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ÉTHIQUE La « discrimination génétique » au cœur d’une guerre de lobbyistes Le Devoir du 29 août 2016 par Marco Fortier Assureurs et groupes de défense des droits des malades accentuent la pression à la veille de l’étude en deuxième lecture du projet de loi fédéral S-201 Un projet de loi visant à interdire la « discrimination génétique » donne lieu à une partie de bras de fer entre la puissante industrie de l’assurance et une quinzaine de groupes qui défendent les droits des malades. Le projet de loi S-201, qui sera étudié à la reprise des travaux parlementaires à Ottawa, vise à protéger les gens qui ont passé un test génétique confirmant qu’ils sont à risque de développer une maladie. La Coalition canadienne pour l’équité génétique (CCEG), qui regroupe 16 groupes de défense des malades, mène un blitz de lobbying auprès du gouvernement Trudeau dans l’espoir de faire adopter la loi. Dans la seule soirée de jeudi, pas moins de 1000 courriels ont été envoyés à des ministres fédéraux, a appris Le Devoir. Au moins trois lobbyistes se sont aussi déplacés au caucus du gouvernement Trudeau, qui a eu lieu à Saguenay cette semaine, pour prendre le pouls des élus libéraux. La nouvelle loi interdirait aux compagnies d’assurances d’obliger leurs futurs assurés à divulguer les résultats de tests génétiques. À l’heure actuelle, les assureurs n’ont pas le droit d’exiger un test d’ADN, mais ils peuvent demander aux futurs assurés qui ont volontairement subi un test génétique de leur en révéler les résultats. Le projet S-201 modifierait aussi le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne pour interdire la discrimination basée sur les « caractéristiques génétiques ». Un employeur ne pourrait exiger qu’un 1

ÉTHIQUE - Erelim | · Web viewEn particulier, vertiges, somnolence et fatigue poussent de nombreux patients à arrêter le traitement. « Cela a eu comme conséquence une réduction

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ÉTHIQUE

La « discrimination génétique » au cœur d’une guerre de lobbyistesLe Devoir du 29 août 2016 par Marco FortierAssureurs et groupes de défense des droits des malades accentuent la pression à la veille de l’étude en deuxième lecture du projet de loi fédéral S-201

Un projet de loi visant à interdire la « discrimination génétique » donne lieu à une partie de bras de fer entre la puissante industrie de l’assurance et une quinzaine de groupes qui défendent les droits des malades. Le projet de loi S-201, qui sera étudié à la reprise des travaux parlementaires à Ottawa, vise à protéger les gens qui ont passé un test génétique confirmant qu’ils sont à risque de dévelop-per une maladie. La Coalition canadienne pour l’équité génétique (CCEG), qui regroupe 16 groupes de défense des malades, mène un blitz de lobbying auprès du gouvernement Trudeau dans l’espoir de faire adopter la loi. Dans la seule soirée de jeudi, pas moins de 1000 courriels ont été envoyés à des ministres fédéraux, a appris Le Devoir. Au moins trois lobbyistes se sont aussi déplacés au cau-cus du gouvernement Trudeau, qui a eu lieu à Saguenay cette semaine, pour prendre le pouls des élus libéraux.

La nouvelle loi interdirait aux compagnies d’assurances d’obliger leurs futurs assurés à divulguer les résultats de tests génétiques. À l’heure actuelle, les assureurs n’ont pas le droit d’exiger un test d’ADN, mais ils peuvent demander aux futurs assurés qui ont volontairement subi un test génétique de leur en révéler les résultats. Le projet S-201 modifierait aussi le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne pour interdire la discrimination basée sur les « caracté-ristiques génétiques ». Un employeur ne pourrait exiger qu’un travailleur passe un test d’ADN. Le refus de passer un test ne pourrait devenir un motif de congédiement ou de non-embauche.

Des règles néfastes pour la santé « Médicalement, les règles actuelles ne tiennent pas la route. Il y a des gens qui préfèrent ne pas passer de test génétique pour ne pas se faire questionner par leur assureur. Ce test pourrait pour-tant leur sauver la vie : on sait que les cancers ont plus de chances d’être guéris s’ils sont dépistés tôt », affirme Don Boudria, ancien ministre libéral devenu lobbyiste, qui compte parmi ses clients l’organisme Cancer de l’ovaire Canada. Quinze autres organisations font partie de la Coalition, dont la Société canadienne de la SLA, la Société Alzheimer du Canada, la Fondation canadienne de la fi-brose kystique, la Société Huntington du Canada, la Fondation canadienne du rein, Dystrophie mus-culaire Canada, Ostéoporose Canada, la Société Parkinson Canada, l’Association de spina-bifida et d’hydrocéphalie du Canada et la Fondation canadienne du syndrome de la Tourette. Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CCRJI) est aussi préoccupé par la montée des tests génétiques, parce que les femmes juives ashkénazes ont un gène qui les rend plus susceptibles d’avoir un cancer du sein ou de l’ovaire.

« Les Canadiens pourraient devoir subir un test génétique ou révéler des informations génétiques privées aux sociétés d’assurances ou aux employeurs. Cela nuit à leurs chances de trouver ou de conserver un emploi, d’obtenir une promotion ou d’acheter une police d’assurance », écrit David J. Cape, président du CCRJI, dans un courriel en-

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voyé à ses membres le 25 août. « En l’absence d’une loi qui interdit la discrimination génétique, plusieurs Canadiens choisissent de ne pas avoir de test par crainte que les résultats soient utilisés à mauvais escient », ajoute-t-il.

Évaluation des risques Le projet de loi S-201 a été présenté par le sénateur libéral indépendant Jim Cowan. Le Sénat a adopté le projet le 14 avril dernier. La Chambre des communes doit étudier le projet de loi en deuxième lecture avant la fin du mois de septembre, selon nos sources. L’industrie de l’assurance s’oppose avec vigueur au projet de loi, qui priverait les assureurs d’informations cruciales sur leurs clients potentiels. Le principe de l’assurance, c’est de tarifer la personne en fonction des risques qu’elle présente. La prime reflète le niveau de risque assumé, explique Lyne Duhaime, présidente pour le Québec de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). Les membres de l’ACCAP versent des prestations de 84 milliards de dollars par année au Canada. L’industrie emploie 155 000 personnes au pays. Pour évaluer le risque, les assureurs posent déjà des questions « intimes » aux clients potentiels. Sans même passer un test génétique, un client dont un des parents est atteint de la maladie de Huntington ne sera pas nécessairement assurable, souligne Lyne Duhaime. Une assurance-vie à long terme nécessite aussi une prise de sang qui peut révéler des maladies comme le sida, le diabète, le taux de cholestérol, etc. « Si le test génétique a lieu le lendemain de la souscription à l’assurance, la personne sera assurée », précise-t-elle.

De plus, l’ACCAP estime que la première partie du projet de loi S-201 (sur la livraison de services sans tests génétiques) « soulève de sérieuses questions constitutionnelles ». Comme le secteur de l’assurance est de compétence provinciale, Ottawa n’a pas le pouvoir de légiférer en la matière, a fait valoir Frank Swedlove, président et chef de la direction de l’ACCAP, devant un comité parle-mentaire en février 2016.

La mort par le jeûne sera encadrée par un « guide de pratique »Lapresse.ca du 30 août 2016 par Ariane LacoursièreEstimant qu'un nombre croissant de Québécois, non admissibles à l'aide médicale à mourir, se donneront la mort par le jeûne, le Collège des médecins du Québec planche actuellement sur la création d'un « guide de pratique » pour aider les médecins à accompagner leurs pa-tients qui se laisseront mourir de faim et de soif.

« Les gens auront de plus en plus l'attente d'être éligibles à l'aide médicale à mourir. Mais il y aura toujours des gens qui n'y auront pas accès. On s'attend à ce qu'un nombre croissant de patients se tournent vers d'autres choix », explique le secrétaire du Collège des médecins, le Dr Yves Robert. Puisque le Collège « se doit de guider la pratique des médecins », des explications sur le suivi mé-dical à offrir à une personne qui jeûne seront préparées, souligne le Dr Robert. Dans une lettre ou-verte publiée hier dans La Presse, le Dr Pierre Viens racontait l'histoire de sa patiente, Hélène L., morte au 14ème jour d'un jeûne total à l'âge de 70 ans. Atteinte de sclérose en plaques depuis 20 ans, Hélène L. n'a pu obtenir l'aide médicale à mourir comme elle le désirait, car elle n'était pas considé-rée comme étant en « fin de vie ». Résignée, elle s'est laissé mourir de faim et de soif.Pour le Dr Viens, un médecin de soins palliatifs qui a administré l'aide médicale à mourir à quatre personnes depuis décembre, le fait que des patients en soient rendus là est une «  anomalie » causée par un « marécage juridique » qui doit absolument être corrigé.

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La fin de vieDepuis le mois de décembre 2015, près d'une trentaine de personnes ont vu leur demande d'aide mé-dicale à mourir refusée au Québec sous prétexte qu'elles ne répondaient pas aux critères de la loi.Critères pour être admissible à l'aide médicale à mourir, selon la loi québécoise concernant les soins de fin de vie1. Être assuré au sens de la Loi sur l'assurance maladie2. Être majeur et apte à consentir aux soins3. Être en fin de vie4. Être atteint d'une maladie grave et incurable5. Se trouver dans une situation médicale caractérisée par un déclin avancé et irréversible de ses capacités6. Éprouver des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans les conditions jugées tolérables.

Pour le Dr Viens, l'obligation d'être en « fin de vie » pour obtenir l'aide médicale à mourir doit être revue. « La loi doit être réécrite. Parce qu'actuellement, seule les personnes atteintes de cancer et dont la mort est prévisible peuvent obtenir l'aide médicale à mourir. Presque toutes les personnes souffrant de maladie dégénérative ne sont pas éligibles. C'est discriminatoire pour toute une caté-gorie de patients qui ne sont pas considérés en "fin de vie biologique" », plaide le Dr Viens. Cet avis est partagé par l'avocat spécialisé en défense des droits des patients, Me Jean-Pierre Ménard. « Cer-tains patients se sont fait enlever le droit de mourir », soutient-il. Me Ménard dit avoir « plusieurs dossiers à l'étude » afin de contester les lois devant les tribunaux. Il était d'ailleurs en démarches avec Hélène L., mais faute de temps et de moyens, la patiente a abandonné les démarches, explique le Dr Viens.

Un flou juridiqueEn entrevue à La Presse, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, affirme que l'histoire d'Hélène L. est « très triste » et montre une fois de plus que la loi fédérale C-14 « ne répond pas à l'arrêt Car-ter ». Le ministre se dit prêt à faire le débat sur le suicide assisté « dès demain matin ». Mais il dit attendre la décision des tribunaux de la Colombie-Britannique dans ce dossier avant d'aller de l'avant. Le ministre Barrette reconnaît qu'un certain flou existe actuellement au Québec autour de la pratique de l'aide médicale à mourir, car plusieurs lois se côtoient. Le ministre affirme toutefois que, dans des cas comme celui d'Hélène L., rien n'empêche dans les faits les médecins de procéder à l'aide médicale à mourir « s'ils estiment qu'ils respectent le Code criminel ». « Nous avons déjà dit que nous ne poursuivrions pas les médecins qui iraient en ce sens », soutient M. Barrette. Mais pour le Collège des médecins, très peu de médecins sont prêts à prendre ce risque. « On a une loi qui porte à interprétation. Si le médecin se trompe, il s'expose à une poursuite criminelle. Personne ne veut s'exposer à ça », dit le Dr Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins.

Pour le Dr Viens, les lois actuelles « ne sont pas faites pour les patients ». « Elles sont faites pour protéger les bureaucrates et les politiciens. Il faut absolument les réécrire », dit-il. Le Dr Robert af-firme qu'« aucune loi ne va pouvoir prévoir toutes les situations » de patients désirant obtenir l'aide médicale à mourir. « Que les lois soient revues ou non, des critères d'admissibilité seront établis, et des patients exclus chercheront d'autres options. [...] Au cours des dernières années, il y a eu quelques cas de patients s'étant laissés mourir par le jeûne. Ça crée des malaises. Mais malheureu-sement, c'est une réalité avec laquelle on doit vivre et on pense que le nombre de cas ira en aug-mentant. Puisque la notion de jeûne n'est pas enseignée dans les écoles de médecine, on produira un guide pour soutenir les médecins. »

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Polémique autour de la création annoncée d'un délit d'entrave numérique à l'IVGLe Figaro du 27 septembre 2016 par Agnès LeclairLe gouvernement veut créer un « délit d'entrave numérique » dans un amendement au projet de loi égalité et citoyenneté. Un projet contesté au nom de la liberté d'expression.

La ministre des droits des femmes, Laurence Rossignol, confirme sa volonté de créer un « délit d'entrave numérique ». Ce dernier sanctionne depuis 1993 les actions qui visent à empêcher l'accès à l'information sur l'IVG et aux établissements qui les pratiquent. Le gouvernement va introduire un amendement au projet de loi égalité et citoyenneté, discuté au Sénat à partir du 4 octobre, pour élar-gir ce délit à Internet.

« L'action des groupes anti choix s'est déplacée des grilles des hôpitaux pour se développer sur In-ternet, a souligné le ministère mardi dans un communiqué. Les activistes opposés à l'avortement y lancent des campagnes de grande ampleur visant à décourager ou à empêcher les femmes d'avoir re-cours à l'interruption volontaire de grossesse ». Dans le viseur de Laurence Rossignol, des sites comme Afterbaiz.com ou Ivg.net « qui trompent délibérément les internautes en se faisant passer pour des sites officiels ou neutres et cherchent à dissuader les femmes de recourir à l'IVG ». Reste à savoir comment sera qualifié ce délit alors que des voix s'élèvent - y compris du côté de défenseurs du droit à l'IVG - pour dénoncer une atteinte à la liberté d'expression ou une menace à « la liberté de penser ».

« Nous incitons seulement à la prudence »« Être hostile à l'IVG est une opinion que chacun peut exprimer librement », se défend le gouverne-ment. Mais le fait « d'induire délibérément en erreur » et « d'exercer des pressions psychologiques ou morales afin de dissuader les femmes de recourir à l'IVG » nécessite une réponse pénale, sou-ligne le ministère.

« Qu'est-ce qu'une pression morale ? N'est-ce pas une notion très subjective ? Et n'y a-t-il pas une part de psychologie dans tout message », interroge Émile Duport, créateur du site Afterbaiz et éga-lement porte-parole des Survivants, un mouvement « d'agit-prop » anti-avortement relancé en 2016. Il n'y a pas de pression morale sur le site. Seulement des conseils qui peuvent faire réfléchir les jeunes filles. Le gouvernement juge-t-il les femmes stupides, incapables de faire preuve de discerne-ment en comparant ce qu'elles lisent sur le web ? De plus, nous ne sommes pas dogmatiques. Nous incitons seulement à la prudence ».

Vendredi, les associations familiales catholiques (AFC) ont également dénoncé un risque pour la li-berté d'expression. « Mettre en avant des observations et des faits, proposer d'autres voies que l'avortement ou favoriser sa prévention seraient donc des délits ? L'évocation, par une femme, de sa souffrance occasionnée par un avortement est-elle condamnable ? », questionne ce réseau qui consi-dère que le nombre élevé d'IVG pratiquées en France « constitue un problème de santé publique » et réclame des études sur les facteurs de risques.

Première naissance d’un bébé « à trois pa-rents »Le Monde du 29 septembre 2016 par Hervé Morin

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L’enfant, conçu par fécondation in vitro, est porteur de l’ADN de ses parents et de celui d’une donneuse

Les spécialistes de la reproduction récusent souvent la formule, mais elle résume la percée réalisée par une équipe américaine, dans une clinique mexicaine : un enfant « à trois parents » serait né il y a cinq mois, porteur du patrimoine génétique de ses parents, mais aussi d’ADN provenant d’une don-neuse. Cette naissance inédite, rendue publique mardi 27 septembre par l’hebdomadaire britannique New Scientist, doit cependant encore faire l’objet d’une communication scientifique « officielle » lors du congrès de l’Association américaine de médecine reproductive à Salt Lake City (Utah), en octobre. Le bébé, un garçon, serait le fils d’un couple de Jordaniens qui avait déjà donné naissance à deux petites filles décédées à l’âge de 6 ans et de 8 mois, indique le New Scientist : toutes deux étaient atteintes du syndrome de Leigh, une maladie liée à un dysfonctionnement des mitochon-dries, de minuscules usines à énergie présentes au cœur des cellules. La mère était porteuse saine de cette maladie, un quart de ses mitochondries étant touchées par une mutation dans leur ADN.

Procédure interdite aux Etats-UnisLe couple a fait appel à John Zhang, président fondateur du Centre de fertilité New Hope de New York, une clinique qui a des antennes en Chine, en Russie et au Mexique, pour procéder à une ten-tative de fécondation in vitro faisant appel à une technique de transfert du noyau. Le docteur Zhang a extrait le noyau (porteur de l’ADN) d’un des ovocytes de la mère et l’a inséré dans celui d’une donneuse dont le noyau avait été préalablement ôté. L’ovocyte disposant de mitochondries saines a été fécondé in vitro avec un spermatozoïde du père. L’embryon ainsi engendré était donc porteur de l’ADN nucléaire des deux parents et de l’ADN mitochondrial (ADNmt) fonctionnel de la donneuse – les rares mitochondries apportées par le spermatozoïde sont en effet détruites lors de la féconda-tion. Selon le New Scientist, sur cinq embryons créés de la sorte, un seul s’est développé « normale-ment » et a pu être réimplanté chez la mère, qui a ensuite connu une grossesse normale. L’équipe new-yorkaise a effectué cette procédure de fécondation in vitro et d’insémination au Mexique, car elle est interdite aux Etats-Unis. Elle est en revanche autorisée au Royaume-Uni – où elle n’a en-core jamais été tentée –, mais selon une modalité un peu différente : l’ovocyte de la mère et celui de la donneuse seraient d’abord fécondés par des spermatozoïdes du père, puis énucléés avant qu’ils ne se divisent pour donner un embryon. Le noyau de la donneuse serait alors éliminé et remplacé par celui de la mère pour former l’embryon.

Le bébé se porterait bienLe New Scientist précise que le couple jordanien, de confession musulmane, souhaitait minimiser les destructions d’embryons et a pour cette raison choisi d’opter pour l’autre technique. En outre, l’équipe médicale a sélectionné un embryon masculin, afin d’éviter qu’à l’âge adulte il ne trans-mette la maladie à sa descendance. Pour Sian Harding, qui a procédé à l’examen éthique de la pro-cédure approuvée au Royaume-Uni, cette approche est « aussi bonne ou même meilleure que ce qui serait fait en Angleterre », indique l’hebdomadaire. Aucune précision n’est cependant donnée sur le devenir d’éventuels embryons féminins, écartés par principe – ni sur le coût et les modalités de prise en charge de la procédure. Le bébé, aujourd’hui âgé de 5 mois, se porterait bien, selon l’équipe médicale, qui a précisé au New Scientist que seul 1 % de ses mitochondries sont porteuses de la mutation délétère. Une étude espagnole récente, mise en ligne par Nature le 6 juillet et portant sur des souris, invite pourtant à la prudence. Ces rongeurs dotés d’ADN nucléaire et mitochondrial d’origines différentes semblaient tout d’abord ne pas s’en porter plus mal. Mais ils présentaient pro-gressivement des altérations de leurs fonctions mitochondriales, leur santé déclinait et leur longévité était diminuée. En mai, une étude parue dans Cell Stem Cell avait montré que même une petite frac-tion de mitochondries importées lors du transfert de noyau pouvaient recoloniser l’ovocyte d’ac-cueil et des lignées cellulaires qui en étaient tirées, un phénomène susceptible de « compromettre l’efficacité du remplacement mitochondrial ». « Les données expérimentales en matière de sécurité de la technique ne sont pas suffisantes », es-time ainsi Pierre Jouannet, spécialiste de la fertilité, qui juge aussi « problématique l’annonce de

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cette naissance sans publication d’une étude en bonne et due forme dans une revue scientifique à comité de lecture: cela ouvre la porte à tous les coups publicitaires ».

Pour Julie Steffann, du laboratoire de génétique moléculaire de l’Institut Necker à Paris, qui vient de lancer un programme d’évaluation des risques liés au transfert nucléaire - à partir d’embryons humains anormaux donnés à la recherche - la naissance de ce premier bébé est « un message d’es-poir pour les patients ». Mais « comme pour toutes les techniques de procréation médicalement as-sistée, il y a des questions sur le développement des enfants ». Cette première « montre que le trans-fert nucléaire chez l’humain peut aboutir à un enfant vivant, ce qui n’avait jamais été fait  » - le pionnier Shoukhrat Mitalipov (Université de l’Oregon) l’avait réalisé avec succès en 2009 sur des macaques rhésus. Cette démonstration pourrait aussi ouvrir la voie à des fécondations in vitro « de confort », en permettant à des femmes de faire exprimer leur patrimoine génétique dans un ovocyte plus jeune, et d’augmenter leur chance d’enfanter sur le tard. « C’est aussi l’idée qui motive les cli-niques de fertilité privées », estime Julie Steffann. Un « marché » bien plus vaste que celui des ma-ladies liées à des anomalies mitochondriales, mais pour lequel une telle prise de risque lui paraît bien moins justifiée.

Absence de supervision réglementaire et éthiqueAu-delà des questions éthiques et de la rareté des ovocytes disponibles, les spécialistes des mito-chondries sont donc encore réservés sur les naissances « à trois parents » – la solution n’est pas en-visagée en France, où l’on propose aux couples affectés de bénéficier d’un diagnostic préimplanta-toire des embryons ou d’un don d’ovocytes. La prudence est aussi liée à un précédent : à la fin des années 1990, aux Etats-Unis, des injections de mitochondries de donneuses (on parle de « transfert cytoplasmique ») dans des ovocytes avaient déjà conduit à la naissance de plusieurs dizaines d’en-fants. Il ne s’agissait pas de prévenir une maladie mitochondriale, mais de revivifier les ovocytes. Les enfants ainsi conçus étaient « à quatre ADN » : les deux copies d’ADN nucléaire parentales, et l’ADNmt de la mère et de la donneuse. Si certains sont aujourd’hui en parfaite santé, d’autres ont présenté des anomalies de développement, si bien que les autorités sanitaires américaines ont de-mandé aux cliniques d’arrêter en 2002. Ces inconnues ne font pas douter John Zhang, qui s’enor-gueillit aussi d’avoir permis à une femme de 49 ans d’enfanter. S’il a procédé à la fécondation au Mexique, a-t-il indiqué au New Scientist, c’est bien parce que là-bas, « il n’y a pas de réglementa-tion ».

Sur son blog, dans un texte daté du 22 août, il qualifiait le bébé à trois parents de « grand pas pour l’humanité ». Bien sûr, le sujet est controversé, admettait-il, mais « s’il existe un traitement pour ce qui était naguère considéré comme une sentence de mort pour un enfant, ne doit-on pas l’explorer malgré la controverse ? » « Sauver des vies, voilà ce qui est éthique », a-t-il déclaré au New Scien-tist. Précisément, rétorquent certains observateurs, qui dénoncent l’absence de toute supervision ré-glementaire et éthique, aucune vie n’a été « sauvée » dans l’opération.

La Belgique a pratiqué une euthanasie sur un mineurLa Croix du 19 septembre 2016 par Raphaëlle d’YvoirePour la première fois depuis l’extension aux mineurs d’âge de la loi belge sur l’euthanasie, en 2014, un jeune atteint d’une maladie incurable a été euthanasié.L’information a été rendue publique samedi 17 septembre par le professeur Wim Distelmans, président de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, à l’occasion d’une

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interview au quotidien belge néerlandophone Het Nieuwsblad : pour la première fois, une demande d’euthanasie émanant d’un mineur « s’approchant de la majorité » a été accordée, selon les termes de la loi belge sur l’euthanasie. Jacqueline Herremans, membre de cette même « commission » – chargée de vérifier que l’acte a eu lieu dans la légalité – et présidente de l’Association belge pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), a précisé que le médecin ayant pratiqué l’acte a déposé sa déclaration la semaine passée, et qu’un rapport sera fait « d’ici peu, conformément à la loi ».

En février 2014, la Chambre des représentants de Belgique avait voté le « projet de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie en vue de l’étendre aux mineurs ». Après des mois de dé-bats et d’auditions, une majorité s’était formée autour de la possibilité d’accorder l’euthanasie aux « mineurs d’âge en fin de vie », qui font état de « souffrances physiques insupportables et inapai-sables causées par un accident ou une maladie, dont le décès est prévu à brève échéance ».

Des mineurs en « capacité de discernement »À l’époque, l’auteur de la loi, le sénateur socialiste Philippe Mahoux avait expliqué qu’il fallait aus-si répondre au souhait des pédiatres et infirmiers confrontés à la « souffrance insupportable » d’en-fants, à laquelle la loi de 2002 ne permettait pas de répondre dans la légalité. Contrairement aux Pays-Bas, qui ont légalisé l’euthanasie pour les mineurs de plus de 12 ans, les parlementaires belges n’avaient pas prévu d’âge minimum ; le texte retient seulement le critère de la « capacité de discer-nement » du mineur, attestée par un psychologue. En 2014, cette formulation avait été vivement cri-tiquée par les élus chrétiens-démocrates flamands et francophones qui avaient voté contre le texte, dénonçant une loi « mal ficelée et mal libellée » qui reste confuse, notamment en ce qui concerne la notion de « discernement » de l’enfant ou celle de « l’accord des parents ». « Le droit de l’enfant à demander sa propre mort est un pas de trop. Il s’agit de la transgression de l’interdit de tuer, qui constitue la base de notre société humaine », s’étaient aussi inquiétés les évêques de Belgique, dans un communiqué. Tandis qu’un collectif de 162 pédiatres de toute la Belgique, également opposés au texte, soulignait que « nous sommes aujourd’hui en mesure de contrôler parfaitement la douleur physique, l’étouffement ou l’angoisse à l’approche de la mort ».

Une moyenne de cinq euthanasies par jourDepuis deux ans et demi, il y a déjà eu des demandes de mineurs, sans qu’aucune n’ait abouti. « Il n’y a heureusement que très peu d’enfants qui rentrent dans ces critères, mais cela ne signifie pas que nous devrions leur refuser le droit à une mort digne », a précisé dans son interview le profes-seur Wim Distelmans, qui ne se cache pas d’être un partisan de l’euthanasie. Pour une majorité de plus en plus importante de l’opinion belge, l’euthanasie légalisée est désormais un choix parmi l’ar-senal des moyens en fin de vie. Depuis quatorze ans, les statistiques font ainsi état d’une progres-sion régulière, année après année, du nombre d’actes : en 2015 la Belgique a enregistré 2 020 décla-rations d’euthanasie, soit cinq euthanasies par jour. Les déclarations, rédigées en néerlandais dans une majorité des cas, montrent aussi que l’euthanasie est surtout pratiquée en Flandres.

« Comment peut-on croire que donner la mort à un enfant malade est un progrès ? La Belgique s’enfonce dans l’horreur », a réagi samedi sur son compte Twitter le collectif belge Euthanasie Stop, qui s’inquiète du phénomène de « pente glissante », et des « balises repoussées toujours plus loin ». En février 2016, trois nouvelles propositions de loi ont été déposées pour « affiner le disposi-tif » de la loi euthanasie. Objectif  ? Proposer l’obligation pour un médecin qui refuserait de prati-quer une euthanasie de l’indiquer « dans les sept jours » et d’adresser alors son patient à un confrère ; faciliter la procédure de « demande anticipée », et la rendre valable sans limitation de du-rée ; « garantir la clause de conscience personnelle des médecins » en interdisant que des établisse-ments entiers refusent de pratiquer l’euthanasie dans leurs murs.

« Sans cette greffe, je serais enfermé chez

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moi »La Croix du 20 septembre 2016 par Pierre BienvaultEn juin 2010, Jérôme Hamon a bénéficié d’une greffe du visage. Il a conscience des risques mais il est désormais « heureux » sans la crainte du regard des autres

En ce moment, Jérôme Hamon fait un stage dans une librairie, près de Paris. « J’ai fait une formation de vendeur. Cela me plaît, c’est mon deuxième stage », dit-il. Vendeur, un métier au contact du public. Ce qui est tout sauf un détail : « Avant la greffe, j’étais technicien dans l’audiovisuel. Un travail où l’on est dans la coulisse, derrière la scène, à l’abri des regards. »

Jérôme Hamon a aujourd’hui 41 ans et affirme qu’il est « heureux » dans la vie. Ce n’est pas rien. Il suffit, pour s’en convaincre, de l’écouter raconter comment son existence a basculé à l’âge de 9 ans. Au moment où sont apparus les premiers signes de sa neurofibromatose, également appelée maladie de Recklinghausen. Une affection génétique entraînant parfois de très sévères déformations du vi-sage. La maladie de « Quasimodo » ou « d’Elephant Man » comme Jérôme Hamon l’a entendu si souvent. De la bouche de personnes inconnues, ayant juste croisé son chemin. Les méchancetés gra-tuites, les moqueries en forme de coups de poignard. Les regards gênés, fuyants, les voyageurs qui, dans le métro, se lèvent sans un mot pour changer de place. Ou les passants qui, dans la rue, font de-mi-tour pour le regarder à nouveau, comme une bête de foire. « C’était insupportable à vivre au quotidien. Une souffrance que personne ne peut imaginer. Sans cette greffe, je sais qu’aujourd’hui, je serais enfermé chez moi, 24 heures sur 24 », confie Jérôme Hamon.

Les risques du traitement immunosuppresseurLa greffe a eu lieu en juin 2010 à Créteil sous la direction du professeur Laurent Lantieri. Une se-maine après, Jérôme Hamon a fini par aller se regarder dans un miroir. « Et là, de manière immé-diate, je me suis dit : “C’est ton nouveau visage”. Je me suis reconnu par le regard. C’était un mo-ment très particulier. Sans émotion excessive, avec une neutralité qui m’a presque inquiété sur le moment. Surtout, je ne me suis pas dit que j’avais le visage d’un autre homme. Ce n’est pas que je ne pense pas à mon donneur. Je me dis juste que le meilleur hommage que je peux lui rendre, à lui et à sa famille, c’est d’être heureux. »

Jérôme Hamon dit que, pour l’instant, il supporte bien son traitement immunosuppresseur. Cinq ca-chets le matin à 8 heures et deux le soir à 20 heures. « Les médecins ne m’ont rien caché des risques. Et c’est en connaissance de cause que j’ai accepté la greffe. » Aujourd’hui, Jérôme Hamon a quand même une question qui le taraude : comment son visage va-t-il vieillir ? Il n’a jamais rien su de son donneur, resté anonyme. Il sait juste qu’il avait 63 ans au moment de son décès et de la greffe. Et que lui en avait 35. « Parfois, je me demande juste si mon visage va vieillir au même rythme que le reste de mon corps. »

SOCIÉTÉ

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C’est mon histoire : « J’ai fait une PMA toute seule »Elle du 26 août 2016A 40 ans, Clara franchit la Manche comme on passerait en zone libre. Avoir un enfant seule est interdit en France : sa PMA se fera donc à Londres.

« On est bien d’accord, je suis en train de faire passer un mini- clandestin en France ? » Mon amie Charlotte et moi sommes prises d’un fou rire dans l’Eurostar qui nous ramène à Paris. La situation est assez surréaliste... Après des mois de doutes et de tergiversations en tout genre, je viens de faire le grand saut : à 40 ans, je me suis fait inséminer à Londres... Ce soir-là, dans le train du retour, je rentrais avec un embryon de contrebande caché au fond de moi. Je faisais la maligne, mais n’en re-venais pas. J’avais toujours voulu avoir des enfants. Mais de cette façon-là, je ne m’y attendais pas !

Passé le cap des 30 ans, mon désir d’enfant n’avait cessé de grandir... J’avais eu de belles histoires d’amour, mais pas de celles qui offrent les fondations nécessaires à la construction d’une famille. Jusqu’à 35 ans, je ne m’inquiétais pas : mon travail me passionnait, je m’éclatais avec mes amis, j’avais des neveux. J’étais comblée. La suite semblait me donner raison : j’ai rencontré David, avec qui tout était simple, évident. À tel point qu’un soir, alors que j’étais lovée dans ses bras, c’est sorti tout seul : « J’aimerais un enfant de toi. » Il m’a embrassée et m’a répondu : « On le fera. » J’y ai cru. Les mois suivants, j’ai senti qu’il s’éloignait. Je me disais que c’était un petit passage à vide... Raté. David a disparu de ma vie du jour au lendemain. Sur un petit : « Désolé, je ne peux plus, je n’y arrive plus. » À plus de 39 ans, la chute est d’autant plus rude que la question vient vite : com-ment vais-je faire pour avoir des enfants ? Me reste-t-il seulement le temps ? Au-delà de la douleur de la séparation, ce sont tous vos projets qui s’écroulent. Avec cette satanée horloge biologique qui se met à faire « tic-tac ».

Un bébé à tout prix« Eh bien, tu n’as qu’à faire une PMA ! » Voilà ce que me lance Pierre, l’un de mes meilleurs amis, en couple avec Jérôme : ils sont en train de faire un enfant avec une mère porteuse, aux États-Unis. On a passé le brunch à en parler. D’eux et de notre copine Léa, qui s’est fait inséminer au Dane-mark deux ans après la naissance de sa petite Alix, portée par son amoureuse Valérie – une PMA elle aussi. Et puis il y a Sophie et David, deux enfants chacun de leur côté... et leur petit Mathias, qu’ils viennent d’adopter. « Voilà, c’est ça, la famille d’aujourd’hui ! » conclut Pierre. Je secoue la tête : en France, la PMA n’est autorisée que pour les couples stériles. Pour les couples de femmes ou pour les célibataires, c’est illégal. « Et alors ? Nous, on fait bien une GPA... Bienvenue au club des enfants de contrebande ! » Sans être totalement punk, ça ne m’a jamais dérangée de marcher hors des clous. L’enthousiasme de Pierre me gagne. Le soir même, j’en parle à ma sœur... Douche froide. « Tu délires ! lâche-t-elle. Là, tu paniques, mais tu vas rencontrer un homme et vous ferez un enfant. » J’aimerais la croire. Mais quelle est la probabilité que je rencontre, dans un avenir proche, quelqu’un qui puisse devenir à la fois l’homme de ma vie et le père de mes enfants, et que je me dé-cide à être enceinte de lui ni trop tôt (pour être certaine de faire le bon choix) ni trop tard (pour que ce soit encore biologiquement possible) ?Je commence à compulser tout ce que je peux trouver sur la PMA. Difficile d’obtenir une informa-tion fiable, mais je m’accroche, et au bout d’un mois je connais la théorie par cœur, depuis la liste des pays qui ouvrent la procédure aux célibataires jusqu’aux détails médicaux. Mon projet s’affine : je veux un donneur non anonyme. Mon enfant, j’en suis convaincue, doit pouvoir contacter son père

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biologique. Trois pays sont dans ma ligne de mire : la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, le Danemark. De forums de discussions en amis d’amis, je finis par trouver ma clinique, au cœur de Londres. Bin-go ? Pas vraiment... La liste des examens préliminaires est longue comme la Tamise, et rien n’oblige ma gynéco à me les prescrire. Au contraire : en aidant une femme en parcours de PMA, elle risque cinq ans de prison et 75 000 € d’amende. J’hésite à lui en parler, elle hésite à accepter... Mais, trois jours plus tard, elle m’envoie les ordonnances requises – je la bénis ! Quelques semaines après, nous arrivons enfin à la clinique, mes analyses et moi. Par chance, mes résultats sont suffi-samment bons pour me permettre de tenter une insémination simple. Pas de stimulation hormonale à coup de piqûres quotidiennes ; pas de FIV non plus. « Mais rien n’est joué, souligne le médecin. Attendez-vous à un certain nombre d’échecs : en moyenne, les femmes font trois à cinq tentatives avant d’être enceintes. » Gloups.

Je rentre à Paris, lestée d’une nouvelle liste d’examens – l’utérus, les ovaires, les trompes, tout y passe. En tête, un rétroplanning pour être prête lors de mon prochain cycle, quatre semaines plus tard. À la main, mon Smartphone ouvert sur sa calculette : au prix des billets (forcément achetés à la dernière minute) vont s’ajouter celui des paillettes de sperme et celui de l’insémination elle-même – précédée de toutes les échographies, prises de sang, tests d’ovulation... Le tout à multiplier, donc, par un minimum de trois tentatives, ça nous fait... un rendez-vous chez le banquier au plus vite pour obtenir un crédit. De 8 000 €. Re-gloups. Reste à trouver mon donneur. Avant de me plonger dans le merveilleux monde de la PMA, j’imaginais un catalogue de géniteurs de compète, fichés comme des produits high-tech. Or le site Internet de la banque du sperme danoise, partenaire du centre où je suis suivie, est d’une sobriété... clinique. Et les donneurs non anonymes, compatibles avec l’arsenal législatif britannique et avec mon groupe sanguin ne sont que quatre. Tous grands, blonds, aux yeux bleus. Moi qui ai toujours préféré les ténébreux Méditerranéens, je glousse... Mais va pour le Viking ! Je connais leur taille, leur poids, à peine plus et c’est tant mieux : je choisis un donneur, pas un homme pour moi. L’essentiel, c’est que tous ont fait l’objet de tests, psychologiques et physiolo-giques. Et même si je voulais en savoir plus je ne le pourrais pas : seul mon enfant, à sa majorité, pourra avoir accès aux coordonnées de son père biologique, qui s’est engagé à se laisser contacter. Tout est clair, cadré, bordé.

Ni euphorie ni angoisseUn beau matin, ça y est : test d’ovulation, O.K. ; livraison des paillettes à la clinique, faite ; vire-ment bancaire, passé ; examens, nickel ; billets, pris. Un mercredi de novembre, je me retrouve donc à l’accueil de la clinique, accompagnée de mon amie Charlotte. « Vous voudrez sans doute as-sister à l’insémination de votre amie ? Non ? Ah, très bien. » L’infirmière se renseigne, mais ne moufte pas. Imperturbable. Qu’on soit deux femmes en couple ou future mère célibataire, ici, tout semble parfaitement normal. Après des semaines de recherches et d’examens clandestins, le contraste est saisissant. Installée sur le lit, je regarde le plafonnier et je souris : ça n’est donc que ça ? Le médecin et l’infirmière sont prévenants, la procédure elle-même est totalement indolore. Une demi-heure plus tard, je suis dehors. Ni euphorique, ni angoissée. Mais j’avoue, je flotte un peu. Je viens de courir contre la montre pour être prête le jour J. Là, il n’y a plus rien à faire. Juste à attendre. J’ai peu de souvenirs des jours qui ont suivi. J’ai voulu qu’ils soient les plus « normaux » possibles. Surtout, ne rien espérer. Surtout, se rappeler de ce qu’a dit le médecin : « Préparez-vous à l’échec. » Je suis prête. Deux semaines plus tard, j’ai pourtant les mains qui tremblent quand je fais mon test de grossesse. Quand le mot « enceinte » se met à clignoter, mes jambes flageolent. Mais je souris. J’ai vraiment un mini-Viking de contrebande dans le ventre.

Trobalt, l'antiépileptique qui rendait les gens bleus

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Le Figaro du 27 août 2016 par Soline Roy GSK a annoncé qu'il allait bientôt cesser de commercialiser le Trobalt, pas assez vendu pour être rentable. Malgré son curieux effet secondaire, la molécule semble irremplaçable pour cer-tains malades.

Les neurologues en sont informés depuis cet été : pour des « raisons commerciales », le laboratoire pharmaceutique GSK a décidé, à partir de juin 2017, de cesser définitivement et partout dans le monde de vendre l'antiépileptique Trobalt (rétigabine), « en raison de son utilisation très limitée et de la baisse continue du nombre de patients traités ». Les médecins doivent donc « commencer à identifier des alternatives médicamenteuses ». Problème : pour un certain nombre de malades, il n'existe tout simplement pas d'alternative… « Le Trobalt n'est pas très bien supporté », admet le Dr

Arnaud Biraben, neurologue épileptologue au CHU de Rennes. En particulier, vertiges, somnolence et fatigue poussent de nombreux patients à arrêter le traitement. « Cela a eu comme conséquence une réduction très importante de son usage dès le début de son utilisation et finalement très peu de patients en prennent encore », note le Pr Philippe Derambure, neurologue au CHRU de Lille, qui re-connaît qu'il est néanmoins « très efficace dans certaines formes d'épilepsie très résistantes aux autres traitements ». Le bénéfice est alors « révolutionnaire », insiste son confrère rennais, qui a participé aux premiers essais de la molécule. Car la rétigabine a une particularité : elle est la seule à agir sur les canaux potassiques, qui participent à la régulation de l'activité électrique des neurones.

« L'un des premiers patients que j'ai traité avec le Trobalt faisait des crises d'épilepsie tous les jours, et aucun autre médicament n'était efficace, se souvient Arnaud Biraben. Puis, avec la rétiga-bine il a totalement arrêté de faire des crises ! » Lorsque l'essai s'est achevé, l'homme a donc pu continuer à bénéficier du traitement à titre compassionnel jusqu'à sa commercialisation. Et ce même lorsqu'il est devenu le premier à déclarer un étrange effet secondaire… Car le Trobalt a une autre particularité : à force de le prendre, certains patients deviennent… bleus ! Une pigmentation des ongles, des lèvres, de la peau et des muqueuses peut en effet apparaître au fil du temps, a priori sans gravité médicale, sauf éventuellement si elle touche la rétine. Cette coloration semble due à des dé-pôts médicamenteux dans la peau, indique Arnaud Biraben, et serait réversible à l'arrêt du traite-ment. Autorisée en Europe en mars 2011, la rétigabine a donc vu en juin 2013 son indication limitée aux patients chez qui les autres molécules sont inefficaces, avec une surveillance accrue notamment ophtalmologique.

Quant au premier patient du Dr Biraben, « au bout de quinze ans de traitement il a très clairement une peau bleue avec des reflets métalliques. Mais peu lui importe : son couple était au bord de la rupture, il avait perdu son permis de  conduire et n'était pas loin de perdre son travail de menui-sier… Hors de question pour lui d'interrompre le traitement ». Et le médecin de redouter le jour où il devra lui annoncer que le médicament qui a changé sa vie va bientôt disparaître. Son espoir : que la molécule puisse être reprise par un laboratoire spécialisé dans la commercialisation des médica-ments orphelins. Il n'existe peut-être pas de place commerciale pour le Trobalt au sein de la ving-taine d'antiépileptiques disponibles. Mais médicalement, celle-ci semble incontestable, ne fût-ce que pour quelques centaines de malades.

Avortement : la guérilla virtuelleLibération du 30 août 2016 par Virginie BalletLe gouvernement s’organise pour contrer les actions des mouvements anti-IVG, dont la jeune génération exerce désormais sa propagande sur Internet.

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« Et si Pikachu n’était jamais né ? » L’inscription a surgi début août, en plein engouement pour le jeu Pokémon Go, sous forme de tags sur les trottoirs réalisés jusque devant les centres du Planning familial. Elle était accompagnée d’une silhouette du plus célèbre des pokémons, d’un mystérieux hashtag #sauvezpikachu et de l’adresse d’un jeu sur mobile. Enième coup du mouvement anti-IVG les Survivants, cette opération de guérilla marketing est symptomatique des récentes stratégies mises en œuvre par cette nouvelle génération de militants contre un droit pourtant acquis il y a plus de quarante ans. Rajeunis, résolument connectés, c’est sur Internet et les réseaux sociaux, en s’ap-propriant les codes des très jeunes adultes, qu’ils misent pour répandre leur propagande.

« En réalité, cette mouvance n’a jamais disparu depuis la loi Veil », clarifie Nora Tenenbaum, de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac), pour qui « sur le fond, ils partagent les mêmes positions que leurs prédécesseurs ». Les Survivants actuels, qui revendiquent entre 500 et 800 inscrits sur leur site (un chiffre impossible à vérifier), ne sont de fait que la résurgence d’un mouvement né à la fin des années 90 et dont faisait partie leur porte-pa-role, Emile Duport, aujourd’hui âgé de 36 ans. Loin, donc, de l’« envie spontanée » née autour d’un café, que ce patron d’une agence de communication numérique aime à vanter. Leur credo ? Les jeunes nés après la loi Veil de 1975 avaient « une chance sur cinq d’y passer, vu qu’on pratique chaque année en France 220 000 avortements pour 800 000 naissances ».

« Ils flirtent avec les limites de la loi »Début juin, une centaine d’entre eux se rassemblaient à Paris pour un premier happening, au milieu d’autant de manifestants scandalisés par leur discours. Ces militants se disent révoltés par « la pla-nification froide des naissances » (que leur porte-parole compare à une « loterie ») et le « traumatisme » généré selon eux par le droit à l’avortement dans la société française. Cette diatribe n’est pas sans rappeler le discours des mouvements pro-vie. « Oui, au tout départ, le mec qui a eu l’intuition des Survivants première génération était salarié de la Trêve de Dieu », l’un des mouve-ments anti-IVG les plus extrémistes, admet Duport, qui nie toutefois tout lien des Survivants avec cette mouvance, ou même avec le monde politique et religieux. « On n’a rien à voir avec la bigote de service qui dit que c’est un crime, et on ne culpabilise pas les femmes », prétend-il. Au poignet, ce catholique assumé, né dans une famille de huit enfants, porte un bracelet siglé du nom de Joyce Meyer, auteure et conférencière chrétienne américaine. En guise de modèles, il cite mère Teresa et Jérôme Lejeune, découvreur du gène de la trisomie 21 et fervent militant anti-avortement. En 2005, c’est ce même Emile Duport qui lançait en France la « life parade » pour « promouvoir la famille et la dignité de la personne humaine » et militer contre l’homoparentalité, avec le soutien notamment de la fondation Lejeune.

Depuis, ce fils d’un « père dans le pinard » et d’une « maman prof de lettres », qui a fait toute sa scolarité dans des établissements privés catholiques, s’est lancé dans une véritable croisade contre l’IVG, après avoir « donné un coup de main » à « Frigide » Barjot, qui est « une amie », pour les visuels de la Manif pour tous. Selon la Croix, qui lui consacrait un court portrait en 2010, il aurait aussi exercé comme « conseiller en communication pour une agence qui travaille notamment pour l’Eglise ». A la fin des années 80, les commandos anti-IVG s’enchaînaient dans les blocs opéra-toires des établissements pratiquant des interruptions volontaires de grossesse. Les nouveaux acti-vistes, qui se revendiquent de « l’agitprop », se sont rabattus sur Internet. « Ils flirtent avec les li-mites de la loi », déplore Anaïs Bourdet, auteure du blog féministe Paye ta shnek et initiatrice d’une campagne en ligne de réinformation sur l’IVG. Depuis la loi Neiertz de 1993 et la création du délit d’entrave, chercher à empêcher une femme d’avorter ou perturber l’accès aux établissements fait encourir jusqu’à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. En 2014, ce délit a été élargi aux tentatives d’empêcher de s’informer, via un amendement incorporé à la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Sauf que le texte ne s’applique pas aux sites Internet anti-avorte-ment, ni aux marches pro-vie, au nom de la liberté d’expression.Résultat : certains, comme Emile Duport, s’engouffrent franchement dans la brèche. Outre les Sur-vivants et Sauvezpikachu, le militant a ainsi déposé cette année au moins trois autres noms de do-maine pour des sites du même acabit : Afterbaiz.com, Parlerdemonivg.com et Testpositif.com. «

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Afterbaiz, ce n’est pas moi exactement : j’ai déposé l’URL en mon nom, mais il y a plein de gens derrière, notamment des éducateurs », jure-t-il. Design soigné, tutoiement de rigueur, couleurs vives, gifs et instrumentalisation de personnalités en vogue sont des caractéristiques communes à cette flopée de sites à la rhétorique similaire, sur lesquels les onglets dédiés à la grossesse laissent eux aussi peu de doutes quant à leurs intentions.

Sur le site des Survivants, on peut même lire : « Il faut savoir que les cas de fécondation après un viol sont excessivement rares. Le corps de la femme est fait de telle sorte qu’il y a un phénomène naturel bloquant la fécondation lors du viol. » Quand on questionne Emile Duport sur ce point, il ose : « La société produit du viol, parce qu’elle produit de la violence. Il faut prendre le problème par le bon bout: l’avortement produit de la violence, et donc quelque part, produit du viol. La vio-lence produit la violence. » La tête de pont des Survivants est en revanche beaucoup moins loquace sur le financement de son mouvement, se bornant à évoquer « des dons privés », sans autre préci-sion. Interpellée sur cette nébuleuse, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, observe auprès de Libération que « les courants hostiles à l’IVG n’ont jamais renoncé ni en France ni ailleurs. Pour autant, chez nous, leur influence n’a fait que décroître. C’est sans doute pour cette raison qu’ils sont sporadiquement bruyants et cherchent des actions spectaculaires ». La ministre exprime sa « confiance dans la société française » et sa « vigilance à l’encontre des menaces de régression ». « Numériquement, ces gens sont plutôt de l’ordre du groupuscule, mais ce sont leurs façons de militer qui les rendent très visibles », précise Marie Allibert, porte-parole d’Osez le féminisme, qui craint « une glamourisation de ce discours et un rajeunissement de sa cible » et qui attribue cette mobilisation rajeunie aux « désœuvrés de la Manif pour tous ».

« On a vu les anti-IVG se développer progressivement sur Internet depuis trois ou quatre ans », ob-serve pour sa part Caroline Rebhi, membre du bureau du Planning familial, qui poursuit : « Ils laissent des commentaires sur notre page Facebook et abondent les forums comme Doctissimo de témoignages bidonnés évoquant des IVG traumatisantes. On peut notamment en déduire que ces gens maîtrisent très bien les rouages d’Internet. » Pour les contrer, militants, politiques et associa-tifs luttent avec les mêmes outils qu’eux, en détournant leurs hashtags pro-vie, ou en relayant sur les réseaux sociaux l’information fiable en la matière.

Le nerf de la guerre, le référencementDès 2013, le gouvernement a mis en place un site Internet recensant toutes les informations et res-sources officielles sur l’IVG et renvoyant vers le numéro vert du Planning familial (0800 08 11 11). Mais le ministère de la Santé confie devoir mener une « guerre acharnée » contre cette infatigable propagande. Au début de l’année, un groupe de travail a même été constitué sur le sujet au sein du cabinet de Marisol Touraine. Le nerf de la guerre ? Le référencement. Et en ligne de mire : le mas-todonte ivg.net tenu par l’association anti-avortement SOS détresse, qui remonte régulièrement en tête des résultats des moteurs de recherche. Pour reprendre le dessus et apparaître dans les annonces payantes de ces derniers, le gouvernement a dû investir.

Notamment pour améliorer le « référencement naturel » du site officiel. Là, c’est un véritable arse-nal qui a été déployé : outre la campagne « IVG, mon corps, mon choix, mon droit » lancée à l’au-tomne, un audit technique pour optimiser la structure du site, une actualisation systématique des contenus, une meilleure utilisation des mots-clés, des relais sur les réseaux sociaux et d’autres sites partenaires, des contenus plus interactifs pour s’adresser au jeune public ciblé par les anti-IVG… Un combat presque infini, qu’il faut sans cesse renforcer, mais qui semble porter ses fruits : le site ivg.gouv.fr affiche désormais une visibilité estimée à 80 %, contre 20 % environ pour Ivg.net. Ces mots de Simone de Beauvoir trouvent aujourd’hui toujours un écho : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

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Sida, des patients experts de leur maladieLa Croix du 30 août 2016 par Pierre BienvaultEn Afrique, des personnes vivant avec le VIH participent à la formation des médecins ou agents de santé pas toujours à l’aise face au savoir des malades.

Marcelline Ouedraogo a pris le micro et, en deux phrases, elle a dit l’essentiel. « Je suis une per-sonne séropositive depuis dix-huit ans, sous traitement depuis treize ans. Et aujourd’hui, je suis pa-tiente aide formatrice dans mon pays, le Burkina Faso. » Puis, à la fin de son intervention, elle a ex-pliqué qu’elle faisait partie de ces malades qui trouvent important de ne pas se taire. Surtout face à un professionnel de santé chargé de les soigner. « Nous, personnes séropositives, nous revendiquons le droit de faire part de notre expérience, notre vécu. Et de donner notre avis sur les soins qui sont délivrés. Car c’est de notre santé qu’il s’agit », a expliqué cette militante venue du Burkina Faso, responsable du service psychosocial de l’association AAS (Association African Solidarité). C’était au mois de juin, à Paris, lors d’un colloque de l’association Sidaction. Une session sur la « parole et les savoirs des personnes séropositives ». Un sujet essentiel dans une maladie comme le sida où, de-puis le début de l’épidémie, les personnes touchées se sont imposées comme des expertes de leur santé. Des patients informés, parfois contestataires, décidés à ne pas laisser une médecine parfois très paternaliste choisir seule ce qui était le mieux pour leur santé.

Des patients dans la peau des médecinsC’est dans cet esprit que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2004, dans 30 pays d’Afrique, un programme de « patients aides formateurs ». Recrutées dans des associations, ces per-sonnes séropositives suivent une formation de trois à cinq jours afin d’être capables d’animer des « ateliers de compétences » pour des médecins ou des agents de santé. Durant ces ateliers, elles vont jouer le rôle d’un « vrai-faux patient » dans le cadre d’une simulation de consultation médicale. « On voit alors comment l’agent de santé nous prend en charge. Et à la fin de l’exercice, on lui fait un retour sur la manière dont il a mené la consultation, sur les points positifs ou ceux à amélio-rer », a expliqué Marcelline Ouedraogo. Selon elle, ces ateliers permettent de « réduire la stigmati-sation » contre les personnes vivant avec le VIH. « Avant d’aller soigner des vrais patients sur le terrain, ces agents ont eu l’occasion de côtoyer des personnes séropositives et de mieux com-prendre la réalité de leur vécu », a-t-elle souligné, tout en avouant que l’intervention de ces patients formateurs suscite encore des résistances. « Avec certains agents de santé, le contact est parfois un peu difficile. Ils nous reprochent de vouloir leur apprendre leur métier. En Afrique, certains agents de santé ont le sentiment de tout savoir et de pouvoir faire ce qu’ils veulent avec les patients. » Dans le cadre d’une formation universitaire suivie en 2012, Florence Thune a étudié l’impact de l’intervention de ces patients aides formateurs. Elle en a tiré un bilan positif tout en notant, elle aus-si, certaines réticences chez ces professionnels du soin, ayant du mal à considérer ces patients comme des experts. « Médecins comme infirmiers se réfèrent pour la plupart à la manière dont ils ont eux-mêmes été formés, notamment dans les facultés de médecine, où la majorité des cours est délivrée sous une forme magistrale, fondée sur la transmission de savoirs théoriques », écrit Flo-rence Thune* dans un article paru en 2013. « Cette notion d’expertise semble donc représenter un obstacle pour les médecins et infirmiers, comme si le fait que le patient devienne un expert puisse aussi “menacer” leur statut de personnes diplômées », ajoutait-elle. Ce qui montre le chemin qui reste à parcourir pour que les patients arrivent à convaincre ceux qui les soignent que la médecine n’est pas uniquement une affaire de diplôme.

*Aujourd’hui directrice des programmes au Sidaction

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Les fausses promesses de la thérapie cellulaire aux États-UnisLe Figaro du 22 septembre 2016 par Aude RambaudUne étude de la revue Cell Stem Cell démontre qu'aux États-Unis 570 cliniques proposent des traitements non validés scientifiquement et non approuvés par les autorités de santé.

« Charlatanisme officialisé. » Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques au Genopole d'Évry, n'y va pas par quatre chemins pour qualifier les pratiques de centaines de cliniques privées aux États-Unis. En cause, l'offre de thérapies cellulaires non validées, impliquant l'injection de cellules souches pour traiter des dizaines de maladies.

À ce jour, seule l'utilisation de cellules souches hématopoïétiques provenant du placenta ou du cor-don ombilical est autorisée pour traiter certains cancers du sang ou maladies immunitaires. Mais la législation est très complexe outre-Atlantique, et des dizaines de praticiens en exploitent toutes les faiblesses, voire la contournent, prétendant soigner l'arthrose, des lésions osseuses ou du cartilage, la maladie d'Alzheimer ou de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique ou encore… l'autisme. C'est le constat alarmant de deux chercheurs américains qui ont fait une étude détaillée de l'offre de thérapie cellulaire sur leur territoire, où il est pourtant de bon ton de dénoncer le tourisme médical dans cette indication vers le Mexique, les Caraïbes ou encore l'Ukraine. Leurs travaux parus dans la revue Cell Stem Cell montrent que 570 cliniques proposent ces traitements dans des indications non validées scientifiquement et non approuvées par les autorités de santé. « Des milliers de patients pourraient être concernés », explique Leigh Turner, coauteur de cette étude au centre de bioéthique et de santé publique de l'université du Minnesota. Pour arriver à ce résultat, les deux auteurs ont simplement effectué une recherche poussée sur Internet des centres vantant leurs pratiques directe-ment auprès du grand public. « Le résultat est assez paniquant, avec des indications complètement folles. Un centre prétend par exemple travailler avec des cellules dites iPS, alors que la technique n'est pas au point. D'autres prétendent soigner l'autisme ou la maladie d'Alzheimer à partir de cel-lules souches mésenchymateuses, alors que ces cellules ne peuvent pas se différencier en neurones ! », s'alarme Marc Peschanski.

Il faut dire que se lancer dans la thérapie cellulaire n'a rien de sorcier. Des cellules souches peuvent être prélevées à partir de placenta, de cordon ombilical, de tissus adipeux ou encore de moelle os-seuse. Ces cellules sont ensuite réinjectées dans les zones du corps à soigner, en espérant qu'elles se différencieront en cellules fonctionnelles ou libéreront des substances favorables à la régénération locale des tissus. Des centaines d'essais thérapeutiques sont en cours dans le monde avec différents types de cellules souches dans des domaines très variés : rhumatologie (arthrose, polyarthrite rhu-matoïde), myopathies, ophtalmologie (dégénérescence maculaire liée à l'âge, dystrophie maculaire de Stargardt), cardiologie (insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral), diabète de type 1, maladies auto-immunes… Comme si ces cellules souches pouvaient finalement tout soigner.

Mais si « certains essais semblent prometteurs, comme dans l'arthrose, d'autres sont globalement négatifs, comme dans l'infarctus du myocarde », clarifie Marc Peschanski. Et surtout, des travaux expérimentaux prometteurs ne peuvent être directement transférables en clinique. Les chercheurs doivent d'abord vérifier le devenir des cellules dans l'organisme, l'innocuité de ces traitements, et confirmer l'efficacité de la technique sur des cohortes de patients volontaires.

Et ces traitements « sauvages » avec des cellules souches ne sont pas sans risque. Des chirurgiens ont récemment trouvé une masse de cellules étrangères au niveau de la moelle épinière d'un patient qui avait reçu différentes injections de cellules souches dans différents pays. Un cas suffisamment éloquent pour être publié dans le prestigieux New England Journal of Medicine. Il existe également

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un risque de contamination bactérienne des cellules souches, lors de leur manipulation ou de leur in-jection, notamment dans le cerveau. Mais le risque principal, selon Leigh Turner, est « d'ordre mo-ral et éthique. Les médecins qui proposent des indications non validées ciblent des patients désespé-rés qui dépensent des dizaines de milliers de dollars dans des traitements inefficaces. Certains font même appel au crowfunding pour se soigner. »

De son côté, la FDA, l'agence du médicament et des produits de santé américaine, quelque peu dé-passée par l'affaire, se dit « extrêmement préoccupée par ce phénomène et encourage toute personne ayant connaissance de ces pratiques à leur en faire part et à rapporter tout effet indésirable associé ». Et si elle refuse de discuter des actions en cours, elle assure être mobilisée sur plusieurs cas.

Lyme, une guerre d'expertsLe Figaro du 26 septembre 2016 par Soline Roy

Bien portants qui s'ignorent pour les uns, patients méprisés et négligés pour les autres… les malades sont pris dans une bataille qui n'en finit pas.

Elle pourrait être l'héroïne un peu perverse d'un roman noir. Borrelia burgdorferi, bactérie impliquée dans la maladie de Lyme, en possède la beauté et l'art du déguisement : spiralée dans sa forme ac-tive, elle sait s'arrondir lorsqu'elle est en sommeil ou se cacher dans des biofilms, selon plusieurs études parfois contestées. Son véhicule est une bestiole peu ragoûtante, la tique. Et la liste de ses possibles méfaits est interminable, touchant plusieurs organes, de la peau au système nerveux, en passant par des atteintes articulaires et cardiaques. « La grande imitatrice », nomme-t-on la maladie de Lyme, comme hier la syphilis. Étonnante bactérie, décrite en 1982 par le chercheur américain Willy Burgdorfer. La belle est l'objet de bien des fantasmes et de toutes les batailles : les tests biolo-giques ne sont pas fiables, les médecins généralistes ne la connaissent pas assez, les symptômes sont très variables et la question des formes persistantes est débattue.

La maladie a en tout cas le don de faire sortir de leurs gonds médecins et chercheurs, y compris les très policés membres de l'Académie nationale de médecine. Mardi dernier, une séance lui était consacrée rue Bonaparte. Dans l'orchestre, une petite centaine de dignes médecins venus écouter les experts ; au balcon, un public presque aussi nombreux et frémissant au fil des interventions. « La maladie de Lyme est un sujet important, si l'on juge par le nombre de personnes venues nous re-joindre », glisse le président de l'Académie en introduisant les débats.

Les tiques sont « reconnues comme un danger émergent pour la santé humaine », les manifestations cliniques de Lyme, « parfois simples, peuvent être complexes », les patients « émettent des plaintes qu'il faut entendre », amorce timidement le Pr Patrick Choutet, de l'Institut national de médecine agricole, coorganisateur de la session avec le Pr François Bricaire, spécialiste des maladies infec-tieuses à la Pitié-Salpêtrière. Lequel distingue « une vision classique, orthodoxe » de Lyme, cohérente avec la conférence de consensus de 2006, et « une vision beaucoup plus large mais incertaine, débouchant sur des prises en charge nombreuses mais aux limites imprécises ».

L'ambiance est feutrée et le ton élégant, mais le propos sévère. Un peu seul au milieu des « orthodoxes », le Pr Christian Perronne, spécialiste des maladies infectieuses à l'hôpital de Garches, tentera de faire entendre une autre vision de Lyme, de moins en moins minoritaire dans le monde. « J'ai trouvé votre exposé peu rationnel et vous demande de prendre une position plus conforme à la réalité », lui lance le Pr Marc Gentilini, autre spécialiste du domaine. « Je ne suis pas complètement farfelu et ne suis pas le seul à penser ainsi », rétorque Perronne. « Plusieurs personnes ont trouvé assez odieuse la façon dont on m'a traité… », soufflera-t-il plus tard. Lui peut au moins se réjouir d'avoir été applaudi par le public, quand des huées vite étouffées accueillaient la saillie de Gentilini.

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Sauf la question de l'érythème migrant, lésion dermatologique qui signe sans conteste la maladie de Lyme, les experts s'accordent sur bien peu de points. Or l'apparition d'un érythème n'est pas systé-matique, et c'est là que tout se complique… Car la bactérie Borrelia est farouche : fragile, lente à se multiplier et difficile à cultiver, elle ne se prête guère à la culture in vitro ; elle a tendance à se ca-cher dans des tissus difficiles d'accès, et sa charge bactérienne très faible la rend difficile à examiner au microscope.

Quant aux tests biologiques indirects, qui mesurent les anticorps dirigés contre la bactérie, ils ont été jugés peu fiables par le Haut Conseil à la santé publique en 2014. Les anticorps recherchés ne sont pas présents à toutes les phases de la maladie. Les souches utilisées ne sont pas toujours celles présentes sur le territoire. En outre, une partie de la population a été exposée à Borrelia et possède des anticorps, sans être malade : mais le seuil à partir duquel on considère qu'un résultat est positif a été défini « à une époque où Lyme était considérée comme une maladie rare et il n'a jamais bougé malgré l'évolution des connaissances », s'insurge Perronne. Quant aux techniques par amplification génétique (PCR), elles restent réservées à quelques laboratoires spécialisés… dont des labos vétéri-naires !

Seconde ligne de front, la question des formes persistantes de Lyme. « Quand il n'y a pas d'histo-rique de morsure de tique, qu'il n'y a pas eu d'érythème et que la sérologie est négative, vous admet-trez qu'on peut raisonnablement penser qu'il n'y a pas de Lyme », glisse un médecin. « Tout n'est pas Lyme, convient Christian Perronne. Mais il faut arrêter de dire que tous les patients sont des ma-lades imaginaires ! » Et d'évoquer plusieurs patients, malades depuis de longues années avec par-fois des diagnostics graves comme une sclérose en plaques et guéris en quelques mois par une anti-biothérapie. Des cas qui paraîtraient miraculeux s'ils n'émanaient d'un professeur de médecine de l'AP-HP. Beaucoup d'experts considèrent que pour les Lyme chroniques, trois semaines d'antibio-thérapie est un maximum suffisant. « C'est ignorer la réaction de Jarisch-Herxheimer, répond Per-ronne. Comme dans la syphilis, les symptômes explosent au début du traitement pour régresser en-suite. Pour Lyme, cela peut commencer jusqu'à trois semaines après le début du traitement et faire le yo-yo pendant des mois avant la guérison. »

La ministre de la Santé doit, cette semaine, rencontrer les associations de malades et annoncer un « plan Lyme ». Espérons qu'il répondra au souhait émis par l'Académie de médecine : « La maladie de Lyme est une mauvaise réponse à une bonne question, jugeait mardi le Pr Bricaire. Il faut sortir de l'empirisme et des affirmations gratuites, et mener des études scientifiques sérieuses. » La méde-cine basée sur les preuves appliquées à Lyme, voilà qui aurait le mérite de l'originalité.

PMA : 70 % des couples ont un bébé dans les cinq ansLe Figaro du 27 septembre 2016 par Anne PrigentUne étude danoise a recensé le taux de succès après une fécondation in vitro (FIV) ou une in-sémination artificielle.

Sept couples sur dix faisant appel à la procréation médicalement assistée auront un enfant dans les cinq ans. La majorité des grossesses auront lieu suite aux traitements contre l'infertilité, mais 14 % d'entre elles surviendront spontanément. Ces données, porteuses d'espoir pour les couples qui s'en-gagent dans un parcours difficile, ont été présentées lors du congrès annuel de l'European Society for Human Reproduction and Embryology, qui se déroulait cette année à Helsinki. Des chercheurs danois ont analysé les données de près de 20 000 femmes ayant entamé un traitement d'assistance médicale à la procréation entre 1997 et 2010. Celles-ci ont eu recours soit à une insémination artifi-

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cielle, technique la plus ancienne qui consiste à déposer du sperme dans l'utérus de la femme, soit à une fécondation in vitro (FIV). Le nombre de naissances a été noté, que celles-ci soient arrivées en dehors d'un cycle de traitement ou après la dernière tentative.

Est-ce que ces données sont transposables en France ? Nous avons posé la question à l'Agence de la biomédecine qui nous a livré les résultats préliminaires d'un travail présenté lors des journées de la Fédération française d'étude de la reproduction, qui se sont déroulées du 21 au 23 septembre. Sur la période 2007-2014, sur les quelque 130 000 femmes ayant réalisé une première ponction à partir de 2010, sans acte de FIV les trois années précédentes, 60 % d'entre elles ont accouché dans les cinq ans. « Notre étude, contrairement au registre danois, prend uniquement en compte les patientes qui entrent dans un processus de fécondation in vitro », précise le Pr Dominique Royère, de l'Agence de la biomédecine. Ce qui pourrait expliquer en partie cette légère différence entre les données da-noises et françaises. Car l'insémination artificielle est proposée lors de problèmes de fertilité moins sévères que les FIV.

Mais ces statistiques encourageantes cachent des disparités importantes liées à l'âge. Les Danois ont analysé la probabilité d'avoir un enfant en fonction de l'âge de début du traitement. Résultat : les chances de naissance à cinq ans sont de 80 % pour les femmes de moins de 35 ans, de 60,5 % pour celles de 35-40 ans et de 26,2 % pour les plus de 40 ans. Ces variations importantes se retrouvent également en France. Plus de sept femmes sur dix de moins de 30 ans entrant dans un processus de fécondation in vitro auront un enfant dans les cinq ans, contre 29 % pour les femmes de 40 à 43 ans. « C'est pourquoi, pour optimiser les chances de succès, il ne faut jamais tarder à consulter. Avant 35 ans, au bout d'un an de rapports réguliers sans grossesse, la consultation s'impose, et, après 35 ans, c'est au bout de six mois », explique le Dr Joëlle Belaisch-Allart, vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). L'âge de la mère n'est cependant pas l'unique facteur à prendre en compte. L'âge du père est également important, ou encore le taba-gisme. « Il divise par trois les chances de succès », met en garde le Dr Joëlle Belaisch-Allart.

Pour la première fois, un mineur a été eutha-nasié en BelgiqueLe Monde du 20 septembre 2016 par Jean-Pierre Stroobants

Un mineur a, pour la première fois, été euthanasié en Belgique au cours des derniers jours, a indi -qué, samedi 17 septembre, le quotidien néerlandophone Het Nieuwsblad. Un médecin qui a inter-rompu la vie de cette jeune personne – dont l’identité n’a pas été révélée – a déposé la semaine der -nière un dossier auprès de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie.Cette instance doit vérifier si une euthanasie est conforme aux critères d’une loi adoptée en 2002 et étendue aux mineurs en 2014. Les médecins sont tenus de déposer des documents auprès d’elle pour chaque interruption de vie à laquelle ils procèdent. L’enregistrement de ce premier dossier concer-nant un mineur – apparemment un jeune Flamand de 15 ans, en phase terminale – a été confirmé sa-medi matin par le président de la commission, le professeur Wim Distelmans. Selon ce cancéro-logue et professeur à l’Université flamande de Bruxelles, l’euthanasie d’un mineur demeure excep-tionnelle, uniquement réservée aux cas désespérés. Le fait qu’il ait fallu attendre deux ans et demi pour qu’un premier cas soit rapporté en est la preuve, a souligné le médecin. Jacqueline Herremans, membre de la Commission, a indiqué que le dossier ferait l’objet d’un examen « attentif et ému ». Pour Mme Herremans, ce premier dossier « pourrait inciter des médecins et des jeunes à parler plus librement » d’un sujet douloureux, mais qui recouvre une réalité bien connue.

Premier pays au monde autorisant des jeunes à choisir

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La loi étendant aux mineurs le texte de 2002 sur l’interruption de la vie a été adoptée en 2014. A l’issue d’un vote acquis à une large majorité, la Belgique est ainsi devenue le premier pays au monde autorisant des jeunes à choisir l’euthanasie. Sans limite d’âge, contrairement aux Pays-Bas, qui ont fixé un minimum de 12 ans. Les députés belges ont seulement imposé que l’enfant ou l’ado-lescent soit en « capacité de discernement », une notion longuement débattue à l’époque. Le texte énonce que le jeune malade doit se trouver dans « une situation médicale sans issue, entraînant le décès à brève échéance ». Et la loi oblige à constater que sa souffrance, « constante et insuppor-table », ne peut être apaisée. L’équipe médicale, assistée d’un psychiatre ou d’un psychologue indé-pendant, doit conclure que l’enfant a bien compris le sens de la mort. Et le consentement des pa-rents, ou du tuteur, est obligatoire. « Il ne s’agit pas de tuer une jeune personne mais de la libérer de ses souffrances », affirmaient les auteurs du texte. Les milieux catholiques ont tenté d’entraver l’adoption du texte, sans parvenir cependant à déclencher une réelle mobilisation de l’opinion. La conférence des évêques avait attendu la fin du vote pour diffuser un communiqué évoquant « un pas de trop » et « la transgression de l’interdit de tuer ». Des propos relayés par des élus démocrates chrétiens, estimant qu’on indiquait à des enfants malades que leur vie n’avait plus de valeur.

Fixer un cadre légal à une pratique déjà existanteLe CD & V (néerlandophone) et le CDH (francophone) avaient refusé de voter la proposition, mais quatre autres partis de la coalition fédérale, dirigée, à l’époque, par le socialiste wallon Elio Di Rupo, l’avaient soutenue, comme les écologistes et les nationalistes de l’Alliance néoflamande (NVA), dans l’opposition. Tous se sont ralliés à l’idée que les équipes soignantes devaient pouvoir agir légalement face à la demande de jeunes gens plongés dans « une souffrance insupportable ». Des médecins ont toutefois jugé ce texte inutile. L’un d’eux, le docteur Eric Sariban, un pédiatre et cancérologue réputé, avait publié un texte déplorant le manque d’intérêt pour les nouveaux traite-ments contre la douleur et les soins palliatifs. « Cette loi permet à des gens de se poser en défen-seurs de la veuve et de l’orphelin en utilisant des prétextes fallacieux », écrivait le médecin. « Elle est importante car totalement obsolète », ironisait-il, évoquant même « une mascarade ». D’autres experts jugeaient, en revanche, que ce texte ne faisait finalement que fixer un cadre légal pour une pratique déjà existante dans de nombreuses institutions, même catholiques, où des médecins déci-daient, à la demande pressante des parents, de mettre fin à la souffrance insupportable d’enfants ou de jeunes gens se sachant condamnés.

Comment mieux protéger le fœtus ?Le Monde du 21 septembre 2016 par Sandrine Cabut et Pascale SantiComment mieux protéger les femmes enceintes et leurs futurs enfants des risques liés à la prise de médicaments, à la consommation d’alcool ou de drogues, à l’exposition aux polluants de l’environ-nement ? Le dossier valproate (Dépakine, spécialités et génériques) a une nouvelle fois mis en lu-mière la grande vulnérabilité de l’humain en formation et les réponses insuffisantes à propos de cet enjeu de santé publique.

Découverts progressivement à partir des années 1980, les dangers d’une exposition in utero à cet antiépileptique sont maintenant bien documentés : malformations chez un enfant sur dix, troubles neurodéveloppementaux (baisse des capacités cognitives, autisme…) dans 30 % à 40 % des cas. Le valproate étant sur le marché depuis 1967 – pour traiter l’épilepsie initialement et, plus récemment, certaines formes de maladie bipolaire –, le nombre de victimes s’annonce élevé. Environ 12 000 personnes avec des troubles neurodéveloppementaux, et 3 000 cas de malformations, selon les cal-culs de l’épidémiologiste Catherine Hill. Des estimations officielles sont attendues pour 2017. Deux autres catastrophes sanitaires avaient pourtant illustré de manière caricaturale la toxicité de médica-

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ments pendant la grossesse. Le thalidomide, prescrit aux femmes enceintes dans les années 1950 pour lutter contre les nausées, a généré quelque 10 000 cas de malformations dans le monde. Ce scandale a été à l’origine de la création de la pharmacovigilance. Le bilan est lourd aussi pour le distilbène, utilisé entre 1950 et 1977 pour prévenir les fausses couches et autres complications de la grossesse. Chez les filles exposées in utero (environ 80 000 en France), il a entraîné en particulier des complications de grossesse, des troubles de la fertilité, un excès de tumeurs. Et les chercheurs en sont à identifier des effets indésirables à la troisième génération.

Alcool, infections, toxiques de l’environnement comme les perturbateurs endocriniens ou les mé-taux lourds… Bien d’autres dangers guettent les femmes enceintes, à des degrés divers selon leur mode de vie et leur niveau socio-économique. Les expositions sont différentes entre les pays riches et ceux en voie de développement, de loin les plus touchés. « Il est du devoir des autorités de santé de veiller à ce que l’environnement en général et les conditions de vie de chacun minimisent les fac-teurs de risque d’atteintes neurodéveloppementales. Elles sont en effet une des premières causes de handicap cognitif, d’inadaptation sociale et de souffrance psychique du sujet jeune », plaide le neu-ropédiatre David Germanaud (hôpital Robert-Debré, AP-HP), très engagé dans la prévention des troubles liés à l’alcoolisation fœtale, qui concernent 8 000 naissances chaque année en France. Au-delà, des associations et sociétés savantes de médecins alertent sur l’urgence à prévenir l’exposition aux produits chimiques toxiques, impliqués dans de nombreuses pathologies de la mère et de l’en-fant : fausses couches, troubles de la croissance fœtale, malformations, diabète, obésité… Tour d’horizon – non exhaustif – des principales questions.

Quelles sont les périodes le plus à risque pour l’enfant à naître ?C’est au premier trimestre de grossesse, au stade embryonnaire, que les effets d’un toxique sont po-tentiellement les plus évidents puisque, à cette période de formation des organes, ils peuvent conduire à des malformations (effets tératogènes). Les effets d’une exposition plus tardive, pendant la vie fœtale, affectent plutôt la croissance et la maturation. Des effets insidieux sur l’expression à long terme des gènes sont possibles à tous les stades. Le risque de malformation est maximal entre la 3ème et la 8ème semaine, chaque organe ayant son propre calendrier de développement. Pour le cœur, par exemple, la période critique se situe entre la 3ème et la 6ème semaine. Le cerveau est lui aus-si très vulnérable pendant cette période, mais son développement et sa maturation se poursuivent pendant toute la vie intra-utérine et jusque dans l’enfance, ce qui explique la grande fragilité du neurodéveloppement. Ainsi, l’infection par le virus Zika au premier trimestre de la grossesse est as-sociée à un risque de 1 % de microcéphalie (développement insuffisant du cerveau et de la tête) chez le fœtus ou le nouveau-né. Un taux 50 fois plus élevé que la fréquence habituelle de cette grave malformation. «  Le moment de l’agression est important, mais les effets dépendent aussi de la dose et de la nature du toxique, cette dernière comptant pour beaucoup, précise David Germa-naud. Le sujet est d’autant plus complexe qu’il existe une sensibilité individuelle, imprévisible. » De surcroît, les facteurs de risque peuvent se cumuler. « Même si certains ont un effet modeste ou difficile à individualiser, comme la consommation modé-rée d’alcool ou l’exposition à certaines molécules chimiques, il est raisonnable de les éviter car on ne sait pas ce qui peut se surajouter pour faire basculer l’anodin vers le délétère », insiste le neuro-pédiatre. C’est l’effet cocktail, décrit notamment avec les perturbateurs endocriniens.

Quelles précautions avec les médicaments pendant la grossesse ?Une femme enceinte « ne devrait en aucun cas prendre un médicament sans avoir préalablement pris conseil auprès d’un médecin, d’une sage-femme ou d’un pharmacien », avertit l’Agence natio-nale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur son site Internet. De fait, comme le souligne le pharmacologue François Chast dans Les Médicaments en 100 questions (Tal-landier, 406 pages, 14,90 euros), « la quasi-totalité des médicaments traversent le placenta, et ad-ministrer un médicament à la maman, c’est aussi l’administrer au futur bébé ». « Il faut réduire au maximum les prises médicamenteuses pendant la grossesse, martèle Dominique Martin, directeur général de l’ANSM. Certains médecins prescrivent trop facilement des traitements. » Selon lui,

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l’état d’esprit doit changer, avec une communication des autorités sur des risques alors même qu’ils ne sont pas encore consolidés. « Ainsi, avec les antidépresseurs, des études ont relevé un taux élevé de troubles neurodéveloppementaux chez des enfants exposés in utero. J’ai demandé d’informer les prescripteurs, en mai, sans attendre la confirmation de ces données. C’est l’une des leçons du val-proate. »

Outre cet antiépileptique, de nombreux médicaments tératogènes sont répertoriés, tels l’anti-ac-néïque isotrétinoïne (Roaccutane) ou des anticancéreux. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (aspirine, ibuprofène…) sont, eux, contre-indiqués en début de grossesse et à partir du 6ème mois, du fait des risques de mort in utero, d’insuffisance cardiaque ou rénale du fœtus. En l’absence d’essais cliniques dans des populations de femmes enceintes, les recommandations pour les médicaments sont élaborées à partir des études de toxicité chez l’animal et des données issues de femmes expo-sées au cours de leur grossesse. Il y a cinq niveaux d’usage, du plus restrictif (contre-indication) au plus ouvert (utilisation possible). « En pratique, il y a deux situations, le hasard et la nécessité, ré-sume Christine Damase-Michel, pharmacologue au centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Midi-Pyrénées. La nécessité, c’est quand la femme a une pathologie tellement grave qu’elle ne peut se passer de médicaments pendant sa grossesse. Il faut alors peser le rapport bénéfice/risque et, si nécessaire, adapter le traitement. Le hasard, c’est lorsqu’une femme a pris un produit en ne se sachant pas enceinte ou a omis de le préciser à son médecin. Dans ce cas, ce dernier peut interro-ger un CRPV ou le CRAT [Centre de référence sur les agents tératogènes]. Ces centres suivront l’is-sue de cette grossesse, et les informations seront entrées dans des bases de données. »

Alcool, tabac, alimentation… Quels sont les dangers ?Les autorités sanitaires ont beau marteler « zéro alcool pendant la grossesse », le message n’est pas encore passé : 75 % des Français méconnaissent les risques encourus par une femme enceinte qui consomme, même modérément, de l’alcool. Pourtant, les troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF) sont la première cause non génétique de handicap mental et d’inadaptation sociale. Allant de tableaux très sévères avec malformations à des formes plus modérées de troubles neurodévelop-pementaux, les TCAF concernent presque un individu sur cent dans le monde occidental. Le taba-gisme est lui aussi à éviter, compte tenu des risques pour la grossesse (fausse couche, grossesse ex-tra-utérine, accouchement prématuré…) et le fœtus (retard de croissance intra-utérin en particulier). Concernant l’alimentation, les précautions à prendre pour éviter des infections comme la toxoplas-mose ou la listériose (à l’origine de malformations et autres atteintes graves du fœtus ou du nou-veau-né) font consensus et sont intégrées dans les suivis de grossesse. Il n’en est pas de même pour l’exposition aux pesticides. De plus en plus de médecins prônent la prudence. Ainsi, le Réseau En-vironnement Santé (RES) recommande aux femmes enceintes de manger en priorité des produits frais, non traités, non emballés, bio de préférence, pour éviter les pesticides, et d’éviter les canettes contenant du bisphénol A.Quel est l’impact de l’environnement ?Pesticides, polluants atmosphériques, plastiques alimentaires (bisphénol A, phtalates…), solvants… La liste est longue des toxiques présents dans la chaîne alimentaire et dans l’environnement profes-sionnel ou domestique. Or, des expositions in utero à ces substances, dont certaines sont des pertur-bateurs endocriniens, peuvent favoriser de nombreuses pathologies : hypospadias (malformations de l’urètre), obésité, diabète, cancers… Face à des risques démontrés, les appels des sociétés savantes des professionnels de la naissance se multiplient. Ainsi, la Fédération internationale des gynéco-logues obstétriciens (FIGO) a alerté en octobre 2015 sur l’urgence d’agir. « L’exposition à des pro-duits chimiques toxiques au cours de la grossesse ou l’allaitement est ubiquitaire », note la FIGO, qui s’inquiète de ce qu’"aux Etats-Unis, une femme enceinte est en moyenne contaminée par au moins 43 substances chimiques différentes" ».

Les professionnels français montent également au créneau. « Les preuves sont irréfutables et de nombreuses études et publications scientifiques démontrent les effets et les conséquences pour les fœtus et nouveau-nés d’une exposition à des perturbateurs endocriniens », écrivait Philippe De-

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ruelle, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens, début 2016, sur le site du -Comité développement durable santé. De leur côté, les autorités sanitaires recueillent des données. Santé publique France étudie l’exposition des femmes enceintes à de nombreux polluants, en mesu-rant leur concentration dans le sang, les urines, les cheveux. Ses travaux s’inscrivent dans le cadre du programme national de biosurveillance, qui comprend un volet périnatal, en lien avec l’Etude longitudinale française depuis l’enfance (ELFE), une cohorte d’environ 18 000 enfants nés en 2011. Les données devraient être publiées début 2017 et permettre notamment d’établir des valeurs de ré-férence dans la population, explique Clémence Fillol, responsable de l’unité biosurveillance à Santé publique France. Une autre cohorte de l’Inserm, Pélagie (Perturbateurs endocriniens : étude longitu-dinale sur les anomalies de la grossesse, l’infertilité et l’enfance), suit quelque 3 500 mères et leurs enfants. Elle a notamment montré que le risque de donner naissance à un enfant présentant une mal-formation congénitale est 2,5 fois plus élevé chez les femmes enceintes exposées professionnelle-ment aux solvants.

« Il faut traduire tous ces résultats en prévention. Aujourd’hui, ils ne sont pas pris en compte dans les pratiques médicales », regrette Pierre-Michel Périnaud, président de l’association Alerte des mé-decins sur les pesticides. Mais les spécialistes de la naissance sont parfois désarmés pour délivrer les bons messages. « Une fois qu’on a parlé drogues, tabac, alcool, il n’est pas simple d’évoquer les produits chimiques », soulignent plusieurs sages-femmes. Ce constat explique en partie les diffi-cultés à changer les comportements des futures mères. Quatre-vingt-dix pour cent ont déjà entendu parler des polluants cachés dans l’air, l’eau ou encore leur assiette, selon une enquête auprès de 500 femmes enceintes, qui vient d’être rendue publique par l’Association santé environnement France. Mais seulement un quart « font en sorte de limiter au maximum leur exposition ». La ques-tion des effets potentiels des ondes électromagnétiques, omniprésentes dans l’environnement (Wi-Fi, téléphones mobiles…), est également posée, même si les données scientifiques sont encore peu nombreuses chez les femmes enceintes.

Quelles actions de prévention vis-à-vis de l’environnement chimique ?Des initiatives se développent dans plusieurs régions, souvent avec le soutien des agences régio-nales de santé. La clinique Belledonne, à Saint-Martin-d’Hères (Isère), a été l’une des premières maternités à proposer des ateliers Nesting, ouverts depuis 2010 à toute personne qui consulte. Ces dispositifs, nés au Canada, ont été créés par l’association Women in Europe for a Common Future, qui publie de nombreux guides pratiques. « On y parle pollution, air intérieur… A chaque fois, des alternatives sont proposées pour remplacer un produit à éviter, sans accent anxiogène ni culpabili-sant », explique Delphine Dubos, sage-femme formée en santé environnementale.

A la maternité privée Natécia, à Lyon, des ateliers vont démarrer avant la fin de l’année pour infor-mer les femmes enceintes et les jeunes mamans sur les risques et les aider à agir le plus tôt possible. « Les perturbateurs endocriniens sont une bombe à retardement », s’inquiète la gynécologue Pas-cale Mirakian, à l’initiative du projet.

Au CHU de Bordeaux, une consultation novatrice s’est ouverte le 1er septembre pour des couples confrontés à un problème de reproduction : infertilité, fausses couches à répétition, antécédents de malformations… « L’idée est d’explorer leur environnement, personnel et professionnel, pour pro-poser des mesures de prévention », indique le docteur Fleur Delva, chargée du projet Aquitaine re-production, enfance, maternité et impact santé-environnement (Artémis), lancé par l’agence régio-nale de santé Aquitaine, avec la participation de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’ali-mentation, de l’environnement et du travail. Plomb et autres métaux, pesticides, tabac, alcool… L’exposition à une longue liste de toxiques potentiels est recherchée par questionnaire. Lorsqu’un facteur de risque est identifié, le niveau d’exposition est évalué par un ingénieur en santé environne-ment.

Dans l’idéal, la prévention devrait commencer bien plus tôt. « Les cours en sciences de la vie au collège pourraient être l’occasion de dire que le fœtus est un être extrêmement sensible, que le pla-

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centa n’est pas une barrière, contrairement à ce qui est souvent dit, que l’enfant va être exposé à tout ce que la mère prend, l’air qu’elle respire, les nanoparticules, sa nourriture, son eau de bois-son, tous les composés chimiques et physiques de l’environnement domestique, professionnel et gé-néral », résume le docteur Annie Sasco, épidémiologiste (Inserm, Bordeaux). Les femmes devraient être de nouveau informées dès qu’elles planifient une grossesse. « C’est la seule façon d’éviter les expositions précoces potentiellement tératogènes », insiste l’épidémiologiste.

Femmes enceintes : une surveillance dispersée et peu dotéeLe Monde du 22 septembre 2016 par Sandrine Cabut et Pascale SantiCentres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT), registres des malformations, études épidémiologiques… La France dispose de nombreux moyens pour étudier les expositions des femmes enceintes à des toxiques et les conséquences chez leurs enfants. Mais la plupart des structures fonctionnent en parallèle, et leur financement est sou-vent problématique. « L’un des enjeux majeurs est de coordonner les différents outils, car aucun n’est parfait ni suffisant à lui seul », souligne Dominique Martin, directeur général de l’Agence na-tionale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), qui plaide pour l’organisation d’une politique publique de la grossesse au sein des agences sanitaires.

Repérer les « signaux faibles »« Les études pharmaco-épidémiologiques, à partir des bases de données de l’Assurance-maladie, sont un nouvel outil puissant, poursuit-il. Dans le cas du valproate [Dépakine, spécialités et géné-riques], cela nous a permis d’identifier la population exposée et de suivre cette cohorte dans le temps. En 2017, nous disposerons de données sur le nombre de malformations parmi les enfants des femmes enceintes exposées à ce médicament entre 2011 et 2015. Nous réfléchissons à élargir cette enquête aux autres antiépileptiques. » Le système classique de pharmacovigilance, lui, est souvent critiqué, notamment parce qu’il peine à repérer des « signaux faibles ». Créée dans les suites du scandale du thalidomide – ce produit, pres-crit aux femmes enceintes dans les années 1950 pour lutter contre les nausées, a induit environ 10 000 cas de malformations dans le monde –, la pharmacovigilance s’appuie en France sur 31 centres régionaux. Leur mission principale est de suivre les effets indésirables des médicaments après leur commercialisation. Ces CRPV recueillent les déclarations, les expertisent, et sont chargés d’informer les professionnels de santé. Au CRPV de Midi-Pyrénées, à Toulouse, une question sur trois environ porte sur les médicaments et la grossesse, estime Christine Damase-Michel, pharmaco-logue responsable de l’unité médicaments, reproduction, grossesse et allaitement, qui mène des tra-vaux de recherche novateurs. Il y a dix ans, l’équipe a ainsi mis sur pied la première base de don -nées en population générale pour étudier les médicaments prescrits et remboursés pendant la gros-sesse. « Nous pressentions que la consommation de médicaments pendant la grossesse était impor-tante en France, mais il y avait peu de données. Dans le cadre de sa thèse de doctorat en pharma-cie, Isabelle Lacroix a analysé les prescriptions chez 1 000 femmes enceintes habitant en Haute-Garonne. Les résultats nous ont interpellés », raconte Mme Damase-Michel.

Il y a de quoi : 99 % d’entre elles s’étaient vu prescrire au moins un médicament, avec une moyenne de 16 principes actifs différents par femme. Il s’agissait le plus souvent de fer et de produits desti-nés à soulager des troubles digestifs ou cutanés. Au total, 79 % de cette population avait été exposée

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à des médicaments pour lesquels il n’existait aucune information sur leur innocuité pendant la gros-sesse, écrivaient Mmes Lacroix et Damase-Michel dans leur article, publié en 2000 dans la revue The Lancet. Une base de données a été constituée, croisant plusieurs sources pour suivre le devenir des grossesses et des enfants de façon quasi exhaustive en Haute-Garonne.

Nommé Efemeris (Evaluation chez la femme enceinte des médicaments et de leurs risques), cet ob-servatoire contient désormais les données – anonymisées – de plus de 100 000 femmes et peut être consulté en cas de besoin. Ce fut le cas par exemple pour vérifier l’innocuité des médicaments et vaccins contre la grippe chez la femme enceinte lors de la pandémie de 2009. Reste à savoir jusqu’à quand pourra survivre Efemeris. Pour l’heure, son financement reste précaire, assuré seulement par des appels d’offres. Autre maillon essentiel du dispositif, les registres régionaux des malformations congénitales connaissent eux aussi des difficultés financières. Il en existe six (Bretagne, Antilles, Auvergne, Paris, Réunion et Rhône-Alpes), qui couvrent 19 % des naissances. Leur mission est de détecter les malformations congénitales, notamment les cas groupés – les clusters –, et d’en identi-fier les causes. Leur utilité n’est plus à prouver. Ce sont les travaux du registre Centre-Ouest (au-jourd’hui scindé en deux registres, Auvergne et Rhône-Alpes) et du docteur Elisabeth Robert-Gnan-sia qui ont mis en évidence le lien entre le valproate de sodium et des cas des spina bifida, en… 1982.

Budgets limités« On se rend compte a posteriori, pour le distilbène ou le thalidomide, ou encore plus récemment pour la Dépakine, qu’il y avait eu des éléments préoccupants, des signalements de cas, des études expérimentales, mais il a fallu attendre plusieurs années avant qu’un rapport soit préparé, puis ren-du public, déplore le docteur Annie Sasco, épidémiologiste (Inserm, Bordeaux). On aurait sans doute pu prendre des décisions plus rapidement. » A la suite de l’affaire de la Dépakine, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, rendu public en février, a recommandé de sécuriser le financement des structures de pharmacovigilance. Dans la foulée, le ministère de la santé a annoncé la création d’un registre national des malformations. Des propositions devraient être faites à l’au-tomne pour organiser ce dispositif en lien avec les autres systèmes de surveillance. Jusqu’ici, chaque registre régional a son propre mode de fonctionnement, qui repose souvent sur la bonne vo-lonté de ses animateurs. Les responsables déplorent des budgets de fonctionnement limités et dont la pérennité n’est pas assurée. Ainsi, le registre d’Alsace, créé en 1979, a dû fermer en 2014. Seule une partie des données a pu être rapatriée dans un fichier européen.

Malformations congénitales : d’étranges coïn-cidencesLe Monde Science et Techno du 26 septembre 2016 par Pascale SantiExposition à un toxique ou simple hasard ? Plusieurs cas groupés de malformations congénitales, relevés en France ces dernières années, posent la question de la surveillance et de l’origine de ces anomalies rares. Une réunion organisée mardi 13 septembre à Santé publique France, qui rassemble plusieurs agences sanitaires, a fait le point sur ces suspicions d’excès de cas, les participants n’aboutissant pas toujours aux mêmes conclusions. Ces recherches, encore irrésolues, illustrent les difficultés de ces enquêtes épidémiologiques.

Les malformations en cause sont des agénésies des membres supérieurs isolées, c’est-à-dire l’ab-sence de formation d’une main, d’un avant-bras ou d’un bras au cours du développement de l’em-bryon. La prévalence de ce type d’anomalies varie entre 1,2 et 1,8 cas pour 10 000 naissances, selon les registres. Soit un peu moins de 200 naissances chaque année – bien moins que les 3 000 cas de

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malformations liés à l’administration de Dépakine à des femmes enceintes, selon les calculs de l’épidémiologiste Catherine Hill. La rareté même de ces anomalies s’accompagne d’un phénomène bien connu en statistique : à chaque fois qu’un excès de cas est observé, la question se pose de sa-voir s’il est dû au hasard, ou si ce cluster (agrégat spatio-temporel) peut avoir une origine liée, par exemple, à l’environnement. Question légitime : c’est la mise en évidence de tels « regroupements inhabituels d’un problème de santé dans un espace géographique et dans une période de temps donnés » – selon la définition de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) – qui a permis de dé-terminer le rôle tératogène du Distilbène, du Thalidomide et, plus récemment, de la Dépakine.

Trois suspicions d’agrégatsEtat des lieux. Trois bébés atteints d’agénésies de membres supérieurs sont nés entre 2012 et 2014 dans la même commune du Morbihan. Il s’agit bien là d’un agrégat, estime Santé publique France. Isabelle Taymans témoigne : sa fille est née il y a quatre ans avec une agénésie de l’avant-bras. Elle a appris, un an plus tard, qu’un enfant du voisinage était atteint d’une malformation identique. Et, par l’intermédiaire de Facebook, elle découvre en 2014 qu’une autre femme, résidant dans cette même commune, a eu un bébé avec cette malformation. Isabelle Taymans, médecin et membre d’Assedea, une association qui regroupe principalement des parents d’enfants touchés par des agé-nésies, alerte alors le registre des malformations congénitales de Bretagne. Pour l’heure, aucune cause n’a été identifiée. Les recherches se poursuivent. En Loire-Atlantique, en février 2013, un médecin rééducateur, alerté par une enseignante, signale le cas de trois enfants scolarisés dans une école maternelle, nés en 2007 et 2008, atteints d’agénésies de membres supérieurs. Il ressort, après enquête de la cellule inter-régionale d’épidémiologie (CIRE) de Loire-Atlantique (structure com-mune de Santé publique France et de l’Agence régionale de santé), qu’il ne s’agit pas d’un excès de cas.

Dans l’Ain, sur un périmètre de 17 km, six cas d’agénésies des membres supérieurs ont été identi-fiés entre 2009 et 2014 chez des enfants dont les parents résidaient dans le département au moment de la grossesse, selon le Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera), qui a mené des re-cherches actives. A partir de la fin 2014, la CIRE Rhône-Alpes a participé à la réflexion sur les in-vestigations à mener. Au vu des résultats, « il ressort que ce cluster n’est probablement pas dû au hasard », estime le Remera dans un rapport rédigé en 2015 et remis à l’InVS. Le nombre de cas constatés (six) est plus élevé que le nombre de cas attendus dans la population de l’Ain (de quatre pour le département et de 0,11 pour le périmètre géographique identifié), indique le rapport du Re-mera.Au total, « trois suspicions d’agrégats ont été signalées en trois endroits distincts, rapprochés dans le temps, de cette même anomalie. C’est rarissime pour une anomalie aussi spécifique que l’agéné-sie transverse du membre supérieur », assure Emmanuelle Amar, directrice générale du Remera. Mais les interprétations divergent. « Le nombre de cas dans l’Ain n’est pas supérieur au nombre de cas attendus », indique le docteur Véronique Goulet, épidémiologiste au programme Santé périna-tale de Santé publique France. Les méthodes de calcul ne sont pas les mêmes. Le Remera a utilisé le logiciel SaTScan, proposé par Martin Kulldorff, de l’université Harvard, tandis qu’un programme développé en Californie a été employé par la CIRE Rhône-Alpes, qui va prochainement finaliser un rapport sur le sujet. Mais pour Santé publique France, « les investigations ont été faites. Aucune cause commune à ces différents cas d’agénésies n’a pu être établie ». Pourtant, selon le rapport du Remera, s’agissant des cas dans l’Ain, « l’hypothèse la plus probable serait celle d’une exposition à un tératogène commun à ces six mères, peut-être une substance utilisée en agriculture ou en méde-cine vétérinaire ». « Ce sont des hypothèses qui restent bien sûr à vérifier », précise Mme Amar. Fait troublant, plusieurs cas de malformations de veaux (nés avec des agénésies de côtes et de queue), nés dans l’épicentre du cluster humain de l’Ain, ont été notés au cours de ces années.

Sources d’incertitude« Ces suspicions de clusters sont inquiétantes », estime Michelle Cosmao, coresponsable de la com-mission Causes et recherches à l’Assedea. « Les causes des agénésies, une fois écartées les raisons

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génétiques et les brides [filaments] amniotiques, restent assez floues », précise-t-elle. « A la nais-sance de votre enfant, c’est difficile de ne pas avoir d’explication. C’est culpabilisant, on se de-mande : qu’ai-je fait ? Puis cela s’estompe », ajoute une mère. L’étude des clusters « fait partie des plus grandes difficultés de l’investigation épidémiologique », selon le professeur William Dab, titu-laire de la chaire Hygiène et sécurité aux Arts et métiers (CNAM). « Il existe trois sources d’incerti-tudes : la nature du problème de santé – est-il isolé ou non –, la période considérée, et la zone géo-graphique. » Dans l’histoire des clusters, ajoute-t-il, « les recherches de cause ont été non concluantes dans leur grande majorité. Il peut aussi y avoir des interprétations divergentes entre experts de bonne foi ».

« Nous sommes très attentifs à d’éventuels agents tératogènes dans tous les cas d’agrégats », in-dique le docteur Goulet. « Les équipes vont faire une surveillance renforcée de ces malforma-tions », poursuit-elle. Dans tous les cas, « des moyens supplémentaires devraient être alloués pour ces investigations, notamment pour les registres, ce alors même que nous devons réduire les bud-gets », souligne l’épidémiologiste, qui elle-même a dû être rappelée pour suivre cette question. Des pistes de réflexion sont d’ores et déjà engagées : il est important que les données collectées par les registres soient codifiées de la même façon. Dans tous les cas, « il est important de rendre compte de ces résultats aux familles, ce que nous allons faire », poursuit le docteur Goulet. Dans le contexte de l’affaire de la Dépakine, qui a conduit la ministre de la santé, Marisol Touraine, à de-mander la création d’un registre national des malformations, les divergences d’appréciation sur ces suspicions d’agrégats suggèrent que ce chantier mérite la plus grande attention.

Accès à l'IVG. Les agences régionales de santé doivent livrer leur plan de bataille avant dé-cembreLe Quotidien du Médecin du 15 septembre 2016 par Coline Garré Une circulaire des directions générales de la santé et de l'offre de soins interpelle les agences régionales de santé (ARS) pour qu'elles améliorent l'accès à l'interruption volontaire de gros-sesse (IVG) sur leur territoire.

Les agences régionales de santé ont jusqu'au mois d'octobre 2016 pour réaliser, de concert avec les acteurs de terrain un diagnostic territorial sur l'accès à l'IVG dans leur région, et d'adresser avant le 30 novembre 2016 à la direction générale de l'offre de soins leur plan régional IVG, écrit Marisol Touraine en introduction d'une circulaire datée du 28 juillet (et mise en ligne la semaine dernière). Ces plans sont la déclinaison locale du programme national d'actions pour améliorer l'accès à l'IVG lancé en janvier 2015, à l'occasion des 40 ans de la loi Veil, également à l'origine de la sup-pression du délai de réflexion entre les deux premières consultations préalables à l'IVG, de l'ouver-ture de la technique médicamenteuse aux sages-femmes et instrumentale aux centres de santé, et du remboursement de l'intégralité du parcours à 100 % depuis le 1er avril 2016.

Simplifier l'accès à une offre plurielleCes plans régionaux doivent assurer l'accès à une offre diversifiée, pour que les femmes aient une liberté de choix. Les ARS sont incitées à augmenter leur vigilance lors des périodes estivales - une piqûre de rappel, un an après une instruction qui leur demandait de veiller à la continuité des par-cours de soins et notamment à ce que les délais de prise en charge n'excèdent pas cinq jours. « Vous devez veiller à ce que les établissements fournissent une offre de soins de gynécologie obstétrique complète ; et à la diversification des méthodes, des professionnels et des lieux de réalisation des IVG », lit-on. La mise en place de groupements hospitaliers de territoire (GHT) ne doit pas être l'oc-

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casion de réduire l'offre, dit en substance la circulaire. En outre, les ARS sont invitées à mener des enquêtes et audits « sur des points faibles identifiés dans l'organisation territoriale, ou des points critiques relevés dans le parcours de soins ». Elles doivent demander aux centres de santé souhai-tant développer la méthode instrumentale de leur fournir leur projet médical et de s'assurer qu'il ré-pond au cahier des charges défini par la Haute autorité de santé. Les réseaux (notamment de santé en périnatalité) peuvent être un levier de l'amélioration de la qualité, pour sensibiliser et former les médecins de ville. La circulaire sollicite une attention accrue pour les femmes en situation de préca-rité ou de vulnérabilité (dont les mineures), étrangères (auxquelles ne peut être refusée une IVG, même en l'absence de garantie de paiement ou de couverture sociale), ou au terme avancé.

Renforcer l'informationUn deuxième volet des missions de l'ARS consiste en l'amélioration de l'information des femmes. La circulaire invite les agences à consacrer des pages de leur site Internet à l'IVG, à référencer les lieux et horaires de réalisation des IVG, à soutenir les initiatives locales des associations, ou encore à lancer des campagnes de communication pour relayer les nouvelles mesures de la loi Santé de 2016. Seconde piqûre de rappel de la circulaire de l'été 2015, les ARS doivent maintenir leur sou-tien aux plateformes téléphoniques régionales du numéro national « sexualités, contraception, IVG » (0800.08.11.11) porté par le mouvement français du planning familial. Enfin, les Agences ré-gionales de Santé doivent participer au recueil d'indicateurs de suivi du nombre d'IVG, des tech-niques, des lieux, et de la qualité. Dans son rapport de juillet 2016, la commission sur la connais-sance de l'IVG estimait que les données, quoique riches, restent fragmentées entre les différentes échelles territoriales, et entre les professionnels de santé. 

Accès à l’IVG, le monde à mi-cheminLibération du 28 septembre 2016 par Virginie Ballet et Catherine MallavalSeulement 39,5 % des femmes ont pleinement accès à l’avortement. En France, un amende-ment pourrait permettre de condamner les sites « pro-vie » qui désinforment. Zoom sur des poches de résistance.

C’est un droit si fragile que, même en France, quarante et un ans après l’adoption la loi Veil autori-sant l’avortement, on en est encore à combattre. Dans le viseur de la ministre des Droits des femmes, ces sites Internet « pro-vie » qui avancent masqués pour véhiculer des informations biai-sées sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Un amendement au projet de loi « égalité et citoyenneté » devrait permettre d’élargir encore le délit d’entrave à l’avortement à ces désinforma-teurs en ligne. A la clé : deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.

C’est un droit si fragile que se tient ce mercredi une journée mondiale prônant la dépénalisation de l’avortement sur une planète où seuls 61 Etats autorisent l’IVG sans restriction. Bilan : seulement 39,5 % des femmes dans le monde ont pleinement accès à ce droit. De ce fait, plus de 21 millions d’avortements clandestins sont pratiqués dans le monde par an (sur 43,8 millions d’avortements au total), engendrant près de 47 000 décès consécutifs. C’est un droit sans cesse remis en cause. Fla-gellant sur sa base, l’Espagne a bien failli l’envoyer valser. En ce moment, la Pologne se durcit, tan-dis que d’autres font depuis longtemps de l’obstruction : Malte, Chypre, Andorre, Suriname, Hon-duras… Sans oublier l’impitoyable Irlande du Nord. « Si on veut être optimiste et que l’on consi-dère ces cinquante dernières années, alors oui on assiste à une libéralisation. Mais il y a aussi des reculs et des poches de résistance, observe Amapola Limballe, membre de la commission « Femmes » d’Amnesty International France. En outre, un seul état des lieux du droit à l’avortement ne rend pas compte de tous les obstacles pratiques auxquels doivent faire face les femmes dans le monde : les fermetures de clinique, les demandes d’autorisation du conjoint, le harcèlement à l’en-

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trée des hôpitaux, etc. » Désespérant ? « Heureusement, chaque fois que ce droit est menacé, des contre-feux s’allument dans la société civile. Comme on l’a vu en Espagne », note Amapola Lim-balle. Et puis, certains s’ouvrent petit à petit. Ainsi le Chili, qui faisait partie du club des plus stricts, est en train d’examiner une proposition de loi qui établirait des exceptions en cas de viol ou d’in-ceste. Pas la panacée, mais un petit pas.

Salvador : l’enfant ou la prisonAu Salvador, l’avortement est absolument illégal, comme au Suriname ou au Honduras. Qu’importe que la grossesse résulte d’un viol, d’un inceste ou présente un risque pour la vie de la mère : elle doit être poursuivie à tout prix selon la loi de ce petit pays catholique d’Amérique centrale. Ne pas s’y conformer fait encourir des peines de prison de huit à vingt ans aux femmes. Une vingtaine de femmes seraient d’ailleurs actuellement emprisonnées. « La terrible répression à laquelle font face les femmes et les jeunes filles du Salvador […] s’apparente à des actes de torture », dénonçait Am-nesty International en 2014. Ce qui n’a pas empêché le parti conservateur Arena de présenter cet été une proposition de loi visant à imposer des peines allant de trente à cinquante ans de prison pour les femmes mettant fin à leur grossesse, soit l’équivalent des assassinats avec actes de cruauté.

Irlande : une « violation des droits fondamentaux »C’est un sérieux rappel à l’ordre qui a été adressé à l’Irlande en juin : le Comité pour les droits hu-mains des Nations unies a estimé que la législation du pays sur l’avortement, l’une des plus sévères d’Europe, a engendré une violation des droits fondamentaux d’Amanda Mallet. La jeune femme s’était vue refuser un avortement malgré une malformation fœtale mortelle. Dans ce pays, l’avorte-ment est un crime passible de prison. Et depuis trente-trois ans, le droit à la vie de l’enfant à naître est inscrit dans la Constitution. Conséquence : environ 4 000 Irlandaises se rendraient chaque année à l’étranger pour une IVG. Toutefois, il y a trois ans, le Parlement a adopté une loi autorisant l’in -terruption d’une grossesse en cas de risque « réel et substantiel » pour la vie de la femme enceinte.

Pologne : plus dure sera la loiVotée en 1993, la loi en vigueur en Pologne n’autorise l’avortement qu’en cas de risque pour la vie ou la santé de la mère, d’examen prénatal montrant une pathologie grave et irréversible chez l’em-bryon ou de grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste. C’est l’une des plus restrictives d’Europe. Comme si cela ne suffisait pas, le Parlement conservateur poursuit ses travaux sur une proposition d’initiative citoyenne déposée par le comité « Stop avortement », interdisant complètement l’avorte-ment, à une exception près : lorsque la vie de la femme enceinte est en danger immédiat. Moins de 2 000 avortements légaux sont pratiqués chaque année en Pologne. Le nombre des IVG clandestines ou pratiquées à l’étranger reste inconnu. Les organisations de défense des droits des femmes l’es-timent entre 100 000 et 150 000.

Italie : les gynécos font objection1978, une loi autorise les femmes qui chantent dans les rues de Rome « l’utero è mio e me lo gestis-co io ! » (« c’est mon utérus, c’est moi qui le gère ! ») à avorter. Problème, ce texte souffre d’une faille judiciaire : il autorise les médecins à refuser de pratiquer des avortements pour des raisons re-ligieuses ou personnelles en se déclarant objecteurs de conscience. Or, le nombre de médecins fai-sant jouer cette clause de conscience ne cesse d’augmenter : 70 % des gynécologues l’invoquent. Ils sont encore davantage dans certaines régions du Sud. Alors que le gouvernement estime à quelque 12 000-15 000 le nombre d’avortements illégaux par an, des sources indépendantes avancent, elles, le chiffre de 50 000 cas.

Afrique : interdire et faire mourirLes lois les plus strictes n’empêchent pas les femmes d’avoir recours à l’avortement, mais cela les pousse à entamer des « procédures à risques » (médicaments, solutions toxiques, introduction d’objets dans l’utérus…), qui peuvent entraîner la mort. C’est particulièrement le cas en Afrique. Selon l’institut Guttmacher, organisation non gouvernementale américaine spécialisée dans la re-

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cherche sur la santé sexuelle et reproductive, « presque tous les décès imputables à l’avortement surviennent dans les pays en développement, principalement en Afrique ». Sur ce continent, où seuls trois pays (le Malawi, la Tunisie et l’Afrique du Sud) autorisent l’interruption volontaire de grossesse sans restriction, 98 % des avortements pratiqués seraient « non médicalisés », selon les termes de l’Organisation mondiale de la santé. Résultat : pour l’Afrique subsaharienne, le taux de mortalité s’élève à 460 avortements sur 100 000, contre 0,6 pour les Etats-Unis.

Etats-Unis : un sujet passionnelJanvier 1973, les Etats-Unis légalisent l’avortement. Par sept voix contre deux, les juges de la Cour suprême (arrêt Roe v. Wade) autorisent les femmes à décider librement d’une interruption d’une grossesse. Juin 2016, la Cour suprême réaffirme avec force ce droit, question passionnelle qui n’a jamais cessé de déchirer le pays pour moitié hostile à l’avortement. A cinq juges contre trois, l’ins-tance juge illégale une loi de 2013 au Texas qui impose aux cliniques pratiquant des avortements de posséder un plateau chirurgical digne d’un milieu hospitalier. Cet arrêt de la Cour suprême, au-delà du cas texan, est un revers cinglant pour les « pro-life » qui, dans 27 Etats (essentiellement du Sud), ont obtenu le vote de restrictions sévères au droit à l’interruption volontaire de grossesse, créant une sorte de « désert de l’avortement » de la Floride au Nouveau-Mexique, en passant par le Midwest.

Asie, Europe orientale : de plus en plus de femmes manquantesEn moyenne, dans le monde, il naît 105 garçons pour 100 filles. Mais la Chine, l’Inde et d’autres pays d’Asie enregistrent une proportion anormalement élevée de garçons chez les nouveau-nés, liée notamment à des avortements sélectifs. Il naît près de 118 garçons pour 100 filles en Chine. Et les Nations unies estiment à environ 500 000 chaque année en Inde le nombre d’interruptions volon-taires de grossesse destinées à éviter la naissance d’une fille.

Voilà la face très noire de l’avortement. Encore assombrie depuis la publication en 2013 d’un rap-port de l’Institut national des études démographiques (Ined) intitulé la Masculinisation des nais-sances en Europe orientale sur le développement des avortements sélectifs dans le Caucase du Sud et l’ouest de Balkans. Notamment en Arménie et en Azerbaïdjan.

Assistance médicale à la procréation. L'âge du père en débatLe Quotidien du Médecin du 29 septembre 2016 par Coline Garré Y-a-t-il un âge pour être père ? Le législateur, l'assurance-maladie, doivent-ils fixer une limite dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation (AMP) ? Ces questions ont été débat-tues lors des 21èmes journées de la Fédération française d'étude de la reproduction (FFER) à Paris.

Le point commun entre Yves Montand, Charlie Chaplin, Nicolas Sarkozy, Johnny Hallyday, Pablo Picasso, ou encore Anthony Quinn ? Une paternité tardive. Un fait qui peut interroger dès lors qu'il y a demande d'assistance médicale à la procréation (AMP). Si l'assurance-maladie fixe l'âge limite de la prise en charge des femmes à 43 ans, elle ne dit mot sur les hommes, qui doivent être « en âge de procréer ». Mais qu'est-ce qu'un homme en âge de procréer ?Médicalement parlant, « il n'existe pas de synthèse relatant un risque cumulé, qui intègre toutes les pathologies » que pourrait rencontrer un enfant dont le père est avancé en âge, résume le Dr Geof-

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froy Robin (gynécologie, andrologie et médecine de la reproduction au CRHU de Lille). En matière de physiopathologie, une revue de la littérature parue en 2010, montre bien un lien entre un âge avancé et des altérations de la fonction endocrinienne, de l'activité sexuelle, de la morphologie testi-culaire, de la qualité du sperme (baisse du volume de l'éjaculat, diminution de la motilité ou mor-phologie), et de la qualité de l'ADN spermatique. « On observe une décroissance réelle mais lente des capacités de reproduction pour les hommes à partir de 34 ans », poursuit le Dr Robin, y voyant une explication à l'allongement significatif du délai de procréation au-delà de 50 ans, et évoquant les risques de fausse couche.

La littérature sur l'âge paternel avancé dans l'AMP reste pour autant « abondante mais peu claire », explique-t-il. Quant aux conséquences sur la santé des enfants, le Dr Robin fait état d'un risque si-gnificatif de développer des anomalies cytogénétiques, dont une trisomie 21, d'une multiplication par 8 d'achondroplasie quand le géniteur a plus de 50 ans (« c'est une maladie rare, aussi le nombre de cas est très modéré en valeur absolue », nuance-t-il), par 1,6 du cancer du sein quand le géniteur est plus que quarantenaire, et entre 1,4 et 4,6 du risque de développer des troubles schizophré-niques - sans oublier les recherches sur les liens avec l'autisme, les troubles bipolaires, ou les muta-tions de novo

Impossible généralisationSur le plan psychologique, l'âge du père ne trouve pas de traduction univoque. Observant sa patien-tèle, le psychiatre Serge Hefez dresse un constat tout en nuance : certes, les pères âgés sont ren-voyés à leur finitude lorsqu'ils tiennent dans leurs bras un nourrisson. Mais cela ne signifie pas que les tous les bébés ressentent leur angoisse. Et les pères peuvent aussi compenser par le sentiment d'avoir enfin du temps à consacrer au nouveau-né, rapporte le D r Hefez. À l'adolescence, le rejeton peut atténuer son opposition face à un père qui serait à ménager ; mais ces conflits peuvent se re-nouer dans les familles recomposées. « On ne peut généraliser l'impact de l'âge du père sur l'enfant. Souvent ils ont à cœur de tisser une relation forte avec l'enfant, ce qui entre en balance avec les points négatifs », résume Serge Hefez. Il reconnaît néanmoins qu'une telle paternité remet en question les normes de la société, jusqu'à pro-voquer des séparations dans les familles, où des pères âgés enfantent en même temps qu'un fils ou une fille issu d'une première union. « Affleure alors le problème de l'inceste et de Peau d'âne : le papa roi qui ne veut pas lâcher sa place », conclut Serge Hefez.

Vers un remboursement lié à l'âge ?La médecine ne permettant pas de trancher net quant à la pertinence d'une limite à la paternité, le débat se fait éthique, du moins sociétal. L'équipe de Joëlle Belaish-Allart (chef du service de gyné-cologie obstétrique et médecine de la reproduction, Centre hospitalier des 4 villes, Saint-Cloud) a sondé les médecins (trouvant d'ailleurs plus d'écho chez les femmes que les hommes). Si seulement la moitié d'entre eux plaide pour une inscription dans la loi, une majorité de gynécologues (80 %) et de spécialistes de l'AMP (plus de 85 %) est favorable à ce que l'assurance-maladie conditionne le remboursement à un âge limite. « Garder le flou de la loi peut être une façon de préserver l'autono-mie des équipes, pourquoi pas », commente le Dr Belaish-Allart. Plus de 85 % des 244 spécialistes de l'AMP sondés estiment qu'un « homme en âge de procréer » a moins de 60 ans (81 % chez les hommes, 89 % chez les femmes).

Dans les faits, plus de 84 % des praticiens disent prendre en compte l'âge de l'homme dans les de-mandes d'AMP, les femmes la fixant davantage à 55 ans que les hommes plus libéraux, qui voient au-delà des 60 ans, constate Joëlle Belaish-Allart. Le sujet continue à faire débat : plus de 40 % des spécialistes de l'AMP disent ne pas être parfaitement aux faits des conséquences d'un âge avancé du père sur l'enfant et plus d'un tiers n'en informe pas les couples. Un groupe de travail au sein de l'Agence de la biomédecine (ABM) planche actuellement sur la question, dans la perspective d'un prochain plan d'action en AMP et de la révision de la loi de bioéthique. En 2006, la tentative de faire mention de l'âge du père dans le guide de bonnes pratiques avait avorté, a rappelé le D r Be-laish-Allart. 

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Le récit médiatique des « prouesses » médi-calesLa Croix du 20 septembre 2016 par Pierre BienvaultLa chirurgie de la greffe du visage a toujours passionné les médias, devenus parfois des « re-lais de communication » de l’institution médicale.

Comment médiatiser les grandes premières médicales ? Le sujet, à l’évidence, passionne Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique à l’université Paris-Sud. En décembre 2005, il était déjà monté au cré-neau lors de la première greffe du visage au monde réalisée en France. Il avait alors dénoncé un « show » médiatique « qui n’a plus rien à voir avec l’histoire de la médecine ». Avec l’annonce ré-cente du décès d’Isabelle Dinoire, la première greffée du visage, Emmanuel Hirsch a repris la pa-role. Ou plutôt la plume. Dans une tribune dans le Huffington Post, il s’interroge sur le « mutisme » du CHU d’Amiens qui, en accord avec la famille, a choisi de ne pas annoncer le décès de la pa-tiente, finalement révélé par Le Figaro.

Un soudain respect de « règles de confidentialité » que l’hôpital n’avait pourtant pas hésité à trans-gresser en 2005. « Isabelle Dinoire était devenue une personne publique. De manière étrange, le se-cret médical, qu’on lui devait, n’aura été respecté qu’à sa mort », souligne Emmanuel Hirsch.C’est ainsi : dès ses premiers pas, la greffe a toujours passionné les médias, notamment la télévision qui a su en faire un récit savamment construit. C’est ce que montre un article publié en 2013* par deux spécialistes de la communication, Philippe Chavot (université de Strasbourg) et Anne Masse-ran (université de Lorraine). Dans ce texte, ils distinguent plusieurs époques dans la médiatisation de la greffe à la télévision. La première a été « l’époque héroïque » (1950-1976) avec les premières greffes de rein et de cœur « L’opération est alors présentée sous un jour très spectaculaire. Toute-fois, la technique n’étant qu’éventuellement généralisable, les reportages insistent sur le donneur, le receveur et le scientifique, tous trois considérés comme des héros de la science et comme des exemples de solidarité », écrivent les auteurs. Deuxième période, celle de la « routinisation » de la greffe (1976-1985). La télévision s’efforce alors de montrer qu’il est « possible de greffer, que les opérations portent leur fruit, que le don est un acte quasiment anodin ».

À partir du milieu des années 1990 débute l’époque « consensuelle » qui dure encore aujourd’hui. « Les médias tendent à devenir le relais des actions de communication venant de l’institution médi-cale, notamment en ce qui concerne la sensibilisation au don d’organes », souligne l’article en ob-servant une généralisation de reportages portant notamment sur la souffrance des patients en attente, la générosité du donneur et la reconnaissance du receveur. C’est dans ce contexte que sont surve-nues les premières greffes d’abord des mains, puis du visage. « L’investissement du chirurgien dans le champ médiatique est maximal, et des collaborations s’établissent entre eux et les journalistes pour la publicisation de ces premières médicales. Des conférences de presse sont organisées, des images et des infographies sont communiquées vers les journalistes et, dans certains cas, certains reporters sont autorisés à pénétrer dans l’hôpital, et ce jusqu’aux blocs opératoires afin qu’ils puissent élaborer le récit spectaculaire de l’opération », constatent les deux universitaires.

Ces reportages mettent volontiers en scène la virtuosité du chirurgien. « Allié à la technique de pointe, il maîtrise des savoir-faire professionnels sophistiqués, est habile, consciencieux, presti-gieux. Toutefois, sa mission dépasse la seule réparation chirurgicale », constatent les auteurs. Avant d’ajouter que, sous couvert, d’information, le médecin s’octroie un rôle de « réparateur de la

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vie sociale du patient » et « légitime ainsi une pratique symboliquement, et peut-être éthiquement perturbante ».

*Dans la revue Texto ! Textes et cultures.

Une information « fiable » et « indépendante » sur les médicaments du psychismeLa Croix du 21 septembre 2016 par Pierre BienvaultPour mieux informer les patients et les médecins, le site Psycom vient de publier des bro-chures réalisées avec la revue Prescrire. Le but est de limiter les mauvais usages des antidé-presseurs et des neuroleptiques.

L’objectif est ambitieux : délivrer une information « fiable » et « indépendante » sur les antidépres-seurs et les neuroleptiques. L’initiative émane de Psycom, un organisme public sur la santé mentale qui, via notamment son site Internet*, fait un excellent travail d’information et de lutte contre les stigmatisations. En s’associant avec la revue médicale Prescrire, qui refuse toute publicité pharma-ceutique, Psycom vient de publier deux brochures sur ces médicaments. Des documents écrits en lien avec des patients. « Ces molécules sont aujourd’hui utilisées par un très grand nombre de gens et parfois à mauvais escient. Et le problème est qu’il est difficile de trouver une information de qualité sur ces pro-duits », indique Aude Caria, la directrice de Psycom. Selon une enquête de l’Ordre des médecins, 71 % des Français consultent Internet pour rechercher des informations sur leur santé. « Mais très souvent, ils ne vérifient pas la source des informations », souligne Aude Caria. Le risque, alors, est de tomber sur des données largement influencées par l’industrie pharmaceutique ou sur des discus-sions de forum de patients où circulent parfois des propos assez fantaisistes.

Or l’enjeu est considérable. En 2014, plus de 5,8 millions de personnes se sont fait rembourser au moins une boîte d’antidépresseurs. Un chiffre important, alors que plusieurs études ont mis en évi-dence le fait que ces médicaments sont souvent mal utilisés. Ils sont d’abord délivrés à des per-sonnes qui ne souffrent pas de dépression réelle, mais de simple déprime passagère. Comment faire la différence ? La brochure détaille les symptômes de la dépression : une tristesse profonde parfois accompagnée d’idées de morts ou de suicides, une perte d’estime de soi, d’intérêt ou de plaisir (pour les loisirs, la vie sexuelle…), des insomnies, une baisse d’énergie ou une difficulté à se concentrer. Élément essentiel : il faut, pour poser le diagnostic de dépression, que ces symptômes soient présents pendant « pratiquement toute la journée, presque tous les jours et pendant plusieurs semaines ». Le problème étant que certains patients vraiment dépressifs ne sont pas traités, ou pour des durées trop courtes.

En 2014, plus de 2 millions de Français se sont fait rembourser au moins une boîte de neurolep-tiques, ces produits visant à traiter les troubles psychotiques et notamment la schizophrénie. Là en-core, on constate un mauvais usage de ces molécules, comme le souligne un texte publié en juin par des chercheurs de l’Inserm dans le bulletin de l’Académie de médecine. Ils rappellent que les pre-miers neuroleptiques sont apparus dans les années 1950. Et que l’arrivée, dans les années 1990, de molécules de « deuxième génération », censées avoir une meilleure tolérance, a bouleversé les pres-criptions.

Les neuroleptiques, désormais, sont aussi largement prescrits contre les troubles bipolaires mais aussi, en dehors des indications de l’autorisation sur le marché (AMM), pour des troubles anxieux,

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de l’humeur ou des démences. Et les chercheurs de l’Inserm constatent un « phénomène para-doxal » : les risques des molécules anciennes sont « perçus comme rédhibitoires même s’ils sont bien documentés et relativement bien maîtrisés ». Alors que les « risques liés à l’usage des nou-velles molécules sont minimisés et leur prescription banalisée ».

*www.psycom.org. Les brochures sont en accès gratuit sur le site

La Pologne pourrait interdire totalement l’avortementLa Croix du 23 septembre 2016 par Magdalena ViatteauLe parlement polonais a entamé jeudi 22 septembre l’examen d’une proposition de loi visant l’interdiction quasi totale de l’IVG. L’Église soutient cette interdiction, mais rejette les sanc-tions prévues contre les femmes.

La Pologne deviendra-t-elle bientôt le troisième pays de l’Union européenne, après l’Irlande et Malte, où l’IVG sera pratiquement impossible ? C’est ce qu’espèrent les représentants du Comité ci-toyen « Stop à l’avortement », dont la proposition de loi, déposée au parlement en juillet, a été pré-sentée en première lecture jeudi 22 septembre.« Compte tenu de l’appui social que notre projet a reçu, nous avons bon espoir que le processus lé-gislatif pourra être bouclé avant la fin de l’année », déclare Karolina Pawlowska de l’Institut Ordo Iuris, l’une des associations à l’origine de cette initiative.

Le texte, qui a récolté environ un demi-million de signatures en quatre mois, prévoit notamment d’interdire complètement le recours à l’IVG, sauf en cas de danger immédiat pour la vie de la femme. Pratiquer l’avortement serait passible de trois mois à cinq ans de prison, y compris pour la mère, à moins que le juge ne décide de renoncer à l’application de la peine à son égard. L’incitation et l’aide à l’avortement seraient également pénalisées. Selon la loi actuelle, adoptée en 1993, l’avor-tement est autorisé si la grossesse constitue un risque pour la vie ou la santé de la femme, si elle ré -sulte d’un « acte criminel » (viol, inceste, détournement de mineure), et en cas de malformation grave ou de maladie congénitale de l’embryon. D’après le ministère de la santé, ce dernier motif est le plus souvent invoqué : 921 cas sur 971 avortements légaux en 2014. Seules les personnes prati-quant une IVG ou aidant la femme à avorter peuvent être poursuivies en justice, mais pas la femme elle-même. Ce texte, fruit d’un compromis longtemps recherché entre les courants politiques proches de l’Église et les libéraux, semble convenir à la majorité de la société polonaise. Selon un sondage de l’institut CBOS réalisé en avril dernier, 76 % des Polonais sont favorables à l’avorte-ment si la grossesse présente un risque pour la santé de la mère, et 74 % souhaitent qu’il soit autori-sé en cas de viol.

Plus controversée, l’IVG dans le cas où il y a de fortes chances que l’enfant naisse malade ou handi-capé, est toutefois soutenue par plus de 60 % des Polonais. En revanche, à peine un Polonais sur dix est favorable à la libéralisation totale de l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse. Une proposition dans ce sens sera soumise aux députés en même temps que l’initiative pro-vie. Pré-sentée par des organisations féministes, elle a récolté 200 000 signatures – autant, selon certaines estimations, que le nombre de femmes qui, tous les ans, avortent clandestinement en Pologne ou à l’étranger. Sans aucune chance d’aboutir, elle sera fort probablement rejetée en première lecture par la majorité conservatrice de Droit et Justice (PiS). Quant à la proposition « Stop à l’avortement », elle sera, selon toute vraisemblance, envoyée pour examen en commissions, dont elle devrait sortir

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adoucie, notamment en ce qui concerne la responsabilité pénale de la femme. C’est ce que souhaite l’épiscopat qui soutient l’interdiction pure et simple de l’avortement. « En ce qui concerne la pro-tection de la vie des enfants à naître, nous ne saurions nous satisfaire du compromis existant », ont-ils annoncé dans un communiqué lu dans les églises début avril. Ils prêchent néanmoins l’indul-gence à l’égard de la femme qui avorte, qu’ils considèrent comme « une deuxième victime de l’IVG », et s’opposent à ce qu’elle soit punie par la loi.

En même temps que les deux propositions concernant l’IVG, les députés examineront un projet de modification de la loi régulant le recours à la procréation médicalement assistée. Promulguée par le parlement précédent au grand mécontentement de l’Église, la « loi sur le traitement de l’infertilité » autorise la fécondation jusqu’à six ovules à la fois, les embryons non utilisés devant être congelés. Selon le projet présenté par des députés conservateurs, seul un ovule pourrait être fécondé à la fois, pour implantation immédiate dans l’utérus. Le vote dans les matières dites « de conscience » n’étant pas lié à la discipline du parti, il est difficile de prévoir le résultat de cette bataille législative, d’au-tant qu’une partie du PiS a dès le début manifesté une certaine réticence à rouvrir le dossier très sen-sible de l’IVG. Il leur sera néanmoins difficile de décevoir l’Église, dont l’appui parfois explicite a contribué au succès électoral de leur parti en octobre dernier.

La maternité parisienne des Bluets dans la tourmenteLe Monde du 27 septembre par François BéguinLa maternité Pierre-Rouquès-les Bluets, dans le 12ème arrondissement de Paris, s’enfonce un peu plus dans la crise. La décision – rarissime – de la Haute Autorité de santé (HAS) de ne pas accorder la certification à cet établissement privé à but non lucratif survient alors qu’une partie des médecins, des soignants et des personnels administratifs conteste depuis le mois d’avril les choix stratégiques faits par l’association gestionnaire, issue de la CGT-Métallurgie. Si cette absence de certification, réexaminée tous les quatre ans, n’entraîne pas automatiquement la suspension d’autorisation d’acti-vités ou la fermeture de l’établissement, elle constitue, en revanche, un sérieux coup de semonce pour l’actuelle direction. Dans son rapport, rendu public lundi 26 septembre, la HAS dénonce avec sévérité plusieurs problèmes d’organisation et regrette un manque de « stratégie » ou de « pilo-tage » dans la conduite de certaines activités de la maternité, telles que le « management de la qua-lité des risques », la « gestion du risque infectieux », le parcours patient ou le « management de la prise en charge médicamenteuse du patient ».

« L’absence d’effectif suffisant (en nombre ou en compétences) obère la continuité des soins au sein de l’établissement », relève-t-elle, sans pour autant mettre en cause les compétences des soignants. Avec plus de 3 000 naissances par an, 1 200 interruptions volontaires de grossesse et 1 200 essais de procréation médicalement assistée réalisés, la maternité des Bluets, adossée à l’hôpital Trous-seau, bénéficiait jusqu’à présent d’une excellente réputation à Paris. Las. « Nous avons considéré que les conditions de fonctionnement faisaient courir un risque potentiel aux patientes », explique Yvonnick Morice, le président de la commission de certification des établissements de santé à la HAS.

« Dégâts en termes de réputation »Une mise en garde que l’association Touche pas aux Bluets, qui mène la fronde contre l’actuelle di-rection, souhaite nuancer. « La non-certification ne signifie pas une menace immédiate sur la sécu-rité des soins, sinon la maternité aurait été fermée avec effet immédiat, tempère Pierre-Jérôme Ad-jedj, son président. Ce qui est vraiment dommageable pour les Bluets, même en cas de changement

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de gouvernance, c’est le dégât en termes de réputation : en la matière, on dégringole plus vite qu’on ne remonte. » Anissa Chibane, la directrice de l’association Ambroise-Croizat, qui gère les Bluets, explique, elle, que la mission de certification menée par la HAS s’est faite dans un « contexte difficile ». « Aujourd’hui, dit-elle, les équipes travaillent sur les dossiers pointés par la HAS et redoublent d’effort. On était engagés, on l’est encore plus. » Si la maternité a désormais douze mois pour fournir à la HAS des engagements sur la façon dont elle compte répondre aux cri-tiques, elle dispose de beaucoup moins de temps pour convaincre l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, son autorité de tutelle. A l’agence, on assurait mardi n’« écarter aucune hypothèse » sur la suite des événements, et on appelait à « une prise de conscience rapide par l’association gestion-naire du besoin rapide de changements internes majeurs ». La mise en place d’une administration provisoire pourrait être l’un des scénarios à l’étude. Une mission de l’Inspection générale des af-faires sociales, diligentée en juillet par le ministère de la santé, devrait rendre ses conclusions d’ici à la fin de l’année.

Vaccins : un médecin généraliste sur dix a des réticencesLe Monde du 30 septembre 2016 par François Béguin

1069 médecins ont été interrogés pour une étude publiée jeudi.

Si 90 % des médecins généralistes sont convaincus des bienfaits de la vaccination, un sur dix évoque des réticences, particulièrement liées à certains types de vaccin. C’est ce que révèle l’en-quête menée en ligne auprès de 1 069 praticiens par la Société française de médecine générale (SFMG) et dévoilée jeudi 29 septembre. Présence d’adjuvant, innocuité et utilité du vaccin HPV contre les papillomavirus, vaccins combinés, etc. : sans surprise, les « freins » à la vaccination iden-tifiés chez les médecins sont les mêmes que ceux que l’on retrouve dans le débat public et qui avaient déjà été pointés par une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en mars 2015. Signe que la défiance n’épargne pas les professionnels de santé, un médecin interrogé par la SFMG sur quatre (24 %) dit avoir un avis défavorable sur la pré-sence d’adjuvant (essentiellement des sels d’aluminium) dans les vaccins.

Si certains suscitent une adhésion presque totale (à 95 % pour le tétanos), d’autres cristallisent les doutes. Près d’un praticien sur trois ne voit pas le bénéfice pour la collectivité de recourir au vaccin HPV, contre les papillomavirus, qui vise notamment à prévenir les cancers du col de l’utérus. Un répondant sur trois (35 %) juge également que « le temps nécessaire pour suivre, aborder et expli-quer » ce vaccin n’incite pas à le proposer. Face à un refus du patient, il est ainsi parfois plus simple de ne pas rentrer dans une argumentation chronophage. Un quart des généralistes interrogés as-surent ne pas insister lorsqu’un patient est réticent. Une proportion qui passe à la moitié pour le vac-cin HPV. « Lorsque le médecin est en situation défensive et qu’il est obligé de négocier, il sait que ça va lui prendre du temps et compliquer l’organisation de sa journée », fait valoir le Dr Luc Marti-nez, vice-président du SFMG et directeur scientifique de l’étude. Les médecins n’ont pas été prépa-rés à ce type de situation, certains se trouvent déstabilisés. »

Autre enseignement de l’étude : le poids des informations véhiculées par les médias ou les réseaux sociaux. Un tiers (33 %) des médecins généralistes interrogés considèrent que le contenu de l’infor-mation communiquée par les médias est « défavorable ou très défavorable » à la vaccination. Un pourcentage qui dépasse la moitié (56 %) pour les infections à papillomavirus. La disparition de certaines maladies, comme la variole ou la polio, a également eu un impact. Difficile, en effet, pour

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les jeunes générations de médecins de mettre en garde leurs patients contre une maladie dont ils n’ont jamais rencontré aucun cas.

La publication de l’étude, qui a bénéficié d’un financement « sans contrepartie » de l’industrie pharmaceutique, intervient alors que la « concertation citoyenne » sur les moyens de répondre à la montée en France de la défiance à l’égard de la vaccination, lancée en janvier par le ministère de la santé, doit se terminer à la fin de l’année. Lors de son audition, vendredi 30 septembre, par le comi-té d’orientation de la conférence, la SFMG demandera aux pouvoirs publics de « faciliter l’organi-sation et l’information » des médecins généralistes. D’une part en permettant au praticien d’avoir facilement connaissance de l’« historique vaccinal » de ses patients. D’autre part, en lançant une campagne de communication en direction des professionnels de santé et des patients afin de « vul-gariser les données scientifiques sur la vaccination, rappeler l’utilité et l’innocuité des adjuvants, et déconstruire les préjugés relatifs à la vaccination afin de redonner la confiance nécessaire à tous les acteurs ».

RECHERCHE

Aux premières minutes de la fécondation, le flagelle doit tenir le rythmeLe Figaro du 30 août 2016 par Damien MascretUne équipe de chercheurs français a réussi à comprendre comment le spermatozoïde fusionne avec l'ovocyte. C'est un mode particulier de battements du flagelle qui déclenche la fécondation.

C'est l'instant crucial où le spermatozoïde atteint enfin sa cible puis fusionne avec elle. Le début d'une nouvelle vie. Une délicate prise de contact entre le gamète mâle et le gamète femelle, avant que la fusion des deux ne se produise. Deux étapes que les spécialistes de la reproduction résument en une appellation, l'« interaction gamétique ». Un moment complexe, car il ne suffit pas de mettre en contact un spermatozoïde fécondant avec un ovocyte fécondable pour que la fusion se produise. Une équipe de chercheurs français vient de comprendre pourquoi.

« Il se passe deux à trois minutes entre le contact et la fusion, mais ce moment a été très peu étudié jusqu'ici, principalement en raison de difficultés techniques », explique au Figaro Christine Gourier. À la tête d'une équipe de physiciens de l'École normale supérieure de Paris (ENS/CNRS), elle vient d'en percer le mystère. Et de façon inattendue, ce sont les mouvements de la queue du spermatozoïde, le flagelle, qui jouent un rôle déterminant. L'étude, qui a bénéficié de l'aide de

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l'Agence nationale pour la recherche et de la Fondation pour la recherche médicale, a été publiée le 19 août sur le site de la revue scientifique internationale Scientific Reports du prestigieux groupe Nature.

L'équipe de l'ENS a tout d'abord imaginé un ingénieux dispositif pour que la fécondation se produise sous l'œil du microscope optique confocal. « En théorie, chez l'humain le contact peut se faire à n'importe quel endroit de l'ovocyte (et sur 80 % de la surface chez la souris, utilisée dans ce travail). Pour pouvoir observer les deux ou trois minutes qui précèdent la fusion, il fallait être sûr du site de l'ovocyte où le spermatozoïde allait établir le contact », explique Christine Gourier. Les chercheurs ont donc placé l'ovocyte dans un coquetier microscopique  qui n'en exposait que 2 % de la surface, sur lesquels aboutissait un canal micro-fluidique (sorte de paille de 30 micromètres de diamètre). Dans ce canal, était introduit un spermatozoïde fécondant.

Benjamin Ravaux, le doctorant de l'équipe, s'est chargé des centaines de manipulations qui ont permis les découvertes. Et le spermatozoïde a fait son œuvre. « Contrairement à ce que l'on pensait du battement du flagelle, celui-ci ne sert pas seulement à conduire le spermatozoïde jusqu'à l'ovocyte, mais il sert aussi à déclencher la fécondation, détaille Christine Gourier. Et encore, seulement s'il bat selon un mode bien précis. » Les biologistes avaient déjà observé que le flagelle du spermatozoïde cessait ses battements dans les deux minutes qui suivaient le contact avec l'ovocyte, mais personne n'avait imaginé que ces deux minutes étaient cruciales. « Si on empêche ce battement, cela bloque la fécondation », explique Christine Gourier.

Pour la première fois, les chercheurs ont pu observer finement des centaines d'interactions gamétiques et identifié trois types de battements, dont un seul s'est avéré efficace pour que la fécondation s'enclenche. « C'est un battement oscillatoire assez rapide (environ 2 battements par seconde) du flagelle qui pendant deux minutes va faire osciller la tête du spermatozoïde en la plaquant sur l'ovocyte pour induire la fusion », explique Éric Perez, un des membres de l'équipe. Les mouvements amples en coup de fouet (1 par seconde) ou ceux plus réduits et très rapides (3/sec) ne permettent pas la fécondation. Le dispositif mis au point par les chercheurs de l'ENS a ensuite permis de visualiser précisément la plongée de la tête du spermatozoïde, porteur de l'ADN issu du père, dans l'ovocyte. « Lorsqu'elle arrive à une profondeur suffisante, la masse de l'ADN paternel enfle, indiquant que celui-ci se décondense (se débobine), 50 minutes après l'entrée en contact, explique Éric Perez. Ces travaux éclairent d'un jour nouveau les trois premières minutes de la fécondation et ouvrent la porte à de nouvelles méthodes d'assistance à la procréation. »

Carmat lance la phase finale de son essai clinique pour son cœur artificielL’Usine Nouvelle du 30 août 2016 par Astrid GouzikLa société Carmat a procédé à la première implantation de son cœur artificiel dans le cadre de son étude Pivot.

La première d'une longue série. Carmat a annoncé, lundi 29 août, avoir implanté un nouveau patient dans le cadre de son étude Pivot. Selon nos confrères d’Ouest-France, c'est à Nantes, à l'hôpital Laënnec que l'opération se serait déroulée. Au cours de cette deuxième phase de son essai clinique, la société devrait implanter son cœur artificiel total sur environ 25 patients en Europe. Le 13 juillet dernier, Carmat avait reçu les autorisations nécessaires pour démarrer cette étude, de la part du Co-mité de Protection des Personnes (CPP) et de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des

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produits de santé (ANSM). Dans son communiqué, Carmat ne fournit pas plus de détails sur les mo-dalités de cette étape censée déboucher sur la commercialisation de sa prothèse. Cruciale, elle devra évaluer la survie à 180 jours et la performance du produit, avant de constituer un dossier de de-mande de "marquage CE" pour être commercialisée.

La société précise seulement que ces données cliniques complèteront les données techniques du dossier de marquage CE. Carmat ne communiquerait pas individuellement sur les implantations des patients "conformément aux bonnes pratiques cliniques", et contrairement à ce qu'il avait fait lors de l'essai de faisabilité. Ses annonces porteront uniquement "sur l’avancement général du processus de marquage CE". Lors de la première phase de l'essai clinique, quatre patients avaient reçu un cœur artificiel. Le 1er patient avait survécu 74 jours, le second 9 mois, le troisième un peu plus de 8 mois. Concernant le quatrième patient, Carmat n'avait pas donné de précision. Il aurait toutefois survécu un peu moins d'un mois.

En mars dernier, la suspension de son titre durant deux jours avait suscité de vives inquiétudes avant d'annoncer dans la foulée une augmentation de capital de 50 millions d’euros, souscrite par ses actionnaires historiques, Airbus et le fonds Truffle Capital, mais aussi de nouveaux partenaires comme l’État, Bpifrance et Air liquide. De quoi permettre à cette entreprise cotée depuis 2010 de poursuivre son développement industriel et clinique.

Un premier essai de thérapie géniqueLe Monde du 31 août 2016 par Florence RosierIl s’agit du tout premier essai de thérapie génique lancé chez l’homme contre une maladie mitochondriale, la neuropathie optique héréditaire de Leber. Cette maladie de l’œil touche plus de 5000 personnes en France. Elle se caractérise par la mort sélective des cellules ganglionnaires de la rétine, entraînant l’atrophie du nerf optique. Les malades subissent une perte brutale et irréversible de la vision centrale, qui survient généralement entre 15 et 30 ans. Aucun traitement curatif n’est disponible.

Cette affection est due à des mutations « dans un des rares gènes portés par le génome mitochondrial », explique le professeur José-Alain Sahel, qui dirige l’Institut de la vision, à Paris. Or, en matière de thérapie génique, les maladies mitochondriales posent un défi : il faut guider jusqu’à la mitochondrie le produit du gène dont on veut compenser le déficit.

« Adresse postale »La thérapie génique, en effet, vise à restaurer l’activité du gène défaillant dans les cellules atteintes. Ici, on injecte dans l’œil des patients un « vecteur thérapeutique » : un virus (dont la dangerosité est inactivée), qui introduit ce gène normal dans le noyau des cellules de la rétine. Mais la protéine codée par ce gène agit dans la mitochondrie : elle contribue au transport des électrons de la chaîne respiratoire. Comment la diriger vers cet organite ? « L’astuce a consisté à utiliser une "adresse postale" accolée à ce gène : une séquence d’ADN naturelle, qui oriente l’ARN messager, fabriqué dans le noyau, vers la mitochondrie », explique José-Alain Sahel. La protéine est alors directement fabriquée au sein de cet organite. Cette séquence a été découverte par Marisol Corral-Debrinski, qui a ensuite développé cette approche à l’Institut de la vision.

cette stratégie a montré son efficacité sur des modèles cellulaires. Puis elle a prévenu la cécité chez des rats atteints de cette maladie. Son innocuité globale a ensuite été montrée chez le macaque. Une start-up, Gensight, a été créée pour assurer son développement clinique, en partenariat avec l’Institut de la vision et Généthon. « Après un essai préliminaire montrant son innocuité et des résultats prometteurs chez l’homme, un essai randomisé est actuellement mené dans sept centres : trois aux Etats-Unis, quatre en Europe. Il inclura 72 patients récemment atteints, indique José-Alain Sahel. Si la validité de cette approche se confirme, ce sera la première fois qu’on corrigera

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une mutation mitochondriale ». Résultats attendus début 2018.

Premier « hackathon » des maladies respiratoiresLe Figaro du 20 septembre 2016 par Damien MascretLe Figaro a participé au premier hackathon des maladies respiratoires, une initiative où pa-tients, pneumologues, ingénieurs et geeks développent des outils numériques pour des malades en moins de 48 heures.

Si vous achetez dans un ou deux ans un petit robot de la taille d'un réveil comme compagnon pour votre enfant asthmatique, vous saurez qu'il est né un week-end de septembre, dans les locaux du Syndicat des entreprises industrielles du secteur des dispositifs médicaux (Snitem), à Courbevoie. C'est là qu'il a reçu, le 18 septembre, le grand prix du jury pour les start-up lors du RespirHacktion, premier hackathon des maladies respiratoires, organisé par neuf associations de patients et de pneu-mologues sous la houlette du master marketing pharmaceutique de la faculté de Châtenay-Malabry. Le Figaro s'était embarqué dans l'aventure.Les hackathons sont des « foires au cerveau » qui réunissent des geeks, ingénieurs, développeurs in-formatiques, designers pour travailler l'espace d'un week-end avec des professionnels d'un domaine particulier et aboutir à des solutions viables. En 48 heures seulement, il faut pouvoir soumettre à un jury d'experts le prototype développé. D'où l'importance d'avoir sous la main toutes les compétences utiles pour obtenir des réponses rapides aux questions urgentes.

« La première question à laquelle sont confrontés les jeunes entrepreneurs souhaitant développer un projet innovant en matière de santé est relative à son statut juridique. À titre d'exemple, est-ce une application mobile de bien-être ou un dispositif médical ? Les contraintes réglementaires, et donc le temps nécessaire à la mise sur le marché, sont très différents en fonction du positionnement du produit. Or la frontière entre ces différentes catégories n'est pas toujours aisée à déterminer », explique Ghislaine Issenhuth, avocate (Paris), spécialiste en droit de la santé. Selima Ellouze, conseil en protection des données personnelles, a dû expliquer à certains inventeurs que « la protec-tion des données empêche rarement de faire les choses mais qu'elle les encadre ».

« Puisque, en tant que malades, nous attendons des solutions à nos problèmes de vie quotidienne, nous devons aussi retrousser nos manches », explique Michel Vicaire, le président de la Fédération française des associations et amicales de malades insuffisants respiratoires (FFAIR), cofondatrice de l'événement, pour expliquer sa participation. Avec Sylvie et Marie, elles aussi insuffisantes res-piratoires sous oxygénothérapie en continu, il s'est donc promené de groupe en groupe, tout au long du week-end, pour dispenser des conseils et apporter son expérience. Ils ont aussi été séduits, comme l'un des leaders des fabricants de dispositifs médicaux à visée respiratoire, Resmed, qui lui a attribué son prix, par le projet Ovni : une application mobile pour aider les patients sous ventilation à domicile, imaginée par le Dr Jessica Taytard (pédiatre pneumologue à l'hôpital Trousseau (APHP).

Une autre fois, c'est un pneumologue, le Dr Marc Sapène, président de l'Alliance apnée du sommeil, asthme et allergie, qui suggère à l'équipe Buzz'Air, « d'intégrer un bouton d'urgence » à la montre munie de capteurs qui permettent d'évaluer la qualité de l'air et de partager ces informations sur une cartographie. Élodie Loisel, ingénieur en intégration système, venait au hackathon avec des besoins: « Il nous manque des designers, développeurs et des soignants », annonçait-elle au début du week-end. Une heure plus tard, elle avait formé son équipe et, à la fin du week-end, le petit robot compa-

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gnon, Joe, faisait ses premiers pas. Il remportait non seulement le grand prix du jury mais aussi ce-lui d'un géant du secteur des maladies respiratoires, le laboratoire GSK ! L'autre grand prix du jury (catégorie « initiative »), AdaptO2, a largement sollicité l'aide des patients pour améliorer l'idée de départ du Dr Philippe Terrioux. « Je suis pneumologue, explique-t-il, et en mai dernier je me suis dit que si l'on utilisait un capteur souple intégré à un textile pour mesurer en permanence l'oxygéna-tion des patients qui se déplacent avec un concentrateur d'O2 portable, on pourrait adapter auto-matiquement le débit d'oxygène nécessaire. » Depuis, l'idée lui trottait dans la tête et c'est lors de la rencontre vendredi dernier avec les patients et Yann Le Guillou, président d'une société de valorisa-tion des innovations, que le Dr Terrioux en a mesuré le potentiel.

« Ce n'est pas de la science-fiction, confirme Yann Le Guillou, ingénieur et entrepreneur, la plate-forme complète que l'on souhaite développer ne se limite pas à la partie technique. On veut égale-ment mettre à la disposition des médecins et des prestataires de santé à domicile des données pour améliorer le suivi des patients. » Pour le Pr Bruno Housset, président de la Fédération française de pneumologie, « la télésurveillance est en marche, les objets connectés prolifèrent, les pneumo-logues sont partie prenante de ce phénomène de société qui impliquera toujours davantage les pa-tients souffrant de maladies respiratoires ». Signe de l'intérêt des pneumologues pour ces innova-tions, l'état d'avancement des projets sera présenté à leur prochain congrès (CPLF) en janvier pro-chain.

Vers des greffes de cellules avec donneurLe Figaro du 22 septembre 2016 par Rafaële Brillaud Une équipe japonaise a réussi à greffer à un singe des cellules souches issues d'un autre singe, en contournant le risque de rejet.

Prélever des cellules lambda chez un individu, les « reprogrammer » pour qu'elles se changent en cellules de rétine par exemple, puis les injecter dans l'œil malade d'un patient pour le guérir : des scientifiques de Kobe, au Japon, viennent de faire un pas supplémentaire vers ce rêve thérapeutique au potentiel énorme.

L'équipe du Centre de biologie du développement de l'institut Riken, pilotée par l'ophtalmologiste Masayo Takahashi, vient de démontrer dans la revue Stem Cell Reports que des cellules souches pluripotentes induites (iPS pour Induced Pluripotent Stem Cells) produites à partir de cellules prélevées sur un singe peuvent être transplantées chez un autre singe, et ce sans phénomène de rejet.Rappelons que les cellules iPS sont des cellules adultes, différenciées, qui ont été transformées en cellules pluripotentes, capables de redonner n'importe quel type de cellule de l'organisme. Comme si elles avaient remonté le temps pour revenir au stade embryonnaire. Mises au point en 2006 par le Japonais Shinya Yamanaka, ces cellules iPS lui ont valu en 2012 le prix Nobel de médecine.

À Kobe, Masayo Takahashi a testé pour la première fois chez l'homme ces cellules « rajeunies » pour soigner des patients souffrant de dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA). Des cellules de peau ont été reprogrammées in vitro en cellules iPS puis en cellules d'épithélium rétinien, lesquelles ont été greffées dans l'œil d'un patient en 2014. Mais dans cet essai clinique, les cellules injectées proviennent de cellules prélevées chez le même patient, afin d'assurer une parfaite compatibilité immunologique. Une technique longue et coûteuse, car les cellules reprogrammées se développent à la même vitesse que les cellules normales et le patient doit attendre plus d'un an avant d'être greffé.

Pourquoi donc ne pas accélérer le processus en pratiquant des allogreffes, c'est-à-dire en collectant chez les uns pour administrer chez les autres ? « L'objectif est de créer des banques de cellules iPs qui pourraient être transplantées chez tous ceux qui en ont besoin », confirme Sunao Sugita,

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coauteur des travaux publiés dans Stem Cell Reports. L'équipe assure être en mesure de gérer les risques de tumeurs induites par les cellules souches grâce à une sélection drastique des cellules iPS. « Les problèmes majeurs à surmonter lors des transplantations de cellules issues d'un autre individu sont les réponses immunitaires et le rejet des tissus. » Pour y remédier, l'équipe du Riken s'est jouée du système qui permet à l'organisme de reconnaître ses propres cellules et de les distinguer des cellules d'autrui, baptisé CMH (complexe majeur d'histocompatibilité) ou HLA (Humans Leucocyte Antigen) chez l'homme. « Pour schématiser, ce sont des molécules exprimées à la surface de la cellule qui, tels de petits drapeaux, signalent s'il s'agit ou non d'une cellule du soi, explique Christelle Monville, professeur à l'université d'Évry-Val-d'Essonne et responsable d'une équipe de recherche sur les rétinopathies dans le laboratoire I-Stem. Les scientifiques de Kobe ont sélectionné des cellules qui exprimaient à leur surface des molécules communes avec d'autres individus et donc a priori compatibles. » Et l'allogreffe réalisée chez des singes fut un succès.

De quoi lancer l'étape suivante : celle de la mise en place de banques de cellules iPS prêtes à l'emploi et utilisables par tous.

Pollution : des nanoparticules détectées dans le cerveauLe Figaro du 24 septembre 2016 par Martin Tiano Composées de magnétite, du fer oxydé et aimanté, elles pourraient être impliquées dans des neurodégénérescences.

Déjà mis en cause dans les maladies respiratoires et cardio-vasculaires, la pollution atmosphérique pourrait-elle être également responsable de la survenue et de l'aggravation de troubles neurodégénératifs ?

C'est la question que pose une étude de l'équipe dirigée par Barbara A. Maher, de l'université de Lancaster (Royaume-Uni), publiée dans la revue américaine PNAS (Comptes rendus de l'Académie nationale des sciences) : les chercheurs ont détecté la présence de nanoparticules de magnétite liées à la pollution atmosphérique dans le cerveau humain. La magnétite est de l'oxyde de fer aimanté. Depuis près d'une vingtaine d'années, les nanoparticules de magnétite endogène, c'est-à-dire qui se forment naturellement dans le corps humain, sont suspectées d'être neurotoxiques : présentes dans le cerveau, elles pourraient favoriser en particulier l'apparition de radicaux libres, facteurs essentiels du vieillissement prématuré des tissus cérébraux. Par ailleurs, les scientifiques ont établi, dès 2003, qu'elles se trouvent en plus grande quantité chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Logées au cœur même des plaques amyloïdes et des dégénérescences neurofibrillaires, structures typiques de la maladie, elles en augmenteraient la toxicité.

Dans cette étude, Barbara Maher et ses collaborateurs ont analysé les tissus cérébraux de 37 personnes, de tout âge, ayant vécu à Mexico ou à Manchester, deux villes connues pour leur importante pollution. Si certaines nanoparticules de magnétite trouvées sont manifestement d'origine biologique, les chercheurs se sont rendu compte que la majorité d'entre elles sont de tailles sensiblement plus grandes, plus variées (de 18 à 150 nanomètres), et de forme sphérique. Des caractéristiques qui montrent qu'elles ont été formées à haute température, par exemple lors d'un processus de combustion, ou d'échauffements liés au freinage de véhicules. D'après les auteurs, ces nanoparticules exogènes, liées à la pollution atmosphérique, ont de plus la capacité de passer dans le système nerveux central directement via le bulbe olfactif, siège de la perception des odeurs, qui est en contact direct avec les fosses nasales.

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Doit-on d'ores et déjà considérer cette forme de pollution comme un facteur de risque de maladies neurodégénératives ? « Attention aux surinterprétations de ces résultats », tempère le Pr Amouyel, directeur de l'unité d'épidémiologie et de santé publique de l'Institut Pasteur de Lille. « Il s'agit de travaux descriptifs, qui montrent uniquement la présence de nombreuses nanoparticules de magnétite provenant de la pollution atmosphérique. On ne sait pas à l'heure actuelle si elles jouent réellement un rôle dans la survenue ou l'aggravation de la maladie d'Alzheimer. En fait, aucune étude scientifique n'a pu montrer que ces particules, et, de façon plus générale, que la pollution atmosphérique, favoriseraient les troubles neurodégénératifs . »

Les auteurs de l'étude, pour leur part, réclament des investigations complémentaires afin d'explorer les éventuels liens de causalité entre la pollution atmosphérique et la maladie d'Alzheimer, qui reste aujourd'hui la première cause de démence en France, et dans le monde.

Des chercheurs sont parvenus à reproduire des souris sans recourir à des ovocytesLe Monde du 15 septembre 2016 par Paul BenkimounC’est un fait biologique érigé en dogme depuis le XIXème siècle qui est mis à mal par des chercheurs de l’université de Bath (Royaume-Uni) et par leurs collègues de l’université de Ratisbonne (Alle-magne). Ils sont parvenus à obtenir des souriceaux viables sans avoir recours à des ovocytes, des cellules sexuelles d’origine maternelle. Jusqu’ici, les biologistes étaient persuadés que la présence de ces gamètes femelles était indispensable au développement d’un embryon.

Petit rappel, pour comprendre la portée de cette expérience : la reproduction sexuée fait normale-ment appel à deux gamètes, l’un femelle et l’autre mâle, comportant chacun un exemplaire de chaque chromosome, qui, en fusionnant, formeront les paires de chromosomes de l’embryon. Avant cette fusion, on parle de cellule haploïde et, après, de cellule diploïde. On croyait jusqu’ici qu’il s’agissait de la seule voie possible pour obtenir un organisme vivant. Depuis la brebis Dolly, le pre-mier mammifère cloné en 1996, il existe bien un autre moyen de créer artificiellement un nouvel or-ganisme, par clonage, mais, dans ce cas, son patrimoine génétique est identique à celui de l’individu dont une cellule a été utilisée.

Passage obligéOr, Toru Suzuki et ses collègues, dont les recherches ont été publiées mardi 13 septembre sur le site de la revue Nature Communications, démontrent pour la première fois que, chez la souris, on peut obtenir un individu unique à partir d’embryons et de spermatozoïdes sans recourir à des ovocytes. L’équipe de chercheurs a tenté de contourner ce qui semblait être un passage obligé de la fusion ovocyte-spermatozoïde. Dans la fécondation sexuée, cette fusion aboutit à la reprogrammation du spermatozoïde, cellule hautement différenciée, en une cellule indifférenciée, capable de se multi-plier et de se différencier pour donner n’importe quel type cellulaire existant dans un organisme. Dans ce travail expérimental, les scientifiques ont utilisé des embryons de souris à un stade très pré-coce, avant la première division cellulaire. Ces embryons ont subi un traitement chimique afin d’ac-tiver la division cellulaire pour qu’ils ne possèdent plus qu’un seul jeu de chromosomes et donc qu’une moitié de matériel génétique. Ils deviennent alors haploïdes et on les appelle des parthéno-génotes. Chez les mammifères, ces embryons parthénogénotes ne sont pas viables.

Succès dans un quart des tentativesDans chacun d’entre eux, un spermatozoïde a été ensuite injecté, comme on le ferait dans une fé-condation in vitro avec un ovocyte, pour apporter l’autre moitié de matériel génétique. En réimplan-

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tant ces cellules fusionnées dans des souris jouant le rôle de mères porteuses, les chercheurs ont ob-tenu, dans un quart des tentatives, des souriceaux apparemment en bonne santé. Le rendement pour-rait paraître faible, mais il est beaucoup plus important que celui du clonage par transfert de noyau. En effet, cette technique utilisée pour Dolly ne rencontre qu’un taux de réussite d’à peine 2 %. Quant à la technique de la parthénogenèse, c’est-à-dire par la division d’une cellule sexuelle femelle non fécondée, elle ne permet pas de développer un embryon de souris viable. Bien que présentant des signes épigénétiques (changements dans l’activité des gènes) différents de ceux observés chez les embryons obtenus par fécondation d’un ovocyte par un spermatozoïde, les souris créées semblent en bonne santé, fertiles, et avec une espérance de vie normale. Dans le cas du clonage, les animaux, comme Dolly, étaient morts prématurément. Ce résultat constitue une surprise de taille pour les biologistes puisque l’équipe anglo-allemande a créé pour la première fois un organisme vi-vant en l’absence de gamète femelle.

Questionnements éthiques« C’est un travail très intéressant de biologie fondamentale, remarque Bernard Jégou (Institut de re-cherche sur la santé, l’environnement et le travail, Inserm U1085, Rennes), qui bouscule ce qui ap-paraissait comme un dogme. L’étude a été effectuée avec une excellente méthodologie. Il faut donc la saluer. Cela étant, au-delà de l’amélioration des connaissances et d’un nouvel éclairage sur les mécanismes de la reproduction, que fera-t-on de ces résultats ? Il est bien trop tôt pour le dire. »Outre son caractère iconoclaste, cette percée ouvre cependant la voie à des interrogations. « Cela brouille les distinctions fonctionnelles entre lignées cellulaires sexuelles, embryonnaires et soma-tiques [adultes] », écrivent les chercheurs dans leur article. Un communiqué de presse émanant de l’université de Bath évoque l’éventualité de partir de cette approche pour obtenir plus facilement une descendance dans des espèces animales en voie d’extinction.

Bien évidemment, des questionnements éthiques ne manqueront pas, à la suite de cette publication. Les auteurs soulignent ainsi que l’affirmation selon laquelle les parthénogénotes n’ont pas le poten-tiel de se développer pour donner un individu, et qu’on peut donc y voir une source plus acceptable de cellules souches humaines qu’à partir des embryons, pourrait être remise en question. Cela sup-poserait que la technique qui a fonctionné chez la souris soit applicable à l’espèce humaine. Pour l’instant et au-delà des débats éthiques, rien ne permet de dire que cela serait le cas.

La preuve d'un lien entre virus et microcéphalie. Zika, sur la liste des infections congénitalesLe Quotidien du Médecin du 19 septembre 2016 par le D r Irène DrogouPour la première fois, une étude cas contrôle publiée dans « The Lancet Infectious Diseases », établit la preuve d'un lien de causalité entre infection par le virus Zika et survenue d'une microcéphalie. Les chercheurs demandent d'ores et déjà que le virus Zika soit rajouté à la liste des infections congénitales.

En raison d'une forte association entre l'infection Zika en cours de grossesse et la microcéphalie, le lien de causalité est largement admis. Néanmoins, c'est la première fois qu'il est confirmé dans une étude cas contrôle avec la publication dans « The Lancet Infectious Diseases » des premiers ré-

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sultats chez 32 cas de microcéphalie et 62 contrôles. Même si la taille réelle de l'effet ne sera établie qu'avec l'analyse en cours de l'ensemble des 200 cas et 400 contrôles, les chercheurs de l'université de Pernambuco en collaboration avec la London School of Hygiene and Tropical Medicine de-mandent d'ores et déjà que le virus Zika soit rajouté à la liste des infections congénitales (toxoplas-mose, syphilis, varicelle-zona, parvovirus B1, rubéole, cytomégalovirus et herpès).

Des incertitudes en cas d'infection précoceLes chercheurs de l'université de Pernambuco en collaboration avec la London School of Hygiene and Tropical Medicine ont inclus tous les enfants microcéphales nés dans l'une des 8 maternités de la province de Pernambuco dans le nord-est du Brésil entre le 25 janvier et le 2 mai 2016. Chaque cas a été apparié à deux contrôles, ces derniers étant les deux premiers nourrissons nés le jour sui-vant dans l'une des 8 maternités. L'appariement a tenu compte de la région de résidence et du terme de l'accouchement. Dans ce travail, l'équipe a recherché les anticorps IgM anti-Zika et le virus Zika (RT-PCR) dans le sang maternel et celui de l'ensemble des enfants (cas + contrôles), ainsi que dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) chez les cas avec microcéphalie. Les auteurs font néanmoins re-marquer que la fiabilité de cette méthode n'est pas établie chez les nouveau-nés, en particulier pour une infection au cours du premier trimestre.La séropositivité maternelle était élevée chez les cas (n = 24/30, 80 %) et les contrôles (n = 39/61, 64 %), sans différence significative, qui est le reflet de la forte prévalence en contexte épidémique. En revanche, l'infection Zika était confirmée par RT-PCR (sang, LCR) chez 41 % cas (n = 13/32) et chez aucun des 62 contrôles. Pour les auteurs, il est tout à fait possible que l'association soit sous-estimée et que les limites de la méthode diagnostique puissent expliquer les 19 cas (59 %) non confirmés à Zika. Seulement 7 des 27 cas ayant eu un TDM présentaient des anomalies céré-brales à l'imagerie, suggérant que le virus peut entraîner une microcéphalie sans autre lésion céré-brale.

Dans un éditorial attaché, le Dr Patricia Brasil de Rio de Janeiro et le Pr Karin Nielsen-Saines de Los Angeles, relèvent que la définition de la microcéphalie aurait besoin d'être clarifiée au Brésil et ailleurs, en particulier en ce qui concerne la différence entre microcéphalie harmonieuse et dyshar-monieuse. « Même si la microcéphalie dysharmonieuse est la forme la plus médiatisée de l'infection congénitale à Zika, la microcéphalie harmonieuse est aussi identifiée dans le cadre d'un retard de croissance in utero causé par l'infection maternelle à Zika (...). La distinction est importante parce que cela peut impliquer des différences pronostiques », écrivent les éditorialistes.

Une nouvelle ménotropine. Une alternative pour les patientes en protocole d'AMPLe Quotidien du Médecin du 19 septembre 2016 par Betty Ma-mane Avec Ferstiskit, les laboratoires Genevrier proposent une nouvelle ménotropine indiquée pour induire l’ovulation et pour l’hyperstimulation ovarienne contrôlée dans le cadre des tech-niques d’assistance médicale à la procréation.

À l’heure actuelle, il existe deux types de traitements pour la fertilité, la FSH (hormone folliculosti-mulante) et la hMG (human Menopausal Gonadotropin) ou ménotropine. Cette dernière est une as-sociation FSH et de hCG (hormone Chorionique Gonadotrope humaine).

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Lors de protocoles de FIV (Fécondation In Vitro), il a été démontré que l’utilisation d’hMG permet de diminuer le nombre de petits follicules et le risque d’hyperstimulation ovarienne par rapport à un traitement par FSH seule. De plus, la présence d’hCG est suffisante en 2ème partie de stimulation et cette dernière n’entraîne pas de lutéinisation précoce. Ainsi, utiliser une hMG revient à utiliser un traitement à moindre coût et à moindre risque. Selon d'autres études, l’utilisation d’hMG permet de réduire la dose d’hormones utilisées tout en augmentant le taux d’ovocytes fécondés. L’hCG a aussi un impact sur la qualité embryonnaire puisqu’elle permet d’obtenir des taux d’embryons euploïdes plus élevés. Pour finir l’hCG joue un rôle dans l’implantation embryonnaire. En effet, en se fixant sur ses récepteurs au niveau des cellules épithéliales endométriales, elle va entraîner la production de VEGF par ces dernières. Le VEGF joue un rôle sur la prolifération des capillaires et des cellules endothéliales de l’endomètre. C'est sur l'ensemble de ces résultats, que les laboratoires Genevrier ont mis au point Ferstiskit, une nouvelle ménotropine indiquée pour induire l’ovulation et pour l’hy-perstimulation ovarienne contrôlée dans le cadre des techniques d’assistance médicale à la procréa-tion telle que la fécondation in vitro (FIV).

La présence d’hCG placentaireFertistartkit est une gonadotrophine naturelle, composée d’une association de FSH et d’hCG d’ori-gine pituitaire issues de femmes ménopausées et d’une hCG d’origine placentaire issue de femmes enceintes. Grâce à cette hCG, Fertistartkit possède une activité LH (Hormone Lutéinisante) durable, une meilleure activité biologique et une meilleure affinité vis-à-vis des récepteurs à la LH. Le pro-cessus de purification utilisé pour Fertistartkit est breveté et permet d’éliminer tout risque infec-tieux. Deux études cliniques de phase 3 ont été réalisées par l’équipe Alviggi et l’équipe De Ziegler/Lockwood. Ces deux études sont des études prospectives de non-infériorité, multicen-triques, comparatives, contrôlées, randomisées, en simple aveugle vs Menopur, le seul autre hMG actuellement disponible. Quelque 167 patientes et 279 patientes ont été incluses dans les études Alviggi et De Ziegler/Lockwood respectivement (5 ; 6). Le but de ces études était d’évaluer l’efficacité clinique et la tolérance de deux hMGs : Fertistartkit et Menopur lors de protocoles de FIV.

Critère principal : le nombre d'ovocytes ponctionnésLe critère d’étude principal était le nombre d’ovocytes ponctionnés. Les deux études démontrent une non infériorité de Fertistartkit sur ce critère par rapport à Menopur. L’étude De Ziegler dé-montre même une supériorité de Fertistartkit par rapport à Menopur sur le nombre d’ovocytes ponc-tionnés, le nombre d’ovocytes matures et sur le nombre d’ovocytes fécondés. Le nombre d’em-bryons congelés est aussi significativement plus élevé avec Fertistartkit. Les études De Ziegler/Lo-ckwood et Alviggi montrent du reste que la durée de stimulation avec Fertistartkit est significative-ment plus courte qu’avec Menopur. L’étude Alviggi a également démontré que les doses quoti-diennes et totales d’hMG utilisées sont significativement plus faibles avec Fertistartkit qu’avec Me-nopur.

Les deux préparations ont été bien tolérées. Aucune différence sur les critères de tolérance n’a été observée entre les deux préparations d’hMG. Les résultats montrent une équivalence en termes d’ef-ficacité par rapport à Menopur. Fertistartkit est très bien toléré, très peu d’effets indésirables ont été rapportés y compris sur le risque d’hyperstimulation ovarienne. Les études comprenant les résultats cumulés embryons frais et congelés sont toujours en cours. Fertistartkit possède un ratio d’activité FSH/LH de 1/1 (75 UI d’activité FSH et 75 UI d’activité LH). La posologie est une injection sous-cutanée par jour, à partir du début du cycle de la femme jusqu’à la croissance d’un nombre suffisant de follicules matures.

Cerveau. De fabuleux pouvoirs de guérison45

L’Humanité Dimanche du 29 septembre 2016 par Anne-Corinne ZimmerLongtemps considéré comme un organe immuable, et privé de guérison une fois lésé, le cerveau est en réalité d’une plasticité étonnante. Cette formidable malléabilité permet des approches cliniques qui tardent pourtant à être intégrées par la médecine contemporaine.

La plasticité du cerveau est un fait établi en neurosciences, mais les approches cliniques qui en découlent sont à la traîne. Faire appel aux capacités de récupération, de régénération du cerveau humain n’est pourtant pas une idée neuve depuis l’avènement des neurosciences, il y a une cinquantaine d’années, et des techniques d’imagerie fonctionnelles permettant une observation dynamique des activités cérébrales.

Norman Doidge, l’auteur de Guérir grâce à la neuroplasticité, fait le point sur les avancées cliniques qui s’appuient sur la neuroplasticité du cerveau pour traiter les pathologies où les fonctions cérébrales sont déterminantes – douleurs chroniques, Parkinson, troubles de l’attention, lésions d’AVC, etc. La neuroplasticité intervient par exemple, quand un individu apprend quelque chose de nouveau : plusieurs groupes de neurones se connectent les uns aux autres et la répétition de cette activité intensifie les connexions, augmente l’efficacité du circuit et la réalisation de la tâche. L’inverse est aussi vrai : ce qui n’est pas utilisé s’efface.

Membre fantômeAinsi, dans le système de la douleur – 9 zones du cerveau sont susceptibles d’y être réceptives et de la traiter - , si un signal douloureux perdure (un nerf comprimé par un disque intervertébral de façon répétée, par exemple), la zone activée dans le cerveau devient hypersensible. Les neurones renforçant à chaque épisode douloureux leurs connexions, au moindre effleurement du nerf, la douleur revient aussi intense, quand bien même le stimulus est amoindri. Le syndrome du membre fantôme – où l’individu amputé continue de percevoir une douleur liée au membre perdu – en est un exemple extrême.

Ces cartes cérébrales de la douleur s’étendent ainsi au rythme de l’extension des câblages entre neurones. De fait, en cas de douleur intense, 5 % des neurones sont consacrés à son traitement, alors que dans une douleur devenue chronique, l’activité électrique et les « câblages » font monter ce chiffre à 15 ou 20 % de neurones « piratés » par le traitement de la douleur. Il s’agit alors de reconquérir ces zones squattées, initialement dédiées à d’autres tâches. L’exemple donné par Norman Doidge est celui d’un médecin : douloureux chronique, il s’est attelé à occuper d’abord sa vision (le traitement visuel tenant une grande place dans l’activité du cerveau) au début de chaque élancement douloureux afin d’utiliser ces zones de son cerveau à une autre activité mentale (en l’occurrence, il visualisait la réduction de la carte de la douleur). Après 3 mois d’exercice, ses douleurs chroniques, subies pendant 13 ans, avaient disparu sans rechute.

Une bonne baladeParmi les découvertes des neurosciences qui éclairent les processus de plasticité du cerveau et ses capacités de régénération, le facteur de croissance neurotrophique (GDNF), fabriqué par des cellules gliales (majoritaires dans le cerveau), qui protège et surtout favorise le développement de nouveaux neurones, lesquels, à condition de s’en servir, pourront être utilisés pour pallier lésions ou dégénérescences. Et il est démontré que la production du GDNF augmente sous l’effet de l’exercice physique, en particulier de la marche – l’une des raisons pour lesquelles, l’exercice physique améliore le rendement cognitif et s’est révélé, selon les études, le moyen le plus efficace pour diminuer le risque de démence, dont la maladie d’Alzheimer…

Dans son dernier ouvrage, Guérir grâce à la neuroplasticité, qui fait suite aux Etonnants pouvoirs

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de transformation du cerveau (2008), Norman Doidge rend compte des techniques cliniques mises en œuvre chez des patients à partir des connaissances issues de la neuroplasticité. Une approche clinique qui ne relègue pas le patient au rôle de spectateur dans la confrontation entre sza maladie et le médecin. Editions Belfond, parution le 1er octobre 2016.

PERSONNALITÉS, FILMS ET OUVRAGES

COP21, l’accord de Paris est-il en panne ?La Croix du 31 août 2016 par Emmanuelle RéjuL’ancien président de la conférence de Paris Laurent Fabius, aujourd’hui à la tête du Conseil constitutionnel, s’inquiète, dans une tribune du « Monde » d’hier, de la lenteur de la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat. Les cinq premiers émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre, dont l’Union européenne, n’ont pas encore ratifié l’accord adopté en décembre der-nier lors de la COP21.

Teresa Ribera, directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)

Il faut désormais passer à la vitesse supérieure.Non, l’accord de Paris n’est pas en panne. Ratifier un accord international prend toujours beaucoup de temps. Surtout lorsqu’il s’agit d’un accord aussi important que celui entériné lors de la COP21, qui touche aussi bien les systèmes économiques et industriels des pays signataires que les relations entre eux. La session de négociations techniques qui s’est déroulée à Bonn en mai dernier a d’ailleurs été marquée par l’esprit très positif et constructif des négociateurs. Le président améri-cain, Barack Obama, se montre très prudent. Je pense que sa volonté de ratifier l’accord de Paris avant son départ reste intacte, mais qu’il prend garde à ne faire aucun faux pas dans les complexes procédures internes de ratification, afin de ne pas affaiblir le processus.

Alors, non, les négociations internationales sur le climat ne sont pas en panne. Mais il est utile de rappeler que tout ne se fera pas tout seul. Certes, la COP21 s’est achevée sur une note d’enthou-siasme et d’engagement intense. Certes, le monde entier s’est mobilisé pour signer l’accord à New York en avril dernier. Mais cela ne suffira pas. Il faut accélérer le mouvement, passer à la vitesse supérieure pour la ratification et l’action. Le monde économique et la société dans son ensemble doivent sentir qu’il existe dans chaque pays une réelle volonté politique d’engager la transformation des économies. Ce qui, par effet d’entraînement, permettra d’accélérer encore plus la lutte contre le changement climatique.

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La tribune de Laurent Fabius me paraît pertinente dans ce contexte. C’est le bon moment pour rap-peler à tous qu’il faut passer à l’action. Que nous attendons quelque chose des deux premiers émet-teurs mondiaux que sont la Chine et les États-Unis, qui pourraient profiter du prochain G20 pour lancer une initiative commune. Il ne faut pas non plus relâcher la pression sur l’Union européenne, alors que certains pays membres temporisent en arguant qu’il faut précisément répartir l’effort des politiques climatiques entre les 28 avant de ratifier l’accord de Paris. Il est de notre devoir moral à tous d’accélérer la lutte contre le réchauffement climatique. Nous sommes dans une phase de transi-tion qui peut faire peur. Tout le monde a compris qu’il fallait changer, mais nous n’avons pas en-core une idée claire du chemin à suivre. Il nous manque encore le mode d’emploi pour aller vers des sociétés résilientes au changement climatique, sachant que ce mode d’emploi n’existe pas et qu’il va nous falloir le concevoir ensemble. Ce sera le rôle de la COP22 à Marrakech en novembre pro-chain et des COP qui suivront.

Armelle Le Comte, chargée du climat à l’ONG Oxfam France

La ratification de cet accord n’est pas suffisantePour pouvoir entrer en vigueur en 2020, l’accord de Paris doit être ratifié par au moins 55 États re-présentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Or, plus de huit mois après la COP21, seuls une vingtaine de pays – comptant pour 2 % des émissions mondiales – ont ra-tifié l’accord. C’est dire que nous sommes loin du compte. L’Union européenne, empêtrée dans l’affaire du Brexit, semble particulièrement inerte. Pour le moment, seules la France et la Hongrie ont ratifié l’accord, alors que chaque État membre doit le faire pour rendre possible une ratification de l’Union européenne. Hier, le président François Hollande a d’ailleurs demandé aux ambassa-deurs réunis à Paris de redoubler d’efforts pour inciter les pays dans lesquels ils sont présents à rati -fier l’accord de Paris.

Reste qu’il y a aussi des signes encourageants. La rumeur court que la Chine et les États Unis pour -raient profiter du prochain G20 pour annoncer ensemble leur ratification. Le Brésil pourrait faire de même prochainement. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, organise un événe-ment autour du climat le 21 septembre prochain à New York, propice à des annonces. Mais la ratifi-cation ne suffit pas. Ce sont les actions concrètes adoptées dans chaque pays qui comptent. Or il y a toujours un décalage entre les discours et leur traduction sur le terrain. Il suffit de voir dans notre propre pays le retard pris dans l’application de la loi sur la transition énergétique. Nous collection-nons les records de chaleur mois après mois, alors même que l’année 2015 a déjà été la plus chaude jamais enregistrée à la surface de la planète. Le phénomène El Niño, renforcé par le changement cli-matique d’origine anthropique, a été particulièrement sévère cette année. Dans des régions déjà sèches comme l’Éthiopie, l’impact est terrible. Les cultures et l’élevage souffrent de la sécheresse, dont les conséquences se feront sentir pendant des années.

Pour répondre au défi du changement climatique, il faut aller plus vite et plus loin. Les pays riches doivent livrer une feuille de route précise sur la façon dont ils vont réunir les 100 milliards de dol-lars promis pour venir en aide aux pays les plus pauvres, qui sont les plus touchés par le change-ment climatique. Leurs besoins sont énormes et croissants. En termes de lutte contre le changement climatique, l’accord entériné à Paris ne suffit pas. Les engagements mis sur la table pendant la COP21 doivent être revus le plus vite possible : en effet, ils nous conduisent à une élévation de la température moyenne de 3 degrés, alors même que l’objectif de l’accord est de la limiter à 2 degrés au maximum.

Laurent Fabius* : « Il faut appliquer l’accord

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de Paris au plus vite »Le Monde du 31 août 2016 L’année 2016 bat tous les records de chaleur, et pourtant l’accord de Paris sur le climat semble passer au second plan, déplore l’ex-président de la COP21. Les grands pollueurs ne l’ont pas ratifié et les engagements pris n’ont pas été mis en œuvre.

A l’immense satisfaction d’avoir réussi, en décembre 2015, la conférence mondiale de Paris sur le climat succède aujourd’hui, chez moi comme chez beaucoup d’autres, une inquiétude qui justifie ces lignes. La totalité des informations scientifiques recueillies sur les changements climatiques confirme qu’il n’y a aucune bonne nouvelle spontanée à attendre. 2015 a battu tous les records : chaque mois qui passe est le plus chaud jamais enregistré, et 2016 battra 2015. La fréquence et la gravité des sécheresses, la rapidité et l’étendue de la fonte des glaciers, l’intensité des incendies et inondations, l’étroitesse des liens entre climat et maladies, climat et migrations, climat et violences, tout confirme les prévisions dramatiques du GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] pour notre planète.Seule donc une action volontariste, mondiale, rapide et multiforme peut encore éviter la tragédie : c’est précisément le but des 29 articles et 140 paragraphes de décisions ainsi que des accords divers que tous les pays du monde ont agréés lors de la COP21. Or, les inquiétudes sur leur application se multiplient.

Ni la bonne volonté de la France, présidente de la COP21, ni celle du Maroc, hôte de la COP22, ni la détermination du système des Nations unies ne sont en cause : leur engagement est manifeste. Mais des difficultés majeures apparaissent ou se confirment qu’il serait irresponsable d’occulter. Et d’abord concernant la ratification elle-même de l’accord de Paris : il y faut au moins 55 Etats, représentant plus de 55 % des émissions de gaz à effet de serre ; nous en sommes à moins de 2 % ! Des promesses sont données mais le fait est qu’aujourd’hui ni la Chine, ni les Etats-Unis, ni l’Union européenne, ni l’Inde, ni la Russie (les cinq premiers émetteurs mondiaux de CO2) n’ont encore franchi le pas. Il est vital, au sens propre, qu’ils le fassent et vite. Le sommet du G20 à Hangzhou, début septembre, et la conférence climat, de Marrakech, en novembre, en fournissent l’occasion.

Le deuxième volet des actions urgentes à mener concerne l’application de l’accord et de ses mesures d’accompagnement. Ce qui a été acté doit être réalisé. La concrétisation des engagements financiers pris envers notamment l’Afrique, l’extension de la tarification du carbone, la mise en place du système universel d’alertes-catastrophes, la pénalisation des énergies fossiles et la dynamisation des énergies propres ainsi que des économies d’énergie, la mobilisation cruciale des villes et régions du monde, toutes ces mesures parfaitement identifiées doivent être mises en place rapidement avec les gouvernements, les collectivités locales, les entreprises et les sociétés civiles Face aux résistances et aux inerties, face aux discours incroyablement rétrogrades entendus récemment, par exemple, aux Etats-Unis ou aux Philippines, le monde a besoin d’une relance de l’action climatique aboutissant à appliquer l’accord de Paris et à réviser vers le haut les engagements des Etats.

« Un grand pas pour l’humanité » Le troisième volet consiste dans la préparation d’un pacte universel pour l’environnement. Il y a cinquante ans, en 1966, deux pactes universels avaient été adoptés par les Nations unies, l’un pour les droits civils et politiques, l’autre pour les droits économiques, sociaux et culturels. Il est temps d’agir de même pour le climat et plus largement pour l’environnement à travers un texte « à droit constant » reprenant dans un traité à caractère obligatoire les principes déjà reconnus qui font l’objet d’un consensus, en particulier la reconnaissance du droit à un environnement sain qui appartient à chaque personne. De ce droit découlera le droit des citoyens, et plus largement de la société civile, à demander des comptes aux Etats concernant le respect de l’environnement. Cela demandera un certain temps, mais, dans l’esprit de l’accord de Paris, nous sommes nombreux à

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souhaiter ce pacte universel, et je serai heureux d’y contribuer.

En marquant avec mon marteau la fin de la conférence de Paris et l’adoption de l’accord universel sur le climat, j’avais prononcé ces mots comme un clin d’œil : « C’est un petit marteau mais il peut représenter un grand pas pour l’humanité ». Dans l’action contre le réchauffement climatique, le moment est venu, non de ralentir le pas, mais de poursuivre et même d’accélérer.

*Ancien président de la conférence de Paris sur les changements climatiques. Ancien Premier ministre (1984-1986), ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2016 et désormais président du Conseil constitutionnel

Il faut « ouvrir les données publiques de santé à tous les acteurs »Le Monde du 27 septembre par*La France dispose de la base de données publique de santé la plus importante du monde. En 1999, la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a créé, et gère depuis, le Sniiram (Système national d’information inter-régimes de l’Assurance-maladie). Au fil des ans, cette base s’est enrichie. Elle reçoit et stocke, après avoir anonymisé les personnes auxquelles elles sont rattachées, toutes les consommations de soins de ville (date des soins, nature des actes, consommation de médicaments et d’examens biologiques, etc.) et cela rapporté à chaque assuré en référence à son âge, son sexe, son lieu de résidence, s’il est atteint d’une affection de longue durée, sa date de décès, etc. Ces données déjà très riches sont de plus couplées à celles de même nature des hôpitaux publics et privés, afin de disposer de l’ensemble du parcours et des consommations de soins des assurés en France.

Tout existe pour améliorer la veille et la prise en charge sanitaire de nos concitoyens, pour définir des priorités de santé publique, de soins et de prévention, tant au niveau national qu’au niveau terri-torial, ou encore par branche professionnelle. Tout existe pour faire évoluer et promouvoir les pra-tiques et prescriptions médicales les plus pertinentes, pour optimiser les dépenses, pour développer la recherche et l’évaluation, pour mesurer quel est le reste à charge pour les patients, quelles sont les conséquences des déserts médicaux, ou encore les pathologies les plus fréquentes dans certaines professions ou dans certains territoires. Mais que fait-on réellement avec ces données ? Qui les uti-lise et pour quoi faire ? Un récent rapport de la Cour des comptes pour la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale apporte un éclairage particulier en pointant une incohérence ma-jeure.

Alors que l’accès à ce trésor est ouvert à quelques administrations centrales de la santé et leurs opé-rateurs – Agence de sécurité du médicament, Haute Autorité de santé, etc. – ces derniers ne l’uti-lisent pas ou très peu. A contrario, l’accès à ce trésor est interdit à de nombreux acteurs qui pour-raient, en les analysant, éclairer judicieusement les choix de santé publique, mais aussi leurs propres choix. Bien évidemment, dans les discours politiques et les textes généraux, ces données publiques de santé sont théoriquement ouvertes. C’est le côté pile du discours officiel. Mais dans la vraie vie, côté face, l’Etat s’évertue, au travers de règles et de comités divers, à complexifier ou à interdire leur accès aux multiples acteurs qui contribuent au financement, à l’organisation et au fonctionne-ment du système de santé, à la prise en charge des malades, à la veille et à la sécurité sanitaire, etc. La liste est longue et tout cela a été rappelé dernièrement par la Cour des comptes.

Il faut inverser la donne. Il faut développer une culture de l’utilisation de ce trésor. L’Etat doit en exiger l’utilisation dans l’intérêt de la santé publique. Car ces données sont fiables et les résultats sont vérifiables, donc incontestables. Chacun doit pouvoir justifier ses décisions, fonder ses travaux

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et ses recherches en s’appuyant sur ces données qui représentent la réalité des territoires, des groupes de personnes, des pratiques. Il ne doit plus être possible demain de dire que nous ne savions pas. Que nous ne savions pas qu’un médicament était prescrit comme coupe-faim alors qu’il devait l’être pour le traitement du diabète de type 2, qu’un autre était anormalement prescrit à des femmes enceintes, qu’un autre était prescrit majoritairement comme contraceptif alors qu’il devait l’être contre l’acné, que tel dépistage n’a pas d’intérêt réel en termes de santé publique, etc.

Avec un tel trésor, on peut et on doit savoir pour prévenir. Et ce trésor doit être ouvert au plus grand nombre, car l’alerte peut venir d’une personne et non d’une institution, comme on a pu le constater dans le passé. Ne pas ouvrir très largement les données publiques de santé à tous les acteurs, ou en-core faire semblant, conduit tout droit à l’organisation de la privatisation des données de santé par des opérateurs de réseaux bien connus et bien d’autres déjà à l’œuvre. Ne pas ouvrir très largement les données publiques de santé, c’est se priver de l’utilisation de données de qualité pour éclairer le débat démocratique.*Didier Sicard, professeur de médecine, président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique, et Jean-Marie Spaeth président honoraire de la CNAMTS et président honoraire de l’Ecole nationale supérieure de sécurité sociale

A l’Hôtel-Dieu, je panse donc je suisLe Monde du 17 septembre 2016 par Catherine Vincent Dans un article devenu célèbre, au titre faussement interrogatif, « Qu’est-ce que la psychologie ? », le médecin et philosophe Georges Canguilhem se livrait, en 1958, à une critique féroce de cette discipline. « Quand on sort de la Sorbonne par [l’Institut de psychologie de] la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l’on va en montant, on se rapproche du Panthéon, qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si on va en descendant, on se dirige sûrement vers la Préfecture de police », concluait-il. D’un côté la réflexion humaniste, de l’autre la répression. Pour Frédéric Worms, professeur de philosophie contemporaine à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Paris, la même caricature pourrait être faite à propos de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu.« Situé entre Notre-Dame de Paris et la Préfecture de police, ce haut lieu du soin, selon ce qu’on en fait, peut devenir soit un lieu d’idéologie compassionnelle, soit un lieu d’enfermement », souligne-t-il. Entre ces deux extrêmes, le soin, tel qu’il se pratique à l’hôpital, pose au philosophe une infinité de questions : « Celles de l’expérience de la maladie, de la souffrance et de la violence qu’elle génère, celles de l’égalité sociale, de la place de la technique, des problèmes moraux rencontrés par les soignants », énumère-t-il. Autant de thèmes explorés par la chaire de philosophie qui s’ouvre cette année dans le vénérable établissement, et dont Frédéric Worms préside le conseil scientifique.

Une chaire de philosophie dans un hôpital ? En France, il s’agit d’une première. Fille d’un projet commun entre l’ENS et l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), elle reflète la volonté de repenser la place des « humanités » dans l’enseignement des médecins et du personnel soignant. « Il y sera aussi bien question de patients dialysés que de l’arrivée des robots à l’hôpital, du burn-out des soignants que de l’interprétation des données liées à la santé », précise la philosophe Cynthia Fleury, responsable de la chaire. Officiellement inauguré en ce mois de septembre, cet enseigne-ment d’un genre nouveau a déjà bénéficié de six mois d’expérimentation, afin d’en préciser les contours en accord avec les services hospitaliers impliqués. Un galop d’essai qui a permis à ses fon-dateurs de confirmer leur intuition : mettre en mots le ressenti des malades et des soignants, dans ce lieu de haute technicité médicale, répond à un besoin pressant.

Se nourrir des doutes des soignants

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« Confrontés à une pratique souvent très normative, à des situations complexes (maladies chro-niques, longs séjours, fin de vie) et à une logique gestionnaire de plus en plus présente, les soi -gnants se sentent souvent très seuls dans leurs questionnements, et beaucoup les refoulent, affirme Frédéric Worms. Les poser officiellement à l’hôpital, au cœur du système, c’est les légitimer. Cela aura forcément des effets sur les pratiques. » Cours magistraux, séminaires, conférences ou ateliers, si les modules prévus tout au long de l’année s’adressent aussi bien aux étudiants qu’aux associa-tions de malades, c’est avant tout aux soignants que cette chaire tend la main. Car la philosophie se nourrit davantage de doutes que de certitudes. Et les doutes, ils sont nombreux à le penser, doivent retrouver droit de cité à l’hôpital. Dans sa définition pleine et entière, le soin ne désigne pas qu’un domaine particulier de l’activité médicale (soins infirmiers ou palliatifs). Il ne correspond pas non plus à un « supplément d’âme », mais au « socle anthropologique sur lequel la médecine – toute médecine – fonde son humanité et son efficacité ». Ainsi le définit le philosophe Dominique Lecourt, en avant-propos de l’ouvrage collectif La Philo-sophie du soin. Ethique, médecine et société (2010, PUF). Un livre dans lequel Georges Canguil-hem – avec Paul Ricœur ou Emmanuel Levinas – est abondamment cité, et pour cause : son essai sur Le Normal et le Pathologique (1943) est au cœur de l’éthique du soin. Pour ce philosophe formé à la médecine, la maladie est une crise, qui exige du patient qu’il s’adapte à sa nouvelle condition, voire qu’il trouve un nouveau sens à sa vie. Pour y parvenir, il ne peut que dire sa douleur, son an-goisse, ses espoirs, et « cette protestation d’existence mérite d’être entendue ». Mais cette parole peut-elle seulement s’exprimer dans le cadre scientifique et technique qui prévaut dans les services hospitaliers ?

Une meilleure écoute des malades« Aujourd’hui comme autrefois, on entend de façon récurrente l’accusation d’un manque d’“huma-nité” de la part des médecins à l’égard de leurs patients », constate la chercheuse Marie Gaille, spécialiste de la philosophie de la médecine au CNRS. Ce « déni d’humanité » s’explique en pre-mier lieu par des causes structurelles – contrôle de soi de la part des professionnels, fragmentation du soin lié à la spécialisation, contraintes économiques –, qui empêchent trop souvent de percevoir le patient comme un sujet à part entière. Une prise en compte pourtant nécessaire, non seulement pour des raisons éthiques, mais parce qu’il en va de l’efficacité du traitement. Si l’on en croit le phi-losophe et docteur en sciences de l’éducation Philippe Barrier, malade chronique et auteur du livre Le Patient autonome (PUF, 2014), réduire le patient à une dimension essentiellement mesurable et quantifiable « mutile la connaissance même de la maladie d’une part essentielle, en même temps qu’il prive le médecin d’un appui fondamental pour la mise en œuvre de la thérapeutique ». « Dès qu’on met un pied à l’hôpital, on y rencontre tous les points limites de la vie : la naissance, l’acci-dent, la mort. Il s’agit d’un territoire existentiel, sur lequel il est contre-productif de ne pas deman-der au malade sa participation active », renchérit Cynthia Fleury, pour qui il importe de renouer avec « une démarche holistique du soin ». Laquelle passe, entre autres, par une meilleure écoute des malades, que les soignants eux-mêmes sont nombreux à appeler de leurs vœux.

Fragile interface« Cela m’a toujours frappé dans ma pratique : c’est souvent quand on ne parle pas – au moment de l’auscultation par exemple – que le patient nous dit des choses importantes. Il faut l’écouter à ce moment-là. Or, que dit-on habituellement ? “Excusez-moi, pourriez-vous faire le silence, car je dois ausculter…” C’est justement à ce moment-là qu’il faudrait pouvoir écouter très attentive-ment », résume Lazare Benaroyo, médecin et professeur d’éthique et de philosophie de la médecine à l’université de Lausanne. Mais porter une égale attention aux dimensions techniques et aux enjeux humains mobilisés dans l’état de maladie ne va pas de soi. A l’hôpital moins qu’ailleurs, et pas seulement par manque de temps. Car « l’art de l’écoute suppose une mise en retrait, une ouverture à l’autre, une non-maîtrise, quand l’usage de la technique est fondé sur la maîtrise et le contrôle  ». Deux injonctions paradoxales, faisant appel à des connaissances et à des méthodes différentes. Dans ce contexte difficile, quel peut être l’apport des philosophes à l’amélioration du dialogue entre soi-gnants et malades ? Pour Marie Gaille, membre du conseil scientifique de la chaire, le premier

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avantage de cette démarche est d’être sur le terrain. « Canguilhem, Ricœur ou Levinas ont apporté beaucoup à la philosophie du soin, mais ils ne sont pas allés s’installer au pied des malades avec les équipes médicales. En France comme ailleurs, un certain nombre de philosophes et de médecins tentent aujourd’hui de combler cette distance, afin de travailler concrètement sur les questions que se posent les patients et les équipes médicales », souligne-t-elle. Plus intéressant encore à ses yeux : le fait qu’un établissement de l’AP-HP ait accepté d’introduire dans ses murs un point de vue extra-médical.

« Pour le monde de l’hôpital, ce n’est pas du tout quelque chose qui va de soi, insiste-t-elle.

Même si le corps médical, depuis les années 1970, intègre progressivement dans ses réflexions la question de la qualité de vie et des priorités de vie des patients, il tend toujours – et c’est normal – à y répondre en fonction de sa propre grille de lecture. Pour la première fois, une voix va être in -troduite dans l’hôpital public qui mettra en avant d’autres critères que ceux que les médecins ont en tête. » Reste à savoir, concrètement, où mènera l’aventure. Expérience forte et innovante ou simple conversation de salon ?

Au-delà des enseignements en cours, l’ambition est que les équipes médicales fassent remonter leurs questionnements et que soient définis sur cette base les projets de recherche à venir. Mais dans cette fragile interface entre philosophie et hôpital, tout reste à faire.

Médecine clinique, une mort annoncée ?Le Monde Science et Techno du 28 septembre 2016 par Claude Matuchansky* Le demi-siècle qui vient de s’écouler a connu une évolution sans précédent de sa médecine, notam-ment par les progrès des biotechnologies, de l’imagerie, de l’informatique et des sciences cogni-tives. Quelques ouvrages importants aident à nous repérer dans cette évolution. En 1963, Michel Foucault publie sa Naissance de la clinique [PUF]. En 2002, Didier Sicard livre son admirable Mé-decine sans le corps [Plon]. Une nouvelle réflexion éthique et, en 2007, des notes complémentaires (dans Les Cahiers du Centre Georges-Canguilhem) sur la « relégation du corps qui disparaît du champ de la médecine et apparaît plus que jamais dans le champ social ». En 2015, Guy Vallan-cien pose, dès le titre d’un livre très documenté, la question La Médecine sans médecin ? [Galli-mard] et explique pourquoi le numérique est au service du malade. En 2016, Luc Ferry consacre une part notable d’un ouvrage passionnant sur La Révolution transhumaniste [Plon, 216 pages, 17,90 euros] à l’amélioration de la santé humaine. Au travers de ces jalons chronologiques surgit une question essentielle, finalement peu débattue : va-t-on vers la fin de la médecine clinique, de la consultation physique, du colloque singulier et direct entre médecin et patient ? Est-ce la chronique de leur mort annoncée qui s’écrit actuellement ?

Le détail du vécuMais de quoi s’agit-il donc ? Le dictionnaire, médical ou général, définit la médecine clinique comme le recueil (ou l’enseignement) des signes et connaissances au contact ou au chevet du pa-tient. De fait, le clinicien reçoit et interroge une personne sur ses événements médicaux – person-nels et familiaux – présents et passés, l’examine physiquement (écoute et inspecte, touche, palpe, percute, ausculte), lit et interprète les résultats d’éventuels examens antérieurs, ordonne d’éven-tuelles investigations paracliniques, enfin synthétise, communique ses conclusions à l’intéressé, ré-dige ordonnances et courriers à qui de droit, revoit la personne, surveille l’évolution de son cas, par-tage le secret médical et in fine entretient le précieux – menacé mais toujours présent – colloque

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singulier. Quelques exemples de constatations faites, lors de ce colloque singulier, par l’examen cli-nique, illustrent son importance : ainsi l’interrogatoire et le dialogue en tête-à-tête permettent-ils de connaître le détail du vécu (le « ressenti ») d’une douleur, d’une fatigue ou d’un essoufflement ; ain-si, chez une personne amaigrie, nerveuse et ayant des palpitations, la constatation d’un éclat du re-gard, la vision et/ou la palpation d’un gonflement de la région cervicale antérieure conduisent aisé-ment à suspecter une hyperthyroïdie et à demander les examens spécifiques qui en découlent ; ainsi, chez une personne ayant des troubles récents du transit intestinal, la perception d’une masse abdo-minale amène directement à des examens morphologiques adaptés, par échographie ou tomodensi-tométrie abdominale.Pour le bon clinicien, le recours à une analyse biologique ou à une imagerie « sophistiquée » est une arme précieuse, mais pas un circuit systématique : la médecine clinique est individualisée et non pas collective. En matière d’enquête policière ou judiciaire, l’apport de plus en plus décisif de la géné-tique moléculaire ne peut se faire sans un relevé initial et consciencieux d’indices « cliniques ». On sait l’importance de la dimension humaine en matière de sécurité et de renseignement, malgré l’ap-port si précieux des données informatiques.

Sélectionner et hiérarchiserLes meilleurs cliniciens ne sont donc pas avares, si nécessaire, de demandes d’examens paracli-niques – qu’il s’agisse de techniques avancées d’imagerie ou de biotechnologies –, mais ils savent les sélectionner et les hiérarchiser selon l’individualité du patient. Inversement, les patients, bien qu’eux-mêmes souvent demandeurs d’examens paracliniques, s’étonnent parfois d’avoir été peu examinés – « auscultés » – cliniquement, même par de « grands spécialistes ». Les enseignants des facultés de médecine ont là une responsabilité pédagogique importante, que les pays anglo-saxons les plus avancés en matière de technologies médicales s’efforcent de conserver.

Face à cette méthode médicale ancienne mais adaptative qu’est la médecine clinique basée sur la consultation physique, d’aucuns prônent son remplacement progressif – jugé, par certains, inéluc-table pour des raisons démographiques – par la consultation informatique virtuelle (télémédecine). En fait, celle-ci reste à réserver à des circonstances particulières : isolement, résolution à distance de questions de grande urgence, avis ou second avis à distance sur des dossiers cliniques, d’imagerie ou de biotechnologies médicales. Il n’est pas rare de voir aujourd’hui « ringardiser » la consultation physique et le colloque singulier direct médecin-malade, notamment en raison d’un nombre crois-sant de personnes sans symptômes recherchant surtout des investigations paracliniques : c’est une critique excessive, comme serait excessive une attitude de recherche qui serait dépourvue d’esprit critique et confondrait prédiction et réalité de demain.

En définitive, défendre la médecine clinique dans son existence, ce n’est pas soutenir des routines dépassées ni contester, dans un esprit conservateur « antiscience », les nouvelles technologies, mais c’est plutôt en orienter humainement l’usage et en exploiter rationnellement les résultats.

*Ancien médecin et chef de service des Hôpitaux de Paris, professeur émérite de l’université -Paris-Diderot et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique

Pierre-Marie Lledo, neuroptimisteLe Monde Science et Techno du 28 septembre 2016 par Sandrine Cabut

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De l’optogénétique au big data, ce chercheur veut exploiter tous les outils pour mieux com-prendre le cerveau. Il lance aussi un vaste programme de science participative. Rencontre avec un chercheur connecté, qui n’a rien oublié de ses humanités

C’est un banal tourniquet, un de ces dispositifs de sécurité qu’on ne s’étonne guère de devoir fran-chir pour pénétrer dans un temple de la recherche comme l’Institut Pasteur. Mais pour le professeur Pierre-Marie Lledo, ces portillons à l’entrée des deux campus parisiens, de part et d’autre de la rue du Docteur-Roux, sont un… obstacle aux échanges entre chercheurs. « Je suis sûr que, depuis qu’ils ont été installés, après les attentats du 13 novembre 2015, les interactions entre nous ont diminué, assure le neuroscientifique. Une étude américaine l’a bien montré, les collaborations se nouent en priorité entre des équipes géographiquement proches. Cela se joue à quelques centaines de mètres. Alors, si on rajoute des tourniquets… »A la tête du département de neuroscience de Pasteur – soit quelque six unités et 180 personnes –, Pierre Marie Lledo a en tout cas déjà fait tomber bien des barrières pour mettre en commun les cer-veaux. « En prenant ce poste en 2014, j’ai réussi à convaincre que les neurosciences doivent être un hub, un cœur de réseau, en connexion avec la microbiologie, l’immunologie, etc. », explique-t-il.

Imaginer des alliances qui ne vont pas de soi, bousculer les idées, y aller au culot… il a toujours ai-mé cela, semble-t-il. En 1987, Pierre-Marie Lledo est à l’Ecole normale supérieure de Cachan et se destine à l’enseignement quand il assiste à une conférence de Jean-Didier Vincent. Séduit, l’étu-diant envoie au neurobiologiste un message « gonflé » pour être accueilli dans son laboratoire de Bordeaux. DEA, thèse… Le professeur Vincent sera son premier mentor. « C’est lui qui m’a aidé à avoir une dimension humaine. Il m’a mis sur un tremplin, et même si je l’ai quitté, il est toujours un phare », affirme l’élève. Le maître lui, n’a rien oublié de ce « diable toujours en mouvement, qui brasse beaucoup mais étreint bien ». Ensemble, ils ont écrit Un cerveau sur mesure, paru en 2012 (Odile Jacob).

Electron libreL’aventure à Pasteur commence en 2001, par un coup d’audace, encore. Lledo répond à un appel d’offres de l’Institut, où la thématique n’est pas spécifiée. « Si Pasteur était parmi nous aujour-d’hui, il ne ferait pas de biologie, mais des neurosciences. Les défis de santé publique, ce ne sont plus les maladies infectieuses, mais les troubles neuropsychiatriques », ose-t-il, devant le conseil scientifique. La stratégie est gagnante. D’abord « électron libre du CNRS » dans l’enceinte pasto-rienne, le neuroscientifique va y rencontrer son deuxième mentor, Jean-Pierre Changeux, qui lui laissera les clés de son unité « Récepteurs et cognition ».

Pierre-Marie Lledo se fait connaître en 2003 en bousculant le dogme de la neurobiologie selon le-quel un cerveau adulte ne peut se réparer lorsqu’il est lésé. Il a découvert que, tout au long de la vie, des néoneurones se forment à partir de cellules gliales, et intègrent les réseaux existants de cellules nerveuses. « Notre cerveau héberge une pouponnière à neurones », traduit-il aujourd’hui dans des conférences où ses conseils pratiques pour stimuler la plasticité cérébrale enchantent le public et les médias : fuir la routine et s’ouvrir au changement ; lutter contre l’infobésité – ces tonnes d’informa-tions que l’on reçoit passivement – et sélectionner les informations ; cultiver l’altérité puisque « le cerveau est une véritable chambre d’écho de l’autre » ; pratiquer une activité physique…

A 54 ans, Pierre-Marie Lledo déborde toujours de projets, qu’il prend le temps d’expliquer, entre-mêlant explications techniques, références philosophiques, enjeux sociétaux et anecdotes, avec un débit et une fluidité déconcertants. Son équipe continue à décrypter les mécanismes intimes de la neurogénèse et de la mémoire, avec des techniques de pointe comme l’optogénétique. Elle étudie notamment l’influence des émotions dans la mémorisation : l’importance du désir d’apprendre, en quelque sorte. Pierre-Marie Lledo chapeaute aussi, avec deux collègues, un vaste programme « Mi-crobiote et cerveau ». « Mon métier, c’est surtout d’offrir à mes chercheurs des conditions permis-sives, afin qu’ils puissent travailler sans limite matérielle. Si un jour ce n’était plus le cas, c’est que j’aurais failli à ma mission », résume-t-il. Le champ du département de neuroscience dépasse large-ment les recherches fondamentales. « Si l’on veut espérer comprendre le cerveau, il faut les combi-

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ner avec des travaux à l’échelle clinique et sociétale, pour que ces approches se nourrissent les unes des autres », s’enthousiasme Pierre-Marie Lledo. L’un de ses projets phares est de développer une nouvelle approche des maladies mentales, grâce aux big data et nouvelles technologies. « Ce qui m’intéresse, poursuit-il, c’est d’utiliser les traces numériques que nous laissons en permanence pour comprendre les bases des comportements, et mieux détecter, voire prévenir, les épisodes pa-thologiques. » En partenariat avec des psychiatres, une application a été conçue, qui recueille en temps réel des données sur le sommeil, la motivation, les émotions… des utilisateurs. Elle va être notamment testée chez des patients avec des troubles bipolaires.

« C’est un visionnaire »« Cela fait dix ans que je travaille sur cette approche dimensionnelle, cette relecture des troubles de l’humeur à partir de comportements simples. Pierre-Marie Lledo nous a accueillis, et a mis toute son énergie pour que ce projet se lance rapidement, se réjouit la psychiatre Chantal Henry (université Paris-Est), à mi-temps à Pasteur pour trois ans. C’est un visionnaire. Il sait instaurer un dialogue avec des gens d’horizon différents, créer une ambiance où l’on s’enrichit mutuellement. »

Ce programme est d’autant plus original qu’il se fait en collaboration avec l’association La Paillasse, un « laboratoire communautaire ». Pierre-Marie Lledo a été inspiré par un projet écolo-gique avec des citoyens au Royaume-Uni, pour étudier des oiseaux. Mais il confesse que l’idée est surtout venue après une expérience personnelle malheureuse. C’était en octobre 2014, et le cher-cheur était invité à une table ronde à l’université de Grenoble, sur le thème de la mémoire. Trois jours plus tôt, dans un long entretien au Monde, il avait évoqué les possibilités de manipuler la mé-moire chez des rongeurs. Dès qu’il a pris la parole, une poignée d’activistes de Pièces et main-d’œuvre – un collectif grenoblois hostile aux technologies – ont déployé des banderoles, l’ont pris à partie… « On a souhaité leur tendre le micro pour entamer un débat, mais ils m’ont accusé de tra-vailler sur la mémoire pour manipuler l’humain, d’être à la solde de l’armée… se souvient-il. On était vraiment dans la théorie du complot. Et puis, j’ai assisté à un basculement de la salle, devenue hostile, par un phénomène classique de contagion des émotions. Nous avons dû partir avec des CRS, car nous avions perdu le contrôle. » Face à une telle mésaventure, beaucoup se seraient enfer-més dans une tour d’ivoire. Lui a réfléchi, et rebondi. « J’ai compris que les scientifiques ne peuvent pas se contenter d’expliquer ce qu’ils font, sinon cela suscite la défiance. Les big data sont une mine d’or, mais c’est avec les citoyens qu’il faut l’exploiter. »

Se considère-t-il transhumaniste ? « Très humaniste », préfère-t-il, en interrogeant sur la définition même de ce mouvement. « Quand vous amenez vos enfants à l’école, n’est-ce pas déjà du transhu-manisme, puisque l’apprentissage de la lecture détourne des circuits initialement dévolus à la re-connaissance des formes ? » Son humanité, son esprit critique, Pierre-Marie Lledo les puise pour beaucoup dans ses lectures philosophiques : Sénèque, Descartes, Spinoza… « Je ne comprends pas pourquoi il y a une telle appréhension vis-à-vis de cette discipline. C’est une boîte à outils. »

Isabelle Dinoire, une mort sans importance ?Huffington Post du 9 septembre 2016 par Emmanuel Hirsch*Une confidentialité transgressée à l'époque

Étrange cérémonial d'hommage que cette annonce de la mort d'Isabelle Dinoire - la "première gref-fée du visage" - intervenue dans Le Figaro le 6 septembre 2016. Un cas d'école en terme de com-munication médicale lorsque l'on se souvient du contexte tapageur dans lequel les équipes du CHU d'Amiens avaient médiatisé jusqu'à l'outrance cette "prouesse" en 2005. Cette démesure avait susci-

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té à l'époque nombre de controverses à la fois d'ordre déontologique (entre deux équipes chirurgi-cales rivales), et éthiques, précisément du point de vue de la rupture du secret médical et de l'expo-sition sur la place publique de l'histoire de ces deux femmes impliquées dans une aventure scienti-fique inédite. Une telle conclusion aujourd'hui, les conditions évoquées de la mort d'Isabelle Dinoire et cette absence de toute parole ne serait-ce que de reconnaissance, pourrait donner l'impression d'une négligence à l'égard de ce qu'a représenté pour elles ce "don" de soi très exceptionnel.

Lorsque l'on constate aujourd'hui les réactions que suscite la révélation subreptice de cette informa-tion, on comprend qu'Isabelle Dinoire, au même titre que tant d'autres personnes volontaires dans l'expérimentation biomédicale, méritent mieux qu'une fuite dans la presse, sans autre commentaire. Je leur exprime, ainsi qu'à leurs proches, la haute considération que d'autres auraient pu leur témoi-gner.

Un retour sur l'actualité permet de s'interroger sur le mutisme adopté en avril derniers par les méde-cins du CHU d'Amiens, respectueux a posteriori de règles de confidentialité transgressées à l'époque. Le 27 novembre 2005, l'expérimentation d'une allogreffe partielle de tissus de la face est réalisée sur Isabelle Dinoire. Le 8 décembre, Paris Match présente le reportage réalisé dans le bloc opératoire, exhibant en couverture la pose du greffon, et titrant : "Miracle de la chirurgie. La femme aux deux visages." Le 15 décembre, le Conseil national de l'Ordre des médecins rend publique sa position : "[...] La médiatisation de l'intervention elle-même a été organisée et a dépassé les limites de la prudence ; des images spectaculaires et morbides du receveur et cruelles pour la famille du donneur ont été diffusées. [...] Le Conseil national de l'Ordre des médecins déplore qu'une commu-nication prématurée, incontrôlée ait conduit à faire prévaloir l'exploit technique sur le respect dû à la patiente, à la personne du donneur, à sa générosité et à celle de sa famille [...]" Seule cette ins -tance nationale aura affirmé sa réprobation dans un contexte d'excès médiatique et de triomphalisme chirurgical réfractaire à la moindre considération d'ordre éthique.

Il faudra attendre le 7 juillet 2006 pour que le Conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine mette en ligne dans la plus grande discrétion son "avis sur la médiatisation de certaines greffes": "[...] Aussi admirable soit la prouesse d'un acte chirurgical ou médical, aussi fondamental est le re-fus de considérer un malade comme le 'faire valoir' d'une compétence, aussi majeure est la nécessité de protéger la personne greffée des risques de pressions financière et psychologique dont elle peut être la cible du fait de sa greffe. [...] Le receveur dispose bien entendu de son propre droit à l'image ; il convient cependant d'attirer son attention sur une nécessaire retenue dans sa communica-tion, ne serait-ce que par respect vis à vis de la famille du donneur. [...]" Rien n'avait été soustrait à l'orchestration d'une communication sans entrave, au point de susciter une vive controverse que je me garderai bien de raviver tant elle mettait en cause les valeurs éthiques indispensables dans les délicates pratiques des prélèvements d'organes.

Refonder les principes de la communication biomédicaleRevenons plutôt sur le caractère exceptionnel de cette tentative et sur les interrogations, voire les ré-serves autres que scientifiques qu'elle suscitait. Dans son avis du 6 février 2004 relatif à l'allotrans-plantation de tissus composites au niveau de la face, le Comité consultatif national d'éthique avait émis des préconisations justifiées concernant l'éventualité de cette expérimentation chirurgicale. La question du consentement y était posée de manière centrale, au même titre que celle de l'évaluation psychologique de la personne susceptible de bénéficier d'une telle greffe. Pouvait-on exposer une personne au risque d'une intervention non vitale et sans réversibilité possible, qui de surcroît exi-geait un traitement antirejet à vie dont on savait les effets secondaires possibles en termes de can-cers ? Comment accompagner la démarche de cette personne qui devrait s'approprier une nouvelle identité à partir de tissus visibles - contrairement aux greffes d'organes interne - prélevés sur la face d'un défunt ? Comment également préserver l'anonymat du don et respecter les proches du donneur, notamment en restituant l'intégrité de son visage avec une prothèse faite à partir de son masque ?

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D'autres enjeux de fond concernaient cette innovation chirurgicale, ses aspects scientifiques, ses modalités pratiques, ses conséquences, les moyens mobilisés et ses possibles applications au-delà de circonstances exceptionnelles. Cette "première" se prolongera par une trentaine d'interventions dont la greffe totale de la face le 26 juin 2010. Des financements seront obtenus en France dans le cadre de programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) ainsi que dans d'autres pays comme les États-Unis tout particulièrement concernés par les blessés de guerre. Pourtant, au-delà de quelques informations sporadiques, les effets d'annonces spectaculaires se sont dissipés, laissant place à d'autres innovations médicales dans le champ de la greffe accompagnés, elles aussi, d'une communication pour le moins discutable. La nouvelle étape serait désormais la greffe de tête... À ne plus savoir au juste où l'on se situe du point de vue des avancées qu'auraient favorisé ces expérimentations chirurgicales. Le devoir de recherche devrait justifier de la part de la communauté scientifique un devoir de restitution d'informations, y compris lorsque les résultats sont négatifs. Cette préconisation est reprise dans les textes internationaux d'éthique de la recherche biomédicale comme par exemple la déclaration d'Helsinki. Dès lors qu'une expérimentation est an-noncée et médiatisée, il y a devoir de l'accompagner jusqu'à son terme d'une communication res-ponsable.

Je me garderai bien d'adopter une posture critique à l'égard de l'innovation biomédicale : elle suscite des attentes d'une telle intensité qu'on ne saurait les décevoir. J'ai conscience de l'immense décep-tion et peut-être du chagrin qu'éprouvent aujourd'hui les personnes qui se sont impliquées avec tant de résolution pour permettre cette exploration de nouvelles approches chirurgicales de la greffe. C'est par étapes que l'acquisition de savoirs et de compétences permet les avancées indispensables. Il convient toutefois de ne pas déroger aux règles éthiques en vigueur ou alors d'envisager d'autres références dans le cadre d'une concertation publique, si elles sont considérées obsolètes.

Pour conclure notre propos sur des considérations plus générales, n'est-ce pas la communication médicale qui doit être repensée ? L'indispensable confiance entre la société et ses chercheurs tient à des règles déontologiques strictes. On ne saurait les transgresser au mépris des principes de dignité et de respect qui fondent l'éthique de la recherche. Les pratiques de la communication biomédicale justifient plus que jamais une refondation et un encadrement préservant l'équilibre entre les droits de la personne malade et ceux de ses proches, les exigences de la recherche et les attentes de la so-ciété. Trop souvent des enjeux dissimulés, les compétitions entre équipes, des pressions institution-nelles, voire financières, incitent à des annonces publiques selon moi aussi pernicieuses que les conflits d'intérêts souvent évoqués.

Isabelle Dinoire était devenue une personne publique. De manière étrange, le secret médical qu'on lui devait n'aura été respecté qu'à sa mort. Et pourtant quelques mois plus tard, de manière subrep-tice, nous en sommes informés. Cela surprend, comme si sa mort avait été considérée sans impor-tance et qu'il fallait, en la dissimulant, maintenir certaines apparences. Il aurait été dès lors sage d'adopter cette position de retenue et de décence dès le début. Ne serait-ce que pour éviter tant d'équivoques et d'approximations qui amplifient les suspicions et les défiances.

*Directeur de l’Espace national de réflexion éthique sur les maladies neurodégénératives, Professeur d’éthique médicale, Université Paris Sud / Saclay

Les femmes sont des êtres humains, pas des "gestatrices" ni des "porteuses"Huffington Post du 20 septembre 2016 par*

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Le 21 septembre, le Conseil de l'Europe examinera un rapport sur la gestation pour autrui (GPA). Son auteure y préconise de reconnaître et d'encadrer la GPA pour deux raisons principales. D'abord, parce qu'elle serait inéluctable : pratiquée dans plusieurs pays à travers le monde, elle est désormais transnationale. Ensuite, parce qu'on peut trouver des femmes qui veulent être mères porteuses - les femmes seraient en effet, par nature, généreuses et "altruistes". La rapporteure** recommande par ailleurs de bannir la pratique commerciale, et d'encadrer ce qu'elle appelle la GPA familiale, amicale, altruiste. Autrement dit, elle encourage les personnes qui cherchent une mère porteuse à se tourner vers leur entourage pour en dénicher une. Si quelques-unes des femmes sollicitées de la sorte ont pu accepter de le faire - telle femme a porté l'enfant de son fils, telle autre celui de sa fille, telle autre encore celui de sa mère -, il est peu probable que tous ceux et toutes celles qui chercheront une mère porteuse, en trouveront parmi leurs proches. On peut aisément imaginer les tensions familiales, la pression qui s'exercera sur les femmes récalcitrantes et qui finira bien par les faire consentir à être altruistes... Pendant longtemps, on a considéré que les femmes se dévouaient à leurs familles et à leurs proches par charité et par esprit de sacrifice. On sait aujourd'hui qu'elles y étaient maintenues par une domination masculine qui les a longtemps empê-chées d'avoir accès à leur propre argent, et d'exercer librement des activités professionnelles. Evo-quer "l'altruisme" et la "générosité" innées des femmes, c'est s'aveugler devant les stratégies de pression et de pouvoir par lesquelles on s'assure de leur consentement. Par ailleurs, donner de l'es-poir aux personnes qui veulent avoir recours à une mère porteuse, c'est aussi nourrir l'offre commer-ciale, qui prospère. Le Conseil de l'Europe se verra ainsi incité à réglementer l'exploitation consen-tie des femmes, leur transformation volontaire en corps gestationnels, pour le bonheur de leurs proches et de leurs ami.e.s.

Mais la gratuité de l'acte consenti par la mère porteuse ne veut pas dire oublier les profits de cette pratique qui rapporte des milliards. En effet, si altruisme il y a, ce sera celui de la "femme por-teuse". En revanche, ce dont on ne parle pas, ce sont les énormes honoraires des avocats qui conseillent parents d'intention et femmes "gestatrices", des agences de recrutement, des cliniques et de tous les autres agents économiques qui tirent profit de "l'altruisme" des femmes. Il faut rappeler que la rapporteure est une militante et une professionnelle de la GPA. Sénatrice en Belgique, elle y promeut une législation favorable à cette pratique. Médecin gynécologue, elle a accompagné des mères porteuses. Enfin, si dans son rapport elle parle de "GPA altruiste", elle collabore à titre pro-fessionnel avec une clinique indienne de GPA commerciale (la clinique Seeds of innocence ; en mars, la rapporteure déclarait à ce sujet : "J'ai accepté de collaborer avec cette clinique pour que les questions éthiques y soient de plus en plus prises en compte" La Libre Belgique, 13/03/16).

Le conflit d'intérêts n'est-il pas évident ?Ce lien très clair entre GPA commerciale et GPA "altruiste" est d'ailleurs présent dans son rapport. La rapporteure recommande au Conseil de l'Europe d'admettre la GPA altruiste, et en même temps de "rapprocher les différentes juridictions dans la lignée des travaux menés au niveau mondial par la Conférence de La Haye de droit international privé" (La Libre Belgique, 13/03/16). Or, cette institu-tion défend les intérêts des lobbys, ses rapports en vue d'établir une convention internationale pour la GPA s'appuient sur les points de vue des avocats conseils, des agences de maternités de substitu-tion et des professionnels de santé - aucune association de défense des droits des femmes n'a été consultée, par exemple. En faisant admettre le principe d'une GPA dite altruiste, basée sur l'exploi-tation consentie des femmes, le rapport qu'examinera le Conseil de l'Europe proposera donc de suivre la future convention internationale que rédigera la Conférence de la Haye, et qui organisera la perpétuation de l'exploitation commerciale de femmes que l'on désigne désormais comme "por-teuses", ou "gestatrices". Mais les êtres humains ne sont pas des outils ou des instruments; on ne doit pas pouvoir les réduire à une fonction. Le Conseil de l'Europe est garant du respect des droits humains. Espérons qu'il continuera à considérer les femmes comme des êtres humains, et non pas comme des "gestatrices" ou des "porteuses".

*Ana-Luana Stoicea-Deram, militante féministe et présidente du Collectif pour le Respect de

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la Personne ; Jocelyne Fildard, militante lesbienne féministe et co-présidente de la Coordination Lesbienne en France et Nora Tenenbaum, féministe pour la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception.

**Petra de Sutter

« En Grande-Bretagne, le débat porte aussi sur le droit à la différence faciale »La Croix du 20 septembre 2016 par Pierre BienvaultAucune greffe du visage n’a été faite outre-Manche où une association milite activement pour mieux faire accepter socialement la défiguration. Entretien avec Marie Le Clainche-Piel, so-ciologue.

Marie Le Clainche-Piel finit actuellement une thèse de sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) sur la transplantation du visage en France et au Royaume-Uni. Depuis 2009, elle a rencontré plus de 80 personnes, des chirurgiens, des médecins, des soignants et cinq greffés du visage en France.

Vous aviez rencontré Isabelle Dinoire, dont on a récemment appris le décès. Comment vivait-elle le fait d’être devenue une sorte d’héroïne de l’histoire de la chirurgie ?Je ne me permettrais pas de répondre à sa place alors qu’elle n’est plus là pour le faire. Il est diffi -cile de savoir si elle restera dans la postérité comme d’autres patients, pionniers dans l’histoire de la greffe. Je crois surtout qu’elle était à la fois une femme en quête d’anonymat et une patiente très in-vestie, au quotidien, dans une innovation médicale dont on ne mesure pas toujours bien les contraintes. Dans le récit médiatique des greffes du visage, on met souvent en avant la virtuosité des chirurgiens. C’est normal mais on oublie un peu les patients, leur engagement, leur implication. Cette greffe est une série d’épreuves qui ne s’arrête pas à la sortie du bloc opératoire. Ils ont un sta-tut singulier de patients « expérimentateurs » qui leur demande d’aller régulièrement à l’hôpital, de prendre un traitement quotidien, de sonder en permanence leur corps, leur peau pour voir s’il n’y a pas un début de rejet immunologique. C’est un travail quotidien.

Les patients que vous avez rencontrés sont-ils tous heureux d’avoir été greffés ?Chaque histoire, chaque parcours est différent. Leur vie est liée à ce qu’ils ont vécu avant la greffe, à l’impact de leur défiguration dans leur vie sociale. Pour eux, l’enjeu de la greffe n’est pas de re -trouver leur visage d’avant. Ils insistent tous sur le fait que leur priorité est de retrouver ce que j’ap-pellerais le « privilège de la normalité ». Ensuite, il faut bien comprendre que tout ne s’arrête pas après la greffe. C’est une temporalité longue. Les choses ne sont pas figées dans le temps. Certains connaissent des phénomènes de rejet du greffon*. Au fil des ans, aussi, leur visage évolue, se trans-forme. Et tous ne le vivent pas de la même façon.

À ce jour dix greffes ont été faites en France. Qu’en est-il au Royaume-Uni ?Là-bas, aucune transplantation du visage n’a eu lieu pour l’instant. Cela peut s’expliquer d’abord par la différence entre le système de santé français et britannique. Les modes de financement pour ce type d’innovation médicale ne sont pas les mêmes. Mais le contexte social, aussi, est différent. C’est difficile de dire si la défiguration est socialement mieux acceptée en Grande-Bretagne. Mais là-bas, il existe une association très active, Changing Faces, qui prône le droit à la différence fa-ciale. Cette association n’est pas complètement opposée aux greffes du visage. Mais elle se bat pour que les patients sachent qu’il est aussi possible de vivre en étant défiguré. Et elle fait des campagnes pour l’égalité face aux apparences.

*En cas de rejet, les médecins adaptent le traitement immunosuppresseur.

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Questions éthiques au cœur de l’étéLa Croix du 20 septembre 2016 par François Mattéi*Si les consciences peuvent parfois s’assoupir dans la torpeur de l’été, il n’en est rien pour les publi-cations scientifiques avec leur lot de nouveautés qui pourraient alors passer inaperçues.

Certaines sont encourageantes. Ainsi, les premiers résultats de l’œil bionique démontrent que la prothèse permet aux aveugles de recouvrer quelques facultés visuelles. Ou encore, la mise au point par les chercheurs canadiens de nano-robots capables de naviguer dans le système sanguin pour dé-livrer directement le traitement aux cellules cancéreuses ciblées. Et aussi, le recours à une rééduca-tion intensive utilisant un système associant la réalité virtuelle à une interface cerveau-machine qui a permis à huit personnes paraplégiques de retrouver un contrôle partiel de leurs jambes plusieurs années après la lésion traumatique. Autant de raisons d’espérer !Certaines se révèlent plutôt déconcertantes. Alors que l’opinion s’est largement élevée contre la dé-cision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) contrevenant à l’interdiction de la ges-tation pour autrui dans le droit français, et que la même opinion s’est dite choquée de la décision du Conseil d’état contournant l’interdiction française de l’insémination post-mortem, voilà que la mi-nistre de la santé vient, au cœur de l’été, de faciliter l’assistance médicale à la procréation à l’étran-ger pour les homosexuelles en abrogeant la circulaire de 2013 qui sanctionnait les médecins orien-tant leurs patientes vers des circuits internationaux. Sans entrer dans le débat de fond, il s’agit sim-plement de savoir quelle valeur on peut accorder au droit français. Dans un autre registre, le mora-toire décidé il y a un an aux États-Unis sur les recherches associant des cellules-souches humaines à des embryons d’animaux est en passe d’être levé à l’initiative des autorités américaines elles-mêmes. Enfin, la multiplication des rachats dans le domaine de l’intelligence artificielle par les géants des technologies amplifie leur position dominante pour viser un monopole alors même que de nombreuses questions éthiques restent en suspens. Le bond des bénéfices d’Alphabet, la maison mère de Google, ne laisse pas d’interroger sur les motivations premières de cette mainmise. Et l’homme dans tout ça ?Enfin, certains projets sont préoccupants. Par exemple, aux États-Unis, un programme de recherche unique au monde propose de détecter la prédisposition génétique des nouveau-nés à plus de 1 000 maladies par le séquençage de leur génome. Le projet qui porte le nom explicite de « BabySeq » est financé par des fonds publics et 85 % des parents se déclarent intéressés. En revanche, les nom-breuses questions éthiques restent sans réponses. La réflexion, nous dit-on, se fera au fur et à me-sure de l’avancement du projet et, selon les résultats, celui-ci pourrait être interrompu en 2020. Parce que la science va beaucoup plus vite que les consciences, celles-ci ne peuvent perdre de temps. Le décalage que souligne la bibliographie estivale contribue aux enthousiasmes prématurés comme aux condamnations injustifiées. La remise à niveau des consciences en quête de discerne-ment impose un réarmement moral et spirituel. Au moment où les projets politiques s’annoncent en France pour les cinq prochaines années, quelle sera la place accordée aux défis éthiques ?*Membre de l’Institut et de l’Académie nationale de médecine

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Pierre Delion, psychiatre accueillantL'Humanité du 22 septembre 2016 par Michel Guilloux

Il est tant de manières d’appréhender un récit dans lequel un témoin se raconte à son interlocuteur, journaliste, qui s’efface devant une parole libre. Nous partirons de celle-ci  : « Le problème, c’est qu’il faut beaucoup de temps pour apprendre la psychopathologie et que nous sommes en train de la désapprendre très rapidement. Dans une génération, plus personne ne pourra dire quelque chose à son sujet. Alors on s’apercevra que, pour certains gosses, le comportementalisme ne suffit pas et qu’ils ont besoin de soins, mais le savoir aura disparu. »

Pierre Delion vient de loin. De son village de la Sarthe, où les conversations dans l’échoppe de pa-rents commerçants jouaient déjà du registre curatif par la parole. De la rencontre avec un professeur de philosophie gréviste et jésuite, qui croise alors Mai 68. Et puis du choc de l’asile, « une conception déficitaire de la folie » qui conduit à enfermer « les pires au fond de l’asile et les moins pires à l’entrée parce que, s’ils guérissent un jour, ils seront plus près de la sortie »… La vie est faite de rencontres. Celle d’un surveillant chef, Basile Kirkov, posera un autre jalon  : le jeune psy-chiatre va alors participer à la naissance de la « bande à Basile », ou comment des soignants vont faire entrer la pensée la plus révolutionnaire de la folie de ces années 1960-1970 par la psychothéra-pie institutionnelle et le secteur, par l’invitation de Jean Oury, de l’autre « poumiste » Tosquelles, du communiste Lucien Bonnafé… Contagion par l’exemple, pédagogie de l’enthousiasme, dirait un Vitez dans un autre registre, prise en compte de l’entourage et de la continuité sociale, de l’hôpital à la cité.

Ce critère de la pratique appliqué à l’abord de la psychiatrie amènera le jeune médecin implanté à Trélazé, alors commune communiste du Maine-et-Loire, à descendre au fond du puits de mine pour faire « adopter » sa méthode et sa personne dans la ville… Dans le « bricolage » qui intègre la per-sonne même du soignant et l’institution face au transfert éclaté du malade, il y a cette conception clef de la « position accueillante » à l’égard du schizophrène dont « le corps parle, pas son langage ». À un autre point du parcours, l’abord de l’enfance et de la violence, dans le Nord, lui fait souli -gner le « besoin de frustration » et de « loi » si on veut que, « dans certains cas, ils soient acces-sibles aux soins ». Apprentissage du principe de réalité, en somme. « Les gamins ont besoin d’édu-catif et de pédagogique, si cela leur suffit, cela ne me pose aucun problème, mais de temps en temps, un enfant a tout de même beaucoup d’angoisses, je suis là pour l’accueillir et pour l’aider. (…) Nous sommes là dans la plus pure tradition de la psychiatrie de secteur . » Pierre Delion est connu pour sa position de pionnier en matière de traitement de l’autisme, à Lille, en particulier. Les campagnes de calomnie ne l’auront pas intimidé. De la cabale contre la méthode du packing aux avis à la scientificité claudicante de la Haute Autorité de santé, un vent mauvais souffle contre la « psychiatrie humaine » comme sur la psychanalyse. Lui garde son cap.

Mon combat pour une  psychiatrie humaine, de Pierre Delion, avec Patrick Coupechoux. Édi-tions Albin Michel, 284 pages, 19,50 euros.

« Oui, on peut vieillir sans développer de cancer »L’Humanité du 23 septembre 2016 par Alexandre FacheÀ l’origine de l’interdiction du Bisphénol A, le chimiste André Cicolella* appelle à mieux

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prendre en compte les causes environnementales des cancers du sein et de la prostate, qui font 21 000 morts par an en France.

Pourquoi parlez-vous d' "épidémie" de cancer du sein ?Parce que c'est la réalité. On pourrait même parler de pandémie, car cette explosion des cancers touche quasiment tous les pays du monde. Aujourd'hui, il y a plus de femmes qui meurent d'un can-cer du sein que du sida. Pourquoi ? Certes, parce que des progrès importants ont été faits dans la lutte contre le sida, à la suite d'une mobilisation mondiale, qui commence à porter ses fruits. Mais aussi parce que tout n'est pas fait pour lutter contre le cancer. Ainsi, en 2013, si l'on fait la somme des cancers du sein et de la prostate (pour avoir une vision des cancers hormono-dépendants sur les deux sexes), ce sont 3,2 millions de nouveaux cas et 800 000 décès qui ont été enregistrés. C'est considérable. Ce terme d' "épidémie" surprend encore aujourd'hui car il est associé en général à une maladie infectieuse, transmissible. On ne pense pas encore le cancer en ces termes. Pourtant, c'est aussi une maladie transmissible : on sait désormais qu'une exposition à une substance nocive, pen-dant la grossesse, va augmenter le risque, pour l'enfant devenu adulte, de développer la maladie. C'est ce qu'ont montré les études sur le DDT, pesticide "miracle" de l'après-guerre, qui était très pré-sent dans notre environnement. Les filles dont les mères avaient une présence importante de DDT dans le sang avaient quatre fois plus de chance d'avoir un cancer du sein. Le DDT a été interdit aux Etats-Unis en 1972, mais d'autres substances nocives ont pris la suite. Résultat : sur les vingt der-nières années, le nombre de cancers du sein a doublé au niveau mondial, et triplé pour le cancer de la prostate.

Au-delà du nombre, c'est sur l'origine de ces cancers que vous alertez aujourd'hui ?Oui. On nous dit que cette explosion est due au vieillissement de la population et aux progrès du dé-pistage. Ces explications sont insuffisantes. J'affirme qu'on peut vieillir sans faire de cancer du sein ou de la prostate. Ce n'est pas un rêve. C'est la situation d'un petit pays, le Bhoutan, situé sur les contreforts de l'Himalaya, entre la Chine et l'Inde. Un pays qui n'est pas parmi les plus pauvres et dont le système de santé fournit des données fiables. Et bien, le Bhoutan a 22 fois moins de cancers du sein que la Belgique, et 18 fois moins que la France, à population égale. Et la seule explication à cet écart, c'est l'environnement au sens large. Il y quarante ans, c'est-à-dire dans cette période où se préparaient les cancers d'aujourd'hui, le Bhoutan n'avait ni route, ni électricité. Evidemment, je ne plaide pas pour qu'on en revienne là. Mais il faut traquer ce qui dans notre mode de vie actuel nour-rit cette explosion des cancers. Le DDT en faisait partie. Il y a désormais les perturbateurs endocri-niens, comme le Bisphénol A. Mais aussi, par exemple, le travail de nuit. Qui explique que les infir-mières ont un taux de cancer du sein plus élevé de 50 % par rapport à la population générale. L'ex-position professionnelle aux solvants est aussi désormais une cause bien identifiée. Et pourtant, le cancer du sein n'a jamais été reconnu comme une maladie professionnelle.

Ce constat que vous faites n'est pas partagé par tout le monde...C'est vrai. L'Institut national du cancer (INCa) continue de dire qu'il n'y a pas de preuves de l'impact des pollutions sur le cancer. Pourtant, les études abondent. Outre celle sur le DDT, on peut citer la série d'articles parus dans la revue de cancérologie Carcinogenesis sur les mécanismes biologiques impliqués dans la survenue des cancers. La vision classique - tout est dans le génome, et plus on vieillit, plus il y a de mutations - est aujourd'hui complètement dépassée. La mutation n'est qu'un des mécanismes à l'origine des cancers. Et je ne suis pas seul à tenir ce discours. L'Académie des Sciences aux Etats-Unis dit la même chose depuis 2007. Il faut s'attaquer au cancer avec les connaissances scientifiques d'aujourd'hui, pas celles d'il y a cinquante ans.

Comment expliquez-vous cette frilosité ?On peut la comprendre car c'est toute une culture de santé environnementale qui fait défaut. Les mé-decins sont formés à soigner, pas à traquer les causes des maladies. Le modèle biomédical dans le-quel on est, et qui a obtenu d'immenses succès, est uniquement basé sur le soin. Or, les maladies chroniques ont des causes, et celles-ci sont beaucoup plus complexes que pour les maladies infec-

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tieuses, qui naissent d'un virus, et de facteurs socio-économiques. Pour le cancer, ou les maladies cardio-vasculaires, il y a une myriade de facteurs à prendre en compte. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas agir. Au contraire, même ! Peut-on aujourd'hui établir une hiérarchie entre ces facteurs de risque ?L'Inserm s'y est essayé cette année. Parmi ces facteurs, il cite l'abaissement de l'âge de la puberté, en ce qu'il augmente le temps d'exposition aux hormones naturelles. Mais cet abaissement ne vient pas de nulle part : il est une conséquence directe de l'exposition aux perturbateurs endocriniens. De même, la sédentarité, en constant progrès du fait de notre mode de vie, est aussi citée parmi les causes des cancers. Tout comme la prise de poids à l'âge adulte, les radiations (subies dans un cadre médical), la contraception, le fait d'avoir des enfants à un âge plus tardif, le fait d'avoir moins d'en-fants... Démêler l'impact de chacun de ces facteurs est très difficile, mais on ne peut s'arrêter à cette difficulté et se satisfaire des seuls progrès du soin. Car des femmes de plus en plus jeunes sont tou-chées. Aujourd'hui, une femme entre 30 et 45 ans a quatre fois plus de risque de décéder d'un cancer du sein que d'un accident de la route. On ne parle pas là d'un problème marginal.

En constante hausse depuis 1980, le nombre de cancers du sein en France s'est stabilisé en 2005, à la suite de l'arrêt du traitement hormonal de substitution (THS), donné au moment de la ménopause. Comment l'analysez-vous ?Cela montre que quand on identifie des facteurs de risque et qu'on agit, cela marche, et ce très rapi-dement. On estime que ce THS était à l'origine de 5 % des cancers du sein. Pour le travail de nuit, l'estimation est de 4 à 5 %. Une étude a aussi montré qu'une jeune femme ayant travaillé quatre ans en travail posté (travail en rotation où des équipes se relaient au même poste - NDLR) avant sa pre-mière grossesse voit son risque de cancer du sein doubler. Il y a donc des leviers sur lesquels agir.

C'est aussi le message fort de votre livre : il n'y a pas de fatalité à cette explosion du nombre des cancers...Exactement. On peut vieillir sans faire un cancer du sein ou de la prostate, qui représentent respecti-vement 12 000 et 9 000 décès par an en France. Sans parler des séquelles chez ceux qui survivent, en termes d'emploi, de bouleversement de la vie personnelle, autant de choses qui ne sont guère quantifiées. Les progrès thérapeutiques sont réels, mais lents. Et personne ne dit plus, comme Nixon en 1971 : "dans vingt ans, nous aurons vaincu le cancer". Donc, agissons sans tarder sur ce que nous pouvons contrôler : notre environnement ; et développons la recherche pour mieux com-prendre les différents facteurs de risques, afin de les hiérarchiser.

Gare aux superbactéries

L’explosion du nombre des maladies chroniques n’est pas la seule menace qui pèse sur notre santé. Mercredi, des dirigeants du monde entier ont appelé gouvernements, médecins, industriels et consommateurs à endiguer les superbactéries résistantes aux antibiotiques. « Certains scientifiques parlent de tsunami au ralenti », a prévenu la directrice générale de l’OMS, Margaret Chan, à la tri-bune de l’ONU. « Si on continue, une banale maladie comme la gonorrhée deviendra incurable. », a-t-elle assuré. À l’origine de ce problème : la surutilisation des antibiotiques, chez les humains mais aussi dans l’élevage.

*Président du Réseau Environnement Santé, le toxicologue André Cicolella publie le 3 octobre "Cancer du sein. En finir avec l'épidémie" (Les Petits Matins, 10 euros). Entretien avec un lan-ceur d'alerte convaincu et convaincant.

« Les jeunes femmes sont encore peu 64

mobilisées »L’Humanité du 26 septembre 2016 par Stéphane AubouardPour Agata Czarnacka, philosophe, fondatrice du mouvement polonais Initiatives féministes, le gouvernement nationaliste conservateur profite d’une jeunesse dépolitisée pour imposer sa loi.

Aujourd’hui, quel est le véritable état de la société polonaise face à un enjeu aussi crucial que le droit des femmes à disposer de leur corps ?Les Polonais se réveillent peu à peu. De mai à août, notre collectif Sauvons les femmes a récolté 215 000 signatures (100 000 étaient nécessaires) pour pouvoir déposer notre projet de loi pro-choix. Notre proposition (rejetée en première lecture) autorise l’IVG sans condition jusqu’à la 12ème se-maine de grossesse. Ces 215 000 signatures sont donc une avancée énorme, comparées aux 30 000 que nous avions récoltées en 2011 lors d’une précédente tentative du camp conservateur d’abroger la loi. Mais on est encore loin des deux millions de signatures de 1992 sur le projet civique de réfé-rendum portant sur la même question. À l’époque, les Polonais qui sortaient de la séquence Solidar-nosc étaient plus politisés. Depuis, la machine libéralo-catholique est passée par là, anesthésiant toute la société, la jeunesse en premier lieu. Les signatures récoltées ces trois derniers mois sont celles de femmes de plus de 40 ans, celles-là mêmes qui s’étaient battues au début des années 1990 pour leurs droits. Les jeunes femmes, premières visées par la loi anti-avortement, sont encore peu mobilisées.

La première ministre, Beata Szydlo, s’est engagée en faveur de la loi anti-avortement. Quel est l’intérêt pour Droit et justice (PiS) , le parti au pouvoir, de soutenir une telle loi ?Je vois trois intérêts : faire plaisir à l’Église. Imposer le modèle conservateur de la famille comme pilier culturel et identitaire en opposition à ce que propose l’Union européenne. Et surtout, par clientélisme, répondre à une certaine frustration masculine. La migration dans les villes est princi-palement le fait des jeunes femmes qui partent dans les universités. Avec un retour aux formes les plus traditionnelles de la famille dans les provinces, le gouvernement répond aux frustrations des hommes avec des mesures radicales : militarisation de la société, mouvement de défense territoriale – aujourd’hui n’importe qui peut s’inscrire dans un programme de formation de milicien et obtenir une arme. La loi anti-avortement fait partie du package visant à « défrustrer » ces hommes et faire que les femmes ne puissent plus partir. Leurs faibles revenus les empêcheraient en effet de partir à l’étranger.

Les députés de PiS ont-ils eu des consignes de vote ?Il n’y a pas de consignes de vote officielles. Mais tout le monde sait que la majorité de ses députés pèseront dans le débat. Une loi comme celle-ci peut aussi provoquer une grande crise sociale qui permettra de couvrir les problèmes économiques du pays et exacerber les relations déjà tendues avec l’UE. Bruxelles, qui met déjà la pression sur Varsovie au sujet de la crise constitutionnelle, re -culera sans doute sur le sujet. À tort. En Pologne, il y a une méfiance profonde envers le droit euro-péen. Cela pourrait se résumer ainsi : la Pologne veut bien de l’argent de l’UE car nous avons beau-coup souffert, mais nous décidons de nos lois. En 2007, trois ans après l’adhésion du pays à l’Union européenne, Varsovie avait rejoint le protocole britannique qui exclut le chapitre VI sur le droit so-cial de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, c’est-à-dire le chapitre sur la soli-darité : droit du travail, action collective, droit de la famille. C’était un signe avant-coureur qui au-rait dû alerter.

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La psychiatrie désaliénisteL’Humanité du 30 septembre 2016, chronique philo de Cynthia Fleury Dans un rapport publié en mai 2016, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) déplorait la banalisation de la mise à l’isolement dans les hôpitaux psychiatriques, avec des cas parfois frôlant l’indignité et la mise en danger de la personne vulnérable. La contention est bien sûr un signe des manques de moyens dans les organisations de soins… Mais pas seulement, hélas. Inutile de se voiler la face. Mon combat pour une psychiatrie humaine (Albin Michel, 2016) montre combien celui-ci est loin d’être un défi inactuel. Le psychiatre Pierre Delion, avec l’aide du journaliste Patrick Coupechoux, y conte les affres de sa vie professionnelle et comment la relation humaine est, au-delà du socle du soin, le soin lui-même.

Il y défend une psychiatrie transférentielle à l’opposé de ses premières expériences, dans les années 1970, lorsqu’il était tout jeune médecin : « Il me revenait sans cesse à l’esprit l’image de cette surveillante qui nous avait accueillis dans le pavillon du fond, et qui avait dit au médecin-chef, en se tenant au garde-à-vous : tout va bien docteur. Le tout va bien, c’était les patients attachés au radiateur, d’autres en train de s’automutiler, de se taper dessus ! Je me demandais où je venais de mettre les pieds et j’étais décidé à ne pas faire de vieux os ici  ». ses inspirations : Tosquelles bien sûr, Oury, Chaigneau, Bonnafé, Torrubia, tous ceux qui ont défendu la psychothérapie institutionnelle.

Plusieurs combats ont dû être menés : ne plus séparer les malades, les laisser circuler librement malgré le risque d’évasion, faire avec eux, participer à leurs activités, partager beaucoup plus la fonction soignante, notamment avec tous les autres « soignants », y compris la cuisinière, pratiquer la « constellation » soit ce moment où l’on réunit tous les gens qui portent, pour chacun d’entre eux, un fragment du discours – pas seulement celui du langage, mais aussi celui du corps – du malade, ou encore ce que Delion appelle la trilogie des fonctions phorique, sémaphorique et métaphorique qui forment la «  fonction contenante » qui permet d’accompagner au plus près le patient, de traverser avec lui ce qu’il traverse : par exemple, si l’on ne peut empêcher la contention, au lieu d’abandonner le patient à lui-même, de l’isoler, pratiquer plutôt le packing, transformer la contention en contenance, rester près de lui, l’envelopper de ses mots et de son regard, et attendre avec lui que la crise aigüe passe.

La folie n’est pas un phénomène à part, ne concernant que certains d’entre nous. Tosquelles avait pour habitude de dire que ceux qui sont dans les asiles sont des gens qui ont raté leur folie, autrement dit ceux qui ne sont pas arrivés à jouer avec elle, en étant parfois un peu paranoïaques, parfois un peu hystériques, parfois un brin schizophrènes, comme nous le faisons tous pour nous sauver face à des situations inacceptables… mais sans jamais devenir totalement fous. Lorsqu’on ne peut plus jouer, la folie apparaît et l’inconscient devient à ciel ouvert. Au cœur de cette humanité souffrante, la psychothérapie institutionnelle est plus que jamais une nécessité résistante.

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