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Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon La santé au coeur des enjeux économiques : quand l'obésité devient politique. Conflits et controverses autour des politiques alimentaires en Allemagne Pauline Raux-Defossez Mémoire de master Séminaire Politiques publiques et gestion des risques Sous la direction de : Gwenola Le Naour (Soutenu le : 2 septembre 2011) Membres du jury : - Audrey Arnoult - Gwenola Le Naour

quand l'obésité devient politique. Conflits et controverses autour

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Université de LyonUniversité lumière Lyon 2

Institut d'Études Politiques de Lyon

La santé au coeur des enjeuxéconomiques : quand l'obésité devientpolitique. Conflits et controverses autourdes politiques alimentaires en Allemagne

Pauline Raux-DefossezMémoire de master

Séminaire Politiques publiques et gestion des risquesSous la direction de : Gwenola Le Naour

(Soutenu le : 2 septembre 2011)

Membres du jury : - Audrey Arnoult - Gwenola Le Naour

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Chapitre 1 : Une prise de conscience s'inscrivant à l'échelle internationale . . 15

I. Approche sociologique de l'obésité . . 15I.A. Des déterminants socio-économiques qui prennent le pas sur les facteursgénétiques . . 15I.B. Le poids : une norme corporelle. La stigmatisation des personnes obèses . . 19

II. La redéfinition internationale de l'obésité : d'une maladie déconsidérée à une épidémiemondiale perçue comme un risque pour la santé publique . . 22

II.A. Le processus de médicalisation ou une lutte définitionnelle pour le statut del'obésité . . 22II.B. L'obésité comme objet de la santé publique . . 24

Chapitre 2 : La politisation de l'obésité aux échelles européenne et allemande . . 32I. L'européanisation des politiques alimentaires . . 32

I.A. La fragmentation de l'action publique en Europe : une nouvelle gouvernance . . 32I.B. L'historique de la mise à l'agenda des préoccupations alimentaires en Europe. . 37I.C. L'obésité comme objet de politiques transversales . . 41

II. Les politiques alimentaires en Allemagne . . 43II.A. L'articulation de la santé publique allemande, entre le niveau fédéral et lesLänder . . 43II.B. L'inscription de la lutte contre l'obésité à l'agenda gouvernemental allemand . . 45II.C. La politique préventive allemande . . 52

Chapitre 3 : La sphère publique en mouvement : rapports de force et concurrence entrecoalitions de cause . . 56

I. Un argumentaire basé sur le postulat de la rationalité du consommateur . . 56I.A. Chronique d'une controverse annoncée... . . 57I.B. Une dichotomie classique entre intérêts des consommateurs et intérêtséconomiques ? . . 59

II. Entre pression sur le gouvernement et mobilisation de l'opinion publique : les différentsoutils utilisés par les acteurs . . 66

II.A. L'activité de lobbying : s'assurer une visibilité . . 67

II.B. L'inégale répartition du « pouvoir de parole » 178 . . 69Conclusion . . 73Bibliographie . . 75

Articles scientifiques . . 75Ouvrages . . 76Documents . . 78

Rapports du gouvernement allemand . . 78Études et sondages . . 78Documents de l'Union européenne . . 79

Articles de journaux . . 80Sites internet . . 80

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Annexes . . 82Liste des abréviations . . 82Liste des entretiens . . 82

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Remerciements

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RemerciementsJe remercie tout d'abord ma directrice de mémoire, Gwenola Le Naour, pour ses conseils qui mefurent très précieux et son suivi tout au long de l'année.

Merci à Audrey Arnoult d'avoir accepté d'être le second membre du jury.

Merci également à toutes les personnes, en Allemagne, en Belgique comme en France qui ontrépondu à mes questions et qui ont ainsi contribué à l'avancée de mon travail.

Merci enfin à ma famille et à mes amis qui ont supporté et écouté mes discours sur l'obésitéet l'étiquetage nutritionnel pendant de longs mois. Leur soutien a été indispensable.

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Introduction

« Ce qui unifie in fine ces représentations - repoussoirs, c'est l'idée du corps« gros » comme corps subi ; abominablement naturel, là où le corps maigreincarne l'ethos du travail et de la construction volontariste de soi, comme culture

du corps supérieure à sa nature. » 1

Regardons-nous dans un miroir. Qu'y voyons-nous ? Notre humour, notre sens del'organisation, notre entêtement ? Rien de tout cela, nous voyons uniquement notre corps.Ce corps ami, ennemi, aimé, haï, transformé jusqu’à l’extrême afin de répondre à nos désirsles plus fous. Ce corps beau, laid, gros, mince. Pouvons-nous porter un regard objectif surce corps qui nous caractérise et qui est le premier reflet de notre identité ? Les atteintesque nous sommes capables de lui infliger en réaction à des souffrances psychiques sont lessymptômes révélateurs de l’importance qu’il joue en tant que marqueur social. Si l'individuexiste, c'est à travers le regard des autres. Partant de là, les tentatives pour maîtriser sonapparence vont devenir un sujet constant de préoccupations. Le langage corporel complète,voire dépasse le langage verbal. Le corps traduit ce que les mots taisent. Cette dimensionsociale en fait « le vecteur sémantique par l'intermédiaire duquel se construit l'évidence de

la relation au monde » 2 . Le corps fait ainsi l'objet d'un fétichisme que nous ne pouvons quemettre en lien avec les normes culturelles, notamment dictées et diffusées par les médias. Lalittérature regorge de conseils diététiques et minceur en tous genres devant nous permettrede reconquérir un poids idéal et par là-même de nous insérer au mieux dans la société. Maissous ces apparences a priori louables, ne se cacherait-il pas un souhait d'uniformisationqui stigmatiserait ainsi tout « intrus » ? Dans une société où la minceur est privilégiée, lespersonnes en surpoids doivent faire face à des pressions considérables. Parmi elles setrouve une catégorie qui est encore plus fragilisée : celle des obèses. Quelle image d'elle-même peut en effet renvoyer une personne obèse ? Difformité, mal-être, manque de volonté,le langage associé n'est pas celui de la victime mais au contraire de la culpabilisation. Lalittérature médicale est riche en ouvrages décrivant les conséquences désastreuses pourla santé de l'obésité ; les sciences sociales au contraire semblent bouder cette maladie, luipréférant bien souvent l'analyse de risques plus perceptibles ou plus « populaires ». Car sil'obésité a longtemps pâti de quelque chose, c'est bien du manque de crédibilité qu'on luiaccordait. Pourtant, elle est révélatrice d'un mode de fonctionnement nouveau de la société.Sa difficile et très récente mise à l'agenda politique illustre l'ouverture vers la sphère civilequ'ont connue les politiques publiques.

En nous référant aux sciences médicales, nous prenons conscience de la difficultéque l'obésité a rencontrée avant d'être reconnue comme une maladie. Longtemps, elle nerelevait pas du champ médical mais s'apparentait plutôt à un trouble comportemental, lesobèses étant alors désignés comme des déviants, seuls responsables de leur état. L'obésitéétait de facto une juste punition à l'encontre de ceux qui ne se souciaient pas assez deleur alimentation pour conserver un poids idéal. Il a donc fallu qu'elle traverse une phasede médicalisation pour devenir « un objet potentiel d'un nombre de plus en plus grand de

1 Darmon, Muriel, Devenir anorexique. Une approche sociologique, Paris, Editions La Découverte, 20082 Le Breton, David, La sociologie du corps, Paris, Presses universitaires de France, 2004 (5e éd.)

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Introduction

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secteurs de la médecine ». 3 La médicalisation peut être définie comme un processus

« qui confère une nature médicale à des représentations et à des pratiques qui n'étaient

jusqu'alors pas socialement appréhendées en ces termes » 4 . Elle permettra aux obèses

de se libérer du « poids du regard moralisateur ». 5

Le fait que la médicalisation ait pu aboutir est à relier aux conséquences multipleset souvent graves que peut entraîner l'obésité. Les complications sont nombreuses etenglobent des pathologies très variées (et cumulatives) : hypertension, diabète, maladiescardiovasculaires, cancers, etc. La liste est longue et ne manque pas d'effrayer. À cespathologies s'ajoutent des souffrances psychologiques causées par la stigmatisation dontles obèses font objet. C'est sur cette dimension que les travaux actuels en sciencessociales vont se concentrer : la production d'une nouvelle forme d'exclusion par le poids. Lasociologie de l'obésité permet de mettre en évidence les origines très diverses de la maladie.Le facteur génétique ou hormonal peut fournir une explication, néanmoins dans la majoritédes cas, l'obésité se révèle être une conséquence de déterminants socio-économiques.L'accès à une alimentation saine, les habitudes familiales, la possibilité d'exercer uneactivité physique, le taux de sédentarité, le coût des denrées alimentaires sont autantde facteurs qui favorisent ou au contraire diminuent le risque d'être atteint d'obésité. Enraison de ces origines qui trouvent leur explication dans un nouveau mode de vie sociétal,l'obésité a souvent été qualifiée de fléau des pays industrialisés. Elle ne semblait alorsconcerner que les régions ayant achevé leur transition démographique et économique. Ledéveloppement de l'obésité apparaissait impossible dans des pays où la famine sévissaitencore. Aujourd'hui, on oppose souvent le traitement de l'obésité par les politiques à lanécessité de se préoccuper en premier lieu des problèmes de sous-nutrition. On pointe alorsdu doigt l'incongruité de la situation : d'un côté des personnes meurent de faim, de l'autrecertaines deviennent malades parce qu'elles mangent trop. L'obésité était donc présentéecomme indécente, voire comme une insulte. Mais nous verrons que cette vision a évoluéet que même si l'obésité garde une place parfois secondaire dans les discours politiquesen comparaison de celle qu'occupe la famine, la nécessité de freiner la progression del'épidémie est néanmoins devenue une évidence.

L'obésité a ainsi acquis une visibilité au sein du monde médical en raison desnombreuses maladies qui lui sont liées. Les souffrances qu'elle engendre et la recherchedes déterminants socio-économiques qui expliquent son développement, constituent lesprincipaux sujets de réflexion des chercheurs en sciences sociales. Mais peu de recherchesont été à ce jour menées sur l'obésité en tant qu'objet politique et sur le processus de sapolitisation qui a fait intervenir de nouveaux acteurs. C'est ce constat qui nous a conduits àcentrer notre réflexion sur la mise à l'agenda politique de l'obésité et sur ses répercussionsen matière de production de politiques publiques.

Avec l'alerte sonnée par l'Organisation Mondiale de la Santé en 2000, l'obésité va êtreredéfinie et ainsi relever du champ des épidémies. Alors qu'elle était considérée au débutdes années 1960/1970 comme une maladie typiquement nord-américaine, la prévalencede l'obésité a été revue à la hausse. En effet, l'Europe et de nombreuses îles du Pacifiqueprésentent des taux très élevés, tendant à se rapprocher de ceux constatés aux États-Unis.L'obésité n'est donc plus circonscrite à une seule localité régionale. A titre d'exemples, en

3 Poulain, Jean-Pierre, Sociologie de l'obésité, Paris, Presses universitaires de France, 20094 Fassin, Didier, Dozon, Jean-Pierre, Critique de la santé publique, Paris, Balland, 20015 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p.154

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2010, le taux d'obésité chez les hommes de plus de 15 ans était de 9 % en France et 22.9% en Allemagne. Pour les femmes, il était de 7.6 % en France et 22.1 % en Allemagne6. Ils'agit ici des pourcentages de personnes obèses, c'est-à-dire celles dont l'Indice de MasseCorporelle (IMC) est supérieur à 30 kg/m². Nous reviendrons en détails sur l'IMC mais il estutile de préciser dès à présent que l'obésité est définie par un calcul, elle est donc quantifiéeet non pas qualifiée. L'obésité est un surpoids représentant une telle accumulation de massegraisseuse qu'il engendre des complications pour la santé. Elle se mesure donc en faisantle rapport poids / (taille)². Si l'on s'intéresse uniquement au surpoids, les chiffres sont encoreplus élevés : 36.9 % des hommes et 48 % des femmes sont en surpoids en France contrerespectivement 57.1 % et 67.2 % en Allemagne.7

Dans la diffusion de ces données qui ne manquent pas d'effrayer et d'interpeller, lesmédias jouent un rôle très important car ils constituent le vecteur d'information principal pourla sphère civile. En relayant également les actions mises en place par les gouvernements,ils participent à la prise de conscience qui s'opère peu à peu à l'échelle internationale.

L'obésité va en effet faire l'objet d'un traitement par les politiques en tant que risquepour la santé publique. L'analyse des politiques publiques consacre une part importanteà la notion de risque. Pour Olivier Borraz, « le risque est le résultat d'un processus quivoit des incertitudes converties en autant de dimensions qui peuvent faire l'objet d'une

action ». 8 Cette définition du risque est à relier avec celle d'une politique publique selon

Pierre Müller : « chaque politique (...) est d'abord une tentative d'agir sur un domainede la société » 9. Les politiques publiques ayant pour objet un risque tentent donc de leprévenir ou de le gérer (selon que la politique est mise en œuvre en amont du risqueou en réaction à son déclenchement). Si nous nous référons à la définition que donneClaude Gilbert, nous comprenons pourquoi l'obésité a trouvé sa place parmi le champ desrisques collectifs. Il les décrit comme étant « très largement liés aux activités humaines ouamplifiés par celles-ci et susceptibles, en cas de réalisation, d'avoir des conséquences d'une

gravité inédite sur les environnements humains et naturels » 10 . L'obésité est en effet uneconséquence d'un changement de mode de vie des individus qui se réalise sans adaptationdes pratiques alimentaires. En tant que maladie, elle aura effectivement des répercussionssur l'environnement humain, celles-ci étant d'ordre socio-économique. Les coûts engendréssuite au traitement de l'obésité et surtout des nombreuses pathologies qu'elle provoqueseront significatifs et vont fortement influer le système de santé.

L'État va donc développer des réponses à cette nouvelle problématique puisqu'une de

ses fonctions régaliennes est la protection de la santé publique. 11 Dans un cadre collectif,

6 Nous donnons ici les valeurs de deux pays afin de faire une comparaison et pour expliquer que la thématique de l'obésité enAllemagne soit portée de façon sans doute plus visible par les associations de consommateurs qu'elle ne l'est en France.

7 Tous les chiffres cités ici proviennent de la base de données de l'OMS disponible à l'adresse suivante : https://apps.who.int/infobase/

8 Borraz, Olivier, Les politiques du risque, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 20089 Müller, Pierre, Les politiques publiques, Paris, P.U.F. « Que sais-je? », 200910 Entretien avec Claude Gilbert, « Des objets à géométrie très variable », Politix, n°44, 1998, p.29-3811 Le Guen, Jean-Marie, Obésité, le nouveau mal français. Pour une réponse politique à un fléau social, Paris, Armand Colin,

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Introduction

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l'État doit préserver et promouvoir la santé de ses citoyens, 12 ce qui inclut notamment la

promotion d'habitudes alimentaires « métaboliquement correct[es] ». 13 Le lien entre obésité

et alimentation étant indiscutable, les politiques publiques mises en œuvre afin de répondreà la problématique sont des politiques alimentaires. Celles-ci vont se concentrer sur lafaçon d'inciter les individus à privilégier une alimentation saine et équilibrée tout en œuvrantà l'amélioration de l'environnement alimentaire. Pour autant les gouvernements peuventrencontrer des difficultés dans leur volonté de prendre des mesures. Ces dernières secaractérisent par une même perspective : il ne s'agit pas de guérir l'obésité, encore moins defaire maigrir les personnes obèses. La prise de poids étant trop sévère, il est très difficile pourl'individu de retrouver un poids normal. De plus, les maladies apparues parallèlement audéveloppement de l'obésité, comme les maladies cardio-vasculaires, ne disparaîtront pasavec la perte de quelques kilos. Les réponses apportées sont alors essentiellement d'ordrepréventif, l'objectif est de traiter le problème en amont afin de l'enrayer. La difficulté principalesusceptible d'être rencontrée tient au fait que la mise en place de politiques publiques dansle domaine de l'alimentation puisse être assimilée ou ressentie comme une ingérence ouune violation de l'intimité et de la vie privée. Difficile de croire en effet que la politique puissed'une manière ou d'une autre dicter nos choix alimentaires. Le gouvernement français aainsi dû faire face à un véritable tollé quand il a émis l'hypothèse en 2008 d'instaurer une« taxe nutritionnelle » sur les produits les plus gras, sucrés et salés. Il s'agissait d'inciter lesindividus à privilégier des aliments plus sains afin de lutter contre la progression de l'obésitémais non seulement les consommateurs mais aussi les groupes agro-alimentaires se sontérigés contre la proposition, jugeant qu'elle contrevenait gravement à leur autonomie.

Le fait que l'alimentation fasse traditionnellement partie de la sphère privée etqu'elle soit donc a priori inaccessible à la sphère publique, ne constitue pas l'uniquedifficulté à laquelle doivent faire face les politiques de prévention en matière de santépublique. L'obésité est une thématique qui ne se cantonne pas à un seul domaine. Si ellerelève effectivement prioritairement des politiques de santé publique, ses conséquencessont, elles, largement d'ordre économique et social. La transversalité de cette maladieva compliquer la mise en œuvre de programmes de prévention puisqu'elle supposel'intervention d'un plus grand nombre d'acteurs. De même, il est plus difficile de déterminerquel ministère sera l'initiateur de la politique publique.

A défaut de mesures ayant une valeur contraignante, les gouvernements européenspréfèrent alors privilégier des politiques de prévention axées sur l'étiquetage nutritionnel.Le consommateur doit pouvoir disposer de toutes les informations nécessaires sans pourautant avoir l'impression que le gouvernement s'immisce dans ses choix personnels.14

L'Union européenne a acquis une part croissante dans la production des politiquespubliques, à ce titre, la gestion d'un certain nombre de domaines politiques lui a ététransférée par les États-membres. Dans le cadre du droit communautaire, la Commissioneuropéenne dispose d'un droit d'initiative qui lui confère la capacité de proposer destextes de loi. Suivant la volonté de proposer aux citoyens européens des informationscompréhensibles, la Commission a présenté au Parlement européen et au Conseil uneproposition de révision de la législation en matière d'étiquetage alimentaire en janvier 2008.L'objectif des projets de loi établis par la Commission est de permettre l'accès à l'information

12 Fassin, Didier, Faire de la santé publique, 2e éd., Paris, Editions EHESP, 200813 Louisot, Pierre, « Les peurs alimentaires : quelles assurances pour le consommateur ? » in Risques et peurs alimentaires

(sous la dir. de Marian Apfelbaum), Paris, Editions Odile Jacob, 1998, pp 225- 23114 « The Commission says people what they are eating and not what to eat ». Entretien avec une fonctionnaire de la DG SANCO

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la plus compréhensible possible pour le consommateur afin qu'il puisse faire son choix entoute connaissance de cause.15 Cette vigilance personnelle et constante du consommateur

constitue la seule garantie de la sécurité alimentaire. 16 La Commission justifie sa volonté

de légiférer en rappelant que « l’étiquetage nutritionnel est un canal reconnu d’informationdu consommateur, qui facilite la prise en compte du critère «santé» dans les choix dedenrées alimentaires »17. Le lien entre santé et alimentation est ici encore mis en avant.La Commission a donc proposé de mettre en place un standard minimum obligatoire pourl'ensemble des pays membres tout en laissant la possibilité pour chaque État de proposerun étiquetage supplémentaire, à valeur coercitive ou non. Afin de pouvoir présenter cetteproposition, la Direction Générale de la Santé et de la protection des consommateurs (DGSANCO) a auditionné de nombreux pouvoirs publics, ONG, entreprises et citoyens. Lesconclusions principales mettent en évidence le manque de clarté de l'étiquetage alimentaireactuel et le besoin exprimé par les citoyens d'avoir des informations de meilleure qualité.

La Parlement a alors désigné en août 2008 un rapporteur du projet et c'est la députéeallemande Renate Sommer (Parti Populaire Européen) qui a été chargée de remettre sesconclusions en décembre 2008 à la commission de l'environnement, de la santé publiqueet de la sécurité alimentaire. Selon la procédure européenne, les différents députés duParlement avaient ensuite la possibilité de proposer des amendements au projet de loi, cequi a conduit la commission à n'étudier le dossier qu'en mars 2009. Après quoi, la députéeRenate Sommer a été à nouveau chargée de présenter un rapport, tenant compte desamendements déposés. C'est ce rapport qui a été soumis au vote du Parlement européenen juin 2010.

Parmi les amendements déposés par les députés figurait la proposition d'introduireun système de feux tricolores sur les étiquettes alimentaires, en prenant l'exemple de lalégislation actuelle en Grande-Bretagne. Cet amendement, rédigé par des députés desgroupes S&D (Socialistes et Démocrates), GUE (Gauche Unitaire Européenne) et Verts/ALE (Alliance Libre Européenne), a fait l'objet de débats particulièrement virulents qui ontlargement dépassé le seuil des institutions européennes. Le standard proposé consiste enun code couleur qui permettrait aux consommateurs d'identifier plus rapidement la teneurdes aliments et boissons en sucres, sel et graisses pour 100 g ou 100 ml. La couleur rougeserait ainsi pour des aliments à forte teneur, orange pour des quantités mesurées et vert pourdes quantités faibles. Ce système est actuellement partiellement en vigueur en Grande-Bretagne mais reste assez controversé, les opposants à la proposition mettant en avant lafaible fiabilité de cette mesure, eu égard à l'absence de véritable diminution de l'obésité. Lasuggestion d'introduire ce code couleur à l'ensemble des pays membres ne revient doncpas à la Commission mais bien à des députés du Parlement européen.18

Le 16 juin 2010, le rapport de Renate Sommer ainsi que la proposition d'uneréglementation commune a été adoptée en première lecture par les députés du Parlementmais le système des feux tricolores a été rejeté à une large majorité par 398 voix contre243 (16 votes blancs). Cette majorité ne traduit cependant que partiellement l'importancedes débats qui ont eu lieu dans certains pays membres. Les controverses nées de cette

15 Ibid.16 Louisot, Pierre, op.cit. p. 23017 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'information des consommateurs sur les denrées

alimentaires (présentée par la Commission), p. 318 Entretien avec Renate Sommer, députée européenne et rapporteur du projet de loi devant le Parlement

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Introduction

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initiative ont été en effet particulièrement vives en Allemagne et la polémique a gagné leniveau national. Les ministres de l'alimentation des différents Länder qui s'étaient réunis àce sujet en septembre 2008 ont pressé le gouvernement fédéral de se prononcer vis-à-visde la proposition.

Une des caractéristiques majeures du déroulement des débats est la présence continued'acteurs de la sphère civile. Tout au long des deux années qui ont séparé le dépôt duprojet de loi par la Commission et le vote en première lecture du Parlement, de nombreusesassociations de consommateurs, de médecins, de famille mais aussi des industriels se sontemparés du sujet et ont tenté d'imposer leur point de vue. Cette participation active nouspermettra de questionner la remise en cause du monopole étatique. Nous assistons en effetà un transfert de légitimité qui s'effectue de l'État fédéral vers les acteurs non politiques.

Le fait que la proposition des feux tricolores, et de manière plus générale le projet deloi concernant l'étiquetage nutritionnel, ait été accueillie avec un tel intérêt en Allemagne sejustifie par la progression de l'obésité dans ce pays qui est bien plus inquiétante que dansdes États voisins.

Problématique :Ce travail ne se concentre pas uniquement autour de l'obésité en tant que maladie,

même si nous ne pouvons faire l'économie d'une réflexion quant à la nature de cetteépidémie. Mais nous nous intéresserons avant tout à la mise à l'agenda politique de lathématique tout en proposant une sociologie des acteurs impliqués. Nous prendrons pourcela l'exemple de la proposition des feux tricolores puisqu'il nous permettra de mettre enlumière les différents acteurs de la sphère civile revendiquant le droit de participation à lamise en œuvre des politiques publiques. Nous nous demanderons donc si la mise à l'agendade la lutte contre l'obésité au niveau européen entraînera un bouleversement de la gestiondes politiques publiques allemandes ?Assisterons-nous à un renouveau de l'action publiquedans ce pays ?

Hypothèses :Nous nous proposons d'étudier les difficultés auxquelles doit faire face la politisation

de l'obésité. L'hypothèse principale est celle d'une transversalité de la thématiqueparticulièrement importante et incontournable qui constitue un obstacle à cette politisation.Afin de tester cette hypothèse, nous prendrons l'exemple de la proposition du système desfeux tricolores sur les étiquettes alimentaires et son traitement par les acteurs politiqueset civils allemands. Nous nous demanderons comment le projet de loi présenté au niveaueuropéen a fait ressurgir en Allemagne le débat sur la nécessité d'une intervention étatiqueen faveur de la lutte contre l'obésité.

Nous tenterons d'introduire une sociologie de l'obésité en tant que maladie révélatriced'un nouveau mode de vie et marqueur d'inégalités sociales. Le processus de médicalisationde l'obésité constituera une étape importante de notre raisonnement et nous permettrade montrer que c'est la prise de conscience à l'échelle internationale des conséquencesengendrées par l'obésité qui va permettre à cette maladie d'être intégrée au champ desrisques collectifs et donc de s'inscrire parmi les préoccupations des politiques de santépublique. Il nous faudra nous intéresser aux étapes ou aux conditions nécessaires pourqu'un problème puisse accéder à l'agenda politique et nous tâcherons de tester l'applicationde ces conditions à la situation concrète de l'obésité.

Puis nous montrerons comment la santé publique a été influencée par l'européanisationdes politiques publiques en mettant notamment en évidence la multiplicité des niveauxde gestion qui accompagne cette co-production de l'action publique. Nous détaillerons

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ensuite le processus de politisation de l'obésité en Allemagne, non sans avoir auparavantcommenté l'importance que revêt l'organisation fédérale du pays pour la mise en œuvredes politiques publiques. L'analyse de la mise à l'agenda de l'obésité dans ce pays nouspermettra d'expliquer que la visibilité de la maladie ait été retardée, voire freinée. Nousnous pencherons sur les instruments déployés par la sphère politique afin de répondre àla nécessité de contenir la progression de l'obésité. Nous verrons que le gouvernementallemand a largement favorisé la prévention en mettant en place des mesures à destinationnotamment des jeunes enfants et adolescents.

Enfin, nous reviendrons plus précisément sur le système des feux tricolores et sur lescontroverses qu'il a suscitées. Il nous faudra retracer le parcours du projet de loi au niveaueuropéen afin de pouvoir mettre en évidence les acteurs qui se sont mobilisés pour ou contrela proposition. Nous postulerons ensuite que l'argument principal qui divisera les différentsacteurs sera celui de la rationalité supposée du consommateur. Nous verrons commentles parties exploiteront cette idée et comment elles réfuteront les propositions adverses enmettant en avant leurs propres solutions. L'inégale répartition des ressources est un élémentcentral dans cette problématique et nous ferons l'hypothèse qu'elle permet de justifier lefait que la proposition ait été rejetée, tout en permettant d'interroger l'influence réelle desacteurs de la sphère civile.

Méthodologie :Notre travail est concentré autour d'une période restreinte. En effet, la situation

de conflictualité que nous nous proposons d'analyser est circonscrite aux deux annéesentre janvier 2008 et juin 2010, dates qui correspondent respectivement au dépôt par laCommission européenne du projet de loi mentionné plus haut sur la législation en matièred'étiquetage alimentaire et au vote du Parlement européen ayant conduit au rejet de laproposition des feux tricolores. Nous reviendrons néanmoins sur les débuts de la politisationde l'obésité et de son inscription en tant qu'objet de la santé publique, que nous situonsau début des années 2000. Précisons également que le parcours du projet de loi de laCommission n'est pas encore terminé, même si nous limitons la période de notre étude aumois de juin 2010 puisque c'est à cette date que l'amendement qui nous intéresse a étédéfinitivement écarté. En effet, début juillet 2011, le Parlement a émis un avis suite à ladeuxième lecture du projet. La Commission a été amenée à se prononcer sur cet avis et atransmis ses conclusions au Conseil. La réforme relative à l'étiquetage nutritionnel est doncloin d'être achevée.

Afin de répondre à notre questionnement, il nous a fallu dans un premier temps nousfamiliariser avec l'obésité en tant que maladie. Pour ce faire, nous avons travaillé avec desouvrages médicaux ainsi qu'avec les informations relayées par l'OMS.

Nous avons souhaité mieux comprendre le rôle d'impulsion de l'Union européennedans la production des politiques publiques européennes et pour cela, nous sommes partissur les traces des décideurs européens en nous rendant à la Commission européenne etplus précisément à la DG SANCO. Nous avons également rencontré le groupe de lobbyingEurocoop afin de mesurer l'importance des représentants d'intérêts et de pouvoir clarifierleur façon de travailler. Des contacts ont été pris avec la rapporteur du projet de loi surl'étiquetage nutritionnel devant le Parlement européen, Renate Sommer, afin de l'interrogersur l'élaboration de son rapport et sur les différents acteurs avec lesquels elle a été amenéeà s'entretenir.

Nous nous sommes ensuite recentrés sur les acteurs allemands et nous avonsainsi questionné des députés du Bundestag, une employée de la Verbraucherzentrale

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Introduction

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(la principale association de consommateurs en Allemagne) ainsi que la porte-parole del'entreprise Frosta qui a décidé d'introduire le système des feux tricolores pour quatre deses produits.

Les recherches pour mener des entretiens ont mis en évidence les tensions quiexistaient et qui existent encore aujourd'hui à partir du moment où l'on aborde unethématique soulevant des enjeux économiques. Nous avons dû faire face à de nombreuxrefus de la part des industries agro-alimentaires ou des groupes d'intérêts les représentant.Ceux-ci mettaient en avant l'impossibilité pour eux de répondre à nos questions pour desraisons de sécurité ou suggéraient de se pencher sur un autre problème, étant donné quela décision des parlementaires européens était déjà arrêtée et votée.

Trouver des matériaux objectifs sur le système des feux tricolores a été très difficile carles informations à disposition du public proviennent des deux camps et elles révèlent doncdes points de vue diamétralement opposés. Néanmoins, cette subjectivité manifeste n'a pasporté préjudice à notre analyse puisque nous avions pour objectif de mettre en évidencel'influence des différents acteurs, en nous appuyant justement sur les idées et les valeursvéhiculées. En ce sens, ce travail constitue une analyse des politiques publiques par uneapproche cognitive, approche qui s'est développée en réaction aux analyses plus centréessur les acteurs. Nous nous appuierons sur la démarche de Pierre Müller qui considère que« les politiques publiques doivent être analysées comme des processus à travers lesquelsvont être élaborées les représentations qu’une société se donne pour comprendre et agirsur le réel tel qu’il est perçu.»19 Nous avons donc choisi de centrer notre réflexion sur lafaçon dont l'obésité est présentée par les différents acteurs, qu'ils soient civils ou politiques.

Ce mémoire est en partie basé sur des entretiens. En raison de l'éloignementgéographique du terrain, ceux-ci ont dû être réalisés pour la plupart par téléphone ou parmail. Il en résulte un biais certain, notamment dans le cas des messages électroniques où laperception de la réaction de l'enquêté suite aux questions posées est impossible. De plus,les personnes interrogées disposaient de plus de temps pour répondre et pouvaient doncadapter leurs réponses en fonction du message qu'elles souhaitaient diffuser. Nous avonsdonc complété les données recueillies lors des entretiens avec les différents textes officielsprovenant de l'Union européenne (rapport du projet de loi, Livres blanc et vert,...) ainsiqu'avec des articles de presse. Nous avons également fait appel à des ouvrages générauxsur les risques en santé publique et leur mise à l'agenda politique afin de pouvoir détermineren quoi les conclusions que les auteurs tirent peuvent s'appliquer au cas de l'obésité.

Annonce du plan :Ce travail se divise en trois temps : nous nous demanderons tout d'abord comment

expliquer que l'obésité ait pénétré le champ de la politique. Nous verrons que c'est grâceau processus de médicalisation et à la nouvelle définition de l'obésité en tant que risque,que cette maladie a suscité un intérêt auprès des politiques.

Nous nous intéresserons ensuite à la politisation de l'obésité aux échelles européenneet allemande. Nous nous attarderons sur l'importance que revêt la fragmentation despolitiques publiques et la complexité qui s'ensuit pour leur mise en œuvre. Le choix del'Allemagne se justifie par la prévalence très importante de l'obésité dans ce pays ainsique par la récente mise à l'agenda de la thématique qui laisse entrevoir des conflits entreles acteurs de la sphère civile et ceux de la sphère politique ainsi qu'au sein de la sphèrepolitique en elle-même. Nous nous intéresserons aux politiques de prévention mises en

19 Müller, Pierre, op.cit., p. 57

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La santé au coeur des enjeux économiques : quand l'obésité devient politique. Conflits etcontroverses autour des politiques alimentaires en Allemagne

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place par le gouvernement allemand car nous aurons vu auparavant que la préventionconstitue la base de la lutte contre l'obésité.

Enfin, nous reviendrons sur la proposition d'un système de feux tricolores sur lesétiquettes alimentaires et nous mettrons en évidence les différents conflits qui ont jalonnéle processus décisionnel en Allemagne et qui montrent la difficulté toujours actuelle de faireaccepter la lutte contre l'obésité comme une mesure essentielle de santé publique.

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Chapitre 1 : Une prise de conscience s'inscrivant à l'échelle internationale

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Chapitre 1 : Une prise de consciences'inscrivant à l'échelle internationale

L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a officiellement défini l'obésité commeune épidémie mondiale en 1998. L'obésité ne se cantonne plus uniquement aux paysindustrialisés même si sa prévalence y est plus forte que dans les autres régions du monde.Dans une première partie nous essayerons de comprendre pourquoi l'épidémie progressesi rapidement et quels sont les populations les plus touchées. Nous montrerons ainsi quel'obésité se retrouve avant tout dans les classes sociales les plus défavorisées. A l'aidede l'apport de la sociologie du corps, nous comprendrons que le problème du surpoidsaggrave l'exclusion des personnes déjà fragilisées socialement. Dans un deuxième temps,nous montrerons comment le processus de médicalisation de l'obésité a facilité sa mise àl'agenda politique. Nous verrons que le statut de l'obésité a connu une évolution en faveurd'une reconnaissance d'une maladie épidémique, ce qui a contribué à faire coïncider lesobjectifs de la santé publique et la lutte contre l'obésité.

I. Approche sociologique de l'obésitéComment expliquer que l'obésité soit passée de la sphère privée à un enjeu mondial figurantau rang des préoccupations les plus alarmantes de l'OMS ? Afin de répondre à cettequestion, une première partie sera consacrée aux facteurs pouvant expliquer la progressionde l'obésité ainsi qu'aux répercussions sociales engendrées. Dans cette première partie,nous admettrons utiliser le terme de « maladie » afin de désigner l'obésité mais l'évolutionde son statut et l'explication de sa qualification en tant que telle ne seront présentées quedans une seconde partie.

I.A. Des déterminants socio-économiques qui prennent le pas sur lesfacteurs génétiques

I.A.1. L'obésité : le fléau des pays industrialisés ?« Gros : qui a beaucoup de circonférence, de volume ». La définition du Littré rend biencompte de la subjectivité qui entoure ce mot. Car comment définir « beaucoup » ? Chaqueindividu a sa propre échelle de la grosseur qui est fonction de son vécu, de son ressenti,voire de son milieu.

A l'inverse de ces considérations subjectives, l'obésité répond à une quantification bienprécise, matérialisée par une norme internationalement utilisée et introduite officiellementpar l'OMS en 2000 : l'Indice de Masse Corporelle (IMC). Celui-ci s'obtient sur la base durapport poids / (taille)². Si le résultat est contenu entre 18 et 25 kg/m², l'individu a un poidsnormal ; à partir de 25 et jusqu'à 30 il est en surpoids et au-delà de 30 il est atteint d'obésité(on parle même d'obésité morbide pour un IMC au-delà de 40). A partir de 1995, un comité

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d'experts de l'OMS réfléchit à la possibilité d'utiliser l'IMC comme un outil de mesure del'obésité. L'IMC définirait alors l'obésité. Celle-ci correspond à un surpoids que l'on peutquantifier. L'utilisation de l'IMC reste cependant critiquée, étant donné qu'elle ne rend pascompte de la distribution de la masse graisseuse ni de la morphologie de la personne et peutalors induire en erreur. L'exemple régulièrement cité est celui des sportifs dont l'IMC peutdépasser 25 kg/m² à cause de leur masse musculaire, sans qu'ils soient pour autant atteintsde surpoids ou d'obésité. De plus, l'IMC est utilisé pour comparer des populations n'ayantpas les mêmes caractéristiques de corpulence. On passe ainsi d'une définition qualitative

de l'obésité à une définition quantitative. 20

L'obésité se définit comme « un excès de masse grasse entraînant des inconvénientspour la santé. Cet excès est considéré comme pathologique à partir du moment où ilaffecte la situation somatique, psychologique ou sociale, ou la qualité de vie d'un individu ».21 Les conséquences pour la santé d'un surpoids sont extrêmement variables. Ellesenglobent un spectre de complications et pathologies comprenant l'hypertension, desdifficultés respiratoires, ostéo-articulaires, cardiovasculaires mais aussi le développementde cancers ou d'un diabète. Comme dans le cas d'autres causes déclarées de santépublique (le tabac par exemple), l'obésité met en relation deux états pathologiques : d'uncôté le surpoids, de l'autre des conséquences « tangibles » pour la santé que sont ledéveloppement de maladies. Enfin, les répercussions psychologiques et sociales ne sontpas à négliger : la stigmatisation des obèses est une des principales causes de souffranceet conduit à leur exclusion en marge de la société.22

Obésité et famine sont les conséquences a priori diamétralement opposées desproblèmes de nutrition pouvant exister au sein d'une société. Mais si la famine sembleavoir été éradiquée dans les sociétés occidentales ou dans les pays industrialisés, ellereste une préoccupation majeure des pays en voie de développement. A ce titre, l'obésitéa souvent été pensée comme un mal secondaire ne pouvant bénéficier de la couverturemédiatique accordée à la famine. Pourtant, l'obésité n'est pas que l'apanage des paysindustrialisés. Sa fréquence augmente également dans les pays en développement, mêmesi les personnes obèses de ces sociétés n'appartiennent pas à la même catégorie socialeque celles des pays occidentaux. Surtout, l'obésité n'est pas la conséquence du « mangertrop » mais bien du « manger de façon inadaptée ». Pour Jean-Pierre Poulain, l'obésitéest une « maladie de transition » consécutive des changements de pratiques alimentairesdans les sociétés modernes. Le facteur génétique ou hormonal peut effectivement expliquerune partie de la progression de l'épidémie. Certains individus présenteraient ainsi uneprédisposition à la prise de poids. Néanmoins, le développement de cette maladie estessentiellement dû à des composantes sociétales et environnementales. Le taux d'obésitéest très important dans les pays en développement parmi les classes sociales les plusfavorisées et au contraire, c'est au sein des classes sociales les moins élevées que l'obésitéest la plus fréquente dans les sociétés dites développées. Les modes de vie et d'alimentationsont les explications premières de la progression de l'obésité. En effet, une transitionnutritionnelle se réalise généralement en parallèle à la transition démographique. Cettedernière traduit une amélioration des conditions de vie (baisse du taux de mortalité infantile,progression de l'espérance de vie) en partie due aux progrès réalisés en matière de santé.

20 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p. 17921 Basdevant Arnaud, Ricquier Daniel, Pour une approche scientifique de l'obésité, Paris, Annales de l'Institut Pasteur/

actualités, 200322 La stigmatisation des obèses sera traitée de manière plus approfondie dans une seconde partie.

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Chapitre 1 : Une prise de conscience s'inscrivant à l'échelle internationale

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La transition démographique s'accompagne également d'une transition épidémiologique :la mortalité n'est plus imputable à des famines ou à des épidémies mais à des maladies, telle cancer, pour lesquelles la médecine va trouver des solutions. La transition nutritionnellecorrespond aux changements dans les modes de vie et d'alimentation qui découlent de« l'urbanisation, de la marchandisation de l'alimentation (...), de l'industrialisation de la

filière alimentaire et (...) de la mondialisation ». 23 Les individus développent de nouvelles

pratiques, principalement axées autour de la sédentarité sans pour autant adapter leuractivité physique et réduire leurs apports énergétiques. L'obésité serait ainsi une « maladiede transition » car elle est une conséquence d'un changement d'habitudes qui ne se traduira

pas par une adaptation de l'alimentation. 24 Actuellement, celle-ci est caractérisée par

une prise des repas devant la télévision qui se généralise et une durée moyenne du tempsconsacré à ceux-ci qui diminue. Cette simplification s'accompagne d'une désocialisation del'alimentation : cette dernière ne joue plus le rôle rassembleur qu'elle tenait auparavant (lesrepas en famille ont tendance à se raréfier).

Ces modes de vie étant essentiellement occidentaux, l'obésité est souvent qualifiéede fléau des pays industrialisés. Pourtant, l'évolution du système de distribution alimentaireest à l'œuvre dans les pays en développement, ce qui explique que nulle société ne soitpréservée de l'épidémie. Les pays émergents, comme la Chine, voient ainsi la proportiond'obèses augmenter dramatiquement.

I.A.2. L'obésité comme marqueur d'inégalités socialesL'obésité, au même titre que la nourriture, se révèle le témoin de l'appartenance à uneclasse sociale. Au sein d'une société, l'obésité révèle et amplifie l'existence d'inégalitéssociales. Elle est en effet socialement différenciée et traduit souvent une grande précaritééconomique, caractérisée par un chômage de longue durée, des difficultés à accéder à un

premier emploi et la précarisation des emplois obtenus. 25 La précarité est un processus

de dégradation de la situation sociale. 26 Les pratiques alimentaires des personnes en

situation de précarité sont ainsi très différentes de celles des autres classes sociales. Lebudget consacré à l'alimentation est nécessairement restreint et le lien entre alimentationet santé est moins perçu. Les produits habituellement jugés comme « sains » (fruits,légumes, céréales, viande blanche etc) sont consommés dans une moindre mesure,étant donné leur coût élevé. Au contraire, le grignotage d'aliments et de boissons sucrésainsi que l'achat de plats déjà préparés se généralisent. La simplification des repas estaccrue et la consommation d'aliments comme les pizzas, les pâtes ou les hamburgers estnormalisée. Dans les classes populaires ou précaires, le fait de consommer des produitsagro-alimentaires provenant de l'industrie est souvent un moyen de se rassurer par rapportà son appartenance à la société de consommation. La priorité n'est pas donnée à l'équilibrealimentaire mais au plaisir suscité par l'alimentation. « Faire plaisir aux enfants » est souventla motivation première, au-delà du souci de les maintenir en bonne santé. De fait, la maladieest appréhendée dans une vision à court-terme, elle est donc considérée comme pouvant

23 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p. 5524 Ibid. p. 50

25 Ibid. p.10026 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p.134

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être soignée facilement par des médicaments.27 Une maladie provoque des symptômesque l'on peut guérir rapidement grâce à un traitement. L'obésité n'apparaît au contraireque progressivement, ce qui explique que beaucoup d'individus ne l'associent pas à unepathologie.

Outre l'alimentation en elle-même qui est caractérisée par un faible équilibre etune faible diversité, les pratiques alimentaires se caractérisent également par unedésocialisation de la prise des repas, celle-ci ayant généralement lieu devant la télévisionpour les catégories modestes. Ces dernières font aussi partie des classes sociales faisantle moins d'activité physique. Jean-Pierre Poulain formule alors deux hypothèses sur le lienentre obésité et précarité : d'une part, l'obésité serait une conséquence du stress développésuite à une position sociale peu avantagée ; d'autre part, le fait de consommer des aliments

de façon disproportionnée est une situation de « stockage » par peur de l'avenir. 28

« La société est conçue comme stratifiée et composée de groupes en conflit dontles logiques d'action et les systèmes de représentation sont déterminés par leursconditions matérielles d'existence (...). Lorsqu'on applique une telle grille delecture à l'obésité, celle-ci se distribue de façon assez nette dans un espace en

tension entre un faible capital culturel et un faible capital économique » 29 .A côté de l'argument économique, le niveau d'éducation influe également le développementde l'obésité. Ainsi, ce sont les ouvriers et les professions agricoles qui sont les plussévèrement touchées par l'obésité. En France, 11.3 % des ouvriers sont obèses contre 7.6

% des cadres supérieurs. 30 Dans les sociétés développées, le taux d'obésité dans une

classe sociale est inversement proportionnel au nombre d'années d'études. Les individusne disposent pas de la même sensibilité cognitive : les messages de santé publique netrouveront pas le même écho dans toutes les classes sociales, l'efficacité du messagediffusé étant en partie fonction du niveau d'études et /ou des informations relatives àl'alimentation dont disposent les groupes sociaux.

D'autres facteurs expliquent la progression de l'épidémie, notamment au sein desclasses populaires les moins favorisées : le stress, l'exclusion sociale ou le chômage

peuvent accélérer le développement de l'obésité. 31

On peut noter que le surpoids qui ne correspond pas encore au stade de l'obésité est

moins différencié entre les classes sociales que ne l'est l'obésité. 32

L'obésité est donc socialement différenciée et est une conséquence des inégalitéssociales inhérentes à une société. Mais sa fréquence au sein des classes populairesparticipe également à l'augmentation des inégalités, notamment en conduisant à leurexclusion.

27 Régnier, Faustine, op.cit p.758-75928 Poulain, Jean-Pierre,op.cit. p. 109

29 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. pp. 86-8730 Ibid. p. 87

31 Ibid. p.4132 Ibid. p.92

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I.B. Le poids : une norme corporelle. La stigmatisation des personnesobèses« [la sociologie du corps] considère le corps en tant qu'opérateur social, il estl'instrument avec lequel se construisent, autant que les identités individuelles, lesconfigurations sociales, les symbolisations et les représentations, les pratiqueset les hiérarchies. Il « dit » la société, cependant qu'il contribue à la façonner et à

l'accompagner dans ses changements et mutations. » 33

L'articulation entre corps et culture est ténue. Le corps joue le rôle d'un marqueur social trèsfort, il est le premier reflet de l'identité d'un individu et est ainsi l'instrument qui lui permetde se déterminer et de trouver sa place dans la société. Il devient un symbole et les enjeuxpour maîtriser ce corps-témoin sont accentués. Dans ces conditions, que symbolise le corpsgros ? Quelle image véhicule celle d'une personne obèse ?

Les travaux sur l'obésité posent la question de la normalité et de la norme. La normepeut être définie comme l'ensemble des représentations qu'a construit une société pourses individus et qui définit les limites de ce qui est jugé acceptable. La norme constitueégalement un standard auquel les individus peuvent se référer. Dans des sociétés où laminceur est présentée comme l'idéal-type à atteindre et bénéficie de facto d'un certain

prestige social, 34 l'obésité ne peut qu'être perçue comme une opposition, sinon une atteinte,

à ce modèle et se trouve donc contraire à la norme. Mais celle-ci est une donnée variable,tant temporellement que spatialement. La norme culturelle « ne relèv[e] pas de la règle et duconsentement (...) mais de mécanismes bien plus diffus et mouvants ».35 La norme évolueselon les époques et surtout selon les sociétés. Certaines normes sociales sont universelles(l'inceste par exemple est un interdit qui se retrouve dans toutes les sociétés et à toutes lesépoques) mais beaucoup sont dépendantes des conjectures historiques.

Historiquement, le corps gros n'était pas nécessairement synonyme de corps malade :« Minceur, principe de la séduction. Au XIXe siècle, un entrepreneur, unresponsable se doit d'être gros : un homme de poids est un homme qui a dupoids. L'embonpoint de la femme la rend délectable. L'époque actuelle réunit les

deux sexes dans la phobie de l'épaisseur. » 36

Le surpoids était ainsi une marque de prestige social : l'embonpoint apportait la preuve del'appartenance à une classe sociale élevée puisque seuls les ouvriers étaient amenés àtravailler physiquement et donc à brûler plus de calories. De plus, être gros signifiait avoir lesmoyens financiers pour consommer de la nourriture riche et abondante. C'était la maigreurqui traduisait la maladie et la pauvreté.

Néanmoins, ce constat d'une obésité « positive » est nuancé par certains chercheurs :pour Claude Fischler, « il n'est donc pas exact de dire que, dans les pays développés

33 Georges Balandier , « Ce que « disent » le corps et le sport », Corps et culture [En ligne], Numéro 6/7 | 2004, mis en

ligne le 31 mai 2007, Consulté le 15 juin 2011. URL : http://corpsetculture.revues.org/88534 Schorb, Friedrich, « Fit for fun?- Schlankheit als Sozialprestige » in Risiko Gesellschaft. Über Risiken und Nebenwirkungen

der Gesundheitsgesellschaft, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 201035 Sirinelli Jean-François , « La norme et la transgression. Remarques sur la notion de provocation en histoire culturelle »,

Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2007/1, n° 9336 Aron, Jean-Paul, « La tragédie de l'apparence à l'époque contemporaine », Communications, n°46, 1987, pp. 305-314

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contemporains, on est passé d'un modèle corporel pro-obèse à un autre qui serait anti-obèse, de la lipophilie à la lipophobie. Il faudrait dire que le seuil socialement défini del'obésité s'est abaissé ».37 L'obésité n'était pas nécessairement mise en valeur mais lesurpoids n'était pas défini selon l'échelle utilisée actuellement : l'« embonpoint » d'alorsserait le surpoids d'aujourd'hui.

Ce qui explique le changement dans la perception et la représentation des obèsesest donc le fait que le seuil de tolérance du surpoids ait été fortement abaissé. Cetteévolution est particulièrement manifeste dans les sociétés occidentales. Le corps gros estdevenu indésirable et ne peut que s'attirer le mépris social. La graisse renvoie en effet àune mauvaise hygiène de vie et les personnes obèses se voient accusées de manquerde volonté : leur état physique ne serait que le résultat d'un comportement déraisonnabledont ils sont les seuls responsables. Suivant l'adage « quand on veut, on peut », onreproche alors aux obèses de ne pas savoir contrôler leur corps en méconnaissant lesrecommandations en matière d'alimentation : « le corps dit, trahit ou proclame commentl'individu joue le jeu social, c'est-à-dire comment il applique la règle première du partage

de la nourriture ». 38 La croyance la plus souvent partagée est celle de l'obèse incapable

de réguler sa consommation. A l'inverse, les personnes minces, voire maigres, font preuvede force de caractère puisqu'elles sont capables de réguler leur poids et de contrôler

leur apparence. Dans son ouvrage, 39 Muriel Darmon montre que l'identité anorexique se

construit en opposition frontale avec la figure de l'obèse. Les personnes anorexiques veulent(se) prouver qu'elles disposent de suffisamment de volonté pour ne pas prendre de poidset prennent ainsi leurs distances avec les obèses.

La norme est la plupart du temps dictée par les couches sociales les plus élevées.Faustine Régnier40 distingue ainsi quatre formes de réception des normes concernantl'alimentation et la corpulence : les catégories supérieures sont celles qui diffusent etintègrent les normes ; les catégories intermédiaires, intégrées et modestes en intégration,présentent une hyperadhésion et font preuve de bonne volonté vis-à-vis des normesimposées ; les catégories modestes et populaires sont plus enclines à émettre des réactionscritiques ; enfin, les catégories précaires sont indifférentes aux normes. L'ascension socialen'est donc possible que si les personnes se conforment aux normes émises par lescatégories supérieures. En cela, l'obésité sera un frein manifeste, les obèses sont lespersonnes les moins souvent augmentées ou promues socialement.

Le développement de la mode au début du 20e siècle va accélérer le phénomènede rejet du corps gros. Les vêtements sont créés pour des tailles minces et contribuentainsi à stigmatiser et exclure tout surpoids. Ce dernier, et partant l'obésité, sont déclarésinesthétiques. On assiste alors à une stigmatisation des personnes obèses qui sontreléguées en marge de la norme et de la société. Jean-Pierre Poulain définit cinq étapesdans le processus de stigmatisation : - le label de « déviant » est attribué à la personne –l'individu est réduit à son stigmate – des discriminations sociales en découlent – la personneintériorise la dévalorisation – l'individu considère comme justifiée sa situation et s'enferme

37 Fischler, Claude, « La symbolique du gros », Communications, n°46, 1987. pp. 255-278.38 Ibid. p. 25839 Darmon, Muriel, op.cit.40 Régnier, Faustine , « Obésité, goûts et consommation. Intégration des normes d'alimentation et appartenance

sociale »,Revue française de sociologie, 2009/4 Vol. 50, p. 747-773.

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dans un cercle vicieux. 41 Les obèses vont donc intégrer leur statut de marginalisés et

cette attitude les enferme dans un cercle vicieux les incitant à la surconsommation. Ainsi,la stigmatisation des obèses « résulte du système de valorisation culturelle de certainesformes de corpulence et des processus de définition des normes sociales relatives au

corps qui désignent comme « déviants » des individus qui s'en éloignent ». 42 Elle est

la conséquence d'un ensemble de représentations propre à chaque société : les normesculturelles et corporelles sont fonction de l'environnement dans lequel l'individu évolue.L'obésité sera alors appréhendée comme plus ou moins indésirable ou acceptable : « toutes

les cultures n'ont pas la même lecture de l'obésité ». 43 La figure du « gros » est certes

complexe car elle fait l'objet d'une ambivalence : d'un côté le « gros » jouit d'une image de« sympathique » ou de « bon vivant », d'un autre côté, il est perçu comme manquant devolonté et seul responsable de son surpoids. Néanmoins, cette double identité est moinsévidente dans le cas des obèses puisque l'obésité est associée à la maladie et génère doncmoins d'empathie ou de sympathie.

Les obèses sont ainsi fréquemment exclus de la vie en société. A l'école commedans la vie professionnelle, ils doivent faire face à des obstacles freinant leur insertion. Ladiscrimination des enfants obèses est particulièrement influente sur leur trajectoire de viecar elle intervient alors que l'enfant construit sa propre identité. Le phénomène de rejetdont peuvent souffrir les plus jeunes aura notamment des répercussions sur leur réussitescolaire.

Tout l'enjeu dans la lutte contre la stigmatisation des obèses réside dans la distinctionentre d'une part la stigmatisation et d'autre part la neutralité vis-à-vis de l'obésité. Il ne s'agitpas d'oublier l'obésité ou de faire preuve d'indifférence à son égard car ses conséquencespour la santé sont trop importantes pour qu'elles soient ignorées mais il ne faut pas réduire

l'individu à son seul surpoids. 44

L'obésité participe donc d'une double dynamique : d'une part elle est largementconditionnée par les statuts et les dynamiques sociales, comme on l'a vu dans une premièrepartie. D'autre part, elle peut être perçue comme ayant une influence sur les positions et

les dynamiques sociales. 45 L'obésité est présentée comme une déviance : la minceur est

privilégiée tandis que le surpoids est présenté comme pathologique et malsain. L'obésité aalors non seulement des conséquences physio-pathologiques mais aussi des répercussionssociales et psychologiques. Il s'agit de voir maintenant comment le caractère moralisateurs'est atténué grâce à la médicalisation de l'obésité et à sa redéfinition et comment on a pupasser de « déviant » à « malade » pour qualifier le corps obèse.

41 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. pp. 111-11242 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p. 4343 Ibid. p. 12244 Ibid. p. 13245 Ibid. p. 40

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II. La redéfinition internationale de l'obésité : d'unemaladie déconsidérée à une épidémie mondialeperçue comme un risque pour la santé publique

Cette seconde partie vise à expliquer comment la santé publique en est venue à s'intéresserà l'obésité. Nous verrons qu'une étape essentielle doit être réalisée dans un premier temps :celle de la définition de l'obésité en tant que maladie. En effet, la qualification de l'obésitécomme risque est une condition nécessaire pour qu'elle puisse susciter l'intérêt de la santépublique. Nous nous intéresserons ensuite aux différentes théories de la mise à l'agenda etles comparerons au cas de l'obésité. Enfin, nous définirons ce qu'est une politique publiquepuisque la mise en œuvre d'une politique constitue la preuve que la mise à l'agenda a étéréussie et nous transposerons les cinq éléments constitutifs d'une politique publique à laprévention de l'obésité.

II.A. Le processus de médicalisation ou une lutte définitionnelle pourle statut de l'obésité

Reprenons la définition de la médicalisation : il s'agit d'un processus « qui confère unenature médicale à des représentations et à des pratiques qui n'étaient jusqu'alors pas

socialement appréhendées en ces termes ». 46 La définition-même de l'obésité va donc

évoluer puisqu'on passe d'une maladie appréhendée uniquement dans un cadre privé, sesituant entre le médecin de famille et le malade, à une véritable épidémie. On n'est plusseulement obèse, on souffre d'obésité. Jean-Pierre Poulain distingue deux phases dans lamédicalisation de l'obésité : dans un premier temps, on passe d'une évaluation qualitative àune évaluation quantitative, ce qui introduit la notion de facteur de risque. C'est ce que nousavons vu avec l'introduction de l'IMC comme norme internationale qui permet de déterminerà partir de quel poids un individu est obèse. Dans un second temps s'opère un glissementdu statut de risque à celui de maladie, qui va entraîner la prise de conscience du coûtde l'obésité et du taux de mortalité en résultant. Trois étapes peuvent être retenues dansl'évolution de la pensée médicale par rapport à l'obésité : elle est tout d'abord perçue commeune anomalie ou une déviance, puis le corps médical tente de lui trouver des explications,

enfin, elle est appréhendée comme l'objet de secteurs de la médecine. 47

Dans la construction d'un problème politique, la définition de ce problème constitue uneétape-clé qui déterminera si la thématique pourra ou non être inscrite à l'agenda politique. Lechamp lexical utilisé pour qualifier les enjeux est celui de la lutte et du combat. Les acteursen présence vont en effet s'affronter afin d'imposer leur définition:

« Les luttes autour des définitions de problème constituent en effet une part importantede l'activité des acteurs qui, au sein de différentes organisations ou aux points de jonctionentre organisations, prêtent une attention particulière à ces définitions, à leurs possiblesévolutions, et ce d'autant plus qu'ils sont souvent très conscients des enjeux qui sont liés auxtransformations de ces définitions. Chaque définition entraîne en effet avec elle une certainedistribution des rôles entre acteurs, une hiérarchisation de ceux-ci ainsi qu'un certain type

46 Fassin, Didier, Dozon, Jean-Pierre, Critique de la santé publique, Paris, Balland, 200147 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p.157

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de distribution des responsabilités. La définition d'un problème apparaît donc comme étant

indissociablement d'ordre discursif, social et politique. » 48

Le processus de médicalisation va permettre de transformer le regard moralisateurenvers les obèses pour leur accorder un statut de malades. Le fait que l'obésité soitqualifiée d'épidémie va permettre de fédérer un certain nombre d'acteurs. En effet, commele démontre Jeanne Chabbal pour la problématique du risque industriel, « sans accordminimal sur une formulation commune des enjeux liés au danger industriel, le problème

ne peut être réellement porté et publicisé » 49 . Avant que le problème ne puisse pénétrerle champ de la santé publique et donc être politisé, il faut que les acteurs s'accordentsur la définition de celui-ci. En assimilant l'obésité au rang des épidémies mondiales eten utilisant donc un champ lexical chargé d'intensité dramatique, l'OMC offre une visibilitéplus importante à cette maladie. L'opinion publique de même que les médias seront plusfacilement interpellés par cette nouvelle définition. L'obésité est la première maladie noninfectieuse qui est qualifiée d'épidémie. En ce sens, il s'agit d'une avancée non anodine : lanotion d'épidémie véhicule en effet dans les schémas de pensée traditionnels une idée decontagion, et donc de virus transmissible. Dans le cas de l'obésité, le facteur responsablede l'épidémie n'est pas perceptible. Toutefois, d'après Le Littré, l'épidémie est bien « unemaladie contagieuse ou non, qui attaque un grand nombre de personnes ». La définitionn'est donc pas usurpée et n'est pas seulement une hyperbole construite afin de donner plusde retentissement à la voix de l'OMS.

Avec la redéfinition de l'obésité, de nouveaux champs d'étude se sont intéressés àcette thématique. C'est le cas de l'épidémiologie qui « se propose d'étudier la fréquence

et la distribution des maladies dans la population ». 50 Le savoir épidémiologique va

permettre d'indiquer si une intervention des autorités publiques est nécessaire en identifiant

certaines conduites à risque parmi la population. 51 Les sciences sociales et la recherche

médicale vont se partager l'étude de l'obésité : « la recherche médicale et l'épidémiologiepermettent l'identification des cibles de l'action publique, les sciences sociales contribuent,elles, en effet, au design des instruments par lesquels ces cibles doivent être atteintes ettravaillées ».52

Dans le processus de médicalisation de l'obésité, les médias vont jouer un rôle décisif.En effet, « la publicisation des problèmes est un moment décisif de leur prise en compte,de leur mise sur agenda et donc de leur éventuelle résolution par l'engagement d'action

ou de politiques publiques appropriées ». 53 Tous les problèmes ne bénéficient pas d'un

écho médiatique, et leur capacité à être rendus publics dépend des acteurs qui cherchentà porter le problème à l'agenda politico-médiatique, de leurs démarches ainsi que de leurinfluence. L'efficacité de la mobilisation des agents est néanmoins conditionnée par le relaisque constitueront ou non les médias. Ces derniers représentent le seul moyen d'informer le

48 Gilbert, Claude, Henry, Emmanuel, « Lire l'action publique au prisme des processus de définition des problèmes », inComment se construisent les problèmes de santé publique, Paris, Editions La Découverte, 2009

49 Chabbal, Jeanne, « Le risque invisible. La non-émergence d'un problème public », Politix, n°70, 2/2005, P. 169-17550 Borraz, Olivier, Guiraudon, Virginie, op.cit. p.8251 Ibid. p. 8252 Borraz, Olivier, Guiraudon, Virginie, op.cit. p. 85-8653 Gilbert, Claude, Emmanuel, Henry, op.cit. p. 17

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La santé au coeur des enjeux économiques : quand l'obésité devient politique. Conflits etcontroverses autour des politiques alimentaires en Allemagne

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grand public et sont des porte-paroles indispensables. Les journalistes participent ainsi à labanalisation de l'information scientifique en essayant de « développer la culture scientifiqueauprès d'un public large et populaire ».54 Néanmoins, les médias participent également àla dramatisation de l'obésité, a fortiori depuis qu'elle a été qualifiée d'épidémie. La chargeémotionnelle véhiculée est plus forte et provoque donc une plus grande empathie de lapart de l'opinion publique. En jouant sur l'émotion, les médias provoquent des mécanismesd'identification qui sensibiliseront plus facilement la population.55 Celle-ci sera d'autant plusréceptive aux messages diffusés, que ce sont « les images, les chiffres, les mots lesplus forts qui s'imposent rapidement, passant d'un média à l'autre. »56 Dans le cas del'obésité, les chiffres et les données la concernant sont impressionnants et ne manquentpas d'interpeller le public. Les médias ne participent pas nécessairement à la préventionde l'obésité mais en rendant publique la médicalisation du phénomène, ils participent àla prise de conscience quant au statut d'épidémie mondiale. Cyril Lemieux met toutefoisen garde contre le « média-centrisme » qui sous-estime l'importance des acteurs délivrantles informations aux médias.57 En effet, les médias seuls ne parviennent que difficilementà obtenir les éléments nécessaires à la construction d'une alerte sanitaire. Ils restenttributaires de la mobilisation de la sphère civile concernée par le problème et constituentdonc plus des relais que de véritables initiateurs.58 La participation des associations demalades est nécessaire, d'une part à la formulation du problème, et d'autre part à sa miseen visibilité.59

Enfin, les répercussions de l'obésité sur l'espérance de vie seront un des aspects misen avant par les sociétés d'assurance (notamment aux États-Unis). L'obésité tue. C'est àpartir de ce constat que les pouvoirs publics seront plus facilement interpellés... et réactifs.

L'obésité ne va donc plus être cloisonnée au simple champ de la vie privée. A fortiori,elle ne sera plus cantonnée au domaine médical, ce qui permettra un premier pas vers lapolitisation. A partir du moment où elle pénètre la sphère publique, se pose la question deson traitement par les politiques et du domaine d'action publique concerné. Étant donnéque le processus de médicalisation a permis de mettre en évidence les risques pour lasanté que présente l'obésité, la santé publique va être logiquement investie de la gestionde l'épidémie. La question de la psychologisation et de la psychiatrisation de l'obésité n'apas été abordée ici. Nous pouvons néanmoins souligner que les études concernant lapersonnalité des personnes obèses sont nombreuses et questionnent notamment les liensentre troubles du comportement et apparition de l'obésité.

II.B. L'obésité comme objet de la santé publique54 Marchetti, Dominique, Quand la santé devient médiatique. Les logiques de production de l'information dans la presse,

Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 201055 Ibid. p.14356 Ibid. p. 15857 Lemieux, Cyril, « Comment naît l'intérêt des médias pour les alertes sanitaires? Retour critique sur quelques idées

courantes », Actes de la onzième séance du séminaire du programme Risques Collectifs et Situations de Crise, Grenoble, CNRS,p. 83-96.

58 Hassenteufel, Patrick, « Les processus de mise sur agenda : sélection et construction des problèmes publics » , Informationssociales, 2010/1 n° 157, p. 50-58.

59 L'action de la société civile sera détaillée dans le chapitre 2.

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Chapitre 1 : Une prise de conscience s'inscrivant à l'échelle internationale

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Nous avons vu que le processus de définition de l'obésité en tant que maladie est une étape-clé dans la mise à l'agenda politique de celle-ci.

Il nous faut maintenant tout d'abord revenir sur la définition d'un risque en santé publiqueafin de comprendre quels sont les enjeux pour la sphère politique et l'intérêt qu'elle peutavoir pour inscrire la gestion de ce risque à son agenda. Nous verrons également quellessont les caractéristiques d'une politique publique et déterminerons dans quelle mesure lalutte contre l'obésité s'y apparente.

II.B.1. La notion de risque en santé publiqueLa santé publique a pour objectif affiché de préserver et promouvoir la santé des individuset non pas de les soigner comme c'est le cas pour la médecine clinique. Cette volontéest une caractéristique commune aux sociétés modernes, la santé étant un bien communqu'il est nécessaire de protéger. Il incombe donc à l'État de surveiller l'état de santé de

sa population et d'« agir sur l'origine des pathologies et accidents » 60 afin de prévenirl'apparition de risques sanitaires. Reprenons la définition d'Olivier Borraz précédemmentcitée : le risque est « le résultat d'un processus qui voit des incertitudes converties enautant de dimensions qui peuvent faire l'objet d'une action ».61 Le risque correspond ainsi àune situation présentant des incertitudes, susceptible d'évoluer négativement et qui requiertalors l'intervention publique. Sa maîtrise incombe aux pouvoirs publics. Il est « appréhendé(...) comme un « construit » social résultant de l'interaction entre des acteurs aux identités

très diverses ». 62 Tous les risques ne sont néanmoins pas soumis à des incertitudes,

certains peuvent être identifiés clairement grâce à la connaissance des processus deleur apparition. Christine Dourlens souligne ainsi que dans le cas du saturnisme infantile,les sources d'exposition, les mécanismes d'intoxication et les dangers pour la santé sontbien connus.63 Dans le cas de l'obésité, force est de constater que le risque présente denombreuses incertitudes, ne serait-ce que parce que son apparition trouve son origine dansdes facteurs très divers.

Le risque en tant qu'objet des politiques de santé publique a connu une évolution danssa définition-même. En effet, la santé publique s'intéresse aux risques collectifs, c'est-à-direà ceux « largement liés aux activités humaines ou amplifiés par celles-ci et susceptibles, encas de réalisation, d'avoir des conséquences d'une gravité inédite sur les environnements

humains et naturels ». 64 Ce terme de risques collectifs a été préféré au terme de

« risques majeurs » en raison de « sa moindre charge émotionnelle ». 65 Néanmoins, cette

connotation ne rend pas forcément bien compte de la diversité des risques considérés.En effet, ce ne sont plus uniquement les risques exogènes qui font l'objet des politiques

60 Tabuteau Didier , « La sécurité sanitaire, réforme institutionnelle ou résurgence des politiques de santé publique ? » ,Les Tribunesde la santé, 2007/3 n° 16, p. 87-103.61 Voir introduction page 562 Lemieux, Cyril, Barthe Yannick , « Les risques collectifs sous le regard des sciences du politique. Nouveaux chantiers, vieillesquestions », Politix, n°44, 1998, p.7-2863 Dourlens, Christine, « La dynamique du dépliement : la mise sur agenda du saturnisme infantile », in Claude Gilbert (dir.), Risquescollectifs et situations de risques. Apports de la recherche en sciences humaines et sociales, Paris, L'Harmattan, 2002, p. 65-77

64 Entretien avec Claude Gilbert, op.cit. p. 2965 Ibid. p. 30

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publiques. Ceux-ci sont indépendants de toute action individuelle, comme par exemple lescatastrophes naturelles mais aussi les épidémies, et ont longtemps été les seuls risquesappréhendés par les politiques. Ils présentaient tous une origine externe qui ne pouvaitêtre imputée (ou du moins pas directement) à des individus. Mais aujourd'hui, les risquesendogènes, autrement dit, les risques générés par les citoyens eux-mêmes dès lors qu'ils

adoptent un comportement et un style de vie spécifique, 66 vont également faire l'objet

de politiques publiques.Néanmoins, la définition d'une maladie en tant que risque n'est pas suffisante pour que

celle-ci accède à l'agenda politique. Cette constatation est vraie pour les risques qui sontclairement identifiés, comme le saturnisme infantile. Christine Dourlens montre ainsi que lamise à l'agenda du problème n'a pas été automatique et que, malgré une menace réelleet bien ressentie, celle-ci n'est pas entièrement achevée. Nous pouvons alors légitimementnous demander ce qu'il en est des risques qui présentent des incertitudes : par quel(s)mécanisme(s) parviennent-ils à être politisés ? Nous allons essayer de répondre à cettequestion à l'aide des théories de l'analyse des politiques publiques afin de déterminerquelles sont les conditions pour que la mise à l'agenda d'une thématique soit effective.

II.B.2. La mise à l'agenda de l'obésité : la reconnaissance d'un statut derisqueNous avons évoqué à plusieurs reprises le terme d' « agenda politique ». Mais qu'entendons-nous exactement par « agenda » ? Pour ce travail, nous nous alignerons sur la définitionproposée par Philippe Garraud qui voit l'agenda comme « l'ensemble des problèmes faisantl'objet d'un traitement, sous quelque forme que ce soit, de la part des autorités publiqueset donc susceptibles de faire l'objet d'une ou plusieurs décisions ».67 Cette définition laissesous-entendre que certains problèmes ne seront pas traités par le politique. Le processus desélection dépend notamment de la place accordée au problème par les acteurs concernés.Certains risques bénéficient donc d'une plus grande visibilité dans l'arène publique qued'autres : « l'inscription durable d'un problème à l'agenda (quel qu'il soit) nécessite desressources, des mobilisations, des coalitions et des transactions entre groupes, et est

nécessairement le produit de rapports de force ». 68

Trois flux se distinguent dans la mise à l'agenda et doivent être combinés afin que celle-ci soit réussie : 69

le flux des « problèmes » : il s'agit ici des mécanismes permettant d'alerter la sphèrepolitique, c'est-à-dire les indicateurs de mesure, l'évaluation du risque ainsi que toutes lesinformations émanant d'une autre politique mise en place.

66 Borraz, Olivier, Guiraudon, Virginie, Politiques publiques. Changer la société (vol.2), Paris, Presses de la fondation nationaledes sciences politiques, 2010, p. 8067 Garraud Philippe, « Politiques nationales : l’élaboration de l’agenda», L’Année sociologique, 1990, vol 40, p. 17- 41.68 Définition de « l'agenda/émergence » par Philippe Garraud in Dictionnaire des politiques publiques, 3e éd, 2010, Presses de lafondation nationale des sciences politiques, p.60

69 Kingdon, John, Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Little Brown and Company, 1984, cité par Hassenteufel,Patrick, op.cit. p.52

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Chapitre 1 : Une prise de conscience s'inscrivant à l'échelle internationale

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le flux des « solutions » traditionnellement dévolu aux experts qui sont chargésde proposer des solutions ou alternatives au risque identifié. Ils doivent convaincre lespolitiques qu'ils disposent de suffisamment d'outils leur permettant de résorber le problème.

Le flux de la politique rappelle que ce sont avant tout les élus qui disposent de lalégitimité pour agir et mettre en place des politiques publiques.

Pour qu'un objet accède à l'agenda politique, il faut donc la réunion des trois conditions,c'est-à-dire la reconnaissance du problème, la proposition d'une solution et la mise en placed'une politique publique. On dit alors qu'une « fenêtre politique » s'est ouverte.

Dans leur ouvrage de référence,70 Cobb et Elder définissent les conditions pour qu'unproblème puisse émerger sur l'agenda politique. La première d'entre elles est l'acceptationd'une définition qui puisse convenir à tous les acteurs, tout en restant simple. Nous avonsvu que cette étape a été réalisée grâce au processus de médicalisation. Cette définition doitmettre en évidence la nouveauté de la problématique : elle ne doit pas avoir déjà fait l'objetd'un traitement par les décideurs politiques. La question doit également persister dans letemps et ne pas s'apparenter à des problèmes ponctuels ou épisodiques. Cette conditionest nécessaire pour que la mise en place de politiques publiques puisse être envisagée,étant donné que leur mise en œuvre se fait sur le long terme. Le fait que le problème perdureest aussi le signal de son importance et de la nécessité d'y apporter une solution afin defreiner l'apparition des risques.

Si l'on reprend la classification d'Olivier Borraz sur les cinq types d'événementssusceptibles de faciliter la « mise en visibilité » d'un risque, trois apparaissent pertinentsdans le cas de la lutte contre l'obésité, à savoir :

la survenue de problèmes de santé dont le nombre ou la nature est jugé anormall'action d'individus ou de groupes qui cherchent à attirer l'attention sur une activité qu'ils

jugent dangereuse pour la santéla publication et la diffusion d'informations qui soulignent les incertitudes entourant une

activité.En transposant cette classification au cas de l'obésité, on observe qu'à l'échelle

internationale, ce sont les médecins qui ont joué le rôle de « tireurs d'alarme » afin depermettre à cette maladie de pénétrer le champ du politique. Ce sont eux qui ont alertéles politiques du danger que représentait l'obésité pour la santé publique. Par la suite,d'autres acteurs de la sphère publique vont tenter d'influencer les politiques mises en place,comme nous le verrons avec l'exemple des politiques nutritionnelles. La mise à l'agendadans un contexte international est donc le résultat d'une mobilisation de la société civile.Nous verrons par la suite qu'en Allemagne, elle est avant tout le produit d'une offre politique,c'est-à-dire que ce seront les décideurs publics qui vont thématiser le problème. Mais il seraensuite relayé par les associations de consommateurs.

II.B.3. La prévention : l'instrument privilégié des politiques de santé publiqueNous avons vu comment un problème peut être inscrit à l'agenda politique. La prochaineétape est donc celle du traitement de ce problème via la mise en place d'une politique

70 Cobb, Robert, Elder, Charles, Participation in American Politics. The Dynamics of Agenda-Building, Baltimore, John HopkinsUniversity Press, 1972.

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publique. Il nous faut définir exactement ce que l'on entend par politique publique. PourThoenig et Mény,71 une politique publique est caractérisée par cinq éléments:

- un ensemble de mesures concrètes- des décisions ayant une valeur coercitive- un cadre général d'action- un public- des objectifsVoyons si ces caractéristiques peuvent être appliquées dans le cas de l'obésité. Nous

pouvons d'emblée nous prononcer sur l'existence des deux dernières conditions, à savoirle public et les objectifs. Les personnes concernées par la volonté des pouvoirs publics delutter contre l'obésité représentent l'ensemble de la population même si les mesures quiseront adoptées mettent l'accent sur la sensibilisation des enfants. Les objectifs affichéssont la promotion d'une meilleure alimentation (par exemple en proposant des menuséquilibrés et variés dans les cantines scolaires) et surtout la diminution du risque d'obésité.Le cadre général d'action correspond au programme proposé et devant réguler la mise enœuvre de politiques publiques. C'est lui qui détermine quelles sont les mesures concrètesqui seront mises en place. Dans le cas de l'obésité, la prévention sera l'objet principal despolitiques publiques. De cette méthode d'action découleront des mesures à valeur plus oumoins coercitive. 72

Dans la mise en œuvre des politiques publiques, les décideurs de l'action publique vontfaire appel à des instruments. L'instrumentation de l'action publique est définie par PatrickLe Galès et Pierre Lascoumes comme « l'ensemble des problèmes posés par le choix etl'usage des outils (des techniques, des moyens d'opérer, des dispositifs) qui permettent

de matérialiser et d'opérationnaliser l'action gouvernementale ». 73 L'instrument est ainsi

appréhendé comme un « dispositif technique à vocation générique porteur d'une conceptionconcrète du rapport politique /société et soutenu par une conception de la régulation ».74

Dans la lutte contre l'obésité, l'instrument le plus souvent utilisé est la prévention. La maîtrisedu risque en santé publique s'inscrit en effet généralement dans une démarche préventive.Afin de répondre à l'obligation de sécurité qui lui échoit, l'État va développer des systèmesde sécurité et de surveillance. Des agences chargées du contrôle ou du suivi de l'état desanté de la population sont mises en place et répondent des autorités publiques. En France,il s'agit par exemple de l'InVS (Institut national de Veille Sanitaire) instauré en 1998. Cesagences nationales vont notamment mener des études sur le comportement alimentaire desindividus afin d'en rendre compte à l'État. La recherche en santé publique va dès lors faireapparaître la question de la politisation de la vie privée. La notion de « privé » se construiten opposition à celle de « public » voire de « politique » et correspond a priori à l'échellede l'individu. Pour Beate Rössler, un domaine est de l'ordre du privé à partir du moment où

71 Mény, Yves et Thœnig, Jean-Claude, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989 ; cités par Müller, Pierre, op.cit. p. 2272 Les trois dernières conditions énoncées feront l'objet d'un chapitre ultérieur dans lequel nous reviendrons sur la mise en

place concrète des politiques de prévention en Allemagne.73 Lascoumes, Pierre, Le Galès, Patrick (dir.), « L'action publique saisie par ses instruments » in Gouverner par les instruments,

Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 1274 Ibid. p. 14

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Chapitre 1 : Une prise de conscience s'inscrivant à l'échelle internationale

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on peut ou doit contrôler l'accès à ce domaine. 75 Felissa Mühlich définit trois dimensions

de la vie privée : décisionnelle, informationnelle et locale.76 La dimension locale correspondà la préservation de l'intégrité physique d'un individu. La dimension décisionnelle concernela capacité qu'a un individu de déterminer librement son comportement et la possibilité qu'ila de se protéger de toute « attaque » externe. La dimension informationnelle concerne laliberté de protéger ses informations privées et d'empêcher leur diffusion.

Plus un domaine apparaît privé aux yeux d'un individu, plus il lui est difficile d'accepterune ingérence de la part des autorités publiques. Or, pour préserver la santé de ses citoyens,l'État va mettre en place des politiques de prévention et de sensibilisation. Depuis que lasphère d'action étatique en matière de santé s'est élargie au champ des risques endogènes,les mesures prises ont pour objet les comportements individuels, tels que la consommationde cigarette, l'usage de drogues ou encore l'alimentation. De prime abord, il peut semblerimpossible à l'État de s'ingérer dans un domaine aussi privé et personnel que celui du modede vie ou des habitudes de consommation. La santé apparaît comme relevant uniquementde la sphère privée et si les risques exogènes sont en effet susceptibles d'être prévenus parl'action étatique, il semble moins évident que l'État ait la légitimité de s'immiscer dans la vieprivée des individus. Les opposants aux mesures gouvernementales vont alors invoquerles principes de liberté individuelle et d'autonomie afin de réfuter les arguments de sécuritésanitaire avancés par l'État. Mais ce qui est de l'ordre du privé n'est pas immuable. En effet,dans une perspective historique, l'alimentation appartient à la sphère privée car elle est

traditionnellement dévolue à la famille et au foyer. 77 Il semble difficilement concevable que

des politiques publiques puissent contraindre le consommateur à modifier ses habitudesalimentaires (si l'on excepte les politiques d'augmentation des prix qui passent par unetaxation plus forte des aliments hautement caloriques).

Pourtant, l'alimentation est l'objet principal des politiques de lutte contre l'obésité etle facteur sur lequel il semble nécessaire et incontournable d'agir. Dans une volonté deprévenir la progression de l'épidémie et par le principe de précaution, les autorités vontinciter la population à inscrire le choix de son alimentation dans une démarche raisonnée.Cette notion d'ingérence dans la vie privée va jalonner tous les débats relatifs aux politiquesnutritionnelles.

« Le gouvernement ne peut naturellement pas dicter aux individus ce qu'ilsdoivent manger ou non (…). Néanmoins, il peut proposer des informations et desprogrammes d'aide relatifs à une alimentation saine et équilibrée, qui pourraientainsi contribuer à la diminution de l'obésité. »78

La démarche de prévention est donc plus une démarche d'accompagnement de l'individuqui n'a pas de valeur coercitive. Deux stratégies se dessinent en matière de politiques

alimentaires 79 : la première forme de prévention a pour objet les facteurs de risque telsque les drogues, la cigarette, et les pratiques alimentaires, qui font partie de comportements

75 Rössler, Beate, Der Wert des Privaten, Francfort, Suhrkamp, 2001 Toutes les traductions des ouvrages allemands sontpersonnelles.

76 Mühlich, Felissa, Übergewicht als Politikum. Normative Überlegungen zur Ernährungspolitik Renate Künasts, VS Verlag,2008

77 Ibid. p. 9278 Entretien avec Hans-Michael Goldmann, député FDP du Bundestag79 Mühlich, Felissa, op.cit. p. 19

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individuels et des habitudes de consommation. L'objectif est donc d'inciter la populationà moduler son mode de vie. La deuxième stratégie est axée sur les liens entre l'individuet le milieu, et tente de rendre meilleures ou de modifier les conditions de travail, de vieet d'environnement. Il s'agit par exemple des politiques urbaines développant les pistescyclables, incitant ainsi la population à maintenir une activité physique régulière.

« A ce propos, une autre stratégie appartient aussi à la prévention, à côté de laprévention des comportements. Il s'agit de celle qui consiste à offrir aux consommateursune alimentation saine, abordable par les coûts, et facilement identifiable. »80

Lorsqu'un gouvernement souhaite influencer le comportement de sa population, ildispose de moyens directs et indirects. Les moyens directs signifient que les mesures prisesont une valeur obligatoire (des lois par exemple). Les instruments indirects sont eux assezdivers et englobent des mesures financières (comme les taxes ou les subventions) dontl'objectif est de contraindre par des répercussions économiques, ainsi que des mesuresd'incitation qui ont pour but de convaincre la population de changer de comportement. Lesoutils utilisés sont ici l'information, la publicité, voire la propagande.81 L'important restantque le consommateur soit informé et éduqué :

« Le succès de toute politique nutritionnelle, que ce soit au niveaucommunautaire ou national, implique d'abord d'aider les citoyens à mieuxconnaître le rapport entre l'alimentation, et la santé, la relation entre l'apport etle rendement énergétiques, les régimes alimentaires qui réduisent les risques demaladies chroniques et les choix alimentaires sains. Des messages logiques etcohérents, simples et clairs, doivent être conçus et diffusés par toutes sortes demédias et sous des formes adaptées à la culture locale, à l'âge et au sexe. »82

A travers les politiques de prévention, les décideurs publics essayent donc de faire passerun message. Dans le cas de l'obésité, il s'agit de faire prendre conscience à la population dela nécessité d'adopter des pratiques alimentaires saines afin de ne pas mettre en danger leursanté. Nous verrons avec l'exemple de l'Allemagne des exemples concrets de ces politiquesde prévention.83

Avant de conclure ce chapitre, appliquons à l'obésité la grille de lecture de MichelSetbon84 qui définit quatre critères nécessaires à la reconnaissance d'un problème dans ledomaine de la santé publique :

- l'existence d'une population concernée : les cibles de l'action publique dans le cadre depolitiques de prévention sont essentiellement les enfants et les adolescents. Les personnesen surpoids dont la situation pourrait évoluer vers l'obésité sont également concernées parles mesures mises en place.

- la connaissance des déterminants de la maladie : cette phase a été partiellementachevée avec le processus de médicalisation de l'obésité et le changement de statuten épidémie mondiale. Néanmoins, les déterminants de l'obésité étant très divers, la

80 Entretien avec Ulrike Höfken, ancienne députée Die Grünen/Bündnis 90 et ministre de l'alimentation du Land Rheinland-Pfalz81 Mühlich, Felissa, op.cit. p.96

82 Article V.2.1 du Livre vert sur l'obésité83 Voir Chapitre 2, II.C

84 Cité par Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p. 245

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difficulté principale est celle qui consiste à convaincre les autorités des moyens d'actionenvisageables.

- le choix de l'action est déterminé par un processus de décision technique : lespremiers acteurs ayant alerté les pouvoirs publics sont les associations de médecins. Ceux-ci bénéficient d'une légitimité certaine, au vu de leur profession, et peuvent apporter dessolutions concrètes au problème de l'obésité.

- l'existence de moyens capables de répondre à la maladie ou de la prévenir : dans lecas de l'obésité, ce sont avant tout des politiques de prévention qui seront mises en placeen raison de la difficulté de traiter l'obésité lorsque celle-ci est avérée. La notion de régimen'est applicable que pour les personnes présentant un surpoids qui ne correspond pas àun IMC de plus de 30 kg/m².

La mise à l'agenda d'un problème constitue donc l'étape pendant laquelle la sphèrepolitique va s'intéresser à ce problème et amorce une réflexion sur son traitement. Lapolitisation est la phase suivante, qui va voir la réflexion se transformer en des mesuresconcrètes passant par la mise en œuvre de politiques publiques. Le processus demédicalisation a permis de faire évoluer le regard sur l'obésité et donc à ne plus la considérercomme une maladie individuelle, résultat d'une « faute » personnelle mais bien comme uneépidémie qui appartient à la sphère publique et partant politique. L'obésité est désormaisun risque collectif et non plus seulement un problème esthétique.

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Chapitre 2 : La politisation de l'obésitéaux échelles européenne et allemande

Nous avons pu mettre en évidence les mécanismes pouvant expliquer que l'obésité soitdésormais appréhendée comme un objet politique. Rappelons-les brièvement : l'obésité aacquis un statut d'épidémie et ce grâce à la mobilisation des associations de médecins etl'influence de l'OMS. La nouvelle problématique fait de l'obésité un risque pour la santépublique étant donné les conséquences graves que cette maladie peut engendrer. Lanouvelle définition de l'obésité va inciter les acteurs politiques nationaux mais égalementsupranationaux à engager une démarche de prévention. Ainsi, à l'échelle européenne semet en place une stratégie de lutte contre l'obésité, qui n'aura pas de valeur juridiquecontraignante mais qui sera un modèle pour les pays membres, ces derniers n'étant pasépargnés par l'obésité. Parmi ces pays, l'Allemagne sera particulièrement réceptive auxpolitiques européennes car sa population présente un taux d'obésité très élevé.

Nous verrons dans une première partie comment les politiques alimentaires sonttraitées à l'échelle européenne et quels sont les acteurs intervenant. Nous nous attacheronsà démontrer que la mise en œuvre des politiques publiques passe désormais quasisystématiquement par une phase de consultation de la société civile. Cette fragmentationde l'action publique sera amplifiée dans le cas des politiques publiques dont l'élaborationest entièrement confiée aux organes de l'Union européenne puisqu'alors, des acteursintermédiaires non nationaux participent également au processus décisionnel. La politiqueallemande en matière d'alimentation fera l'objet d'une seconde partie : nous montrerons toutd'abord en quoi le système fédéral allemand implique une répartition des compétences plusdiffuse. Nous nous intéresserons ensuite à la mise à l'agenda de l'obésité en Allemagne etnous mettrons en évidence les conflits qui ont accompagné cette politisation. Enfin, nousverrons comment la progression de l'obésité va inciter les pouvoirs publics à développerdes politiques de prévention, essentiellement tournées vers l'alimentation des enfants.

I. L'européanisation des politiques alimentairesDans cette partie, nous nous attacherons à montrer que l'action publique en Europe a connude profondes mutations, imputables dans un premier temps à la diversification des acteursintervenant dans la mise en œuvre des politiques publiques. Cette multiplication des niveauxde gestion est accentuée avec la construction européenne qui prévoit l'apparition d'uneéchelle supranationale dans la production des politiques publiques.

I.A. La fragmentation de l'action publique en Europe : une nouvellegouvernance

I.A.1. L'intervention de nouveaux acteurs

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La production des politiques publiques a longtemps été le domaine réservé des acteurspolitiques, ceux-ci mettant en avant leur légitimité acquise grâce au pouvoir électoral dontils bénéficient. Mais cette exclusivité est désormais remise en cause par la multiplicationdes niveaux de gestion. Les acteurs amenés à participer aux politiques publiques vont êtreplus nombreux et surtout ils vont se diversifier. La sphère civile va pouvoir s'emparer dequestions qui étaient jusqu'alors dévolues à la sphère politique. Les acteurs privés vontgagner en importance et vont pouvoir faire entendre leurs revendications ou leurs pointsde vue. Leur participation relève d'une volonté collective d'engagement et d'un sens desresponsabilités. La voix des citoyens va gagner en visibilité au sein de l'arène publique :

« appelons groupes concernés des groupes qui, alertés par des phénomènesinexpliqués qui les touchent et les affectent, décident de rendre visibles desévénements problématiques et s'engagent dans une accumulation primitive deconnaissances. Force est de reconnaître qu'avec la multiplication des débatstouchant à l'environnement, à la santé ou à la sécurité alimentaire, ces groupesconcernés deviennent de plus en plus présents sur la scène publique, mais ausside plus en plus bruyants et de plus en plus actifs »85

Certains auteurs de sciences sociales, à l'instar de Pierre Lascoumes, définissent laparticipation des individus comme l'émergence du monde « profane ». Les profanes sontdes «citoyens dépourvus de compétence médicale particulière mais concernés par une

cause les affectant ». 86 Les profanes s'opposent aux « experts », souvent scientifiques,

qui bénéficient d'une légitimité grâce à leur profession : les médecins sont ainsi légitimeslorsqu'un problème de santé est évoqué, les experts industriels le sont quand il s'agit dunucléaire, etc. La légitimité des profanes se construit, elle, par l'expérience qu'ils ont puacquérir. Les malades et les associations les représentant peuvent ainsi se baser sur levécu de la maladie et sur les recherches d'informations qu'ils ont menées afin de mieuxconnaître la maladie dont ils souffrent. Au risque de se voir reprocher la subjectivité deleurs arguments, les malades vont donc tenter de pénétrer le champ de la politique ens'engageant pour la reconnaissance de leur maladie et une meilleure prise en charge decelle-ci par les politiques.

Le terme de « profanes » ne sera pas ici utilisé pour désigner les acteurs de la sphèrecivile ayant participé à la mise à l'agenda de la lutte contre l'obésité car les associationsimpliquées, et parmi elles essentiellement les associations de consommateurs, sont desstructures bien établies qui ont pour activité principale la défense des intérêts des individusqui s'étendent au-delà de la prévention de l'obésité. Ces associations ne peuvent êtrequalifiées d'« experts » car elles n'ont pas de base scientifique ou médicale (même sinous verrons qu'elles peuvent faire appel aux compétences des experts pour appuyer leurposition) mais pour autant elles disposent déjà d'une connaissance et d'une compétencereconnues. De plus, la création de ces associations (hormis les associations défendant lesdroits des obèses) n'est pas concomitante de la politisation de l'obésité.

85 Callon, Michel, Lascoumes, Pierre, Barthe, Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique,

Paris, Seuil, 2001, pp.120-12186 Lascoumes, Pierre, « L'usager, acteur fictif ou vecteur de changement dans la politique de santé ? », Les Tribunes de la santé,2003/1, n°1, p.59-70

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La relation entre ces associations et les experts n'est pas toujours aisée à établir.

Dans son ouvrage, 87 Janine Barbot présente l'évolution des rapports entre les deux

mondes : on passe ainsi d'une délégation totale de légitimité et d'autorité aux expertsmédicaux à une « intrusion des associations dans le processus même de production des

connaissances scientifiques et médicales » 88 en passant par une phase de négociation.Ce sont notamment les associations de lutte contre le Sida qui vont dans les années 1980- 1990 s'imposer comme des acteurs incontournables capables d'influencer le processusdécisionnel et ainsi ouvrir la voie aux autres associations de malades. La relation qui existeentre les malades et les professionnels de la santé n'est alors plus uniquement unilatérale

ou asymétrique. 89 Le corps médical n'a plus le monopole du savoir.

Cette fragmentation de l'action publique est applicable à un certain nombre depolitiques publiques, néanmoins c'est surtout dans le champ des risques qu'elle sera la plussignificative. En effet, les citoyens vont tenter de pénétrer le processus décisionnel qui leurétait auparavant inaccessible, en mettant en avant la légitimité qu'ils possèdent. L'opinionpublique est sensible aux politiques publiques de santé car les décisions qui sont prises ontdes répercussions directes sur leur mode de vie. La santé fait partie des champs d'actionpolitique pour lesquels la sphère civile émet des réserves ou des critiques régulières.

La production des politiques publiques va donc évoluer en laissant une place plusimportante aux acteurs de la sphère civile. Le processus majeur qui découle de cetteadaptation est la consultation du public. Cette procédure regroupe différents dispositifs,parmi eux la délibération. Celle-ci permettrait alors de légitimer les politiques puisqu'elle

« favorise le respect de tous les acteurs et la prise en compte de leurs arguments ». 90 Les

acteurs amenés à s'exprimer sur un problème donné sont en effet plus divers puisqu'auxhommes politiques et experts se sont désormais ajoutés les citoyens ne disposant pasd'une compétence scientifique ou médicale a priori. Il s'agit ici de mettre fin à la « culturede la décision du secret »91 qui consistait à réserver exclusivement le choix et la miseen œuvre des politiques publiques aux élus. La délibération s'inscrit dans le systèmede démocratie participative qui a pour principe de faire participer les différents acteursconcernés par la thématique. Elle est souvent perçue comme la forme évoluée de ladémocratie représentative qui, elle, est basée sur le principe d'une délégation du pouvoir àdes assemblées. La notion d'autorité ayant évolué, les politiques ne bénéficient plus d'uneconfiance systématique : les élections ne suffisent pas à revendiquer la légitimité de la prisede décision, les citoyens revendiquant eux-aussi une forme d'expertise. La participation peutprendre la forme de « forums hybrides » qui sont des lieux où la controverse s'exprime etoù la négociation est possible. Les forums ont pour objectif d'offrir une place aux citoyensafin que ceux-ci puissent faire valoir leurs revendications. Concrètement, ces dispositifsrassemblent des acteurs divers en vue de se prononcer sur un projet. Entre 2001 et 2003

87 Barbot, Janine, Les malades en mouvement, Paris, Balland, 200288 Ibid. p. 1889 Lascoumes, Pierre, op.cit. p. 5990 Blondiaux, Loïc, « La délibération, norme de l'action publique contemporaine ? », Projet, 268, dossier « Décider en politique »,

hiver 2001-2002, p.81-9091 Lascoumes, Pierre, « La scène publique, nouveau passage obligé des décisions ? Devoirs et pouvoirs d'information dans

les procédures d'information », Annales des Mines, Avril 1998, pp.51-62

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a été ainsi mis en place à Berlin un « jury citoyen ». 92 Dans une perspective d'action

concertée et d'implication de différents acteurs, un « management de quartier » a étéinstauré. Une somme de 500 000€ était allouée afin de soutenir des projets à l'échelle du

quartier. La composition du jury était pour moitié des citoyens « actifs ou organisés » 93 etpour moitié des habitants tirés au sort. Ces derniers devaient ainsi représenter le spectrele plus large possible de la population, des quotas ont été utilisés et étaient basés sur lesexe, l'âge et la nationalité des participants (mais pas sur la classe sociale). À la différencedes jurés d'assises en France, la participation n'avait pas de valeur contraignante, ce quiexplique que l'abstention ait été élevée au cours des différentes sessions.Au sein de cesjurys interviennent des acteurs très divers : au manager de quartier revient la sélection dujury, la sélection des projets et l'animation des sessions ; les associations jouent un rôle trèsimportant et bénéficient d'un poids relatif plus élevé que les simples citoyens. Enfin, desélus et des responsables administratifs sont présents lors des premièressessions mais neprennent pas de part active dans le processus de discussion du projet. Au total, plus de 700projets furent ainsi financés en partie ou totalement.

Néanmoins, l'égalité au sein de l'arène publique est loin d'être parfaite, les individus nedisposant pas de la même force de persuasion que les politiques. L'expérience berlinoisene fut par exemple pas reconduite, bien que jugée enrichissante et réussie. Les décideurspolitiques ou administratifs disposent majoritairement du pouvoir de décision final même siles représentants des usagers ou des malades sont aujourd'hui quasi systématiquementassociés au processus de décision. Pierre Lascoumes considère ainsi que dans deux casde figures, la délibération est indispensable car elle permet de prévenir ou du moins deréduire l'apparition de tensions. Il s'agit des « projets générateurs de controverses » etdes « projets porteurs d'incertitudes sur leurs impacts à long terme ».94 Mais la questiondu pouvoir autonome de ces derniers se pose. Quelle est en effet leur marge d'actiondans des systèmes bureaucratisés ? Peuvent-ils avoir une réelle influence sur les décisionspolitiques ? Leur présence doit toujours être justifiée, comme si elle n'était pas évidente.Des obstacles s'opposent à l'efficacité de leur participation et notamment la réticence desélus à reconnaître l'utilité de la démarche. Ils perçoivent les citoyens en concurrents alorsque ceux-ci doivent renforcer leur action. La question du pouvoir effectif des citoyens entant qu'acteurs des politiques publiques se pose donc toujours : l'usager est-il « vecteur dechangement ou simple caution » ?95 Il semblerait que si la sphère civile arrive à pénétrerle processus décisionnel et à porter à l'agenda politique un certain nombre de problèmes,son influence concrète dès lors que le problème a été politisé reste assez marginale.96

Par ailleurs, comme dans le cas de l'expérience berlinoise, l'échelle de participation estmajoritairement locale, les citoyens sont donc cantonnés à une prise de décision valableuniquement pour des micro-projets et ne pourraient bénéficier que d'une « présence enpointillés ».97

92 Röcke Anja, Sintomer Yves,« Les jurys citoyens berlinois et le tirage au sort » in Gestion de proximité et démocratieparticipative. Une perspective comparative, Paris,Editions la Découverte, 2005, p. 139-160

93 Ibid. p. 13994 Lascoumes, Pierre, 1998, op. cit. p. 5295 Lascoumes, Pierre, 2003, op.cit., p.6396 Un exemple détaillé de la participation des citoyens sera étudié dans le chapitre 3 avec la proposition de l'instauration des feux

tricolores sur les étiquettes alimentaires. Nous questionnerons à cette occasion l'influence réelle des associations de consommateurs.97 Lascoumes, Pierre, op.cit. p.64

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L'action publique est donc co-produite et cette fragmentation se retrouve dans denombreux domaines. Le décloisonnement des politiques publiques se fait dans une volontéde démocratiser l'action publique. Cette co-production permet d'introduire le concept de« gouvernance ». Gerry Stoker98 définit la gouvernance en cinq points :

∙ « la gouvernance fait intervenir un ensemble d’institutions et d’acteurs quin’appartiennent pas tous à la sphère du gouvernement »

∙ « en situation de gouvernance, les frontières et les responsabilités sont moins nettesdans le domaine de l’action sociale et économique »

∙ « la gouvernance traduit une interdépendance entre les pouvoirs des institutionsassociées à l’action collective »

∙ « la gouvernance fait intervenir des réseaux d’acteurs autonomes »∙ « la gouvernance part du principe qu’il est possible d’agir sans s’en remettre au

pouvoir ou à l’autorité de l’État. Celui-ci a pour rôle d’utiliser des techniques et desoutils nouveaux pour orienter et guider l’action collective »

L'aspect mis en avant concerne donc l'apparition de nouveaux acteurs qui concurrencentl'État. La notion de gouvernance permet ainsi de questionner les nouveaux rapports de forceentre le pouvoir étatique et le pouvoir citoyen. Elle traduit également la nouvelle distributiondes rôles dans la production des politiques publiques. En ce sens, son utilisation se justifiedans le cadre de la lutte contre l'obésité puisque celle-ci a été thématisée par des médecinset reprise par des associations de consommateurs ainsi que des associations de parents.

I.A.2. La mise en œuvre des politiques publiques en Europe : une co-production entre les différents organes de l'UESi la présence de l'Union européenne est aujourd'hui très marquée dans la production depolitiques publiques et dans l'élaboration de normes, son statut reste toutefois difficile àdéfinir. L'UE est en effet une entité sui generis n'ayant pas d'équivalent et il est délicat de lacomparer, que ce soit avec un État fédéral ou une organisation supranationale. Rappelonstout d'abord brièvement sa structure : les trois principaux organes qui se partagentl'élaboration des politiques publiques sont la Commission européenne, le Parlementeuropéen et le Conseil (ou Conseil des Ministres). La Commission est constituée defonctionnaires européens qui travaillent au sein de Directions Générales, chacune ayantune ou plusieurs politiques de l'UE à sa charge. C'est elle qui initie les projets de loi etles soumet ensuite au Parlement et Conseil pour avis. Les 754 députés du Parlement sonteux élus au suffrage universel depuis 1979 et représentent les populations européennesselon un système de proportionnalité (en fonction du poids démographique du pays). Ils sontrépartis selon des groupes ou partis politiques qui dépassent les partis politiques nationaux.Le Conseil est quant à lui composé de chacun des ministres des 27 pays membres qui seréunissent selon le domaine de compétence sollicité par le projet en débat.

L'existence de l'Union européenne participe à la fragmentation de la production despolitiques publiques. En effet, l'UE dispose d'un certain nombre de compétences. Celles-ci peuvent être exclusives, c'est-à-dire que l'UE légifère seule dans ces domaines, lesÉtats membres ayant totalement transféré leurs compétences au niveau supranational. Ils'agit par exemple de la politique monétaire ou du commerce extérieur. Il est ainsi présuméqu'une mesure prise par l'UE est plus efficace qu'une mesure isolée d'un pays membre.D'autres compétences sont partagées entre l'UE et les pays membres : les États exercent

98 Stoker Gerry, « Cinq propositions pour une théorie de la gouvernance » in Revue internationale des Sciences Sociales, n°155, Paris, 1998

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leurs compétences dans la mesure où l'UE n'a pas à exercer la sienne. L'interventioneuropéenne doit représenter une réelle plus-value pour la politique concernée. C'est le casqui se présente le plus souvent. Les politiques en matière de protection des consommateursou concernant les enjeux communs de sécurité dans le domaine de la santé publique(comme par exemple la gestion des crises sanitaires) appartiennent aux compétencespartagées. Enfin, l'UE peut avoir des compétences d'appui ou de coordination: les États sontencouragés à coopérer mais toute forme d'harmonisation est exclue. Seule l'échelle étatiquereste compétente même si les principes du droit communautaire doivent être respectés. Ils'agit ainsi des politiques de l'éducation et de la formation professionnelle, de protectionet d'amélioration de la santé humaine. L'européanisation des politiques publiques consistedonc en un transfert de compétences des États-membres vers les organes de l'Unioneuropéenne mais également en « une référence croissante à la dimension européenne, àla fois en termes de recettes de politiques publiques et de légitimation des politiques ».99

Les politiques publiques produites dans le cadre communautaire proviennentessentiellement du fait de la Commission européenne puisque celle-ci dispose d'un pouvoird'initiative en la matière. Le Parlement et le Conseil participent également au processus dedécision car ce sont des organes législatifs mais leur rôle est avant tout axé sur l'approbationet le contrôle des projets de loi émis par la Commission. Nous ne nous attarderons passur les mécanismes d'adoption des projets au niveau européen car ceux-ci relèvent deprocessus complexes qu'il n'y a pas lieu d'étudier pour notre sujet. Néanmoins, un pointmérite d'être retenu et mis en avant, celui de la coopération entre les différents organes.L'échelle de décision est partagée entre les institutions, ce qui implique que les politiquespubliques n'émanent pas seulement d'élus nationaux (les députés du Parlement ou les chefsd'État et de gouvernement et les ministres du Conseil européen et de l'Union européenne)mais également de fonctionnaires (le personnel de la Commission). Cette co-gestion vafaire apparaître dans le processus décisionnel d'autres acteurs, privés et donc extérieursaux organes de l'Union : il s'agit des groupes de lobbying qui vont exercer des pressionssur les fonctionnaires européens afin de faire valoir les intérêts des individus ou entreprisesqu'ils représentent.100

Les niveaux de décisions se sont donc multipliés et diversifiés depuis qu'un certainnombre de politiques publiques a été confié au droit communautaire, que ce soitexclusivement ou en partie. La production des politiques publiques n'est plus seulementcantonnée à l'échelon national mais passe aussi par le niveau supranational. Cette doubleéchelle va complexifier le processus décisionnel puisque les acteurs impliqués sera plusnombreux.

I.B. L'historique de la mise à l'agenda des préoccupationsalimentaires en Europe

Nous avons vu qu'un problème peut être inscrit à l'agenda politique si sa définition estacceptée par l'ensemble des acteurs concernés. Il faut pour cela que ces acteurs se soientmobilisés et qu'ils aient contribué à une médiatisation du problème. La politisation se traduit,elle, par la mise en place de politiques publiques afin de gérer le problème.

99 Hassenteufel Patrick et Surel Yves, « Des politiques publiques comme les autres ? Construction de l'objet et outils d'analysedes politiques européennes », Politique européenne, 2000/1 n° 1, p. 8-24.

100 L'action des groupes de lobbying sera traitée dans le chapitre trois en prenant l'exemple de la proposition des feux tricoloressur les étiquettes alimentaires.

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Nous allons maintenant nous intéresser à la politisation de l'obésité à l'échelleeuropéenne. Pour cela, il nous faudra nous arrêter sur les compétences de l'Union enmatière de santé publique. Nous verrons dans quel contexte a émergé la volonté de gérerles risques de santé publique au niveau européen, cette volonté conditionnant par la suitela prise de conscience relative au traitement de l'obésité par l'UE.

I.B.1. L'introduction des préoccupations de santé publique dans le domainecommunautaire

Didier Tabuteau101 remarque que dans le cas de la France, « les questions de santéne s'invitent réellement sur la scène politique nationale que lorsque des crises sanitairessurviennent ». Cette observation peut également s'étendre aux actions de l'Unioneuropéenne. En effet, c'est avant tout la crise dite de la « vache folle » qui va introduirela notion de risque sanitaire au niveau européen. Les décideurs européens vont alorsprendre conscience du lien étroit entre nutrition et santé publique. La crise a permis d'attirer

l'attention sur les risques que peut représenter l'industrie alimentaire moderne. 102 Elle

a donc joué un rôle moteur dans la mise à l'agenda des problèmes d'alimentation serencontrant au sein de l'UE et permettra plus tard à l'obésité d'être appréhendée comme unréel enjeu des politiques alimentaires.

Mais avant de nous intéresser aux politiques alimentaires de l'UE et des actions desensibilisation destinées à freiner la progression de l'obésité, il nous faut comprendre dansquel contexte sont apparues les politiques de santé et de protection des consommateurs.

Nous avons vu auparavant que c'était la Commission européenne qui disposait d'unpouvoir d'initiative pour la mise en œuvre des politiques publiques. A ce titre, elle estdivisée en 40 Directions Générales (DG), chacune chargée d'élaborer des projets de loidans le champ restreint de ses compétences. Parmi elles, on compte la DG SANCO.Grâce à un programme d'action renouvelé tous les cinq ans, la DG SANCO travailleà la mise en œuvre des politiques, réglementations et programmes dans trois grandsdomaines : les consommateurs, la santé publique et la sécurité alimentaire. Historiquement,la protection des consommateurs ne représentait pas un domaine d'action indépendant. Ellen'a cependant cessé de gagner en importance depuis la signature des traités de Rome en1957 : dès 1972 des avancées en faveur des consommateurs eurent lieu et se traduisirentquelques années plus tard par une charte reprenant les cinq droits fondamentaux desconsommateurs en 1975,103 baptisée « premier programme pour une politique de protectionet d'information des consommateurs ». Mais ce n'est qu'avec la signature du traité deMaastricht en 1992 que la protection des consommateurs cessa d'être considérée commerelevant d'autres politiques. La concrétisation de cette avancée se réalisa seulement avecl'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam en 1997. Il faut néanmoins ajouter que même si laprotection des consommateurs constitue un champ à part entière, elle reste étroitement liéeà la santé publique, en témoigne le fait qu'une seule DG soit chargée des deux thématiques.La lutte contre l'obésité constitue en ce sens une des preuves les plus probantes de l'étroiteimbrication des politiques de santé publique et de protection des consommateurs, commenous le montrerons un peu plus loin.

101 Tabuteau, Didier , « La santé en quête de politique » , Les Tribunes de la santé, 2007/1 n° 14, p. 29-44.102 Le Guen, Jean-Marie, Obésité, le nouveau mal français. Pour une réponse politique à un fléau social, Paris, Armand Colin, 2005

103 Schmedes, Hans-Jörg, Wirtschafts- und Verbraucherschutzverbände im Mehrebenensystem. Lobbyingaktivitäten britischer,deutscher und europäischer Verbände, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2008

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L'introduction d'une politique de coopération dans le domaine de la santé publiqueest également effective depuis le traité de Maastricht de 1992. L'UE ne dispose pas de

compétence exclusive mais « complète les politiques nationales », 104 encourage ainsi la

coopération en se concentrant autour de grandes thématiques. Parmi elles, on retrouvela lutte contre les épidémies et les grandes maladies qui se traduit par la promotion de larecherche et de la prévention ainsi que des mesures d'information et d'éducation en matièrede santé.

Même si l'UE joue plus un rôle de conseiller dans le domaine des politiques de santé,elle peut, via l'action du Parlement ou du Conseil, adopter respectivement des mesuresd'encouragement ou des recommandations ayant pour objectif la lutte contre les problèmessanitaires. La santé occupe une place importante dans l'agenda politique européen, saprotection étant assurée dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques etactions de l'UE. Les autres DG doivent impérativement consulter la DG SANCO lorsqu'ellesproposent des politiques majeures. Néanmoins, le traité de Lisbonne, avec l'article 168,réitère avec force la prévalence de la souveraineté nationale en matière de santé publique,les États membres étant soucieux de conserver leur autorité dans ce domaine : « L'actionde l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce quiconcerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture deservices de santé et de soins médicaux ».

Comme nous l'avons brièvement évoqué plus haut, le lien entre alimentation et santéa été mis en évidence avec la crise de l'Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB, pluscommunément appelée « crise de la vache folle »). La sécurité alimentaire consiste en lapossibilité pour un individu d'avoir accès à une alimentation saine et équilibrée lui permettantde se maintenir en bonne santé. Elle est ainsi devenue part entière de la politique deprotection des consommateurs de l'Union. L'action de la Commission dans la gestion de lacrise de l'ESB a été très fortement critiquée, ce qui l'a conduite à restructurer l'actuelle DGSANCO et à améliorer les informations diffusées. Par ailleurs, en réaction aux nombreusescrises relatives à l'alimentation humaine et animale, la Commission a publié en janvier 2000un Livre blanc sur la sécurité alimentaire. Celui-ci définit plusieurs objectifs et parmi eux lacréation d'une Autorité alimentaire européenne comme étant « le moyen le plus approprié derépondre au besoin de garantir un haut niveau de sécurité alimentaire ».105 Créée en 2002,l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA - European Food Safety Authority) estune agence financée par le budget communautaire qui a pour objectif d'évaluer les risquesrelatifs à la sécurité des aliments (destinés à l'alimentation humaine ou animale). L'EFSA aun rôle de conseil vis-à-vis de la Commission à laquelle elle communique les résultats deses recherches. Elle reste une entité indépendante des autres institutions européennes.

I.B.2 Des préoccupations alimentaires à la lutte contre l'obésité : un pasfacile à franchirLe Conseil des ministres de décembre 2002 va formaliser la thématique de l'obésité entant que préoccupation importante de l'Union. Dans ses conclusions,106 le Conseil soulignel'importance que revêt à ses yeux la lutte contre l'obésité en raison de ses conséquencespour la santé publique et invite l'ensemble des États membres ainsi que la Commission

104 Article 168 du traité de Lisbonne105 Livre blanc sur la sécurité alimentaire, p.3

106 Conclusions du Conseil du 2 décembre 2002 concernant l'obésité (2003/C11/02). Disponible en annexe

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européenne à réfléchir à des plans d'action et des mesures de prévention destinés à enrayerle phénomène.

Le lancement en mars 2005 de la Plateforme d'action européenne pour l'alimentation,l'activité physique et la santé est la première concrétisation de la volonté européenne delutter contre l'obésité. A travers cette plateforme, gérée par la DG SANCO, les acteursintéressés peuvent échanger et discuter de leurs actions en faveur d'une alimentation saineet équilibrée, de la promotion de l'activité physique et de la lutte contre l'obésité.107 L'objectifest donc de promouvoir la concertation des acteurs et à ce titre, la Commission « considèrela plate-forme comme le moyen d'action non juridique le plus prometteur vu sa positionidéale pour établir une relation de confiance entre les principales parties prenantes ».108 Lesparties prenantes ici sont des acteurs très divers : il s'agit aussi bien des associations deconsommateurs que des représentants de groupes industriels.

En décembre 2005 paraît le Livre vert de la Commission européenne intitulé« Promouvoir une alimentation saine et l'activité physique : une dimension européennepour la prévention des surcharges pondérales, de l'obésité et des maladies chroniques ».109

Rappelons qu'un Livre vert, au même titre qu'un Livre blanc, ne constitue pas un document àvaleur juridique contraignante. Le Livre vert précède le Livre blanc (bien que la rédaction dece dernier ne soit pas systématique) en impulsant un certain nombre d'idées afin de lancerun débat ou une consultation. Dans ce Livre vert, la Commission expose ses arguments enfaveur d'une implication des politiques publiques européennes pour la lutte contre l'obésité.Elle estime que 7 % des dépenses de santé publiques sont imputables à l'épidémie.

Via le Livre vert, la Commission invite également les organisations intéressées à luisoumettre des propositions pour l'élaboration de politiques publiques destinées à gérerl'obésité.

Ce Livre vert sera suivi d'un Livre blanc en mai 2007, intitulé « Une stratégie européennepour les problèmes de santé liés à la nutrition, la surcharge pondérale et l'obésité ». LaCommission y définit une approche commune en matière de santé publique et encouragela coopération entre les États membres ainsi qu'entre les producteurs alimentaires et lesconsommateurs.

Lors de la conférence ministérielle européenne de l'OMS sur la lutte contre l'obésitéqui s'est déroulée à Istanbul en 2006, les ministres et les délégués participant ont adoptéune Charte européenne sur la lutte contre l'obésité. Avec la signature de cette Charte,les pays membres s'engagent à développer et renforcer leurs actions en faveur de laprévention de l'épidémie. Il espèrent ainsi « renverser la tendance » d'ici à 2015 endonnant notamment la priorité aux mesures ciblant les enfants et les adolescents. L'initiativeest laissée aux ministères de la santé mais les autres ministères sont également invitésà prendre une part active dans l'élaboration des politiques publiques (notamment lesministères de l'alimentation, de l'économie ou du commerce) car les répercussions de lalutte contre l'obésité s'étendra à leurs domaines. La Charte détermine des instruments quidevront être utilisés dans cette optique : il s'agit notamment de mesures législatives ouréglementaires mais également de partenariats public-privé en faveur de la santé.

L'obésité figure donc au rang des préoccupations de l'Union européenne mais il n'existepas de politique commune de lutte contre cette épidémie.

107 Diet, Physical Activity and Health – a european platform for action108 Article IV.1.2 du Livre vert 2005109 Disponible en annexe

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Les mesures proposées ici n'ont pas de valeur coercitive, la santé étant le domaineréservé des États-membres. Néanmoins, les politiques adoptées par les pays membres nepeuvent contrevenir aux dispositions réglementaires relatives à la santé publique.

Nous allons maintenant nous intéresser à une caractéristique mentionnée dans lesLivres vert et blanc, à savoir la transversalité de l'obésité.

I.C. L'obésité comme objet de politiques transversalesPeut-on vraiment parler d'une politique de lutte contre l'obésité ? La distribution des rôlesdans le domaine de la santé publique souffre en effet d'une certaine opacité :

« Ajoutons à cela la multiplicité des politiques sectorielles rendues inévitablespar la structure particulière du secteur, dans lequel cohabitent secteur publicet secteur privé, médecine hospitalière et médecine ambulatoire, institutionsde prévention et centres de soins, régimes obligatoires et facultatifs deprotection sociale ! Politique hospitalière, politique conventionnelle, politique dumédicament, politique d’assurance maladie viennent ainsi occulter la silhouetted’une politique globale. » 110

Une des difficultés majeures dans le traitement de l'obésité par le politique est le faitque la problématique qu'elle représente soit transversale. Si elle relève assurément despolitiques de santé, ces dernières ne peuvent être appliquées sans coopération avecd'autres domaines, notamment la sphère économique. Par conséquent les contours duchamp d'action ne sont pas clairement définis. L'obésité remet en cause la sectorisationtraditionnelle des politiques publiques. Les questions de santé publique dépassentsystématiquement le cadre seul de la santé. Dans le Livre vert de 2005, la Commissionestime que la prévention de l'obésité ne peut se faire sans une coopération des autrespolitiques communautaires, « telles que l'agriculture, la pêche, l'éducation, le sport, lapolitique des consommateurs, les entreprises, la recherche, la politique sociale, le marchéintérieur, l'environnement et l'audio-visuel ».111 Le nombre de politiques susceptibles d'êtreimpliquées donne le vertige et il est difficile de déterminer qui doit agir et comment.Traditionnellement, le traitement des maladies échoit à la politique de santé. C'est elle quiinitie et met en œuvre les mesures nécessaires à la prise en charge et à la préventiondes épidémies. En parallèle et en coopération, la politique de recherche concentre sesefforts sur la compréhension du développement de la maladie est du rôle du facteurgénétique. Néanmoins, étant donné que l'obésité trouve essentiellement son origine dansdes déterminants socio-économiques, la coopération de nombreux autres domaines serévèle indispensable à sa prévention.

L'intérêt des politiques publiques pour la thématique de l'obésité est ainsi généralementjustifié par deux aspects : d'une part la volonté de réduire les coûts engendrés pour lesystème de santé, d'autre part, le souci de réduire les inégalités sociales. La peur de devoirfaire face à des dépenses incontrôlables est la préoccupation première des pays européensen matière de santé publique et cette crainte n'est pas exclusive à l'obésité, les systèmes desécurité sociale étant généralement largement déficitaires. La politique économique a doncun intérêt non négligeable dans la lutte contre l'obésité. Le coût de celle-ci pour le systèmede santé est un des éléments les plus déterminants pour la visibilité de la maladie. Les coûts

110 Tabuteau Didier , « La santé en quête de politique », op.cit. p. 34111 Article IV.3.1 du Livre vert sur l'obésité

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engendrés permettent en effet de déterminer à quel point une affection est dangereusepour la santé et permet ainsi de sensibiliser les populations et /ou les pouvoirs publics.La prévention de l'obésité s'inscrit donc dans une logique de gestion des dépenses del'assurance maladie et dans une volonté de maintenir les dépenses en matière de santéà des niveaux financièrement acceptables. Jean-Pierre Poulain distingue deux types decoûts liés à l'obésité : d'une part les coûts directs, c'est-à-dire ceux qui correspondent auxsoins nécessaires à apporter aux personnes obèses ; d'autre part les coûts indirects quisont le résultat d'une perte de productivité au niveau de l'ensemble du système économique

ou d'une multiplication des journées de travail perdues pour cause de maladies. 112 Les

coûts indirects sont la conséquence de l'augmentation de la proportion d'obèses dansune société, qui ont plus de difficultés à exercer une activité professionnelle en raisonde leur état de santé plus précaire. Aux Etats-Unis, ce sont les compagnies d'assurancequi ont été parmi les premières à alerter les pouvoirs publics sur les conséquences del'obésité : ces compagnies ont mis en évidence le lien qui existe entre la corpulence et ladiminution de l'espérance de vie. Elles pointent du doigt le risque à assurer des populationsqui développeront certainement plus de maladies (ces maladies étant plus graves) et quimourront prématurément.113

Fortement liée aux politiques économiques, la politique agricole commune (PAC)a également un rôle capital à jouer dans la lutte contre l'épidémie d'obésité. Eneffet, la transition opérée dans la politique agricole a des répercussions sur le modede consommation des européens. L'augmentation de la productivité a longtemps étépositivement appréhendée, eu égard à la situation économique désastreuse de l'après-guerre mais ses retombées sur la santé des consommateurs font aujourd'hui l'objet decontroverses. Aux États-Unis notamment, des recherches ont été menées sur le lien entreles politiques économiques et la progression de l'obésité, et notamment sur « la façon dontles aides et les subventions accordées à l'agriculture se répercutent sur les coûts et les prix

du marché ». 114 Ces aides ne vont pas forcément dans le sens où on les attendait, au

contraire, elles ne se concentrent que très rarement sur les produits dont la consommationest pourtant recommandée (fruits, légumes, céréales). La PAC est responsable des prixagricoles et de l'approvisionnement en denrées alimentaires. Or nous avons vu que le coûtélevé des aliments sains est l'une des raisons expliquant la proportion plus forte d'obèsesparmi les classes populaires qui ont un moindre budget consacré à l'alimentation.

Nous l'avons évoqué plus haut, l'obésité est une conséquence mais également unecause d'inégalités sociales. Sa prévention participe donc d'un double mouvement : d'unepart faire disparaître des coûts considérables pour les budgets européens et d'autre part,permettre l'équité entre les individus. Les politiques sociales, regroupant la défense desdroits économiques, sociaux et culturels, sont donc intéressées par la politisation del'obésité. À travers la volonté de freiner l'épidémie se retrouve également la prise en comptedes inégalités. L'obésité permet de mettre en lumière la différenciation qui existe au sein dela société entre les classes sociales.

La politique de l'audio-visuel et de la publicité a un rôle moteur à jouer puisqueles médias participent à la diffusion de l'information nécessaire au consommateur pourqu'il puisse savoir comment s'alimenter sainement. Il apparaît donc nécessaire que les

112 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p. 213113 Ibid. p.139114 Poulain, Jean-Pierre, op.cit. p. 74

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messages télévisuels ou radiophoniques participent à la promotion d'une alimentationéquilibrée, en mettant en garde l'individu contre des pratiques malsaines. En France, on peutainsi lire lors des messages publicitaires un avertissement incitant à pratiquer une activitéphysique régulière ou à consommer cinq fruits et légumes par jour.

Ce qui nous amène au dernier domaine politique concerné par l'obésité : les politiquesd'éducation. En effet, la prévention s'adresse avant tout aux enfants et aux adolescents :

« Et bien sûr une des variables cruciales pour l'obésité c'est l'éducation. Orl'éducation est gérée par les États membres. Donc c'est aussi compliqué pour laCommission de prendre des décisions parce que finalement on arrive toujours àun point où on dit que l'éducation c'est ce qui fait la différence. »115

En raison de cette trans-sectorialisation, la lutte contre l'obésité pâtit d'un manque decoordination. En effet, le nombre de politiques impliquées va immanquablement nécessiterla consultation d'acteurs plus nombreux et plus divers, dont les intérêts ne serontvraisemblablement pas compatibles. L'UE se heurte donc au problème de la coordinationdes politiques publiques en matière de lutte contre l'obésité étant donné que cet enjeu faitintervenir des champs d'action qui sont traditionnellement réservés aux États membres etdont la compétence ne revient donc pas à l'Union.

II. Les politiques alimentaires en AllemagneDans cette partie, nous montrerons comment est appréhendée la lutte contre l'obésité enAllemagne et quels sont les acteurs politiques et autres qui ont joué un rôle essentieldans la mise à l'agenda de la thématique. Rappelons qu'en Allemagne, 67 % des femmeset 57 % des hommes entre 18 et 80 ans sont en surpoids (ce qui représente 37millions de personnes pour une population totale estimée à 82 millions). Parmi eux, 22% sont considérés comme obèses.Nous verrons que l'inscription de l'obésité au rang despréoccupations gouvernementales ne s'est pas faite sans critiques et qu'elle a entraînéde fortes divergences entres les partis politiques. Il nous faudra dans un premier tempsprésenter le système de santé en Allemagne afin de mieux comprendre les implicationsde la structure fédérale du pays pour l'action publique. Nous nous intéresserons ensuiteà la politisation relativement subite de l'obésité, qui doit sa mise en œuvre à l'action del'ancienne ministre Renate Künast. Nous analyserons les débats parlementaires qui ont faitsuite à la déclaration de politique générale (Regierungserklärung) rédigée par le ministèrede l'alimentation. Enfin, nous nous pencherons sur les politiques de prévention de l'obésitéet de promotion d'une alimentation équilibrée afin de voir quelles conclusions nous pouvonsen tirer sur la façon dont l'obésité s'inscrit dans les préoccupations gouvernementales.

II.A. L'articulation de la santé publique allemande, entre le niveaufédéral et les Länder

115 Entretien avec une représentante du groupe Eurocoop

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Gesundheit fördern und fordern ? 116

L'organisation fédérale de l'Allemagne en 16 Länder implique une mise en œuvredifférente des politiques publiques par rapport à des États centralisés comme la France.La loi fondamentale allemande prévoit en effet que les Länder bénéficient d'une marged'initiative et disposent de compétences propres que le gouvernement fédéral ne peutremettre en cause. Chaque Land bénéficie d'une relative autonomie qui se traduit par laprésence d'un gouvernement propre, d'une constitution et d'un parlement. En matière desanté publique, notamment pour tout ce qui a trait aux hôpitaux, les Länder disposent denombreuses compétences législatives et administratives. Un ministère de la santé est doncprésent dans chaque Land, et est souvent associé aux ministères du travail et des affairessociales.

Le système de santé publique en Allemagne est organisé selon trois axes : tout d'abordles acteurs étatiques, qui sont eux-mêmes répartis entre le gouvernement fédéral, lesLänder et les communes. Viennent ensuite les acteurs organisés en corporation, c'est-à-dire les associations ou les collectivités à qui revient l'obligation d'organiser le systèmed'assurance maladie. Le dernier échelon concerne les entreprises ou les organisationsindépendantes.117

Pays précurseur de la protection sociale gérée par l'État et héritée de la politiquebismarckienne de 1883, l'Allemagne se caractérise par une tradition de négociation entre lesmédecins et les caisses de sécurité sociale.118 Néanmoins, les récentes réformes en matièrede santé engagées par les gouvernements Schröder et Merkel concernant notammentl'assurance maladie, suscitent de vives critiques et sont très impopulaires.

Nous avons vu que la lutte contre l'obésité fait le lien entre les préoccupations enmatière de santé publique et d'alimentation. En Allemagne, ces deux domaines politiquesrelèvent de la compétence de ministères distincts : le Bundesministerium für Gesundheit(BMG - ministère de la santé) et le Bundesministerium für Ernährung, Landwirtschaft undVerbraucherschutz (BMELV - Ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la protectiondes consommateurs). Nous pouvons émettre l'hypothèse que ce partage de compétencesexplique la politisation tardive de l'obésité puisque la mise en place de politiques publiquesdestinées à freiner l'obésité suppose la coordination des deux ministères. Or cettecoordination n'est pas évidente. De plus, il est important de noter que la création du BMELVest somme toute assez récente. En janvier 2001, le gouvernement allemand (formé alorspar une coalition SPD / Die Grünen) décide de créer le ministère pour la protection desconsommateurs, l'alimentation et l'agriculture (BMVEL). Le champ politique de la protectiondes consommateurs est un domaine nouveau, créé en réaction au scandale alimentaire dela crise de la vache folle. Pour Hans-Jörg Schmedes, il s'agit d'une avancée considérablepuisqu'il existe désormais un acteur politique central capable de coordonner les actions etd'être l'interlocuteur pour les Länder et les organes de l'Union européenne. Néanmoins,les domaines d'action de la politique de protection des consommateurs et de celle de lapolitique agricole ne sont pas clairement définis et les contours de ces deux politiques se

116 Schmidt, Bettina, « Der kleine Unterschied : Gesundheit fördern- und fordern », in Die Gesellschaft und ihre Gesundheit, 20 JahrePublic Health in Deutschland : Bilanz und Ausblick einer Wissenschaft, Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2011 Jeu demots entre fordern, exiger et fördern, encourager/promouvoir

117 Bundeszentrale für politische Bildung : www.bpb.de rubrique « Gesundheitspolitik »118 Le Faou Anne-Laurence , « La cogestion de l'assurance maladie en Allemagne par les associations de médecins » ,Les

Tribunes de la santé,2008/1 n° 18, p. 69-75.

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superposent encore. En 2005, le ministère est à nouveau renommé et acquiert son nomactuel : ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la protection des consommateurs.Si Hans-Jörg Schmedes voyait dans la création du BMVEL en 2001 la volonté politique dereconsidérer le droit des consommateurs, il décrit la restructuration du ministère en 2005comme un déplacement de priorité manifeste en faveur de l'alimentation.119

Traditionnellement, la place accordée à la santé dans les politiques publiques estplus conséquente qu'en France. 49 % des Allemands estiment que les débats politiquesaccordent une attention suffisante aux problématiques de santé contre seulement 20 %

des Français. 120 Les instituts de recherche et de formation en matière de santé

publique121 en Allemagne ne furent pourtant développés qu'à la fin des années 1980,répondant ainsi à un besoin croissant de plans nationaux de santé. Le développementtardif de telles structures en comparaison de celles qui existaient déjà sur la scèneinternationale s'explique en partie par les réticences rencontrées en Allemagne sur lalégitimité des politiques de prévention, au regard des abus qui avaient eu lieu en matière demédecine durant le national-socialisme.122 Les premières recherches menées le furent parle Forschungsverbund DHP (Deutsche Herz-Kreislauf Präventionsstudie) en 1998, qui estun institut de recherche pour la prévention des maladies cardio-vasculaires. Parallèlement,dans diverses disciplines comme la psychologie, la sociologie ou la science politique,émergent des branches d'études consacrées à la santé. Aujourd'hui, le Robert-Koch-Institutest l'agence de surveillance principale en matière de santé publique. Depuis 1994, elledépend du ministère fédéral de la santé. Ses fonctions principales recoupent la surveillanceet la prévention des maladies, de même que la recherche bio-médicale. Le ministère dela recherche et de l'éducation (Bundesministerium für Bildung und Forschung – BMBF)travaille étroitement avec le BMG et le BMELV et répond au plan stratégique élaboré en2007 qui vise à définir les priorités en matière de recherche en santé publique.

II.B. L'inscription de la lutte contre l'obésité à l'agendagouvernemental allemand

Nous avons mis en évidence le rôle central que peuvent jouer les associations de maladesou de médecins dans la mise à l'agenda des thématiques de santé. Nous allons voirmaintenant comment l'obésité a accédé à l'agenda médiatico-politique en Allemagne etquels ont été les acteurs ayant permis cette politisation. Nous verrons que l'initiative revientà l'ancienne ministre du BMELV, Renate Künast, qui a tenté depuis 2003 d'alerter songouvernement sur l'enjeu que représente l'obésité.

Nous nous proposons d'analyser dans une seconde sous-partie comment la thématiquea été présentée aux députés et membres du gouvernement allemand, en étudiant à l'aidede la notion de référentiel des politiques publiques, l'allocution de Renate Künast lors de laséance plénière du 17 juin 2004 et les discussions qui ont suivi. Nous nous demanderons en

119 Schmedes, Hans-Jörg, op.cit. p. 237120 Premier baromètre paneuropéen121 La notion de « Public Health » est la plus usitée par les chercheurs allemands pour désigner la réflexion autour de la

santé publique.122 Faltermaier, Toni, Wihofsky, Petra, « Gesundheitsförderung und Prävention im Kontext von Public Health », in Die

Gesellschaft und ihre Gesundheit. 20 Jahre Public Health in Deutschland : Bilanz und Ausblick einer Wissenschaft, Wiesbaden, VSVerlag, 2011

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quoi les réactions des parlementaires peuvent être interprétées au vu de leur appartenancepolitique.

II.B.1 L'action de Renate Künast : un « tirage d'alarme »?« Au cours des dernières années, et notamment grâce à l'engagement del'ancienne ministre du BMELV, la discussion autour de l'obésité en Allemagnes'est politisée et centralisée »123 « Il y a tout juste dix ans que l'ancienne ministrede l'alimentation, Renate Künast a thématisé les problèmes d'obésité et demauvaise alimentation à l'échelle politique »124

Dix ans donc que l'obésité a commencé à faire son apparition sur l'agenda allemand.Les élus de chaque côté de l'échiquier politique reconnaissent volontiers que c'est RenateKünast, ministre du BMELV entre janvier 2001 et octobre 2005 sous le gouvernement deGerhard Schröder, qui a tenté de tirer la « sonnette d'alarme » sur la situation préoccupantede l'Allemagne par rapport à l'obésité. Renate Künast appartient au parti Bündnis 90/ DieGrünen et est actuellement tête de liste de son parti et candidate aux élections municipalesde Berlin en septembre 2011. La mise à l'agenda de l'obésité allemande est en ce sensparticulière car elle relève moins d'un mouvement citoyen que de l'initiative et de la volontéd'une femme politique. Nous pouvons donc nous demander s'il est justifié de qualifierl'ancienne ministre de « tireur d'alarme » puisqu'au sens de Cyril Lemieux et Yannick Barthe,un « tireur d'alarme » est un médiateur « entre l'univers technicien et le grand public ».125

La définition semblerait plutôt s'appliquer à des acteurs de la sphère civile qui « en viennentà se désolidariser des pratiques qu'[ils] constatent quotidiennement ».126 Par ailleurs, sil'on s'intéresse au pouvoir rhétorique dont jouit l'ancienne ministre, nul doute qu'il est plusimportant qu'un tireur d'alarme ordinaire. Pour Mary Berstein et James Jasper, les tireursd'alarme « bénéficient de crédibilité dans la mesure où ils sont perçus comme agissantà l'encontre de leurs propres intérêts et de ceux de leur organisation, mais ils manquentgénéralement de ressources organisationnelles pour disséminer leurs revendications ».127

Cette constatation ne peut se faire dans le cas de l'action de l'ancienne ministre. En effet,de par sa position de membre du gouvernement, Renate Künast bénéficie d'une légitimitédont elle n'a pas à apporter la preuve. Son statut de femme politique lui permet pendantson mandat d'inscrire l'obésité au rang des préoccupations gouvernementales commenous le verrons par la suite. Même si l'obésité n'était pas encore considérée comme unproblème de santé publique, l'alerte donnée à son sujet ne constitue pas un agissement àl'encontre du gouvernement et les risques que prennent généralement les tireurs d'alarmepar rapport aux possibles répercussions professionnelles et personnelles à leur encontrene se matérialisent pas dans le cas de Renate Künast. L'opposition qu'elle rencontrera (ouplutôt les réserves émises quant à ses propositions) provient des autres hommes et femmespolitiques allemands mais ne met pas en danger son poste de ministre.

123 Entretien avec Hans-Michael Goldmann, député FDP au Bundestag124 Entretien avec Ulrike Höfken, ancienne députée Bündnis 90/ Die Grünen et ministre de l'alimentation dans le Land de

Rhénanie-Palatinat125 Lemieux, Cyril, Barthe, Yannick, op.cit. p.21126 Ibid. p. 20127 Bernstein Mary, Jasper James M. « Les tireurs d'alarme dans les conflits sur les risques technologiques. Entre intérêts particulierset crédibilité. », Politix. Vol. 11, N°44. Quatrième trimestre 1998. pp. 109-134.

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C'est sous le mandat de Renate Künast que l'obésité va figurer pour la première foisau rang des préoccupations du ministère. Chaque année ce dernier publie un rapportdestiné à présenter la situation des politiques agricoles, de protection des consommateurset d'alimentation. Jusqu'au rapport de 2003, l'obésité n'était pas mentionnée dans la listedes préoccupations liées à l'alimentation. Au contraire, il est avancé que les Allemands ontprogressé dans leurs pratiques alimentaires au sens où ils consomment plus régulièrementdes fruits et légumes et qu'ils ont une alimentation globalement plus saine que les annéesprécédentes.

En février 2004, l'obésité est définie comme un problème politique dans la mesureoù ses conséquences n'affectent pas seulement les individus concernés mais égalementla société dans son ensemble. La lutte contre l'obésité, a fortiori contre l'obésité infantile,doit être une priorité de la politique de protection des consommateurs. Cette préoccupationrelative à l'épidémie sera par la suite présentée en assemblée plénière au Bundestagcomme nous le verrons dans une prochaine partie.

Renate Künast ne va pas uniquement tenter d'attirer l'attention des autresparlementaires allemands, elle va également user de son statut de ministre de l'alimentationqui lui confère, d'une part, une visibilité à l'échelle nationale et, d'autre part, une légitimitépour défendre la lutte contre l'obésité. Elle publie ainsi en septembre 2004 un ouvrageintitulé Die Dickmacher. Warum die Deutschen immer fetter werden und was wir dagegentun müssen (« Les aliments qui font grossir. Pourquoi les Allemands sont de plus en plusgros et ce que nous devons faire pour lutter contre »). La publication de ce Livre destiné augrand public était une initiative privée et ne reflétait donc pas la position du gouvernement.Néanmoins, la photo de Renate Künast figure sur la couverture de l'ouvrage et sa fonction yest rappelée. Die Dickmacher ne peut s'apparenter à un ouvrage scientifique, étant donné sastructure et le fait qu'aucune référence bibliographique ne soit pleinement insérée. FelissaMühlich le décrit comme un « mélange entre des conseils diététiques, une analyse de lasociété, une histoire culturelle et des défis politiques ».128

L'obésité y est présentée comme une problématique nécessitant l'intervention despolitiques car elle a des conséquences sur la société. Nous retrouvons ici la trans-sectorialisation de la maladie mentionnée plus haut puisque Renate Künast estime que lescoûts engendrés ou susceptibles d'être engendrés, ainsi que le lien entre pauvreté et obésitésont les deux raisons permettent de légitimer une action gouvernementale.

Si nous nous penchons sur la façon dont Renate Künast présente l'obésité, nous nousapercevons que le champ lexical employé s'apparente à celui de la catastrophe. La ministreénumère la liste quasi exhaustive de tous les problèmes qui peuvent se développer avec unsurpoids trop important et cette dramatisation de la maladie a pour objectif de sensibiliseret d'interpeller plus facilement le lecteur. Le choix des mots n'est pas anodin et révèle uneposition subjective de la part de Renate Künast. Le ton se veut volontairement alarmant.

Une attention toute particulière est portée au cas des enfants et de la nécessaireprévention à leur égard. Étant donné que l'obésité est difficilement réversible, c'est auprèsd'eux que les mesures d'action seront les plus efficaces puisque c'est durant l'enfance quese prennent les habitudes alimentaires. Les politiques de prévention et d'action qui serontmises en place en Allemagne seront donc fortement axées sur l'enfance et l'adolescence.

Renate Künast met en avant la rationalité du consommateur. Son raisonnement estbasé sur la certitude que si l'individu est averti et dispose de toutes les informations

128 Mühlich, Felissa, op.cit. p.71

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nécessaires, il sera capable d'adapter sa consommation et de privilégier une alimentationéquilibrée.

Ainsi, si nous ne pouvons pas catégoriquement affirmer que Renate Künast entant qu'individu soit un tireur d'alarme, il est indubitable que son action isolée a eu lesconséquences attendues par tout tireur d'alarme.

II.B.2. Quand mettre à l'agenda est difficile : la multiplicité des référentielsd'action publiqueNous avons soulevé précédemment le fait que la mise à l'agenda d'un problème n'étaitpas une dynamique automatique. Il faut pour cela que des acteurs s'emparent de laquestion et attirent l'attention afin que des politiques publiques soient mises en place poury répondre. Nous avons vu que c'était Renate Künast qui a joué un rôle fondamental dansle processus de politisation de l'obésité puisqu'elle l'a inscrite au rang des préoccupationsgouvernementales. Néanmoins, la mise à l'agenda de la thématique de l'obésité nécessiteune coopération entre les différents échelons d'un gouvernement. Le ministère ne peut agirseul et a besoin de l'aval du Parlement. En Allemagne, l'élaboration d'une politique relative àl'obésité ou à l'alimentation sera source de conflits très importants entre les différents partispolitiques. Pierre Müller estime qu' « élaborer une politique publique consiste (...) d’abordà construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on veut intervenir.C’est en référence à cette image cognitive que les acteurs organisent leur perception duproblème, confrontent leurs solutions et définissent leurs propositions d’action : cette visiondu monde est le référentiel d’une politique. Le référentiel correspond avant tout à unecertaine vision de la place et du rôle du secteur concerné dans la société».129 Lorsque desacteurs réfléchissent à l'élaboration d'une politique publique, leurs choix d'action sont doncdéterminés par la façon dont ils appréhendent la réalité. Un référentiel se caractérise parquatre niveaux : le premier niveau est celui des valeurs qui définissent le cadre global del'action publique ; viennent ensuite les normes qui correspondent aux écarts entre le réelperçu et le réel souhaité ; les algorithmes sont eux les relations causales qui exprimentla théorie de l'action. Enfin, les images sont les vecteurs implicites des valeurs et desnormes.130

Nous allons donc nous intéresser au référentiel de l'alimentation des principaux partispolitiques en Allemagne (SPD, CDU/CSU, FDP, Bündnis 90 / Die Grünen). Nous verronsque celui-ci détermine les conditions de l'intervention étatique jugée acceptable par chaqueparti. Afin de mettre en évidence l'existence d'un référentiel propre, nous répondrons à troisquestions :

- comment les députés réagissent-ils à la nécessité d'une intervention publique dans ledomaine de l'alimentation afin de lutter contre l'obésité avancée par Renate Künast ?

- quelle est la conception de l'autonomie de l'individu pour chaque parti ? Commentcelle-ci influence-t-elle leur interprétation des « responsables » de la progression del'obésité ?

- comment les députés perçoivent-ils l'influence des industries et de la publicité sur leconsommateur ?

129 Müller, Pierre, op.cit. p.56130 Ibid. pp. 61-62

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Avant de répondre à ces questions, il nous faut tout d'abord rappeler lesprincipaux points du rapport gouvernemental (Regierungserklärung) présenté par RenateKünast lors de la séance plénière du Bundestag du 17 juin 2004. Intitulé Eine neueErnährungsbewegung für Deutschland (« une nouvelle dynamique pour l'Allemagne enfaveur de l'alimentation »),131 ce rapport n'a pas de valeur juridique contraignante. Engénéral, c'est le chancelier qui élabore ce genre de document afin d'expliquer la lignedirectrice de sa politique. Néanmoins, une telle analyse peut également être rédigée pardes ministres qui exposent ainsi non seulement leur position par rapport à un thème donnémais également les solutions qu'ils entrevoient.132

Dans ce rapport, Renate Künast justifie la nécessité selon elle de proposer une politiqued'alimentation qui soit axée sur la prévention. L'argument financier est le premier exposé :chaque année, plus de 71 milliards d'euros dépensés en Allemagne sont imputables àdes maladies déclenchées par une mauvaise alimentation. Renate Künast attache uneimportance toute particulière au problème de l'obésité infantile. Selon elle, il s'agit du cœurdu problème et met en évidence d'autres préoccupations. En effet, il semblerait que cesoient avant tout les enfants d'immigrés qui présentent le plus fort taux d'obésité. La ministrequestionne alors la question de l'intégration des immigrés dans la société allemande :« Il y a un lien évident entre pauvreté, origines, éducation et obésité ».133 L'éducation etla sensibilisation du jeune public est une variable clé dans la lutte contre l'obésité. A cetitre, Renate Künast esquisse une proposition de surveillance des publicités à destinationdes enfants ainsi qu'un renforcement de l'attention portée à l'étiquetage alimentaire afinque celui-ci n'induise pas en erreur le consommateur. Nous pouvons noter que la ministresouligne le fait que le problème relève de la sphère privée : « il s'agit d'une situation dansun cercle privé et public ». C'est sur cette affirmation que se basera l'opposition afin dedémontrer que les perspectives d'action et surtout l'efficacité des mesures envisagées sontréduites en raison de la difficulté pour le gouvernement de pénétrer la sphère privée d'unindividu (d'autres arguments questionnant la légitimité d'une telle volonté seront égalementavancés).

L'argumentaire de la ministre consacre donc une large part aux répercussionséconomiques que la progression de l'obésité peut engendrer ainsi qu'aux inégalités socialesmises en exergue par la maladie.

Reprenons maintenant notre questionnement et intéressons-nous à la façon dont lesdéputés considèrent la légitimité de l'intervention étatique en faveur de l'obésité. Si lesdifférents partis politiques s'accordent à dire que le phénomène de l'obésité va croissant enAllemagne et qu'il mérite qu'on s'interroge à son sujet afin de freiner la progression de cettemaladie, ils diffèrent sensiblement sur la façon appropriée selon eux d'appréhender le sujet.

Les députés de la CDU/CSU ainsi que ceux du FDP sont sceptiques quant à lapossibilité qu'a le gouvernement d'influer sur les habitudes alimentaires des citoyens :« l'État ou le Parlement ne peuvent pas obliger l'individu à s'arrêter de fumer et encore moins

131 Deutscher Bundestag : „Abgabe einer Erklärung der Bundesregierung: Eine neue Ernährungsbewegung für Deutschland“,in: Stenografischer Bericht, Plenarprotokoll 15/114, 17. Juni 2004, Berlin, pp. 10322-10344.

132 Guggenberger, Bernd , „Regierungserklärung“, in: Handwörterbuch des politischen Systems der BundesrepublikDeutschland, Uwe Andersen/ Wichard Woyke (Hg.), Bonn, Bundeszentrale für politische Bildung, 1997, pp. 480-482., cité par Mühlich,Felissa, op.cit. p.62

133 Bericht des Deutschen Bundestages, op.cit. p. 10323

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à se mettre au régime ».134 Ils craignent un interventionnisme trop important et dénoncent unsystème qui mettrait en place une « dictature de l'alimentation ».135 Par ailleurs, ils estimentque l'obésité est un problème qui en cache d'autres sans doute plus importants : « Madamela Ministre Künast se bat contre les calories et les kilos. Mais en même temps, des millions depersonnes à travers le monde se battent pour survivre. C'est insensé! ».136 Nous retrouvonsici une des critiques largement diffusées à l'encontre du traitement de l'obésité, à savoir cellequi fait état de la nécessité d'éradiquer d'abord totalement la famine avant de se préoccuperdes problèmes de surpoids. Cet argument a longtemps freiné la politisation de l'obésitépuisqu'il la présentait comme indécente et inappropriée.

La transversalité de la thématique de l'obésité préoccupe également les parlementairesde droite : « nommez un seul ministère responsable au sein du gouvernement, et ce malgréle caractère transversal de la question! ».137 Nous rejoignons la difficulté que nous avionsévoquée plus haut, à savoir celle de coordonner les efforts et les politiques en vue de luttercontre l'obésité. En Allemagne, au vu du système fédéral qui accorde des compétencesexclusives aux Länder, cette difficulté est accrue et n'échappe pas aux députés de la CDU/CSU qui rappellent ironiquement à la ministre que le gouvernement fédéral ne peut seullégiférer en matière de santé et que les Länder sont déjà impliqués dans de nombreusesinitiatives en faveur de l'alimentation. Ainsi Ursula Heinen (CDU/CSU) reproche à RenateKünast de s'immiscer dans les compétences des Länder.La CDU/CSU met en avant lecaractère multi-sectoriel de la thématique de l'obésité qui complique son traitement par lespolitiques. Le problème du partage des compétences préoccupe donc fortement les députésqui y voit un frein à la légitimité à laquelle pourrait prétendre l'État.

En revanche, le SPD et les Verts adoptent une position commune sur la marche àsuivre. Pour ces deux partis, l'obésité relève de la sphère politique dans la mesure où elleest corrélée aux inégalités de santé. La promotion de l'égalité des chances et de la justicesociale incombant au gouvernement, l'obésité est un objet politique par nature. La questionde l'alimentation est au cœur des préoccupations de justice sociale, traditionnellementchères au SPD et aux Verts. C'est donc une nouvelle réflexion sur l'alimentation enAllemagne qui est prônée par le SPD. Les Verts expriment quant à eux leur revendication devoir le gouvernement faire face à ses responsabilités, notamment en matière d'étiquetagenutritionnel.

Nous arrivons maintenant au deuxième point qui constitue le référentiel des députés,à savoir la représentation qu'ils ont de l'autonomie du citoyen.

Les députés de la CDU/CSU mettent en avant la responsabilité citoyenne qui prendraitle dessus sur la responsabilité étatique : « celui qui est en surpoids porte aussi sa part deresponsabilité. Si je suis trop gros, c'est ma faute et non pas la vôtre ».138 (Ursula Heinen,députée CDU/CSU). Les parlementaires de droite considèrent ainsi que l'individu disposed'une capacité d'autonomie sur laquelle le gouvernement n'a que peu d'emprise.

134 Bericht des Deutschen Bundestages, op.cit. p. 10326135 Ibid. p. 10335136 Ibid. p. 10341137 Ibid. p. 10327138 Bericht des Deutschen Bundestages, op.cit. p. 10326

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Chapitre 2 : La politisation de l'obésité aux échelles européenne et allemande

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Le FDP « place au premier plan l'émancipation, la responsabilité et la capacité d'auto-décision du consommateur ».139 Cette affirmation ressurgit régulièrement dans l'interventiondu député Hans-Michael Goldmann qui accuse le gouvernement de vouloir dicter desnormes et des comportements au consommateur : « Vous voulez gâcher l'appétit descitoyens, vous différenciez les aliments entre bons et mauvais (...) ce que vous faites, c'estde l'endoctrinement ! ».140 L'opposition n'hésite donc pas à utiliser des mots très forts pourmarquer leur désapprobation par rapport aux mesures proposées.

Le SPD et les Grünen ne rejettent pas l'idée que le consommateur est autonome et qu'ilest libre de décider lui-même quelle alimentation il souhaite avoir. Mais ils considèrent quepour progresser dans cette autonomie et pour pouvoir s'alimenter correctement, l'État peutfournir une aide précieuse à l'individu, notamment en obligeant les industries à respecterun étiquetage alimentaire compréhensible.

La perception qu'ont les partis politiques de l'autonomie du citoyen conditionne leurvision du rôle et de l'influence de l'industrie et de la publicité dans la progression de l'obésité.

Les députés de la CDU/CSU ainsi que ceux du FDP critiquent violemment tout reprocheadressé aux industries agro-alimentaires par le SPD ou les Verts. Ils estiment que cesentreprises ne sont pas responsables de la progression de l'obésité en Allemagne etqu'il est contestable de malmener les entreprises alors que celles-ci sont les garantes dubien-être et de la puissance économiques allemandes : « on a l'impression que ce sonteux [les producteurs alimentaires] les principaux responsables et criminels parce qu'ilsproduisent des aliments! »141 ; « nous ne voulons aucune interférence dans les démarchesdes entreprises qui pourrait mettre en danger leur situation sur le marché » et plus loin :« est-il permis que l'on traîne dans la boue ici [au Bundestag] et de cette sorte un desplus gros employeurs d'Allemagne ? ». Les députés de la CDU rejettent massivement lesaccusations à l'encontre des industries qui mettent en cause leur responsabilité totale :« premièrement elle [l'industrie agro-alimentaire] ne répond qu'aux besoins et désirs desconsommateurs et deuxièmement il n'y a ni bons ni mauvais aliments ». Les députés dela CDU/CSU refusent ainsi catégoriquement tout renforcement des mesures restrictives àl'encontre des industries.

Par ailleurs, la vision du rôle de la publicité diffère également selon les partis. Si lespartis de gauche la perçoivent comme un obstacle potentiel au libre-choix du consommateuret exigent donc des directives claires, les partis de droite au contraire estiment que lapublicité ne revêt pas un caractère problématique particulier. Ils renvoient la question del'influence de la publicité à l'autonomie et à la responsabilité du consommateur.

Deux visions s'affrontent ainsi : d'un côté celle des députés de la CDU/CSU et du FDPqui affirment que les tentatives ministérielles s'apparentent à de l'ingérence dans la vieprivée et à du déni de l'auto-capacité du consommateur à avoir une alimentation équilibrée.D'un autre côté, les députés du SPD et les Verts ne rejettent pas l'hypothèse de l'autonomiedu citoyen mais estiment que dans certains cas, l'intervention étatique est nécessaire afinde lui fournir les informations leur permettant de se nourrir correctement. Par ailleurs, cespartis évoquent également l'influence parfois néfaste de la publicité, influence contestée parles députés de droite.

139 Entretien avec Hans-Michael Goldmann, député FDP au Bundestag140 Bericht des Deutschen Bundestages, op.cit. p. 10331141 Ibid. p. 10334

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Lorsque nous nous intéressons plus précisément à la proposition de mettre en place unsystème de feux tricolores, nous observerons que les partis politiques se retrouvent dansle même schéma de dualité et qu'ils avanceront les mêmes arguments.

II.C. La politique préventive allemande« Le gouvernement [allemand] prend la question de l'obésité au sérieux. Il faut

dire que ça lui coûte aussi pas mal d'argent... » 142

30 % des dépenses de santé en Allemagne sont imputables à des maladies liées à unemauvaise alimentation, ce qui correspond à 70 milliards d'euros chaque année. Ces chiffresvertigineux sont une des premières raisons qui ont poussé le gouvernement à réagir. Nousavons vu que la prévention était un instrument de l'action publique largement préféré pourla mise en place des politiques de santé. En complément de cet instrument, peuvent êtreutilisés des techniques ou des outils. Si l'instrument est un type d'institution, la technique estquant à elle un dispositif concret et l'outil un micro dispositif au sein d'une technique. Il s'agitmaintenant de montrer comment le fait que l'obésité ait été portée au devant de la scènepolitico-médiatique allemande, a influencé les politiques mises en œuvre par les ministèresde la santé et de l'alimentation.

L'objectif de la prévention est de ralentir et de diminuer la progression de l'épidémie enciblant des groupes à risques. Il s'agit de la technique globalement utilisée étant donné qu'iln'existe pas de thérapie pour soigner l'obésité. Il faut donc arriver à gérer le problème enamont, avant qu'il ne se déclare réellement : « la prévention est une stratégie indispensablepour la préservation de la santé de la population quand les perspectives de guérir totalementd'une maladie sont réduites ».143Néanmoins, à deux reprises, la tentative de mise en placed'une loi de prévention a échoué en Allemagne (en 2005 et 2008). Pour Toni Faltermaier etPetra Wihofsky, le système de santé en Allemagne se traduit par un manque de structurespolitiques et organisationnelles qui pourraient pourtant favoriser la coopération entre lesacteurs au niveau fédéral, des Länder et des communes. Le fait que la prévention ne soitpas considérée comme le « quatrième pilier » du système de santé est déploré par les deuxauteurs qui mettent en avant la situation économique précaire du système, basé sur dessolutions à court terme.

Les mesures de prévention de la lutte contre l'obésité s'inscrivent dans un plan d'actionamorcé en 2003 par le ministère de l'éducation et de la recherche concernant la recherchesur la prévention et la protection de la santé publique. Jusqu'en 2010 ce programmeprévoyait la mise en place de près de 60 projets réfléchissant à des mesures de protectiondes populations à risque. Ces groupes-cibles comprennent les enfants et adolescents, lesjeunes travailleurs, les personnes âgées et les personnes ayant des difficultés d'insertion.144 De nombreux projets ont ainsi été développés et sont basés sur des stratégies decommunication de masse. Les mesures prises doivent être pédagogiques et facilementcompréhensibles par le grand public :

142 Entretien avec Barbara Schroeter - Verbraucherzentrale Saarbrücken143 Faltermaier, Toni, Wihofsky, Petra, op.cit. p. 271144 Ibid.p. 265

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« Il est important que la prévention de l'obésité soit tournée vers le cercle familialet que les programmes soient compatibles avec la vie quotidienne »145

Le concept principal développé par les politiques de prévention allemandes est laparticipation active des citoyens. Néanmoins, le fait que les enjeux en matière de santésoient lointains et incertains constitue une difficulté supplémentaire pour les acteurs de laprévention. En effet, le développement de l'obésité à l'échelle de l'individu est un processusqui prend du temps. Les maladies en découlant ne se déclarent pas nécessairementconjointement à la prise de poids mais peuvent apparaître plusieurs années après. Mobiliserla population sur des problèmes qu'elle ne perçoit pas immédiatement reste donc un enjeude taille. C'est pourquoi la plupart des actions sont à destination des enfants afin de lessensibiliser au plus tôt à une alimentation équilibrée.

Nous présentons ici les principales actions de prévention qui ont été lancées afinde promouvoir une alimentation équilibrée. Le fait que toutes les mesures ne soient pascoordonnées par les ministères de la santé et de l'alimentation nous rappelle que l'obstacleprincipal à une lutte contre l'obésité efficace est la transversalité des enjeux et la multiplicitédes acteurs impliqués. En effet, si le lien entre obésité, santé et alimentation est devenuévident et a été rappelé à plusieurs reprises, notamment par l'ancienne ministre RenateKünast, lorsqu'il s'agit d'obésité c'est avant tout le BMELV qui est l'initiateur des politiquesde prévention. Le BMG peut être par la suite associé à ces mesures. Ainsi, les deuxministères ont lancé le programme national « In Form- Deutschlands Initiative für gesundeErnährung und mehr Bewegung » (L'initiative allemande pour une alimentation saine etpour le développement de l'activité physique). À travers la promotion d'une alimentationsaine et équilibrée, c'est la santé des citoyens qui doit être préservée. Il ne s'agit doncpas uniquement d'un plan de lutte contre l'obésité mais bien d'un programme s'intéressantà toutes les maladies trouvant leur origine dans des pratiques alimentaires inadéquates.Cinq champs d'action sont ainsi définis : le modèle du secteur public ; l'importance del'éducation et de l'information ; le rôle de l'activité physique dans la vie quotidienne pourla prévention de maladies ; l'amélioration qualitative de l'alimentation hors de la sphèrefamiliale ; et enfin la promotion de la recherche. Il est important de noter que ce programmese traduit plus par une politique d'encouragement que par des mesures législatives ayantune valeur coercitive. Il s'agit de promouvoir l'engagement citoyen et de « créer une cultureaxée sur un style de vie sain ».146 Afin de mener à bien ce programme, les deux ministèresdisposaient de 15 millions d'euros répartis entre 2008 et 2010. Le BMELV et le BMG ont crééun groupe de travail interministériel, spécialement pour la mise en œuvre du plan d'action quitravaille en coopération avec son pendant regroupant des acteurs fédéraux, des Länder etdes communes. Comme nous l'avons vu précédemment, les Länder disposent d'un certainnombre de compétences. Ils participent ainsi à la réalisation des objectifs via la mise enplace de réseaux relatifs à l'alimentation dans les écoles (l'organisation du système scolaireest en effet dévolue aux Länder).

A travers ce plan d'action national sont mis en place des programmes plus spécifiques,destinés à mieux sensibiliser les enfants et les adolescents. C'est le cas par exemple dela campagne « Fit Kid - Die Gesund Aktion Essen in Kitas » à destination des crèches.L'objectif est de promouvoir une alimentation équilibrée dès le plus jeune âge. Pour cefaire de nombreux nutritionnistes interviennent dans les jardins d'enfants mais aussi dansles écoles afin de faire prendre conscience aux plus jeunes de la nécessité de varier son

145 Entretien avec Hans-Michael Goldmann, député FDP au Bundestag146 Site internet du BMELV : www.bmelv.de

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alimentation. La notion de plaisir est également fortement développée : il faut que les enfantsréapprennent à aimer manger.

Le gouvernement a assuré vouloir atteindre une grande partie de ces objectifs avant2020.

Créée notamment à l'initiative du BMELV et du BLL (Bund für Lebensmittelrechtund Lebensmittelkunde), la « Peb - Plattform für Ernährung und Bewegung » estune plateforme nationale devant permettre aux différents acteurs impliqués dans ledomaine de l'alimentation d'échanger et de faire connaître leurs initiatives en faveur d'unealimentation équilibrée. Les participants sont tous issus de la sphère civile et regroupentdes syndicats, des associations sportives, des caisses d'assurance maladie, des industriesagro-alimentaires, des associations de médecins, ... la diversité des acteurs impliqués enfait le plus grand réseau européen de lutte contre l'obésité. L'attention est avant tout portéevers les enfants et les adolescents.

Parallèlement aux actions de prévention, le gouvernement allemand, via le BMELV,s'est également penché sur la question de l'étiquetage nutritionnel. Il propose ainsi depuis2008 le système dit « 4+1 ». Il s'agit ici d'améliorer l'étiquetage nutritionnel en le rendantplus visible et surtout de l'harmoniser. Certaines données doivent impérativement figurersur le produit, à savoir la valeur énergétique, la teneur en sucre, sel et graisses. A celas'ajoute la mention du pourcentage des apports journaliers recommandés couverts par laconsommation de l'aliment. L'objectif est que le consommateur puisse apprécier « en unclin d'œil » la valeur énergétique du produit, et pour cela une représentation en formede diagramme circulaire est mise en place. Ce modèle qui tend à se développer parmiles industries allemandes n'inclut cependant pas le système des feux tricolores, que nousévoquerons dans le chapitre trois.

Aperçu du modèle 4+1 : 147

La prise de conscience des risques que représente l'obésité s'est effectuée à unniveau international. À l'échelle européenne, la volonté de lutter contre l'épidémie s'estmatérialisée par la rédaction de Livres blanc et vert et d'une charte européenne. Néanmoins,ces mesures n'ont pas de valeur contraignante, étant donné que l'UE ne dispose pasde compétence exclusive dans les domaines de la santé et de l'alimentation. Les États-membres conservent donc toute marge de manœuvre dans la mise en place d'actionsconcrètes. L'Allemagne a connu une mise à l'agenda relativement tardive et soudaine de lathématique de l'obésité. L'inscription de cette préoccupation est essentiellement le fruit del'action de l'ancienne ministre Renate Künast qui a dû affronter de nombreuses critiques,relatives notamment à la légitimité de légiférer en matière d'alimentation. Néanmoins, laprogression constante de la maladie en Allemagne a conduit les gouvernements successifs

147 Source : site internet du BMELV

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Chapitre 2 : La politisation de l'obésité aux échelles européenne et allemande

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à réfléchir à de nombreuses actions de prévention dont le public-cible est avant tout lesenfants.

La lutte contre l'obésité va prendre un nouveau tournant outre-Rhin suite à un projet deloi initié par la Commission européenne. En donnant naissance à une longue controversesur la nécessité de réformer la législation européenne et allemande en matière d'étiquetagealimentaire, la proposition d'instaurer un système de feux tricolores sur les étiquettes desproduits va nous permettre également de questionner l'action de la sphère publique enAllemagne.

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Chapitre 3 : La sphère publique enmouvement : rapports de force etconcurrence entre coalitions de cause

L'histoire de la proposition du système des feux tricolores est symptomatique desproblématiques inhérentes à la mise à l'agenda de la lutte contre l'obésité. Ce systèmea pour toile de fond la lutte contre l'obésité mais la réforme de la législation en matièred'étiquetage nutritionnel s'inscrit dans une démarche plus globale qui a pour vocation uneharmonisation des politiques européennes et la promotion d'une meilleure alimentation.Les conflits qui ont surgi en Allemagne et à l'échelle européenne quant à cette propositionrévèlent les difficultés qui peuvent survenir lorsque la politique s'empare d'une thématiquede santé. Conflits d'intérêts, controverses scientifiques et politiques, ... autant d'aspects quiont jalonné les deux années séparant la présentation du projet de loi et son rejet par leParlement européen en juin 2010. Le système et les conflits ayant résulté de sa présentationsont à ce titre intéressants à étudier car ils sont emblématiques de la dualité qui existe dansles politiques de santé publique. Le choc entre les intérêts économiques et les intérêts civilsest latent et contribue à questionner le poids que pèse chaque acteur de la démocratieparticipative.

La question à laquelle nous voulons répondre n'est pas de savoir si le système des feuxtricolores était en soi une avancée ou non dans la lutte contre l'obésité. Nous chercheronsplutôt à déterminer comment les différents acteurs ont appréhendé la proposition et ce quecela révèle sur la gestion de l'action publique allemande. Il s'agit ainsi de comprendre ce quecet exemple peut nous apprendre sur la façon dont sont gérés les conflits en Allemagne.

Si dans une première partie, après avoir présenté la proposition et les étapes dela mobilisation en Allemagne et à l'échelle européenne, nous nous intéresserons plutôtaux différents arguments des acteurs et à la façon dont ils perçoivent l'autonomie duconsommateur, nous nous concentrerons dans une seconde partie autour des outilsdéployés par les associations afin de faire valoir leur revendications. Nous analyserons lesdifférents moyens dont chaque « camp » dispose et les relations qu'ils entretiennent avecle gouvernement allemand, de même que leur présence à l'échelle européenne.

I. Un argumentaire basé sur le postulat de larationalité du consommateur

Les politiques de prévention ne consistent pas seulement en une sensibilisation desenfants et adolescents mais elles ont pour objectif de prévenir les comportements desconsommateurs. Il faut agir avant que les individus ne se nourrissent, c'est-à-dire au momentoù il choisissent leur alimentation. C'est à cet instant que le consommateur doit avoir à sadisposition toutes les informations nécessaires lui permettant de mieux se nourrir. A ce titre,

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des réflexions ont été menées sur les possibilités qui s'offraient pour intervenir. L'étiquetagenutritionnel se révèle être une donnée essentielle pour le consommateur. D'après une étudemenée en mars/avril 2008 au nom du BMELV, 78 % des Allemands interrogés déclarentque les informations relatives à la valeur nutritive des aliments (c'est-à-dire leur compositionen graisses, sucre et sel de même que la teneur calorique) sont utiles pour le choix d'unealimentation saine.148 Le système que nous allons étudier est essentiellement basé sur lepostulat que l'individu est capable de modifier ses pratiques alimentaires si on lui fournit desinformations claires sur les produits qu'il consomme.

I.A. Chronique d'une controverse annoncée...

I.A.1. Présentation du systèmeLa proposition d'un système de feux tricolores provient de députés européens des partisS&D (Socialistes et Démocrates), GUE (Gauche Unitaire Européenne) et Verts/ALE(Association Libre Européenne) qui souhaitaient voir étendu le modèle existant actuellementpartiellement en Grande-Bretagne. L'étiquetage des produits alimentaires finis ainsi quedes boissons non alcoolisées se compose d'un code couleur permettant au consommateurd'identifier rapidement et surtout visuellement la teneur en sucres, sel et graisses (saturéesou non) du produit. Les couleurs se déclinent entre le rouge, l'orange et le vert. Lerouge correspond à des quantités importantes, orange des quantités modérées et vert des

quantités faibles. 149 Les couleurs sont attribuées pour une proportion de 100 g ou 100 ml,

afin de faciliter la comparaison entre les produits.

Aperçu du système des feux tricolores : 150

Le système combine donc à la fois un code couleur et les données chiffrées desquantités de sucre, sel et graisses. Cet étiquetage est présent sur la face avant del'emballage, de façon à ce que le consommateur puisse avoir rapidement un aperçude la composition du produit. Grâce au code couleur, les « produits obésogènes »

148 Bericht der Bundesregierung zur Meinungsumfrage. « Die Nährwertkennzeichnung von Lebensmitteln aus Sicht derBervölkerung ». März/April 2008. Eine Erhebung von Infratest dimap im Auftrag des Bundesministeriums für Ernährung, Landwirtschaftund Verbraucherschutz149 Voir tableau détaillé en annexe

150 Site internet de Foodwatch : www.foodwatch.com

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151 apparaissent plus clairement. Les couleurs présentent l'avantage sur les donnéesnumériques d'être compréhensibles par tous. L'objectif premier n'est pas de supprimerl'achat d'un certain type de produits mais plutôt de sensibiliser les individus à leursconséquences pour la santé et à les inciter à consommer ces aliments ou boissons avecmodération. Le système doit aussi permettre une comparaison simplifiée entre les produits.

C'est l'apparente simplicité du système qui sera mise en avant par ses défenseurs.Mais le cheminement de la proposition sera semé d'embûches.

I.A.2. Le long chemin...vers le rejet de la propositionC'est en janvier 2008 que le projet de loi de la Commission relatif à l'introduction d'unétiquetage nutritionnel obligatoire est déposé par le commissaire à la santé MarkosKyprianou. L'étiquetage nutritionnel est en effet une compétence attribuée à la Commissioneuropéenne qui a pour vocation d'harmoniser les informations portées à la connaissancedes consommateurs et ce dans le cadre du marché unique et de la libre-circulation des

produits. 152 Rappelons que cette proposition ne se concentre pas uniquement autour

du système des feux tricolores mais qu'elle englobe bien d'autres aspects de l'étiquetagedes produits alimentaires (comme la mention de la provenance du produit ou la taille descaractères). Le 19 mars 2009, le comité pour la protection des consommateurs du Parlementannonce que la décision concernant l'étiquetage nutritionnel est reporté à la prochainepériode législative. La procédure doit reprendre après les élections européennes de juin,c'est-à-dire à l'automne. Les amendements proposés par les députés et adressés au comitéenvironnemental du Parlement sont acceptés jusqu'en décembre 2009. Parmi eux se trouvela proposition d'introduire le système à l'ensemble des pays membres ou de laisser ladécision à la discrétion de chaque État.

Le 16 mars 2010, au sein du comité environnemental du Parlement européen àBruxelles est organisé un vote relatif à l'instauration obligatoire du système des feuxtricolores. L'égalité des voix obtenue (30 pour, 30 contre, 2 abstentions) ne décourage pasles associations de consommateurs, notamment Frosta, qui y voit « un signal fort ».153

Mais le 16 juin 2010, les députés du Parlement européen confirment le vote du comitéenvironnemental en rejetant définitivement et massivement le système des feux tricoloreset en se prononçant en faveur d'un étiquetage axé sur les GDA.

Du côté allemand, la position officielle du BMELV va connaître plusieurs soubresauts.La législation en matière d'étiquetage nutritionnel faisait elle aussi l'objet de débatset questionnements. En 2007, dans une lettre à l'intention du Président du Bund fürLebensmittelrecht und Lebensmittelkunde (BLL), le ministre du BMELV Horst Seehofermentionne l'inquiétude relative à l'instauration de ce système que les associationsd'industriels ont porté à la connaissance du BMELV et leur volonté de proposer unealternative aux feux tricolores. Néanmoins, malgré les injonctions des associations, il nesouhaite pas encore clore le débat tant qu'une solution ne sera pas trouvée. Dans salettre, Horst Seehofer rappelle qu'il a déjà rencontré les acteurs économiques et qu'il aeu l'occasion de s'entretenir avec eux des « problèmes pouvant résulter de l'initiative

151 Borraz, Olivier, Guiraudon, Virginie, op. cit, p. 93152 Le Guen, Jean- Paul, op. cit. p. 99

153 Site internet de Frosta : www.frosta.de

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du BMELV ». 154 On perçoit ici un élément qui sera mentionné systématiquement dans

les débats : les avancées ou réflexions menées pour réformer la législation en matièred'étiquetage nutritionnel ne peuvent se faire sans la consultation des industries qui lesaccueillent souvent avec suspicion. Toute tentative est en effet passée au crible, afin dedéterminer si des retombées économiques néfastes pourraient en ressortir.

Alors qu'en mai 2008, le BMELV excluait encore toute perspective de mise en placedes feux tricolores, suite à la conférence en septembre des ministres de l'alimentation desdifférents Länder, qui a vu l'ensemble des participants se prononcer largement en faveurdu système, Horst Seehofer annonce qu'il souhaite que la proposition soit développéeau niveau national, à défaut de ne l'être encore à l'échelle européenne. Cette déclarationest saluée par les associations de consommateurs. Mais en février 2009, la ministre IlseAigner, qui remplace depuis octobre 2008 Horst Seehofer à la tête du BMELV, annonce quecontrairement à son prédécesseur, elle ne souhaite pas que le système des feux tricoloressoit introduit. Elle se démarque ainsi de la ligne directrice qu'avait adoptée le BMELV ets'attire par la même occasion la colère des associations de consommateurs. En févriertoujours, la ministre de la protection des consommateurs du Land de Bavière (CSU), BeateMerk, fait savoir par un communiqué de presse qu'elle se positionne en faveur du systèmedes feux tricolores. Elle se distingue ainsi de la ministre fédérale Ilse Aigner en renvoyant auxderniers sondages menés en Bavière pour le compte de l'association des consommateursFoodwatch, qui avaient révélé que 75 % des personnes interrogées souhaitaient que legouvernement fédéral se positionne en faveur de la proposition.

I.B. Une dichotomie classique entre intérêts des consommateurs etintérêts économiques ?

En Allemagne, les acteurs de la sphère civile qui se sont emparés de la thématique serépartissent entre deux camps : d'un côté les associations de consommateurs, ainsi que lesreprésentants des organisations familiales ou les syndicats de médecins ; de l'autre côtése retrouvent plutôt les groupes industriels agro-alimentaires. Le point de désaccord quiressurgissait le plus fréquemment concernait l'influence réelle des feux tricolores sur lespratiques alimentaires des individus. Les questions qui furent débattues étaient relatives à larationalité supposée du consommateur et sur sa capacité ou non à déterminer l'alternativela plus avantageuse pour lui, dans le cas où il est confronté à un choix, et à traduire sadécision en un comportement adapté. Quels étaient alors les arguments avancés par lesdifférents acteurs et quelle stratégie de persuasion ont-ils adoptée ?

Avant de répondre à ces questions, il nous faut tout d'abord présenter ces acteursauxquels nous nous intéressons.

Nous nous concentrons autour de deux associations de consommateurs : lesVerbraucherzentralen (VZ) ainsi que l'association Foodwatch. Les Verbraucherzentralensont des associations de consommateurs présentes dans les 16 Länder. Parallèlementà la défense des consommateurs et aux informations qu'elles leur fournissent, ellesoccupent une fonction de représentation des intérêts de ceux-ci auprès des institutionslocales et du Land. Elles informent également les médias et l'opinion publique et mènentun certain nombre d'action et de projets. Enfin, elles travaillent avec les écoles etles organismes de formation de jeunes. Chaque association est financée par l'Étatfédéral, mais aussi par les Länder, ce qui entraîne des différences de financement assez

154 Lettre de Horst Seehofer au président du BLL du 17 septembre 2007

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importantes entre les régions, étant donné que la situation économique des Länderest très différenciée.155 Les Verbraucherzentralen sont elles-mêmes coordonnées par laVerbraucherzentrale Bundesverband qui est l'association regroupant toutes les VZ ainsi que26 autres organisations de défense des consommateurs. Cette organisation est l'associationde consommateurs la plus importante en Allemagne.

À l'échelle européenne, c'est le Bureau Européen des Unions de Consommateurs(BEUC) qui représente et défend les VZ.

L'association Foodwatch a été créée en 2002 par Thilo Bode, ancien Président deGreenpeace Allemagne entre 1989 et 1995, qui a ensuite pris la tête de l'organisationinternationale en juin 1995. L'association revendique le droit à une information claire pourles consommateurs et est née à la suite des scandales relatifs à la crise de la vache folle.Foodwatch estime que les consommateurs allemands manquent cruellement de droits, etdonc de pouvoirs. Le rapport d'activité de l'association de 2007 indique clairement quel'association adopte un point de vue très tranché : « un des objectifs les plus importants deFoodwatch est de faire savoir aux consommateurs que le marché des produits alimentairesne fonctionne pas en leur faveur mais qu'au contraire il les abrutit, les trompe et lesescroque ».156 Plus loin, le rapport poursuit en mettant en évidence la nécessité pourles consommateurs de se regrouper derrière une association, seul organisme ayant desdroits et donc des pouvoirs. La situation présentée par Foodwatch est donc teintée decatastrophisme et le nom même de l'association accentue cette forte empreinte dramatique :Foodwatch - die Essensretter. Le jeu de mots est construit à partir de « Lebensretter »,qui signifie sauveur, littéralement nous pouvons donc traduire le nom de l'associationpar « les sauveurs de l'alimentation ». L'association ne revendique aucune appartenancepolitique mais rencontre régulièrement des décideurs politiques et est invitée aux sessionsparlementaires. La présence dans les médias s'est renforcée et Foodwatch bénéficiedésormais d'une visibilité conséquente. L'association publie par ailleurs régulièrement desouvrages, ainsi que des lettres d'information qui lui permettent de toucher de plus en plusde citoyens.

La différence fondamentale entre les deux associations de consommateurs iciprésentées réside dans leur financement et dans leur relation au gouvernement, qu'ils'agisse du gouvernement fédéral ou de celui des Länder. En effet, les Verbraucherzentralendoivent rendre des comptes publics à leurs financeurs publics157 alors que Foodwatch estune organisation qui se finance via l'adhésion de ses membres et grâce aux dons à hauteurde 79%158. Néanmoins, les VZ conservent une part d'autonomie et peuvent rechercher desfinancements non étatiques pour des projets spécifiques.159

Les associations d'industriels impliquées dans les débats étaient essentiellement laDeutscher Industrie- und Handelskammertag (DIHK - Chambre de commerce et d'industrie)ainsi que la Bund für Lebensmittelrecht und Lebensmittelkunde (BLL - Fédération pourla législation relative à la production et à la distribution des produits alimentaires). LaBLL est une confédération de plus de 90 associations, 300 entreprises et 100 particuliersqui en constituent les seuls financeurs. Les membres représentent des acteurs de la

155 Entretien avec Barbara Schroeter - VZ Saarbrücken156 Fünf Jahre Foodwatch - Rückblich und Ausblick p.4. Disponible sur le site internet de l'association.157 Entretien avec Barbara Schroeter - VZ Saarbrücken158 Source : site internet de l'association rubrique « Finanzen »159 Entretien avec Barbara Schroeter – VZ Saarbrücken

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production et de la distribution alimentaire « vom Acker bis zum Teller » (« du champ jusqu'àl'assiette »). Cette expression est également utilisée par les associations de consommateursqui estiment que la législation en matière d'étiquetage nutritionnel doit poursuivre l'objectifd'une transparence parfaite. En mettant en avant la diversité de ses membres, la BLLcherche ainsi à rassurer les consommateurs sur l'objectivité et la sincérité de ses prises depositions. Elle assume par ailleurs d'autres fonctions : transmettre des informations à sesmembres, représenter les intérêts de ceux-ci en Allemagne et à l'échelle internationale, faireconnaître les prises de position de l'industrie alimentaire et être leur porte-parole, et enfinaider l'industrie à se faire sa propre opinion.

La DIHK représente les 80 chambres de commerce et d'industrie régionales (IHK)qui sont, elles, les représentants d'intérêts de toutes les entreprises de la région. Toutesles entreprises allemandes sont légalement tenues d'adhérer à une IHK (à l'exceptiondes entreprises artisanales, des professions libérales et des exploitations agricoles). Ellebénéficient alors de conseils et de suivi de la part de l'IHK auprès de laquelle ellessont enregistrées. La DIHK exerce son influence sur la sphère étatique allemande maiségalement aux échelles européenne et internationale. Elle ne peut émettre des directivesà l'attention de ses membres et a uniquement un rôle de conseiller et de représentant. Àl'inverse des IHK, la DIHK n'est pas une collectivité de droit public mais une associationdéclarée.

Enfin, nous nous intéresserons également à l'entreprise Frosta qui est la seuleentreprise en Allemagne à avoir introduit le système des feux tricolores pour quatre de sesproduits. Cette décision a été prise en accord avec la Verbraucherzentrale et Foodwatch quisouhaitaient « tester » les feux tricolores sur une situation réelle.160 Frosta est une entreprisede surgelés, leader sur le marché allemand.

À première vue, nous pouvons donc supposer que les associations de consommateurset d'industriels auront des points de vue très tranchés et variés étant donné que les intérêtsde leurs membres ne suivent pas nécessairement la même ligne directrice. D'après notreentretien mené à la Commission européenne, l'objectif principal du projet de loi présentén'était pas en soi uniquement la lutte contre l'obésité mais s'inscrivait dans une démarcheplus globale de prévention de la santé. L'harmonisation de l'étiquetage nutritionnel et avecelle la proposition d'un système de code couleurs devaient permettre au consommateur debénéficier d'informations plus compréhensibles. Les associations de consommateurs ontrepris le projet en mettant en avant les possibilités qu'il offre pour lutter contre l'obésité. Sil'individu dispose d'une information en toute transparence, il pourra modifier ses pratiquesalimentaires.

Nous retrouvons ici la question de l'autonomie qui avait déjà agité les débatsparlementaires allemands suite à la présentation du projet gouvernemental de RenateKünast :

« L'autonomie des citoyens ou celle qu'ils sont supposés pouvoir recourir est,encore aujourd'hui, au principe de nombreuses actions de santé publique :le citoyen est perçu comme l'acteur, ou l'acteur en devenir, de sa propretransformation, transformations individuelles dont l'agrégation causera,argumente-t-on, la réduction des problèmes desanté publique »161

160 Entretien avec Friederike Ahlers, porte-parole de Frosta161 Borraz, Olivier et Guiraudon, Virginie, op.cit. p. 88

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Olivier Borraz et Virginie Guiraudon le disent clairement, la prévention des risques, et doncle succès des politiques de santé publique, reposent sur le postulat que le citoyen (ici ils'agirait plutôt du consommateur) est capable d'adopter une attitude rationnelle et a uncomportement autonome. Avec le système des feux tricolores, l'hypothèse émise est quele consommateur sera capable de modifier ses pratiques alimentaires s'il constate qu'ila tendance à consommer trop de produits comportant la couleur rouge. Les décideurspolitiques misent donc sur une gestion personnelle du risque. Il s'agit de faire participeractivement le citoyen en le responsabilisant. Mais les résultats et l'efficacité de cetteparticipation ne sont pas des données connues à l'avance, ce qui explique que les stratégiesproposées par les décideurs publics soient controversées et critiquées. En effet, il n'estpas impossible que le consommateur conserve ses préférences sans tenir compte du codecouleur qui lui est proposé.

Deux avis vont alors s'affronter. D'un côté, ceux qui crient au paternalisme déguiséet à la tromperie que constituent les feux tricolores ; de l'autre, ceux qui assurent que siles individus disposent d'informations suffisamment compréhensibles et leur permettant decomparer les produits entre eux, ils sauront adapter et améliorer leur alimentation. Nousreproduisons ici les arguments des opposants aux feux tricolores tels qu'ils sont présentéspar Foodwatch162 et les contre-arguments que l'association leur oppose :

Arguments des industries Arguments de FoodwatchLe rouge sur les étiquettes signifie (du moinsdans l'imaginaire collectif) que l'aliment estmauvais.

Le rouge ne signifie pas qu'il ne faut pasconsommer l'aliment mais qu'il faut le faireavec modération. De plus, les feux tricoloressont accompagnés d'une légende (« élevé »,« modéré », « faible »).

Les feux tricolores imposent une visionde l'alimentation et dictent leurs choix auxconsommateurs.

Les consommateurs restent libres de ne pastenir compte des feux tricolores. Cacher cesinformations reviendrait à une mise soustutelle.

Les feux tricolores ne participent pas à lapromotion d'une alimentation plus équilibréeet ne peuvent concourir à lutter contrel'obésité.

Si les feux tricolores n'ont aucune influence,ils ne devraient pas inquiéter les industries.Le comportement des consommateurs nepeut être prédit mais ce n'est pas une raisonsuffisante pour cacher des informations.

Les système divise les aliments en « bons »et « mauvais » et discrimine ainsi un certainnombre d'aliments.

Rouge ne signifie pas « mauvais » mais« élevé ». De plus, il n'y a pas qu'une seulecouleur mais quatre (une pour chaquecatégorie). Un aliment peut donc être rougepour la quantité de sel mais vert pour celle desucre.

Le système est trompeur. Même des aliments« sains » comme le lait, l'huile d'olive ou le

Les feux tricolores ne seraient applicablesque pour les produits finis. De plus, rougene signifie pas mauvais mais élevé. Le code

162 Ces arguments sont listés sur le site internet de l'association : www.foodwatch.de

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pain complet seraient marqués de la couleurrouge et ainsi catalogués comme malsains.

couleur ne juge pas le produit dans sonensemble mais donne des informationssur les quantités de sucre, sel et graissescontenues dans celui-ci. En ce qui concernele pain par exemple, un pain complet pourraitavoir un point rouge au niveau du sel, tandisqu'un pain blanc n'aurait qu'un point orangeou vert. Cela ne signifierait pas que le paincomplet est moins bon pour la santé maisqu'il contient plus de sel. Cette informationest importante pour les gens qui doivent faireattention à leur consommation de sel.

Le système ne permet pas de faire ladifférence entre les aliments : le beurre et lamargarine auraient tous les deux du rougealors qu'ils n'ont pas les mêmes quantités degraisses par exemple.

La couleur permet une première distinctionentre les aliments. Les quantités exactesen g ou ml seront toujours indiquées encomplément des feux.

Le système est trompeur car une boissoncomme un Coca Cola Light obtiendrait unpoint vert alors que des boissons naturellescomme les jus de fruits auraient un pointrouge.

En effet, un Coca contient moins de sucresque les jus de fruits qui ont des sucresnaturels. Néanmoins, l'objectif du systèmene doit pas être mal compris : il ne s'agitpas d'un étiquetage universel pour tous lescomposants d'un aliment. Les feux tricoloresne donnent pas d'informations sur les additifs(que contient notamment le Coca Cola), c'estla liste des ingrédients qui le fait.

Il n'y a pas de base scientifique à lanécessité d'introduire le système des feuxtricolores.

Le système a été proposé en Grande-Bretagne suite à une étude menée par laFood Standard Agency (FSA)

Sur la longue durée, le système est malsain :le consommateur qui chercherait à se nourriruniquement de produits marqués « verts »aurait une alimentation déséquilibrée.

Les feux tricolores ne sont pas les seulesinformations disponibles sur les étiquettesalimentaires et ne donnent aucunerecommandation au consommateur.

En Grande-Bretagne, le système est unéchec.

En Grande- Bretagne, le système n'est pasobligatoire. La diversité des présentations neparticipe pas à la bonne compréhension duconsommateur.

Le premier élément que l'on peut relever est le fait que les arguments des opposantsprésentés ici sont immanquablement décrits comme étant ceux des industries. Foodwatchgénéralise ainsi les opposants au système et les assimile aux groupes industriels.

Partant de ce constat, la confrontation entre les acteurs se matérialise par uneopposition entre « bien » et « mal ». Les associations de consommateurs se définissentcomme étant les seules soucieuses du bien-être des individus et désignent les groupesindustriels comme les responsables de la mauvaise santé des citoyens. Ceux-ci sontsystématiquement présentés comme les « coupables ». Nous pouvons ainsi lire encommuniqué de presse sur le site internet de Foodwatch : « l'objectif, qui était de luttercontre l'obésité et les maladies liées à l'alimentation grâce à un étiquetage facilementcompréhensible, a été sacrifié au profit des industries alimentaires ». Le vocabulaire ici

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choisi démontre clairement que la décision prise par les députés européens s'est faite audétriment des consommateurs. Le champ lexical utilisé doit permettre de mettre en évidencele fait que les groupes industriels ne recherchent que le profit sans tenir compte de la santédes consommateurs. Les associations de consommateurs vont alors tout faire pour rappelerla dichotomie supposée inaltérable entre industriels et consommateurs.

„En raison de mon rejet de la propostion des feux tricolores, on m'a souventreproché dans les médias d'avoir été „achetée“ par les industries. Alors quele modèle des GDA, préféré par les industries, vient justement d'être acceptéen première lecture grâce aux voix des démocrates, des verts et de l'extrême-

gauche!“ 163

Le témoignage de Renate Sommer le montre :pour un décideur public, être décritcomme proche des industries constitue une critique puisque les intérêts économiquessont présentés comme étant contraires voire incompatibles avec ceux des individus. Cettedichotomie peut s'expliquer en partie par les influences que sont susceptibles d'exercerles associations d'industriels par rapport aux associations des consommateurs. Nousavons déjà évoqué l'importance des entreprises et du secteur industriel en Allemagneen commentant les débats parlementaires relatifs au projet de loi de Renate Künast.Nous y percevions l'attachement des députés de la CDU/CSU et du FDP pour le bien-être des entreprises et leur place sur le marché mondial. L'Allemagne est la premièrepuissance exportratrice mondiale et, à ce titre, les retombées économiques pour lesindustries constituent une donnée systématiquement prise en compte lors de l'élaborationdes politiques publiques.

L'enjeu principal pour les associations de consommateurs est donc d'arriver àconvaincre l'opinion publique que le système des feux tricolores ne peut que leur êtreprofitable et que le fait que les groupes industriels le rejettent consitue une preuvesupplémentaire de l'efficacité de ce système. En effet, comme nous l'avons vu au travers desarguments exposés par Foodwatch, le doute formulé par les lobbyistes agro-alimentairesquant à la réelle avancée que constitue la proposition, est moqué par l'association deconsommateurs. Celle-ci pointe du doigt l'illogisme selon elle des industriels : s'ils pensentque le système est inefficace et ne peut réellement influencer les choix des consommateurs,leur opposition est donc contradictoire !

Les associations de consommateurs vont recevoir le soutien de l'AOK, principale caissed'assurance maladie en Allemagne. Celle-ci va mettre en avant les coûts représentés par laprogression de l'obésité dans le pays et la nécessité d'agir avant que ceux-ci ne deviennentinsurmontables. Il s'agit ici de contrebalancer les arguments avancés par les industries quicraignent que le consommateur ne délaisse un certain nombre d'aliments, ce qui pourraitentraîner des répercussions néfastes pour leur production. C'est l'argument financier quisera ainsi développé par chaque partie afin de sensibiliser les députés allemands, maiségalement européens. Mais il diffère selon les associations puisque celles-ci ne se dirigentpas vers les mêmes partis politiques afin de faire entendre leur voix.

De leur côté, les opposants au système ne remettent pas en question la rationalitédu consommateur. Ils approuvent la nécessité de proposer des informations claires etcompréhensibles pour tous et mettent ainsi en avant leur volonté de progresser et departiciper dans la lutte contre l'obésité. Cependant, ils relèvent que le consommateur serainduit en erreur avec les couleurs proposées puisqu'il associerait immanquablement lerouge au danger et donc à l'interdiction de consommer des aliments qui auraient une pastille

163 Entretien avec Renate Sommer, députée européenne et rapporteur du projet de loi devant le Parlement

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rouge pour une des quatre données. Ils craignent que l'individu ne consomme exclusivementdes produits estampillés „vert“ et que cette nouvelle habitude alimentaire soit préjudiciableà sa santé.

„Le fait de savoir si un aliment est physiologiquement bon ou non dépend de manièredécisive de la quantité consommée et de l'alimentation générale“.164

Afin de contrer l'image négative véhiculée à leur encontre par les associationsde consommateurs, les industriels vont donc développer un argumentaire basé surla considération qu'ils portent à l'alimentation variée des citoyens. Pour cela, ils vontproposer le système des Guidelines Daily Amounts (GDA ou AJR - Apports JournaliersRecommandés). Cet étiquetage est déjà utilisé par de nombreux fabricants mais il aété proposé de l'étendre à l'ensemble des pays membres, en remplacement de laproposition des feux tricolores. Le système des GDA propose une information basée surdes pourcentages : la référence est l'apport journalier recommandé pour une femme adulte,soit environ 2000 calories. L'étiquetage vaut pour une portion et non pas pour 100 g ou 100ml. Les valeurs peuvent donc être données pour une quantité de 40 g ou de 250 g, selonl'aliment et la décision du producteur. Avec ce système, le consommateur est informé desapports journaliers couverts en termes de sucres, sel et graisses. Il dispose également dela valeur énergétique de l'aliment.

Aperçu du système des GDA :165

Le système proposé par les industriels a été préféré par les députés du Parlementeuropéen mais est vivement critiqué par les associations de consommateurs qui estimentqu'il induit les individus en erreur en leur donnant des informations valables pour desportions qui ne correspondent pas aux quantités réellement consommées. Au sein de laclasse politique, les avis divergent également :

„Je rejette le système des apports journaliers recommandés qui est préféré par lesindustries en tant qu'étiquetage obligatoire et qui est basé sur une portion arbitraire, caril est trompeur. Les valeurs sont présentées d'une façon qui n'est pas compréhensibleetcorrespondent aux besoins estimés d'une femme de 40 ans, bien qu'il soit connu que lesapports journaliers varient selon le sexe, l'âge et l'activité physique.“166

L'accusation de tromperie se retrouve donc utilisée dans les deux cas par lesassociations de consommateurs ou les industriels.

164 Entretien avec Hans-Michael Goldmann, député FDP du Bundestag165 Information disponible sur le site de la CIAA (Confédération des Industries Agroalimentaires de l'UE) à l'adresse suivante :

http://gda.ciaa.eu/asp2/gdas_portions_rationale.asp?doc_id=130166 Entretien avec Renate Sommer, députée européenne et rapporteur du projet de loi devant le Parlement

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Au travers de ce que nous venons d'analyser, nous pourrions donc affirmer quela proposition des feux tricolores relance le débat sur la dichotomie entre industriels etconsommateurs et traduit également les différences politiques entre les partis allemands. Eneffet, la séparation entre les deux parties était franche et délimitait d'un côté les industrielset de l'autre les associations de consommateurs. Cette division se retrouvait également àl'échelle des partis politiques puisque le SPD et les Verts étaient largement en faveur dusystème tandis que la CDU/CSU et le FDP, traditionnellement plus soucieux du bien-êtreéconomique des entreprises, se sont opposés à la proposition.

Il nous faut pourtant apporter une nuance à ce constat au vu de l'initiative prise parl'entreprise de surgelés Frosta. À la demande de la Verbraucherzentrale et de Foodwatch, cegroupe industriel a en effet accepté, en juin 2009, d'introduire le système des feux tricolorespour quatre de ses produits les plus vendus. Précisons qu'il ne s'agit pas que des produitsuniquement « verts ».167 Cette démarche s'inscrit dans une volonté de transparence vis-à-visdu consommateur. Il est donc important de signaler que toutes les entreprises allemandesn'étaient pas catégoriquement opposées aux feux tricolores même si l'action de Frostan'a pas eu l'influence qu'escomptaient les associations de consommateurs sur les autresgroupes industriels. En effet, selon la porte-parole de l'entreprise,168 Frosta s'est retrouvéeisolée au sein du BLL dont elle est membre. Sa décision a été fortement critiquée et n'atrouvé aucun appui. L'entreprise est en effet la seule en Allemagne qui ait décidé de testerce système. Elle a reçu un écho positif dans les médias allemands, ceux-ci saluant « unepetite révolution ».169 Comme nous l'avons évoqué auparavant,170 les médias ont un pouvoird'influence considérable puisqu'ils représentent les vecteurs essentiels des décisions prisesau niveau national. Dans le cas de la controverse relative aux feux tricolores, les journauxont mis en avant le caractère contradictoire qui existait entre, d'une part, la volonté forteexprimée par l'opinion publique de voir le système introduit au niveau européen, ou à défautà l'échelle nationale allemande, et, d'autre part, la position officielle du BMELV qui refusetoute législation.

II. Entre pression sur le gouvernement et mobilisationde l'opinion publique : les différents outils utilisés parles acteurs

Avec le développement de la co-production de l'action publique, la diversité des acteurs s'estaccrue. Mais comme nous l'avons évoqué dans le chapitre deux, les acteurs ne bénéficientpas tous de la même visibilité ni de la même légitimité. Cette asymétrie des ressources estparticulièrement manifeste dans le cas de la controverse relative à l'introduction du systèmedes feux tricolores. La première partie vise à donner un aperçu de l'activité de lobbyingqui s'est exercée pendant toute la phase de réflexion et de discussion du projet. Cette

167 Entretien avec Friederike Ahlers, porte-parole de Frosta168 Ibid.169 « La première entreprise allemande introduit le système de feux tricolores ». Article du Spiegel du 03 juin 2009, disponible

à l'adresse suivante : http://www.spiegel.de/wirtschaft/0,1518,628315,00.html170 Le rôle des médias a été étudié dans le chapitre 1. Nous avons mis en évidence le lien essentiel qu'ils constituent entre

les décideurs politiques et la sphère civile.

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partie nous permettra ensuite de mettre en lumière l'influence inégale des acteurs ayantpris part aux débats. Nous verrons qu'afin de pallier leur manque d'expertise scientifiqueet leur faible présence en comparaison des groupes agro-alimentaires, les associationsde consommateurs vont légitimer leurs arguments en ayant recours à des médecins oudes chercheurs en sciences sociales. Nous verrons également que le « débat » autour decette proposition ne sera jamais matérialisé par une réunion des différents acteurs mais pardes consultations bilatérales entre gouvernement et représentants d'intérêts. Nous nousdemanderons alors en quoi cette organisation a pu nuire au projet ou a favorisé un typed'acteurs au détriment des autres.

II.A. L'activité de lobbying : s'assurer une visibilitéComme introduit précédemment,171 la construction européenne a fait apparaître denouveaux acteurs dans la production des politiques publiques, et notamment des acteursprivés que sont les groupes de lobbying. Il ne s'agit pas ici de se prononcer en faveurou non de cette activité mais bien de déterminer quelle influence réelle ces groupes ontexercé dans le processus décisionnel ayant conduit au rejet des feux tricolores. De fait,ces acteurs jouissent généralement d'une réputation assez négative, leurs méthodes étantsouvent jugées obscures et leurs actions sont perçues comme uniquement motivées pardes intérêts financiers.

Avec la construction de l'UE, l'action des lobbyistes s'est démultipliée et ne se concentreplus exclusivement à l'échelle nationale. Les groupes d'intérêt vont développer des activitésà Bruxelles, en y installant d'ailleurs souvent leurs bureaux afin d'être au plus près desacteurs de la scène européenne. Le processus décisionnel européen se caractérise en effetpar une négociation intense, non seulement entre les organes mêmes de l'UE, mais aussiavec des acteurs extérieurs. Pour certains chercheurs, les groupes de lobbying participentainsi à la démocratisation de l'action publique, puisqu'ils portent la voix des citoyenseuropéens : « les groupes européens peuvent ainsi participer à augmenter la légitimité dusystème de l'Union européenne puisqu'ils apportent des inputs importants au processusdécisionnel ainsi qu'un retour aux acteurs de la sphère civile sur les politiques mises enplace ».172 Pour d'autres, la présence de lobbyistes questionnent la réalité de la démocratie.En effet, le fait que des acteurs privés puissent intervenir dans le processus décisionnelgrâce à leurs entrées auprès des décideurs politiques questionne le pouvoir de l'argentet de l'influence des intérêts privés dans un processus destiné à des politiques publiques.Ces contacts sont généralement permis grâce aux importantes masses financières que leslobbyistes sont susceptibles de pouvoir dégager pour parvenir à leurs fins. La neutralitédes décideurs politiques, ou du moins la recherche de l'intérêt général qu'ils sont censéspoursuivre, est également questionnée. La notion de concurrence est introduite puisquechaque groupe a à cœur de défendre les intérêts de ses membres et il apparaît impossibled'obtenir l'unanimité entre tous. L'analyse des moyens utilisés par les groupes de lobbyingnous permettra par la suite de comprendre comment certains groupes arrivent mieux àimposer leurs idées que d'autres.

Il reste néanmoins difficile de définir ce qu'est un groupe de lobbying. « Qu'y a-t-il de commun entre un syndicaliste, un militant des droits de l'homme, un consultanten affaires publiques, un porte-parole d'une fédération professionnelle, un salarié d'une

171 Voir chapitre deux172 Schmedes, Hans-Jörg, op.cit.

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ONG, un représentant étudiant ? ». 173 La définition que nous retiendrons ici sera

celle d'une organisation qui regroupe des membres ou s'adressant à des acteurs (qui nesont pas nécessairement membres) partageant les mêmes intérêts et qui a pour activitésprincipales la défense de ces intérêts et la diffusion d'informations et de conseils. Lesgroupes de lobbying disposent d'outils divers afin de faire valoir leurs revendications :« le lobbying recouvre en effet une large palette d'actions qui emprunte à différentsmétiers de la communication, du marketing et des relations publiques et qui nécessite descompétences diverses ».174 L'exemple de la controverse relative aux feux tricolores vientillustrer parfaitement cette diversité d'actions à laquelle les groupes de lobbying peuventrecourir. Nous nous intéresserons à ces différentes possibilités ultérieurement.

S'ils sont très divers et représentent l'ensemble des acteurs de la sphère civile, lesgroupes de lobbying bénéficient d'une légitimité et d'une autorité variables. Nous nousconcentrerons principalement autour de deux grandes catégories : d'une part les lobbyingséconomiques/industriels qui sont très spécialisés, d'autre part, les groupes de lobbyingpour les consommateurs qui sont, eux, plus généraux. Parmi ces derniers, on distinguecinq groupes défendant la protection des consommateurs : le BEUC – Bureau Européendes Unions de Consommateurs, Euro Coop, AEC - Association of European Consumers,COFACE - Confédération des Organisations Familiales de l'Union Européenne et ANEC -Association Européenne pour la Coordination de la Représentation des Consommateursdans la Normalisation. Le BEUC est l'acteur majeur au poids le plus important. Avec l'AEC,c'est également le seul groupe recevant un financement de la part de la Commissioneuropéenne. Les autres groupes sont financés par l'adhésion de leurs membres. Tous cesreprésentants d'intérêts sont susceptibles de s'emparer de thématiques très diverses, quipeuvent avoir trait à la santé, à l'environnement mais aussi aux transports ou à la propriétéintellectuelle.

Les lobbyistes industriels sont eux plus spécialisés : des groupes tels que la CIAArassemblent un éventail très large d'industries agro-alimentaires qui diffèrent par letype d'aliments produits. Mais les entreprises sont également représentées selon leurchamp d'activité : il existe ainsi une association européenne des industries laitières,la Confédération Internationale de la Boucherie et de la Charcuterie (CIBC) ou encorel'Association internationale des producteurs de chewing-gums. Nous le voyons, lespossibilités d'adhésion pour les entreprises sont très variées, ce qui explique que certainesindustries soient membres de plusieurs groupes de lobbying simultanément.

Le lobbying est une activité qui a certes pris de l'ampleur avec la constructioneuropéenne mais elle se retrouve également au niveau national. Les représentantsd'intérêts évoluent ainsi à deux niveaux. Le système allemand prévoit que les représentantsd'intérêts doivent obligatoirement s'enregistrer auprès du Parlement afin de pouvoir parla suite entretenir des relations avec les comités parlementaires. La démarche resteentièrement libre et facultative mais les groupes ne s'étant pas inscrits ne pourront pasaccéder aux auditions du Bundestag. Néanmoins, cette inscription ne leur garantit pas unaccès automatique aux auditions parlementaires. Parallèlement, les députés du Bundestagsont dans l'obligation depuis 1972 de produire une déclaration écrite de leurs activités extra-parlementaires, que celles-ci soient l'exercice d'une profession, la participation à un comitéd'entreprise, à un syndicat ou encore à des associations.

173 Michel, Hélène (dir.), « Un groupe en pratiques, les pratiques d'un groupe » in Lobbyistes et lobbying de l'Union européenne.Trajectoires, formations et pratiques des représentants d'intérêts, Presses universitaires de Strasbourg, 2005

174 Ibid. p.16

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175 176

Des associations comme la Verbraucherzentrale ou Foodwatch ne seraient a prioripas considérées comme des groupes de lobbying car elles ne représentent pas desintérêts particuliers mais ont plutôt « tendance à être orientées vers l'intérêt général ».177

Néanmoins, les actions que vont développer ces deux associations remettent en causeleur fonctionnement originel. Tant à l'échelle européenne, via notamment le BEUC dontla Verbraucherzentrale est membre, mais surtout à l'échelon national allemand, les outilsutilisés se rapprocheront de ceux des groupes de lobbying traditionnels comme nous allonsle voir maintenant.

II.B. L'inégale répartition du « pouvoir de parole » 178

La production des politiques publiques s'est ouverte à des acteurs de la sphère civilequi participent à des forums de discussion, des débats ou qui rencontrent directementles décideurs politiques. Néanmoins, ces acteurs doivent faire face à une asymétrie deressources et c'est ce que nous nous proposons de mettre en évidence maintenant enanalysant le poids et le rôle des acteurs ayant participé aux controverses sur les feuxtricolores.

La présence de deux points de vue relatifs au système nous permet d'introduire la notionde coalition de cause. En effet, les acteurs de chaque « camp » vont se regrouper afin dedonner plus de poids à leurs revendications. La définition de « coalition de cause » a étédéveloppée par Paul Sabatier pour qui « la prise de décision en matière de politique publiquepeut être mieux comprise comme une compétition entre coalitions de cause, chacune étantconstituée d'acteurs provenant d'une multitude d'institutions (leaders de groupes d'intérêts,agences administratives officielles, législateurs, chercheurs et journalistes) qui partagent unsystème de croyances lié à l'action publique et qui s'engagent dans un effort concerté afinde traduire des éléments de leur système de croyances en une politique publique. »179 Nousnous trouvons donc en présence de deux coalitions de cause : d'une part les associationsde consommateurs, d'autre part la coalition formée par les représentants industriels. Nousallons voir maintenant que les acteurs en faveur du système des feux tricolores doivent faireface à une coalition plus faible en raison de leur poids financier restreint et de leur effectifréduit.

Dans le cadre du processus d'élaboration du projet de loi, la députée Renate Sommera été amenée à rencontrer en amont de nombreux acteurs, civils ou politiques. Mais cesderniers étaient très disparates et surtout inégalement représentés. En effet, les deuxprincipaux moyens utilisés par la plupart des lobbyistes pour faire valoir leurs intérêts sontles entretiens directs avec les hommes politiques, ainsi que les courriers d'informationet de revendication. Cette démarche se retrouve pour l'ensemble des représentantsd'intérêts étant intervenus suite à la proposition d'instauration du système des feux tricolores

175 Schmedes, Hans-Jörg, op.cit. p. 245176 Schmedes, Hans-Jörg, op.cit. p. 127177 Speth, Rudolf, « Das Bezugssystem Politik – Lobby- Öffentlichkeit », in « Lobbying und Politikberatung », Aus Politik undZeitgeschichte, Frankfurt am Main, Bundeszentrale für politische Bildung, 19/2010178 Lascoumes, Pierre, 1998, op.cit. p. 53

179 Sabatier Paul A., Schlager Edella. « Les approches cognitives des politiques publiques : perspectives américaines », Revuefrançaise de science politique, 50e année, n°2, 2000. pp. 209-234.

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mais les associations de consommateurs ont dû développer d'autres techniques afind'augmenter leurs chances d'être entendues. Pour une association comme Foodwatch,créée en 2002, le principal enjeu réside dans la capacité à acquérir une visibilité etune crédibilité à l'échelle nationale. En effet, Foodwatch est une petite structure dont lesfinancements reposent uniquement sur les contributions des membres. Comparativementaux représentants d'industries agro-alimentaires, les sommes susceptibles d'être engagéespour la défense des intérêts sont donc réduites. Il lui faut alors réussir à capter l'attention desmédias pour espérer que l'opinion publique soit alertée par les thèmes qu'elle défend. Parailleurs, l'ancienneté de certaines associations leur assure des contacts précieux auprèsdes décideurs publics, que ce soit à l'échelle nationale allemande ou européenne. Nousavons vu que les représentants d'intérêts allemands avaient des entrées au Bundestags'ils s'étaient préalablement inscrits. Mais pour qu'ils parviennent à faire valoir leursrevendications, il faut que les députés soient habitués à leur présence et sensibilisés à leursactions. De fait, l'écho que trouvent les groupes auprès des politiques varie selon les partispolitiques. Les défenseurs des droits des consommateurs ou les groupes luttant pour laprotection de l'environnement seront ainsi plus proches du SPD ou des Verts.

Afin de pallier leurs capacités financières moindres par rapport aux représentantsindustriels, les associations de consommateurs vont se baser, d'une part sur leurexpérience, et d'autre part sur des études menées en leur nom par des chercheurs et desinstituts de sondage. Nous retrouvons ici la problématique des experts : afin de donner unevaleur scientifique à leurs opinions, les acteurs de la sphère publique vont faire appel à destravaux d'expertise. Le recours à des médecins ou des chercheurs en sciences sociales quivont appuyer leurs arguments sera une base solide pour porter le débat à l'arène publiqueet faire valoir leur voix face à celle des groupes de lobbying. Cette base scientifique etmédicale sera étayée par des sondages réalisés régulièrement. Si nous nous intéressons àla diversité des représentants d'intérêts qui sont intervenus auprès de Renate Sommer, forceest de constater que la proportion de lobbyistes industriels est considérablement plus élevéeque celle des associations de consommateurs. Ceci se justifie en partie par la diversificationplus importante du lobbying économique : les représentants de consommateurs brassentdes thèmes très larges et en Allemagne, la Verbraucherzentrale, présente sur la scènepublique depuis 1961, constitue l'interlocutrice principale des décideurs publics.

Dans la situation qui nous intéresse, le ratio très largement en faveur des industrielsa conduit les associations de consommateurs à réfléchir à d'autres outils pour faire valoirleur revendications. Pour cela, elles se sont largement appuyées sur le soutien de l'opinionpublique allemande. L'accent a été mis sur la volonté exprimée par les Allemands de voir lesystème des feux tricolores introduit à l'échelle européenne ou à défaut en Allemagne. Pourcela, Foodwatch va charger des instituts de sondage de réaliser en son nom des enquêtesd'opinion par rapport à la législation en matière d'étiquetage nutritionnel que souhaite lasphère civile. Entre mars 2008 et juillet 2009, l'association va s'appuyer sur trois sondageseffectués pour son compte ainsi que sur deux enquêtes réalisées par le BMELV. Foodwatchva ainsi attirer l'attention des médias et du gouvernement en rappelant les résultats de cesétudes. En juillet 2009, 69 % des personnes interrogées souhaitaient que le gouvernementallemand se prononce en faveur du système des feux tricolores (contre 67 % en janvier2009).180 C'est à partir de ces sondages que les associations vont construire leur légitimité.En effet, elles mettent en évidence la volonté exprimée par les citoyens et la positionofficielle du BMELV qui semble ne pas en tenir compte. Cet écart entre les deux réalités vapermettre à Foodwatch et à la Verbraucherzentrale de pointer du doigt le fait qu'elles soient

180 Emid Umfrage Juli 2009 im Auftrag von Foodwatch

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Chapitre 3 : La sphère publique en mouvement : rapports de force et concurrence entre coalitionsde cause

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les seuls acteurs représentant réellement l'opinion publique allemande. Afin de ne pas sevoir reprocher de manquer d'objectivité, les deux associations se réfèrent également à desétudes menées par des universitaires qui confirment la préférence des citoyens allemandspour les feux tricolores par rapport au système des GDA. C'est le cas par exemple de l'étuderéalisée par l'université de Münster en mai 2010.181 Foodwatch s'est également lancéetrès tôt (dès février 2008) dans une vaste campagne de participation à destination de lapopulation. Jusqu'en décembre 2008, près de 58 000 personnes ont répondu à l'appel del'association via l'envoi de courriels. Malgré le succès rencontré, l'association a décidé declore la campagne de participation en raison du rejet définitif et intransigeant des députés.

La Verbraucherzentrale a pris l'initiative de proposer un site internet recensantplusieurs produits classés selon le modèle des feux tricolores. Les consommateurs peuventégalement participer en envoyant les données pour les produits qu'ils aimeraient voir testés.

« Le site internet ne remplace pas les feux tricolores, c'est juste une aide pour leconsommateur afin qu'il puisse mieux juger de la valeur nutritive des aliments »182

L'association le reconnaît elle-même, il ne s'agit pas de pallier l'absence de législationconcernant les feux tricolores. Cette initiative vise à sensibiliser le consommateur et àlui fournir des réponses pour certains aliments, néanmoins, le site internet ne peut pasprétendre à l'aspect pratique et à la comparaison facilitée entre les aliments que permettraitle système.

Ces dispositions prises par Foodwatch et la Verbraucherzentrale trouvent un échopositif dans les médias qui relayent leur point de vue et accentuent la différence entre ceque souhaitent les Allemands et ce que décide le gouvernement. L'attention portée par lesjournaux à cette thématique trouve un nouvel essor après que l'entreprise Frosta a décidéd'introduire le système à quatre de ses produits.

Parallèlement, les lobbyistes industriels vont renouveler leur pression sur legouvernement et les députés européens. Ainsi, en décembre 2008, la DIHK, le BLL ainsi queplusieurs autres représentants d'intérêts industriels s'unissent pour publier un communiquéafin d'« empêcher une sur-régulation et une mise sous tutelle du consommateur » etde dénoncer « une attaque massive dans la concurrence économique ». Ils y rejettentcatégoriquement le système des feux tricolores estimant qu'il s'agit d'une atteinte à la libre-décision des consommateurs. Ils mettent en avant le fait que le consommateur est capablede prendre de lui-même des initiatives : « chaque consommateur peut retourner le produitpour lire les informations ».183 Les associations d'industriels dénoncent ainsi le paternalismeet l'infantilisation des consommateurs qui est produite avec le système des feux tricolores.Nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises le fait que les lobbyistes industriels étaient enmesure de dégager des finances considérables afin d'avoir une influence plus importantesur les décideurs publics. L'organisation CEO (Corporate Europe Observatory) a ainsidénoncé une campagne ayant coûté un milliard d'euros à la CIAA.184 Ces données sonttoutefois à prendre avec précaution étant donné qu'elles sont fournies par une organisation

181 Studienbericht – Akzeptanz und Nutzung von Nährwertkennzeichnung auf Lebensmitteln durch Konsumenten, Münster,März 2010

182 Entretien avec Barbara Schroeter, Verbraucherzentrale183 Positionspapier « Überregulierung und Verbraucherbevormundung bei Lebensmitteln verhindern », DIHK et BLL (entre

autres), décembre 2008. Disponible sur le site de la DIHK : http://www.dihk.de/themenfelder/184 CEO, « A red light for consumer information. The food industry's €1-billion campaign to block health warnings on food »,

Juin 2010

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ouvertement anti-lobbyiste qui cherche donc à convaincre l'opinion publique des « dangers »que représente le lobbying. Nous pouvons néanmoins affirmer que le poids des groupesindustriels était sans commune mesure avec celui des associations de consommateurset que cette asymétrie de visibilité a joué en leur faveur. Au-delà de la seule force desarguments exposés par les deux parties, la capacité qu'avaient les coalitions à se faireentendre a largement influé le vote du 16 juin 2010.

Nous avions évoqué que l'action publique avait connu un développement qui avaitlaissé de la place aux acteurs de la sphère civile, ces derniers disposant de plus depossibilités pour faire entendre leur voix et participer activement à la mise en œuvredes politiques publiques, notamment grâce à la mise en place de débats publics ou de« forums ». Force est de constater que la mobilisation qui a eu lieu en Allemagne relativeaux feux tricolores n'a pas engendré la naissance de tels forums de discussion. Lesacteurs ont évolué exclusivement dans des sphères fermées, créant des réseaux qui ne secôtoyaient pas. Les discussions menées avaient lieu uniquement dans un cadre bilatéral,entre sphère politique et un acteur de la sphère civile. Les deux coalitions de cause forméespar les associations de consommateurs et les représentants d'industriels n'ont jamais étéamenées à se rencontrer. La confrontation d'arguments n'a pu se réaliser que grâce à desintermédiaires (les médias).

Nous avons pu mettre en évidence l'existence de deux coalitions de cause qui sesont affrontées afin de faire valoir leurs intérêts respectifs. Mais les acteurs qui étaientpartie prenante de ces coalitions ne disposaient pas des mêmes ressources ni de la mêmevisibilité, ce qui a favorisé les représentants d'industriels au détriment des associationsde consommateurs. Celles-ci ont donc dû développer de nouveaux outils afin de mettreen évidence le soutien dont elles bénéficiaient de la part de la population. L'argumentairequ'elles ont construit était essentiellement axé sur la dénonciation de la recherche deprofits par les industriels aux dépens de la santé des consommateurs. Elles ont misen avant la commodité que représentait le système des feux tricolores et le fait qu'ilspuissent être compris et utilisés par tous les individus, quelque soit leur niveau d'éducationou de formation. À l'inverse, les lobbyistes industriels dénoncent l'absence de preuvesscientifiques quant à la validité et l'efficacité du système.

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Conclusion

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Conclusion

Plus de dix ans après l'alerte lancée par l'OMS quant à la progression de l'obésité, lesscénarios actuels ne sont guère optimistes, la dernière décennie n'ayant fait que renforcerle nombre des pays touchés par l'épidémie et l'ampleur de celle-ci. L'obésité est certesdésormais prise au sérieux par la sphère politique, en témoigne par exemple l'adoption enFrance en juillet 2011 du Plan obésité 2010-2013. Grâce au processus de médicalisationqui a conféré le statut de risque pour la santé publique à cette maladie, l'obésité a acquisune visibilité sur le plan médiatique. L'image de culpabilité auparavant véhiculée tend às'estomper même si elle n'a pas totalement disparu des représentations collectives. Mais lalutte contre cette épidémie pâtit toujours d'un manque de coordination.

L'objectif de ce travail était ainsi principalement de mettre en évidence les obstaclesqui s'érigent dans le traitement de l'obésité par les politiques. La sensibilisation sur lesenjeux capitaux que soulève la thématique est loin d'être achevée et la marge de manœuvredisponible pour lutter contre cette épidémie est relativement faible dans une sociétégouvernée par la recherche de profits. La transversalité de la problématique compliqueen effet la mise en œuvre de politiques publiques efficaces, puisqu'à la nécessité defreiner la progression de la maladie s'ajoute la prise en compte des intérêts économiquessusceptibles d'être touchés par la promotion de nouvelles pratiques alimentaires. Ensensibilisant les individus sur l'intérêt qu'ils retirent à diminuer (sans pour autant supprimer)leur consommation des aliments les plus riches en sel, sucre et graisses, les décideursprennent également le risque de voir les ventes de ces produits affectées, ce qui pourraitêtre préjudiciable à l'activité économique. Toute la difficulté réside donc dans l'équilibreà trouver entre santé économique et santé des consommateurs.185 Lutter contre l'obésitérevient à lutter contre un modèle social qu'il apparaît difficile de réformer. Axées autour de laconsommation et d'un mode de vie relevant essentiellement de la sédentarité, les sociétésactuelles ne parviennent pas à adapter leurs pratiques alimentaires à l'évolution qu'elles ontconnue. Les politiques de prévention mises en place dans les différents pays européens nesuffisent pas à convaincre l'ensemble des acteurs de la nécessité de s'engager plus encoredans la lutte contre l'obésité. L'existence d'un dénominateur commun en ce qui concerne lesmoyens à utiliser semble un objectif difficilement accessible. L'unanimité est certes acquisesur la volonté d'enrayer le phénomène mais ne conduit pas pour autant à la mise en œuvred'actions concertées. La fragmentation de la production des politiques publiques, accentuéeavec le développement des compétences relevant de l'Union européenne, participe à lamultiplicité d'acteurs concernés et éloigne donc encore un peu plus la possibilité de trouverun accord. Le fait que les États-membres aient choisi de conserver leur souveraineté totaleen matière de santé publique rend impossible toute politique commune de lutte contrel'obésité. Les mesures proposées n'ont pas de valeur coercitive et restent à la discrétiondes pays européens. Par ailleurs, l'alimentation a longtemps été perçue comme un domaineentièrement réservé à la sphère privée, ce qui a contribué à la difficulté de placer l'obésité àl'agenda politique. À travers le cas de l'Allemagne, nous avons pu percevoir les réticencesexprimées par de nombreux politiques quant à la légitimité réelle que peut avoir l'État às'emparer d'une telle thématique. La mise à l'agenda de l'obésité au niveau européen a

185 Delpeuch, Francis, Tous obèses ?, Paris, Dunod, 2006

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contribué à questionner le rôle des politiques publiques alimentaires et a engendré uneredéfinition des objectifs de celles-ci.

Ces interrogations ont été reprises suite à la proposition de mettre en place le systèmedes feux tricolores. Le projet a engendré des conflits tels que l'UE et avec elle l'Allemagnen'en avaient pas connu depuis longtemps. Si le système avait pour objectif initial depromouvoir une meilleure alimentation, et donc de participer à la lutte contre l'obésité, lescontroverses qui ont surgi ont dépassé le seul cadre de cette lutte pour laisser place à undébat plus général sur l'influence de certains groupes de lobbying. La mise à l'agenda del'obésité a permis à l'action publique allemande de se diversifier en incluant des acteurs nonpolitiques. Mais la mobilisation qui s'est créée a permis de révéler le caractère inégal del'ouverture de la production des politiques publiques aux acteurs de la sphère civile, domainetraditionnellement réservé aux seuls décideurs politiques. L'influence de ces acteurs resteen effet dépendante des ressources dont ils disposent et de la légitimité qu'ils ont réussià se construire.

Enfin, l'efficacité des politiques de prévention de l'obésité reste soumise au degré departicipation des individus qui est une variable inconnue. Sans réelle valeur coercitive,les mesures adoptées démontrent certes l'intérêt des décideurs politiques pour laproblématique mais ne parviennent pas à mobiliser suffisamment les citoyens et font ainsil'objet de critiques lors de leur évaluation.

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La santé au coeur des enjeux économiques : quand l'obésité devient politique. Conflits etcontroverses autour des politiques alimentaires en Allemagne

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Livre blanc « Une stratégie européenne pour les problèmes de santé liés à la nutrition,la surcharge pondérale et l'obésité », Commission des Communautés Européennes,COM (2007), 279 final

Articles de journaux

Le Monde, « L'obésité a quasiment doublé en trente ans dans le monde »,4 février 2011. [en ligne]. Consultable sur internet : http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/02/04/l-obesite-a-quasiment-double-en-trente-ans-dans-le monde_1474955_3244.html > [consulté le 08.08.11]

Frankfurter Allgemeine Zeitung, "Eine Ampel für Zucker, Salz und Fett", 7 juin2009. [en ligne]. Consultable sur internet :

Die Welt, "Heftiges Ringen um die "Ampel" für Lebensmittel", 4 juin 2009 [en ligne].Consultable sur internet :

Der Spiegel, "Krankenkassen fordern Lebensmittelampel", 27 août 2009[en ligne]. Consultable sur internet : http://www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/0,1518,645286,00.html

Amann, Susanne, "Kinderärtze mobilisieren gegen Lebensmittelindustrie", 15 mars2010, Der Spiegel, [en ligne]. Consultable sur internet : <http://www.spiegel.de/wirtschaft/service/0,1518,683330,00.html> [accédé 29 Janvier 2011].

‘Amann, Susanne, "Ampelkennzeichnung: Anti-Fett-Allianz rebelliert gegenLebensmittelbranche", 19 février 2010, Der Spiegel <http://www.spiegel.de/wirtschaft/service/0,1518,678781,00.html> [accédé 29 Janvier 2011].

Amann, Susanne, "Aigner-Beraterin stellt sich gegen ihre Ministerin", 08 septembre2009, Der Spiegel [en ligne]. Consultable sur internet : http://www.spiegel.de/wirtschaft/soziales/0,1518,647487,00.html [ consulté le 10.02.11]

Teevs, Christian, "Lebensmittelampel : Wie Aigner die Verbraucher mit einer Umfragetäuschte", Der Spiegel, [en ligne], 4 novembre 2010. Consultable sur internet :

<http://www.spiegel.de/wirtschaft/service/0,1518,726724,00.html> [accédé 29 Janvier 2011].

Sites internet

www.bmelv.de : Ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la protection desconsommateurs

www.bmg.de : Ministère de la Santé

www.foodwatch.de : Association de consommateurs Foodwatch

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Bibliographie

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www.verbraucherzentrale.de : Association de consommateurs

www.europa.eu : Site internet de l'Union européenne

www.euro.who.int : Site internet de la délégation européenne de l'OMS

www.bpb.de : Bundeszentrale für politische Bildung

www.dihk.de : Deutscher Industrie- und Handelskammertag

www.bll.de : Bund für Lebensmittelrecht und Lebensmittelkunde e.V.

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La santé au coeur des enjeux économiques : quand l'obésité devient politique. Conflits etcontroverses autour des politiques alimentaires en Allemagne

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Annexes

[A consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politques de Lyon]

∙ Entretiens∙ Tableau explicatif du système des feux tricolores∙ Livre vert « Promouvoir une alimentation saine et l'activité physique : une dimension

européenne pour la prévention des surcharges pondérales, de l'obésité et desmaladies chroniques

∙ Charte européenne sur la lutte contre l'obésité∙ Rapport du Parlement∙ Conclusions du Conseil de 2002

Liste des abréviations∙ AJR : Apports Journaliers Recommandés∙ BEUC : Bureau Européen des Unions de Consommateurs∙ BLL : Bund für Lebensmittelrecht und Lebensmittelkunde∙ BMBF : Bundesministerium für Bildung und Forschung∙ BMELV : Bundesministerium für Ernährung Landwirtschaft und Verbraucherschutz∙ BMG : Bundesministerium für Gesundheit∙ CIAA: Confédération des Industries Agro-Alimentaires de l'UE∙ CDU/ CSU : Christlich Demokratische Union / Christlich Soziale Union∙ DG : Direction Générale∙ DIHK : Deutscher Industrie- und Handelskammertag∙ FDP : Freie Demokratische Partei∙ FSA : Food Standard Agency∙ GDA : Guidelines Daily Amounts∙ IMC : Indice de Masse Corporelle∙ OMS : Organisation Mondiale de la Santé∙ PAC : Politique Agricole Commune∙ PPE : Parti Populaire Européen∙ SPD : Sozialistische Partei Deutschlands∙ UE : Union Européenne∙ VZ : Verbraucherzentrale

Liste des entretiens

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Annexes

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∙ Barbara Schroeter, chargée des questions d'alimentation à la VerbraucherzentraleSaarbrücken

∙ Renate Sommer, députée européenne (Parti Populaire Européen), rapporteur devantle Parlement européen du projet de loi sur la réforme de l'étiquetage nutritionnel

∙ Mmes B. et L., fonctionnaires au sein de la Direction Générale de la Santé et de laProtection des Consommateurs de la Commission européenne (DG SANCO), unité« nutrition et aspects nutritionnels de l'étiquetage »

∙ Mme T., chargée des questions d'alimentation et de distribution alimentaire pour legroupe Eurocoop

∙ Friederike Ahlers, porte-parole de l'entreprise Frosta∙ Hans-Michael Goldmann, député FDP au Bundestag, président du Comité

parlementaire pour l'alimentation, l'agriculture et la protection des consommateurs.∙ Christiane Schäfer, au nom de Ulrike Höfken, ministre de l'environnement, de

l'agriculture, de l'alimentation, de la viticulture et des forêts du Land de Rhénanie-Palatinat et députée Die Grünen/Bündnis 90 au Bundestag