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LE GRAND HIER Nous sommes après-guerre, au commencement des années 50. LIGNIERES reste une ville tranquille, où il fait bon vivre,…Le dernier prisonnier est rentré dans ses foyers depuis déjà longtemps. Là ou d’autres villes se donnent des airs nouveaux et voient bourgeonner une économie qui fleurira aux prochains printemps, notre cité sommeille, piétine, végète presque. Notre chef-lieu de canton des années 1900 avec ses plus de 3000 habitants n’est plus en comparaison qu’un petit bourg avec en 1956, 1775 âmes ! L’ouvrier ne sait plus où se taper, les artisans tirent la langue, les maisons ne se vendent pas, l’eau au robinet n’est toujours pas là…et la jeunesse part pour la ville, la grande ! Même si cette économie déclinante n’est pas directement ressentie par les Lignièrois, ce constat est bien réel. Deux « visionnaires » d’alors tentent d’analyser et de mieux comprendre les raisons de cette agonie…et de contrer l’inévitable exode rural ! M. Pierre TOURNADRE – horloger – et M. Georges LARDEAU – directeur du cinéma – forment le duo qui veut faire se relever Lignières ! Seulement, ce couple de choc est né d’un accrochage tragi-« règne » sans se renouveler) et constatent que toutes les propositions (dont celle d’un syndicat d’initiative !) sont rejetées sans aucune étude. comique… C’est devenu une tradition, M. LARDEAU projette ses films chaque dimanche dans la salle des fêtes communale. Or, un soir de 1955, la salle qu’il occupait de coutume est réservée pour le grand bal du Comité des Fêtes ! Sans détour, notre homme se venge en « fardant » le parquet d’huile de vidange. Le traitement n’a plus qu’à attendre que les danseurs restent les pattes collées au plancher ! C’est sans compter sans sur Pierre TOURNADRE, le président du Comité des Fêtes aux doigts de bijoutiers mais à la carrure d’ancien catcheur ! Face au désastre, il passe de longues heures à brosser, décaper, poncer pour qu’à l’heure dite, les danseurs puissent valser à leur aise ! Nos deux hommes se parlent fort et se rendent bien vite compte qu’entre le bal et le cinéma, ils n’ont qu’un même et unique but : faire vivre LIGNIERES ! Chacun de son côté constatait la léthargie qui gagnait la ville, un peu plus d’année en année. Il fallut donc cette querelle pour les unir et faire germer peu à peu leur folle idée de relancer une économie intra- muros ! Ils se heurtent à la municipalité qu’ils jugent trop vieillissante (le Maire indétrônable, « règne » sans se renouveler) et constatent que toutes les propositions (dont celle d’un syndicat d’initiative !) sont rejetées sans aucune étude. Nouvelle enseigne de la Commune Libre – Grande-Rue - 4 Fort de cet aveuglement, le 26 avril 1956 est déclarée au « Journal Officiel » la COMMUNE LIBRE DE LIGNIERES-ENBERRY (aucune loi ne régit les communes libres qui peuvent ainsi s’administrer librement). Aussitôt est établie une mairie dans un des commerces abandonnés de la Grande-Rue avec M. TOURNADRE comme Maire et M. LARDEAU Secrétaire.

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LE GRAND HIER Nous sommes après-guerre, au commencement des années 50. LIGNIERES reste une ville tranquille, où il fait bon vivre,…Le dernier prisonnier est rentré dans ses foyers depuis déjà longtemps. Là ou d’autres villes se donnent des airs nouveaux et voient bourgeonner une économie qui fleurira aux prochains printemps, notre cité sommeille, piétine, végète presque. Notre chef-lieu de canton des années 1900 avec ses plus de 3000 habitants n’est plus en comparaison qu’un petit bourg avec en 1956, 1775 âmes ! L’ouvrier ne sait plus où se taper, les artisans tirent la langue, les maisons ne se vendent pas, l’eau au robinet n’est toujours pas là…et la jeunesse part pour la ville, la grande ! Même si cette économie déclinante n’est pas directement ressentie par les Lignièrois, ce constat est bien réel. Deux « visionnaires » d’alors tentent d’analyser et de mieux comprendre les raisons de cette agonie…et de contrer l’inévitable exode rural !

M. Pierre TOURNADRE – horloger – et M. Georges LARDEAU – directeur du cinéma – forment le duo qui veut faire se relever Lignières ! Seulement, ce couple de choc est né d’un accrochage tragi-« règne » sans se renouveler) et constatent que toutes les propositions (dont celle d’un syndicat d’initiative !) sont rejetées sans aucune étude. comique…

C’est devenu une tradition, M. LARDEAU projette ses films chaque dimanche dans la salle des fêtes communale. Or, un soir de 1955, la salle qu’il occupait de coutume est réservée pour le grand bal du Comité des Fêtes ! Sans détour, notre homme se venge en « fardant » le parquet d’huile de vidange. Le traitement n’a plus qu’à attendre que les danseurs restent les pattes collées au plancher ! C’est sans compter sans sur Pierre TOURNADRE, le président du Comité des Fêtes aux doigts de bijoutiers mais à la carrure d’ancien catcheur ! Face au désastre, il passe de longues heures à brosser, décaper, poncer pour qu’à l’heure dite, les danseurs puissent valser à leur aise ! Nos deux hommes se parlent fort et se rendent bien vite compte qu’entre le bal et le cinéma, ils n’ont qu’un même et unique but : faire vivre LIGNIERES ! Chacun de son côté constatait la léthargie qui gagnait la ville, un peu plus d’année en année. Il fallut donc cette querelle pour les unir et faire germer peu à peu leur folle idée de relancer une économie intra-muros ! Ils se heurtent à la municipalité qu’ils jugent trop vieillissante (le Maire indétrônable, « règne » sans se renouveler) et constatent que toutes les propositions (dont celle d’un syndicat d’initiative !) sont rejetées sans aucune étude.

Nouvelle enseigne de la Commune Libre – Grande-Rue -

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Fort de cet aveuglement, le 26 avril 1956 est déclarée au « Journal Officiel » la COMMUNE LIBRE DE LIGNIERES-ENBERRY (aucune loi ne régit les communes libres qui peuvent ainsi s’administrer librement). Aussitôt est établie une mairie dans un des commerces abandonnés de la Grande-Rue avec M. TOURNADRE comme Maire et M. LARDEAU Secrétaire.

Pierre TOURNADRE (à gauche)

Georges LARDEAU (à droite)

Photo parue dans le Magazine « La Vie »

Le 31 août 1958

L’aventure commence ! La première action de terrain sera la création de « BONS DE RISTOURNE ». Pour un achat de 100 francs, un bon de 5 francs était donné. « Le procédé avait l’avantage de faire rester à LIGNIERES l’argent des Lignièrois. Il avait également l’inconvénient - et ses promoteurs s’en rendirent compte très rapidement – de pouvoir être gardé et rangé dans un tiroir en compagnie d’autres bons. Le même inconvénient que présentaient les billets de la Banque de France gagnés à force de travail et de peine, et qui servaient aux paysans non à obtenir quelque bien-être, mais à constituer une socquette ou un bas de laine… » (« la Vie ») Ainsi, même si la population commence à se prendre au jeu, nos aventuriers tentent de mieux concevoir le projet et, pour se faire, vont être épaulé par M. SORIANO. Cet homme, ancien joaillier de Monte-Carlo, n’hésite pas à venir passer quelques jours près de nos hommes. Ce « cerveau » économiste à l’accent chantant, apportera un œil extérieur et plus scientifique en s’appuyant des théories de l’allemand GESELL. Quelques jours plus tard sont mis en circulation les « BONS D’ACHATS ». A leur dos, 12 cases ou devait être collé, le 10 de chaque mois, un timbre de 1 % de la valeur du bon. Cette monnaie était ce qu’on appelle de nos jours une « monnaie fondante » qui perdait de sa valeur chaque mois par

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cette taxe de 1 %, taxe contre l’inertie ! En effet, comme le pensait Soriano : « plus l’argent circule plus la prospérité est grande ». Au dos de ces bons, plusieurs devises dont celle de Jacques Cœur : « A cœur vaillant, rien d’impossible »…

La Commune-Libre (Suite) Pour le coup, ces bons marchent…courent même ! « La méfiance des villageois aidant : à l’approche du 10, en effet, c’est à qui se débarrassera des bons, afin de ne pas y apposer le timbre de 1 % et les réintroduira dans le circuit. De plus c’est une monnaie inhabituelle et, de crainte qu’elle cesse brutalement d’être valable, on s’en débarrasse rapidement. Ainsi, l’argent tourne, change de mains, achète le produit des usines et du travail de l’homme. » (« La Vie »)

Dans la ville, on joue le jeu malgré un certain scepticisme ambiant. La Monnaie d’Etat est mieux jugée et c’est heureusement que quelques commerçants s’investissent dans cette monnaie parallèle : M. MELIN le pâtissier, Mme BACHET la libraire, M. BRISSAT le cordonnier,… La municipalité tenue d’une main ferme par le pharmacien Philibert LAUTISSIER ne bouge pas, ne juge pas, souriant sous cape face à ce projet jugé anecdotique. Pour la petite histoire, la légende veut que le premier bon ait été passé à l’église, à la quête du dimanche ! Les bons naviguaient. Une nouvelle économie locale semblait bien lancée et bientôt c’est 50 000 francs de bons qui circulaient par jour ! Après un rapide exposé sur la circulation des bons d’achats (il est à remarquer que cette entreprise donne entière satisfaction, et nous sommes en droit de penser que grâce à ce système ingénieux nos foires et nos marchés vont connaître un renouveau que tout le monde attend),…Il nous semble que si les habitants de notre cité veulent bien suivre les conseils qui leur ont été prodigués, le temps n’est plus éloigné où nous verrons une grande prospérité naître dans notre ville ». Berry-Républicain du 19 juillet 1956 Le couple LARDEAU-TOURNADRE ne sait alors plus ou en donner de la tête et planche des nuits entières pour rester « maîtres » de leur œuvre. « Lentement, prudemment, ils lâchent leurs billets – les « bons d’achats » - et petit à petit, cette monnaie du diable est prise d’une véritable fièvre circulatoire. Lignièresen-Berry, petit « pays » moribond, s’est réveillé un matin pour découvrir qu’il était le centre d’une révolution économique ». (« Science et Vie » - Mai 1958) Le pari était gagné et Lignières semblait revivre.

Il faut rajouter à ce côté « économique », une farce administrative. On peut croire que sous ces caractères quasi « révolutionnaires » dormait une réelle insoumission et résistance contre la municipalité en place. Cette commune parallèle n’avait aucune valeur d’Etat-Civil mais certains mariages y étaient célébrés, ce geste marquant bien le soutien et l’ancrage de cette initiative dans la vie Lignièroise. Les mariages et les naissances y étaient déclarés et l’association offrait même un livret de Caisse d’Epargne au jeune ménage et à chaque naissance. Le samedi 2 juin 1956, le premier mariage franchit le seuil de la « mairie », c’est celui d’Yvette STANCHINA (alors secrétaire de la Commune Libre) et son époux Fernand BERNET. (Photo ci-dessus) – D’autres mariages suivront comme celui de Christiane ADAM… L’aventure dura deux années ! La Banque de France s’inquiéta du succès de cette initiative et délégua même la Police Judiciaire sur place en 1957 pour une enquête mettant en avant que « l’Etat seul a le droit de frapper monnaie ». La P.J. est repartie comme elle était venue, sans aucun motif de condamnation. Les hautes instances de l’Economie « mirent les pieds dans le plat » pour que s’arrête cette monnaie parallèle ! Georges LARDEAU expliquait : « Cela marchait trop bien et le gouvernement français avait peur que l’expérience ne fasse des émules » ! D’autres communes firent l’essai et des monnaies locales complémentaires existent aujourd’hui un peu partout en France : l’abeille (dans le Lot), la MIEL (en Gironde), la Tinda (en Bearn), l’elef à Chambéry,… 5