40
u P. 6 LE DOSSIER DÉMONDIALISATION P. 38 SCIENCES LA RÉVOLUTION DES BIOTECHNOLOGIES Par Michel Limousin P. 34 DES FLUX DU NON MONDE CAPITALISTE AUX FLUX DU COMMUNISME ET DU MONDE ÉCLATS Par André Tosel P. 6 REGARD ENTRETIEN AVEC STANLEY GREENE, PHOTOGRAPHE N°12 DÉC 2011 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF COMMUNISME EN QUESTION

DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

u P.6 LE DOSSIER

DÉMONDIALISATION

P.38 SCIENCES

LA RÉVOLUTION DES BIOTECHNOLOGIESPar Michel Limousin

P.34 DES FLUX DU NONMONDE CAPITALISTEAUX FLUX DU COMMUNISME ET DU MONDE ÉCLATSPar André Tosel

P.6 REGARD

ENTRETIEN AVEC STANLEY GREENE, PHOTOGRAPHE

N°12DÉC2011

REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

DU PCF

COMMUNISME EN QUESTION

Page 2: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

2 SOMMAIRE4 FORUM DES

LECTEURS/LECTRICES

5 REGARDEntretien avec Stanley Green

7 u23 LE DOSSIER

DÉMONDIALISATIONRenaud Boissac Quelle(s) (dé)mondialisation(s) pour un projet émancipateur  ?

Bernard Cassen Pour que l'altermondialismecesse de tourner en rond

Jean-Marie Harribey Ne pas se tromper de cible

Elisabeth Gauthier Changer le monde

Paul Boccara Une radicalité illusoire

Arnaud Montebourg Changer de logiciel

Jacques Sapir Démondialisation et protection-nisme européen

Sandra Moatti Pourquoi la mondialisation est réversible

Alain Morin face aux délocalisations, l’exigence d’une nouvelle industrialisation

Michel Rogalski Démondialisation : le débatinterdit ?

Clotilde Mathieu La mondialisation en chiffres

Mireille Schurch Démondialisation et territoires

Jacques Fath Un développement humaindurable pour un nouvel ordre international

L’humain d’abord ! La France pour changerle cours de la mondialisation

24 COMBAT D’ IDÉESGérard Sreiff : La résist ble droitisation

25 SONDAGESOn vit moins bien qu'avant !

26 PROGRAMME DU FRONT DE GAUCHE EN DÉBATContribution au partage et à l’échange autourde L’humain d’abord

28 NOTES DE SECTEURSanté Le défi de l’éradication de la transmission du virus du VIH Quartiers populaires Les quartiers populaires aucœur de la bataille idéologique

30 REVUE DES MÉDIASAlain Vermeersch La démocratie ligotée en Europe

32 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Pierre Laborie, Le chagrin et le venin• David Harvey, Le nouvel impérialisme• Thierry Lodé, La biodiversité amoureuse.Sexe et évolution • Bernard Vasseur, La Démocratie anesthésiée

34 COMMUNISME EN QUESTIONAndré Tosel Des flux du non monde capitaliste au flux du communisme et du monde éclats

36 HISTOIREPhilippe Bourdin Être citoyen sous le Directoire

38 SCIENCESMichel Limousin La révolution des biotechnologies

40 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

2

Place au peuple  ! Résolument  !Excellente initiative. Il n'y a plus dans l'espace public de parole dissidente et pertinente qui affranchirait nos citoyens d'unelecture unique des évènements qui frappent notre pays. Sont-ils informés que cette crise c'est le moteur du démantèle-ment de toute la gratuité des services publics. Notre richesse commune, le socle du pacte républicain. Ils ouvrent la porteà la corruption, à l'inégalité qui va faire s'effondrer la chance d'un parcours santé gratuit de l’école n

JOËLLE LANTERI, MEDIAPART

Démocratie participative ? [...]Pourquoi poser la démocratie en premier et non pas le cadre offert par la société  et également pourquoi ajouter leterme participatif qui me semble-t-il est inclus dans l’idée de démocratie ? Je pense que de poser les termes ainsi risquede réduire le sens à un droit «  d’intervenir à son niveau  ». [...]Les citoyens libres doivent s’exprimer en fonction de leurconception du monde et non en tant que catégorie sociale, culturelle... Ainsi de poser le vote des femmes, des émigrés...risque d’enfermer les personnes dans des référents prédéterminant leurs choix. De fait, un individu libre ne devrait-il pasfaire ses choix en tant qu’individu et non en tant que membre d’un groupe  ?[...] La professionnalisation de la politique aproduit une sorte de caste déconnectée du monde réel  ; c'est-à-dire agissant en tant que membre d’une catégorie avantd’agir en tant que citoyen,  représentant du peuple. [...] Ne pourrait on penser le travail politique comme quelque chosede ponctuel dans la vie d’un individu duquel il ne retirerait aucun statut ou avantage particulier à l’exception de ce qui estnécessaire à la réalisation de sa mission ? n PHILIPPE MISRAHI

FORUM DES LECTEURS

Nous disposons d'une édition La Revue du Projet publiée et recommandée parla rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaborationen réagissant, en commentant et en diffusant largement les contributions quenous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet

Note : Pour tout commentaire concernant cette édition, vous pouvez nous contacter à l'adressesuivante : [email protected]

Femmes Hommes

Parce que prendre conscience d'un problème, c'estdéjà un premier pas vers sa résolution, nouspublions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s'exprimantdans la revue.

Part de femmes et part d'hommes s'exprimant dans ce numéro.

Page 3: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

3

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

3

PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

ÉDITO

NOUVEAU TESTAMENT

I l faut relire les Évangiles. Et lesGrecs. Et les Égyptiens. À lasource ou avec l’aide de la

philosophe Simone Weil.

Il faut les relire, résolument. Cestextes sont des sommets de l’esprithumain. Plus de 2000 ans nousséparent “ et pourtant ” les intui-tions les plus fondamentales de cestextes sont intactes. Les pouvoirs,économiques, financiers, politiquesau sens étroit, regardent les êtreshumains comme des objets. Et cestextes opposent le respect inalié-nable de la personne humaine etnotre responsabilité individuelledevant les forces qui privent lesêtres humains de leur droit au déve-loppement physique et spirituel.

Dans Des origines de l’Hitlérisme,Simone Weil, cite les propos attri-bués au dieu Râ, quarante sièclesplus tôt : « J’ai créé les quatre ventspour que tout homme puisserespirer comme son frère... J’ai créétout homme pareil à son frère. Etj’ai défendu qu’ils commettent l’ini-quité, mais leurs cœurs ont défaitce que ma parole avait prescrit ».

Que le lecteur patient et indulgentse rassure : l’auteur de ces lignesn’a pas (encore ?) été touché par lagrâce.

Et pourtant... il est quant à moicertain que rien de plus grand nepourra être écrit que ces textes quienvisagent l’être humain sous lerapport de son droit fondamentalau bonheur. A pouvoir se nourrir,s’éduquer, connaître la passion desarts, travailler chaque jour pour lebien de la communauté humaine,être logé, jouir de la chaleur d’unfoyer, avoir la vie digne qu’autorise

un ordre social respectueux de lapersonne humaine.

Il y a quelques jours j’ai participéà une réunion publique au coursde laquelle certains participants sesont mués en chasseurs d’utopieet de rêves, de systèmes compli-qués à venir censés résoudre avecmagie les problèmes posés à lasociété actuelle.

À la fin de cette réunion, je me suisfait à moi-même cette remarque :cette chasse à l’utopie magique estvaine. Elle est littéralement unefuite en avant. Une manière de fuirdans un propos compliqué, lanécessaire réappropriation parchacune et chacun, des buts fonda-mentaux de notre action politique.

Je reformule une seconde le para-graphe précédent. L’état socialactuel prive chacun, chacune dudroit premier à se respecter.Respecter son travail, son besoind’éducation, de temps libre, derapport authentique à l’autre. Lemarché a même pris possession denos désirs. Et cette privation de soiconduit, dans l’ordre politique, àremettre sans cesse la libérationhumaine dans un au-delà deconstructions sociales compli-quées.

Je reformule encore. L’un desproblèmes – l’un seulement, jen’écarte pas la foule des problèmesdu moment –, l’un des problèmesde l’utopie n’est-il pas simplementde faire toucher à chacun-e ladignité de ce qu’est être humain.Donner au travailleur agricole ladignité profonde de son travail auregard des besoins humains,permettre au travailleur d’usine de

maîtriser ce qu’il produit, commentil le produit et pour quel usagesocial. Donner à chaque ensei-gnant, à chaque artiste la recon-naissance que méritent celles etceux à qui la société a donné latâche de nourrir les esprits et lesâmes.

Ce mois-ci, cet édito est un plai-doyer. Un plaidoyer pour unesimplicité assumée. L’idée deprogrès humain est à mes yeux toutentière dans cette affirmation de ladignité humaine. Tout le reste, etpourtant de grande importance,n’est que contingence scientifiqueet technologique.

Notre liberté fondamentale estd’être des êtres humains dignes dece nom. C’est le seul but de la poli-tique. Tout le reste appartient à lasphère des contingences ou deserrements. Et, pour ce qui meconcerne, c’est ce fondamental quifait de moi un communistejoyeux. n

Page 4: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

44

FORUM DES LECTEURS

Je l'ai lu ! Quel ouvrage remarquable à conseiller vivement à toutes celles et ceuxqui persistent à refuser d'être les moutons bêlants d'un panurgisme apeuré ! Maisqui et combien en ont entendu parler  ? Toute la question fondamentale est là ! n

JEAN-MICHEL ISEBE, MEDIAPART

Merci de nous avoir communiqué cette magnifique et magistrale conférence deBernard Vasseur. Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible et doux pour les riches, cynique et méprisant (cf La société du méprisd'Axel Honneth) conduisant à l'asservissement. L'abrutissement à la tâche de l'ou-vrier ou à l'inactivité de l'exclus contribuent au grand écart toujours plus accen-tué entre l'oligarchie et ses commis petits ou grands et les classes moyennes etpopulaires. On voit bien où cela mène à la servitude que le despotisme finit parconstruire pour qu'elle devienne  volontaire. n KOSZAYR, MEDIAPART

" Il n'y a pas de plus cruelle tyrannie que celle qui s'exerce à l'abri des lois et avecles couleurs de la Justice" Montesquieu. n POPPIE, MEDIAPART

Un très bel argumentaire, où l'on sent du "vrai". Une démocratie se meurt danslaquelle les citoyens, "je" abusés et désabusés, ne forment plus un "nous", etdeviennent donc d'autant plus vulnérables aux effets des pouvoirs. Ces pouvoirssont redoutables car ils sécrètent leurs toxiques sous la forme de discours, d'idéo-logies qui empêchent de penser le monde autrement. Les laboratoires à idées peu-vent fournir des contre-poisons, mais ils ont toujours des trains de retard sur lesenfumeurs. Il leur faudrait au plus vite anticiper, ce que fait Bernard Vasseur enpréfigurant une forme new look de despotisme démocratique. n

ARTMONICA, MEDIAPART

La démocratie ne peut pas être ethniqueUne des propositions émises par Olivier Dartigolles dans son article «  la démocra-tie comme réponse à la crise européenne  » me surprend  : la garantie de la repré-sentation des minorités. Il faudrait un peu plus de précisions pour savoir de quoinous parlons. Garantir la représentation de minorités n’est pas forcément gage dedémocratie soit parce que les individus qui la représentent peuvent très biendéfendre des intérêts particuliers soit parce que la «  minorité  » elle-même estsujette à caution. Quelle définition donner à «  la minorité  »  : une religion  ? ungroupe quelconque qui se définit lui-même  ? Des personnes de couleur (à quellenuance arrête-t-on l’appartenance à l’un ou l’autre des groupes  ?)  ? Bref nedevrions-nous pas axer une partie de nos propositions sur la garantie que leniveau social des élus, tant au niveau européen, national que local, soit représen-tatif des classes sociales de la population  ? n DANTE BASSINO

AfghanistanZendagiMagnifiques photos surtoutcelle de l'auto-tamponneuse!

Ispahan, Mediapart

Très belles photos quimettent en évidencel'enfermement des femmes.

Michel, Mediapart

Sur lechristianismeQuel plaisir que ce sujetpuisse être abordé dans unjournal du PCF !

Pierre Assante

La commission nationale duPCF qui travaille sur lesrapports avec les croyantsaujourd'hui porte beaucoupd'intérêt aux questions de laplace des femmes dans lesdifférentes culturesreligieuses. Le regardrétrospectif de l'histoirecontribue à comprendre leprésent. Il serait très utileque toute personneintéressée par les problèmesde la laïcité et des rapportsavec les croyants, aujourd'huicomme hier, dans lechristianisme comme dansd'autres cultures religieusescontacte la commission.

Pierre Saly

Polar etpolitiqueMerci à Gérard Streiff pour ceregard sur la politique traitéepar le polar. En complémentj'attire l'attention des lecteursde la revue sur l'excellentlivre de Dominique SigaudConte d'exploitation. Il y ades passages remarquablessur la dérive "vichyste" decertains secteurs policiers.Plus éclairant qu'une thèse !

Patrick Coulon

La démocratie anesthésiée

Page 5: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

«S TANLEY GREENE est un photographe réso-lument iconoclaste qui met à jour nos contra-

dictions, une sorte d'écorché vif qui s'entête à s'in-troduire dans les plaies encore béantes qui saignentet hurlent leur douleur, parfois silencieusement, danstous les coins du globe. Explorateur infatigable d'unmonde abandonné à lui-même, pourfendeur mélan-colique de la folie des hommes, il trimballe la mortet la misère comme des bagages encombrants quile poursuivent sans trop lui laisser le choix. Jugeimplacable de la condition humaine, il traduit à lafois les renoncements inacceptables qui s'imposentsous nos yeux et les défis majeurs qui attendent l'hu-manité. Son objectif est paradoxalement une armede paix qui part en guerre contre les circonstancesque nous avons trouvées et qui ne sauraient se main-tenir éternellement. Nous côtoyons à la fois un désen-chantement profond et un refus radical, de par laviolence symbolique ou physique suggérée par lesimages, de l'état de choses existant. Le génie artis-tique dialogue ici en permanence avec les méandresde l'âme et le poids lourd de notre responsabilité etde nos manquements ».

NICOLAS DUTENT

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

REGARD

55

Entretien avec Stanley GreeneStanley Greene, ancien Black Panther issu d’une famille américaine pro-gressiste, ce début dans la vie n’est pas banal...Effectivement. Mon père était communiste, davantage intéressépar le concept que par une réflexion réelle sur l’application effec-tive de ce concept. Il lisait Karl Marx, qui a dit des choses essen-tielles tandis que dans le même temps, les contemporains qui onttenté, en Russie par exemple, de donner « corps » à sa penséeont tôt fait de donner une tournure pour le moins sclérosée à sestextes, à sa vision. Occultant au passage les évolutions nécessairesà apporter à cet idéal. Il faut aussi considérer que le communismeen Amérique est différent. L’« intelligentsia » américaine le vivaitde manière plutôt romantique. Ce qui n’a cependant pas empêchémon père d’être « blacklisté » par le gouvernement de l’époque.Ronald Reagan et ses amis se sont arrangés pour évincer lesprogressistes américains de cette période, entrant dans une folle« chasse aux sorcières ». Dans ce contexte mon père a pourtantobtenu 2 000 voix à une élection locale importante, avec le soutiendu parti travailliste et un engagement syndicaliste fort et remarqué.Le paradoxe est que mon père, à sa mort, a obtenu les honneursmilitaires. Car il croyait malgré tout aux États-Unis tout en vilipen-dant le gouvernement américain et ses positions d’alors. Unepratique également très courante de la part des conservateursconsistait à fustiger de « communistes » tous les acteurs de la vie > SUITE

PAGE 6

© S

tanl

ey G

reen

e -

Noo

r/C

ourt

esi G

aler

ie la

pet

ite p

oule

noi

re

Page 6: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

6

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

REGARDpolitique, socialistes ou non, qu’ils voulaient écarter du pouvoir. Onle constate encore aujourd’hui quand on veut faire passer BarackObama pour un grand homme de gauche alors qu’il incarne davan-tage le centre de l’arc politique américain. Être noir n’implique pasêtre de gauche. Je suis encore persuadé que l’Amérique est trèsconservatrice et croyante. Quand tu as ces deux idées en tête, tucomprends comment et pourquoi le discours ambiant qui existesur place permet aux américains de se convaincre eux-mêmes quel’exploitation, par le travail et la concurrence, est un bénéfice pourla société. Il y a une sorte de masque derrière lequel se cache cetteAmérique qui continue de prétendre œuvrer pour le bien de tousalors qu’on constate que tout se décide en fonction d’agendas etde « desiderata » qui arrangent surtout les grandes entreprises.

Le capitalisme demeure le meilleur moyen, et le plus efficace, d’en-dormir les gens, d’amuser les foules avec quelques réseaux sociaux...pour mieux les contrôler et tirer le maximum de profits dans cettecourse. On le constate avec les émeutes récentes qui ont eu lieu àLondres : l’organisation spontanée  des gens qui ont participé à cemouvement a pris de cours les forces de l’ordre, les policiers ontété complètement dépassés par ce réveil à la fois surprenant etphénoménal. Et paradoxalement tout cela n’aurait jamais connuune telle ampleur sans l’intervention de ces mêmes médias sociaux.Reste qu’avec le développement croissant des blogs etc, la non-vérification des informations et des sources s’installe et m’inquièteparticulièrement. Il faudrait selon moi revenir au principe implicitedu journalisme qui vise à valoriser les cinq fondamentaux, à savoirla règle : « Who, what, when, where, why? » (Qui, quoi, quand, où,pourquoi ?). Il faut répondre à ces questions et les vérifier.

Vous abandonniez il y a quelques années la photographie de mode pourvous consacrer pleinement à l’activité de photo-reporter, cela correspond-t-il à une quête de sens dans l’acte photographique ?Avant même la photo de mode, j’ai commencé par photographierla scène punk-rock qui a émergé pour une bonne part dans lesécoles d’art. Je suis plus tard venu au photo-reportage à la fois parchance et par accident. J’ai presque envie de dire que j’avais unappareil photo autour du cou.

Ce champ-là du photo-reportage vous épanouit-il davantage ? Ce qui me passionne, c’est fondamentalement ces petits puzzlesque je rassemble pour former des récits. J’ai aussi besoin d’être encontact avec la mort et la misère qui sont des histoires qu’on neraconte pas ou peu. La rencontre avec Eugène Smith (un des photo-journalistes les plus anciens et talentueux) a aussi été décisive.

Une critique sous-jacente de votre travail consiste à dénoncer la « militari-sation » du monde (voir reportage en Tchétchénie), est-ce un moyen deprolonger votre engagement de jeunesse ?Très probablement si je rappelle que, dans un premier temps, je mesuis engagé auprès de « grassroots » dans le Michigan, après quoije me suis rangé sous le drapeau de rassemblements américainsqu’on dirait « gauchistes », activistes ou anti-système propres auxannées 60/70, vent debout contre la guerre du Vietnam. C’est aussià cette période que Jesse Jackson a fini par être « instrumenta-lisé ». Il y avait beaucoup d’agitation populaire, l’âme de la rueprenait la parole, délivrait son message et la question du féminismeémergeait dans les débats. Il y avait des tendances plus radicalesqui s’engageaient dans des sabotages, attaques à la bombe... Accoin-tances politiques et émergences musicales rythmaient mon quoti-dien, je gravitais autour de cette ambiance. Nous possédions aussiun journal qui faisait office de « paravent » et relayait aussi biennos activités que nos aspirations.

Vous photographiez sans complexe des scènes de guerre, que doit-on etque peut-on photographier ? Peut-on figer l’intolérable ?Je me suis toujours refusé de photographier une exécution. C’estma limite. C’est trop choquant en soi.

Pensez-vous que vos clichés, dont certains sont très déstabilisants par laviolence qu’ils suggèrent, peuvent représenter une sorte de provocation,ne serait-ce que pour le regard ?Pas de problème, je peux bien gâcher une journée de vie (rires).Plus sérieusement, je suis tout à fait tranquille avec le fait de pousserles gens dans leurs retranchements et leur imposer de voir ce qu’ilsne veulent pas voir. Cela peut les mettre mal à l’aise mais en mêmetemps cette réalité est là. Je ne supporte pas non plus et pourexemple ce « fantasme » autour du viol ou des assassinats que jevais vous expliquer. On montre en effet énormément cette imageriedans les films et dans les livres d’une manière tout à fait banalisée.Mais quand cela est dénoncé de manière plus franche et sans filtre,quand ces crimes vous sont dépeints sous les yeux, à cet instantplus personne ne veut les voir. Dans la vie réelle on veut effacer denotre mémoire cet aspect des choses alors qu’il s’impose au présent.Mais au cinéma, alors que ces scènes sont omniprésentes, ça nechoquera pour ainsi dire jamais. Cette mauvaise foi me fascine...

À titre individuel, comment parvenez-vous à lutter contre la trace laisséepar cette violence dont vous avez été tant de fois témoin ?Rock’n Roll ! (rires) La musique est ma drogue. Ma mère adorait lechampagne, les framboises, les Doors et Dylan. Elle m’a transmisle goût de la musique. C’est devenu ma propre échappatoire.

S’accoutume-t-on à côtoyer la mort ?Quand je décide de partir je suis serein car je me suis fixé préala-blement un objectif (couvrir un conflit) et je garde ce cap. Au momentoù je reviens c’est en revanche beaucoup plus difficile, c’est cettepeur du retour que j’appréhende comme un terrible effet de « boome-rang ». Généralement, cette réadaptation à la vie normale est trèspeu commode car les gens que je retrouve mènent une existencediamétralement opposée à celle dans laquelle j’ai été immergé. Jedois affronter alors de grandes contradictions. Il y a un vice à cela,c’est l’adrénaline qu’on cherche à relancer et cette aventure à lafois effrayante et enivrante qu’on veut chaque fois renouveler. Laphotographie revêt en ce sens un aspect addictif.

Entretien réalisé par Nicolas Dutent, Hortense Pucheral et l'aimable contribution d'Isabelle Ziserman pour la traduction.

Liens utiles : www.polkagalerie.com/photographeswww.noorimages.com/photographers/stanleygreene

SUITE DELA PAGE 5 >

À la Galerie La Petite Poule NoireENTRE CHIEN ET LOUP - Photographies de Stanley Greene

du 10 novembre au 23 décembre 201112 boulevard des Filles-du-Calvaire 75 011 Paris

Ouvert de 12h à 19h / du mardi au samedi M° Saint Sébastien Froissart

http://www.lapetitepoulenoire.fr/

Page 7: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

7

LE DOSSIER

7

PAR RENAUD BOISSAC*

Poser la question de quelles(dé)mondialisations pour un projetémancipateur montre à quel point

la gauche politique, mais aussi associa-tive et syndicale, se retrouve face à unenjeu majeur : quelle alternativeproposer face à la gravité de la crise ducapitalisme, dans sa forme actuelle :financiarisé et mondialisé ?

Arrivée à grands renforts médiatiques àl’occasion des primaires socialistes, l’idéede démondialisation, soufflée demanière discrète par quelques-uns aupa-ravant, est venue chambouler le débatà gauche. Portée par le score d’ArnaudMontebourg, alimentée par des débatsau sein des mouvements altermondia-listes, la popularité de ce concept traduitaujourd’hui le besoin d’une part crois-sante de la population de trouver desréponses face aux effets désastreux dela crise. Ainsi, les délocalisations, lechômage, la précarité apparaissent nonpas comme les conséquences du capi-talisme mondialisé mais comme lesconséquences de la mondialisation elle-même. En outre, cette idée, pouvant sedéfinir comme un retour « sur les libé-ralisations généralisées : en tout premierlieu celles des marchés de biens etservices et celles des circulations de capi-taux » (Frédéric Lordon), se caractérisepar certaines “mesures-phares” tellesque les relocalisations et la reterritoria-lisation de la plus-value et des profitsdes firmes, un retour à l’idée de l’État-Nation comme expression privilégiée dela souveraineté populaire, la ré-indus-trialisation, des droits de douane sélec-tifs et ciblés, la taxation sérieuse des acti-vités financières... La démondialisationse construit donc sur une critique ferme

du libre-échange et de la dérèglemen-tation financière, coupable de porteratteinte aux droits sociaux et à l’environ-nement. Elle s’attache à dénoncer lemythe d’une mondialisation « heu -reuse », qui aurait permis le développe-ment des pays du sud. Dès lors la démon-dialisation se traduit in fine par unecristallisation des angoisses populairesenvers la mondialisation et /ou l’UnionEuropéenne.

La construction de l’alternative demandecependant d’adopter une certaine cohé-rence idéologique. Ne pas opposer, parexemple, la régulation financière et labataille pour l’emploi. Au contraire, l’en-semble de la gauche – syndicale, asso-ciative et politique – qui conteste l’of-fensive ultra-libérale doit être en mesurede travailler communément dans lesluttes sur des mesures de régulation desmarchés et de l’actionnariat, de protec-tions écologiques et sociales comme surun nouveau mode de production, avecl’ensemble des exploités, de l’agricul-teur africain au salarié européen.

L’intérêt est donc de créer du communen dépassant l’idée que la critique ducapitalisme financier et mondialisé doitse travailler indépendamment entreassociatifs, syndicalistes et politiquesmais que face à une droite de plus enplus extrême qui divise la classe exploitéeentre les pays, les origines... les diffé-rentes composantes doivent être encapacité de se rassembler autour d’uneanalyse de classe. Non pas proposer un simple protection-nisme face à d’autres États vus commedes « adversaires » mais faire émerger unpeu partout de nouveaux droits pour lessalariés, les jeunes, les populations. Non pas se replier sur nos frontières,mais permettre la reconquête du poli-

tique face à l’économique grâce à unedémocratie et une République refondéequi intègre à tous les niveaux les citoyensaux prises de décision donc grâce à unesouveraineté populaire retrouvée. Non pas incanter une sortie de l’euro,mais poser l’urgence d’un nouveaurapport capital/travail et de la sortie dunéolibéralisme et du productivisme àoutrance. Quand a-t-on vu que les paysnon membres de la zone euro étaient plusprotégés des logiques du capitalisme ? Non pas seulement réindustrialiser, maischanger les rapports de forces au seinde l’entreprise comme le contenu mêmede l’industrie.

Toutefois, l’apparition du concept dedémondialisation permet de mettre aucœur du débat public l’idée d’un projetalternatif, l’idée que la mondialisationultralibérale ne serait pas la fin de l’his-toire. Certaines propositions sont enoutre intéressantes et méritent d’êtrediscutées car même si les finalités diver-gent, des convergences existent.

Un projet émancipateur demande doncde s’inscrire dans un processus général.C‘est aujourd’hui tout l’enjeu face auquelse trouve la gauche de transformationsociale. Conquérir le pouvoir sur lecapital en articulant nécessairement lesluttes et mouvements sociaux au travaild’élus dans les institutions, à tous lesniveaux (local, national, européen).C’est là la leçon qu’il faut tirer des diffé-rentes luttes en Grèce, en Égypte ou enEspagne. n

*Renaud Boissac est coordonateur du dos-sier « Démondialisation ».

QUELLE(S) (DÉ)MONDIALISATION(S) POUR UN PROJET ÉMANCIPATEUR ?

ÉDITO

Dé mondialisation

Ce mois-ci La Revue du Projet vous propose de décortiquer le conceptde « (dé)mondialisation » avec des responsables politiques, des écono-mistes, des journalistes, des universitaires. La recherche d'une alterna-tive à la crise du capitalisme financiarisé et mondialisé est au cœur deces interventions.

Page 8: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

8

LE DOSSIER Dé mondialisation

PAR BERNARD CASSEN*

Les 17 % de votes obtenus par ArnaudMontebourg lors du premier tour dela primaire du Parti socialiste en

octobre dernier ont mis en évidence l’im-pact du thème de la démondialisation,dont le candidat avait fait son principalcheval de bataille. Quelques mois avantcette consécration – dotée d’une « griffe »de respectabilité car venue de l’intérieurd’une formation dont le centre de gravitéest clairement social-libéral –, une sourdebataille avait commencé à se livrerautour du mot. Une bataille politico-sémantique, mais pas seulement : elle avaitaussi une dimension patrimoniale. Beau-coup, dans les partis de gauche, nevoulaient pas donner l’impression de s’ali-gner sur le socialiste Montebourg et de seplacer sur le territoire qu’il avait habile-ment délimité. Par ailleurs, dans le milieuassociatif, certains détenteurs de la« marque » altermondialiste craignaient,semble-t-il, l’évaporation de leur fonds decommerce au profit d’une nouvelle« marque » présumée concurrente. Le terrain du débat avait été balisé intel-lectuellement, en France, par trois livres :celui de Georges Corm, Le NouveauGouvernement du monde (La Décou-verte, 2010) ; celui de Jacques Sapir, LaDémondialisation (Seuil, 2011) ; et celuid’Arnaud Montebourg, Votez pour ladémondialisation, préfacé par Emma-nuel Todd (Flammarion, 2011). Ces deuxderniers auteurs faisaient remonter leconcept au Philippin Walden Bello, figurede proue des Forums sociaux mondiaux,dans son livre publié en 2002 Degloba-lization : Ideas for a New World Economy(Zed Books, Londres, 2002). En fait, ilavait déjà été proposé par l’auteur de ceslignes dans un article publié ennovembre 1996 et intitulé « Et mainte-nant… démondialiser pour internatio-naliser » (Manière de voir n° 32). Mais, àl’époque, il n’avait pas fait surface dansle débat public.

UNE CONDAMNATION DE LA MONDIALISATION LIBÉRALERien de plus naturel que les artisans etthuriféraires de la mondialisation libé-

rale aient pris pour cible un mot dont ilsne s’étaient d’ailleurs pas donné la peinede vérifier la signification – variable selonles auteurs – , mais qui valait condam-nation de leur système en faillite. On aainsi vu se multiplier les condamnationspéremptoires, d’Alain Minc à Pacal Lamyen passant par Manuel Valls et, dernieren date, le président de la Commissioneuropéenne, José Manuel Barroso (LePoint, 17 novembre 2011), tous traitantla démondialisation de concept« ringard » ou « réactionnaire ».

Cette montée en première ligne, avecdes « éléments de langage » communs,traduit une sourde inquiétude : celle dela délégitimation de l’ordre capitalistenéolibéral dont le mouvement des Indi-gnés est un autre symptôme. Cette délé-gitimation est un préalable indispen-sable pour rendre audible, dans lesopinions publiques, un discours à la foisréellement alternatif et cohérent, unnouveau paradigme pour parler

« savant ». Aussi longtemps que ne serapas mise en pièces « l’évidence dudiscours néolibéral » – pour reprendre letitre d’un ouvrage de Thierry Guilbert toutjuste paru aux éditions du Croquant – , despolitiques de rupture ne pourront pasrecueillir l’adhésion du plus grandnombre. On l’a bien vu en Espagne où,malgré la petite percée d’Izquiera Unida,les électeurs – et surtout les abstention-nistes – ont cru que leur seul choix sesituait entre une austérité PSOE et unesuper-austérité PP.

Dans ce contexte sinistré, chacun devraitconvenir que le point d’ancrage et decristallisation constitué par l’installation

du mot « démondialisation » dans lelexique politique d’une partie de lasocial-démocratie française constitueun acquis non négligeable. Alors, au lieud’instruire de faux procès, d’ergoter etde rechercher des concepts de substitu-tion, mieux vaudrait utiliser, prolongeret amplifier cette dynamique.

DES FAUX PROCÈSLe premier faux procès consiste àprétendre que ceux qui préconisent ladémondialisation veulent ramener aupérimètre national les luttes pour lesbiens sociaux mondiaux et contre lechangement climatique, les pandémies,la spéculation sur les matières premièreset les produits agricoles, etc. Ce faisant,ils confondent mondialisation et inter-nationalisation.

Dans la mondialisation libérale, lesacteurs sont globaux, transfrontières,déterritorialisés, off-shore. Il s’agit desopérateurs financiers, des transnatio-nales, des organisations multilatéralesà leur service (FMI, Banque mondiale,OMC, OCDE), de la Commission euro-péenne, de la BCE. Tous ont en commund’être hors de portée du moindrecontrôle démocratique, réduisant ainsià zéro toute forme de souveraineté popu-laire. La « troïka » BCE/FMI/Commis-sion qui sévit à Athènes, Lisbonne, Rome,etc., en plaçant sous tutelle – et avec leurassentiment plus ou moins imposé – lesdifférents gouvernements, constitue unmodèle réduit édifiant de cette oligar-chie planétaire.

L’internationalisation, elle, du moinsdans son principe, a pour valeurs lacoopération et la solidarité, mais ellepeut aussi se traduire par des déléga-tions de souveraineté consenties (et révo-cables) par des collectifs politiques. Pourl’avenir prévisible, ces collectifs, à partquelques îlots, sont les nations. Reste àconstruire un véritable espace publiceuropéen pour que le sentiment d’ap-partenance et la capacité d’interventioncommune qui en découle s’élargissentà ce niveau et au-delà. On pourra remar-quer – les raisons sont multiples – quel’Amérique latine est bien plus avancéeque l’Europe dans la construction d’unespace public continental.Second faux procès : à en croire unetribune publiée par des membresinfluents d’Attac en juin 2011, la démon-dialisation serait « un concept superfi-ciel et simpliste », par ailleurs antago-nique avec l’altermondialisme. Cette

POUR QUE L'ALTERMONDIALISME CESSE DE TOURNER EN RONDIl faut d’abord voir dans la démondialisation une orientation stratégique de rupture et de refondation.

La démondialisation, c’est lepassage à l’acte, le débouché

politique tant réclamé par desmilitants qui ne se contentent plus

de dresser des catalogues derevendications dans les Forums,

mais veulent les voir aboutirconcrètement.

“”

Page 9: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

9

prise de position a été largement perçueà l’époque comme un réflexe « bouti-quier » de la part de responsables d’uneorganisation qui, identifiée à l’altermon-dialisme, s’inquiète de l’émergence d’unconcept présumé concurrent. Cetteposture a rapidement fait long feu etaucun des intéressés ne s’en est réclamédans un colloque d’excellente tenue,organisé le 19 novembre dernier par laFondation Copernic et… Attac, et dontle titre était pourtant « Démondialisa-tion / Altermondialisme » !

Cette retraite sur la pointe des pieds rele-vait du simple bon sens. Car l’altermon-dialisme ne se situe pas sur le mêmeregistre que la démondialisation. Un livred’Attac – Le Petit Alter. Dictionnaire del’altermondialisme ( éditions des 1001Nuits, 2006) – précise bien qu’il regroupedes initiatives et propositions qui « sesoutiennent mutuellement, mais sansjamais tenter de se fédérer formellementni de se cristalliser dans un organi-gramme rigide, d’autant plus que lesdifférentes composantes de l’altermon-dialisme se réclament plutôt d’uneculture de contre-pouvoir que deconquête du pouvoir ». Tout est dit… Ilfaudrait que l’on nous explique en quoi

la mise en œuvre de propositions alter-mondialistes serait « antagonique » avecl’altermondialisme !

Car la démondialisation, elle, se situeeffectivement sur le registre du pouvoir,de sa conquête, puis de son exercice.Elle s’articule donc parfaitement avecl’altermondialisme dans la mesure oùles actions de gouvernement qui sontsa raison d’être peuvent puiser dans legisement de propositions des organisa-tions ou coalitions qui se retrouventdans les Forums sociaux mondiaux,continentaux ou nationaux. La démon-dialisation, c’est le passage à l’acte, ledébouché politique tant réclamé par desmilitants qui ne se contentent plus dedresser des catalogues de revendica-tions dans les Forums, mais veulent lesvoir aboutir concrètement. Sans cetteperspective, le mouvement altermon-dialiste est voué à tourner en rond, às’enliser ou à se folkloriser.

LES ACTIONS DE DÉMONDIALISATIONLa panoplie des actions de démondia-lisation est potentiellement aussidiverse que celle des propositions alter-mondialistes. Ses axes centraux sont,d’une part, la mise à bas des piliers du

néolibéralisme que sont la liberté decirculation des capitaux et le libre-échange, et, d’autre part, en guise d’outil,l’affirmation de la souveraineté popu-laire et du contrôle démocratique desflux économiques et financiers à tousles niveaux pertinents. La mise soustutelle des banques, la fermeture desparadis fiscaux, la taxation des transac-tions financières, des mesures de protec-tion contre le dumping social, fiscal etécologique, etc., font partie de la pano-plie, mais cette dernière ne s’y limitepas.

Au fond, il faut d’abord voir dans ladémondialisation une orientation stra-tégique de rupture et de refondation :cesser de reculer face à la mondialisa-tion libérale, passer à l’offensive pour endémanteler pas à pas les structures etpermettre la construction de sociétés surdes bases « autres ». Ce qui nous enjointde donner un contenu au mot d’ordre àla fois ouvert, optimiste et 100 % alter-mondialiste : « Un autre monde estpossible ! ». n

*Bernard Cassen est président d’honneurd’Attac, secrétaire général de Mémoire desluttes.

NE PAS SE TROMPER DE CIBLELe débat sur la démondialisation n’oppose pas les tenants de lamondialisation capitaliste et les anti, mais partage le camp progressiste, notamment la gauche de la gauche.

PAR JEAN-MARIE HARRIBEY*

La violence de la crise, la spécificitéqu’elle revêt en Europe et l’obstina-tion des gouvernements à la faire

payer de plus en plus cher aux popula-tions modifient la donne et font bougerles lignes du débat politique. En parti-culier, le débat sur la démondialisationn’oppose pas les tenants de la mondia-lisation capitaliste et les anti, maispartage le camp progressiste, notam-ment la gauche de la gauche. C’est d’ail-leurs là le premier paradoxe : unanimespour dénoncer les conséquences désas-treuses de la mondialisation, pourquoine nous retrouvons-nous pas tous surune même démarche pour penser l’al-ternative ? Parce qu’il y a au moins troisniveaux de débat dont l’issue n’est pasencore trouvée.(1)

L’IMPASSE D’UN RÉGIME D’ACCUMULATION FINANCIÈREL’idée de démondialisation met enévidence le fait qu’il n’y a pas deconsensus sur la nature de la mondiali-sation et sur celle de la crise capitalistemondiale. La mondialisation n’est passeulement le développement ducommerce international parce que lelibre-échange des marchandises s’estimposé. En amont de cela, il y a l’inté-gration des systèmes productifs et finan-ciers menée tambour battant pour remé-dier à la crise de rentabilité du capital dela fin des années 1960 et du début desannées 1970, à partir du moment où lacirculation des capitaux a été totalementlibérée. Dès lors, la crise actuelle n’estpas une addition de crises nationalesdont la simultanéité serait d’ailleursétonnante. La crise marque l’impasse

d’un régime d’accumulation financière :le monde de la finance a cru pouvoirvoler indéfiniment hors-sol etcompenser par la spéculation ou parl’endettement la difficulté de faireproduire de la vraie valeur par le travailet à la réaliser ensuite. Difficulté d’au-tant plus grave pour l’accumulation quela barrière des ressources naturelles sedresse inexorablement devant elle. Il enrésulte qu’il n’est sans doute pas réalistede penser pouvoir échapper à cette crise

systémique par une voie exclusivementnationale. La déconstruction qu’il fautopérer porte sur la logique capitalistepoussée à son paroxysme par la finan-ciarisation : « Il se pourrait que la "défi-nanciarisation" soit une des conditions

Il se pourrait que la « définanciarisation » soit une desconditions à un retour à la stabilitédes relations internationales, plusqu’un protectionnisme qui serait

mené au nom de ladémondialisation.

“”

> SUITEPAGE 10

Page 10: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

à un retour à la stabilité des relationsinternationales, plus qu’un protection-nisme qui serait mené au nom de ladémondialisation. »(2)

QUEL ESPACE DE RÉGULATION PERTINENT ?• Des droits de douane aux frontièresnationale ou européenne de 10, 15,20…% ne compenseront certainementpas des écarts de coûts de productionallant de 1 à 5 ou 10.• La sortie de l’euro accompagnée d’unedévaluation de la monnaie nationaleretrouvée verrait la dette extérieure libelléeen euros augmenter, les importationsrenchérir, conduisant à dévaluer tous lesans ou tous les dix-huit mois, ainsi quele propose l’économiste Jacques Sapir.• La proposition de dévaluer unilatéra-lement la monnaie du pays ignore laréaction que ne manqueraient pasd’avoir les autres pays.• Comment ferait-on pour mettre enplace une régulation du climat mondialau niveau national, ou bien les marchésagricoles mondiaux hautement volatilset spéculatifs ?• Ces deux exemples sont révélateurs del’impensé de la démondialisation en cequi concerne le mode de développe-ment. On ne peut aujourd’hui prôner laréindustrialisation de nos pays sans sedemander quel type d’industrie déve-lopper. Or la question écologique n’estjamais abordée à l’intérieur du cadreintellectuel posé par les partisans de ladémondialisation. En songeant àtrouver une issue à la crise par la recon-quête des marchés perdus, ils restentprisonniers d’un schéma concurrentielnon coopératif. Pire, il y a le risque defaire dévier un conflit de classes vers unconflit entre nations.

LA SOUVERAINETÉ DÉMOCRATIQUED’où un troisième niveau de débat sur lasouveraineté démocratique. Comment lespartisans de la démondialisation posent-ils le problème ? « Quoi qu’on en pense, lasolution de la reconstitution nationale desouveraineté impose son évidence parcequ’elle a sur toutes les autres l’immensemérite pratique d’être là, immédiatementdisponible – moyennant évidemment lestransformations structurelles qui la rendentéconvomiquement viable : protection-nisme sélectif, contrôle des capitaux, arrai-sonnement politique des banques, autantde choses parfaitement réalisables pourvuqu’on le veuille. »(3) Les trois niveaux detransformations structurelles proposéessont tout à fait pertinents. Ce qui faitproblème, c’est « l’évidence », l’« immé-

diatement disponible », le « déjà là », c’est-à-dire le fait de supposer le problème résolualors que nous savons que la mondialisa-tion a construit un univers exempt de toutcontrôle démocratique. L’extrême diffi-culté que les peuples ont à surmonter estprécisément de reconstruire totalementleur souveraineté et pas seulement deraviver une souveraineté mise en sommeil.Certains partisans de la démondialisationont craint que la position critique que nousadoptions reflète une négation, voire unehaine de l’État-nation. C’est un malen-tendu ou une erreur. Il s’agit juste de nepas oublier le caractère contradictoire,ambivalent de l’État : au service de la classedominante et en même temps tenu deprocéder à certains arbitrages sociaux. Etil faut bien voir que les transformations ducapitalisme depuis quatre décennies ontconsidérablement modifié le rôle assignéà l’État, devenu plus excluant qu’intégra-teur social, et qui ne peut être utilisé telquel comme à l’époque qui lui avait valule qualificatif de « providence ».

Aussi, sans sous-estimer l’action possibleau sein de chaque nation, il faut lui enlevertout caractère nationaliste. En sachantqu’il y a une contradiction à dépasser : sila démocratie s’exprime surtout àl’échelon national, les régulations et lestransformations à réussir, notammentécologiques, se situent pour beaucoupau-delà des nations, d’où l’importance dela création progressive d’un espace démo-cratique européen.On peut donc envi-sager des points de rupture qui ne seraientpas consécutifs à une sortie de l’euro ouà un dispositif protectionniste unilatéral,mais qui débuteraient un processus visantle cœur de la logique du profit :• rupture dans la répartition primaire desrevenus entre capital et travail parcequ’elle est au cœur du conflit de classesà l’origine même de la crise : cette rupture-là porte sur le niveau des salaires bien sûr,mais aussi sur la fixation d’un revenumaximum et sur la réduction du tempsde travail qui conditionne la résorptiondu chômage ;• rupture dans la fiscalité avec une réformeradicale pour la rendre très progressive ;• rupture dans les structures financières :socialisation des banques, Banquecentrale européenne qui soit vraiment le

prêteur en dernier ressort, c’est-à-dire enpremière main par rapport aux États ;• rupture dans la gestion de la dette : auditcitoyen et annulation de la part illégitimedes dettes publiques, nées de la défisca-lisation des riches, de l’endossement desdettes privées et de la récession ayantdiminué les recettes fiscales.

REFUS DU PROTECTIONNISMEEN TANT QUE SYSTÈMECes points de rupture peuvent êtreamorcés au niveau national et en aucuncas ils ne constitueraient une déclara-tion de guerre économique aux paysétrangers ; au contraire, ils peuvent êtreétendus ailleurs. Et c’est à partir de cemoment-là qu’une coopération pourraitavoir lieu de façon à approfondir lestransformations politiques nécessairesdans l’Union européenne. Autrement dit,le refus du protectionnisme en tant quesystème, par définition toujours unila-téral et non coopératif, ne signifie pas lerefus de toute protection. Mais celles-cidoivent être envisagées de manière sélec-tive et surtout en changeant de nature.Par exemple, pour reterritorialiser ourelocaliser certaines activités, une taxeau kilomètre de marchandise parcouru,applicable sur les importations et sur lesexportations, est préférable à un droit dedouane unilatéral. Autre exemple, aulibre-échange de l’OMC ou au protec-tionnisme des partisans de la démondia-lisation, on pourrait opposer un systèmed’échanges internationaux bâti sur desécluses asymétriques des pays pauvresvers les pays riches, la plus forte condi-tionnalité étant imposée aux riches,notamment en matière agricole pour quela souveraineté alimentaire des pays duSud soit reconstruite et protégée.Au total, ce débat sur la démondialisationest fondamentalement de nature politiquecar il s’agit de savoir quelle est la cible prin-cipale que doivent atteindre les mouve-ments sociaux dans le monde, la logiquecapitaliste, exacerbée par la finance, etnon pas désigner l’étranger. n

*Jean-Marie Harribey est maître de confé-rence en économie à l’université deBordeaux IV, membre du conseil scienti-fique d’Attac, signataire du « Manifested’économistes atterrés ».

1) J.M. Harribey, Les impasses d’une réponsenationale à la mondialisation. Sortir de lacrise, par où commencer ?, Le Monde diplo-matique, octobre 2011.2) R. Boyer, Une croissance sans laxismefinancier est-elle possible ? , L’Économie poli-tique, n° 52, octobre 2011, p. 76-90.3) F. Lordon, Qui a peur de la démondialisa-tion ?, Le Monde diplomatique, 13 juin 2011.

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

LE DOSSIER

10

Dé mondialisation

Pire, il y a le risque de faire dévier un conflit de classes vers un conflit

entre nations.“”

SUITE DELA PAGE 9 >

Page 11: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

11

PAR ELISABETH GAUTHIER*

Le débat autour de la « démondiali-sation » a pu prendre de l’ampleurau moment où la « mondialisation »

apparaît comme un puissant facteur decrise et où l’échec des dogmes néolibé-raux est visible. Il s’agit de fait d’un débatautour des grands principes régissantles évolutions récentes du monde ainsique des stratégies pour s’y opposer. Dansle monde entier se propagent la contes-tation des logiques actuelles, l’exigencede démocratie et de profonds change-ments. L’impact populaire de l’approcheproposant une « démondialisation »révèle – malgré les imprécisions et limitesdu terme – que des « réponses light » faceà la crise perdent du terrain. Mais commedans d’autres débats, comme parexemple croissance/décroissance, les

réponses ne peuvent être binaires et serésumer par « pour » ou « contre ».

ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU TYPE DE CAPITALISMEDepuis la fin des années 1990, un débatassez vif quant au sens et à la pertinencedu terme de « mondialisation » traversela gauche et le mouvement altermon-dialiste. Un nouveau type de capitalisme– financiarisé et globalisé – avait émergé,régi par un mode d’accumulation et dereproduction dominé par la logiquefinancière et soutenu par la grande offen-sive néolibérale. L’usage du terme« mondialisation » a permis de concep-tualiser les réalités les plus visibles,notamment la libéralisation de la circu-lation des marchandises et des capitaux.En réponse, de nombreuses batailles« altermondialistes » se sont dévelop-

pées autour de ces questions (AMI, OMC,paradis fiscaux, taxe Tobin….). En mêmetemps, l’usage du terme « mondialisa-tion » a voilé le cœur de la transforma-tion du capitalisme contemporain, latransformation du mode d’accumula-tion. C’est aussi la période de la soumis-sion de l’économie réelle à la logiquefinancière, la victoire des actionnairesdans la gestion des entreprises, l’orga-nisation de flux sans cesse plus impor-tants vers les actionnaires et la finance.C’est la période des privatisationsmassives, de l’instauration du chômagede masse et de la précarisation du travail,de la baisse de la valeur de la force detravail, de la réduction de la taxation desprofits et des revenus du capital, de l’as-sèchement des recettes publiques. Cettelogique qui s’étend à travers le mondenous a conduits dans la grande crisesystémique actuelle. Elle ne peut serésumer par le concept de « mondiali-sation ». Par conséquent, le terme de« dé-mondialisation » ne peut identifierla logique alternative que nous cher-

CHANGER LE MONDE Le terme de « démondialisation » cible essentiellement les évolutionsdans la sphère de la circulation du capital et des marchandises en pro-posant de nouvelles régulations nationales et internationales

> SUITEPAGE 12

Page 12: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

12

LE DOSSIER Dé mondialisation

UNE RADICALITÉ ILLUSOIREL’expression « démondialisation » peut correspondre à une exigence de mesures radicales contre la mondia-lisation en cours. Cependant, ces mesures devraient concerner plus exactement la construction d’un autremonde de partages

PAR PAUL BOCCARA*

Un thème est devenu à la mode dansune partie des courants de critiquede la mondialisation néo-libérale :

celui de la démondialisation. En réalité,cela correspond à une confusion entrela mondialisation actuelle et toutesformes de mondialisation éventuelles,comme si on acceptait l’idée que lamondialisation actuelle est la seulepossible. Cette idée serait donc partagéeentre les partisans de la mondialisationexistante et certains de ceux qui seveulent ses adversaires radicaux.Certes, cette expression peut, en fait,correspondre à une exigence demesures radicales contre la mondiali-sation en cours. Cependant, cesmesures devraient concerner, à mon

avis, plus exactement la constructiond’un autre monde. Il s’agirait d’unmonde d’émancipation des domina-tions sociales exacerbées, du plan localau plan mondial, avec l’institution decoopérations très nouvelles à tous lesniveaux.

S’ÉMANCIPER DE LA MONDIALISATION DU CAPITALISMEIl faut lutter pour s’émanciper de lamondialisation du capitalisme et du libé-ralisme, des dominations ravageuses desmarchés financiers, des entreprisesmultinationales, de la mise en concur-rence des salariés du monde entier, duchômage massif et de la précarité, del’individualisme, des régressions desvaleurs de solidarité, des monopolisa-tions culturelles, des affrontements inter-

nationaux et de tous les intégrismes.Cette émancipation doit concerner,certes, les souverainetés nationales, maisprofondément démocratisées et pourdes coopérations internationalistes entretoutes les nations.Cela suppose de nouvelles constructionssociales du plan national au plan zonal,comme celui de l’Union européenne,interzonal (comme une coopérationeuro-méditerranéenne) et aussi mondial.Cela concerne l’avancée de nouvellesinstitutions de maîtrise des marchésmondialisés et même de débuts dedépassement des marchés, avec denouveaux services publics, de coopéra-tion et de partages, de nouveauxpouvoirs politiques du plan local au planplanétaire.C’est le cas avec la montée d’exigences

chons à définir. Le terme de « démon-dialisation » cible essentiellement lesévolutions dans la sphère de la circula-tion du capital et des marchandises enproposant de nouvelles régulationsnationales et internationales. Or,« changer le monde » suppose de trans-former la totalité des rapports sociaux,de s’émanciper de l’ensemble des domi-nations dont celle du capital sur le travail.

UNE STRATÉGIE DE TRANSFORMATION GLOBALESi on veut faire reculer le pouvoir desgrands actionnaires et des marchésfinanciers, il faut développer une doublestratégie pour les prendre en tenaille :d’un côté des régulations réellementcontraignantes pour les banques, lecrédit, les marchés financiers, la circu-lation des marchandises et des capitaux,et de l’autre une grande offensive de reva-lorisation du travail et des salaires, derelance de l’économie réelle dans le sensd’un nouveau développement social,solidaire et écologique. Avancer selonces deux axes suppose de changer lespouvoirs, d’inventer une nouvelle qualitéde la démocratie. Un certain nombre demesures dans une telle stratégie de trans-formation globale pourraient éventuel-lement être qualifiées de « démondiali-sation » sélective, mais l’ambition dans

son ensemble ne peut se réduire à cetaspect des choses. Pour prendre unexemple : la mise en concurrence dessalariés et des territoires s’organiseaujourd’hui au sein de chaque entre-prise, de chaque groupe, sur chaqueterritoire. Face à l’insécurisation desconditions de leur existence, les salariés,chômeurs ou retraités, les jeunes, lesmigrants, les femmes et les hommes,l’ensemble des populations ont besoinde multiples protections face auxlogiques de plus en plus destructrices,dans l’entreprise, dans la localité, auniveau d’un pays ou de l’Europe, àl’échelle mondiale.

Dans ce débat sur les moyens de changerde logique, il importe également deconsidérer les changements intervenusau sein des États-nations. Nous sommesaujourd’hui très loin des « États sociaux »,garant d’un modèle social relativementintégratif. En Europe, la logique de« market-state » (État pour le marché) apris le dessus, avec des institutionsexcluant de plus en plus et une repré-sentation politique de plus en plus éloi-gnée de la volonté des citoyens. Les États-nations ne constituent par conséquentpas tels quels des protections mais parti-cipent du démontage social et démocra-tique.

Vouloir changer le monde suppose unestratégie de rupture avec la logiqueactuelle partout où elle sévit. Il s’agit demodifier partout où c’est possible lesrapport de forces, les pouvoirs, les poli-tiques afin de contribuer à bâtir unenouvelle civilisation, une civilisation soli-daire. n

*Elisabeth Gauthier est chargée des enjeuxde la mondialisation au Conseil national duPCF, directrice d’Espaces Marx, co-éditricede la revue Transform !

Une crise de civilisation ? Les contributionsd’un colloque en janvier 2011 sont publiéesdans un Supplément de Transform ! 2011.220 pages. Voir aussi http://www.espaces-marx.net/spip.php?article703

ESPACES MARX ORGANISERA

SAMEDI 28 JANVIERUNE JOURNÉE D’ÉTUDE

« Que révèle le débat sur la démondialisation ?

Comment concevoir une alternative aux logiques

complexes du capitalismefinanciarisé

et mondialisé ? »

SUITE DELA PAGE 11 >

Page 13: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

13

d’interventions et de création moné-taire de la Banque centrale européennepour soutenir les dettes des États euro-péens, contre les spéculations desmarchés financiers mais aussi pouralimenter un Fonds européen de déve-loppement social et écologique en vuede l’expansion des services publics encoopération, à l’opposé des plans d’aus-térité. Cette création monétaire encommun peut encore concerner un refi-nancement des banques pour un créditfavorisant la croissance réelle et l’emploi.On peut viser encore la création moné-taire à l’échelle mondiale, avec une refontedémocratique du FMI, et l’institutiond’une véritable monnaie communemondiale, à partir des Droits de tiragesspéciaux du FMI, pour s’émanciper de ladomination planétaire du dollar et pourrefinancer les banques centrales elles-mêmes pour un co-développement detous les peuples. On peut aussi adopterune taxation des transactions financièresinternationales contre la spéculation. Etc’est à l’échelle mondiale qu’on devraitinterdire les paradis fiscaux.

NOUVELLES RÈGLES DE PROTECTION CONTRELES DUMPINGS SOCIAUX ET ÉCOLOGIQUESSi on doit mettre en cause les règles del’Organisation mondiale du commerce(OMC), ce ne serait pas pour la suppres-sion de règles mondialisées, mais pourd’autres règles de coopération et de réci-procité, de compensations et de protec-tion légitime, avec par exemple une Orga-nisation mondiale de maîtrise partagée ducommerce pour la coopération et le co-développement. Ainsi a progressé l’idéede droits de protection légitime contreles dumpings sociaux et écologiques,contre des exportations de pays abais-sant les droits sociaux et les exigencesécologiques. Comme entre les pays del’Union Européenne et les autres payscommerçant avec eux. Sont aussiconcernés des avancées d’une démocra-tisation profonde de l’ONU .Le défi concernant le climat se situe lui-aussi à l’échelle mondiale. Et il a exigél’adoption de règles communes, malgrédes diversifications, à l’échelle plané-taire, comme avec le protocole de Tokyo. Enfin progressent les besoins de coopé-

ration des services publics des diffé-rents pays jusqu’à l’institution de bienspublics communs de l’humanité, del’eau à l’alimentation, à la santé et à laculture. Cela concerne des progressionsdes diverses agences liées à l’ONU.

UN « AUTRE MONDE » EST POSSIBLE.L’enjeu fondamental de notre époque,pour d’autres constructions contre lesdominations et les crises, ne consiste pasdans des replis plus ou moins identitaires.Il concerne, certes, les respects des iden-tités et originalités partout, mais pour despouvoirs, des moyens et des objectifsconvergents et partagés, à l’opposé desaffrontements. Il concerne la maîtrise,depuis chacun et chacune, et par chaquepeuple, de leur vie sociale, depuis le planlocal jusqu’au plan mondial, avec descoopérations, afin d’avancer vers unenouvelle civilisation de solidarités et departages de toute l’humanité. n

*Paul Boccara est maître de conférenceshonoraire en Sciences économiques, membrede la commission Économie, finances du PCF.

CHANGER DE LOGICIELLa démondialisation, c’est le constat que la mise en concurrence detous contre tous n’est un progrès pour personne, ni au nord, ni au sud.

PAR ARNAUD MONTEBOURG*

L e thème de la démondialisation s’estimplanté dans l’opinion à l’occasiondes primaires socialistes car il est le

fil qui relie des millions de citoyens. Lesouvriers écrasés par les délocalisationsou menacés de délocalisations, les chauf-feurs routiers mis en concurrence avecleurs homologues des pays de l’est, lestéléconseillers des plateformes télépho-niques à qui l’on explique que leur travailpourrait être fait à moindre coût enAfrique francophone, les paysans quivoient arriver sur nos marchés desproduits élevés et ramassés dans desconditions de quasi-esclavage, commeles fleurs venant du Kenya ; tous sontconcernés.Concept venu du sud et du penseurphilippin Walden Bello, la démondialisa-tion bouscule le libéralisme libre-échan-giste. On voudrait nous faire croire quela démondialisation, c’est le repli sur soiet la guerre. Nous croyons au contraireque c’est la concurrence sauvage quipousse les travailleurs d’ici et ceux de là-bas à se menacer, se détester et finale-

ment s’affronter. La démondialisation estl’exact inverse, la respiration d’un mondeasphyxié et la possibilité d’une concorde.

UN NOUVEL ESPACE POLITIQUELa gauche s’est progressivement laisséeprendre au piège d’un monde pensé pard’autres et pour d’autres, admettant aufur et à mesure chacun de leurs conceptset de leurs mots. La démondialisationouvre un nouvel espace politique, crééun imaginaire différent et propose auxcitoyens de retrouver le pouvoir de choisirlà où ils ne sont pour l’heure que ballotéspar des marchés prédateurs et des diri-geants qui ont organisé leur propreimpuissance.

Qu’est-ce que démondialiser ? À l’évi-dence, ce n’est pas sortir du monde, maisau contraire créer les conditions d’unéchange équitable de par le monde, àtravers le respect de règles sociales etécologiques. La démondialisation, c’estl’internationalisme du nouveau siècle.Face aux ravages d’un système écono-mique brutal, la gauche doit se doterd’une nouvelle pensée et d’un projet alter-

natif pour une Europe enfin utile auxpeuples, puisqu'elle aura pour but laconvergence sociale et fiscale du vieuxcontinent ; pour une écologie en acte quiconsistera à taxer les marchandisesproduites dans des conditions environ-nementales scélérates ; pour une poli-tique sociale décourageant le recours autravail des enfants et à la production dansdes conditions scélérates ; pour unenouvelle forme de solidarité internatio-nale puisqu’une partie des sommescollectées aux frontières de l’Europe serareversée au sud pour financer le dévelop-pement. C’est ce projet-là que le termede démondialisation recouvre.

REMETTRE EN MARCHE L’INDUSTRIEMais je voudrais surtout insister sur l’undes points fondamentaux de la démon-dialisation : c’est le moyen de protégerl’industrie, l’innovation et l’emploiouvrier. Ouvrier, ce n’est pourtant pas un« gros mot » avait dit Pierre Mauroy dansla campagne de Lionel Jospin en 2002.L’ambition industrielle nationale s’estarrêtée avec le Concorde et le TGV. Pourêtre un pays moderne, on nous a répétéque la France devait être un pays sansusine, transformé en grand musée ou enparc d’attraction géant. Notre histoire > SUITE

PAGE 14

Page 14: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

14

Dé mondialisation

14

LE DOSSIER

PAR JACQUES SAPIR*

L’identification des méfaits du libre-échange sur l’économie françaiseapparaît ainsi à une grande majorité

de français, à tel point que l’on peut parlerd’une prise de conscience massive, dépas-sant les cadres des partis politiques. Ontrouve 57% des personnes interrogéespour dire que l’effet de l’ouverture sur lesprix des produits consommés en Francea été négatif (ce qui est contre-intuitif) etsurtout ce jugement négatif est partagépar 73% des réponses en ce qui concerneles déficits publics, 78% en ce quiconcerne le niveau des salaires et 84% ence qui concerne l’emploi. Pour cettedernière réponse, notons que 48% despersonnes interrogées considèrent quel’ouverture a eu des conséquences « trèsnégatives » et seulement 36% des consé-quences « négatives ». Notons aussi quele pourcentage de réponses indiquantque ces conséquences ont pu être posi-tives voire très positives n’est que de 7%,soit 12 fois moins que le pourcentage esti-mant que les conséquences sont néga-tives voire très négatives.

CONSCIENCE DES RÉSULTATS NÉGATIFS DEL’OUVERTURELe jugement est sans appel. Sur les troisgrandes questions qui concernent l’éco-nomie, l’emploi, les salaires et les défi-cits, il se trouve une écrasante majoritéde français pour considérer que l’ouver-ture de l’économie a eu des conséquencesnéfastes. Très clairement, la « mondiali-sation heureuse » n’existe que danscertains journaux ou sous certainesplumes.Cette ouverture est aussi considérée

comme une mauvaise chose pour les paysdéveloppés en général (52%) et pour laFrance en particulier (57%). C’est aussiune mauvaise chose pour la sécurité desproduits distribués en France (71%), pourles salariés (72%) et pour l’environnement(73%). La conscience des résultats néga-tifs de l’ouverture ne se limite donc pasà la question sociale. Elle touche aussimassivement la question de la sécuritédes produits de consommation (et lasécurité alimentaire) ainsi que l’environ-nement. La prise de conscience qu’il y aune contradiction radicale entre le libre-échange et la préservation de l’environ-nement apparaît particulièrementmassive. La maturité des Français est iciassez étonnante. Qu’il s’agisse des causesde la situation économique ou des solu-tions à y apporter, on trouve dans lesréponses la trace d’un argumentaire étofféqui valide les thèses de la démondialisa-tion.

LES ÉLECTEURS ET LE PROTECTIONNISMELe principal problème vient de la diver-gence entre les positions politiques affir-mées du PS et de l’UMP et le positionne-ment de leurs électeurs. La contradiction,on l’a déjà dit, est patente et massive. Ellese renforce du fait que 64% des personnesinterrogées pensent que la question duprotectionnisme devrait être un sujetimportant lors de la prochaine électionprésidentielle. Au PS on balance entre uneréférence à des « écluses », voire des droitsde douanes (mais uniquement contre despays ne respectant pas les normes inter-nationales en matière sociale, sanitaireet environnementale) et les déclarationsrécentes de François Hollande, qui a exclutout recours au protectionnisme. Dans le

même temps, il s’est dit partisan de la« taxe carbone frontière » sans voir quecette dernière n’est autre que du protec-tionnisme ! Comme on le voit, la cohé-rence et la vue d’ensemble ne sont pasdes qualités que l’on retrouve dans leprogramme du candidat du PS. Onconstate donc qu’aujourd’hui, tant lapratique des uns que le discours desautres sont à l’opposé de ce que récla-ment les Français.

Une telle divergence est suicidaire. Ellel’est pour chacun de ces partis qui prendle risque de passer à côté d’un thèmemajeur de la future campagne électorale,et ainsi de favoriser les partis qui, eux, sontbeaucoup plus en phase avec l’opiniondes Français, et en particulier le Front degauche et le Front National. Mais, cettedivergence est aussi, et même avant tout,suicidaire pour la classe politique et pourla démocratie. Elle contribue à asseoirdans l’opinion l’idée que la classe poli-tique, du moins pour ce qui concerne les« grands partis » a des intérêts et des préoc-cupations radicalement différents de ceuxde la population. Massivement, lespersonnes interrogées pensent que c’està l’Europe qu’il revient de mettre en œuvrecette politique protectionniste (80%). Mais,au cas où l’on se heurterait à un refus denos partenaires européens à appliquerune telle politique, 57% des personnesinterrogées répondent qu’il faut que laFrance fasse cavalier seul. On ne sauraitmieux exprimer la formule « avec l’Europesi on le peut, par la France s’il le faut, contrel’Europe si on le doit » ! n

*Jacques Sapir est directeur d’études àl’École des hautes études en sciences sociales.

DÉMONDIALISATION ET PROTECTIONNISME EUROPÉENLe sondage réalisé en juin 2011 par l’IFOP sur « Les Français et le protectionnisme », venant à la suitede nombreux travaux, a renversé complètement l’idée reçue d’une population résignée à l’ouverture,ou seuls des franges extrêmes réclameraient des mesures protectionnismes.

industrielle est alors devenue une litaniede plans sociaux que Nicolas Sarkozy aété incapable d’arrêter. Les salariés deGandrange s’en souviennent. On nous aexpliqué que la mondialisation l’impo-sait et qu’il fallait rester compétitif enaffrontant à mains nues la concurrencedéloyale des pays émergents. Sur les chan-tiers navals qui ont construit le QueenMary II, pour soutenir la concurrence, ona supprimé la cantine, et les vestiaires.

Les ouvriers se changeaient dans le coffrede leurs voitures. La mondialisation, c’estl’autre nom de l’impuissance et de ladégradation. Depuis 2001, plus de 500 000emplois ont été détruits dans l’industrie.Et avec eux le « travail fier ». Je me souviensque le Parti communiste français défen-dait le « produire français » avec GeorgesMarchais. En effet, celui qui ne produitpas est dans la main de celui qui produit.Je me souviens encore qu’avec le concours

des résistants communistes et de MauriceThorez, la France de 1945 a pu gagner labataille de la production. Pour gagneraujourd’hui cette nouvelle bataille de laproduction, de l’innovation et de l’indus-trie, il faut une stratégie nouvelle. L’his-toire industrielle de notre pays doit seremettre en marche. n

*Arnaud Montebourg est député socialisteet président du Conseil général de Saône-et-Loire.

SUITE DELA PAGE 13 >

Page 15: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

15

PAR SANDRA MOATTI*

La mondialisation est notre quotidien.Notre téléphone portable a traversédes dizaines de frontières et nous

mangeons des pizzas couvertes detomates chiliennes emballées au Maroc,achetées dans une chaîne de supermar-chés française détenue par des action-naires du monde entier…Les chiffresrévèlent à la fois l'ampleur et les limitesdu phénomène. Entre 1970 et 2007, lesexportations mondiales ont progressédeux fois plus vite que la production, lesentrées d'investissement direct étranger(IDE) environ cinq fois et les flux inter-nationaux de capitaux douze fois plusvite. Cette formidable accélération doitbeaucoup aux changements intervenusdans les infrastructures de la mondiali-sation : l'avènement des porte-conte-neurs géants a permis de quadrupler lenombre de tonnes transportées par voiemaritime (près de 90 % du volume ducommerce mondial) entre 1970 et 2008.Dans le même temps, le fret aérien a étémultiplié par treize et achemine désor-mais près de 40 % du commerce mondialen valeur. Les nouvelles technologies del'information ont fait exploser les possi-bilités de transfert de données, tout enréduisant drastiquement les coûts decommunication.Les grandes firmes globales ont tiré plei-nement parti de ces nouveaux paramè-tres de l'échange. Elles sont devenues,depuis la fin des années 1980, les acteursd'une nouvelle division internationaledu travail, organisant la mise en réseaud'unités de production réparties dans lemonde entier, à différentes étapes d'unechaîne de valeur de plus en pluscomplexe. Elles arbitrent ainsi en perma-nence entre les avantages comparatifs dechaque territoire, selon des critères decoûts mais aussi de qualité ou de délais,tout en bénéficiant des économiesd'échelle liées à la mondialisation dumarché. Si l'iPod d'Apple agrège descomposants et des contenus produits enChine, au Japon, à Singapour, en Coréedu Sud, en Thaïlande et aux États-Unis,c'est le même iPod qui est vendu dans lemonde entier.

LES FRONTIÈRES PERSISTENTLa Terre n'est cependant pas aussi plateque l'affirmait l'éditorialiste du New YorkTimes Thomas Friedman en 2006. Lesfrontières ont la vie dure, notammentcelles de la langue et du droit. Les tech-nologies n'abolissent pas les distances,souligne Pankaj Ghemawat, professeurde stratégie à Barcelone. Malgré la chutespectaculaire du coût des communica-tions, les appels internationaux ne repré-sentent que 2 % des appels télépho-niques. Et si près de 2 milliards depersonnes ont désormais accès àinternet, seulement une connexion surcinq ou six dépasse les frontières natio-nales. Sur le plan des migrations inter-nationales, la mondialisation actuelle estbien plus timide que ne le fut celle duXIXe siècle.La mondialisation économique elle-même a ses limites. Les investissementsdirects des firmes hors de leurs frontièresne représentent que 10 % environ desinvestissements. Et encore ce chiffre est-il probablement gonflé par les pratiquesd'optimisation fiscale des firmes multi-nationales. Et si les exportationsmondiales avoisinent les 30 % du produitintérieur brut (PIB), ce rapport est arti-ficiellement gonflé par la nouvelle divi-sion internationale du travail : le mêmearticle produit dans des pays différentsà différents stades de son élaboration estcomptabilisé plusieurs fois dans lesbalances des paiements. [...]

UNE MONDIALISATION VULNÉRABLELa crise de 2008 a montré tout à la foisl'intensité et la vulnérabilité de lamondialisation. [...] Les exportationsmondiales ont chuté de 40 % entreoctobre 2008 et juin 2009, soit beaucoupplus qu'après 1929. Les flux d'investis-sements directs étrangers ont quasimentdiminué de moitié entre 2007 et 2009.Le spectre de la crise des années 1930 aalors ressurgi pour rappeler que leprocessus de mondialisation est réver-sible. Pourtant, le repli protectionnisteredouté par certains n'a pas eu lieu. Dès2010, les échanges commerciaux ontrepris de plus belle, retrouvant leur niveaud'avant la crise. Les flux internationaux

de capitaux repartent également,quoiqu'à un rythme moyen plusmodeste.Si la crise n'a pas détricoté la mondiali-sation, elle a contribué à déplacer soncentre de gravité, au détriment des vieuxpays industrialisés, notamment de l'Eu-rope. Les exportations françaises ou alle-mandes n'avaient pas encore retrouvéfin 2010 leur niveau d'avant la crise.Représentant désormais 45 % des expor-tations mondiales, celles des pays émer-gents l'avaient allègrement dépassé, prin-cipalement du fait des échanges Sud-Sud.Même contraste du côté des investisse-ments directs à l'étranger : ceux des multi-nationales étrangères sur le sol européenont continué de chuter en 2010, pour latroisième année consécutive, et ceux desmultinationales européennes ont stagné.En même temps, les pays émergents s'af-firment non seulement comme terresd'accueil de ces investissements, dont ilsreçoivent désormais la moitié des fluxmondiaux, mais aussi comme investis-seurs. En 2010, 28 % des sorties d'inves-tissements viennent des pays émergents,selon la Cnuced, contre 10 % en 2003, et70 % de ces flux se dirigent vers d'autrespays du Sud. Rien de tout cela n'accré-dite la thèse d'une « démondialisation »en marche, mais plutôt celle d'une margi-nalisation de l'Europe dans le jeumondial.

L'ÉCHANGE A UN COÛTTrois paramètres pourraient cependantchanger la donne. D'abord la hausse descoûts de transport. Selon une étude de2008, un pétrole à 150 dollars le baril équi-vaudrait à une remontée des droits dedouane à leur niveau moyen de 1970,faisant du transport la principale barrièreà l'échange. La réalité est cependant pluscomplexe. Si le transport maritime repré-sente en moyenne 4 % du prix final desbiens manufacturés, cette proportionatteint 10 % à 20 % pour les matièrespremières agricoles, et jusqu'à 25 % ou30 % pour les matières premières indus-trielles, rappelle Jane Korinek de l'OCDE.C'est sur ces produits que l'impact dutransport est le plus fort, mais c'est aussilà qu'il est le plus difficile de trouver dessubstituts aux importations. En outre,l'énergie n'est qu'une composante descoûts de transport. Ceux-ci réagissentavant tout aux fluctuations de la demandeface à des capacités rigides. « On neconstruit pas un porte-conteneur ou un

POURQUOI LA MONDIALISATION EST RÉVERSIBLEL'intégration de l'économie mondiale a beaucoup progressé depuistrente ans, même si elle est moindre qu'on ne le croit souvent. Sila crise n'a pas interrompu le processus, plusieurs facteurs pour-raient à l'avenir changer la donne. Le plus sérieux est politique.

> SUITEPAGE 16

Page 16: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DEC-JAN 2011

16

LE DOSSIER Dé mondialisation

vraquier du jour au lendemain », rappelleJane Korinek. [...]Les coûts de transport ne constituentd'ailleurs qu'un des paramètres de l'ar-bitrage complexe auquel se livrent lesfirmes dans leurs choix de localisation.Les délais de livraison, les risques deretard, la nécessité de maintenir desstocks, l'insatisfaction quant à la qualitéde la production livrée sont d'autres coûtsde l'échange international qui peuventconduire à relocaliser certaines activités.Les cas enregistrés récemment en France– celui du fabricant de ski Rossignol, deGeneviève Lethu dans le linge de maisonou encore de Meccano dans les jouets –restent relativement isolés.Le phénomène serait plus significatif auxÉtats-Unis, selon une étude récente duBoston consulting group (BCG). AprèsCaterpillar ou Ford, c'est maintenantGeneral Motors qui investit sur le solaméricain et prévoit d'y accroître ses effec-tifs. Selon le BCG, les avantages de laChine en termes de coûts s'estompentrapidement : les salaires y auraientaugmenté de près de 70 % entre 2005 et2010, alors que les gains de productivitéralentissent et que la monnaie chinoise

s'apprécie. [...] En outre, pour les entre-prises dont le critère principal de locali-sation n'est pas le coût du travail, mais lataille et le dynamisme du marché local,la progression du niveau de vie dans lesgrands pays émergents crée au contraireune incitation supplémentaire à déloca-liser. Enfin, la faiblesse du coût du travailn'est déjà plus, dans de nombreuxdomaines, le principal avantage compa-ratif de ces pays. Le géant taïwanais del'électronique Foxconn, qui travaille pourApple, Sony, Nokia, Dell et bien d'autres,a réussi à remonter la chaîne de valeur,de la fabrication jusqu'au design et à larecherche-développement, expliqueFrançois Dousset, consultant en stratégied'achat. L'entreprise s'est appropriée eta développé un savoir-faire productif queses donneurs d'ordre ont perdu. Dans cecas, la délocalisation est un aller sansretour.

LE JOKER PROTECTIONNISTEUn dernier facteur pourrait s'avérer pluspuissant que la hausse des coûts de trans-port ou le rééquilibrage des avantagescomparatifs : la politique. En France, le“ non ” au référendum de 2005 exprimait

déjà le refus d'une Europe perçue commele cheval de Troie de la mondialisation.La vogue actuelle du thème de la démon-dialisation exprime la même demandede protection. La tendance est la mêmeailleurs en Europe, à en juger par le succèsdes partis populistes dans les électionsrécentes. Et les gouvernements ont deplus en plus de mal à se mettre d'accordsur les règles du jeu.Les négociations commerciales s'enressentent. Le cycle de Doha achoppe surla question de la réduction des droits dedouane industriels. Les pays du Nordveulent rééquilibrer la relation commer-ciale avec les grands émergents et leurdemandent de s'ouvrir davantage : ilsconsidèrent que les protections dont ilsbénéficient en tant que pays en voie dedéveloppement ne sont plus justifiées.Le désir de protection s'exprime égale-ment à l'égard des investissements. LaCnuced, qui scrute les politiques desÉtats en matière d'investissementsdirects étrangers, enregistre depuis unedizaine d'années une montée régulièredes mesures visant à « protéger les indus-tries stratégiques, les ressources natu-relles et la sécurité nationale ». Quant

SUITE DELA PAGE 15 >

Page 17: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

17

aux capitaux courts et volatils qui vien-nent chercher des rendements à courtterme, ils ne sont plus les bienvenus auSud, comme en témoigne, entre autres,la taxe de 6 % instaurée par le Brésil surles investissements de portefeuille desétrangers.

UN MONDE MULTIPOLAIRE INSTABLECes quelques signaux témoignent d'uneévaluation plus équilibrée que par lepassé des bénéfices de l'ouverturecommerciale et financière. Et même side nouvelles barrières devaient êtreérigées à l'avenir, il faut en relativiser lesconséquences. « Les politiques commer-ciales jouent un rôle relativement secon-daire dans les déterminants de

l'échange », souligne Jean-Marc Siroën,professeur à Paris-Dauphine. Il rappelleque la montée des tarifs douaniers surles importations agricoles dans lesannées 1890 s'est plutôt accompagnéed'une expansion du commercemondial. Et c'est moins la montée duprotectionnisme dans les années 1930qu'il faut rendre responsable de lacontraction des échanges que l'effon-drement des prix et de la demande.Plus inquiétant est l'enlisement desnégociations multilatérales sur tous lesterrains, de la préservation du climat àla stabilité des monnaies. Ou encore laperspective d'une compétition de plusen plus tendue pour l'accès auxressources naturelles.

Or, l'histoire rappelle combien il estdifficile de maintenir un ordre écono-mique stable en l'absence d'une puis-sance dominante. La Grande-Bretagnea joué ce rôle au XIXe siècle, les États-Unis dans le second XXe. Alors que l'hé-gémonie américaine décline, commentle système géopolitique va-t-il s'adapterà l'ascension de la Chine, de l'Inde etdes autres géants du monde émergent ?L'avènement d'un monde multipolairen'est pas synonyme de stabilité. n

* Sandra Moatti est rédactrice en chefadjointe d'Alternatives Economiques.

Article publié dans AlternativesEconomiques n°303-juin 2011

reproduit avec l’autorisation de l’auteur.

PAR ALAIN MORIN*

La révolution informationnelle mise enœuvre sous la contrainte de la renta-bilité financière a provoqué des chan-

gements considérables dans l'activitéindustrielle : au lieu de libérer du tempspour la promotion de chacun, les gainsliés aux nouvelles technologies ont étéutilisées pour des suppressions massivesd'emplois. Le chômage et les bas salairesont freiné la demande salariale tandis quedélocalisations et abandons industrielsont asséché la demande d'investissementcomme les débouchés à l'export. D'oùl'insuffisance criante de la demandeglobale au cœur de la crise du capitalismemondialisé et financiarisé.

LA MONDIALISATION SAUCE « MULTINATIONALES »Il n'y a pas un type de mondialisationunique. Les crises, les luttes appuyéessur des idées alternatives appellent unautre type de mondialisation libéré dela domination des marchés et des multi-nationales, une mondialisation de co-développement des peuples et de coopé-ration.D'où le besoin d'une autre mondialisa-tion plutôt qu'une « démondialisation ».A l'opposé d'une pérennisation de lasociété productiviste et consumériste ducapitalisme, il s'agit de faire progresser

les débouchés par un développementde tous les êtres humains, de leurs capa-cités. Cela passe par un essor des servicespublics, y compris pour promouvoir denouveaux modes de production et deconsommation, vers un dépassementprogressif, mais effectif, du capitalisme.Cela suppose de changer profondément,du régional au mondial, les conditionsde la production de richesses et de sonfinancement avec, notamment, le besoinde nouveaux rapports entre industrie etservices. C'est pour cela que l'enjeu nesaurait être seulement celui d'une réin-dustrialisation, mais bien d'une nouvelleindustrialisation fondée sur de nouveauxprincipes, une nouvelle appropriationsociale de l'appareil productif et desservices pour un nouveau type de crois-sance et de développement durable, lasécurisation de l'emploi, de la formationet du revenu des salariés avec, notam-ment des pouvoirs décisionnels des sala-riés (droit de veto suspensif et de contre-propositions, pouvoir de saisine d'unpartenaire financier) dans l'anticipationet le traitement des difficultés, unnouveau crédit sélectif encourageantl'emploi et la formation pour les inves-tissements matériels et de recherche desentreprises.Face aux délocalisations, les salariésdoivent pouvoir intervenir sur les choixdes entreprises et des banques et s'atta-

quer aux prélèvements financiers ducapital, aux critères des entreprises etdes banques et à ceux des servicespublics. Il convient de faire respecter desnormes sociales et environnementalescommunes aux Européens par des prélè-vements sur les réimportations deproductions délocalisées dont le produitalimenterait un Fonds de co-dévelop-pement des peuples, et des crédits préfé-rentiels, ce qui ne s'opposerait pas audéveloppement nécessaire des échanges.Une maîtrise nouvelle des échangesmondiaux, une refonte de l'OMC, l'arrêtde la course au moins-disant social, unsuivi des stratégies des multinationaleset le développement, dans le cadre del'ONU et de l’OIT, des pouvoirs d'inter-vention concertée des salariés permet-tant de maîtriser le contenu des échangesentre groupes, avec les comités degroupe, l’appui de l’euro pour un autreFMI et une monnaie communemondiale émancipée de la dominationdu dollar, autant de propositions pourune autre mondialisation de progrèssocial. n

*Alain Morin est rédacteur en chef d’Économieet politique.

Yves Dimicoli « La politique industrielle au défide la révolution iformationnelle ». Brochured'Économie et Politique, à paraître en décembre.

À l'opposé d'une pérennisation de la société productiviste et consumériste du capitalisme, il s'agit defaire progresser les débouchés par un développement de tous les êtres humains, de leurs capacités.

FACE AUX DÉLOCALISATIONS, L’EXIGENCE D’UNE NOUVELLE INDUSTRIALISATION

Page 18: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

18

LE DOSSIER Dé mondialisation

PAR MICHEL ROGALSKI*

La mobilisation des think tanks et despoliticiens émargeant au « Cercle de laraison » ne doit pas étonner. Ils sont

dans leur rôle en agissant en sorte que l’al-ternance reste bien une alternance et nesoit surtout pas une alternative. Les forcesqui concourent à ce Cercle, tel un disquerayé, ressassent en boucle, malgré la réalité,les bienfaits de la mondialisation. Parcontre, on ne peut qu’être surpris que d’au-tres, au nom de l’idéologie altermondia-liste dont le bilan des avancées depuis dixans confine à l’évanescence, viennent, dansla crainte de perdre le peu qu’il reste de leurfond de commerce, joindre leurs voix auxpremiers avec tout autant de mauvaise foi.

L’EUROPE LABORATOIRE DE LA MONDIALISATIONCe dont il s’agit aujourd’hui, c’est dereprendre et d’approfondir l’opposition àla bifurcation de 1983 qui sacrifia les avan-cées sociales sur l’autel de la constructioneuropéenne, en prenant appui sur l’acquisde la confrontation d’idées qui vit le jouren 2005 à l’occasion du référendum consti-tutionnel européen. Magnifique débat dontl’enjeu ne portait ni sur des personnes oudes postes et qui est relancé aujourd’huipar la crise de 2008 et son contrecoup actuelalimenté par les dettes souveraines, l’in-certitude sur l’euro et les interrogations surla façon de penser la construction euro-péenne. Et si la démondialisation inter-pelle fortement l’Europe c’est parce quecette région du monde est devenue unconcentré – un laboratoire – de la mondia-lisation et que, loin d’y être douce, elle yconcentre tous ses excès. Il n’y a pas lieude s’en étonner. C’est dans cet espace quele commerce de proximité s’est le plus déve-loppé, que l’interdépendance y est la plusforte, que des pans entiers de souveraineténationale ont été transférés, qu’une majo-rité de pays ont décidé de se doter d’unemême monnaie et d’une banque centraleindépendante des gouvernements et enfinque des éléments de constitutions écono-miques se sont successivement empilés(Acte unique, Traité de Maastricht, Pactede stabilité, etc.) pour être repris dans lecorset du Traité de Lisbonne.

UN DÉBAT NÉCESSAIREC’est pourquoi les débats que suscite lethème de la démondialisation sont essen-tiels. Ils touchent tout simplement auxconditions nécessaires à la réalisation d’unerupture avec trente années de néolibéra-lisme mondialisé qui tel un rouleaucompresseur écrase tout sur son passageQuelques questions centrales émergentavec force de ce débat dont on voudraitétouffer la richesse :• On nous explique qu’il faudrait êtrepatient et que nos maux proviendraientde la situation d’entre deux dans laquellenous serions entrés. L’État-nation estblessé, mais il bouge encore, alors quel’économie mondiale ne serait pasencore instaurée et peinerait à se doterd’une gouvernance globale (ou euro-péenne). Ainsi nous cumulerions lesdéfauts de l’érosion des frontières sansêtre encore en mesure de bénéficier desavantages de leur dépassement. Cette« transition », qui se déroule depuis unetrentaine d’années, n’a pour l’instantaccouché que de la crise et se trouve demoins en moins en mesure de prouverque l’expansion du néolibéralisme àl’échelle du monde serait salvatrice. L’at-tente d’un gouvernement mondial pourrésoudre les problèmes engendrés parsa recherche risque fort de s’enliser dansle sable. Elle est évidemment insuppor-table pour les peuples. Se sortir de cetteornière en proposant une véritable issue,c’est, pour tout pays, nécessairemententrer dans un processus de démondia-lisation. Faut-il attendre que ça changeen Europe ou dans le monde pour quecela puisse changer chez nous ? Ou bien,faut-il engager l’action de façon unila-térale en mesurant sa portée conflic-tuelle et s’y préparer ? Réductrice d’in-certitude, l’Europe a toujours servi degangue gluante pour réduire l’amplitudede l’oscillation du balancier de l’alter-nance et jouer ainsi le rôle de SainteAlliance, remplaçant le Mur d’argent desannées 20. Ainsi refuser la démondiali-sation reviendrait à subordonner toutchangement en France à d’éventuelleset bien improbables évolutions euro-péennes ou mondiales. Ce constatconduit à poser la question incontour-nable de l’exercice de la souveraineté,

c’est-à-dire de la nécessaire superposi-tion entre le périmètre où se joue ladémocratie et celui de la maîtrise de larégulation des flux économiques etfinanciers. Le cadre national s’impose.Pourquoi la « relocalisation » sur la régionserait à la limite acceptable, l’Europefédérale souhaitée et la souveraineténationale vilipendée ? Pourquoi cettehaine de l’État-nation qu’il faudraitprendre en tenaille par le bas et par lehaut ? Les gauches latino-américainesont montré que le cadre national pouvaitpermettre des avancées sociales subs-tantielles, faire tache d’huile et rendrepossible des coopérations.• Les conséquences sur les politiques écono-miques à adopter reviennent au cœur dudébat. La demande de protection qui monteconcerne prioritairement l’ensemble desacquis sociaux engrangés pendant les trenteglorieuses, secondairement ceux du capitalnational malmené par la concurrencesauvage. Cette période a connu les protec-tions tarifaires, quelques contrôles dechange, nombre de dévaluations qui n’ontpas signifié pour autant repli national,fermeture ou adoption d’un modèle nord-coréen. Croissance, élévation du niveau devie, plein-emploi ont bien été au cœur dece qu’on voudrait nous faire regarderaujourd’hui comme une horreur « national-protectionniste ». La crise actuelle appelleau retour de l’État comme acteur écono-mique majeur. Il n’y a pas de protectionpossible sans qu’un rôle accru lui soit confié,aussi bien en termes de périmètre d’actionque dans la nature de ses interventions.On allèguera qu’il existe une forme demondialisation désirable, celle deséchanges culturels, du tourisme, de laconnaissance et des savoirs, de la coopé-ration entre les peuples, de tout ce qui faitla densité de la vie internationale ou d’unespace public en construction à ce niveau.Mais ne la mélangeons pas avec celle quifait l’objet du débat d’aujourd’hui à savoirle nécessaire blocage de l’expansion dunéolibéralisme à l’espace mondial. Nefusillons pas les messagers qui apportentla mauvaise nouvelle mais regardons plutôtles signaux divers qui attestent des limitesde la phase en cours, à commencer parl’annonce faite par la Cnuced de la réduc-tion du commerce mondial de 8 % aupremier trimestre 2011. n

Éditorial de Recherches internationales, n°90,2011. Publié avec l’autorisation de l’auteur.

*Michel Rogalski est économiste au Centrenational de la recherche scientifique et à l’Écoledes hautes études en sciences sociales. Il estdirecteur de Recherches internationales.

DÉMONDIALISATION : LE DÉBAT INTERDIT ?L’ampleur du tir de barrage opposé au terme de démondialisation donnela juste mesure de son côté insupportable pour tous ceux qui avaientvanté depuis des décennies la mondialisation heureuse, alors même queles faits accumulaient jours après jours les symptômes de son échec.

Page 19: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

19

LA MONDIALISATION EN CHIFFRES

D ésindustrialisation, inégalités, famine…, la mondiali-sation est sur le banc des accusés. À l’origine, c’étaitun slogan pour l’union de toutes les nations vers un

monde plus sûr et plus prospère, s’appuyant sur l’idée selonlaquelle le maximum d’ouverture aux échanges procure lemaximum de possibilités de développement. C’était unrêve créé de toutes pièces pour obliger l’ensemble despays du globe à emprunter le chemin du libre échange, dela mise en concurrence tous azimuts et des surprofits.Ainsi, entre 1948 et 1997, le commerce international a crûà un taux annuel de 6 % quand la production mondialen’augmentait que de 3,7 % par an. Entre 1985 et 1997, lerapport entre les échanges extérieurs (importations etexportations) et le PIB est passé de 17 % à 24 % pour lespays développés et de 23 % à 38 % pour les pays en déve-loppement. Entre 2000 et 2010, le commerce des produitsmanufacturés a augmenté en moyenne de 4,8 % par anen volume. Le commerce mondial de marchandises repré-sente plus de 15  200 milliards de dollars en 2010 contre12 100 milliards après la récession de 2009, et 16 100milliards en 2008, selon les chiffres de l’Organisationmondiale du commerce.

Pourtant, les inégalités Nord-Sud se maintiennent dansles échanges mondiaux. Une partie des pays du Sud res-tent à l’écart de la mondialisation. Alors que l’Europe del’Ouest, l’Asie de l’Est et l’Amérique du Nord réalisent80 % du commerce mondial, l’Afrique avec 14 % de lapopulation mondiale ne représente que 2 % deséchanges. Les pays du Nord, grâce à la domination deleurs bourses mondiales (New York, Tokyo, Londres,pour la finance, Chicago pour les matières premières)continuent de fixer les prix des matières premières pro-duites par les pays du Sud (céréales, pétrole, gaz, café,cacao, coton, minerais, etc.).

Les entreprises multinationales des pays du Nord conti-nuent de dominer les marchés mondiaux et délocalisentune partie de leur production dans les pays en voie dedéveloppement. Ayant des débouchés immenses à l’ex-portation, ils ne sont nullement contraints d’augmenterle pouvoir d’achat de leurs employés pour écouler leursmarchandises. De fait, les pays du Sud, émergents ounon, jouent le rôle de clients ou de sous-traitants desgrandes entreprises des pays du Nord et les inégalités secreusent. Car au-delà de l’intensité des échanges, c’estsurtout l’évolution de leur structure qui marque cettepériode. La montée du commerce de produits identiques,du poids des firmes multinationales dans le commercemondial, et la participation d’un nombre toujours plusgrand de pays aux échanges, et notamment des pays endéveloppement ont impliqué une évolution sensible de ladivision internationale du travail. Si bien que la circula-tion des biens et services se substitue à celle des per-sonnes. Et l’ouverture devient synonyme de concurrence

entre les travailleurs du monde entier. La réduction dusalaire pour assurer une plus forte rentabilité du capitalest alors à l’œuvre au travers de toutes les réglementa-tions émises par les organismes internationaux. Et pourceux qui n’arrivent pas à se hisser aux niveaux exigés parcette hyper-concurrence, une seule voie  : la faillite oul’exclusion.

En France, selon les études de l’Insee, ce sont entre13  500 à 36  000 emplois par an qui sont perdus du faitde la mondialisation. Et depuis 2002, le nombre de per-sonnes pauvres au seuil de 50  % du revenu médian aaugmenté de 760 000 (+ 20  %) et le nombre au seuil de60 % a progressé de 678 000 (+ 9 %). Les taux sont pas-sés respectivement de 6,5 à 7,5  % et de 12,9 à 13,5  %.Aux États-Unis, de 2000 à 2010, 15 millions de personnesont basculé dans la pauvreté, leur nombre passant de31,6 millions à 46,2 millions. Au total, ce sont 633 millionsde travailleurs dans le monde qui vivent sous le seuild’extrême pauvreté, moins d’un dollar par jour.  Alorsqu’à l’autre bout de l’échelle, Carlos Slim Helu, le plusriche du monde, vit avec 94 millions de fois le seuil depauvreté mondial, ce qui représente 18 millions de fois larichesse médiane par adulte.

Mais la libéralisation des échanges est aussi une descauses majeures de la faim dans le monde. Si la part depopulation mondiale en situation de sous-alimentation abaissé en 40 ans, puisqu’elle était de supérieure à 30 %au début des années 70 pour passer aujourd’hui à 15 %,925 millions de personnes dans le monde souffrent defaim chronique en 2010, selon l’Organisation des Nationsunies.   Les émeutes de la faim qui se sont produites en2007 et 2008 dans plusieurs pays pauvres importateursde denrées alimentaires en ont fait un sujet d’actualitébrûlant. Elles ont attiré l’attention de l’opinion internatio-nale sur la grave crise qui résultait du renchérissementde produits de base. Cette crise alimentaire couvaitdepuis que le Fonds monétaire international (FMI), entreautres dispositions pour désendetter les pays notam-ment de l’Afrique subsaharienne, avait encouragé ledéveloppement des cultures d’exportation (éminemmentspéculatives) au détriment des cultures vivrières tradi-tionnelles. Au problème de la sécurité alimentaires’ajoute la pollution des sols par le recours intensif auxengrais et pesticides et la déforestation massive. n

*Clothilde Mathieu est journaliste à l’Humanité en chargedes questions économiques.

PAR CLOTHILDE MATHIEU*

En France, selon les études de l’Insee, cesont entre 13 500 à 36 000 emplois par an qui sont perdus du fait de la mondialisation. “ ”

Page 20: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

20

Dé mondialisationLE DOSSIERDÉMONDIALISATION ET TERRITOIRESAujourd’hui la mondialisation met en concurrence, à l'échelle pla-nétaire, non seulement toutes les productions nationales, de biensou de services, toutes les activités humaines, mais aussi les Étatset leurs territoires.

PAR MIREILLE SCHURCH*

T outefois, le discours sur la mondia-lisation s’est construit en résonanceinternationale alors que, dans le

même temps, émergeait une interroga-tion sur la pertinence des régions de notreterritoire national. Ainsi, l’accent asouvent été mis sur la fin du territoire réelau profit d’un nouveau territoire virtuel,interconnecté, moderne ou sur le déve-loppement du « nomadisme » des entre-prises et ces conséquences sociales dansles territoires(1). Dans ces deux cas c’est l’impact de lamondialisation entendue comme l’accé-lération et le renforcement de la circula-tion des capitaux et des marchandises etdes services sur les territoires qui sontenvisagés. Sans nier la pertinence de cette approche,il semble opportun d’analyser l’impactde la mondialisation et donc des possi-bles vertus d’une démondialisation en sepositionnant sur un autre terrain, celuide l’application de la rationalité écono-mique à tous les champs de l’actionpublique, rationalité qui a entraîné unenouvelle perception des territoires et alégitimé un certain désengagement del’État.

L’EFFET DE LA MONDIALISATION SUR/DANSLES TERRITOIRES.« Il n'y a pas de territoires en crise, il y aseulement des territoires sans projet »,1997, déclaration de Charles Pasqua, alorsministre de l'Aménagement du territoire. Les réformes successives de notre orga-nisation administrative ont poussé à unefragmentation du territoire. La péréqua-tion, l’égalité, l’unité et l’aménagementéquilibré du territoire ont laissé le pas àd’autres terminologies : compétitivité,attractivité, métropolisation, pôle d’ex-cellence. Ainsi, la DATAR, Délégation à l’aména-gement du territoire et à l’action régio-nale, dont la création remonte à 1963 serarenommée Délégation interministérielleà l'aménagement et à la compétitivité desterritoires (DIACT) entre 2005 et 2009. Lesmots ayant un sens cette évolution n’étaitpas anodine, « elle a pu donner le senti-

ment qu’une nouvelle politique d’amé-nagement du territoire était en gestation,privilégiant désormais les logiques deconcentration économique au détrimentd’un équilibre traditionnel et rassurantentre l’exercice de la solidarité nationaleet le soutien aux dynamiques territorialesdans leur diversité.(2) ». Bien que la DATARait retrouvé son nom d’origine, le senti-ment demeure que l’aménagement duterritoire "à la française" poursuivant l’ob-jectif d’un équilibre des territoires fondésur le principe d’égalité a vécu. En effetl’actuelle DATAR conserve les missionsde la DIACT : « accompagner les muta-tions économiques en privilégiant uneapproche offensive de la compétitivité ». Le constat est sans équivoque, « la géogra-phie doit se mettre au service de lacompétitivité(3) ». D’un objectif affiché d’équité noussommes passés à un objectif d’efficacitéreposant sur la concentration et la spécia-lisation d’activités sur un territoire. Celaa entraîné tant dans le discours politiqueque dans l’action publique une dévalo-risation des logiques territoriales tradi-tionnelles au profit de logiques managé-riales qui renforcent les déséquilibres dedéveloppement territorial, au détrimentdes territoires moins métropolitains : villesmoyennes et petites, monde rural, régions"périphériques".La mondialisation et le libéralisme écono-mique, la délocalisation rapide des acti-vités économiques, la compétition onteu ce premier impact sur les territoires :Considérer l’aménagement du territoirecomme un outil dépassé.Ainsi la réforme des collectivités territo-riales de 2010, en créant métropoles etpôles métropolitains aux pouvoirsétendus, met clairement en concurrenceles territoires, au détriment des territoiresruraux.Si l'on accepte des États inscrits dans unemondialisation toujours plus poussée,alors leurs décisions ne consisteront plusqu'à vouloir attirer les entreprises etl'épargne mondiale au détriment de lapréférence démocratique pour la protec-tion des emplois, des revenus, de la stabi-lité financière, de l'État-providence, etc.C'est la tentation d'un monde ultralibéral

telle qu'elle s'est exprimée à partir desannées 1990 et jusqu'au début des années2000(4). »Cette tentation s’est traduite par uneremise en cause des services publics etpar l’application des théories du nouveaumanagement public à l’action de l’État,la RGPP, qui toutes deux ont un impactsur les territoires.

La logique de rentabilité qui est au cœurde l’hypermondialisation que nousconnaissons aujourd’hui a remis fonda-mentalement en cause le service publicet le principe d'égalité d'accès qui est aucœur de cette notion. Le dogme du moinsd’État a conduit à un transfert progressifà la sphère privée de ses missions, maissurtout a laissé de nouveaux espaces auxmarchés financiers.Il en est ainsi, et ce n’est qu’exemple, dela privatisation des autoroutes qui au-delà de la méconnaissance de l’intérêtgénéral, social, économique ou environ-nementale, a diminué les recettes de l’Étatet de son agence de financement desinfrastructures de transport de France(AFITF) affectant le financement de laréalisation ou l’aménagement d’infra-structures de transport essentielles auxterritoires. En outre, il y a eu une décentralisation etune régionalisation de la gestion deservices publics, tels que les infrastruc-tures de transports, l'éducation, la forma-tion, l’aide à l'insertion sociale deschômeurs qui ont fragilisé l’offre deservice public.En effet, si ce mouvement n’est pas abso-lument critiquable en soi, il ne s’est pasaccompagné des moyens nécessaires àla pérennité de ces services publics et alaissé les collectivités locales dans unesituation intenable. Les transferts decompétences vers les échelons décentra-lisés n’ont pas été justement compensés.Dès lors, pour pallier le désengagement del’État, les collectivités territoriales ont parfoisdû avoir recours aux marchés pour financerles politiques des territoires. Plusieurs seretrouvent aujourd’hui victimes de produitsspéculatifs en ayant contracté desemprunts à taux variables indexés sur l’évo-lution des parités de change entremonnaies. Elles ont pris des risques quiont entraîné un endettement préoccupantdes villes et des petites communes.

Dans le même temps, l’État s’est frag-menté en une multitude d’opérateurs etd’établissements publics qui transfor-ment ses relations avec les territoires. LaRGPP, dont l’argument budgétaire

Page 21: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

21

Face à cette incapacité des marchés ladémondialisation pourrait être considérécomme la remise en cause de la seulerationalité économique autrement dit del’économie comme science dominante.Cela permettrait une rupture avec lediscours et les actions actuelles légitiméspar la seule rationalité économique etpermettrait « de redonner à la sphèrepublique les moyens de redevenir unacteur économique ; de refonder l’ad-ministration et l’action publique pourrépondre aux besoins actuels et futurs,et ce même dans une économie mondia-lisée(7) ». Cela permettrait de relocaliserles systèmes productifs, pour produire auplus près des lieux de consommation, deréduire les flux de marchandises et decapitaux. Cela permettrait une mise envaleur et un soutien aux ressources nondélocalisables. La démondialisation permettrait aussi desoustraire le financement des dépensesde solidarité au jeu du marché. Il s’agiraitde créer un pôle financier public poursoutenir l’appareil productif et investirdans les territoires. Ce serait la reconnais-sance que le financement des collecti-vités territoriales relève d’une mission deservice public.Nous avons la mondialisation que l’onconstruit, il est temps aujourd’hui de

changer de trajectoire. C’est en ce sensqu’il faut penser la démondialisation, noncomme un retour en arrière mais commeune nouvelle direction. n

1) Pagès Dominique, De la fin des territoiresà l'ambiguïté de leur réinvention, Quaderni.N. 34, Hiver 1997-98. L'incertitude des terri-toires. pp. 43-56.2) J.-B. Albertini, De la DATAR à la nouvelleDIACT : la place des questions économiquesdans la politique d'aménagement du terri-toire, Revue française d'administrationpublique, 2006/3 no 119, p. 415-426. DOI :10.3917/rfap.119.04153) G. Duranton, P. Martin, T. Mayer, F.Mayneris, Les pôles de compétitivités, quepeut-on en attendre ? , CEPREMAP, Les édi-tions de la rue d’Ulm, 2007.4) Christian Chavagneux, La tentation de la“démondialisation”, Alternatives économiques6/2011 (n°303), p. 56.5) Pierre Mendès France, Œuvres complètes,tome I, Gallimard, Paris, 1984, p. 104.6) Halimi, Déréguler à tout prix, Manière devoir, no. 102 lundi 1 décembre 2008, p. 227) Quelles missions et quelle organisation del’État dans les territoires, Conseil écono-mique, social et environnemental, novembre2011.

*Mireille Schurch est sénatrice de l’Allier,membre de la commission de l’économie, dudéveloppement durable et de l’aménagementdu territoire du Sénat.

constitue le critère unique, a entraîné lafermeture de services, l’amenuisementdes subventions, le dépérissement desfonctions d’assistance technique queremplissaient naguère les sous-préfec-tures, les DDAF ou les DDE et a placé lescollectivités territoriales dans une situa-tion d’insécurité financière et juridiquene leur permettant plus d’assurer leursmissions d’intérêt général.Outre le renforcement d’un sentimentd’éloignement à travers le parti pris derégionalisation qui l’anime, la révisiongénérale des politiques publiques asurtout profondément dégradé le servicepublic d’État d’ingénierie au service descollectivités locales.

UNE NÉCESSAIRE RÉFLEXION AUTOUR DELA NOTION DE DÉMONDIALISATION« L'heure est venue de substituer auxdogmes du laisser-faire, laisser-passer, lestatut économique de l'avenir, celui del'État fort contre l'argent fort(5) » PierreMendès France avril 1929, six mois avantle krach de Wall Street.Le capitalisme actuel, qui ne rechercheque le profit déconnecté de toute réalitéproductive, ne peut donner naissanceà un politique industrielle ou à une stra-tégie d'aménagement équilibré duterritoire(6).

Page 22: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

22

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

LE DOSSIER Dé mondialisation

UN DÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLE POUR UN NOUVEL ORDRE INTERNATIONALSi la notion de démondialisationpeut avoir un sens c'est celui d'unnouvel ordre international pour le développement humain danstoutes ses dimensions et contretoutes les dominations

PAR JACQUES FATH*

Certaines réalités ne changent guèreau fil du temps : 1 milliard d'êtreshumains dans le monde souffrent

de la faim, 1,6 milliard n'ont pas accèsà une forme moderne d'énergie ; 2,5milliards ne bénéficient pas d'installa-tions sanitaires ; un enfant de moins de10 ans meurt toutes les cinq secondes...De tels indicateurs sont en eux-mêmesune condamnation de ce que le capita-lisme a engendré dans ce qu'on appe-lait hier le rapport Nord/Sud.

Les indépendances politiques gagnéessur le colonialisme apparaissent bienloin mais le strict minimum de prospé-rité nécessaire à la vie et à la dignitéhumaine semble toujours impossible àatteindre pour nombre de pays. Mêmeles objectifs du millénaire pour le déve-loppement (OMD) décidés à l'unani-mité des pays membres de l'ONU en2000, qui devraient garantir un niveaude décence humaine incompressible,ne seront pas atteints à l'horizon prévude 2015. L'aide publique au développe-ment stagne ou régresse, bien au dessousdes nécessités et des annonces tant defois rappelées (0,7% du PNB) depuis aumoins cinquante ans.

DES POLITIQUES DE RÉGRESSIONLorsque le G20 se réunit en sommet deschefs d'État et de gouvernement le 4novembre dernier, il produit le commu-niqué habituel. Il n'est question que« des plus vulnérables », des « criseshumanitaires », du « manque d'infra-structures », du « rôle crucial de l'aideau développement » et de « nouvellessources de financement » (seule« nouveauté »... si c'en est une). Pas unmot, évidemment, sur l'essentiel : lesinstitutions financières internationales(FMI, OMC, Banque mondiale...) condi-tionnent leurs aides et leurs annula-tions de dette aux pays les moinsavancés (PMA) à la mise en œuvre de

programmes néolibéraux d'ajustementsstructurels qui aggravent la pauvreté etles inégalités, qui déstructurent lessociétés et fragilisent les États. Ces poli-tiques de régression se cumulent avecles vulnérabilités de longue duréeinduites par le sous-développement etpar les héritages du colonialisme. Dansde telles conditions, certains États etrégions, en particulier en Afrique, sonten processus de déliquescence etrestent dans la durée de vastes lieux denon droit, de tensions, d'ingérencesmultiples, de diffusion d'armements,de conflits armés, de crises internesviolentes, de migrations massives...

L’ENJEU DU DÉVELOPPEMENTOn aurait tort de croire, cependant, querien n’a changé. Les bouleversementsgéopolitiques engagés dès la fin desannées 80 avec la chute du mur, l'ex-tension du néo-libéralisme à l'échelleplanétaire, la montée des émergents,le processus de mondialisation néoli-bérale... tout cela a profondémenttransformé la donne mondiale. L'idéequ'il y aurait une politique spécifiquedes pays développés du Nord face à unSud identifié comme une réalité d'en-

semble cohérente n'est globalementplus d'actualité. La rose des ventsgéopolitiques Est/Ouest et Nord/Suddu XXe siècle a vécu.

L'enjeu du développement n'est plusseulement celui du Sud. Il est devenuun enjeu mondial dans une très grandediversification de situations nationalesou régionales. Mais partout, pour lesmoins avancés, pour les puissancesémergentes, pour les pays capitalistesdéveloppés... le même type de questionse pose. Comment sortir des millionsde personnes de la pauvreté, de laprécarité et de l'exclusion ? Commentne plus mettre des peuples et des sala-riés en concurrence ? Comment installer

un État de droits politiques, civils etéconomiques, voire une vraie démo-cratie sociale ? Comment assurer unemaîtrise financière alimentaire, indus-trielle, technologique, dans un modede croissance durable ? Commentconstruire des contextes de sécuritéinternationale en réglant les conflits eten poussant au désarmement ?

DES RÉPONSES TRÈS EXIGEANTESL'alternative se situe de plus en plus entreune configuration dramatique de criseincontrôlable et un mode de co-déve-loppement humain durable capabled'assurer la sécurité humaine, la démo-cratie et le niveau de vie auxquels chaqueêtre humain a le droit d'accéder en cedébut du XXIe siècle. Les réponses néces-saires sont très exigeantes. L'option duprotectionnisme et du repli national estune régression impraticable. Il faut unealternative de portée globale à la hauteurpour transformer radicalement toutesles politiques et leurs cadres institution-nels : nouvelle architecture financière ettaxes sur les transactions financières,monnaies communes mondiale etzonales, gouvernance multilatérale ducommerce mondial, audits et annula-tions des dettes, croissance solidaire etdurable par et pour la création d'emploisqualifiés, coopération dans la recherche,la technologie et la formation, contratsde développement et coopérations d'in-térêt mutuel pour dépasser la logique dela compétitivité et des délocalisations,démocratisation des organisations finan-cières internationales et du système desNations Unies...

Il faut, en vérité, concrétiser ce quiconstitue fondamentalement aujour -d'hui une communauté de destin etd'in térêt des peuples. Des peuples qui,aujourd'hui, en Amérique latine, dansle monde arabe, mais aussi en Afriqueet en Europe se soulèvent ou se mobili-sent et montrent une volonté d'inter-venir pour changer leur avenir. L'enjeudémocratique se mêle avec insistance àl'exigence essentielle d'un nouvel ordreinternational. Si la notion de démondia-lisation peut avoir un sens c'est doncbien celui d'un nouvel ordre interna-tional pour le développement humaindans toutes ses dimensions et contretoutes les dominations. n

*Jacques Fath est responsable du secteurdes relations internationales du PCF.

L'enjeu du développementn'est plus seulement celui du Sud.

Il est devenu un enjeu mondialdans une très grande

diversification de situations nationales ou régionales.

“”

Page 23: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

«La France pour changer le cours de la mondialisation»

Désormais servilement alignée surles États-Unis d’Amérique, laFrance de Nicolas Sarkozy ne porte

aucune vision alternative à la mondia-lisation libérale. Si demain lacinquième puissance économique dumonde prenait un autre chemin, l’effetd’entraînement serait considérable surles peuples du monde. En gouvernantautrement la France, nous voulonsaussi contribuer à changer le cours dela mondialisation dans laquelle les poli-tiques de coopération et de solidaritépourront enfin se développer

LE CHOIX DE LA COOPÉRATION ENTRE LES PEUPLES

La France s’engagera pour de nouvellesrelations internationales fondées surle respect des souverainetés populaires,sur des coopérations mutuellementprofitables entre les peuples, sur laprimauté des normes sociales et envi-ronnementales sur celles de la financeet du commerce.Nous annulerons la dette des payspauvres et mettrons en place, commeau niveau européen un Fonds decoopération solidaire sous l’égide del’ONU financé par une taxe de typeTobin (ou d’autres types de taxation ducapital international).Nous mettrons un terme à une poli-tique étrangère de la France basée surles relations néocoloniales et la Fran-çafrique.Nous développerons une action decoopération avec les peuples qui cher-chent à construire la démocratie et lajustice sociale, notamment en Tunisieet en Égypte, et nous reconstruironsune politique de coopération véritableentre les deux rives de la Méditerranée.La France engagera des politiques decoopération scientifique et universi-

taire internationales via la mise encommun et le partage en libre accèsdes compétences et des ressources etvia des budgets soutenant les missionsinternationales des chercheurs et ensei-gnants-chercheurs.Nous agirons pour la souverainetémonétaire et financière des peuples,pour un commerce équitable fondé surdes normes sociales et environnemen-tales exigeantes. Nous combattrons les principes d’aus-térité du FMI et de libre-échange del’OMC pour les changer profondémentou pour créer de nouvelles institutionsinternationales. Nous appuierons la création d’unTribunal international de justice clima-tique sous l’égide de l’ONU. Nous appuierons les projets comme« Yasuni ITT* » fondés sur le principede responsabilité commune pour l’in-térêt général.

UNE POLITIQUE AU SERVICE DE LA PAIX

La France rompra avec cet alignementlibéral et atlantiste, la politique de forceet d'intervention militaire et avec leslogiques de puissance, pour agir enfaveur de la paix, du règlement desconflits, du rétablissement du droitinternational. Elle agira pour une ONUdémocratisée, s’appuyant sur unedoctrine multilatérale renouvelée.Nous déciderons, immédiatement, leretrait de la France de l'Otan et nousnous battrons pour la dissolution decette organisation. Nous rappelleronsnos troupes engagées en Afghanistan. Nous nous battrons pour la suprématiedu droit international sur la force, etnotamment le droit souverain dupeuple palestinien à disposer d'un Étatviable et indépendant, dans les fron-tières de 1967, avec Jérusalem-Est pourcapitale et dans le respect du principedu droit au retour des réfugiés, un Étatpalestinien vivant pacifiquement auxcôtés d’Israël conformément aux réso-lutions de l’ONU.

Nous agirons pour la dénucléarisation,pour le désarmement multilatéral etcontrôlé de tous les types d’armementdans l'esprit de la Culture de paiximpulsée par l'Unesco et la charte desNations Unies.

*Yasuni-ITT (projet) : initiative lancéepar l’Équateur afin d’obtenir unecompensation financière en échangede la non-exploitation pétrolière departies de la forêt amazonienne,poumon du monde, conciliant ainsi lesexigences de développement et la luttecontre l’effet de serre et pour la biodi-versité locale.

23

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

Extrait du programme du Front de gauche

Comme dans le précédent numéro, nous présentons ici la partie du programme du Front de

gauche, l'Humain d'abord, qui correspond plus particulièrement au dossier traité. En outre,

la rubrique en page 26, « Le programme du Front de gauche en débat » est là pour accueil-

lir réflexions et enrichissements dans l'esprit de ce programme populaire et partagé.

Page 24: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

D’ IDÉES

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

COM

BAT

«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet

générale. Partout se déploient l’argumen-taire libéral, l'individualisme agressif ; latendance au repli et l'hostilité à l'égard del'étranger sont largement partagés. Partout,le catéchisme libéral – moins d'État, moinsd'impôts, plus de libre marché – est omni-présent. Pour les libéraux, cette droitisa-tion serait une tendance lourde ; ils y voientun «  réflexe de défense face à mondiali-sation » ; ils parlent de « crise identitaire »,de « sensibilité au thème de la sécurité »,au sens large.

D'OÙ VIENDRAIT CETTE DROITISATION ? De multiples débats se croisent sur lesorigines de cette dérive ; on montre dudoigt la mondialisation libérale, lesangoisses collectives ; on raille l'impuis-sance du politique, la perte d'espoir ; onsouligne l'effondrement des idéaux, la chutedu mur et de l'URSS ; on note l'influence

du conservatisme anglo-saxon ; on dénoncemême la gauche et certains font remonterle recul aux années Mitterrand, à la démis-sion d'une « élite de gauche » qui a capi-tulé devant le tout-marché, démonétiséles valeurs progressistes, désarmé lesmilieux populaires, entretenu une incré-dulité croissante à l'égard des valeurs deliberté et d'égalité (voir le débat sur cesujet dans le journal Le Monde en avril-mai 2011). On admet aussi, assez généra-lement, que la force de la droite viendraitd'une absence de propositions alternativesà gauche.Un autre élément profite certainement àla droite, la crise durable de la politique.C'est un peu comme si, par défiance, cequ'il y avait de nouveau dans la société nedébouchait plus, ou plus difficilement, surle terrain politique, institutionnel.

POUR AUTANT, LA DROITISATION EST-ELLE AUSSI IRRÉSISTIBLE QUE LE DITLA DROITE ? En France le rejet de Sarkozy est fort,comme l'a encore montré la mobilisationpour la primaire du PS ; l'envie de gauche(succès remarqué de la diffusion duprogramme du Front de gauche, «  L'hu-

Par GÉRARD STREIFF

Le thème, martelé, d'une droitisation irrésistibleest une machine de guerre qui installe l'idéequ'on pourrait toujours s'offrir des alternancesmais plus jamais d'alternative.

a droitisation de l'élec-torat est un thème cher... à la droite libé-rale. Celle-ci veut croire dur comme ferque son hégémonie est durable. Alors quemontent tout à la fois un évident rejet deSarkozy et une réelle envie de gauche,parler de droitisation peut donc semblerparadoxal. Mais le paradoxe est là : unevéritable régression est à l'œuvre dans lepays, ravageant le paysage social, poli-tique, idéologique alors même que s'affir-ment de fortes aspirations progressistes.

Pour le politologue Dominique Reynié,directeur général de la Fondation pour l'in-novation politique ( Fondapol), un thinktank libéral lié à l'UMP, la droitisation desélectorats comme des dirigeants seraientà l'œuvre, en France et en Europe ; selonlui, cela constituerait même la tendancedominante de la vie politique pour les dixou quinze années à venir.Les adeptes de la droitisation ne manquentpas d'arguments. Depuis des années, ladroite donne le tempo de la vie politique,avec sa cascade de «  réformes  » ; ellecontrôle l'essentiel des institutions ; sonappendice extrémiste, le Front national,est haut dans les sondages. Dans le mêmetemps, elle maîtrise l'appareil économique,elle verrouille la machine médiatique. Unedépolitisation croissante favorise une grillede lecture réactionnaire du monde. Larégression sexiste est manifeste, commel'a montré l'affaire DSK : complaisance faceaux violences faites aux femmes, mise endoute de la crédibilité des victimes, tenta-tives de « ringardiser » le féminisme. Et laparité est à la peine.Le tableau n'est guère plus brillant dansle reste de l'Europe. La grande majoritédes membres de l'Union européenne sontdirigés par des formations de droite ; lesdroites extrêmes se renforcent de manière

«L24

La résistible droitisation

DROITISATION DES MÉDIAS« La façon dont on s'exprime dans les débats télévisés a toujours été à l'image de ce quedonnait à voir le monde politique. L'arrivée de la gauche au pouvoir s'est accompagnéede discussions enfumées, si ce n'est fumeuses, à l'instar du "Droit de réponse", de MichelPolac, où les arguments s'opposaient. Puis la cohabitation a mis fin à ces échanges mus-clés. A l'instar de ce qui se passait à la tête de l'État, il fallait rechercher le consensus ou,tout au moins en donner l'apparence. A tel point que le débat Chirac-Jospin, à la veille del'élection présidentielle, fut d'une politesse parfaite et d'un ennui absolu.

L'accès de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle de 2002 a repousséles limites du dicible dans les médias. L'élection de Chirac avec un score faussementconsensuel a rendu nécessaires de vrais affrontements d'idées. C'est le moment oùla télévision décide elle aussi de se "décomplexer". […] Ce n'est plus le débat d'idéesqui est valorisé, mais la joute verbale, qui devient un divertissement comme un autre.Thierry Ardisson, Marc-Olivier Fogiel et d'autres avaient fait un premier pas vers l'«  infotainment  » en mêlant hommes politiques et vedettes du show-biz, LaurentRuquier, avec son émission "On n'est pas couché", a fait un pas supplémentaire : il atransformé les éditorialistes politiques en vedettes du show-biz. C'est-à-dire en per-sonnages doués d'une personnalité identifiable. De même que dans la fiction, rien nefonctionne mieux que les couples de contraires, les couples de polémistes sont deve-nus l'ingrédient nécessaire de toute émission de radio ou de télé. »

François Jost, professeur à Paris 3, directeur du Centre d'études sur les imageset les sons médiatiques. extrait - Le Monde, 29/04/2011

Page 25: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

25

DÉCEMBRE 2011- LA REVUE DU PROJET

réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

On vit moins bien qu’avant !À l'occasion de la onzième conférence

annuelle de l'Association des mairesdes grandes villes de France (AMGVF), surle thème « Urgence économique et sociale,oser de nouvelles réponses », une enquêteTNS-Sofres a montré que 75% des Fran-çais ont l'impression que, depuis quelquesannées, des gens comme eux vivent moinsbien qu'avant. Cette perception part depréoccupations très concrètes : 66 %redoutent le chômage pour eux ou leursproches. C'est le cas pour 76 % desouvriers, 70 % des cadres. Faut-il changerla société ? 14 % (+4 sur 2009) pensentqu'il faut «  radicalement transformer masociété  » ; pour 37 % (+11), il faut la« réformer en profondeur » ; 25 % (-7) secontenteraient de «  l'aménager surquelques aspects ».

SONDAGES

Pages réalisées par GÉRARD STREIFF

main d'abord » ou résultats de Montebourgpar exemple) est manifeste. Le passage àgauche du Sénat en est encore un signe.En Europe, une certaine pression progres-siste est palpable en Allemagne, en Italie.Les sociaux-démocrates sont revenus aupouvoir au Danemark. Des mouvementssociaux nombreux, à Athènes ou Londres,des manifestations spectaculaires d' « indi-gnés  » à Madrid et ailleurs contrarient lathèse d'une droitisation triomphante, ceque montre d'ailleurs le rapport de JacquesFath devant la direction communiste, enseptembre dernier.

Le mouvement des indignés indique, soitdit en passant, qu'il existe des sociétésnovatrices, critiques, bien supérieures àla superstructure politique qui les repré-sente, les chapeaute. Les libéraux répon-dent que ce sont là des péripéties, uneconjoncture qui ne remet pas en cause laligne générale. Ivan Rioufol, idéologue duFigaro, résume bien cette démarche entitrant une de ses chroniques : « Le PS peutgagner mais le socialisme a perdu. » Domi-

nique Reynié, lorsqu'on lui demande (LeMonde, 28 septembre) si la droite est enpanne d'idées répond : « Ses idées triom-phent ! » Plus personne au PS, polémique-t-il, «  ne conteste la nécessité de luttercontre la dette et les déficits. C'est unerévolution dont la droite n'a pas mesurél'importance  ». Pour lui, la candidatureHollande incarne ce virage : «  Jusqu'àprésent, dans la pensée de la gauche, l'Étatdevait être capable de tout financer. AvecHollande, c'est fini. [...] Si son plan réussit,Hollande sera le premier à prendre le PSpar la droite ! »Bref la droitisation idéologique de l'opi-nion serait acquise. Pour des gens commeReynié, la norme sociale du capitalismeserait devenue la règle. C'est probable-ment un peu plus compliqué.

Les études d'opinion montrent plutôt undouble mouvement. Prenons les adhérentssocialistes, objet de nombreuses études.Si on en reste aux « fondamentaux » de lapolitique économique et sociale parexemple, on peut parler d'une acceptation

de l'économie de marché ; pour l'électeursocialiste, les profits sont un indicateur devitalité économique, la liberté d'entre-prendre doit être encouragée. «  On agagné !  » pourrait donc dire Rioufol duFigaro. Oui mais ces mêmes sondés sonttrès critiques à l'égard du libéralisme écono-mique, qu'ils distinguent du marché, ilssont même, pourrait-on dire, globalementantilibéraux, opposés à la totale libertépatronale d'embaucher ou de licencier, auxcampagnes de droite sur les «  fauxchômeurs », à la baisse du nombre de fonc-tionnaires, ils souhaitent une hausse signi-ficative du Smic et des salaires ; c'est vraiqu'une large partie d'entre eux considè-rent qu'avec la mondialisation, les margesde manœuvre des politiques sontrestreintes, mais est-ce une idée de droiteou de gauche ?

Reste que le thème, martelé, d'une droiti-sation irrésistible est une machine deguerre qui installe l'idée qu'on pourraittoujours s'offrir des alternances mais plusjamais d'alternative. n

ÉVOLUTION DE L'OPINION

RÉPARTITIONPAR ÉLECTORAT

Page 26: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

« À terre, je nesuis qu’unebarre de fer  ;prenez-moi dansvos mains, et jeserai un levier. »

VICTOR HUGO, Choses vues (1887-1900),

mai 1848

LE PROGR A MME DU EN DÉBAT

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

26

Contribution au partage et à l’échange autour de “l’humain d’abord”.

« Pour une caisse de solidarité productive »

MODALITÉS DE FINANCEMENT• À court termeLe “ fond de caisse ” est financé par unprélèvement exceptionnel sur la tréso-rerie des grandes entreprises. En effet,le taux d’autofinancement des entre-prises du CAC 40 est de 120 % et leurtrésorerie s’élève à ce jour à 170 milliardsd’euros, ce qui leur permet cette avance.En revanche, le taux d’autofinancementdes PME n’est que de 50 %. • Sur le long terme ? Le financement permanent de la Caisseest assuré par un système de cotisationsobligatoires pour toutes les entreprises(TPE, PME, PMI, grandes entreprises,grands groupes, multinationales), dontl’assiette est la valeur ajoutée. Les coti-sations s’échelonnent selon un systèmeprogressif, par tranches, sur le modèlede la fiscalité, permettant des cotisationsquasi-nulles pour certaines TPE et trèsimportantes pour les plus grandes entre-prises.

ORGANISATION ET STRUCTURE• Comment est-elle gérée ? Selon une gestion quadripartite : sala-riés, entrepreneurs, collectivités territo-riales, État.• Comment est-elle structurée ? Elle est structurée en :

Caisses primaires : elles sont chargéesde recueillir les cotisations des entre-prises de leur périmètre et de gérer lesdossiers qui leur sont soumis. Caisses régionales : elles sont chargéesde veiller à la coordination des Caissesprimaires et à la péréquation de leursressources et dépenses, sous contrôle dela Caisse des dépôts et consignations,laquelle, conformément au programmedu Front de gauche, est intégrée au Pôlefinancier public. Caisse nationale : elle joue le même rôlepar rapport aux Caisses régionales quecelles-ci par rapport aux Caissesprimaires.

En cette période de crise du capitalisme, la responsabilité historique duFront de gauche doit être de reprendre le flambeau des grandes conquêtessociales qu’ont été la Sécurité sociale, l’Assurance chômage ou lesCaisses de retraites. En effet, contre l’asservissement de la vie productiveaux impératifs de l’accumulation et de la spéculation, nous devons appor-ter la réponse qui a toujours été celle des grandes victoires populaires : laSolidarité. C’est pourquoi, puisque le programme « L’humain d’abord ! » estdestiné à être enrichi tout au long de la campagne, nous proposons ici lacréation d’une Caisse de solidarité productive et soumettons cette contri-bution à la réflexion collective.

PAR THOMAS MAURICE, MICHÈLE LEON ET PIERRE NICOLAS*

PRINCIPESIl s’agit d’une caisse de cotisations entreprenariales, instituée et encadrée par laloi, en vue d’un triple objectif : l rediriger la masse monétaire, captée par l’accumulation et la spéculation, versla production ; l participer au financement de la vie productive et du progrès social ;l instaurer une solidarité entre les entreprises, afin d’assurer une sécurité écono-mique et professionnelle pour les productifs (salariés et entrepreneurs).

• Y a-t-il des précédents ? Oui, la Caisse intempéries du bâtiment et travaux publics (BTP), créée en 1946, etqui existe toujours. La Caisse de solidarité productive peut ainsi être conçue commeune extension, à l’ensemble des branches, du principe de la Caisse du BTP, pourparer à l’insécurité due aux “ intempéries économiques ”.

Page 27: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

27

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

PROCÉDURES• Quand intervient la Caisse de solida-rité productive ? Après une procédure d’alerte, déclen-chée soit par la direction de l’entreprise,soit par le commissaire aux comptes del’entreprise, soit par les salariés. • Sur quels critères se fondent ses inter-ventions ?La Caisse se fonde toujours, dans sesinterventions, sur trois types de critères : critères sociaux : hausse des salaires,amélioration des conditions de travail,amélioration de la production, forma-tion du personnel, utilité sociale, intérêtnational ;critères économiques : variation descours des matières premières, variationdes coûts de production, baisse d'acti-vité, défaut des donneurs d'ordre, condi-tions climatiques, catastrophes ;critères écologiques : reconversionécologique, relocalisation, protectionde l'environnement, sécurité environ-nementale des activités, innovation etrecherche.• Quels sont les types d’interventions ? La Caisse dispose de quatre niveaux

d’intervention : • subventions ciblées (Soutien à courtterme) : la Caisse aide les entreprisesqui, en raison de leur taille, d’une baissed’activité ou de leur situation particu-lière, ne parviendraient pas à financerun progrès social ou un investissementproductif d’utilité sociale ou nationale(ex : SMIC à 1700 euros, reconversionécologique) ; • bonification d’intérêts (Soutien àmoyen terme) : en cas de difficultésprovisoires pour les entreprises, la Caissepeut intervenir auprès des institutionsbancaires et négocier des crédits à tauxbas, en s’engageant à régler tout oupartie des intérêts ; • apports en capital (sauvegarde) : laCaisse aide les entreprises en grave diffi-culté sous forme d’apports en capital,emportant droits de vote, d’accès auxdividendes et de prise de contrôle, sinécessaire. Les actionnaires initiaux sontdilués en proportion de l’ampleur dupassif non-remboursable, au profit de laCaisse. • reprise et transition vers l’ESS (sauve-tage) : la Caisse peut aussi s’opposer àla liquidation de toute entreprise, jugéed’importance sur le plan social, écono-mique, écologique ou national, etassurer sa reprise. La Caisse peut enoutre diriger la transition de l’entreprisevers l’économie sociale et solidaire(ESS).

• Que se passe-t-il en cas de faillite d’uneentreprise ? La Caisse confie le dossier à un Tribunalde commerce. Mais, une véritable filièrecommerciale et économique sera crééeau sein de l’École nationale de la magis-trature, pour parer au problème actuelde conflits d’intérêts, qui peut faireobstacle en interne à l’impartialité desTribunaux de commerce.

• En quoi la Caisse de Solidarité Produc-tive est-elle une avancée pour les sala-riés ? La Caisse représente une triple avancéepour les salariés : • lutte contre le précariat : puisque lesentreprises sont protégées des consé-quences financières des variations d’ac-tivité, le recours à l’intérim, aux vaca-tions ou au travail partiel ne se justifieplus et peut être limité drastiquement,comme le propose le programme duFront de gauche, voire au-delà ; • sécurité sociale professionnelle : si,malgré tout, une baisse temporaire d’ac-tivité rend inévitable le recours auchômage partiel, la Caisse peut se subs-tituer à l’employeur pour le versementdes salaires et des cotisations associées,à hauteur de 75 % du salaire, le complé-ment étant déterminé par les accords debranches dont relève l’entreprise ;• continuité du contrat de travail : en casde cessation totale d’activité de l’entre-prise, la Caisse assure la continuité ducontrat de travail, qui est transféré à laCaisse. Celle-ci devient employeurtemporaire des salariés, le temps quel’entreprise accomplisse sa transitionvers l’Économie sociale et solidaire. Sicette transition est impossible, le PôleEmploi se charge du versement desindemnités chômage, mais la Caissecontinue d’assurer la continuité desdroits et cotisations sociales des salariés.

FIABILITÉ• Y a-t-il un risque de déficit pour laCaisse ?Non, pour deux raisons : Il s’agit d’un système d’autofinancementdes entreprises entre elles : seule unefaillite généralisée et soudaine de toutle système de production pourraitentraîner la faillite de la Caisse, ce quiest impossible, puisque la raison d’êtrede cette Caisse est précisément d’empê-cher cette situation ; En tant que système autofinancé, l’Étatn’a pas à débourser un centime d’europour la faire fonctionner. Il n’intervientque pour fixer le cadre et les critères

légaux de la redistribution de la massemonétaire.

Outre que la Caisse de solidarité produc-tive permettrait de privilégier les entre-prises locales à taille humaine, en renver-sant le rapport de forces entre gros etpetits, elle constituerait aussi une alter-native immédiatement efficace et uneréponse concrète à l’argumentationhabituelle de la classe dominante. Eneffet, la Caisse de solidarité productivedémontrerait, par la pratique, que ce quiétouffe la production, ce n’est pas le coûtdu travail, mais bien l’accumulation etla spéculation ; qu’un système de coti-sations ne relève pas de charges supplé-mentaires, mais au contraire de la soli-darité mutualiste, qui vise donc l’intérêtde tous ; enfin, que c’est le Capital quiopprime le travail et l’État républicainqui le libère. Par-delà Réforme et Révolution, il y a laRépublique sociale — laquelle, selonMarx, n’est que l’autre nom de la libreassociation des producteurs. Si le Frontde gauche décidait de s’emparer de cetteproposition, la Caisse de solidaritéproductive pourrait être une étape deplus vers ce que Jaurès décrivait si bien :« Que voulons-nous, nous socialistes ?Nous voulons créer peu à peu de vastesorganisations de travailleurs, qui, deve-nues maîtresses du capital, s'adminis-trent elles-mêmes dans toutes les partiesdu travail humain, sous le contrôle de laNation ».

*Thomas Maurice est doctorant en philoso-phie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et militant Front de gauche.

*Michèle Leon est écrivain et militantecommuniste.

*Pierre Nicolas est ancien responsable syn-dical chez Renault.

Nous tenons à remercier vivement Guillaume Etiévant, président de laCommission Économie du PG et expert éco-nomique poutr les comités d'entreprise etles organisations syndicales, et DenisDurand, secrétaire général de la CGTBanque de France et membre de laCommission Économie du PCF, pour leursremarques constructives et leur soutienenthousiaste.

Page 28: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

NOTES Chaque mois, des secteurs de travail du PCF produisent des analyses,des propositions, des notes. Cette rubrique publie leurs travaux :ù

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

28

SANTÉ

LE DÉFI DE L’ÉRADICATIONDE LA TRANSMISSION DU VIRUS DU VIHLa question du VIH/SIDA ne peut êtredéconnectée de l’impact social dansla vie des personnes.

Il est nécessaire de garder un engage-ment fort dans la lutte contre leVIH/SIDA et d’y associer les hépatites.L’épidémie de VIH/SIDA au court destrente dernières années a prouvé l’effi-cacité de la médecine préventive, lesactions de préventions réalisées enmajeure partie par le monde associatifont eu un impact notable sur la vie despersonnes. Jusqu’à l’arrivée des trithé-rapies en 1996, il s’agissait malheureu-sement d’accompagner les personnesvers une issue trop souvent fatale. Après,il a fallu obtenir de l’industrie pharma-ceutique une amélioration et une dispo-nibilité effective des traitements afin depouvoir accompagner les personnes denouveau vers un projet de vie.Aujourd’hui l’objectif pour tous et toutesdoit être d’accompagner l’éradicationde la transmission du virus du VIH, depermettre une meilleure insertion dansla société des personnes vivant avec leVIH, de leur garantir un accès au soin etau droit égal et de qualité sur l’ensembledu territoire national, et enfin d’allouerde vrais crédits à la lutte contre les hépa-tites qui reste le parent pauvreaujourd’hui.

SORTIR D’UNE LOGIQUE DISCRIMINATOIREIl faut aussi réintroduire la notion depersonne vulnérable et sortir de lalogique discriminatoire de considérerles personnes à risque. La lutte pour l’ac-ceptation des différences devraitpermettre de sortir d’une logique d’op-position ; il faut garantir les droits fonda-mentaux pour tous, ouvrir le débat surl’usage de drogue, réinvestir les sommescolossales qui ont été utilisées dans despolitiques stériles de prohibition dansun accompagnement des personnes.

Ce sont les malades du SIDA eux-mêmesqui ont fait bouger la société, le mondemédical a pu bénéficier de leur expé-rience de vie et de leur collaboration afind’avancer ensemble et de faire bouger

les dogmes ; aujourd’hui la loi HPST, laT2A, remettent en cause les avancéesobtenues, il s’agit de rouvrir le champdes possibles, de redonner un espacedans le monde médical aux patients, deprendre en compte dans les études desfuturs médecins les spécificités liées àl’infection à VIH, ainsi que celles despopulation touchées, de même pour leshépatites donner également une placeaux personnes et à leurs représentants.

Le droit au séjour pour soin a été plusque mis à mal. Il faut garantir le secretmédical pour tous ceux qui déposerontun dossier, il faut que l’AME soit enfinintégrée dans une politique globale deSécurité sociale. De fait si nous voulonspermettre à tous d’avoir un accès au nordcomme au sud, à l’ensemble des traite-ments contre le VIH/SIDA, mais aussicontre la tuberculose et le paludisme etles hépatites, il est impératif que laFrance, d’une part, conserve une posi-

tion de leader en matière de finance-ment du fonds mondial, mais de plus,impose la taxation de la finance. Il y a égale-ment le lourd sujet de l’accès aux soins dansle monde carcéral, du dépistage.

En conclusion, le financement de la luttecontre le VIH/SIDA et les hépatites doitnon seulement être garanti mais accru.Nous serons comptables devant lasociété si nous ne relevons pas le défi del’éradication de la transmission du virusdu VIH et si nous n’accordons pas lesmoyens suffisants à la lutte contre leshépatites. Nous avons aujourd’hui lesréponses scientifiques ; il suffit demoyens financiers et d’une réelle volontépolitique pour en finir avec la transmis-sion de ces virus. n

JEAN-LUC GIBELIN, DOMINICK DESCHARLESmembres de la commission

Santé/Protection sociale.

L'affirmation de ladignité humaine, lalutte contre lesdiscriminationsinspirent les deuxnotes présentées cemois-ci.

Nous avons aujourd’hui les réponses scientifiques ;

il suffit de moyens financiers etd’une réelle volonté politique

pour en finir avec la transmission de ces virus.

“”

Page 29: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

29

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

QUARTIERS POPULAIRES

LES QUARTIERSPOPULAIRES AU CŒUR DELA BATAILLE IDÉOLOGIQUEComment la droite et le gouverne-ment les instrumentalisent pour justi-fier sa politique de casse sociale.

Ces quartiers recouvrent une très grandediversité de situations. Or, bien souvent,ils sont réduits à une vision négative :pauvreté, violence, insécurité, chômage,abstention et maintenant, lieu de toutesles fraudes aux prestations sociales...Instrumentalisés et stigmatisés par ladroite et les chantres du libéralisme, ilssont devenus dans l'imaginaire collectifdes zones de non droits et l'incarnationdu mal. Ces caricatures laissent lechamp libre à des clichés qu’il fautcombattre et dont il faut s’extraire.Certes la vie n'y est pas facile. Le rapport2011 de l’ONZUS (Observatoire nationaldes zones urbaines sensibles) est toutaussi accablant que ceux des annéesprécédentes. Il montre que dans lesquartiers populaires la vie est plus durequ'ailleurs. Tous les indicateurs sont aurouge que ce soit dans le domaine dupouvoir d'achat, de l'emploi, de l'édu-cation, des transports, de la santé, del'accès aux commerces, de l'existencede services publics.Ce rapport confirme – s’il le fallaitencore – l’échec des choix politiques dela droite illustré également parl’abandon de la politique de la ville ; ainsile budget du ministère « Politique de laville » est marqué par une baisse signi-ficative de ses crédits : pour 2012, ceux-ci s’élèvent à 548 millions contre 624en 2011, 704 en 2010 et 794 en 2009 soitune baisse de 30 % en quatre ans.Parallèlement, les collectivités territo-riales et plus particulièrement lescommunes sont frappées de plein fouetet asphyxiées par le désengagementfinancier de l’État. Ainsi, ces quartierset leurs populations ont le sentimentd’être les « oubliés de la République ».

DIGNITÉ ET SOLIDARITÉPourtant ceux qu’on appelle « lesmilieux populaires » sont dignes etsavent quand il le faut, résister et serassembler devant les assauts répétés

d’une droite qui les méprise. Contrai-rement à certaines idées reçues, ils nese désintéressent pas de la politique. Aucontraire, ils espèrent mais leurs espoirsne trouvent pas d’écho. Cela explique,pour partie leur divorce avec le vote. Si une certaine forme de fatalité s’estinstallée dans ces quartiers, il est impor-tant de noter que, malgré de réelles diffi-cultés, la solidarité entre les habitants aencore du sens et que la vie associativey est plus présente, plus riche et plusdynamique qu'ailleurs grâce, notam-ment, aux bénévoles et aux travailleurssociaux. C'est particulièrement vrai dansle domaine de la défense et des droitsdes locataires, dans celui du sport ouencore au sein d'associations qui œuvreen direction des femmes et des jeunes. Tout ceci représente une richesse et un

atout. La gauche a donc des responsa-bilités à leur égard dont celle de placerle progrès social au cœur de son projet :l’Humain d’abord trouve ici tout sonsens. Dans une précédente Revue du Projet,j’avais insisté sur le fait que les quartierspopulaires sont le miroir de notre sociétéet que l’école, la formation, l’emploi etla reconquête des droits étaient desenjeux majeurs pour en finir avec lesmaux dont ils souffrent. Un an plus tard,tout ceci est plus que jamais d’actualité. n

ÉLIANE ASSASSIsénatrice, responsable du secteur

Quartiers populaires et libertés du PCF.

Page 30: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

30

REVUE DES MÉDIASPar ALAIN VERMEERSCH

Après l'annonce d'un référendum depuis avorté en Grèce, une levéede bouclier médiatique s'en est suivie. On assiste depuis lors à la prisedu pouvoir par des technocrates, en lieu et place des politiques, à latête de la Grèce, de l'Italie et du Portugal.

2010). Le président de la FondationRobert Schuman (Le Parisien 21/11),Jean-Dominique Giuliani n'est pas loinde penser que « Le populisme se nourritde l’incompréhension des opinions vis-à-vis de ce qui se passe et de l’incapa-cité des gouvernements à donner uncap et à promouvoir le modèle euro-péen. Les marchés jugent le modèleeuropéen socialement trop généreuxet politiquement bancal car trop attachéà ses souverainetés nationales, inca-pable de mettre ses forces en commun. »Cela pose «  un énorme problème dedémocratie. Car en faisant tomber lesgouvernements, les marchés financiersportent au pouvoir, en Grèce et en Italie,des techniciens et des banquiers. »

LA PAIX ET LA DÉMOCRATIE MENACÉESelon Patrick Viveret (Mediapart 14/11)«  La démocratie et la paix sontaujourd’hui menacées. Nous sommesentrés dans une situation d’urgencedémocratique, précisément par ce faitque la logique financière elle-même nesupporte plus deux caractéristiquesmajeures de la démocratie  : le tempsd’une part, la pluralité et la divergencedes orientations de l’autre. » Il poursuit« Les marchés.. exigent donc, partout,des règles d’or et des gouvernementsd’union nationale, dirigés par des tech-niciens. La gestion dynamique de ladivergence, qui est un fondement démo-cratique, n’est plus compatible avec lalogique financière. Si on laisse cettelogique s’imposer, on en arrive donc àce qu’a décrit le prix Nobel hétérodoxePaul Krugman. Pour lui, nos programmesd’austérité sont l’équivalent des sacri-fices humains chez les Mayas. Or, cettelogique sacrificielle, si on la laisse allerjusqu’au bout, met en cause non seule-ment la démocratie, mais, ensuite, lapaix elle-même. Cette domination del'économie sur la politique « engendredes formes de guerres civiles intérieures..

Mais elle porte aussi en elle les germesde guerres internationales. Et la meil-leure façon de canaliser des révoltes,c’est toujours de construire des logiquesde boucs émissaires. » Il souligne cetteidée « Mais le grand enjeu du XXIe siècle,c’est effectivement celui-ci. Est-ce qu’onva vers une logique de plus en plus oligar-chique, qui ne supporte pas le fait démo-cratique et devient, comme on le voitactuellement, une source de chaos àl’échelle des nations, voire au-delà ? Ouest-ce qu’on se donne les moyens detransformer les défis en opportunités ? »Jürgen Habermas (Le Monde 18/11)craint que nous entrions dans une èrepost-démocratique « Le droit de contrôlede la "troïka" entraîne, depuis un certaintemps déjà, une perte de souverainetéqui change la donne constitutionnelle,et sur laquelle le peuple n'a pas étéconsulté. Ce processus pourrait bienêtre porteur des prodromes (signes ousymptômes indiquant le début d'unemaladie) d'un passage d'une Europe degouvernement à une Europe de lagouvernance. Or le joli mot de « gouver-nance » n'est qu'un euphémisme pourdésigner une forme dure de domina-tion politique, qui ne repose que sur lefondement faiblement légitimé destraités internationaux. »

UN DÉLITEMENT POLITIQUEYves Charles Zarka s'insurge dans LeMonde (17/11) «  Depuis le début de lacrise de l'euro, les décisions qui ont étéprises, sans consultation des peuples,donc par crainte de la démocratie, sontà courte vue et aveugles à la réalité deleurs effets.  » Cette crainte est « lamatrice de tous les populismes. Lesgouvernants... croient encore que lemarché est un principe d'autorégula-tion et de vérité. La culpabilisation despeuples et des États en est le résultat. »Cet « état de servilité... comporte troisaspects. Là où la démocratie régresse,

LE RETOUR DE LA TRILATÉRALETout comme Mario Monti, Papademosest membre de la commission Trilaté-rale, la Grèce est donc également auxmains des organisations fondéespar entre autre David Rockefeller, HenryKissinger et Zbigniew Brzezinski ! A noterque la commission Trilatérale, dans saversion Européenne, s'est réunie du 11au 13 novembre à la Haye et que cesnominations ont eu lieu, à la suite derencontres entre cette élite à la recherchede sa Gouvernance mondiale et la sphèrepolitique de leur Nouvel Ordre ! Oucomment arriver à ces fins sans aucunecontestation populaire ? Donner nais-sance à une crise économique puissanteet arriver en sauveur ! Telle est la stra-tégie de cette élite financière et deshommes du Bilderberg, de la Trilatérale.Frédéric Lemaire écrit récemment dansles Dessous de Bruxelles «  Il y a deslimites désirables à l’extension de ladémocratie politique » expliquait en 1975un rapport d’experts de la commissionTrilatérale (The Crisis of democracy, TaskForce Report 8. Trilateral Commission,1975). Il semble que cette leçon de bonsens soit désormais bien ancrée dansles têtes des dirigeants de l’Union euro-péenne. C’est David Rockefeller qui expli-citait la chose, pas plus tard qu’en 1999,dans un magazine à grand tirage  :«  Quelque chose doit remplacer lesgouvernements et le pouvoir privé mesemble l’entité adéquate pour le faire »(Newsweek international, 1er février 1999).Barroso, quant à lui, triomphait : « ce quiest en train de se passer est une révo-lution silencieuse — une révolution silen-cieuse vers une gouvernance écono-mique plus forte. Les États membres ontaccepté – et j’espère que c’est ainsi qu’ilsl’ont entendu – que les institutions dispo-sent désormais d’importantes préroga-tives concernant la surveillance et lecontrôle strict des finances publiques. »(European University Institute, Juin

La démocratie ligotée en Europe

30

Page 31: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

sorte de ruse de l'histoire, la criseactuelle est en train de pousser à unefédéralisation croissante de la politiqueéconomique européenne. Les condi-tions rigoureuses qui y sont associéeslimitent de facto la souveraineté desÉtats ».

LA FORCE DES PEUPLESDominique Plihon remarque (Politis10/11) que «  La crise économique quisecoue nos sociétés depuis 2007 vientde passer un nouveau cap. Le mouve-ment des Indignés est une «  formenouvelle de mobilisation d'une grandeimportance politique. D'abord parceque, en affirmant « nous sommes 99% », ils pointent l'exigence de démo-cratie face à l'oligarchie politico-finan-cière symbolisée par la troïka FMI-Commission européenne-BCE, qui veutimposer ses politiques néolibérales auxpeuples européens. Si les peuples euro-péens pouvaient s'exprimer par lesurnes, ils rejetteraient les politiquesd'austérité et d'ajustement décidéesdans l'intérêt des créanciers. Les mobi-lisations populaires seront un élémentclé de la sortie de crise en Europe. » J.Stiglitz (Les Echos 04/11) pour sa partpense que nous vivons une « mondia-lisation de la protestation  ». Selon lui,«  la contestation sociale a trouvé unterrain fertile partout dans le monde :un sentiment que le « système » aéchoué et la conviction que, même ausein d’une démocratie, le processus élec-toral n’arrangera pas les choses – dumoins, en l’absence d’une forte pres-sion de la part de la rue. La montée desinégalités est le produit d’un cerclevicieux : les riches rentiers ont recoursà leur fortune pour façonner la législa-tion dans l’objectif de protéger et d’ac-croître leur richesse – et finalement leurinfluence. Le contraste entre une démo-cratie sur-réglementée et des banquesnon-réglementées n’est pas passéinaperçu. Les manifestants d’aujourd’huidemandent beaucoup : une démocratiedans laquelle le peuple compte, et nonles dollars, et une économie de marchéà la hauteur des espérances qu’ellesuscite. » n

la dictature antipolitique des marchéss'accroît. La société des individus devientune juxtaposition de solitudes. Laviolence et l'insécurité relèvent de cetteextension de l'isolement et de l'indiffé-rence ou de la crainte des autres. Lesindividus ainsi isolés donnent prise auxextrémismes politiques. Ce triple carac-tère du délitement politique explique ladégradation de la démocratie qui affectele régime, la société et l'homme démo-cratique lui-même. Chantal Delsol deson côté explique dans Le Figaro (10/11)que «  Les multiples commentairesautour du référendum grec en disentlong sur l'évolution de nos esprits àpropos des institutions démocratiques.L’Europe a donné le la d’un comporte-ment anti-démocratique, puisque depuisdes années on voit les peuples anti-européens sommés de revoter jusqu’àce que le oui s’ensuive (Irlande), ouencore subvertis par le vote d’uneassemblée législative qui les contredit(France). Une précision  : là où uneinstance supérieure redresse le peuplequi «  vote mal  », il n’y a tout simple-ment pas de démocratie. La techno-cratie se nourrit du TINA (Il n'y a pasd'alternatives). La démocratie aucontraire part du postulat que chaquequestion engage des visions du mondeet partant des opinions, et suscite undébat. La démocratie repose sur laconfiance  : le peuple est capable depenser ses propres affaires et de déciderde son propre destin. C’est là le creusetoù grandit le populisme, cette révoltedes peuples auxquels on a dit des sièclesdurant qu’ils étaient souverains, et quise réveillent bâillonnés au profit de l’in-terprétation élitaire du progrès.  »Thomas Coutrot (Politis 04/11) est d'ac-cord «  Nous avons des élites euro-péennes qui ont définitivement rompuavec l’idée de démocratie et qui consi-dèrent que les affaires économiques etfinancières sont trop sérieuses pourêtre discutées par les peuples et qu’ellesdoivent être discutées entre gensresponsables. Nous sommes en traind’assister non seulement à un krachfinancier, mais à un krach démocratiqueen Europe. Nous sentons aussi que noussommes dans une nouvelle phase demobilisation, probablement aussi impor-tante que celles des années 1960 dansle monde. La crise financière, sociale,écologique et démocratique qui estdevant nous l’impose. Il est urgent queces mouvements sociaux s’étendent. »Pour Bruno Amable (Libération 15/11)«  Le néolibéralisme est par nature

hostile à la démocratie. C’est un régimefondé sur la volonté d’isoler le fonction-nement des économies d’éventuellescontestations populaires. Il y a dans lapensée néolibérale l’obsession de consti-tutionnaliser tout un tas de choses,comme l’interdiction de faire du déficit.Tout ça au cas où une majorité voudraitaffaiblir les lois de la concurrence qu’ilsveulent « naturelles et non faussées ».Même Nicolas Baverez dans Le Point(10/11) vilipende cette « crise du capita-lisme mondialisé [qui] a mis en lumièreles erreurs et les impasses des démo-craties depuis la chute de l'Union sovié-tique. Dans l'euphorie de leur prétenduevictoire, les démocraties ont distribuédes dividendes de la paix fictifs. Ellesse sont engagées dans un mode dedéveloppement à crédit insoutenable.L'indignation ne fait pas une politique,mais la crise des démocraties ne peutplus être gérée à l'écart des citoyens.Il est encore possible de le conjurer enagissant sur cinq fronts.  » Dont celuiqui «  concerne les stratégies de gestionde la crise qui doivent être présentéeset soumises aux citoyens. Sans oublierque si le vote sert d'arbitre ultime, laliberté ne peut survivre sans la respon-sabilité, a fortiori dans les périodes degrandes crises où l'enjeu n'est pas tantla victoire d'un parti que la défaite dela démocratie. »

LE FÉDÉRALISME, UNE FAUSSE SOLUTIONHubert Védrine l'admet (Libération04/11) «  Tout dépend de ce que l’onentend par ce mot qui est ce que leslinguistes appellent un ¨mot-valise ¨porteur de sens différents, surtoutdepuis qu’il est présenté comme lapanacée contre la crise de l’euro. J’avaisd’ailleurs proposé un équivalent de cequi a été décidé ensuite sous le nom de« semestre européen ». Ce fédéralisme,que l’on pourrait appeler fédéralismeéconomique, ne nécessite pas d’abandonsupplémentaire de souveraineté maisil exige un exercice de la souverainetéen commun.  » Mais «  le fédéralismepose un grave problème institutionnel,politique et démocratique. Nous attei-gnons l’extrême limite au-delà delaquelle le lien entre le citoyen, la démo-cratie dans les différents États membreet la prise de décision européenne risqued’être rompu. Aller au-delà risqueraitde nous faire entrer dans une Europe« postdémocratique », avec tous lesrisques qui en découlent.  » ThierryChopin de la Fondation R. Schuman lerejoint (La Tribune 28/10) «  Par une

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

31

Page 32: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des ouvrages, des films, des DVD...

3232

CRITIQUES

Le chagrin et le venin (La France sous l’occupation, mémoire etidées reçues) éditions Bayard

PIERRE LABORIE

PAR ADRIEN TIBERTI

Le titre de cet ouvrage fait écho au film de MarcelOphuls, Le chagrin et la pitié. C’est un effet recherché

car Pierre Laborie étudie la mémoiredes années d’occupation en Francedepuis la Libération, et ce film estpour lui représentatif du soupçonde lâcheté qui pèse sur nosconsciences. Les années d’occupa-tion sont désormais décrites commeun moment d’indignité collectiveoù attentisme et collaboration sont

l’apanage de la majorité des Français. Ne parle-t-onpas aujourd’hui de « mythe résistancialiste » au pointde faire des résistants une petite minorité de héros ?Le livre pose donc la question de la différence entreHistoire et mémoire. La première tente d’établir objec-tivement les faits du passé et d’en construire des inter-prétations à partir de démarches scientifiques alorsque la seconde n’est que le souvenir autour duquelse retrouvent des groupes sociaux ou même un peupleentier comme dans le cas qui nous préoccupe. Maiscette mémoire n’est pas neutre, bien moins que nepeut l’être l’Histoire. Ainsi pourquoi faire des Fran-çais un peuple majoritairement enfoncé dans l’opportunisme, dans le soutien à Pétain ? Les histo-riens les plus sérieux avancent à pas mesurés sur cesquestions car il semble difficile de mesurer objecti-vement le soutien ou le rejet de Pétain, le soutien àla Résistance ou à la Collaboration. Mais la mémoirevéhicule un discours convenu (par les journaux, lesmanuels scolaires, la télé ou la radio) qui ne fait pasdans la nuance et s’appuie sur le film de MarcelOphuls.

C’est que les enjeux de la mémoire sont très politiques,ce que Pierre Laborie ne fait malheureusement qu’ef-fleurer. Réserver la Résistance à une mince élite coupéedu peuple, accuser les communistes d’avoir construitun « mythe résistancialiste », c’est nier la Résistancecomme formidable mouvement social et politiquedont le débouché est le programme du CNR mis enplace à la Libération et c’est permettre aujourd’huide détruire ce qui a été construit quand des commu-nistes étaient au gouvernement.Malgré un style souvent illisible où les questions s’en-chaînent sans réponses et des concepts bien étrangescomme « l’air du temps », ce livre montre que l’His-toire est un champ de bataille idéologique et qu’ilnous faut l’investir.

Le nouvel impérialisme Les prairies ordinaires, 2010

DAVID HARVEY

PAR FLORIAN GULLI

Il existe deux manières d’accumuler ducapital. La première, celle que tous lesmarxistes ont mis au centre de leurs

analyses, est l’exploitation du travail. La seconde est« l’accumulation par dépossession », selon l’expressiondu géographe marxiste américain David Harvey. Ceconcept cherche à décrire la façon dont le capitalismese reproduit selon la logique prédatrice de l’appropria-tion privative des biens communs : services publics,terres, eau, savoir-faire ancestraux, ressources naturelles,matériel génétique, etc. Marx, en son temps, avait perçule phénomène dans le fameux chapitre du Capitalconsacré à l’« accumulation primitive ». Mais ce moyend’accumulation renvoyait à ses yeux à l’enfance du capi-talisme et se voyait peu à peu supplanté par l’exploita-tion du travail. C’est la raison pour laquelle le marxismea pu avoir tendance à sous-évaluer cette question. La thèse de David Harvey est la suivante : l’accumula-tion par dépossession n’est pas un stade du capitalisme(son stade primitif ou son stade suprême), mais une partessentielle et constante de son fonctionnement. Le capi-talisme est toujours accumulation par exploitation etpar dépossession. La question importante pourcomprendre notre présent est alors celle de la relationentre ces deux formes d’accumulation. Jusqu’aux années1970, le capitalisme fonctionnait de manière équilibréeen recourant aux deux formes d’accumulation. Depuis,l’équilibre semble rompu en faveur de l’accumulationpar dépossession. Le capitalisme revient à sa violenceoriginelle. La lutte anticapitaliste ne peut donc se réduire à la luttecontre l’exploitation. Elle concerne en premier lieuaujourd’hui, par exemple en Amérique du Sud et enAfrique, ceux qui luttent localement contre l’appropria-tion privative de leurs terres et pour le maintien de leurcommunauté.

La biodiversité amou-reuse. Sexe et évolutionOdile Jacob Sciences, 2011

THIERRY LODÉ

PAR CÉCILE BARON

Dans son essai, Thierry Lodé, biolo-giste et professeur d’écologie évolu-

tive à l’université d’Angers tente de rendre sa place àla sexualité dans l’évolution du vivant et élabore unecritique méthodique du darwinisme. Il démontre que l’évolution n’est pas seulement le

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

Page 33: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

33

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

33

résultat d’une adaptation au milieu et aux conditionsenvironnementales mais également l’aboutissementdes parades amoureuses dans une lutte pour la séduc-tion. Le mieux adapté des animaux, s’il est incapablede séduire, ne se reproduit pas et condamne ses carac-téristiques génétiques à disparaitre avec lui. « Il n’y apas de sélection par la mort mais par l’amour ». C’estpour séduire que le nasique arbore un nez gigantesque,que les manakins dansent le moonwalk ou que le camé-léon de Jackson porte fièrement ses cornes.Thierry Lodé montre que la force d’une espèce vientde la différence, de la possibilité de croiser les patri-moines génétiques et de combiner les génomes à l’in-fini par la reproduction sexuée. Dans ce monde de ladifférence, la solidarité est l’élément essentiel quipermet la survie de nombreuses espèces animales.L’auteur déconstruit l’argumentaire pseudo-scienti-fique d’un gène qui coderait un comportement : ilmontre combien il est absurde de croire qu’il existe ungène de l’homosexualité, un gène de la fidélité ou ungène de la criminalité à détecter chez les enfants demoins de 3 ans. On regrette cependant que l’auteur ne développe pasdavantage l’idée d’une influence de Malthus et du capi-talisme victorien de l’époque sur les théories de Darwin.Le lecteur se perd un peu dans ce catalogue d’exem-ples d’animaux aux comportements « atypiques » dansle monde darwinesque et reste sur sa faim quant à laportée politique de cette critique.

La Démocratie anesthésiée*éditions de l’atelier , 2011

BERNARD VASSEUR

P R IVAN LAVALLÉE

Livre utile, voire indispensable, auxmilitants de l’émancipation humaine, cet ouvragemarque le grand retour de l’analyse marxiste des situa-tions concrètes, loin du care de la social démocratieou de l’instrumentalisation des « droits de l’homme ».La première partie, Le travail refoulé sous l’emploi,montre comment la perversion du sens des mots estune caractéristique des propagandistes du capital.Parler d’emploi, c’est se placer du point de vue de l’en-treprise et donc du capital ; parler de travail, c’estadopter celui du travailleur, et plus, celui de l’homini-sation. L’histoire de l’humanité c’est l’histoire de sesforces productives; on n’est pas bien loin de Marx etde L’Idéologie allemande.Dans la deuxième partie, L’impérialisme de l’économie,l’auteur fait litière de « l’expertise économique » quin’est qu’une propagande technocratique enfermant lapensée politique dans des choix purement techniques,

rappelant opportunément que le sous-titre de l’ouvrageLe Capital est « critique de l’économie politique ».Partant du travail, l’auteur montre dans la troisièmepartie (Le temps des loisirs contraints) la cohérence dusystème capitaliste, de l’occupation du temps de cerveaudisponible à la grande distribution. La pseudo « civili-sation des loisirs » n’est que la fabrication de consom-mateurs destinés à écouler les marchandises qu’ils onteux-mêmes créées en les prostituant et leur faisant« aimer leur servitude ».On retrouve là le propos de E. Bernays dans Propa-ganda, mais Vasseur va beaucoup plus loin et montredans la quatrième partie, La comédie démocratique,que ce fonctionnement est inhérent au système deproduction et d’échange. Il rappelle des écrits deTocqueville sur la dictature démocratique, décrit le rôlede la télévision comme appareil d’assentiment et d’il-lusion démocratique, et dénonce fortement l’électora-lisme : « vote mais ne te bats plus ».La conclusion évoque la perspective des révoltes quise lèvent ici et là, et qui ouvrent la voie à la Révolution,celle de l’émancipation humaine. Avec B. Vasseur, il ya des révolutionnaires pour participer à cette aventure.On s’étonnera toutefois que (p. 34) Auschwitz soit consi-déré comme camp de travail (arbeit macht frei) alorsque c’était d’abord et avant tout un camp d’extermi-nation, plus qu’une nuance.* L’introduction de cet ouvrage a été publiée dans La Revue duProjet, n° 12, oct.-nov. 2011.

VIENT DE PARAÎTRE La Revue Transform ! Europe - Quel avenir ?Un essai de Gerassimos Moschonas sur la complexitédes défis européens posés à la gauche radicale et lespotentialités du moment présent. Des articles quiinterrogent sur l'avenir de l'Europe et esquissent despistes alternatives. Des expériences inédites commele référendum italien sur l'eau, le mouvement desplaces en Espagne, en Israël, en Grèce...Poursuite du dossier sur Droite populiste et extrême.Et les résultats des forces de gauche lors des dernièresélections en Europe.

Consultable gratuitement enligne : http://www.espaces-marx.net/spip.php?article738Le Numéro : 10 €/abonnement18 € /commander en ligne sur lesite d'Espaces Marx. Par courrier : Espaces Marx, 6, avenueMathurin Moreau 75167 Paris CEDEX 19

Page 34: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

3434

COMMUNISME EN QUESTION

Par ANDRÉ TOSEL*

devenue démence. Les résistances des sanspart persistent et font tendance, tout commefait tendance la lutte sourde des travailleurset des employés, des salariats et des préca-riats contre la soumission réelle qui définitl’entreprise et l’emprise du capital. Ces résis-tances démentent les promesses non tenuesdes pseudo-universels. De leur côté, les équi-voques des réactions immunitaires inscritesdans les retours des religions de l’Un, dansla fermeture des communautés identitaires,dans les prétentions totalitaires monstrueusesdes soi-disant civilisations, rencontrent unadversaire inéliminable dans l’appel au Tiersrationnel pratique d’un commun égalitaireà qui recourir.

Cet appel permet de déconstruire la préva-rication des Tiers symboliques qui sacrali-sent les inégalités et les figures du non mondeen assurant la promotion d’imaginaires préda-teurs. Nous parions que le communismepeut dans cette perspective trouver uneconfiguration capable de procéder à la recti-fication de tout ce qui a rendu impronon-çable ce nom et trouver une force de propul-sion inédite.Le chemin sera long, car il faudrase refaire une raison dans la critique du néoli-béralisme et reformuler les concepts debien(s) commun(s), d’être en commun, denotions communes, de sens commun, dansle respect de la pluralité et dans le milieu dumétissage, en complexifiant la théorie dubloc des pratiques par celle des scénariosculturels qui la surdéterminent.Nous sommes en ce point contraints dereprendre une question philosophique déci-sive, métaphysique si on veut, celle du rapportentre être et devenir, état et flux, identifica-tion et différenciation, individualité et indi-viduation, trans-individualité et trans-indivi-duation. C’est la question que Hegel avait ensa grandeur spéculative inégalée osé

affronter sous la référence à la dialectique.Cette question a hanté les meilleurs effortsdes philosophes en France depuis 1945. Ellea trouvé des réponses dans des propositionsde rectification venues de Sartre, Merleau-Ponty, Lefebvre, Castoriadis, Morin, Sève,Althusser. Elle a aussi suscité des opposi-tions farouches et inspiré des alternativesdiverses avec Foucault, Deleuze, Derrida,Badiou. Elle est renouvelée par l’apparitionde recherches épistémologiques originalescentrées sur l’émergence d’une nouvellerationalité, avec les travaux de Prigogine,Stengers et surtout de Simondon. Cette ques-tion, nous la rencontrons aujourd’hui dansla réalité du capital saisie comme ensembledisjonctif de flux et production d’un mondeliquide, producteur infini de risques l’empor-tant sur les promesses traditionnellementliées au mot communisme, ce mot anti-sépa-rateur par excellence, avec les études deBauman, de Beck et d’Appadurai. Si le nonmonde globalisé est celui des flux de marchan-dises, de communications, de populations,de technologies de signes et d’idées, alorsnaît une interrogation qui semble paralyserla pensée d’une émancipation possible  : larésistance aux flux où se réalisent tout à lafois la soumission réelle sous le capital et lafractalisation pluriculturelle guerrière desidentités collectives peut-elle et doit-elle viserà se faire état, stabilité, consistance ? Si elle

ux cris des violences identi-taires se mêlent bien sûr les éclats de colèrede tous ceux que la crise de civilisation queporte le capitalisme néolibéral écrase, pille,mutile et met à mort. C’est un triste savoirpour paraphraser Spinoza que celui qui expli-cite que notre monde est désormais un nonmonde globalisé pour les masses subalternes.Le non monde se manifeste comme unemégamachine qui empêche trop de modesfinis, trop d’étants, d’apparaître dans leuréclat, de se produire comme éclats du monde,d’un chaos qui serait joie de l’expansion. Lesavoir triste du non monde réduit les éclatsdu monde à n’être que des moments d’uneguerre infinie. Les flux inévitables du deveniren régime de supercapitalisme néolibéralmêlent, comme il se doit, production etdestruction, mais sous l’hégémonie crois-sante d’une destruction qui prive des multi-tudes d’étants de la possibilité de se consti-tuer en éclats de monde.

Là cependant n’est pas le dernier mot. Enson mouvement intérieur ce constat nesaurait se réduire jamais à consentir secrè-tement au malheur du non monde, ni àsuccomber à la fascination perverse devantle désastre de l’acosmisme et du nihilisme.Partout, dans les cris du non monde, se fontentendre d’autres voix, le chant des vaincusde l’opéra monde qui refusent d’être la piétaillepiétinée, les laissés pour compte d’une histoire

Des flux du non monde capitaliste auxflux du communisme et du monde éclats

A

« Écoutons le cri du monde » Ce qui monte de partout, des charniers et des ethnocides, des camps de purification ethnique,des guerres inexpiables et des massacres généralisés, c’est l’appel des communautéshumaines réclamant d’être reconnues dans leur spécificité, mais c’est aussi, parfois expriméepar ces mêmes communautés opprimées et souffrantes, comme au Chiapas mexicain, laproposition que toute spécificité pâtirait d’être close et suffisante à elle-même ».

Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, 1997

*ANDRÉ TOSEL est philosophe, professeurémérite à l'université de Nice Sophia-Antipolis.

« Nous parions que le communismepeut dans cette perspective trouverune configuration capable deprocéder à la rectification de tout cequi a rendu imprononçable ce nom et trouver une force de propulsioninédite. »

Page 35: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

35

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

35

pluralité humaine, le flux d’énergies nondestructrices, les flux des solidarités métisses,les flux des actions enfin possibles des subal-ternes comme le souhaitait Gramsci dont l’ap-port théorique sur ce point est toujours actuel.

L’importance de la catégorie de flux se mani-feste surtout dans la thèse de la productivitédu conflit social dont les objets sont précisé-ment les flux de la vie, du travail et de la parole.Les flux identitaires dans leur logique puresont producteurs de dissonances ou de stri-dences qui peuvent ne pas se composer. Ilsne peuvent jamais être pleinement joyeux eten eux les passions tristes dominent. La colèrese mue souvent en ressentiment, en haineviolente, en désir de vengeance et de destruc-tion. Le conflit social a aussi bien sûr, pourmoteur la colère éprouvée contre l’exploita-tion, la domination, l’assujettissement ; il peutconverger avec le conflit identitaire (les travail-leurs nationaux peuvent ne demander libertéet égalité que pour eux et devenir des soldatsfanatiques de la nation ou de l’ethnie). Leconflit social, dans sa logique pure, éprouvesa continuité dans la joie de la coopérationet de la solidarité qui se vit dans des luttesproductrices de l’existence commune. Lesflux identitaires ne sont productifs que s’ilssont canalisés, apposés aux flux des conflitssociaux et composés avec eux selon unelogique d’égalité existentielle indéterminée.Toutefois il serait erroné de séparer l’un del’autre le conflit identitaire et le conflit social.

Une pensée actuelle de l’émancipation nouslibérant du non monde doit donc réapprendrel’intelligence des flux, pour faire monde, pourrefaire un monde devenir, pour inventer d’au-tres flux. Il se trouve seulement que le désastredu non monde est si avancé, que les fluxdestructifs sont si déchaînés que l’inventairedoit être opéré afin que soit conservé tout cequi permettra de chevaucher et de réorienterles flux, d’en inventer d’autres. De ce point devue, les langues, les modes d’expression etde vie, les savoir-faire et les savoir-dire, lesrégulations et les ressources naturelles sontautant de socles qu’il faudra conserver. Il enva de même pour de vrais services publics,pour les institutions de solidarité et de sécu-rité sociale, de laïcité, de démocratie radicale.Il y a place, en effet, pour des flux conserva-teurs qui ne sont pas des conservatoirespasséistes pour contempteurs de la vie etnostalgiques des hiérarchies, mais des fluxporteurs d’acquis de civilisation.

Nous ne disposons pas de cette pensée alorsque son urgence est extrême pour dépasserenfin le carcan du néolibéralisme qui a su seprojeter en une pensée unique encore hégé-monique et éliminer ses adversaires, qu’ilssoient républicains, socio-démocrates, socio-libéraux ou communistes, comme l’avait bienvu Michel Foucault dans ses derniers coursau collège de France, non sans ambiguïtétoutefois. Nous disposons cependant desanticipations de la poésie qui nous dirigentvers une imagination du chaos monde quine soit pas celle de l’autodestruction, maiscelle d’un chaos de l’éclat monde, de l’opéramonde où chaque étant pourrait un momentdonner la mesure de sa brillance dans sonêtre en commun avec d’autres et manifesterdans ces flux la modalisation, le mode qu’ilen constitue, sans avoir à subir les violencesdevenues superflues de l’exploitation, desgénocides et des ethnocides, sans se laissernormaliser par les entreprises du manage-ment, sans se constituer en esclave volon-taire de l’auto-management, cette pseudoéthique du capitalisme globalisé.

La politique de l’émancipation ne peutcompter, en effet, sur le seul concept  ; ellese soutient et se dynamise d’une poétiquedu monde qui fait coupure avec les imagi-naires de la rationalité entrepreneuriale etdes états de la guerre monde qu’elle soitsociale ou identitaire. Un nouvel imaginaire,une esthétique du Tout-Monde constituentdésormais les moments d’une poétique quise fait en son registre poésie de monde, unepoétique au sens fort qui donne accès « àune nouvelle région du monde  » dont lesanciennes îles de la colonisation sont la figureavortée, à un monde qui soit à lui-même sanouvelle région, alternative au non mondeglobalisé.

La Relation, l’être avec et en commun quiest aussi être contre en tous le sens du contre,se dit de plusieurs façons. Elle ne s’énoncepas seulement comme métacatégorie. Elles’exprime en une puissance poétique qui metles étants et les paroles en situation de conta-mination et d’éclatement, de métissage etde commerce hors marchandise. Si le commu-nisme doit se rectifier en ce qui a fait de luiune forme de maîtrise hantée par l’infinitécapitaliste de la production pour la produc-tion, un communisme de la finitude se ditcomme l’infini des éclats monde, d’un mondequi se sait aussi terre vulnérable.n

Ce texte est une reprise modifiée de la conclu-sion du vol. ll de mon livre Civilisations,cultures.

est un flux comment penser la différence des flux ? Souvent les luttes pour un monde « autre »que le non monde globalisé sont hantées parle mirage d’un État stable et fixe du mondeet reposent sur la dénégation de l’irréducti-bilité du monde défini comme ensemble deflux et comme chaos en mouvement vers unordre toujours précaire. Ce chaos ne peuts’immobiliser en un beau cosmos avec sesétoiles fixes, sa terre immobilisée en soncentre  ; il ne peut se donner à contemplercomme une nature en soi. Or, qu’il soit soumisau supercapitalisme néolibéral ou non, qu’ils’ouvre ou non sur un communisme purifiéde sa volonté de puissance et de sesfantasmes de maîtrise, le monde de l’actionhumaine n’est que celui du devenir, non d’unêtre soustrait au devenir, à la modificationet à la modalisation. Il ne pourra ni s’immu-niser contre les flux ni s’enfoncer dans unétat stationnaire, dans un repos définitif etune paix éternelle. Il demeurera toujours celuide la Relation en expansion sans but en soi,d’un Chaos en incessant(e) Cours(e) qui nese fait ordre que localement et provisoire-ment, que de manière métastable commedirait Simondon. Il faut ainsi distinguer entreflux et flux sous peine de laisser verser lacritique du non monde du côté du pessi-misme ontologique de Heidegger dont la luci-dité négative extrême sur l’arraisonnementdu monde s’est payée d’un aveuglement poli-tique terrifiant.

Distinguons donc entre la métacatégorie deflux qui est indépassable sur le plan ontolo-gique et les concepts déterminés des fluxpropres aux modes de production de l’êtresocial qui varient en faisant un sort particu-lier aux flux du capitalisme. En imposant ladynamique de l’accumulation infinie et de larecherche hystérique du profit, le mode deproduction capitaliste tend à accréditer l’idéeque son concept de flux remplit en une seulefois et définitivement la métacatégorie deflux. Or, les flux se disent et se déclinent toute-fois de plusieurs manières tout comme lesTiers symboliques n’échappent pas à l’his-toricisation. Tout le problème est donc deréorienter les flux de production et de laconsommation de la richesse en les subal-ternant à l’hégémonie des subalternes et ensubstituant à l’impératif catégorique de lavalorisation capitaliste infinie et aux effetsculturels meurtriers tout aussi infinis le prin-cipe sans fondement du tiers rationnel et lapratique infinie de l’égalité.

Cette substitution ne rend pas impossiblesles flux. Elle en ouvre d’autres, les flux desconnaissances communes, les flux des bienscommuns appropriés dans le respect de la

«Le conflit social, dans sa logique pure,éprouve sa continuité dans la joie de lacoopération et de la solidarité qui se vit dans des luttes productrices del’existence commune. »

Page 36: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

36

HISTOIRE

Être citoyen sous le Directoire (I)

Le Directoire (1795-1799), n’est en rien le moment ultime, divaguant,incompréhensible, de la Révolution.

UNE QUÊTE DE LA MODÉRATIONAlors que les dernières grandes mani-festations populaires parisiennes degerminal et prairial an III revendi-quaient l’application de la constitutionde 1793, c’est un texte nouveau et trèsmodéré qu’avaient adopté lesThermidoriens en août 1795. «  Vousdevez garantir la propriété du riche.L’égalité civile, voilà tout ce qu’unhomme raisonnable peut exiger. […]L’égalité absolue est une chimère […].Nous devons être gouvernés par lesmeilleurs […]. Un pays gouverné parles propriétaires est dans l’ordresocial, celui où les non-propriétairesgouvernent est dans l’état denature  », recommandait Boissyd’Anglas. L’acte constitutionnel estprécédé d’une déclaration des droitset des devoirs, qui, parce qu’elle sem-ble porteuse de révolte, oublie l’affir-mation de 1789  : «  Les hommes nais-sent et demeurent libres et égaux endroits  ». Elle valorise la propriété,conçue comme la source de l’ordresocial, réduit la liberté individuelle àcelle d’expression, de pensée, et à «  cequi ne nuit pas à autrui  », rappellel’exigence de soumission aux lois, auxagents de l’État et aux besoins mili-taires, la nécessité d’être «  bon père,bon fils, bon mari, bon époux  », faittable rase de plusieurs droits autrefoisaffirmés (bonheur, éducation, assis-tance, travail, insurrection), mais main-tient l’interdiction de l’esclavage.

Tirant les enseignements de l’histoirerécente, les législateurs n’offrent plusla souveraineté à la nation ou au peu-ple, mais aux citoyens propriétairesfrançais âgés d’au moins 21 ans,payant une contribution évaluée à aumoins trois journées de travail ouprouvant leur participation aux cam-pagnes militaires. Les étrangers instal-lés en France depuis sept ans, richesd’une propriété foncière et contribua-bles, ou mariés à une Française, peu-vent acquérir la citoyenneté.

épublique bourgeoise ”peut-être, il s’applique à établir ferme-ment l’ordre civique et politique, àachever le temps des émotions popu-laires, buts après lesquels courraientdéjà nombre de Constituants. Il doitcomposer avec les blessures politiquesdu camp républicain, celles du fédéra-lisme, celles de la Terreur, réintégrerles auteurs et les victimes dans lesadministrations ou le Corps législatif.Le havre de paix civile désiré, leconsensus national paraissent parfoisbien exigeants tant demeurentintenses les débats idéologiques portéspar une kyrielle de journaux efficaceset nourris par les œuvres de la pensée,tant ça et là perdurent les offensivesroyalistes. Que ces dernières aboutis-sent au succès électoral de l’an V, aucoup d’État qui s’ensuit, et le camprépublicain retrouve le goût du mouve-ment, initiant d’importantes réformesdans les domaines culturel, écono-mique, administratif, dans un contexteintérieur marqué par l’inflation, la pau-périsation du plus grand nombre etl’enrichissement rapide de quelques-uns. Ceux-ci profitent notamment desguerres menées en Europe et de la dif-ficile  construction des républiquessœurs en Italie et ailleurs – qui posentplus que jamais la question des rap-ports entre pouvoirs civils et pouvoirmilitaire.

*PHILIPPE BOURDIN est professeur d’histoiremoderne Université Blaise-Pascal, Clermont II.

Seul le référendum constitutionnelétant maintenu, le régime est essentiel-lement représentatif, fondé sur desélections à deux degrés au scrutinsecret. Les assemblées primaires éli-sent les juges de paix et leurs asses-seurs, les administrations cantonales etmunicipales, les électeurs au seconddegré (plus de 25 ans, une propriété ouun revenu équivalents à au moins 150jours de travail). Ces derniers compo-sent les assemblées électorales, char-gées de l’élection des membres duCorps législatif, des tribunaux civils etcriminels, du Tribunal de cassation, dela Haute Cour de justice, des adminis-trations départementales. Pour rompreavec l’omnipotence de la Convention, lepouvoir législatif est pour la premièrefois partagé entre deux chambres, leConseil des Cinq Cents (qui a l’initiativeet vote des projets de loi) et le Conseildes Anciens (qui approuve ou rejetteles projets, propose les éventuellesrévisions constitutionnelles), éluespour trois ans et renouvelables partiers chaque année. Aucun comité per-manent n’est autorisé, pas plus qu’unedélégation d’une parcelle du pouvoirexécutif à un représentant, dont lacharge, protégée par l’immunité, estincompatible avec toute fonctionpublique. L’exécutif, collectif pour évi-ter une dérive dictatoriale, relève d’unDirectoire de cinq membres élus pourcinq ans par le Corps législatif, renou-velables par cinquième chaque année,non rééligibles avant cinq ans.Astreints à une présence quasiconstante à leur poste, au palais duLuxembourg, en retour comblés d’hon-neur et protégés par une garde préto-rienne, les Directeurs, comme lesreprésentants, peuvent être traduitsdevant la Haute Cour. S’ils ne contrô-lent pas la trésorerie et ne participentpas à la confection des lois, ils dirigentla diplomatie, l’armée, la fonctionpublique, disposent de commissairesdu pouvoir exécutif auprès des diffé-rentes administrations élues.

R

Par PHILIPPE BOURDIN*

Page 37: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

37

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

DES BALBUTIEMENTS DÉMOCRATIQUESDès son installation, le nouveau régimerecherche un juste milieu, éloigné de laTerreur de l’an II, dont la légende noireest savamment entretenue, et davan-tage encore des risques d’une Terreurblanche, telle qu’elle s’exerce dans lesBouches-du-Rhône, et d’un regain roya-liste. Les destitutions d’administrateurssont légion, qui ponctuent cette quêtede la modération. En l’an IV, douzedépartements perdent leur administra-tion, destituée en totalité ou en partie.Au niveau municipal et surtout dansplus de 10  000 cantons ruraux, cesmodifications imposées posent le pro-blème du vivier de candidats aux fonc-tions publiques suffisamment instruitspour être compétents il n’est pas rarede voir mentionnée l’exclusive propen-sion à la boisson de tel ou tel. Ellesdémotivent aussi les plus engagés.Durant un an au moins, grèves d’élus etd’électeurs, démissions, intimidationschouannes ou royalistes (dans laManche, la Vienne, le Doubs, le Loiret,les Côtes-du-Nord, etc.) empêchent deconstituer toutes les municipalités ounécessitent des redécoupages des cir-conscriptions. Mais ces faits ne doiventpas occulter les balbutiements démo-cratiques induits par des électionsannuelles du mois de germinal. Tout uncérémonial électoral, fait de règlementsdes assemblées, de longs appels desayants droit (dont les listes dépendent

du bon vouloir des autorités locales, quine prennent pas uniment en compte lesconditions du cens), d’élection dubureau et du serment collectif autourde valeurs référentielles, est à l’œuvreen des lieux un instant civiquementsacralisés (école, temple décadaire,mairie, place publique). Des principess’imposent, tel que le dépôt du bulletinmanuscrit dans l’urne – manuscrit, etdonc toujours susceptible d’être déna-turé par la plume du lettré, voire achetéà l’avance ou contraint par des rapportsde clientèle, induisant une fraude quiest loin d’être majoritaire. Quoique lescampagnes soient officiellement inter-dites, discours, chansons, banquets,bagarres de rue, tumultes anticipentsur le moment du vote, ou l’accompa-gnent. Des stratégies partisanesconduisent d’une année sur l’autre àdes scissions des assemblées primaireset électorales, dont le pouvoir exécutiffait son miel et autant de coups d’Étatau moment de la validation ou du rejetdes résultats locaux et nationaux  : le 18fructidor an V (4 septembre 1797)contre les royalistes victorieux, le 22floréal an VI (11 mai 1798) contre les«  néo-jacobins  » bien placés, le 30 prai-rial an VII (18 juin 1799) à leur profit.

Quoiqu’elle fluctue selon les nomina-tions et la valeur sociale accordée auxfonctions pourvues, plus forte pour lejuge de paix ou les électeurs du second

degré que pour les présidents d’admi-nistration, la participation prouve glo-balement une désaffection paysanne,très marquée à partir de l’an VII, maisles grandes villes connaissent aussi deseffondrements spectaculaires (il estrare de dépasser la barre de la moitiédes ayants droit, voire 20% dans beau-coup de campagnes). Les causes sontmultiples  : refus d’une nationalisationdes enjeux politiques, dislocation desvieilles communautés rurales, résis-tances aux lois religieuses et militaires,désappointement devant les réformessociales et la vente des biens natio-naux, mauvaise représentation sociolo-gique des territoires et du pays, lour-deur et durée du rituel électoral, réti-cences de la nouvelle classe politique àadmettre l’élection comme modeouvert de sélection des élites (d’où lesrésultats cassés, les nominations auto-ritaires, les candidats officiels promuspar les commissaires envoyés dans lesdépartements en l’an VI). Au cours del’été 1799 cependant, la mise au pointd’un Code électoral permet de franchirun pas décisif vers la reconnaissancedu pluralisme  : s’il réaffirme la règle dela majorité, il envisage surtout la pro-tection des droits de la minorité. L’idéed’un espace politique apte à transcen-der les communautés particulières,donc susceptible de laisser s’exprimerla diversité individuelle, s’impose peu àpeu. n

Page 38: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

LA REVUE DU PROJET - DÉCEMBRE 2011

3838

SCIENCESLa culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la constructiondu projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensonsavec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

espèce capable de se reproduire sur laplanète qui a pour parent un ordinateur !»nous dit le biologiste américain JohnCraig Venter. En effet, l’article paru en mai2010 dans le magazine Science, signé deD. G. Gibson travaillant dans les InstitutsJohn Craig Venter de Rockville et de SanDiego indique que son équipe est parve-nue à reconstituer les 1,1 million de pairesde bases qui forment les séquences del’ADN des bactéries Mycoplasmamycoides  ; ils ont transplanté ce génomeartificiel dans des bactéries Mycoplasmacapricolum donnant ainsi vie à une nou-velle bactérie pouvant se reproduire. « Enconstruisant le génome d’une bactériegrâce à des méthodes chimiques poin-tues et en transférant cette moléculecomprenant un millier de gènes dans descellules d’une autre espèce bactérienne,certes très proche sur le plan génétique,l’équipe de Venter a réussi un véritabletour de force expérimental  » commentedans le journal du CNRS, JeanWeissenbach, directeur du Genoscope-Centre national de séquençage. CraigVenter parle d’une «  importante avancéephilosophique dans l’histoire de nosespèces». Cette manipulation annonce-t-elle l’émergence d’organismes vivantsfabriqués de A à Z par l’homme ? « Rienn’empêche d’imaginer un tel scénario,répond Jean Weissenbach2. Mais inventerune nouvelle espèce ex nihilo prendraénormément de temps  » «  Le travail del’équipe de Craig Venter est cependant unexploit technique remarquable qui ouvrela voie à la synthèse de génomes entière-ment conçus par l’expérimentateur. Ildevient donc envisageable de tester descombinaisons sophistiquées de gènes etde les substituer à celles qui sont issuesde la sélection naturelle, en s’entourant,bien sûr, des précautions expérimentalesnécessaires.»

L’important à retenir est que c’est la pre-mière fois que l’homme abandonne laméthode traditionnelle des manipulations

La révolution des biotechnologiesLa révolution des biotechnologies est bien une révolution car elle trans-forme tout : la connaissance des mécanismes intimes de la vie d’abord, lasociété ensuite, la culture, l’économie industrielle, l’éthique et même laconception de ce qu’est l’Homme lui-même.

O*DR MICHEL LIMOUSIN est membrede la Commission santé et protectionsociale du PCF.

n dit souvent qu'une révolutionchasse l'autre  : c’est faux. Particulière -ment dans le domaine scientifique, lesrévolutions s'emboîtent les unes dans lesautres, elles se succèdent. L'une préparel'autre et l'autre ne saurait apparaître sansla première. Toute la difficulté consistedonc à reconnaître dans la révolution encours la révolution à venir. C’est cette dif-ficulté que nous rencontrons avec l’évolu-tion actuelle des biotechnologies.

Paul Boccara dans son livre Transfor -mation et crise du capitalisme mondialisésoulignait à juste raison l'importance de larévolution informationnelle qui a trans-formé le monde aujourd'hui. Il est plus dif-ficile de percevoir ce que peut être la révo-lution des biotechnologies qui est en traind'émerger et qui va bouleverser à l'avenirnon seulement de larges parties de l'acti-vité économique, en particulier l’industriepharmaceutique, mais encore nous poserdes problèmes éthiques nouveaux.

QUELLE EST CETTE RÉVOLUTION ?Elle approche la complexité du vivant àtravers les techniques génétiques et bio-moléculaires innovantes et établit desconcepts nouveaux. Je donnerai ici pourbien me faire comprendre trois exemplesrécents d'innovations ou de découvertesmajeures qui préfigurent des connais-sances nouvelles et qui mettent en œuvredes process nouveaux d’intervention surla matière vivante.• L’exemple de la reconstitution d'un génomecomplet à partir d’un programme informa-tique.De quoi s’agit-il  ? «… de la première

génétiques qui consiste à prélever desgènes pour les greffer par une sorte decopier-coller pour repartir de moléculessimples et de les arranger selon unmodèle prédéfini par la pensée de l’expé-rimentateur. Cela ouvre la porte à unchamp immense de découvertes biolo-giques  : la biologie synthétique.

• L'expérience d'intégration de neurones déri-vés de cellules souches humaines capables des'intégrer dans le système nerveux. La culture des cellules souches humainesproduit maintenant des neurones qui sontcapables de s’intégrer par des synapsesdans les réseaux nerveux de cortex desouris (travaux de Weick, Liu et Zhangpublié en 2011 dans Proc Natl Acad SciUSA). Ces cellules peuvent moduler l’exci-tabilité neuronale ce qui suggère une par-ticipation effective des neurones greffésau processus de traitement neuronal exci-tatoires et inhibiteurs de l’informationdans le cerveau. La greffe de ces neuroneshumains est capable d’influencer le com-portement des réseaux corticaux murins.Le temps est loin où l’on pensait que lesneurones n’avaient d’autre destin quecelui de se dégrader et de mourir. Celaouvre des perspectives formidables dethérapeutique dans le domaine de ladégénérescence cérébrale même si lechemin sera encore long à parcourir.

• Transplantation réussie de neurones per-mettant la reconstitution d'un tissu cérébralchez la souris.Une équipe de Harvard (Czupryn, Science,25 novembre 2011) vient de prouver quedes neurones transplantés peuvent répa-rer un circuit dans le cerveau d’un mam-mifère. Des neurones hypothalamiquesembryonnaires de souris saines transplan-tés chez des souris obèses du fait d’unedéficience en récepteur à la leptine, ont puaméliorer la fonction hormonale etréduire l’obésité des souris greffées. Debons espoirs existent pour traiter par cesméthodes des lésions de la moelle épi-

Par MICHEL LIMOUSIN*

Page 39: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

39

DÉCEMBRE 2011 - LA REVUE DU PROJET

nière ainsi que d’autres affections céré-brales (sclérose latérale amyotrophique,maladies neuropsychiatriques etc).

Ces expériences parmi beaucoup d’autresmontrent que la révolution des biotechno-logies est en train d’ouvrir de nouvellesperspectives alors que dans le mêmetemps l’industrie pharmaceutique marquele pas.

QUE SE PASSE-T-IL SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE ?Au XXe siècle l’industrie pharmaceutique ad’abord été une branche de l’industrie chi-mique. Elle s’est constituée autour del’idée suivante : « un symptôme, une mala-die, une molécule thérapeutique, un mar-ché rentable  ». Chaque maladie devaitavoir sa molécule. L’industrie pharmaceu-tique a fait fortune dans le cadre des loisdu marché et de la rentabilité à courtterme. Elle est devenue la deuxième capi-talisation boursière mondiale. Ont étéabandonnées les maladies rares et lesrecherches fondamentales trop compli-quées ou appliquées incertaines. L’éthiquea été mise de côté, on ne le sait que trop.

Dans la Revue de Santé Publique et deProtection Sociale, à l’automne 2005,nous écrivions  : l’industrie pharmaceu-tique «  n’investit pas dans la recherchefondamentale parce que le retour surinvestissement est aléatoire et de toutefaçon à long terme, bien loin des exi-gences immédiates de la bourse. Or cetarissement des sources de la connais-sance porte en lui-même le blocage futurdes applications et de leur développe-ment. Ainsi peut-on constater que der-rière une production profuse se cachentles prémisses d’un blocage dans lequelnous sommes déjà rentrés ». Six ans plustard, la situation de crise que nous pres-sentions est confirmée. En 2008 la revuePrescrire n’a pas attribué, pour la pre-mière fois depuis sa création, son prix la«  Pilule d’Or  », considérant qu’il n’y avaitpas de médicaments nouveaux méritantscette année-là, qui puissent constituerune réelle avancée thérapeutique au ser-vice des malades et qui méritent d’êtrerécompensés. Ce fait est bien le témoi-gnage du constat établi par cette revueprofessionnelle indépendante, de lasituation de panne de la recherche appli-quée consécutive à la panne de larecherche fondamentale. Le retard a été

dénoncé depuis longtemps  : en 2001 unrapport officiel (Biotechnologies ethautes technologies  : le retard français,Pierre Kopp et Thierry Laurent, juil-let  2001), dénonçait déjà la situationfrançaise. En mars 2009 la revueDécision Santé revient sur le sujet etconsacre un numéro spécial sur le retardde croissance des «  Biotechs fran-çaises », se plaignant de ce que «  la révo-lution n’est pas française  ». Elle souligneun manque d’investissement public etprivé particulièrement handicapant.

Par exemple la recherche sur les antibio-tiques a été abandonnée en France alorsque des résistances bactériennes appa-raissent de plus en plus fréquemment.L’idéal aurait été de mettre au point denouveaux antibiotiques et de les mettreen réserve pour ces nouvelles bactériesmultirésistantes. Fabriquer en quelquesorte une molécule pour ne pas la ven-dre  : le contraire des lois du marché  ! Lecapitalisme ne sait pas le faire.

Aujourd’hui les recherches se font large-ment ailleurs  : les universités, les centresde recherche spécialisés, certaines«  start-up  » essaient d’attirer des finan-cements pour cette recherche. Nousdevons tenir compte de cette situationdans nos propositions économiques. LePcf avait retenu l’idée en 2005 de pro-mouvoir une nouvelle dynamique indus-trielle autour du médicament en propo-sant un pôle public du médicament. Cetteproposition a été affinée récemment endistinguant la proposition d’un pôlepublic du médicament et la nécessité decréer un nouvel établissement public encharge de la recherche, de la productionet de la commercialisation de nouveauxproduits. Ne faudrait-il pas penser à élar-gir le champ de ces deux organismes auxbiotechnologies  ? Un pôle public dumédicament et des biotechnologies ? Unautre avenir se dessine sous nos yeux, ilfaut en être. Le débat politique que nousdevons conduire doit inclure ces ques-tions fondamentales.

QUE SE PASSE-T-IL SUR LE PLAN ÉTHIQUE ?L’aspect économique ne résume pas laquestion des biotechnologies. L’aspectéthique est majeur. On le voit bien, lescapacités nouvelles qui émergent ouvrentla possibilité d’une nouvelle maîtrise de lavie et tout particulièrement de la naturehumaine elle-même. Des questionsmajeures vont se poser. Elles se poserontdans le cadre de la civilisation capitaliste.Elles se poseraient tout autant dans lecadre d’une civilisation nouvelle post-capi-taliste (socialiste ? communiste ?).

Le capitalisme cherchera immanquable-ment à en tirer profit. Jusqu’où  ? Quipourra arrêter les dérives qu’on peut ima-giner  si on laisse faire ? Mais le problèmeva au-delà. Jusqu’où l’être humainpeut-il agir dans la maîtrise de sa pro-pre identité sans compromettre l’avenirde l’humanité  ?

La révolution des biotechnologies est bienune révolution car elle transforme tout  : laconnaissance des mécanismes intimes dela vie d’abord, la société ensuite, la culture,l’économie industrielle, l’éthique et mêmela conception de ce qu’est l’Homme lui-même. Elle touche au plus profond del’identité de l’humanité  : elle pose la ques-tion de la conception de la personnehumaine, du rapport à la maladie et à lamort, du développement, de la vie ensociété. Nous sommes loin d’avoir fait letour de la question aujourd’hui  : c’est unedes révolutions les plus fondamentalesque l’être humain ait jamais connu.

Ceci nous conduit à proposer un travailsur un aggiornamento de notre penséepolitique. C’est tout l’intérêt du regard quenous portons sur la problématique desbiotechnologies. Il faut approfondir lesbases de notre philosophie politique pourque l’humain y prenne mieux sa place. Neratons pas le XXIe siècle. n

1) Collection ESPERE, 2e édition actualisée.Le Temps des Cerises. Août 2009.

2) Jean Weissenbach fait partie de l’tunitéGénomique métabolique (CNRS / Universitéd’Évry / CEA), la structure de recherche fon-damentale du Genoscope. Cet expert mon-dial du génome est lauréat du grand prix dela fondation pour la recherche médicale(2007) et de la médaille d’or du CNRS (2008).

Jusqu’où l’être humain peut-il agir dans la maîtrise de sa

propre identité sans compromettrel’avenir de l’humanité ?“

Page 40: DÉMONDIALISATION · Le despotisme qui règne présente effectivement les caractéris-tiques perçues par Tocqueville. Un despotisme new look à la fois dur pour les pau-vres, faible

Patrice BessacRepsonsable national du [email protected]

Stéphane Bonnery Formation/Savoirs, é[email protected]

Nicolas Bonnet [email protected]

Hervé Bramy [email protected]

Ian Brossat Sécurité[email protected]

Laurence Cohen Droits des femmes/Féminisme [email protected]

Xavier Compain Agriculture/Pêche [email protected]@pcf.fr

Olivier Dartigolles [email protected]

Yves Dimicoli Economie [email protected]

Jacques Fath Relations internationales, paix et désarmement [email protected]

Olivier Gebhurer Enseignement supérieur et [email protected]

Jean-Luc Gibelin Santé Protection [email protected]

Isabelle De Almeida [email protected]

Fabienne Haloui Lutte contre racisme, antisémitisme et [email protected]

Alain Hayot [email protected] ou [email protected]

Valérie [email protected]

Jean-Louis Le Moing [email protected]

Danièle Lebail Services Publics et solidarités [email protected]

Isabelle Lorand Libertés et droits de la [email protected]

Sylvie Mayer Economie sociale et solidaire [email protected]

Catherine Peyge Droit à la ville, [email protected]

Gérard Mazet [email protected]

Eliane Assassi Quartiers populaires et liberté[email protected]

Richard Sanchez [email protected]

Véronique Sandoval [email protected]

Jean-François Téaldi Droit à l’information [email protected]

Nicole Borvo Institutions, démocratie, [email protected]

Jean-Marc Coppola Réforme des collectivités [email protected]

Jérôme Relinger Révolution numérique et société de la [email protected]

Noëlle MansouxSecrétaire

de rédaction

Amar BellalSciences

Gérard StreiffCombat d’idées

Nicolas Dutent Communisme en question

Partice BessacResponsable de la Revue

Guillaume Quashie-Vauclin

Responsableadjoint

COMITÉ DU PROJET ÉLU AU CONSEIL NATIONAL DU 9 SEPTEMBRE 2010 : Patrice Bessac - responsable ; Patrick Le Hyaric ; Francis WurtzMichel Laurent ; Patrice Cohen-Seat ; Isabelle Lorand ; Laurence Cohen ; Catherine Peyge ; Marine Roussillon ; Nicole Borvo ; Alain Hayot ; Yves DimicoliAlain Obadia ; Daniel Cirera ; André Chassaigne.

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES

Liste publiée dans CommunisteSdu 22 septembre 2010

Marine RoussillonPages critiques

Alain VermeerschRevue des médias

Frédo CoyèreMaquette etgraphisme

Côme SimienHistoire

Anne BourvicRegard

Renaud BoissacCollaborateur