Oh, relis encore, Esther !– Avec ThermoMagix, je cuisine pour mon

chat, 13 délicieuses recettes diététiques...Diététique, chorizo, James Bond, 007... Ce jour-là, Sorcière Agatha faisait collection de mots inconnus. Elle vivait dans l’Autre monde depuis si longtemps qu’elle ne se rendait pas compte qu’arrivée depuis peu, j’avais du mal à comprendre. Mandragore se moquait de tout ça ; ému, il ronronnait. Les pattes avant posées amoureusement sur le livre de recettes, plus exactement sur le bol du chaton, il s’est mis à miauler comme un chat d’humain.

– Miaouuu...– Tu as l’air content, Mandragore, s’est réjoui

Agatha.– Oooh... oui ! s’est-il écrié. Il n’y a pas une

sorcière qui comprend les chats mieux que toi ! Nous avons passé la soirée à monter et descendre


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l’escalier. Quand Mandragore voulait vérifier si une nouvelle recette était prête, quand Agatha m’appelait par bougies murmurantes. La flamme de ma bougie se mettait à vaciller. Je m’approchais, sachant bien que ce ne serait ni ma mère pour prendre de mes nouvelles, ni même mon amie Lucia pour me faire un petit coucou de chez nous.

– Esther... me chuchotait la voix d’Agatha. Tu descendrais goûter ?Et la vibration de la flamme trahissait son impatience.Le lendemain, moi et mes livres de classe, Mandragore et son coussin rose, nous avons fini par nous installer au salon. C’était plus pratique. À l’appel d’Agatha, nous n’avions que le couloir à traverser. Bientôt, le placard qui garde tout au froid (dont j’oublie sans cesse le nom) a été vide. Alors, j’ai proposé d’aller faire quelques achats. Je sentais qu’il était temps que je bouge un peu. Le Grand Conseil des Sorcières m’avait envoyée dans ce monde pour me féliciter de ma curiosité.


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Entre le canapé douillet et la boîte à images qui bougent qu’Agatha laissait en permanence allumée, elle commençait à s’émousser.Mais Agatha a refusé :

– Pas le temps, Esther ! Fais donc apparaître des légumes et des épices...

– Leguminis, aromatis conditum apparis... – Mais non ! Pas sur la table ! a protesté Agatha.

Mets-les au frais.Et j’ai lancé un sort d’Envol. C’était amusant, c’était même joli, cette farandole de légumes de toutes les couleurs qui s’élevaient dans les airs, formaient une ronde au plafond avant de redescendre se ranger dans le placard froid. Un instant, j’ai pensé aux humains. Certains soupirent dans les magasins, il semble que faire les courses les ennuie. Ils adoreraient sans doute connaître un sortilège pour garnir leurs placards. Quel dommage que leur parler magie soit interdit !


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Nous avons regagné le salon et, à midi, mon chat avait déjà englouti les recettes des pages 7, 8 et 12 :

Volaille braisée et ses carottes nouvelles,

Boulettes de cabillaud sur lit d’épinards,

Fricassée de poulet aux légumes du soleil.

– Tu sais quoi, Esther ? a dit Mandragore. En ce moment, elle me prépare un émietté de sardine au coulis de tomates. Je le sens d’ici, ça va être une merveille. Coussins de première qualité et gastronomie féline... je te le dis... le monde des humains, c’est le paradis !

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