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PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Vendredi 28 février 2014 NOTE DE SYNTHESE – SUJET 2 durée de l’épreuve : 4 heures A/ A partir des documents ci-joints et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les conséquences éthiques et économiques de l’homme augmenté. LISTE DES DOCUMENTS Document 1 L’homme « augmenté » Le Nouvel Observateur, 2 janvier 2014, n°2565 Document 2 2035, l’homme 100% refait ? 2060, un homme transformé ? Okapi, 1 er octobre 2011 Document 3 Humain, inhumain, trop humain. Réflexions philosophiques sur les biotechnologies, la vie et la conservation de soi à partir de l’œuvre de Peter Sloterdijk Yves Michaud, Editions Micro Climats 2002 Document 4 Au-delà de l’humain, Rémi Sussan Sciences Humaines, Mars-avril-mai 2007 Document 5 L’homme augmenté, fin de la morale ? La Croix, 15 novembre 2013 Document 6 Bientôt greffés de la tête aux pieds ? Sud Ouest, 5 janvier 2014 Document 7 Il est probable qu’un jour nous vivrons mille ans Interview de Laurent Alexandre, Sud Ouest, 5 janvier 2014 Document 8 La technologie vous transforme en « mutant connecté » Trends, 18 juillet 2013 Document 9 L’homme simplifié, le syndrôme de la touche étoile, conclusion (extraits) Jean-Michel Besnier, Edition Fayard 2012 Document 10 Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ? Jean-Michel Besnier, Edition Hachette littérature 2009 Document 11 Mécanhumanimal #04 Enki Bilal, affiche de l’exposition donnée au Musée des Arts et Métiers 1

Document 5 : Pourquoi l'obésité explose-t-elle dans les pays

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PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Vendredi 28 février 2014

NOTE DE SYNTHESE – SUJET 2

durée de l’épreuve : 4 heures A/ A partir des documents ci-joints et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les conséquences éthiques et économiques de l’homme augmenté. LISTE DES DOCUMENTS Document 1 L’homme « augmenté » Le Nouvel Observateur, 2 janvier 2014, n°2565 Document 2 2035, l’homme 100% refait ? 2060, un homme transformé ? Okapi, 1er octobre 2011 Document 3 Humain, inhumain, trop humain. Réflexions philosophiques sur les

biotechnologies, la vie et la conservation de soi à partir de l’œuvre de Peter Sloterdijk Yves Michaud, Editions Micro Climats 2002

Document 4 Au-delà de l’humain, Rémi Sussan Sciences Humaines, Mars-avril-mai 2007 Document 5 L’homme augmenté, fin de la morale ? La Croix, 15 novembre 2013 Document 6 Bientôt greffés de la tête aux pieds ?

Sud Ouest, 5 janvier 2014 Document 7 Il est probable qu’un jour nous vivrons mille ans

Interview de Laurent Alexandre, Sud Ouest, 5 janvier 2014 Document 8 La technologie vous transforme en « mutant connecté »

Trends, 18 juillet 2013 Document 9 L’homme simplifié, le syndrôme de la touche étoile, conclusion (extraits)

Jean-Michel Besnier, Edition Fayard 2012 Document 10 Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ? Jean-Michel Besnier, Edition Hachette littérature 2009 Document 11 Mécanhumanimal #04

Enki Bilal, affiche de l’exposition donnée au Musée des Arts et Métiers

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B/ Questions (les calculatrices sont interdites ; une règle double-décimètre transparente est autorisée) :

1. Que vous inspire l’œuvre d’Enki Bilal Mécanhumanimal #04 ? Document 11 page 24 (2 points)

2. a) En liaison avec l’interview de Laurent Alexandre (document 7, page 15) et en faisant l’hypothèse que l’espérance de vie (actuellement de 85 ans pour les femmes nées en 2014, source INED) augmente de 50% tous les 100 ans, donnez la date à laquelle elle atteindra 400 ans. Pour cela vous donnerez auparavant les espérances de vie attendues pour les années 2114, 2214, 2314, et 2414. (1 point) b) Sous la même hypothèse d’évolution de l’espérance de vie des femmes, quelle aurait été l’espérance de vie des femmes en 1914 ? (1 point)

Dans le cas où un candidat repère ce qui lui semble être une erreur typographique, il le signale très lisiblement sur sa copie, propose la correction et poursuit l’épreuve en conséquence. Si cela le conduit à formuler une ou plusieurs hypothèses, il le mentionne explicitement.

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Document 1 L’homme « augmenté » Le Nouvel Observateur, 2 janvier 2014, n°2565

(afin d’en faciliter la lecture, les textes de l’image ont été reproduits ci-dessous)

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L’homme « augmenté » Cerveau La société britannique ReNeuron a injecté des cellules embryonnaires neuronales dans le cerveau de douze hommes victimes d'une attaque vasculaire cérébrale due à un caillot, six à vingt-quatre mois après leur attaque. Cet essai, destiné à tester la sûreté du procédé, n'a pour l'instant pas produit de résultat négatif. Mais l'élimination des symptômes est un but plus lointain. Oeil L'américain Advanced Cell Technology a injecté des cellules souches sous la rétine de deux patientes atteintes de dégénérescence maculaire sèche (maladie de la rétine liée à l'âge affectant la vision de 12% des personnes entre 65 et 75 ans) et de la maladie de Stargardt (affection héréditaire de la rétine). L'opération a entraîné « des améliorations mesurables de leur vision qui ont persisté plus de quatre mois », selon l'Alliance pour la Médecine régénératrice. Coeur Des chirurgiens de l'université Yale ont utilisé, il y a deux ans, des cellules souches de la moelle épinière d'Angela Irizarry, 4 ans, atteinte d'une cardiopathie congénitale cyanogène, ou maladie du « bébé bleu », pour créer avec succès un nouveau vaisseau sanguin (angiogenèse) se substituant à une partie déficiente de son coeur. Foie Le belge Promethera Biosciences est en train de recruter vingt jeunes patients de 6 semaines à 16 ans, dans onze centres cliniques en France, en Belgique, au Royaume-Uni, en Italie et en Israël. Son médicament HepaStem, issu de cellules souches isolées du foie humain adulte, est testé sur une affection rare et souvent fatale du foie, le désordre du cycle de l'urée, ou syndrome de Crigler-Najjar. Moelle épinière L'université de Zurich expérimente une thérapie à base de cellules souches neuronales adultes, greffées directement dans la moelle épinière de douze patients atteints de lésions plus ou moins graves de la moelle, au niveau du thorax. L'américain StemCells Inc., partie prenante de l'essai clinique, vient d'obtenir l'autorisation de le prolonger sur un deuxième site au Canada. Crâne Le français OsseoMatrix est en train de mettre au point, à partir de scanners 3D, des implants bio-céramiques sur mesure, capables de compenser d’importantes pertes osseuses touchant en particulier le crâne et le visage. Les technologies d’impression 3D vont par ailleursrévolutionner l’orthopédie, en produisant des « exosquelettes » personnalisés, légers, qui pourraient remplacer les plâtres pour soigner les fractures. Oreille De nombreux centres hospitaliers pratiquent couramment l'installation chirurgicale d'implants cochléaires, systèmes électroniques placés sous la peau et dans l'oreille qui ont révolutionné la prise en charge de la surdité neurosensorielle sévère. Cœur La société française Carmat vient tout juste de tester son prototype de cœur artificiel, conçu avec des bio-matériaux de pointe, sur un patient souffrant d’insuffisance cardiaque à un stade terminal.

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Main Il est possible de construire des prothèses de main ou de jambe commandées par les muscles grâce à des impulsions myoélectriques. Mais ces membres artificiels coûtent des dizaines de milliers d'euros. Le projet Bionico du LabFab de Rennes ambitionne de mettre au point une main bionique low cost (moins de 1000 euros), en utilisant des briques fonctionnelles déjà existantes. Thérapies cellulaires Déjà utilisées pour soigner les grands brûlés ou traiter certaines leucémies, les thérapies à base de cellules souches font l’objet de plus de deux cents essais cliniques expérimentaux sur d’autres types d’affection. Prothèses et implants Les progrès en électronique et en robotique, notamment, permettent d’améliorer sans cesse la qualité, la liaison et la performance de membres ou d’organes de remplacement. Lexique ADN : l'acide désoxyribonucléique porte les informations génétiques qui déterminent l'hérédité des individus. Véritable système d'information du développement de l'organisme, il se présente sous la forme d'une double hélice, dont les deux brins de nucléotides (acédine, thymine, guanine, cytosine) s’associent de façon très spécifique. Cellule : c’est l’unité élémentaire de tout être vivant. Le corps humain en contient quelque 70 000 milliards. De formes et de fonctions différentes, elles possèdent toutes un noyau, porteur de vingt-trois paires de chromosomes constitués d’ADN. Cellules souches : extraites d'embryons humains surnuméraires ou de certains tissus adultes, ces cellules sont « pluripotentes » : elles ont la capacité de se différencier en cellules du coeur, du foie, de la peau, du cartilage, du cerveau ... Gènes : ce sont des portions d’ADN qui fonctionnent comme des unités d'information. L'ADN humain comprend entre20 000 et 25 000 gènes, chacun identifié par une séquence spécifique des quatre nucléotides A, T, C, G. La machinerie cellulaire lit ces gènes et les traduit par la production de protéines, indispensables au fonctionnement de l'organisme. IPS : ce sont des cellules souches pluripotentes, induites par l’ajout d’enzymes à des cellules déjà différenciées. A l’avenir, elles pourraient remplacer les cellules souches dans les thérapies cellulaires. Thérapie cellulaire : elle consiste à réparer des des tissus lésés - accidentellement ou par une maladie - en utilisant les cellules souches issues d'embryons ou d'adultes qui sont à l'origine même des différents tissus.

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Document 2 2035, l’homme 100% refait ? Okapi, 1er octobre 2011

(afin d’en faciliter la lecture, les textes de l’image ont été reproduits ci-dessous) 2035, l'homme 100 % refait? D'ici vingt à trente ans, la médecine aura accompli de nouvelles prouesses. Et tentera de nous faire vivre encore plus vieux ! La médecine de demain sera capable de guérir de nombreuses maladies grâce à des traitements « ultra·ciblés » qui nous soigneront exactement là où il faut, cellule par cellule. Elle sera aussi championne pour reconstituer les organes endommagés, à l'aide de techniques permettant de cultiver de nouvelles cellules. Tous ces progrès feront encore grimper l'espérance de vie. Mais certains chercheurs visent encore plus haut : empêcher les cellules de vieillir ! Malgré les avancées de la médecine, les cellules de notre corps se dégradent toujours lentement. C'est le processus du vieillissement, au cours duquel la taille des gènes contenus au coeur de nos cellules diminue sans arrêt. Les biologistes estiment que l'être humain n'est pas « programmé naturellement » pour vivre plus de 125 ans. Mais si on découvre des substances pouvant stopper le raccourcissement des gènes, il sera en théorie possible de vivre plus de 130 ans ... Certains scientifiques comptent bien « guérir le vieillissement » et rester en pleine forme jusqu'à cet âge plus qu'avancé ! Mais d'autres trouvent dangereux de vouloir contrôler à ce point le déroulé de la vie humaine. Neurones de rechange Si une zone du cerveau se détériore, on y greffera une puce contenant un réseau de neurones artificiels, qui remplaceront les neurones défaillants. Par exemple, une greffe de puce dans

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l'hippocampe, une structure du cerveau essentielle à la construction des souvenirs, pourra restaurer une mémoire vacillante. Clone de poumon Les médecins pourront fabriquer des clones d'organes vitaux avec des cellules synthétiques, fabriquées en laboratoire mais fonctionnant comme des cellules biologiques. Gènes médicaments L'arthrose, maladie des articulations qui touche de nombreuses personnes âgées, vient souvent d'un dysfonctionnement de certains gènes. Le problème sera en grande partie résolu par l'injection dans les articulations de gènes stoppant l'usure des cartilages. Ce principe de thérapie génique concernera sans doute de nombreuses maladies. Rétine toute neuve On pourra remplacer les cellules du fond de l'oeil, qui ont tendance à s'abîmer avec l'âge, par des puces électroniques, sur lesquelles on projettera les images prises par des microcaméras (en surface ou sur des lunettes). Vision quasi parfaite garantie ! Cellules miraculeuses Certaines cellules du corps, les cellules souches, peuvent être prélevées et cultivées en laboratoire, de façon à produire différents types de cellules : des cellules de peau, de foie, de muscle, etc. Dans le futur, des cellules nerveuses obtenues à partir de cellules souches pourront par exemple être injectées dans la moelle épinière d'une personne paralysée (en haut de la colonne vertébrale) pour lui permettre de remarcher. Mini-médecins Grâce aux nanotechnologies, qui permettent de manipuler des objets de quelques milliardièmes de mètre seulement, on enverra dans le corps des nanorobots autonomes. Ils délivreront des médicaments à des endroits extrêmement précis et détruiront des cellules malades.

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(afin d’en faciliter la lecture, les textes de l’image ont été reproduits ci-dessous) 2060, un homme transformé ? Dans cinquante ans, les humains pourraient être dopés par la bionique et la génétique… Et presque devenir inhumains ? Et si l'Homme ne se contentait pas de vivre vieux et en bonne santé ? Les progrès de la médecine bionique et de la recherche génétique pourraient tôt ou tard imposer une idée radicale : pour rester compétitif, chacun aurait intérêt à être « augmenté », c'est-à-dire rendu très fort et très intelligent grâce à la médecine. Avant leur naissance, les humains seraient « génétiquement améliorés », c'est-à-dire qu'on éliminerait de l'ADN des embryons tous les gènes présentant des risques de maladies ou de défauts. Les fœtus pourraient ensuite se développer dans des machines déjà à l'étude aujourd'hui, les « utérus artificiels ». Équipés enfin d'un grand nombre d'implants électroniques, voire capables de se brancher à des machines, ils ressembleraient un peu aux cyborgs (mélanges d'humains et de robots) de la science-fiction ... Ainsi, le mouvement transhumaniste, né aux États-Unis, envisage que nous nous transformions en machines compliquées, rendues presque immortelles par un entretien correct et régulier. Heureusement, la plupart des chercheurs rejettent ces idées qui font froid dans le dos ! D'ailleurs, serait-ce si génial de devenir immortels ? Yeux de lynx Les yeux seraient équipés de rétines artificielles et de microcaméras, qui permettraient de voir de très loin, en pleine nuit comme les chats ou dans l'infrarouge comme les serpents, qui sentent la chaleur dégagée par les corps.

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Organes de rechange Grâce aux progrès de la génétique, tous les organes vitaux – comme ce coeur et ce foie – seraient modifiés pour être plus résistants et performants. Ils seraient aussi clonés systématiquement afin de toujours disposer de « pièces de rechange » en cas d'urgence. Super squelette Pour augmenter la souplesse, la force et la rapidité de l'homme, on injecterait des cellules synthétiques très résistantes et légères dans tout son squelette. Tous branchés ! Afin de pouvoir charger et décharger facilement de nouvelles connaissances, le cerveau serait équipé d’ une interface (le futur de la prise USB ou de la liaison Wi-Fi) qui le relierait à des ordinateurs. Disques durs cérébraux Des mémoires bio-électroniques pouvant accueillir de grandes quantités de connaissances nouvelles et immédiatement accessibles seraient greffées dans le cerveau. Un peu comme des disques durs ajoutés à un ordinateur. Oreille ultrasensible Grâce à un implant semblable à un micro perfectionné, qui serait situé juste sous la peau, l'oreille pourrait devenir sensible à des sons très faibles, mais aussi très graves (infrasons) et très aigus (ultrasons) Document 3 : Humain, inhumain, trop humain. Réflexions philosophiques sur les biotechnologies, la vie et la conservation de soi à partir de l’œuvre de Peter Sloterdijk Yves Michaud, Editions Micro Climats 2002 Arnold Gehlen (36) affirmait que, dépourvu d'instincts, l'animal humain dépend entièrement de ses ressources techniques pour agir : les outils sont des substituts ou des machines à amplifier l'action des organes. Il distinguait en conséquence entre les techniques de renforcement (Verstärkung) qui étendent nos performances corporelles directement ou moins directement (comme le marteau, les lunettes, le microscope, le téléphone), les techniques de facilitation (Entlastung) qui déchargent nos organes, leur économisent des efforts (comme la brouette, la poulie, la voile, la bicyclette), et enfin les techniques de remplacement (Ausschaltung) qui nous permettent des réalisations qui vont au delà de nos organes (le scaphandre de plongée, le chalumeau, le scanner). La technique engendre ainsi une nature artificielle et un homme aux capacités élargies. Au fur et à mesure du développement technique l'homme voit ses possibilités organiques remplacées par des possibilités non organiques : des matériaux artificiels remplacent progressivement les matériaux organiques et des énergies non organiques remplacent l'énergie organique. L’homme objectiverait ou aliènerait d'abord ses organes les plus externes dans les outils, puis il objectiverait son énergie et enfin sa pensée. À notre époque, dit dans la même logique Sloterdijk, à des organes imparfaits sont sans cesse substitués des machines plus performantes. Un second monde, prothétique, vient s'ajouter au corps. Il s'agit non seulement de prothèses réparatrices mais plus encore de prothèses expansives (37). L'univers technologique est la cathédrale des prothèses. On pourrait même dire de manière provocante que les invalides sont les précurseurs de l'homme de demain, que nous sommes devenus des invalides

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heureux augmentant, leurs pouvoirs à force de prothèses et d'extensions. Ces extensions sont opératives, sensorielles et cognitives. Sloterdijk énumère ces prothèses : bio-matériaux mécaniques ou électroniques, organes transplantés naturels ou artificiels, moyens de locomotion, rythmique étrangère (stimulateurs cardiaques ou nerveux, pacers de toute sorte), anesthésiques, psychotropes, neuro-designing et programmation mentale. Sans oublier la panoplie des biotechnologies : grossesses étrangères, utérus artificiels : « on voit ici s'annoncer à l'horizon des créatures vivantes étrangères et technogènes (38) ». Face à ces miracles sans miracle, à cette nature en marge de la nature, Sloterdijk en appelle, comme le faisait aussi Simondon, à une ontologie de ces nouveaux êtres techniques (39). Certes, c'est toujours dans notre corps que nous vivons mais « nous faisons passer une partie de plus en plus importante du corps naturel vers le corps d'expansion technique ». Nous sommes d'autant plus avantagés que nous devenons des machines mais nous en sommes aussi d'autant plus décontenancés et vexés. Il faudrait proposer, à la manière d'Auguste Comte, une nouvelle loi des Trois Etats qui expliquerait les décalages qui ne cessent de se produire entre ce que nous vivons en termes de développement technique et la manière dont nous l'éprouvons et le réfléchissons dans nos pensées. Nous sommes à la fois des animistes de l'Antiquité, comme aux temps où nous pensions avoir en nous une âme sans être encore des sujets, des subjectivistes de l'Âge moyen du sujet, quand nous pensions accéder à la maîtrise du monde, et les machinistes asubjectivistes des temps de la cathédrale des prothèses. La relation entre ces trois âges en nous est toujours difficile et il y a des « prédécesseurs vexés ». Ce qui permet à Sloterdijk une explication des permanences et contradictions du concept d'humanisme. L'humaniste subjectiviste prétend que rien de ce qui est humain ne lui est étranger tout en tolérant encore l'héritage animiste. Tel est le paradoxe du rationaliste qui lit quand même son horoscope tout en affirmant haut et fort le primat de l'éthique. Le paradoxe contemporain est donc celui d'une vie technique au sein d'une pensée prétechnique. L’humanisme « classique » se trouve soudain sur la défensive et même littéralement en position de protestation réactionnaire. Car la pensée classique n'est pas capable de rendre compte de ce monde technique : elle a toujours conçu les êtres techniques et les artefacts en général comme des formes déficientes de l'Être : « on ne peut pas dire dans un langage de l'Être ce que sont « par nature » les machines, les systèmes de signes et les oeuvres d'art (40) ». Les artifices sont des bâtards ontologiques, des créatures de l'illégalité ontologique. Ce qui conduit à la dévalorisation de la technique et des simulacres de l'art auxquels on oppose la « première nature », la nature naturelle en quelque sorte qui, elle, ne sort jamais de son possible on aura reconnu les thèmes heideggeriens du discours sur la technique. Pour Sloterdijk, au contraire, c'est à partir de la modernité machiniste qu'on doit poser la question d'un nouvel humanisme. 36. Arnold Gehlen, 1904-1976. I’ouvrage auquel je fais référence est L'homme à l'âge de la technologie, publié d'abord en 1949 sous le titre Problèmes socio-psychologiques dans la société industrielle, repris et développé sous le titre Die Seele im technischen Zeitalter en 1957. 37. Sloterdijk (P.), L'heure du crime et le temps de l'oeuvre d'art, ouvr. cit., p. 73. 38. Ibid., p. 74. 39. Ibid., pp. 74-75. 40. Ibid., p. 30.

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Document 4 Au-delà de l’humain, Rémi Sussan Sciences Humaines, Mars-avril-mai 2007 Face aux limites de nos corps, les transhumanistes proposent une transformation radicale de l'homme, prônant, en plus de la création de robots conscients, celle de posthumains immortels dont l'intelligence décuplée permettrait la domination de l'univers. Et si changer la société ne suffisait plus ? Et si nos limitations, loin d'être le produit de notre ignorance ou de notre stupidité, étaient inscrites dans notre chair ? La question posée jadis par les gnostiques sur la nature imparfaite de notre univers reste toujours d'actualité, mais leurs modernes successeurs disposent d'un arsenal de méthodes beaucoup plus impressionnant : les nanotechnologies, pour recomposer notre environnement à l'échelle atomique ; la génétique, pour reconfigurer notre nature ; les neurosciences, pour booster notre intelligence et devenir, littéralement, ce que nous désirons être ; l'intelligence artificielle (lA), pour créer des serviteurs, ou peut-être des dieux, à notre démesure ; et même la physique quantique, pour remettre en question la stabilité de l'espace et du temps. Malgré le caractère prométhéen du progrès technique et scientifique du siècle passé, il faut reconnaître qu'ils sont rares ceux qui ont revendiqué ouvertement un tel projet de transformation. Les scientifiques eux-mêmes restent encore plus que réservés sur de telles idées, soit en raison d'une saine défiance vis-à-vis des spéculations délirantes, soit par crainte d'être cloués au pilori par une population hystérique : la vie est déjà bien assez compliquée avec les cellules souches. Pourtant, ce désir de transformation radicale de l'homme a fait son chemin pendant les cinquante dernières années, d'abord de manière très « underground », au sein de la « pop' culture » et des mouvements marginaux. Puis de façon plus ouverte. Aujourd'hui, certains chercheurs, notamment issus des disciplines les plus récentes, comme la robotique ou la cosmologie quantique, osent assumer certaines des visions les plus extrêmes autorisées par ce que l'on peut attendre des technologies futures. Dans le même temps, divers mouvements. tels les extropiens ou les transhumanistes, tentent de convertir le public à leur futurisme extrême. De la science-fiction ... Il serait long et difficile de retrouver les racines du désir d'un changement technologique de la condition humaine : c'est un rêve aussi vieux que l'histoire. Mais c'est dans les années 1930, cependant, que l'on trouve pour la première fois le récit d'une tentative systématique de refaire l'homme. Olaf Stapledon, professeur anglais de philosophie, écrit à cette époque deux romans tentant de resituer l'évolution de l'humanité dans une perspective très large, cosmique. Les Derniers et les Premiers (1930) raconte ainsi l'histoire de 18 races humaines, dont les 15 dernières sont artificiellement conçues. Cette saga, cependant, ne constitue qu'un bref instant d'un autre livre de O. Stapledon, Star Maker (Le Faiseur d'étoiles, 1937), une épopée de l'éveil à la conscience de l'univers entier. Ces deux ouvrages sont à peine des romans, bien plus des essais déguisés. Mais l'influence de O. Stapledon sur la littérature d'anticipation s'avérera féconde. De fait, les espoirs de mutation vont trouver dans la science-fiction leur expression privilégiée. En 1968, 2001 : l'odyssée de l'espace, la nouvelle d'Arthur C. Clarke adaptée au cinéma par Stanley Kubrick, est un véritable manifeste transhumaniste : la conscience, imagine A.C. Clarke, commence à s'exprimer dans des corps biologiques, avant de migrer vers des enveloppes robotiques plus adaptées (comme les fameux monolithes noirs du film) puis de devenir pure énergie. Ce n'est pas un hasard si le roman et le film de A.C. Clarke et S. Kubrick datent des années 1960. L’époque est remplie d'espoirs posthumains : l'homme quitte son puits de gravité pour conquérir la Lune et la croyance aux soucoupes volantes, à l'existence de races extraterrestres supérieures, est à son apogée. Surtout, des milliers d' « enfants fleurs » tentent d'accroître leur niveau de conscience en utilisant l'un des produits phare de la nouvelle neuroscience, le LSD. […]

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... au transhumanisme Dans les années 1980, Max More, philosophe anglais expatrié aux Etats-Unis, fonde l'Extropy Institute, sans doute première association officielle ouvertement transhumaniste. Depuis, d'autres groupes ont été créés, comme la World Transhumanist Association (WTA), par Nick Bostrom qui dirige aujourd’hui le Future of Humanity Institute à l'université d'Oxford. Tous ces mouvements défendent la possibilité de l'immortalité physique, l'augmentation des capacités humaines (notamment l'intelligence), la fusion finale entre l'homme et la machine. Bien souvent, ils s'opposent à ce qu'ils considèrent comme l'antiscientisme ambiant, porté par le renouveau religieux, et défendent les bienfaits de la technologie et de la science en général. Malgré un socle commun, les transhumanistes se déchirent volontiers sur les sujets plus concrets, comme la politique (les opinions vont de l'ultralibéralisme à la gauche), ou les sujets d'actualité (par exemple la guerre en Irak) sur lesquels il n'existe aucun consensus. En revanche tous sont d'accord pour rejeter le racisme, le sexisme ou le recours aux solutions totalitaires du type « meilleur des mondes ». […] Peut-être enfin faut-il revoir la définition même du transhumanisme. Plus que la notion d'un dépassement de l'homme, avec toutes les connotations élitistes et dangereuses que cela suggère, il s'agirait plutôt de promouvoir un humanisme étendu, les droits et la dignité inhérents à notre espèce se trouvant accordés à toutes sortes de créatures : humains « normaux » et modifiés, programmes informatiques intelligents, robots, voire quelques races animales comme les grands singes, les éléphants ou certains cétacés (notamment si ces animaux ont été « augmentés » artificiellement). Mais à une époque où deux populations voisines et proches par leurs coutumes, leurs croyances et leur mode de vie se livrent volontiers des guerres sanguinaires, une telle vision d’une « fédération des êtres conscients » peut paraître, pour le coup, parfaitement utopique. Document 5 L’homme augmenté, fin de la morale ? La Croix, 15 novembre 2013 Joël Molinario, directeur-adjoint de I'ISPC, Theologicum, Institut catholique de Paris ; Les derniers Jeux olympiques de Londres ont remis sur le devant de la scène le cas prototype du coureur Oscar Pistorius. Handicapé physique (amputé des deux jambes), ce champion olympique sud-africain du 400 m aux jeux paralympiques d'Athènes de 2004, courait avec une double prothèse en fibre de carbone, d'une ergonomie telle qu'il courut aussi vite que la championne olympique féminine. Il fit alors la demande auprès du comité olympique de concourir comme athlète normal aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. Les éthiciens du comité olympique jugèrent finalement que cette prothèse représentait un avantage et qu'il fallait le considérer comme un cyborg. Mais, après une seconde demande, Oscar Pistorius fut admis aux jeux de Londres 2012 et parvint même à se qualifier pour la demi-finale. Il participa ensuite aux jeux paralympiques et remporta la médaille d'or du 400 m et du 4 x 100 m, en battant à chaque fois le record du monde. Il fut cependant battu sur 100 m et 200 m par un autre « Blade Runner ».Il contesta alors la victoire de son adversaire, dénonçant le fait que celui-ci avait des prothèses plus longues que les siennes ! L'histoire personnelle d'Oscar Pistorius pose la question de la possible définition de l'être humain, à partir de ses limites et du flou qui en résulte, et qui fait s'alarmer certains et se réjouir d'autres. Elle met aussi en évidence que ce qui était l'objet de la science-fiction littéraire ou cinématographique il y a vingt ans encore se transforme aujourd'hui en objet d'une revendication, relayée par des associations dont le

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maître mot est transhumanisme et qui « affirment la possibilité et la désirabilité d'augmenter fondamentalement la condition humaine à travers l'application de la raison, spécialement en développant et en rendant largement disponibles les technologies pour éliminer l'âge et augmenter grandement les capacités intellectuelles, physiques et psychologiques de l'être humain ». En fait, pour les tenants d'un posthumanisme, ce qui caractérise l'humain c'est le changement. Les transhumanistes revendiquent clairement de se couper d'une référence substantielle à l'homme : le concept d'homme moderne est une abstraction, il n'a jamais été qu'un projet ; la déclaration universelle des droits de l'homme, un compromis. Le soi moderne est encombrant. La fatigue d'être soi motive ce projet d'un être nouveau, d'un homme augmenté : la technique permet aujourd'hui de choisir d'être « plus », en traversant les limites de l'espace, du temps et du corps. Avec ce rejet d'une définition substantielle de l'homme, le posthumain prend conscience que la machine qu'il avait fabriquée pour dominer la nature, le précède maintenant et il se soumet au destin de ce qu'il a fabriqué. En s'affranchissant de la définition de l'homme, le posthumanisme s'affranchit de devoir aussi fonder une quelconque morale. Affranchi des sages et des Dieux, affranchi d'un impératif catégorique universel, affranchi d'un consensus sur l'homme, même la morale laïque ne tient plus. La seule éthique envisageable serait alors celle d'une adaptation au destin de la technique. Doit-on se résoudre à faire de la technique notre culture anthropologique commune ? Les questions soulevées par le posthumanisme sont considérables et ouvrent un espace de réflexion totalement inexploré et, il y a peu encore, inenvisageable. Document 6 Bientôt greffés de la tête aux pieds ? Sud Ouest, 5 janvier 2014, Sylvain Cottin Et si, frappé par le retour du vieux Zidane sur les pelouses, Valéry Giscard d’Estaing se représentait à la présidentielle de 2707 ? Alors à peine agé de 781 ans, c'est peu dire que l'ancien chef d'État aurait pris le temps de la réflexion. Las ! au lendemain de la première greffe d'un coeur artificiel à l'hôpital Georges-Pompidou, voilà donc qu’une partie de la communauté scientifique se (re)prend à rêver de vie longue, très longue, pour ne pas dire d’immortalité. « Il est probable, au minimum, que l’espérance de vie doublera au cours du XXIe siècle » ose notamment le chirurgien Laurent Alexandre. Portés par l'essor fulgurant des thérapies géniques, de la nanomédecine et de la recherche sur les cellules souches, les chercheurs du monde entier parient au moins sur l’échange standard de la plupart de nos organes… comme l'esquisse déjà le document ci-dessous (« Faire voir l' aveugle, entendre le sourd, rendre l'usage des jambes au paraplégique, etc .», page 14) Un vrai débat éthique Si coeurs et reins se transplantent déjà par milliers, le reste de notre carcasse pourrait ainsi être à terme régulièrement réparé comme une voiture de série. Faire voir l'aveugle et entendre le sourd, rendre l'usage des jambes au paraplégique et la mémoire aux victimes d'Alzheimer, tels sont aussi nombre d'autres projets déjà au stade de l'essai clinique. Par-delà les 5 000 « traditionnelles » greffes pratiquées chaque année en France - 40 % de plus qu'il y a vingt ans (1) -, la médecine régénératrice permettra ainsi de soigner, voire d'améliorer, ce que la maladie ou le vieillissement abîment encore aujourd'hui inexorablement. De l’ « homme réparé » à l’ « homme augmenté » existe une mince frontière éthique que, déjà, philosophes, chercheurs et politiques hésitent à matérialiser. « Le processus est en marche, explique Manuel Tunon de Lara, le président de l'université Bordeaux 2, puisque même ici nous testons des puces implantées en guise de

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microcapteurs de données cardiaques. Cela revient à renforcer les capacités physiologiques de l'homme ». Au-delà des greffons naturels que l'ingrate quête de donneurs rend toujours aussi précieux, l'organe 100% mécanique n'est pourtant pas encore synonyme de panacée. « Malheureusement, le coeur artificiel était sans doute l'organe le moins compliqué à fabriquer », poursuit le pneumologue bordelais. « Si la recherche sur l'oeil, le foie et même le cerveau n'est plus utopique, ces suppléments d'organes dits artificiels seront très longs à développer ». Vieillir mieux, mais pas plus ? Sur la base d'une matière synthétique recouverte de cellules cultivées en laboratoire, les organes hybrides semblent en revanche davantage prometteurs, tout comme le sont en parallèle ceux produits sur des animaux, à condition aussi que les gouvernements s'accordent sur la légalité de l'expérimentation des cellules souches embryonnaires. Mais si l'on saura peut-être bientôt changer toutes les pièces du moteur humain, l'usure de la carrosserie n'incite guère en revanche Manuel Tunon de Lara à l'optimisme béat. « Sauf à trouver le gène de la vieillesse, ce dont nous sommes encore bien loin ». De 77 à 777 ans, quatre scénarios divisent d'ailleurs pour l'heure les théoriciens de la vie plus ou moins longue. D'abord celui qu'annoncent, cassandres, certains écologistes persuadés que l'espérance de vie diminuera sous les assauts de la pollution autant que des OGM. Ensuite celui pronostiquant une pause liée à la stagnation de la recherche. Le troisième plaidant pour une progression lente de la tendance jusqu'à 120 ans, et, enfin, celui des transhumanistes promettant une explosion de la durée de vie proportionnelle à celle de la technologie. « En amont, la personnalisation de la génétique va vite permettre d'améliorer l'efficacité des traitements, notamment celui du cancer », augure le professeur Tunon de Lara. « En aval, il y aura aussi de gros progrès sur les maladies du coeur, du cerveau, des poumons, sauf que tous n'aboutiront pas en même temps. Voilà pourquoi je ne crois pas à une hausse spectaculaire de la durée de vie. En revanche, nous vieillirons sans doute en bien meilleure santé ». Qu'importe alors si l'urologue Laurent Alexandre (lire par ailleurs document 6) assure que des multicentenaires respirent déjà parmi nous, mieux vaut sans doute vous retenir un peu avant de lancer les invitations à votre millième anniversaire. (1) Plus de 50 000 Français vivent avec un greffon fonctionnel. « Faire voir l' aveugle, entendre le sourd, rendre l'usage des jambes au paraplégique, etc .» Greffée depuis dix-sept ans, Claire Macabiau sait la chance qu'elle a eue de n'attendre que quelques jours son donneur quand les listes s'étiraient - comme aujourd'hui - sur de longs mois parfois fatals. « À l'époque, on évoquait déjà la perspective du coeur artificiel », se souvient celle qui préside aujourd'hui la Fédération des associations de greffés du coeur et des poumons. C'est donc avec beaucoup d'espoir que cette femme de 66 ans a accueilli l'annonce de la première implantation, le 18 décembre dernier. « Beaucoup d'espoir, mais aussi de la prudence, car jusqu'alors on nous le présentait comme une solution permettant d'attendre un greffon, mais jamais comme quelque chose de définitif. Ça a été une vraie surprise, alors patientons un peu avant de nous emballer ». Loin d'être, selon elle, une solution miracle, le coeur artificiel ne saurait ainsi profiter aux 600 000 insuffisants cardiaques du pays. « Dans quelques années peut-être, lorsque ses évolutions techniques le rendront davantage accessible, et pas seulement aux plus âgés, costauds et en danger de mort. Ainsi harnaché de batteries, le jeune greffé devrait aujourd'hui renoncer à toute vie sociale ou professionnelle ».

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La baisse des dons d'organes Si la société Carmat envisage de vendre son coeur artificiel 160 000 euros, Claire Macabiau se pose aussi la question du financement. « Cette somme, qui correspond à celle d'une greffe classique, me paraît sous-estimée. Comment la Sécurité sociale la prendra-t-elle en charge ? » Une question que se posent également, mais pour d'autres raisons, ceux qui redoutent que cette greffe artificielle soit remboursée au .détriment de pathologies plus massives. « Quoi qu’il en soit, cette première a au moins le grand mérite de médiatiser la greffe cardiaque et, avec le besoin vital que nous avons de trouver des donneurs ... ». Comme dans d’autres pays européens, la baisse du nombre de tués sur les routes ne cesse en effet d'affecter collatéralement les prélèvements. Leader mondial du don d'organes, l'Espagne cherche malgré tout la parade à ce tabou. Au-delà du coeur, l’Etat a notamment encouragé les dons du vivant (reins, foie) en formant des professionnels aux particularités de l’Islam et des religions asiatiques. Jusqu'alors réservé aux parents ou conjoints de malades, le don croisé d’organes entre deux couples vient également d'être autorisé. Document 7 Il est probable qu’un jour nous vivrons mille ans Sud Ouest, 5 janvier 2014 Interview : le chirurgien Laurent Alexandre parie et milite, à court terme, pour la mort de la mort. De l'homme réparé à l'homme augmenté, il n'y aurait désormais qu'un pas, que Laurent Alexandre franchit allègrement. Malgré la remise en cause des religions et de nos systèmes sociaux, ce chirurgien urologue, président de DNAVision, est convaincu de la mort imminente de la mort. - Sud Ouest (SO) : « Vous dites que les progrès médicaux du XXe siècle n'étaient que des micro-événements ? » - Laurent Alexandre (LA) : « Oui, qu'il s'agisse de la manipulation du génome ou de la puissance informatique, nous sommes à la veille d'un tsunami technologique où trois grands axes se dégagent. D'abord l'hybridation de notre corps avec des composants électroniques et mécaniques : cet aspect cyborg inauguré par le pacemaker se poursuit aujourd'hui avec les implants rétiniens ou le coeur artificiel. Ensuite, l'ingénierie du vivant, l'ADN, la régénération des tissus et la fabrication d'organes entiers comme ce larynx récemment greffé sur la base d'une matrice polymère recouverte de cellules souches. Le dernier bouleversement, qui viendra un peu plus tard, est lié à la nanomédecine, la possibilité de cibler une thérapie au milliardième de mètre. » - SO : « Comprenez-vous que votre enthousiasme puisse laisser sceptique, alors qu'il n'existe toujours pas de vaccin contre le sida et qu'un cancéreux sur deux ne guérit pas ? » - LA : « Nous avons beau avoir une révolution technologique en cours, vaincre les maladies et la mort prendra quelques décennies. Il est probable en revanche que le cancer ne sera plus qu'une maladie chronique à l'horizon 2025, tandis que l'on régénérera les tissus avec des cellules souches vers 2030. » - SO : « Jusqu'à vivre un jour mille ans, comme vous le promettez ? » - LA : « Je ne serai pas là pour le voir, mais un enfant né aujourd'hui aura 90 ans en 2104, il bénéficiera alors d'un niveau de progrès technologique ahurissant. À cette époque, il est probable que l'espérance de vie aura atteint 150 ou 180 ans…De quoi donc attendre les années 2100 à 2200, où la longévité

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sera encore très supérieure. On ne va certes pas vivre mille ans du jour au lendemain, mais les bonds technologiques seront exponentiels. » - SO : « Et les bouleversements politiques, moraux et sociaux le seront encore plus ... » - LA : « Il y aura moins de conséquences politiques ou sociales qu'on ne l'imagine, car le rythme de cette évolution est extrêmement progressif. Dans l'hypothèse où cela se vérifierait, la première personne qui aura 1 000 ans soufflera ses bougies vers l'an 3000. Le fait que notre espérance de vie a déjà été multipliée par trois depuis 1750 n'a pas provoqué de drame. » - SO : « Comment nos politiques, qui peinent déjà à débattre des cellules souches et d'euthanasie, pourraient-ils accepter une telle évolution ? » - LA : « Le débat risque en effet d'être compliqué autour de ces technologies qui nous permettront de vivre longtemps. Ce n'est pas la vie longue qui posera problème, mais le prix à payer pour accepter la modification de notre identité biologique. » - SO : « Des lobbies s'affrontent déjà … » - LA : « Oui, avec d'un côté les transhumanistes, qui, comme Google, légitiment et financent toutes les technologies permettant de faire reculer la mort. De l'autre, ceux qui pensent qu'il y a une ligne rouge éthique à ne pas franchir, et qu'il faut également défendre la nature plutôt que la transcendance. Si l'homme devient quasi immortel, le problème de sa ressource alimentaire risque en effet d'être dramatique. Contrairement à ce que l'on pense, le principal problème qui guette aujourd'hui l'humanité est la baisse de sa population, mis à part, bien sûr l'Afrique. L'Allemagne, l'Espagne, l'Italie sont à la baisse, tandis que le Brésil verra bientôt sa population diminuer. Quant à la Chine, elle a été obligée de renoncer à l'enfant unique car les prévisions montraient que sa démographie allait passer de 1,3 milliard à 750 millions d'habitants au XXIe siècle. » - SO : « À l'instar de cette médecine du futur, la longévité pourrait aussi n'être qu'un privilège de riches ? » - LA : « À court terme, il y aura hélas des inégalités. Mais toutes ces technologies ont comme caractéristique de voir leur prix baisser rapidement. À une époque, on a pensé qu'il n'y aurait jamais plus de 5 000 téléphones portables en Europe, réservés aux millionnaires ou aux ministres ... En 2003, le premier séquençage ADN d'un homme a coûté 3 milliards de dollars, et personne ne pensait recommencer. Aujourd'hui il vaut 1 000 dollars, bientôt 100. Comme l'informatique, ces technologies consomment peu de matières premières et d'énergie. Il ne s'agit pas d'envoyer une navette sur Mars, il est probable que la vie longue va très vite se démocratiser. » Recueilli par Sylvain Cottin (1) « La Mort de la mort. Comment la technomédecine va bouleverser l'humanité », éditions JC Lattès. « L'espérance de vie d'un enfant né le 1er janvier est au moins de 150 ou 180 ans »

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Document 8 La technologie vous transforme en « mutant connecté » Trends, 18 juillet 2013 Le monde numérique ne cesse d'évoluer et de plus en plus d'objets du quotidien deviennent « intelligents » :lunettes, montres, lentilles de contact… Le corps connecté suscite l'intérêt de nombreux acteurs (géants comme start-up) qui parient sur un marché en plein développement. Et qui devrait, notamment, révolutionner l'univers de la santé. L'informatique portable : 1,5 milliard de dollars en 2014, de nouveaux business pour Nike, Adidas, etc…, un incubateur spécialisé en e-santé, un tatouage mesurant l'activité de votre cerveau… Regarder un passant dans la rue et avoir instantanément son nom et son parcours sur les verres de vos lunettes. Faire son jogging après le boulot et recevoir sur sa montre une alerte quand votre coeur s'emballe. Avaler une pilule qui vous permettra de vous connecter à votre smartphone, votre tablette ou votre ordinateur sans entrer le moindre mot de passe. Coller sur sa peau un minuscule tatouage électronique qui permet de surveiller les principaux indicateurs de votre santé : rythme cardiaque, température. Utiliser son smartphone pour analyser son taux de glycémie, etc… Bienvenue dans l'ère du corps connecté, de l'humain augmenté et de l'informatique portable. Science-fiction digne des meilleurs scénarios de Steven Spielberg ? Détrompez-vous : les développements technologiques et la généralisation du Web mobile ouvrent la voie à toujours plus de possibilités pour brancher votre corps et le faire communiquer sur Internet. Le biologiste Joël de Rosnay en témoignait lors d'une conférence : « Nous sommes passés de l'objet portable au mettable et enfin aujourd'hui à l'intégrable. La détection d'amis dans le voisinage par le biais d'applications en est un exemple. Les tatouages électroniques qui captent des informations sur la peau en est un autre. » Tous ces nouveaux usages sont autant d'opportunités de business et de nouveaux marchés qui attirent nombre d'entreprises. L'idée de connecter le corps humain n'est pas neuve et a déjà trouvé pas mal d'applications concrètes. En 2005, un club privé de Barcelone avait, par exemple, été parmi les premiers à implanter une puce (RFID-Radio Frequency IDentification) sous-cutanée à certains de ses clients. L'objectif ? Leur permettre d'être automatiquement reconnus et de pouvoir entrer dans le club et consommer… sans même devoir ouvrir leur portefeuille. Les montants étaient automatiquement déboursés du compte du client sans qu'il n'ait rien à faire. Si ce n'est être physiquement présent. Aujourd'hui, la technologie veut (et peut !) aller toujours plus loin dans le service et l'assistance au consommateur connecté. Depuis quelques années, Thierry Happe, cofondateur de l'observatoire français des tendances numériques Netexplo, a constaté l'émergence de la réalité augmentée (cette possibilité de mélanger le réel et le virtuel) et, de ce fait…l'homme augmenté. L'un des exemples les plus spectaculaires du moment, ce sont évidemment les Google Glass. Ces lunettes mises au point par le géant de la recherche en ligne captent les nombreux espoirs des passionnés de technologies. Celui qui les portera devrait être en mesure d'avoir, devant le regard, une image virtuelle superposée au monde réel. Un petit écran apparaîtra dans son champ de vision et affichera, par exemple, la vidéo qu'il vient de lui demander (vocalement) d'enregistrer. Mais il répondra aussi à ses questions les plus variées grâce au moteur de recherche, lui indiquera le chemin à emprunter tel un GPS, etc. Jusqu'ici, le public n'a pas manqué de montrer son intérêt : la vidéo descriptive du projet Google Glass mise en ligne sur YouTube le 20 février 2013 compte déjà plus de 21 millions de vues ! Mais s'agit-il d'un gadget de plus ? « Seul le bénéfice que ces lunettes vont apporter permettra de le dire, réagit Thierry Happe de Netexplo. Certaines applications devraient être intéressantes et le défi sera de voir si les gens vont s'approprier ce nouvel objet, tout comme ils se sont emparés des tablettes. » En tout cas, Google apportera tout prochainement (on parle d'une commercialisation en 2014) cette science-fiction sur le

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marché, ouvrant de nouveaux champs du possible à toute une série de développeurs qui pourront créer des applications et de nouveaux usages pour ces lunettes connectées : un prompteur intégré, la surveillance d'un électrocardiogramme sur les lunettes d'un chirurgien qui opère, etc. Et peut-être donner naissance à un nouveau marché, potentiellement lucratif, comme le sont les applications pour smartphones : selon des estimations réalisées par Gartner, le marché des applications devrait atteindre 25 milliards de dollars en 2013. Mais ces lunettes ne sont toutefois que la partie la plus visible d'un iceberg en pleine création. Car toute une série d'appareils sont actuellement en préparation ou ... déjà sur le marché. Des montres très lucratives Depuis quelques mois, les grandes entreprises technologiques telles qu'Apple, Samsung, Microsoft, et bien d'autres prépareraient chacun une montre « intelligente ». Une smartwatch comme la plupart des petits garçons en ont rêvé, permettant d'effectuer toute une série d'opérations plus ou moins sophistiquées. Aujourd'hui, reliées à une ceinture cardio, ces montres peuvent déjà surveiller le rythme cardiaque ou le nombre de pas de son utilisateur. Demain, elle pourront envoyer des courriels, répondre à des questions, fixer des rendez-vous, et bien plus encore. Certains voient dans leur développement de belles opportunités pour Apple. Selon Oliver Chen, analyste de Citigroup, les marges sur les montres se révéleraient quatre fois plus importantes que sur des télévisions. Et avec une part de marché de l'ordre de 10 % du secteur des montres, cela assurerait à la firme à la pomme des bénéfices de l'ordre de 3,6 milliards de dollars. Bien sûr, Apple n'a pas encore sorti sa montre et n'a, en tout cas, pas encore ces 10% hypothétiques de parts de marché. Mais l'analyse, même trop optimiste, démontre l'intérêt potentiel de ce futur segment de marché. Chez Deloitte, Vincent Fosty, partner et spécialiste en technologie, se veut, lui, particulièrement terre-à-terre face à cette multitude de produits connectés : « les montres ou les lunettes font partie d'un grand nombre d'appareils connectés. Mais il faut probablement modérer les ardeurs de certains : en 2015, on ne ressemblera pas encore à des Robocops. Car quand on examine de plus près les technologies relatives au corps connecté, on constate qu'il s'agit en réalité de nouveaux appareils qui permettent, chacun, des fonctions unitaires, à l'inverse d'un smartphone qui offre un éventail de possibilités différentes. Ces objets connectés ne sont donc probablement pas à voir comme les successeurs des smartphones, mais plutôt comme des compagnons du téléphone qui ouvriront une série de marchés fragmentés. » Certains voient dans les montres intelligentes un produit que les constructeurs gardent sous le coude pour doper les ventes. « Tant que les smartphones se vendront bien, note un spécialiste du secteur, il y a fort à parier que les montres ne seront pas cornmercialisées. C'est un produit de relance qu'ils utiliseront lorsqu'ils verront leurs ventes chuter. » D'autres appareils connectés, destinés à être le prolongement du smartphone, sont eux déjà sur le marché. Aux Etats-Unis, par exemple, la mode est au Jawbone, Fitbit Flex et autres Nike+ FueiBand. Ces petits bracelets sont connectés au smartphone, via une application, et permettent de mesurer une série de données biométriques de votre corps ou de vos activités physiques : le nombre de pas, la distance parcourue, les calories brûlées, etc. Ils peuvent également devenir des gardiens de votre sommeil en en contrôlant les phases. Des gadgets ? Peut-être, et certains modèles rencontrent pas mal de critiques. Mais qu'importe : ils génèrent déjà un vrai business. Rien que la vente des applications « fitness et santé » (on en dénombre plus de 30.000 différentes) aurait atteint 120 millions de dollars en 2010 et devraient grimper à 400 millions de dollars d'ici 2016, d'après ABI Research. Et, à titre d'exemple, la firme FitBit aurait écoulé pas moins d'un million de produits l'an passé générant, selon certaines sources, 76 millions de dollars de revenus. Le marché, relativement neuf, ne dispose pas encore de chiffres fiables. Mais le cabinet d'études Juniper évalue à 1,5 milliard de dollars la valeur de l'univers des objets portables connectés d'ici l'année prochaine. Pas étonnant, dès lors, que ce business intéresse de plus en plus de monde. Ainsi, depuis le mois de mai, la firme américaine Jawbone compte, au sein de son conseil d'administration, Robert Wiesenthal (directeur des opérations de Warner Music Group) et Marissa Mayer (CEO de Yahoo). La tendance

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arrive progressivement chez nous et intéresse différents acteurs comme des opérateurs télécoms qui y voient des produits complémentaires aux smartphones qu'ils proposent. Et certains nous admettent qu'ils pourraient bien, un jour, proposer des offres groupées incluant ce type de bracelets ou appareils bien-être « La tendance au bien-être est générale, nous glisse cet acteur belge de la téléphonie mobile. Et évidemment, nous cherchons un moyen de surfer sur cette vague qui pourrait, à terme, apporter des revenus appréciables en complément à nos activités télécoms ». Car, l'un des domaines où la « connexion du corps humain » trouvera de toute évidence le plus de débouchés n'est autre que la santé et le bien-être de manière générale. Dans le domaine du sport, de plus en plus d'objets communiquent. Nike, Adidas et d'autres ont, depuis quelque temps, intégré des puces dans une série de modèles de chaussures. La marque américaine Under Armour s'apprête, elle, à dévoiler une nouvelle gamme de vêtements capables, grâce à un médaillon incrusté, d'enregistrer et de transmettre au sportif ou à son entourage des infos corporelles (température, etc.). On peut y voir une manière pour ces géants du sport de tirer profit de l'ère big data : ils peuvent offrir leurs produits à bas prix et monétiser la partie « données », par exemple en proposant un accompagnement personnalisé, sur abonnement. Mais nombreux sont ceux qui nourrissent déjà la volonté d'aller bien plus loin. « Cela fait plus ou moins un an que l'un des gros sujets dans la Silicon Valley concerne la santé et le bien-être, observe Sergi Herrero, CEO de l'Atelier BNP Paribas installé à San Francisco. Les gros acteurs du digital de même qu'une série de start-up innovantes commencent à se pencher sérieusement sur la question et à imaginer des services et des applications dans ce domaine. » Un incubateur, Rock Health, s'est même spécialisé dans l'univers de la santé et dispose d'un portefeuille de plus de 60 entreprises. Aux Etats-Unis, on a dénombré en 2012 pas moins de 132 levées de fonds spécialisées dans la « santé numérique », d'après un rapport de Rock Health. « On n'en est encore qu'au tout début de la création d'un écosystème sur ce segment, note Sergi Herrero. Il y a encore peu d'incubateurs spécialisés mais dès qu'une start-up sera rachetée par un grand groupe, dans le domaine de la santé notamment, cela devrait faire naître un nouveau mouvement. Il faut également des concrétisations sur le marché grand public, ce qui est encore peu le cas. Mais on se trouve face à un gros marché potentiel, c'est une évidence. » Pour l'instant, tout le monde fourbit ses armes et les innovations dans le domaine de la santé digitale ne manquent pas et se greffent à toute une mouvance de digitalisation des soins de santé dans laquelle beaucoup de gros acteurs s'engouffrent. Samsung, par exemple, voit dans le médical de gros débouchés pour son évolution future et est déjà présent dans l'imagerie médicale depuis pas mal de temps. Le groupe Philips, de son côté, génère plus de 40% de ses activités sur ce créneau. Et des opérateurs comme Belgacom disposent aussi de leur division healthcare destinée à développer des solutions médicales par la technologie. L'e-santé portative est d'ores et déjà une réalité commerciale. Ainsi Sanofi commercialise depuis 2011 l’iBGStar, un petit lecteur de glycémie qui permet aux diabétiques de gérer leur diabète directement sur leur téléphone qui leur en donne une analyse claire et fiable. L'iBGStar est disponible dans pas moins de 15 pays. Un produit qui montre bien à quel point le smartphone est amené à largement dépasser le cadre d'un simple assistant bien-être. Et les autres exemples ne manquent pas ; la firme américaine Mobisante a développé un outil de diagnostic portatif qui permet à un gynécologue de transporter un petit dispositif d'imagerie médicale (coûtant entre 7.000 et 8.000 dollars) avec lequel il peut réaliser des échographies qu'il visualise sur un smartphone ou une tablette. Idéal en déplacement ou auprès de populations moins développées. Plus surprenant encore, Electronic Tattoos, un projet primé au printemps par l'observatoire Netexplo. Le concept ? Un tatouage qui contient une série de capteurs miniaturisés qui, une fois collé sur la peau, mesure le rythme

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cardiaque et l'activité du cerveau. En termes de débouchés, Electronic Tattoos permettrait, par exemple, à des patients d'être suivis à distance par leur médecin après une opération. Bien sûr, cette évolution numérique de l'homme augmenté pose pas mal de questions auxquelles les entrepreneurs et industriels devront répondre. Elles sont éthiques et sociologiques et concernent aussi la problématique de la vie privée. Les lunettes de Google permettant d'enregistrer des vidéos à tout moment et en toute discrétion ne violent-elles pas la vie privée des individus ? Certaines associations imaginent déjà de placarder sur la porte de certains établissements et centres commerciaux un sticker d'interdiction, à la façon des interdictions de fumer ou de téléphoner ... Et s'inquiètent du nombre de données privées liées à la santé qui voyagent dans le cloud ... à l'heure où l'administration américaine a, involontairement, démontré qu'elle était en mesure d’accéder à la plupart des données privées. Document 9 L’homme simplifié, le syndrôme de la touche étoile, conclusion (extraits) Jean-Michel Besnier, Edition Fayard 2012 N'est-il pas étrange de s'attacher à décrire la simplification de l'humain à laquelle les technologies nous exposent, alors même qu'on ne cesse de parler, aujourd'hui, de « l'homme augmenté » qu'elles devraient rendre possible ? L'objection aurait pu s'imposer plus tôt dans ce livre et contribuer à rappeler que l'homme simplifié n'est ni l'être fruste que la civilisation n'a pas encore perverti ni le nécessiteux dépourvu des qualités qu'Épiméthée n'a pas été capable de lui octroyer, selon le fameux mythe raconté par Platon. En fait, l'homme simplifié doit tout à la sophistication des techniques, à commencer par son insertion dans un monde qui n'attend de lui rien de plus que de s'abandonner à la tyrannie des machines. En ce sens, la promesse que celles-ci lui font d'augmenter ses performances n'est pas contradictoire avec sa réduction aux comportements élémentaires qu'elles lui imposent au quotidien. Les biotechnologies lui évitent-elles les défauts de fabrication liés au fait de naître naturellement, lui permettent-elles de conjurer la souffrance et l'angoisse associées au fait de vivre normalement, lui annoncent-elles l'immortalité que seul un dieu pouvait lui laisser espérer, dans chaque cas l'homme envisage d'être débarrassé grâce à elles des complications qui sont jusqu'à présent le lot de toute existence. Sous le titre d' « homme augmenté », c'est bien la simplification que dessine son horizon. Et lorsque le transhumanisme s'aventure à soutenir que l'homme augmenté engendrera le posthumain, grâce à on ne sait quelle singulière mutation, il n'envisage rien d'autre que cette fusion avec la machine qui consacrera la disparition du biologique réfractaire à la simplicité fonctionnelle des dispositifs techniques. L'augmentation appelle la simplification : c'est en quoi elle est le vecteur de la déshumanisation dont cet essai a décrit quelques aspects. La démonstration en est offerte par les neurosciences elles-mêmes, dans un contexte ô combien survalorisé par nos sociétés vieillissantes : celui de l'amélioration cognitive. On attend beaucoup, en effet, des innovations thérapeutiques susceptibles de remédier à la dégénérescence cérébrale, mais tout autant de celles - souvent les mêmes - qui pourraient « booster » notre cerveau. Réparer les défaillances cérébrales, certes, mais aussi augmenter les performances cognitives : les deux ambitions sont solidaires et justifient les attentes exorbitantes que suscitent de nos jours les neurosciences. Or, que constate-t-on dans ce domaine ? Que la réparation ne donne pas forcément les moyens de l'amélioration, et que les médicaments qui la produisent, lorsqu'ils sont utilisés à des fins non thérapeutiques, provoquent parfois des régressions dans les performances. Ainsi les psychostimulants utilisés pour traiter les troubles de l'hyperactivité avec déficit de l'attention, s'ils sont administrés pour augmenter la concentration, la mémoire ou les fonctions exécutives comme la faculté de planifier ses

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actions et de raisonner abstraitement, provoquent chez certains sujets en bonne santé une réduction des capacités requises pour les tâches complexes. La Ritaline ou les médicaments apparentés aux amphétamines, sur lesquels on compte pour réaliser « l'homme augmenté », auraient ainsi la paradoxale vertu de favoriser l'efficacité des comportements les moins élaborés, d'optimiser seulement les automatismes impliqués par exemple dans le calcul mental ou la mémorisation de longues listes de chiffres. Voilà bien la revanche de l'humain : en voulant booster le cerveau, améliorer la mémoire et le pouvoir de concentration, sur la base des traitements d'abord destinés aux victimes de la maladie d'Alzheimer, on produit chez les bien-portants une augmentation des facultés les plus apparentables au fonctionnement des machines. Mais qu'est-il besoin de calculer vite ou de mémoriser mécaniquement quand nos ordinateurs le font si bien, tellement mieux que nous ? S'agit-il de promouvoir l'augmentation cognitive pour damer le pion à nos machines ? Ne vaudrait-il pas mieux la mettre au service des compétences qui leur échappent et dans lesquelles se reconnaît l'humanité ? L'imagination, le langage, l'argumentation discursive, la sensibilité esthétique, l'émotion ... : toutes ces facultés que mobilise la littérature quand elle s'attache à décrire ce qu'il y a de plus humain en nous. Au lieu de cela, l'homme augmenté dont rêvent les transhumanistes vise à obtenir l'efficacité dans les tâches les moins élaborées, les plus instrumentales - celles-là mêmes que peut affronter un simple d'esprit. Disons-le sans ambages : mobilisées pour doper les performances intellectuelles, les neurosciences semblent favoriser pour l'instant une robotisation plutôt qu'une complexification de l'humain. Elles contribuent à réduire l'homme aux « impulsions stupides de son corps », comme disait Hannah Arendt qui s'inquiétait de l'exclusivité que nos sociétés productivistes sont poussées à accorder à l'animal laborans en nous (1). Tant que nous serons tentés de recourir aux biotechnologies afin de satisfaire l'ambition d'efficacité dictée par les impératifs d'une vie économique hantée par la compétition et la concurrence, nous accorderons la préséance aux comportements réglés par les automatismes qui nous sont communs avec les animaux et les machines. L'idéal d'humanité qui s'en dégagera sera forcément un idéal de sortie de l'humanité, celui-là même que projettent les posthumanistes. La conscience et la réflexion apparaîtront comme des freins et la simplicité de l'esprit comme une vertu, parce qu'elle ne s'empêtre pas dans les complications humaines. Il aura donc fallu attendre l'extension des technologies dites intelligentes pour prendre la mesure de l'aspiration à la bêtise qui habite les hommes dans les sociétés développées. Que les neurosciences et les techniques d'imagerie cérébrale servent par exemple l'entreprise d'un neuromarketing, sans susciter la révolte des consommateurs, en dirait long sur cette aspiration (2). Et pourtant, il y a dans cette entreprise mercantile tous les ingrédients de la prise d'otages que les techniques opèrent sur nous, tous les arguments témoignant de la réduction à l'élémentaire à laquelle elles nous obligent. Avec elle, nous ne sommes plus que cette mécanique neuronale, désormais offerte au regard par les techniques d'imagerie, dont l'accès et l'explication assurent le pouvoir à ceux qui n'ont d'autre visée sur l'homme que de lui dicter les règles de sa consommation. (1) Voir Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, op. cit. Voir aussi le dossier consacré aux pièges de l’amélioration cognitive - notamment mon article intitulé par la rédaction « Un viagra pour l'esprit ? »- dans la revue Cerveau & Psycho de mai-juin 2011. (2) Voir, à ce sujet, le film de Laurence Serfaty : Neuromarketing, des citoyens sous influence (2010).

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Document 10 Demain les posthumains. Le futur a-t-il encore besoin de nous ? Jean-Michel Besnier, Edition Hachette littérature 2009 La revendication du non-humain La promotion contemporaine de l'éthique a un rapport avec les effets de la montée en puissance d'une préoccupation pour les ensembles, les structures et les systèmes, contre une culture qui privilégiait la conscience solitaire, le face-à-face du sujet et de l'objet, de l'homme et de la nature. Parce qu'on est tenté, depuis déjà plusieurs décennies, de substituer à la position prétendument toute puissante du sujet (le cogito cartésien) le préalable de sa relation avec les autres et avec son environnement, on s'expose à conclure qu'il faut convoquer dans la définition de l'humain ce qu'on en rejetait jusque-là. En d'autres termes, le non-humain revendique aujourd’hui une dignité ontologique que l'anthropocentrisme traditionnel lui refusait. L'éthique reflète en partie cette revendication : le bien-vivre des hommes y est au prix d'une pacification avec le non-humain, qu'il s'agisse des animaux, des machines, ou de tous les artifices (ou artefacts) par lesquels nous organisons et stabilisons nos relations avec les autres. La morale pouvait nous vouloir solitaires, n'ayant d'autre interlocuteur que notre conscience ou d'autre souci que le calcul de nos intérêts réciproques. L'éthique nous restitue à la complexité du monde, nous plonge dans l'embrouillamini des relations. Isabelle Stengers et Bruno Latour ont inventé le concept de « cosmopolitique » pour exprimer la rupture devenue nécessaire avec une conception monadique (c'est-à-dire fermée) du sujet humain, telle que les Grecs aussi bien que Kant l'ont illustrée. Le « cosmos » dont il est question, précise Isabelle Stengers qui désire démarquer sa « cosmopolitique » de l'usage grec et kantien du mot, « à peu à voir avec le monde où le citoyen antique s'affirmait partout chez lui, ni avec une terre enfin unifiée où chacun serait citoyen ». Il définit plutôt une perspective qualifiée par elle d' « étho-écologique » parce qu'elle entend affronter conjointement la manière dont les êtres organisent leur milieu (ethos) et celle dont leur habitat (oikos) satisfait aux exigences de viabilité de ce milieu. Ainsi conçue, la cosmopolitique a naturellement pour vocation d'orienter l'action et la pensée dans le sens d'une convergence entre l'humain et le non-humain. Elle désigne en ce sens l'utopie d'une écologie politique(1), décidée à récuser « le Grand Partage » (entre l'homme et la nature) que la modernité croyait instaurer et qui est à l'origine du renvoi de la technique dans une neutralité amorale. En un sens voisin des engagements cosmopolitiques de Stengers et Latour, Michel Serres explique volontiers que l'idée de Contrat naturel qu'il défendit jadis ne traduisait pas chez lui un accès d'animisme aigu, comme on l'en a soupçonné, mais qu'elle exprimait le fait que nous avons affaire non seulement avec des hommes mais aussi avec des plantes, des animaux, de l'eau, des objets de toutes sortes ... Bref, avec tout ce qui forme la totalité ouverte dont s'entretient notre existence individuelle et sociale. A cet égard, il avoue reprocher à la philosophie de s'être focalisée, dès ses premiers commencements, sur la polis, c'est à- dire sur la cité limitativement constituée par les seuls citoyens, au détriment de toute autre relation. Mieux vaudrait substituer à la « politique », proclame Michel Serres, l'idéal suggéré par le concept (latin) de familias pour défendre l’exigence éthique requise par les multiples relations qui édifient le stade d'hominisation que nous avons atteint et qu'il nomme « l'hominescence ». La cosmopolitique devrait ainsi déraciner la politique issue d’Aristote et de Kant, cette politique qui s'en tient exclusivement à l'intersubjectivité humaine, et ouvrir le dialogue avec le non-humain qui nous fait – justement - humains... […] Conclusion Si le posthumanisme tend à enregistrer le retrait de l'homme intérieur et à apparenter celui-ci aux artefacts avec lesquels il devra interagir, nul doute que semblable sagesse puisse encore l’éclairer. Qu'on se décide donc, pour y parvenir, à quitter l'illusion du sujet substantiel auquel Descartes croyait ; qu'on se résigne à abandonner la quête dérisoire du fondement ultime de toute réalité ; qu'on renonce enfin à tous ces dualismes (âme-corps, nature-culture, homme-animal ...) qui nous ont jadis servi à

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déchiffrer et ordonner le monde et qui se révèlent aujourd'hui des obstacles ... La fin de tant de certitudes ou de convictions devrait-elle être le prétexte à abdiquer tout idéal éthique ? C'est au contraire parce qu'elles font défaut qu'on a lieu de solliciter un tel idéal, pour mieux offrir ses chances à l' équilibre des relations à établir à l'échelle des êtres de la planète. Un philosophe américain, Richard Rorty (1931-2007), voyait poindre à l'horizon du temps présent l'aspiration à une solidarité et à « une sympathie élargie » qui compenseraient la déshérence des vérités. L'éthique toute pragmatique associée à son oeuvre - pragmatique, parce que, en l'absence de vérité, elle choisit l'utilité - est proche de celle suggérée par Varela, et elle me paraît répondre aux attentes d'un posthumanisme : indifférente aux barrières dressées entre les êtres et opposée aux dogmes, qu'ils soient ou non révélés, elle n'a d'autre objectif que d'obtenir « l'accord sur ce qui convient ». Notre monde n'est viable que parce que nous y nouons des relations les uns avec les autres. Les êtres humains qu'il réunit s'ouvriront d'autant plus les uns aux autres qu'ils s'éprouveront dépourvus de l'essence qui les enfermait et les cloisonnait. Que ces êtres s'efforcent de limiter toujours davantage les obstacles que constituent leurs petites différences, et qu'ils le fassent au lieu de rechercher un universel commun à tout prix - voilà qui suffirait à engager leurs actions de manière à faire émerger une vie éthique impliquant également les non-humains. Je découvre chez Rorty et dans la philosophie qu'il représente aujourd'hui une leçon susceptible de justifier ce savoir-faire éthique étranger à l'obligation morale pour laquelle il y a toujours lieu d'opposer la raison et la passion, l'homme, l'animal et le robot. Lu depuis semblable philosophie, le posthumanisme n'est pas étranger aux préoccupations éthiques qu'impose notre monde. Il rend au contraire plus radicales les exigences qui sont les nôtres : accueillir comme un alter ego celui qui ne me regarde pas, parce qu'il n'appartient pas d'abord à mon horizon de sens ou bien à ma définition de l'humain. L'accueillir comme la promesse d'une cohésion nouvelle et salutaire. De ce point de vue, les utopies posthumaines accomplissent la fonction critique de toute utopie : percer à jour les folies du monde réel, derrière l'imaginaire ou les fantasmes qu'il produit, afin d'orienter le présent vers un avenir désirable. (1) Voir Isabelle Stengers, « Un engagement pour le possible », in La nature n’est plus ce qu’elle était, revue Cosmopolitiques, n°1, Editions de l’Aube, 2002 ; Bruno Latour, Politiques de le nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie, la Découverte, 1999. Voir aussi l’Emergence des cosmopolitiques, sous la direction de Jacques Lolive et Olivier Soubeyran, La Découverte, 2007.

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Document 11 : Mécanhumanimal #04, Enki Bilal Affiche de l’exposition donnée au Musée des Arts et Métiers

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