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Je m'appelle Bouchra. Et j'ai refusé de changer de prénom pour un travail Publié le 13-05-2016 à 08h15 - Modifié le 14-05-2016 à 11h59 Par Bouchra Balage , Assistante administrative LE PLUS. Le 2 mai, c’est avec enthousiasme que Bouchra Balage débutait son nouveau travail dans une entreprise de télémarketing. Mais au bout de trois jours de formation, la Bordelaise a rapidement déchanté : on lui conseillait de changer son prénom. La consonance étrangère de ce dernier serait "un frein" auprès des clients. L'entreprise a mis fin à sa période d’essai. Témoignage. Bouchra Balage a refusé de changer de prénom pour son travail. (W. T. CAIN/GETTY/AFP) J’étais à la recherche d’un emploi. En avril, une boîte d’intérim, qui avait vu mon CV en ligne, m’a contacté pour me proposer un poste dans une entreprise de télémarketing.

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Je m'appelle Bouchra. Et j'ai refusé de changer de prénom pour un travailPublié le 13-05-2016 à 08h15 - Modifié le 14-05-2016 à 11h59

Par Bouchra Balage, Assistante administrative

LE PLUS. Le 2 mai, c’est avec enthousiasme que Bouchra Balage débutait son nouveau travail dans une entreprise de télémarketing. Mais au bout de trois jours de formation, la Bordelaise a rapidement déchanté : on lui conseillait de changer son prénom. La consonance étrangère de ce dernier serait "un frein" auprès des clients. L'entreprise a mis fin à sa période d’essai. Témoignage.

Bouchra Balage a refusé de changer de prénom pour son travail. (W. T. CAIN/GETTY/AFP)

J’étais à la recherche d’un emploi. En avril, une boîte d’intérim, qui avait vu mon CV en ligne, m’a contacté pour me proposer un poste dans une entreprise de télémarketing.

Je n’étais pas à la recherche du travail de mes rêves. Je voulais simplement gagner ma vie, avoir une occupation et recréer du lien social. J’ai donc immédiatement postulé, et j’ai été prise. Pendant la cession de recrutement, il nous a été dit que nous serions formés pendant trois semaines et que l'on ne nous jetterais pas en pâture.

Mon contrat débutait le 2 mai dernier.

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"Vous n’avez pas d’accent. Tant mieux."

Le 6 mai, j’ai passé une visite à la médecine de travail. En m’auscultant, le médecin a déclaré :

"Vous n’avez pas d’accent. Tant mieux. Ça passera mieux au téléphone." Sur le coup, j’ai été assez surprise, mais ce n’est pas la première fois que j’entends ce genre de remarques. Je me souviens d’une fois, alors que je me rendais dans mon bureau de vote, un assesseur m’avait déclaré :

" Ah, c’est vous l’Arabe du village."

Combien de fois ai-je entendu dire "c’est incroyable, tu parles sans accent" ou encore "ça se voit pas du tout que tu es arabe" ? Ces remarques, j’ai appris à m’en détacher, voire à carrément les ignorer. Par habitude, j’ai appris à les encaisser. Les idiots, il y en a à pléthore. Il faut faire avec.

En revanche, lorsque cela intervient au niveau professionnel, c’est une autre paire de manche.

On me demandait de changer de prénom Avant de prendre mes fonctions au sein de l’entreprise, je devais suivre une formations de trois semaines. Nous étions un groupe d’environ 15 personnes. Des femmes, des hommes, des Blancs, des Arabes, des Noirs. Tous, nous apprenions les rudiments du métier.

Dès le troisième jour de cette formation, l’un d’entre nous a posé la question de savoir si nous devions "changer de prénom". Sur le coup, je n’ai pas vraiment compris. Était-ce parce qu’il y avait des prénoms "moins français" ?

La responsable de la formation n’a pas hésité une seconde pour répondre :

"Il est préférable que vous le fassiez. Moi-même, j’ai changé mon prénom."

J’avoue que suite à cet échange, je suis restée bouche bée. J’étais folle de rage, mais je ne voulais pas créer un esclandre, j’ai donc préféré rester silencieuse, y réfléchir plus posément. Le soir-même, je suis rentrée chez moi effondrée. J’en ai parlé à mes proches, à mes amis.

Et là, j’ai compris : j’étais victime de discrimination.

Mon prénom, c’est une partie de mon identité Le lendemain, en retournant à la formation, j’ai demandé à mes collègues ce qu’ils pensaient des propos tenus par notre responsable. J’avais besoin de leur faire part de ma désapprobation. Certains étaient d’accord avec moi, d’autres m’ont simplement répondu :

"Je comprends, mais j’ai besoin de travailler."

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Tout le reste de la semaine, j’ai ressassé la situation, au point de ne pas pouvoir fermer l’œil de la nuit. Qu’on s’appelle Marie, Myriam, Catherine ou Bouchra, qu’est-ce que cela peut bien faire ?

Mon prénom, c’est une partie de mon identité, de ce que je suis. Il est hors de question d’en changer. J’ai 53 ans, je suis née au Maroc, puis je suis arrivée en France en 1981 pour faire mes études. Je suis française, laïque, et républicaine.

J’avais déjà subi au cours de ma carrière quelques épisodes de discrimination, mais ce que je venais de vivre était incomparable. D’une violence inouïe.

"Ne viens pas te plaindre si tu ne fais pas de ventes."

Lundi, j’étais sûre de moi. J’ai donc annoncé à la formatrice – également déléguée du personnel – que je refusais de changer de prénom. Elle m’a répondu :

"Tu fais ce que tu veux, mais ne viens pas te plaindre si tu ne fais pas de ventes."

La journée s’est déroulée comme dans un véritable cauchemar : au téléphone, j’ai perdu tous mes moyens. Je bafouillais, je n’arrivais pas à aligner trois phrases. Une catastrophe. Pourtant, mes évaluations avaient été très bonnes la semaine précédente.

Dépitée, j’ai finalement accepté de mettre fin à ma période d’essai avant la fin de la journée. Je ne voulais pas travailler dans une entreprise qui me demandait de changer de prénom. Aussi, sans broncher, j’ai signé ma fin de période d’essai. Je n’y retournerai pas, je n’attends rien d’eux.

C’est surtout une question de respect

Je sais que la conjoncture économique nous pousse à accepter des conditions précaires, mais trop c’est trop. Me demander de changer de prénom va à l’encontre de la Constitution et du code du travail.

Pour le moment, je ne sais pas exactement ce que je souhaite faire. Ma fille a lancé une pétition sur Change.org. J’envisage de saisir la justice.

Ce n’est pas une question d’argent, je m’en fiche, mais une question éthique. Comment vouloir vivre dans une société qui estime que la différence doit être gommée ? Comment peut-on espérer plus de tolérance si la différence doit être invisible aux yeux de tous ?

Ma colère n'est pas dirigée spécialement contre cette entreprise, mais contre un faux diktat qui impose aux entreprises de télémarketing d'ici ou d'ailleurs une "francisation" du prénom et ou du nom de leurs salarié(es) afin de ne pas exacerber la xénophobie de certains.

Je souhaite que cette démarche aboutisse à un changement des mentalités et que les entreprises s'inscrivent dans une démarche

non discriminatoire.