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Publié par : Published by: Publicación de la: Faculté des sciences de l’administration Université Laval Québec (Québec) Canada G1K 7P4 Tél. Ph. Tel. : (418) 656-3644 Télec. Fax : (418) 656-7047 Édition électronique : Electronic publishing: Edición electrónica: Aline Guimont Vice-décanat - Recherche et affaires académiques Faculté des sciences de l’administration Disponible sur Internet : Available on Internet Disponible por Internet : http://rd.fsa.ulaval.ca/ctr_doc/default.asp [email protected] DOCUMENT DE TRAVAIL 2006-021 FINANCE, STRATÉGIE ET GOUVERNANCE Jacques SAINT-PIERRE Version originale : Original manuscript: Version original: ISBN 2-89524-273-9 Série électronique mise à jour : On-line publication updated : Seria electrónica, puesta al dia 09-2006

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Faculté des sciences de l’administration Université Laval Québec (Québec) Canada G1K 7P4 Tél. Ph. Tel. : (418) 656-3644 Télec. Fax : (418) 656-7047

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Aline Guimont Vice-décanat - Recherche et affaires académiques Faculté des sciences de l’administration

Disponible sur Internet : Available on Internet Disponible por Internet :

http://rd.fsa.ulaval.ca/ctr_doc/default.asp [email protected]

DOCUMENT DE TRAVAIL 2006-021 FINANCE, STRATÉGIE ET GOUVERNANCE

Jacques SAINT-PIERRE

Version originale : Original manuscript: Version original:

ISBN – 2-89524-273-9

Série électronique mise à jour : On-line publication updated : Seria electrónica, puesta al dia

09-2006

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Jacques Saint-Pierre Professeur titulaire Département de finance et assurance Faculté des sciences de l’administration, Université Laval Directeur-fondateur du LABVAL Membre du Conseil de l’Autorité des Marchés Financiers.

RÉSUMÉ

FINANCE, STRATÉGIE ET GOUVERNANCE

Dans cet article, nous présentons un Schéma de Création de Valeur (SCV) qui fournit une vue intégrée du processus de création de valeur utile aussi bien aux administrateurs, aux décideurs qu’aux analystes financiers. Il répond aux besoins d’un référentiel, d’une transformation en connaissances de l’information, manifestés par les praticiens dans leur volonté de lier la réflexion stratégique et la finance corporative. Une responsabilité fiduciaire fondamentale des conseils d'administration est d’approuver les stratégies qui maximiseront la richesse des actionnaires. Les administrateurs doivent évaluer et choisir les stratégies qui créeront et augmenteront la valeur de l'entreprise. “ Maximiser la richesse des actionnaires ” est plus qu'une expression populaire. C'est la mesure de succès que doivent adopter les entreprises. Un conseil d’administration dynamique peut ajouter de la valeur à une entreprise en étant lui-même un avantage concurrentiel. De plus, parce que les analystes financiers et la plupart des modèles qu’ils utilisent n’expliquent pas suffisamment les hypothèses à l’origine de leurs calculs (facteurs qui structurent l’industrie, position concurrentielle de l’entreprise, options réelles que possède l’entreprise et flexibilité qu’elle a de les exercer), ils ne facilitent pas le dialogue entre ceux qui manient les techniques de valorisation et ceux qui, au sein de l’entreprise, maîtrisent souvent le mieux les ressorts de l’analyse stratégique. L’objectif principal de cet article est de combler ces lacunes en présentant un référentiel qui intègre les apports de l’analyse stratégique et de l’analyse financière et qui réponde aux préoccupations telles que formulées récemment par le Chief Investment Strategist de Legg Mason Capital Management : « …there’s almost no way to do intelligent valuation work without a good competitive strategy framework. In business school, you learn your DCF valuation in your finance class. Then you shuffle down the hall to the strategy class and learn about the five forces and value chains. And no one back in those days would say, “Well, we should be doing these things together and at the same time.” But the longer I’ve been in this business, the clearer it’s become to me that your competitive strategy framework should inform and help shape your valuation approach. I recently attended a conference with 150 leading strategy academics. I think I was the only non-academic, and there was no discussion of valuation. The litmus test of a good strategy is whether it creates value, and so corporate strategists need to have a good grasp of the principles of valuation—and by that I mean not just DCF, but also the idea of real options. » Michael Mauboussin (Chief Investment Strategist at Legg Mason Capital Management. Antérieurement, Chief U.S. Investment Strategist at Credit Suisse First Boston Corporation). Journal of Applied Corporate Finance, Vol. 18, No. 1, Winter 2006, pp.54-81. From Stock Selection to Portfolio Alpha Generation: The Role of Fundamental Analysis. An investor roundtable sponsored by Columbia University’s Center for Excellence in Accounting and Security Analysis. Septembre 2006

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Finance, stratégie et gouvernance

Une responsabilité fiduciaire fondamentale des conseils d'administration est d’approuver les stratégies qui maximiseront la richesse des actionnaires. Les administrateurs doivent évaluer et choisir les stratégies qui créeront et augmenteront la valeur de l'entreprise. “ Maximiser la richesse des actionnaires ” est plus qu'une expression populaire. C'est la mesure de succès que doivent adopter les entreprises. Un conseil d’administration dynamique peut ajouter de la valeur à une entreprise en étant lui-même un avantage concurrentiel. L’analyste financier externe qui doit juger de la valeur d’une entreprise est soumis aux mêmes réalités que les administrateurs et les dirigeants. Seul diffère l’ensemble d’informations dont il dispose.

Dans cet article, nous présentons un Schéma de Création de Valeur (SCV, figure 1) qui fournit

une vue intégrée du processus de création de valeur essentielle1 aux administrateurs qui veulent jouer pleinement leur rôle2. Ce schéma répond au besoin d’un référentiel, d’une transformation en connaissances de l’information, manifesté par les administrateurs dans leur volonté de lier la réflexion stratégique et la finance corporative3.

1. LE SCHÉMA DE CRÉATION DE VALEUR (SCV)

Ce schéma4 se compose de cinq parties majeures (blocs) que nous survolerons dans un premier temps

pour ensuite les étudier en détail.

1 « [D]irectors must continuously learn about the company. And they must all have the same foundation of information for their dialogue to be productive. If they cannot get the right information efficiently and in the right form, the best board dynamics in the world won’t help the board get its job done. » (p.21) Aussi, «Unfortunately, Liberated boards often find the quantity, substance, or format of information they receive to be inadequate. Worse, directors on the same board often have different views on what information is desirable – some want more; some want less. What they can agree on is that the information often falls short in helping them build any insights into the business. » (p.47) Charan, R., Boards That Deliver: Advancing Corporate Governance from Compliance to Competitive Advantage, Jossey-Bass (A Wiley Imprint), 2005. 2 «Boards contribute greatly by ensuring that the company’s strategy is correct for the company, the time, and the industry. One challenge is for all the directors to have the same understanding of the company’s strategy. This is often lacking; different directors on the same board at times articulate vastly different versions of the company’s strategy. Getting to a shared level of understanding is crucial, because strategy is an umbrella covering all of the board’s work, from CEO compensation to oversight of leadership development, monitoring operating performance, and risk assessment. » (p.24) Aussi, «Asking the right questions is at the very heart of good corporate governance. » (p.62) Charan, op.cit. 3 Voir, Creelman, J., Creating the Value-Adding Finance Function, Business Intelligence Report, Economic Intelligence Unit, March 1998. Aussi, Waterhouse, J.H., Bien mesurer la performance de l’entreprise, CaMagazine, mars 1999 (Cet article présente un sondage mené par l’ICCA sur les pratiques de mesure de la performance des sociétés canadiennes).

4 Le Schéma de Création de Valeur fournit les réponses à la plupart des dix questions que présente Ram Charan dans son livre Boards That Deliver: Advancing Corporate Governance from Compliance to Competitive Advantage, op.cit. sous le titre « The Ten Questions Every Director Should Ask ». Ces questions sont : 1. Do you have the right CEO ? 2. How well is the CEO’s compensation linked to actual performance? 3. Do you have a precise understanding of the money-making recipe in the chosen strategy? 4. Is the management team looking at external

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Avec ce schéma, il est possible d'obtenir une image des ramifications informatives d'une décision à analyser et d'augmenter la vitesse de traitement de l'information du décideur. Le flot d'informations qui inonde l administrateur peut l'entraîner dans la procrastination s'il a été formé à l'école rationaliste ou simplement à l'ignorer s'il appartient à celle des fonceurs. Il importe donc de savoir qu'information n'est pas connaissance et que sans un support qui permette de mettre en perspective les composantes informatives d'une décision comme le fait le présent schéma, on ne peut espérer développer ou analyser une stratégie incrémentielle de gestion qui vise à la poursuite des objectifs stratégiques de l'organisation. Ce Schéma constitue le pivot, le socle relativement stable sur lequel viennent se construire des “ vues ” relatives et mouvantes, au gré des changements de produits, d'organisation et de technologie. C'est donc un référentiel par rapport auquel s'apprécieront les transformations qui affecteront la valeur de l’entreprise.

Le premier bloc5 porte sur l'analyse en profondeur de l'entreprise et du milieu concurrentiel à l'intérieur duquel elle opère. Toutes les activités qu'on y trouve ont pour objet d'évaluer le potentiel de croissance des unités stratégiques qui composent l'entreprise.

Un second bloc6 vise à déterminer les options de croissance qui s'offrent à l'entreprise en même temps que la flexibilité qu'elle a quant au moment de la mise en oeuvre de ses stratégies de croissance. Par exemple, est-ce un investissement qui doit être effectué immédiatement ou peut-il être retardé afin de mieux évaluer l'évolution du marché ? C’est la place de l’évaluation des options réelles7 qui serviront à compléter la valeur d’une stratégie ou d’une entreprise. En effet, les décisions d’investissement permettent de transformer une opportunité d’investissement, actif intangible, en un actif réel de l’entreprise.

À partir des informations fournies par les deux premiers blocs, on effectue, dans un troisième bloc8, l'analyse des décisions d'investissement et de financement qui supporteront la stratégie considérée, toujours selon l'objectif de maximiser la valeur de l'entreprise.

trends and diagnosing the opportunities and threats presented? 5. What are the sources of organic growth? 6. How rigorous is the process for developing the leadership gene pool? 7. Do you have the right approach to diagnosing financial health? 8. Are you examining measures that capture the root causes of performance? 9. Do you get bad news from management in time and unvarnished? 10. How productive are executive sessions? Précisément, le SCV répond directement aux questions # 3, 4, 5, 7, 8 et indirectement aux questions # 1 et 2. 5 Le premier bloc (voir fig.1) va des Avantages informatifs à la Matrice position concurrentielle/Attrait du marché. 6 Intitulé Options de croissance et flexibilité d’exercer les options. 7 Les options réelles (ou, options d’actif) s’interprètent par analogie avec les options sur les actions inscrites à la cote d’une Bourse. L’évaluation d’options réelles est une forme générique de prise de décision dont la valeur actuelle nette (VAN) et l’analyse par arbre de décisions ne sont que des cas particuliers. En effet, une opportunité d’investissement peut être assimilée à une option : l’entreprise a le droit et non pas l’obligation d’entreprendre un investissement d’un montant donné (le prix d’exercice) pendant une période donnée (la période d’exercice). La théorie des options permet de palier l’incapacité des critères standards à intégrer les caractéristiques optionnelles de la plupart des projets d’investissement. 8 Intitulé Maximisation de la richesse des actionnaires.

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FIGURE 1 SCHÉMA DE CRÉATION DE VALEUR

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Après ces trois premières étapes, constituées par autant de blocs, on en arrive à un point important du processus d'analyse de la création de valeur au quatrième bloc9 : le calcul de la valeur intrinsèque des opérations et des fonds propres de la société par le chemin de la valeur économique ajoutée ou par celui des flux monétaires libérés. C'est ici que l'on quantifiera la contribution d'une stratégie à la valeur de l'entreprise.

Enfin, dans un cinquième et dernier bloc, on comparera, pour les sociétés ouvertes, la valeur intrinsèque des fonds propres à la valeur marchande pour analyser tout écart positif ou négatif. Reprenons maintenant, plus en détail, chacun des blocs.

2. LA TRAJECTOIRE STRATÉGIQUE (BLOC NO 1)

Bien que, graphiquement, le premier bloc soit constitué d'une suite logique de modules10 qui s'emboîtent, l'analyse n'a pas à être aussi rigide. Le but visé, dans ce premier bloc, est de pouvoir situer chaque unité d'activités stratégiques (UAS) de l'entreprise sur une grille, comme celle qui apparaît à la figure 2, où les axes sont l'un, la position concurrentielle actuelle et désirée et l'autre, l'attrait actuel et futur du marché et de pouvoir en tirer une trajectoire stratégique fondée sur un ou des avantages concurrentiels11.

9 Intitulé Valeur économique ajoutée/Évaluation des flux monétaires libérés.

10 Il faut noter ici l’avantage de l’approche modulaire qui permet de tirer profit de l’état des connaissances au moment de l’utilisation du Schéma de Création de Valeur. Ainsi, un décideur qui préférerait remplacer le module portant sur le Positionnement concurrentiel «à la Porter» (que nous verrons plus loin) par une autre approche qui lui paraîtrait plus instructive pourrait le faire sans perturber le référentiel qu’est le Schéma (ni ses collaborateurs d’ailleurs!). On évitera ainsi de remettre en question «tout» le processus d’analyse de la contribution d’une stratégie à la valeur de l’entreprise chaque fois qu’un dirigeant reçoit « les lumières d’un nouveau gourou ». Et il s’en trouve à toutes les étapes du processus de création de valeur. Voir à ce sujet, Rigby, D.K., Is Your Company Balancing One Experiment On top Of Another, Planning Review, Nov.-Dec. 1993, 8-15.

11 La figure 2 représente, à titre d’exemple, le cas d’une entreprise dont la position concurrentielle actuelle est «moyenne» et dont on espère qu’elle passera à «élevée» (axe horizontal) à la suite d’investissements stratégiques. Quant à l’attrait du marché auquel appartient l’UAS, on s’attend à ce qu’il progresse de «faible» à «moyen» selon les informations tirées des analyses de l’environnement dans les blocs précédents. La trajectoire stratégique (indiquée par une flèche) et le potentiel de création de valeur, indicé de 1 à 5, qui l’accompagne indique que l’entreprise ou l’UAS passera d’un niveau 4 à un niveau 2 de création de valeur. Une telle augmentation projetée de valeur devant être substantiellement documentée pour être crédible.

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FIGURE 2 MATRICE POSITION CONCURRENTIELLE/ATTRAIT DU MARCHÉ

Évidemment, la dimension de la matrice et le nom des axes peuvent varier selon les besoins de l’analyse. Ce qui est important, c’est de pouvoir en arriver à posséder une idée claire de la situation concurrentielle actuelle de chaque UAS et de leur potentiel de création de valeur. En effet, étant donné que la valeur d’une entreprise n’augmente que si elle entreprend des investissements dont le rendement est supérieur au coût du capital12 et que de tels investissements ne sont possibles que si l’on possède quelqu’avantage compétitif, il est impérieux de maintenir ou de créer de tels avantages concurrentiels13. Or, ceci n’est réalisable que si l’on possède une connaissance intime de l’environnement concurrentiel de chaque UAS. Les modules au centre du premier bloc (figure 1) montrent qu’on doit d’abord se faire une idée de l’industrie à l’intérieur de laquelle évolue l’UAS. Ce sera l’examen de l’organisation industrielle (qui sera suivi de l’Analyse et du Positionnement concurrentiels) qui est présenté schématiquement à la figure 3.

12 C’est une réalité financière inéluctable que le rapport entre la valeur marchande de l’entreprise et sa valeur comptable dépend de son écart de performance, i.e. de la différence entre son rendement sur son capital et son coût du capital (qui est la moyenne pondérée du coût d’option des fonds propres et des capitaux empruntés).

13 Il n’est pas question ici de ce qui est communément appelé des « facteurs de succès », mais bien d’engagements stratégiques qui génèrent des options que l’entreprise pourra exercer dans le futur. Voir à ce sujet, Ghemawat, Pankaj, Commitment : The Dynamic of Strategy, The Free Press, 1991.

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2.1 Le nouveau schéma de l’organisation industrielle

On retrouve au centre de la figure 3, la méthodologie proposée par Scherer14 qui dépasse l’ancienne dichotomie trop critiquable entre concurrence pure et parfaite et monopole. Le modèle général présenté par Scherer est adapté des travaux antérieurs de Mason15. Les extensions sont de Lawrisky16.

Figure 3 NOUVEAU SCHÉMA DE L’ORGANISATION INDUSTRIELLE

14 Scherer, F.M., Industrial Market Structure and Economic Performance, Rand McNally, Chicago 1971. On trouvera une synthèse des recherches empiriques sur l'entrée, la sortie et la mobilité des entreprises dans Caves, Richard E., Industrial Organization and New Findings on Turnover and Mobility of Firms, Journal of Economic Literature, December 1998, 1947-1982.

15 Mason, E.S., Economic Concentration and the Monopoly Problem, Cambridge, Harvard University Press, 1957.

16 Lawrisky, M.L., Corporate Structure & Performance, Croom Helm, Australia, 1984.

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Lu de bas en haut le schéma central suggère le principe selon lequel la performance d’une entreprise, en tant que créateur de valeur, dépend du type de comportement retenu par les acteurs sur le marché en matière de prix, de stratégie de produit, de R&D, de publicité… La performance est également expliquée non seulement par les comportements individuels des firmes mais encore par l’État et les comportements collectifs des acheteurs. Mais, il convient par ailleurs de souligner, que de tels comportements sont dans une très large mesure le reflet du type de structure de marché qui prévaut.

Les comportements observables sur le marché résultent du degré de concentration, des barrières à l’entrée sous toutes leurs formes, de la structure des coûts, du degré d’intégration verticale des firmes, de la maîtrise qu’elles ont ou non du marché des approvisionnements et des circuits de distribution.

La structure du marché dépend quant à elle, tout du moins en première analyse, des conditions de base prévalant dans l’industrie concernant à la fois les caractéristiques de l’offre et de la demande. Du point de vue de l’offre, la structure du marché dépend des conditions d’accès aux matières premières, à la technologie, au marché des biens d’équipement etc. En ce qui concerne l’aspect demande, la structure du marché résultera de l’existence plus ou moins manifeste de phénomènes de substitution, du taux de croissance de la demande, du fonctionnement plus ou moins satisfaisant du mécanisme des élasticités-prix etc.

Mais il est par ailleurs indispensable de bien comprendre que les comportements des entreprises peuvent modifier la structure des marchés. Une politique de discrimination de prix, un comportement de collusion dans le domaine de la recherche, la constitution de pools de brevets peuvent, entre autres éléments, modifier l’ampleur de l’intégration verticale de l’industrie, le degré d’élévation des barrières à l’entrée et contribuer à accroître la concentration c’est-à-dire le pouvoir économique d’un nombre de plus en plus limité de firmes.

Les changements observables au plan de la structure des marchés ne sont pas eux-mêmes sans effet sur les conditions de base propres à l’offre et à la demande : rôle des stratégies d’intégration amont, des stratégies d’exclusion, influence des comportements individuels et collectifs sur la configuration de la courbe de demande, etc.

Le schéma de Scherer ainsi explicité est itératif et non univoque. Il est toutefois incomplet. En effet, dans le schéma classique de Scherer, on ignore l’importance que peuvent avoir, sur le comportement des participants au marché, les contraintes boursières et l’organisation interne des entreprises. Par exemple, les dirigeants ne peuvent prendre des décisions qui vont à l’encontre de l’intérêt des actionnaires sans devoir en subir les conséquences sur le marché boursier. De même, le marché des prises de contrôle, lorsque les politiques gouvernementales ne l’empêchent pas de jouer efficacement son rôle, est là pour les ramener à l’ordre. Aussi du côté de l’organisation interne des sociétés, on observe toute une panoplie de moyens de contrôle et de motivation pour s’assurer que les mandataires (gestionnaires) prendront des décisions dans l’intérêt des mandants (actionnaires). Le schéma de l’organisation industrielle est donc complété en ajoutant au marché des produits ceux des capitaux et du capital humain. Ce triptyque nous ramène à la définition fondamentale de l’entreprise comme étant un ensemble de transformations physiques, d’information et de valeurs soumises aux contraintes physiques, économiques et sociales que lui impose l’environnement dans lequel elle opère. Il n’y a donc pas que le marché des produits qu’il faut interroger pour évaluer les comportements industriels et déceler les opportunités de croissance.

Cette analyse globale de l’organisation industrielle, dont l’étendue dépendra comme toujours en gestion, des bénéfices et des coûts anticipés de l’étude, permettra d’obtenir une connaissance intime de l’environnement économique à l’intérieur duquel se développent et se développeront les stratégies de l’entreprise et celles de ses concurrents. Tel que l’écrivait si justement Mintzberg: “The best strategists see

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patterns taking shape in their environments. In this way, they find strategies as well as create them”17. C’est pourquoi la connaissance intime de l’environnement économique et social à l’intérieur duquel se jouent les stratégies est inéluctable18 Il ne suffit donc pas d’avoir une connaissance anecdotique d’une industrie. Ainsi, il peut être intéressant de savoir, pour comprendre l’histoire de l’industrie américaine du pneu, que Harvez Firestone était un individu agressif, qui croyait dans les coupures de prix. Toutefois, il est plus important de découvrir les caractéristiques de l’industrie du pneu qui permirent qu’un tel comportement agressif puisse être vraisemblablement une stratégie fructueuse19.

2.2 Le nouveau schéma de l’analyse concurrentielle Après cette première étape portant sur l’environnement auquel appartient l’UAS, on est prêt à

passer à une analyse concurrentielle plus fine qui s’intéressera aux concurrents immédiats de même qu’aux clients et fournisseurs selon le schéma qui apparaît à la figure 4. On reconnaîtra, dans sa partie centrale, le cadre méthodologique préconisé par Porter20. On retrouve, de chaque côté, les influences internes et externes aux entreprises qui viennent moduler les stratégies. Le postulat de base est que dans tout secteur, la concurrence est liée aux structures économiques sous-jacentes comme nous l’avons vu précédemment. Cette concurrence doit être entendue au sens large : elle ne se résume pas à la lutte entre les firmes présentes, mais embrasse également les concurrents potentiels, la menace de produits ou de services de substitution, etc.

17 Mintzberg, H., Crafting Strategy , Harvard Business Review, July-August 1987.

18 On observe d'ailleurs (voir Cave, op.cit.) que les nouveaux venus dans une industrie choisissent d'entrer avec des tailles différentes reflétant à la fois la structure du marché dans lequel ils entrent et leurs aptitudes. Le processus fonctionne comme s'ils obtenaient des « options » (après avoir payé un prix d’entrée non récupérable) de faire ultérieurement des investissements supplémentaires après avoir « appris » (l’information initiale contenant beaucoup de bruits concernant les coûts) ou obtenu les confirmations de leurs aptitudes. Les divers sorts et les nombreuses faillites des nouvelles entreprises reflètent les informations à découvrir et les options à évaluer.

19 Fisher, F.M., Games Economists Play : A Noncooperative View , Rand Journal of Economics , Vol. 20, No. 1, Spring 1989, 113-124.

20 Porter, M.E. Competitive Strategy : Techniques for Analyzing Industries and Competition, The Free Press, 1980.

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FIGURE 4 NOUVEAU SCHÉMA DE L’ANALYSE CONCURRENTIELLE

Les cinq forces qui pèsent sur la concurrence sont illustrées au centre de la figure 4 : l'intensité de la lutte entre les firmes présentes, la menace de nouveaux arrivants, la menace de produits de substitution, le pouvoir des consommateurs ou des clients et le pouvoir des fournisseurs.

L'intensité de chacune de ces forces dépend de certaines caractéristiques dont nous n'en évoquerons que quelques unes.

L'intensité de la lutte entre les firmes établies est déterminée par des facteurs déjà mentionnés précédemment lors de l'examen du nouveau schéma de l'organisation industrielle comme par d'autres tels que la faiblesse du taux de croissance qui pousse les firmes à s'arracher des parts de marché faute de demande nouvelle, l'absence de différenciation des produits qui rend les consommateurs peu fidèles à la marque et intensifie la concurrence par les prix, l'importance des charges fixes qui contraint les entreprises à baisser les prix dès que la demande fléchit et l'innovation technologique qui peut autoriser des baisses importantes de coûts de production pour ne citer que quelques exemples.

La menace de concurrents potentiels sera contrecarrée par l'existence de barrières à l'entrée élevées ou par des actions appropriées de firmes établies. Les premières constituent l'ensemble des difficultés que les concurrents potentiels doivent affronter pour s'établir dans l'industrie, et se traduisent généralement par des coûts d'établissement élevés. Quant aux secondes elles renforcent les barrières à l'entrée. On peut citer comme exemple, le maintien d'un prix de vente à un niveau trop bas pour octroyer un profit aux entrants.

La menace de produits de substitution exerce une pression permanente sur les rendements auxquels peut prétendre une industrie en poussant celle-ci à maintenir des prix compétitifs. L'entreprise doit aussi être attentive aux évolutions technologiques

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susceptibles d'affecter la fonction de ses produits.

Le pouvoir de négociation des acheteurs qui ne sont pas nécessairement des consommateurs sera d'autant plus fort que ceux-ci sont concentrés et/ou achètent en grande quantité, que les produits sont indifférenciés, que ces achats représentent une part élevée de leurs prix de revient. De même des stratégies de concentration horizontale ou d'intégration verticale des acheteurs exerceront des pressions notables sur le producteur.

Enfin, le pouvoir de négociation des fournisseurs sera généralement proportionné à leur concentration, à l'unicité ou à la faible différenciation des produits vendus, ou bien encore à l'élévation du coût du passage d'un produit à un autre à cause des spécifications techniques.

Les cinq forces que nous venons de décrire brièvement, à elles seules, ne suffisent pas pour bien définir l'état de la concurrence. Il faudra compléter l'étude en tenant compte des différences dans l'organisation interne des sociétés concurrentes : sociétés fermées ou sociétés ouvertes ; dans ce dernier cas, le contrôle est-il exercé par le management ou les actionnaires ? Quelles sont la forme et la complexité organisationnelle des concurrents ? Sont-ils suffisamment souples pour répondre rapidement à l'action d'un concurrent ? Quelles sont les pressions du marché des capitaux qui peuvent s'exercer sur les concurrents s'ils entreprennent des stratégies trop risquées ? Etc.

Après l'examen de l'industrie et l'analyse concurrentielle, on devrait être en mesure de porter un premier jugement, une première évaluation, sur la structure économique de l'industrie et son attrait actuel et futur pour l'UAS à l'étude. Ces informations viendront “ nourrir ” l'axe “ attrait du marché ” de la matrice qui apparaît à la figure 2. Elles serviront aussi à établir le positionnement concurrentiel actuel et désirée de l'UAS sur cette même figure. Toutefois, les informations obtenues habituellement à ce stade-ci de l'analyse sont encore trop grossières pour permettre d'établir une stratégie de positionnement concurrentiel. Il faut donc maintenant passer à une analyse plus fine qui est celle de la chaîne de valeur. Celle de l’entreprise et de ses principaux concurrents. C'est cette analyse qui nous conduira au positionnement concurrentiel que l'entreprise devra adopter. En effet, l'analyse des chaînes de valeur permettra de bien documenter les avantages concurrentiels actuels et ceux qu'il faudra développer pour atteindre la position concurrentielle désirée. C'est l'axe “ position concurrentielle actuelle et désirée ” de la figure 2 qu'il faut maintenant “ nourrir ” d'informations.

2.3 La chaîne de valeur

La chaîne de valeur est un outil fondamental pour faire un diagnostic de l'avantage concurrentiel ou pour découvrir les moyens d'en acquérir un et de le conserver.

L'analyse de la chaîne de valeur consiste à décomposer l'entreprise en activités stratégiquement importantes pour comprendre leur impact sur le comportement des coûts et la différenciation. Ce n'est qu'après avoir effectué cette analyse que la firme est en mesure de choisir une stratégie générique pour chaque produit i.e. de choisir le positionnement concurrentiel qui convient à chaque produit. Porter21 propose donc d'identifier les sources de différenciation compétitive d'une firme en la décomposant en activités de base économiquement significatives. Il définit la chaîne de valeur comme un “enchaînement d'activités permettant d'aboutir à un produit valorisable sur le marché”. Porter distingue neuf catégories génériques d'activités (voir la figure 5) : infrastructure globale de la firme, gestion des ressources humaines, développement technologique, approvisionnements, logistique interne et externe, production,

21 L’approche « chaîne de valeur » est décrite en détail dans Porter, M., Competitive Strategy , Free Press, New York, 1985.

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commercialisation et vente, ainsi que les services. Les activités de l'entreprise doivent être analysées de manière à parvenir à un module de base d'une homogénéité satisfaisante. Pour faire un diagnostic de l'avantage concurrentiel, il faut définir la chaîne de valeur nécessaire pour concurrencer dans le secteur choisi. Il faut identifier, à partir de la chaîne type, les activités créatrices de valeur. Chaque grande catégorie peut être décomposée comme le montre la figure 5. Pour définir les activités créatrices de valeur, il faut distinguer les activités ayant des technologies et des mécanismes économiques propres. Il faut subdiviser en activités les grandes fonctions que sont notamment la production et la commercialisation. Le degré adéquat de désagrégation dépend des bases économiques des activités et des finalités qui motivent l'analyse de la chaîne de valeur.

FIGURE 5 LA CHAÎNE DE VALEUR

Le principe de base de la désagrégation est qu'on devrait isoler et séparer les activités que si elles sont fortement différenciées d'un point de vue économique, ou si elles ont un fort potentiel de différenciation compétitive, ou si elles représentent une fraction importante ou croissante des coûts. Dans l'utilisation de la chaîne de valeur, on procède à des désagrégations de plus en plus fines de certaines

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activités, à mesure que l'analyse fait découvrir des différences importantes pour l'avantage concurrentiel, tandis que d'autres sont regroupées. On devrait affecter les activités créatrices de valeur aux catégories qui représentent le mieux leur contribution à l'avantage concurrentiel de l'entreprise. C'est donc la dimension économique (coût, différenciation concurrentielle) qui guide le découpage en activités et en chaînes de valeur et en constitue le principe structurant. On devrait aussi intégrer dans les activités principales ou de soutien (qui apparaissent dans la partie supérieure de la figure) tous les aspects d'une entreprise. Les dénominations des activités créatrices de valeur sont arbitraires et devraient être choisies de manière à fournir la meilleure vision de la firme.

Si les activités créatrices de valeur sont les pièces constitutives de l'avantage concurrentiel, elles ne sont pas pour autant indépendantes les unes des autres. Ces activités sont connectées entre elles au sein de la chaîne. La façon dont s'exerce une activité créatrice de valeur peut avoir un impact sur le coût ou la performance d'une autre. La chaîne de valeur n'est pas une juxtaposition d'activités, c'est un système d'activités interdépendantes, avec des liaisons qui peuvent être sources d'importants avantages compétitifs. L'avantage concurrentiel provient souvent autant des liaisons entre les activités que des activités elles-mêmes. L'identification des liaisons est un processus qui consiste à rechercher les façons dont chaque activité créatrice de valeur influe sur d'autres activités ou est influencée par elles.

Une entreprise doit optimiser les liaisons entre les activités de façon à refléter sa stratégie concurrentielle. Les liaisons peuvent aussi refléter la nécessité d'une coordination entre activités. Une meilleure coordination permet souvent de réduire les coûts ou d'accroître la différenciation.

Les liaisons qui existent au sein de la chaîne de valeur passent souvent inaperçues. Elles ont pourtant une importance primordiale pour l'avantage concurrentiel. L'exploitation des liaisons nécessite des informations ou des flux d'information qui permettent de mener à bien l'optimisation ou la coordination. La qualité du système d'information et de renseignements dont il est question dans la première case du premier bloc du schéma de création de valeur à la figure 1 est primordiale pour tirer un avantage concurrentiel des liaisons.

De plus, il n'existe pas seulement des liaisons au sein de la chaîne de valeur d'une entreprise, mais aussi entre cette dernière et la chaîne des fournisseurs et des circuits de distribution. Il peut être possible de faire bénéficier à la fois l'entreprise et les fournisseurs d'un avantage en optimisant l'exercice conjoint des activités ou en améliorant la coordination entre les chaînes. Le partage des avantages tirés de la coordination et de l'optimisation des liaisons entre une firme et ses fournisseurs dépend du pouvoir de négociation des fournisseurs.

Les liaisons avec les circuits de distribution, comme dans le cas des livraisons avec les fournisseurs, peuvent réduire les coûts ou accroître la différenciation.

Les clients ont aussi une chaîne de valeur et le produit de l'entreprise peut représenter un moyen de production qui entre dans la chaîne du client. La différenciation d'une entreprise provient de la façon dont sa chaîne de valeur est reliée au client. Chacun des points de contact entre la chaîne de valeur du client et celle de l'entreprise est une source potentielle de différenciation. La différenciation qui s'acquiert en créant de la valeur pour le client s'obtient en influençant la chaîne de valeur du client. La valeur apparaît quand l'entreprise crée un avantage concurrentiel pour son client en réduisant les coûts de ce dernier ou en améliorant sa performance.

Enfin, et c'est tout aussi important, la chaîne de valeur est un outil fondamental qui permet de déterminer les coûts des concurrents. Il faut d'abord identifier les chaînes de valeur des concurrents et la façon dont ils exercent leurs activités, en suivant la même procédure que celle qu'utilise la firme pour analyser sa propre chaîne de valeur.

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⎯ Les facteurs d'évolution des coûts

La position d'une entreprise en matière de coûts résulte de son comportement dans chacune des activités créatrices de valeur. Le comportement des coûts dépend d'un certain nombre de facteurs structurels que Porter22 appelle “ facteurs d'évolution des coûts ” ou “ générateurs de coûts ”. Ce sont les paramètres qui commandent les variations des coûts. Plusieurs facteurs peuvent se combiner pour déterminer le coût d'une activité donnée. Le ou les facteurs importants peuvent varier d'une entreprise à l'autre dans un même secteur, si celles-ci utilisent des chaînes de valeur différentes. La position relative d'une entreprise par rapport aux coûts d'une activité créatrice de valeur donnée dépend de la façon dont elle se tient face aux facteurs d'évolution des coûts23. Les facteurs d'évolution des coûts sont les causes structurelles qui régissent le coût d'une activité particulière. Aucun facteur ne détermine jamais à lui seul la position d'une entreprise dans le domaine des coûts. L'identification des facteurs qui commandent l'évolution des coûts de chaque activité créatrice de valeur permet à une entreprise d'obtenir une connaissance fine et approfondie des sources de sa compétitivité en termes de coûts et de la manière dont cette dernière pourrait être améliorée.

Aucun des facteurs d'évolution des coûts ne peut être facilement estimé à partir des méthodes traditionnelles de détermination du prix de revient. En effet, il faut s'affranchir des systèmes comptables traditionnels (on a ici un autre avantage concurrentiel qu'une entreprise dynamique peut se donner), car activités et classifications comptables héritées du passé coïncident rarement et les catégories comptables dissimulent les liaisons. Chaque activité a un coût dont il faut suivre les causes, parfois lointaines. Il faut retrouver les facteurs d'évolution des coûts, puisque identification et maîtrise des facteurs d'évolution de coûts sont une des clés de l'avantage concurrentiel. Ce n'est pas la seule difficulté dans l'utilisation des données comptables pour l'étude des chaînes de valeur. Il y en a d'autres. Ce sera le cas notamment lorsque l'entreprise n'est pas structurée en fonction d'unités d'activités stratégiques et conséquemment que le système comptable ne reconnaît pas l'UAS comme une dimension pour la collecte des données. Un autre défi dans l'utilisation de la comptabilité analytique traditionnelle pour l'analyse de la chaîne de valeur est qu'il n'existe aucune correspondance entre les activités créatrices de valeur et les centres de responsabilité24 tels que définis dans les systèmes comptables. Or, les activités critiques dans la chaîne de valeur doivent posséder une des caractéristiques suivantes : elles reposent sur des mécanismes économiques différents, elles ont un impact potentiel élevé sur la différenciation ou elles représentent une fraction importante ou croissance des coûts. Il n'y a donc pas nécessairement concordance entre activités et centres de responsabilité25.

22 Porter, op. cit., p. 70 et ss.

23 Selon Porter, ibid., dix grands facteurs déterminent le comportement des coûts des activités créatrices de valeur : les économies d'échelle, l'apprentissage, la configuration de l'utilisation des capacités, les liaisons, les interconnexions, l'intégration, le timing, les politiques discrétionnaires, la localisation et les facteurs institutionnels.

24 Un centre de responsabilité, en comptabilité, est une unité administrative constituée en vue d'exercer un meilleur contrôle et d'assurer une répartition appropriée des responsabilités grâce à un aménagement des comptes qui permet de connaître soit les charges propres seulement, soit les charges, le chiffre d'affaires et le profit, soit le rapport entre le profit et le capital utilisé.

25 La méthode de comptabilité par activités (ABC pour Activity Based Costing) permet de combler les lacunes des anciens systèmes d’établissement de coûts en mettant l’accent sur les activités nécessaires à la fabrication de chaque produit ou la prestation de chaque service à partir de la consommation relative à chaque produit ou service. Elle met aussi en évidence les impacts des divers choix stratégiques sur le niveau des activités. Cette dimension a donné

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⎯ Les facteurs d'évolution de la valeur

Ultimement, les facteurs d'évolution des coûts se répercutent sur les facteurs d'évolution ou générateurs de la valeur (certains apparaissent à l'extrémité droite de la figure 5) que sont la croissance des ventes, la marge bénéficiaire, le taux d'imposition, les immobilisations, les investissements dans le fonds de roulement, le coût du capital et la durée de la croissance. Ce sont ces éléments que l'on retrouve dans l'équation de la valeur de la firme en croissance supra normale26 :

⎥⎦

⎤⎢⎣

⎡+−

++=)1(

)()(aa

a

oL rr

rrTIDtc

rBENAIV

(1) (2) (3)

(1) Valeur des opérations courantes (2) Avantage fiscal de la dette (3) Valeur des opportunités de croissance

Où, VL = valeur intrinsèque des opérations D = montant total de la dette BENAI = bénéfice d'exploitation net après impôts tc = taux d'impôt de l'entreprise I = montant à être investi chaque année dans de nouveaux projets T = nombre d'années que le rendement marginal sur le capital sera supérieur au

coût marginal du capital ( )ra ro = taux de rendement requis par le marché pour supporter le risque d'opération ra = coût du capital = r tc Lo ( *)1− L * = ratio cible d'endettement r = taux de rendement attendu sur les nouveaux investissements27

Le management stratégique qui est esquissé dans le schéma de création de valeur à la figure 1 trouve sa synthèse et sa finalité dans cette équation et tout particulièrement dans le dernier terme. En effet, l'approche création de valeur vise à obtenir un rendement sur le capital supérieur au coût du capital, donc un avantage concurrentiel, et à le conserver pour la durée (T) la plus longue possible.

Après l'étude des chaînes de valeur, nous sommes maintenant en mesure d'aborder le positionnement concurrentiel, étape préalable à la proposition d'une trajectoire stratégique à la figure 2.

naissance à l’ABM (Activity Based Management) qui a pour ambition d’analyser plus particulièrement cet aspect stratégique de l’ABC.

26 Voir Saint-Pierre, Jacques, Précis de Finance, Gaëtan Morin éditeur, 1980, p. 249.

27 Il est important de noter que cette équation ne peut servir qu’à présenter et synthétiser les résultats obtenus lors de l’analyse de la valeur à l’aide de la méthode de la valeur économique ajoutée et des flux monétaires libérés dans le bloc 4. En effet, le rendement (r) qui apparaît dans l’équation est une inconnue mathématique qui est obtenue en résolvant l’équation après y avoir entré les autres valeurs. Ce rendement (r) est une approximation du taux de rendement interne moyen attendu sur les nouveaux investissements stratégiques.

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2.4 Positionnement concurrentiel

Le positionnement concurrentiel (Fig. 6) a pour objectif de situer un produit, une UAS ou une entreprise à produit unique par rapport à la concurrence et de pouvoir tirer les enseignements qui s'imposent quant à la position concurrentielle de la firme et à l'attrait du marché (Fig. 2). Après l'analyse de la chaîne de valeur, l’entreprise sera en mesure de mettre en évidence les avantages concurrentiels qu’elle possède ou qu’elle devrait développer. La figure 6, suggérée par Porter28, est une illustration d'une grille29 qui permet de situer, par exemple, les produits concurrents les uns par rapport aux autres en fonction de deux variables : le marché (domination globale ou la concentration) et la fourchette de coûts (les coûts les plus bas ou la différenciation qui implique des coûts élevés). La littérature spécialisée propose plusieurs typologies de lignes stratégiques génériques à l'intérieur desquelles les firmes essaient de construire leur originalité. C'est à partir de ces typologies que l'on peut essayer de se situer par rapport à la concurrence et de déceler un avantage comparatif à bâtir ou à maintenir. Examinons plus en détail la figure 6.

Figure 6 Positionnement concurrentiel

28 Porter, M.E., Competitive Strategy, The Free Press, 1980, p.39.

29 Les axes de la matrice doivent évidemment être adaptés au positionnement en question.

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Parmi toutes les armes stratégiques de la compétition, l'obtention des coûts les plus bas est sans doute celle qui vient spontanément à l'esprit lorsqu'on cherche un avantage concurrentiel. La domination par les coûts se réfère à l'ensemble de l'industrie concernée. Elle conjugue quantité et marge unitaire qui doivent normalement être meilleure que celle des concurrents du fait des coûts inférieurs. Un aspect essentiel de la domination globale par les coûts est qu'elle présente des risques particuliers et exige des aptitudes spécifiques. Par exemple, les progrès techniques peuvent annuler l'effet d'expérience et/ou les investissements passés, de même que l'imitation et les investissements plus modernes des concurrents peuvent réduire ou annuler les écarts de coûts. Il faut aussi des investissements soutenus en capital technique et des aptitudes à la simplicité de conception et de fabrication des produits de même qu'une organisation et des responsabilités structurées et parfaitement définies pour ne citer que quelques exemples.

Deuxième stratégie générique à pouvoir être menée dans le cadre d'une industrie globale, la différenciation cherche à créer un ou plusieurs avantages perçus comme uniques par les acheteurs. Les différenciations peuvent s'appuyer sur l'ensemble des attributs associés à un produit et/ou service et perçus par l'acheteur comme différents d'un concurrent à l'autre. Les différenciations reposent sur une logique très différente de celle qui sous-tend la domination par les coûts. Elles autorisent généralement des marges unitaires plus élevées, mais doivent en contrepartie s'attendre à des volumes et donc à des parts de marchés plus réduites.

La concentration ou focalisation s'impose lorsque l'entreprise ne peut ou ne veut s'attaquer à la totalité d'une industrie, soit que sa dimension et ses ressources soient insuffisantes, soit qu'elle ne souhaite pas, en termes de politique générale, croître trop vite ou dépasser une certaine taille. Dans de telles conditions, la firme a intérêt, et bien souvent n'a pas d'autre alternative, que de se consacrer à l'exploitation d'un territoire limité, taillé à la mesure de ses ressources et aptitudes.

À la base de cette stratégie réside l'idée qu'il est possible, en se limitant à un groupe déterminé d'acheteurs, d'obtenir une meilleure efficacité et, partant, une rentabilité accrue par rapport à celles que produirait la dispersion sur l'ensemble de l'industrie. La concentration revêt en pratique l'une ou l'autre des formes stratégiques évoquées précédemment. Dans le premier cas, la firme considère que ses ressources et aptitudes lui permettent d'offrir à un prix inférieur aux “ grands ” de l'industrie, tel produit ou service dont les caractéristiques n'intéressent qu'une fraction du marché global insuffisamment attrayant pour les entreprises qui exploitent l'ensemble de l'industrie. Dans le second, la stratégie consiste à créer un avantage unique, perçu par le consommateur, qui s'adresse à une catégorie limitée du marché global. Il est alors primordial que la firme atteigne un niveau élevé de performances techniques sur ce segment.

Les aptitudes requises et les fonctions sollicitées par la concentration sont bien évidemment liées à la forme dominante retenue i.e. l'avantage de coût ou spécificité d'une autre nature. Une segmentation soigneuse, une R&D souvent limitée mais très efficace, des objectifs de rentabilité plus que de croissance et des dirigeants particulièrement influents sont des caractéristiques communes qui permettent de dégager de remarquables performances commerciales et financières chez les P.M.E. appartenant à des industries semi concentrées. Les risques de la concentration tels la détérioration de l'avantage coût, la perte des facteurs de différenciation et la sursegmentation que peuvent opérer certains concurrents à l'intérieur même de la cible de l'entreprise signifient que la concentration est le plus souvent de nature offensive.

En résumé, les stratégies génériques présentées doivent faire l'objet d'une réflexion approfondie de la part des entreprises30. Elles sont en effet, le plus souvent exclusives l'une de l'autre, réclamant des

30 Par expérience, on peut affirmer que cette réflexion s’enclenchera automatiquement dès que l’entreprise aura indiqué sa position et celle de ses principaux concurrents sur une grille comme celle proposée à la Fig.6.

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aptitudes particulières et présentent des risques distincts. Beaucoup de défaillances d'entreprises peuvent être imputées, pour une large part, à un mauvais, voire à une absence de choix ferme entre ces orientations. Symétriquement, les réussites, quelle que soit la taille, tirent fréquemment leur origine dans la clarté de ce choix. Ces choix sont décisifs et expliquent que dans de nombreux cas la voie médiane (voir le point d'interrogation à la figure 6) soit intenable. Les entreprises qui s'y enlisent, présentent une forte probabilité d'échec. Plus la compétition devient rude, moins il est possible de rester “ moyen ”. Tel que l'écrivait Porter: “A firm that is “stuck in the middle” is in an extremely poor strategic situation”31.

2.5 Les avantages informatifs On aura remarqué que nous n'avons pas abordé le premier module du premier bloc qui porte sur

les renseignements sur la concurrence et les avantages informatifs. La raison est simple. Bien que cet élément apparaît logiquement au début du Schéma, son importance n'apparaît réellement (la première fois que l’on utilise le Schéma) que lorsque l'on connaît l'étendue des informations à obtenir au niveau des autres modules du bloc. Cette tâche d'acquisition d'informations est considérable car c'est d'elle que dépend la qualité de l'analyse qui pourra être effectuée dans les autres modules. De même qu'il faut développer des avantages compétitifs au niveau des produits ou des services, de même il faut aussi en développer au niveau de l'information pour pouvoir “ nourrir ” adéquatement les modèles d'analyse qui conduiront à maximiser la valeur de l'entreprise.

Un service de renseignements sur la concurrence n'a pas besoin d'être gigantesque pour être profitable. En effet, il existe des moyens simples et peu coûteux de surveiller les concurrents : les banques de données commerciales, les publications commerciales spécialisées, les découpures de journaux, la publicité sur les offres d'emplois, les études publiées, les rapports de Wall Street, Bay Street et de la rue St-Jacques, les foires commerciales et la littérature sur les produits, les dossiers publics au niveau gouvernemental, la publicité et les relations personnelles sont autant de moyens utiles pour acquérir les nombreuses informations indispensables à une bonne analyse de la concurrence. Ce qu'il ne faut surtout pas oublier, c'est qu'un service de renseignements sur la concurrence doit être une activité qui implique toute l'organisation. C’est une culture à développer.

Avant de passer au bloc suivant, rappelons que l'objectif du premier bloc est d'en arriver à construire la trajectoire stratégique (cf. la figure 2).

À titre d'exemple, toujours en se servant de cette figure, on pourrait dire que l'analyse des deux premiers modules a conduit l'entreprise à considérer que l'attrait du marché s'améliorera, à l'intérieur de l'horizon de planification, pour passer d'un niveau faible à un niveau moyen. De son côté, cette entreprise, qui considérait sa position concurrentielle comme étant moyenne désire maintenant qu'elle soit élevée. Ce passage, d'une position concurrentielle moyenne à élevée est la trajectoire stratégique qu'elle devra suivre. Ce faisant, on remarquera, toujours à la figure 2, que l'entreprise passera d'un niveau quatre à un niveau deux de potentiel de création de valeur.

31 Porter, op. cit, p. 41.

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3. OPTIONS DE CROISSANCE ET FLEXIBILITÉ (BLOC NO 2)

L'analyse précédente de l'attrait du marché et de la position concurrentielle que l'entreprise désire atteindre fera ressortir les investissements stratégiques à effectuer pour parvenir à la position désirée.

Les investissements stratégiques comme les investissements d'agrandissement, d'expansion et d'innovation sont bien différents des investissements de remplacement ou de rationalisation, en raison du fait qu'ils contiennent des options dont il faudra tenir compte dans l'analyse. En effet, il se peut qu'un investissement stratégique, pris isolément, puisse avoir une valeur actuelle nette (VAN) négative. Or, les caractéristiques d’un projet d’investissement sont rarement figées. Outre le choix de la date d’investissement, la direction dispose de plusieurs choix relatifs à la taille et à la localisation de cet investissement, ou encore à la technologie de production. Par ailleurs, en investissant, l’entreprise acquiert diverses options attachées à l’actif de base. Parmi celles-ci, l’option d’abandon, d’expansion ou de contraction de la capacité de production, l’option d’étendre la durée de vie du projet, l’option de mise en suspension de l’exploitation, ou encore l’option de changement de technologie. Chacune de ces options apporte de la valeur ajoutée au projet. Il faudra donc corriger la VAN originelle en y incorporant la valeur stratégique de l'option ainsi créée.

Nous aurons alors une VAN totale (ou, étendue) qui sera composée de la VAN du projet lui-même auquelle il faudra ajouter la valeur de l'option (communément appelée « option réelle32 ») qui s'y rattache. À remarquer, que la valeur de cette option sera d'autant plus élevée que l'incertitude sera grande, ceterus paribus. D'autres éléments comme le degré de rivalité concurrentielle et le degré d'exclusivité que l'on possède de l'option viendront aussi modifier la valeur de l'option. En effet, comme le montre la figure 7 tirée de Kester33, l'entreprise qui possède l'exclusivité d'une option (un brevet) et qui se trouve dans une situation de rivalité concurrentielle minimale pourra s'approprier pleinement la valeur de l'option. Toutefois, une firme qui a la possibilité d'ouvrir une usine dans un nouveau marché géographique par exemple (donc, une option partagée car un concurrent pourrait faire de même) et qui fait face à une rivalité concurrentielle intense ne peut pas attribuer une grande valeur à cette option. D'autres situations sont présentées à la figure 7.

32 Une option réelle s’étudie par analogie avec les options financières.

33 Kester, W.C., Today’s Options for Tomorrows Growth, Harvard Business Review, March-April 1984, 153-160.

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FIGURE 7 FLEXIBILITÉ D’EXERCER LES OPTIONS D’INVESTISSEMENT

Il est capital de noter, que plus on aura accordé d'importance et de sérieux à l'analyse du premier bloc, plus on sera en mesure d'enrichir l'évaluation de l'interdépendance des opportunités de croissance et la flexibilité que possède l'entreprise face à l'exercice temporel de ces options.

En résumé, on peut dire qu'à la VAN traditionnelle il faudra ajouter, selon le cas, la valeur de l'option d'abandonner le projet avant la fin de la construction ou avant le terme de sa vie, la valeur de l'option d'en augmenter la taille et enfin la valeur des options qui sont créées à cause de l'interdépendance entre les décisions présentes et futures. Il va sans dire qu'il est beaucoup plus facile de faire l'énumération de ces options que de les calculer. Toutefois, les développements récents dans le transfert des connaissances des options sur les actifs financiers (le fameux modèle de Black et Scholes34 largement utilisé en pratique) aux options sur les actifs réels35,36 permettent d'espérer des percées encourageantes

34 Black, F., M. Scholes, The Pricing of Options and Corporate Liabilities, Journal of Political Economy, vol.81, May-June 1973, 637-654.

35 Trigeorgis L., Real Options, MIT Press, Cambridge, Massachusetts, 1996.

36 Amram, M., N. Kulatilaka, Real Options, Harvard Business School Press, Boston, MA, 1999.

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pour une utilisation accessible au plus grand nombre. La difficulté d'évaluer ces options ne diminuent en rien, toutefois, leur importance dans le calcul de la rentabilité des projets. L'entreprise qui ignore d'en faire l'évaluation, même qualitative et qui rejette un projet stratégique sur la seule base d'une analyse de rentabilité traditionnelle alors que l'incorporation de son interdépendance avec des projets futurs (i.e. des projets dont leurs réalisations dans le futur dépendent des décisions prises aujourd'hui) aurait milité pour son acceptation ne devrait pas se surprendre de voir sa position concurrentielle se détériorer dans le temps.

4. LA MAXIMISATION DE LA RICHESSE (BLOC NO 3)

Après avoir étudié dans le premier bloc l'environnement concurrentiel, choisi une trajectoire qui améliorera la position stratégique de l'entreprise et examiné dans le second bloc les investissements qui la supporteront, l'entreprise est maintenant en mesure dans un troisième bloc d'analyser ce que devrait être la meilleure stratégie à suivre quant aux investissements (lesquels et quand) et au financement (endettement, fonds propres internes et/ou externes).

Cette analyse pourra être plus ou moins sophistiquée selon les enjeux en cours. Ainsi certaines entreprises opteront pour un modèle de planification ayant recours à la programmation mathématique où la fonction-objectif à optimiser sera la valeur de l'entreprise37. D'autres entreprises peuvent simplement analyser par simulation quelques alternatives d'investissement et de financement et prendre les décisions qui leur paraissent les plus justifiées compte tenu des circonstances.

Dans l'un ou l'autre cas, i.e. que l'on ait recours à un modèle raffiné d'optimisation ou simplement à une simulation, il faudra que le résultat des décisions soit transposé dans des états financiers prévisionnels qui sont les éléments essentiels de communication de l'information financière. On aura donc une séquence d'informations qui seront dans l'ordre : les états financiers passés, les décisions stratégiques visant à maximiser la richesse des actionnaires et les états financiers prévisionnels incorporant ces décisions. La préparation de ces états financiers prévisionnels est importante parce qu'elle servira de support au quatrième bloc qu'est l'évaluation de la valeur économique intrinsèque.

5. LA VALEUR INTRINSÈQUE DE LA FIRME (BLOC NO 4)

À cette étape du schéma de création de valeur, l'entreprise possède toutes les informations dont elle a besoin pour mesurer la valeur intrinsèque de ses opérations et de ses fonds propres.

Pour ce faire on utilisera soit l’approche de la valeur économique ajoutée qui est gouvernée par l'écart entre le rendement marginal sur le capital et le coût du capital, soit celle des flux monétaires libérés.

Brièvement, le calcul de la valeur intrinsèque d’exploitation se fait à partir des données prévisionnelles générées par le bloc numéro 3. Principalement, on a besoin du bénéfice d’exploitation net après impôt, du capital investi et du coût du capital pour les années conduisant à l’horizon où il est estimé que l’entreprise perdra son avantage concurrentiel (d’où la nécessité de la qualité de l’exercice au niveau du premier bloc). Pour les années subséquentes, les données n’ont pas besoin d’être aussi détaillées. On 37 Les contraintes reflèteront les politiques de l'entreprise concernant l'endettement, les dividendes, les placements de même que les restrictions technologiques et chronologiques (rappelons-nous, l'évaluation de la flexibilité dans le deuxième bloc) et les restrictions fonctionnelles (par exemple l'impossibilité d'avoir les ressources humaines possédant les compétences techniques dès l'année un du plan, délais nécessaires pour le recours à des fonds propres externes etc...). Comme les flux financiers produits par les différents investissements et financements n'auront pas les mêmes niveaux de risque et qu'ils s'échelonneront dans le temps, le bloc contiendra aussi une grille des taux de rendement requis par le marché en fonction des divers risques.

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calcule ensuite la valeur actuelle des valeurs économiques ajoutées produites par la stratégie de l’entreprise qui, ajoutée au capital du début donne la valeur intrinsèque d'exploitation. Il faut ajouter à cette dernière valeur, les titres négociables, pour trouver la valeur intrinsèque totale. Enfin, si on retranche de ce total l'endettement (incluant les baux), on obtient la valeur intrinsèque des fonds propres. Enfin, il suffit de diviser cette dernière par le nombre d'actions ordinaires en circulation, pour obtenir la valeur intrinsèque d'une action qui peut alors être comparée à sa valeur marchande, si elle existe. On peut aussi trouver la valeur intrinsèque des fonds propres en passant par l'évaluation des flux monétaires libérés. Ces derniers proviennent de la différence entre les bénéfices d'exploitation nets après impôts et les investissements stratégiques. La valeur actuelle des flux monétaires libérés nous donne directement la valeur intrinsèque d'exploitation. Il est important de noter que ces deux approches utilisées depuis des décennies en finance, et popularisées récemment sous le vocable EVA® (Economic Value Added) pour la première et Free Cash Flows (FCF) pour la seconde par les consultants Stern Stewart & Co (New York), sont l’adaptation à l’entreprise de l’analyse de la valeur dans le même esprit que la VAN (Valeur Actuelle Nette) pour l’analyse d’un projet. À la différence qu’on suppose un horizon infini pour les modèles EVA ou FCF alors que dans le calcul de la VAN classique , un horizon est fixé (souvent arbitrairement) où on suppose que l’on récupérera le fonds de roulement et que les actifs seront vendus à la valeur résiduelle comptable. Sans entrer dans le détail, disons que la VAN est un sous-ensemble de la valeur intrinsèque obtenue avec EVA et FCF.

Ce qu'il est important d'obtenir à ce stade-ci de l'analyse, c'est une valeur intrinsèque des fonds propres qui représente bien la capacité de création de valeur de l'entreprise dont il était question au paragraphe précédent. En effet, l'on sait que la valeur d'une entreprise est égale à la valeur de ses actifs en place plus la valeur de ses opportunités de croissance. Or, c'est justement cette deuxième composante qui est la plus difficile à évaluer et pour laquelle le modèle de création de valeur de la figure 1 contribuera à mieux cerner. Dans cet examen, la valeur marchande (si l'entreprise est une société ouverte dont les actions sont transigées au marché au comptoir ou à la Bourse) pourra fournir des renseignements utiles.

C’est à cette étape que l’on pourra calculer concrètement la valeur potentielle d’un plan stratégique38. La démarche à suivre est simple : Il suffit de comparer la valeur économique intrinsèque avec et sans le plan stratégique. Donc, dans un premier temps, on calcule la valeur en supposant que l’entreprise maintiendra le statu quo. Dans un second temps, on évaluera l’entreprise «augmentée, grossie » de la stratégie, en s’assurant qu’il n’y a pas que les immobilisations qui sont incluses dans l’analyse, mais toutes les activités de l’entreprise qui sont touchées par la nouvelle stratégie (du fonds de roulement au capital humain). Avec cette analyse différentielle, la contribution d’une stratégie (d'une trajectoire stratégique) à la valeur de l’entreprise peut ainsi être chiffrée.

38 Comme l’écrit Ram Charan dans Boards That Deliver: Advancing Corporate Governance from Compliance to Competitive Advantage, op.cit., « One question boards cannot overlook is: How will money be made with this strategy? The board cannot allow strategy to be divorced from the fundamentals of money making. Management can become enthralled with a strategy and swept away by just one financial target at the expense of others. ―“This merger will make us the largest company in the world,” for example―while ignoring the effect on the bottom line or the balance sheet. The board can prevent huge missteps by questioning how, with this strategy, the business will generate sufficient cash to meet its debt commitments and earn more that is cost of capital. If that result is unclear, the strategy may not be viable. »

Page 24: DOCUMENT DE TRAVAIL 2006-021 - FSA ULaval · 2006. 9. 29. · DOCUMENT DE TRAVAIL 2006-021 FINANCE, STRATÉGIE ET GOUVERNANCE Jacques SAINT-PIERRE Version originale : Original manuscript:

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6. VALEUR INTRINSÈQUE ET VALEUR MARCHANDE (BLOC NO 5)

Si les actions ordinaires de l'entreprise sont transigées publiquement on pourra procéder dans ce cinquième et dernier bloc à une comparaison entre la valeur intrinsèque des actions obtenues à l'étape précédente et la valeur marchande. Cette comparaison sera d'autant plus valable que les actions seront transigées dans un marché reconnu comme étant efficient. On pourra alors essayer de découvrir les raisons qui peuvent expliquer un écart positif ou négatif entre la valeur marchande et la valeur intrinsèque. Dans le cas d'un écart positif (la valeur marchande est supérieure à la valeur intrinsèque), on peut se demander, par exemple, si les investisseurs n'ont pas une perception plus optimiste que l'entreprise quant à l'évolution de l'industrie ou si le marché surévalue notre potentiel. Dans le cas d'un écart négatif, il faudra aussi tenter de l'expliquer. Il se peut, par exemple, que le marché ne soit pas suffisamment informé des projets à long terme de l'entreprise ou de ses récentes percées technologiques.

L'analyste externe qui a examiné soigneusement la trajectoire stratégique explicite ou implicite de l'entreprise, pourra se poser les mêmes questions que l'entreprise, découvrir si l'entreprise est mal évaluée et vérifier sa propre capacité à détecter les entreprises créatrices de valeur.

CONCLUSION

Le lecteur s'en sera rendu compte, l'étude des écarts entre la valeur marchande et la valeur intrinsèque nous ramène au premier bloc qui portait sur l'entreprise et son environnement. C'est une conséquence inéluctable du lien entre le développement des stratégies et leur impact sur la valeur de l'entreprise. Le Schéma de Création de Valeur (SCV) présenté à la figure 1 est donc itératif et non univoque. C'est un processus sans fin, un perpétuel recommencement. On constatera en le consultant qu’il arrive que la seule information dont dispose les décideurs ou les analystes (comme dans le cas de nouvelles sociétés qui n’ont pas encore commencé à produire de flux monétaires, les Amazon.com), soit celle produite par les deux premiers blocs. L’évaluation de ces entreprises devra alors se faire en se limitant presque exclusivement à porter un jugement sur le réalisme de la trajectoire stratégique et à la valeur des options qu'elle génère. D’où la nécessité d’un référentiel comme le SCV pour savoir où en est l’entreprise dans son processus de création de valeur et si valeur il y a ! Le SCV est l’outil qui permet de structurer sa pensée et qui fournit aux administrateurs de sociétés la source des questions cohérentes et économiquement pertinentes pour accomplir pleinement leur devoir de gouvernance. Quant aux analystes financiers, ils pourront mieux expliquer les hypothèses à l’origine de leurs calculs (facteurs qui structurent l’industrie, position concurrentielle de l’entreprise, options réelles que possède l’entreprise et flexibilité qu’elle a de les exercer) et faciliter le dialogue entre ceux qui manient les techniques de valorisation et ceux qui, au sein de l’entreprise, maîtrisent souvent le mieux les ressorts de l’analyse stratégique. L’objectif principal de cet article était de combler ces lacunes en présentant un référentiel qui intègre les apports de l’analyse stratégique et de l’analyse financière et qui réponde aux préoccupations telles que formulées récemment par le Chief Investment Strategist de Legg Mason Capital Management présenté en introduction à cet article : « there’s almost no way to do intelligent valuation work without a good competitive strategy framework. »