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Dossier NOS COUPS DE COEUR DE LÉTÉ [ [ [ [ NRP Octobre 2012, n°13 [ Economie Société L’Algérien est-il superstitieux ? Amel Blidi Culture/Médias Mémoire Les Chaulet : un sacerdoce pour la dignité humaine CHEMS EDDINE CHITOUR La femme et son corps sur cinquante ans de cinéma algérien Elisabeth Arend MARCHE informel : Plus de 75.000 commerçants occasionnels Droit Droits de l’homme, disparus, harraga, corruption Yazid Alilat

Dossier C DE COEUR DE L OUPS ÉTÉ - cdesoran.org · Mehdi SOUIAH, Leila TENNCI, Houari ZENASNI, Sid Ahmed ABED, Mokhtar MEFTAH ... Boumediene DERKAOUI, PDG du groupe SAIDAL à Liberté,

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DossierNOS COUPS DE COEUR DE L’ÉTÉ

[

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NRP Octobre 2012, n°13

[

Economie

SociétéL’Algérien est-il superstitieux ?

Amel Blidi

Culture/Médias

Mémoire Les Chaulet : un sacerdoce pour la dignité humaine

CHEMS EDDINE CHITOUR

La femme et son corps sur cinquante ans de cinéma algérien

Elisabeth Arend

MARCHE informel : Plus de 75.000 commerçants occasionnels

DroitDroits de l’homme, disparus, harraga, corruption

Yazid Alilat

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NRP, Octobre 2012, n°13

Sommaire

La NRP est la nouvelle formule de la « Revue de presse », créée en 1956 par le centre des Glycines d’Alger.

[Attestation du ministère de l’information: A1 23, 7 février 1977]

Revue bimensuelle réalisée en collaboration avec le :

Ont collaboré à ce numéro

Farid BELGOUM, Boucif AOUMEUR, Bernard JANICOT, Hizia LAKEDJA, Fayçal SAHBI,

Mehdi SOUIAH, Leila TENNCI, Houari ZENASNI, Sid Ahmed ABED, Mokhtar MEFTAH

CENTRE DE DOCUMENTATION ECONOMIQUE ET SOCIALE

3, rue Kadiri Sid Ahmed, Oran • Tel: +213 41 40 85 83 • Courriel: [email protected]

Site web: www.cdesoran.org

DroitDroits de l’homme, disparus, harraga, corruption

Yazid Alilat , p.9

SociétéL’Algérien est-il superstitieux ?

Amel Blidi , p.10-11

Une rentrée sociale pas comme les précédentes

Nacea Chennafi,p.11

EconomieMARCHE informel : Plus de 75.000 commerçants occasionnels p.12

Boumediene DERKAOUI, PDG du groupe SAIDAL à Liberté,

A.Hamma ,p.13

Culture/MédiasLa femme et son corps sur cinquante ans de cinéma algérien

Elisabeth Arend, p.14-15

MémoireLes Chaulet : un sacerdoce pour la dignité humaineCHEMS EDDINE CHITOUR, p.16

L’ère Chadli : des réformes économiques courageuses, p.17

Bibliographie, p.18

Coups de coeurQuand «la rue» prend le pouvoir

Abed Charef, p.4

Souvenirs d’une véritable icône du raï sentimental

Amine Aït Hadi, p.5

Je me souviens...

Karima Malki, p.6

Slim vu par Yasmina Khadra, p.6-7

Entre 30 000 et 35 000 changements de nom de famille depuisl’indépendance, p.7

L’engagement absolu de Francis Jeanson

Omar Merzoug, p.8

[email protected]

N° 13 Octobre 2012

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NRP, Octobre 2012, n°13

Editorial

« Coups de coeur »

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Je me souviens...

La guerre d’Algérie a longtemps été racontée par la violence des adultes. Il est temps qu’elle soit relatée pardes enfants de l’époque, aujourd’hui des adultes. Cet article se veut un hommage à l’innocence des enfantsqui se souvient de l’amitié, de la fraternité entre communautés. L’enfance, même vivant la violence de laguerre continue à vouloir jouer même avec des bombes et des poupées de chiffons pour dire qu’aujourd’hui,on est capable, avec la même innocence d’un enfant, de changer le cours de l’histoire et continuer à s’aimermalgré les frontières.

Leïla Tennci

Quand la «rue» prend le pouvoir

Les musulmans réagissent mal, leurs réflexes prennent des comportements belliqueux. Cette image dumonde musulman est vue par l’autre. Cet article évoque le dernier événement sur l’affaire du film anti-prophète Mohamed.

Il met le doigt sur le fossé entre les élites, les hommes politiques et les classes populaires de la société.Les premiers n’arrivent pas à présenter une influence positive sur ces derniers dans de telles situations.Cela m’a poussé à choisir ce texte, lequel va montrer la polémique autour de ce sujet qui a occupél’opinion publique arabe durant les semaines passées.

Mokhtar Meftah

L’engagement absolu de Francis Jeanson

Au moment où l’Algérie fête ses 50 ans d’indépendance, après des années de déchirements et de violence,comment ne pas évoquer ceux et celles qui, au sein de la population française ont eu la clairvoyance decomprendre que ce pays avait légitimement droit à sa liberté ? Le philosophe Francis Jeanson eut le courage

d’œuvrer à cette indépendance. Le couple Chaulet aussi.

Janicot Bernard

Souvenirs d’une véritable icône du raï sentimental

La scène est presque surréaliste. Elle est pourtant réelle. Date : 5 juillet 1993. Lieu : Stade du 5 juillet à Alger.On peut voir, sur quelques plans furtifs, dans le tableau d’affichage du stade, qu’il est presque sept heures…dumatin. Ils furent pourtant des dizaines de milliers à avoir veillé toute la nuit pour voir ce jeune homme enblazer vert qui leur ressemble. C’était quelques mois avant que cet homme, Cheb Hasni, ne soit assassiné.

Fayçal Sahbi

Ce numéro de rentrée de la NRP ne comporte pas dedossier. A la place, vous trouverez les «coups decoeur» des collaborateurs, les articles lus ces dernierstemps que nous avions envie de partager avec vous.

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NRP, Octobre 2012, n°13

Coup de Coeur

Abed Charef

le 20 Septembre 2012

Quand la «rue» prend le pouvoirLa fameuse «rue» arabe s’est enflammée. Retour sur une semaine durant laquelle la «rue» a pris le pouvoir.  Comment

transformer une cause juste, en une affaire lamentable ? Comment, d’une victoire probable, glisser vers une défaiteassurée ? Comment une personne, qui était victime au départ, réussit-elle à devenir coupable ? 

L’affaire du film portant atteinte àl’image du prophète de l’Islam a, denouveau, mis en avant ce sentimentde chaos qui règne dans le mondemusulman ; un monde où n’importequi fait n’importe quoi, où n’importequel illuminé peut se proclamerleader, porte-parole ou guide, etpousser les foules vers desextrémités inacceptables etinexcusables. Avec au f inal,inévitablement, des drames, desmorts, et une image des musulmansqui se dégrade encore et encore. 

Pourtant, au départ, la situation étaitlimpide. Un cinéaste obscur,provocateur avéré et escrocplusieurs fois condamné, réalise unf ilm qui se moque de l’Islam demanière primaire, vulgaire. Le filmest un bide qui n’intéresse personne.Jusqu’à ce que son auteur le mettresur Internet. Là, les réseaux leprennent en charge pour ledénoncer, ce qui lui assure unepublicité extraordinaire.L’engrenage est connu, maisimparable. 

Dans cette course vers le chaos, lemoment critique se situe débutseptembre, lorsque les réseauxsociaux s’emparent de l’affaire.Aucune voix dans le mondemusulman n’est assez crédible ouaudible pour s’emparer de l’affaireet l’orienter dans une directionprécise. Aucune institution n’al’influence nécessaire pourdégoupiller l’affaire. Là encore, lerésultat est inévitable : c’est la ruequi impose son diagnostic, sasolution, ainsi que la forme et lesmoyens de la réplique. 

Il ne s’agit pas de mettre enopposition une élite supposéeéclairée et une rue aveugle. Mais ilest impossible d’occulter cedécalage évident entre une sociétéet ses représentants, cette absencede médiateurs qui instaure laviolence comme seul mode dedialogue entre la «rue» et le pouvoirdans les pays musulmans. On peutd’ailleurs s’interroger, dans le cas de

l’Algérie, pourquoi des personnagescomme Abdelaziz Belkhadem,Ahmed Ouyahia ou BouguerraSoltani n’interviennent paspubliquement pour appeler leurspartisans à la raison. On peut toutaussi biens se demander s’ilsauraient de l’influence, s’ils seraientécoutés ou si, au contraire, leurintervention ne déclencherait pas lacolère de la rue. 

De plus, le moment est très délicat.Et s’il faut absolument intervenir,comment aborder la question ? Surquel plan traiter cette affaire? Sur leplan religieux, juridique, politique,diplomatique ou autre ? La «rue»arabe a traité le sujet sur le planémotionnel, le pire de tous. Mêmesur le plan religieux, le sujet estdélicat, mais les imams «religieux»l’ont bien géré, contrairement auximams «politiques» qui ont adaptéleurs positions à celles de leursdirigeants politiques. HassanNasrollah, les imams saoudiens, ceuxdu Golfe, d’Egypte et d’Al-Jazeera,ont tous eu des réactions conformesà ce qui était attendu. Ils ont colléaux pouvoirs politiques ou auxcourants idéologiques dont ils sontles porte-paroles. 

Curieusement, cette affaire a aussiune profonde méconnaissance del’Occident, de la pensée occidentaleet des systèmes politique etadministratif américains, y comprisdans des pays réputés proches desEtats-Unis. Le gouvernementaméricain ne peut pas interdire cegenre de f ilm en raison de soncontenu. Il peut en interdire laprojection parce qu’il provoque destroubles, porte atteinte à l’ordrepublic ou à la sécurité des Etats-Unis,mais pas en raison de son contenu.Le premier amendement de laConstitution des Etats-Unis porteprécisément sur la liberté de penséeet d’expression, qui n’ont pas delimite. 

Cela se confirme avec les autoritésfrançaises qui assistent,impuissantes, à la publication denouvelles caricatures, en déplorantprudemment le choix des journaux,

se contentant de rappelerprudemment, à chaque fois,que cela relève de la libertéd’expression et du sens desresponsabilités de chacun. Apartir de là, entendre HassanNasrallah menacer les Etats-Unis en cas de diffusion du filmapparait comme un autremauvais film. 

En Algérie, par contre, lesréactions ont été pluspondérées. L’Algérie n’ad’ailleurs pas connu d’actes deprotestation signif icatifs,encore moins d’actes dedestruction. Est-ce le résultatdu discours politique et celuides imams, qui ont fermementcondamné, tout en prenantleurs distances envers ce quel’un d’eux a appelé «elghaougha» (la populace) ? Est-ce une perte d’influence desréseaux islamistes radicaux,qui n’ont pas réussi à mobilisermalgré le recours aux réseauxsociaux ? 

On aura tout de même notéque de nombreux imams,parlant apparemment au nomdu ministère des affairesreligieuses, se sont montrésréservés, sinon franchementcritiques envers les actions deprotestation violentes et peucivil isées. Ces pratiquesportent précisément atteinte àl’image de l’Islam, etrenforcent la conviction, chezles autres, selon laquelle l’Islamest belliqueux et agressif, a ditun imam, tout en appelant àune «réponse réfléchie».Rassurant de voir, pour unefois, que l’Algérie a adopté uneattitude ferme, mais réfléchie. 

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Coup de Coeur

Amine Aït Hadi

Souvenirs d’une véritable icône du raï sentimental

Cheb Hasni meurt le 29 septembre 1994 sous les balles de l’intégrisme.

Il y a quelques jours a été commémoré l’anniversaire de la disparition de la star de la chanson algérienne

et du raï, il y a de cela 18 ans.

Souvenirs d’une véritable icône du raï sentimental,

chebHasni, meurt le 29 septembre 1994 sous les balles

de l’intégrisme, à la sortie d’un café, tout près de chez

lui à Oran. Surnommé «le rossignol du raï», ou encore, le

«Julio Iglesias oranais», 18 ans après la tragédie, la place

réservée à sa mémoire

reste vive. L’image d’un

homme qui s’est engagé

avec ses chansons

d’amour, en compagnie

de ses plus fervents

admirateurs, qui

continuent de l’écouter

et de pleurer aux élans de

sa voix, les voitures

irradient encore sa

musique, à travers les

réseaux sociaux aussi, où

on aff iche la photo du

regretté chanteur sur les

profils. Plusieurs hommages consacrés à chebHasni, en

souvenir de sa voix mélodieuse, de son charisme

incontestable, Le chanteur, de son vrai nom,

HasniChakroun, enfant du quartier populaire de

«Gambetta» s’est vu attribué un hommage

cinématographique à travers le film «Hasni, la dernière

chanson»qui a été diffusé sur la chaîne «El Djazayriya»,

un film réalisé par Messaoud Elâïeb, et écrit par Fatima

Ouazen et qui retrace autant la carrière artistique de

Hasni que sa vie sentimentale. Auteur d’un record de

150 albums en seulement 8 ans, soit l’oeuvre de plusieurs

vies, Hasni donnera du fil à retordre à la nouvelle

génération de chanteurs raï, tant le choix est difficile

dans son inépuisable répertoire, pour décider de la

chanson à reprendre, ce qui fait qu’une dizaine de

disques incluant divers artistes, reprennent ses tubes les

plus fredonnés, dans le but de continuer à célébrer la

mémoire du chanteur «El Chira Linabghiha», «El bayda

mon amour», et «Li bini ou binha», «GaaNsa», «Srat Biya

Kissa» «MazelKayen», «GalouHasni Met», et tant

d’autres qui ont fait vibrer garçon et filles, que ce

soit lors de ses grands concerts, rassemblant

jusqu’à 150.000 personnes ou sous la belle étoile.

Cheb Hasni demeure l’idole des jeunes, des deux

cotés de la méditerranée jusqu’à aujourd’hui, le

rossignol du raï, qui

s’est montré d’une

loyauté infaillible à son

pays et de ses fans, en

refusant de quitter le

pays malgré les

menaces qui

entouraient sa

personne. Hasni

c o n t i n u e r a

apparemment à faire

flamber les coeurs à

travers ses chansons

sentimentales avec

lesquelles il a

représenté la voix amoureuse des rues et des

quartiers populaires, la voix des amants également,

car chebHasni a partagé ses tourments et ses

passions, à travers des histoires personnelles voire

même intimes, évoquant tour à tour, le plaisir et le

désir, la séduction, l’exil, et nombre de thèmes

tabous que le chantre n’a pas épargnés. Son trop

plein d’honnêteté légendaire et ses paroles osées,

son franc-parler ainsi que son audace lui valent de

s’attirer les foudres de l’intégrisme. La pression des

extrémistes n’arrivant pas à faire taire le jeune

homme, bien au contraire; la censure le rend encore

plus populaire dans tout le Maghreb, faisant de lui

le porte-parole de toute une génération. Une

génération à qui il aura aussi tendu un espoir qui

était denrée rare à l’époque. Un chanteur qui a su

saisir les préoccupations et les marasmes de cette

jeunesse algérienne alors que la société s’enlisait

déjà, dans la tragédie collective.le 02 Octobre 2012

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Coup de Coeur

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Karima Malki

le 04 Juillet 2012

Je me souviens...Moi, je me souviens : fusillade, morts, sang, cris, chars, retenue à

l’école….

Je me souviens des pas des soldatset du chocolat qu’ils distribuaient,des soldats qui nous ordonnaient desortir de nos maisons, des fusils etbaïonnettes pointés sur nous…. Jeme souviens de la terreur qui se lisaitsur les visages de nos proches… Jeme souviens du pan de la robe de mamère dans lequel je me cachais, despleurs de ma sœur… Je me souviensde nos regards apeurés, innocents,ne sachant ce qui nous attendait. Jeme souviens des bousculades : onnous rassemblait, femmes, hommes,enfants, vieux, bébés sur un terrainvague près de l’hôpital de Nédroma,ma ville natale. Il fait chaud, très

chaud, les bébés pleurent, on a soif,on a faim, on est parqué en plein soleilpendant des heures et des heures…Il y a un monde fou, on attend quoi ?Un hélicoptère, le général de Gaulle? Je me rappelle des coups de feu,une bombe… Les gens courent, sepiétinent, pleurent crient… Ma mèrenous saisit par la main et nous crie :«Ne regardez pas, courez, courrez !»

Ma mère pleure, son père et sonfrère (16 ans) sont en prison, le frèreaîné a été tué par les soldats français.Dans la famille, la mort se succède :un oncle, un cousin, un frère, unneveu, un voisin… Je me souviensdes hommes voilés d’un haïk, commedes femmes, qui venaient souvent àla maison. J’entendais souvent«moudjahidine». Je n’oublie pas ladétresse, le désespoir, la tristesse etl’impuissance de ma mère devantl’arrestation de mon père qui s’étaitcaché sur la terrasse et que lessoldats ont fait sortir à coups de pied,la baïonnette pointé dans le dos, la

main sur la tête, lui criant «avance,avance… Plus vite que ça !».

Corde à sauter

Je me souviens que je jouais avecmes petites voisines Rachida, Farida,avec une poupée de chiffonfabriquée avec deux bâtons debambou, de la laine de couleur pourles cheveux, du coton pour le corps,habillée de chutes de tissu que mamère jetait… Je me souviens desbilles que je lançais avec aisance etfierté avec les garçons Fethi, Rahmiet Jamel. Je me souviens de la cordeà sauter, de la balle que je lançais enchantant «à ma balle…». Je merappelle de la radio que mon pèreécoutait, l’oreille collée, dans unsilence absolu… Je me souviens dela venue de mon grand-mère, de mesoncles et tantes, fuyant le village, ledeuil… Je me rappelle de ma robevert, blanc, rouge et de pantalons,chemises et cravates de mêmescouleurs que ma mèreconfectionnait en cachette, ensilence…

Je me souviens du lance-pierre quemon frère (Allah yrahmou) utilisaitpour casser les lampadaires de la rueSidi Bouali où nous habitions pourque les moudjahidine puissent venirsans être vus… Je n’oublie pas le jouroù, enfin, j’ai vu ma mère rire, courir,pleurer avec les voisines Zakia,Ghoutia, Amaria, Leïla, brandissantdes drapeaux en criant à tue tête«Tahia Houria, Tahia El Djazaïr».L’hymne national Qassaman et lesyouyous… Mon père est revenumais pour longtemps, il est parti enFrance je n’ai rien compris… Lesgrands-parents pleurent, nouspartons aussi. Je me souviens desvalises, des couvertures entasséesdans une petite voiture, directionOran, puis le train. Je me souviensdu froid, de la neige. Paris. Mon pèreest là, nous sommes heureux !

Nous sommes des enfants victimesd’une guerre, des enfants perdus,sans repère, à la recherche d’unevérité cachée, à la recherche d’uneidentité. Français-Algériens,Algériens-Français ? Emigrés,clandestins et sans papiers…

Slim vu par

Yasmina KhadraMon histoire avec Slim a commencéau début des années 1970. J’étaisCadet de la Révolution à l’écolemilitaire de Koléa, une école où lapresse écrite, la radio, les livres noninscrits à la bibliothèque scolaireétaient formellement interdits –nous avions droit à deux heures detélévision par semaine, le dimancheaprès-midi, pour suivre le match defootball. Aussi, se faire surprendreavec un journal sous le manteauétait enfreindre outrageusementle règlement. Cetteinsubordination caractérisée nousexposait à de sévères sanctionsdisciplinaires qui, parfois, allaientjusqu’aux arrêts de rigueur et à laprivation de vacances.

2Slim publiait les tribulationsde Bouzid et Zina dans ElMoudjahid, l’organe officiel du Partiunique. Ses dessins étaient, pournous enfants captifs de l’institutionmartiale, de véritables momentsd’évasion. Et nous ne nous enprivions pas. Ah ! Ce gat m’digoutifiliforme, noir et maigre commeune éraflure sur du granit, maisperspicace jusque dans le moindredétail, toujours attentif aux dérivesdes hommes. Quel régal !… Et lamoustache torsadée de ce Kabylealerte et fulgurant, prêt à foutre enl’air le monde et les tabous si sadulcinée était bousculée… Et Zinamomifiée dans son voile, rappelantune barque en partance vers toutesles belles illusions… C’étaitmagique, hilarant ! A travers lesaventures de Bouzid, nous voyionsdu pays, voyagions d’une mentalitéà l’autre avec inf iniment dedélectation, découvrions, pan parpan, cette Algérie paradoxale queles gril lages de l’école nousconfisquaient en réduisant notrepatrie à une cour efflanquée, unpréau sinistre et des dortoirs auxallures d’enclos à bestiaux. 

3Slim, c’était notre guide etnotre éveilleur de conscience. Leregard qu’il portait sur notre sociétéet nos mœurs, nos serments et nosdéfections, nos petites et grandeslâchetés était constamment lucide,tendre malgré un traitementsocioculturel sans concession. Ilétait cette porte dérobée quidonnait sur des réalités autres quecelles que l’on nous enseignait enclasse, entre deux hymnesnationaux et deux paradespharaoniques ; des réalités qui noussurprenaient quelquefois quand lesdiscours avec lesquels on nousbassinait à longueur de journéesrésonnaient à nos tempes commedes sons de cloches fêlées... Il fautsignaler que nous, pupilles de lanation, étions formatés pour

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Coup de Coeur

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Février 2012le 08 Septembre 2012

idéaliser notre pays, pour ne voirque ses monuments colossaux etses bannières triomphantes. Nouscroyions dur comme fer auxlendemains qui chantent. Reclusderrière nos miradors d’enfantssoldats, nous guettions les horizonscomme des armées ennemies qu’ilnous fallait terrasser avant d’éleversur leur débâcle des stèles à notregloire… Et voilà Slim qui nouséveille à la déroute programméede nos valeurs, audysfonctionnement encoreimperceptible de nos illusions. SesFakou ! claquaient en nous commedes tirs de sommation. Ses allusionsécartaient un peu plus nos œillèreset nous renseignaient sur certainsparjures et sur certaines véritésroturières en train de gangrénerméthodiquement les valeursrévolutionnaires et la noblesse denos sacrifices. A cette époque, les

geôles ingurgitaient lesempêcheurs de tourner en rond sursimples supputations tandis queSlim semblait ne reculer devantaucun danger, le crayon à l’affûtd’une filouterie, la touche aussiemblématique que le signe deZorro. Sa liberté de ton nous faisaitcraindre le pire pour lui, ce quiconférait à son audace un aspectsuicidaire qui le grandissaitdavantage à nos yeux : il était notrehéros, bien plus fascinant et plusvaleureux que son personnagefétiche, Bouzid.4[...] Ainsi naquit lalégende de Slim qui, aujourd’huiencore, berce mes souvenirs d’uneimpérissable affection. Slim était lasuperstar algérienne, l’intrépidechantre de nos silences, le diseurde nos colères, l’artisan de nosrebellions intérieures. Il dominaitson monde telle une oriflamme sahampe. Universitaires, potentats,lycéens, officiers, guichetiers,instituteurs, médecins, militants,journalistes, écrivains, tous lesAlgériens, grands et petits, célèbresou illustres inconnus, femmes ethommes saluaient son talent, seréclamaient de son honnêteté,s’identif iaient à lui. Il étaitépoustouflant, génial, souverain aumilieu de ses bulles. [...]

Les chiffres sont jalousement gardés par le ministère de la justice

Il faut compter une moyenne de 650 à 850 changements de nom defamille dans chaque wilaya au cours des 50 dernières années. Pour les

grandes villes comme Alger, Oran, Constantine et Annaba, leschangements sont plus nombreux que dans le reste du pays.

Entre 30 000 et 35 000 changements de nomde famille depuis l’indépendance

Depuis le recouvrement del’indépendance, le 5 juillet 1962, despersonnes se sont précipitées pourchanger leur patronyme. Entre 30000 et 35 000 noms ont été changés,selon des sources universitaires.Exemple : le nom Khanfous(scarabée) changé en Ben Abbas, ouOulid Eddib (fils de chacal) changéen Dahbi, les dossiers de demandepour le changement de nom defamille en Algérie continuent à êtreenvoyés au ministère de la Justice.Cela concerne souvent lespersonnes qui ne veulent pas porterun nom injurieux, véritable fardeaulorsqu’on sait que la société estrailleuse.

Il subsiste un black-out sur lesvéritables statistiques. Le ministèrede la Justice préserve les chiffrescomme un secret Défense. Pourpreuve, les services de lacommunication de ce départementministériel n’ont pas jugé utile denous communiquer la moindreinformation. Toutefois, selon leschiffres que nous avons pu recueillirauprès d’universitaires, le nombre dechangements de nom de familleoscille entre 35 000 et 40 000 depuis1962. Me Fatma Zohra Benbrahamavance, quant à elle, un chiffreencore plus élevé qui dépasse les 50000.

Nos sources nous expliquent qu’ilfaut compter une moyenne de 650 à850 changements de nom de familledans chaque wilaya au cours des 50dernières années. Pour les grandesvilles comme Alger, Oran,Constantine et Annaba, leschangements sont plus nombreuxque dans le reste du pays.

Au niveau de la capitale seulement,plus de 1500 changements ont eu lieudepuis le recouvrement de lasouveraineté nationale. AConstantine, les demandes dechangement de nom sont trèssignificatives. Elles dépassent les2000. Nous ne citerons aucun nom,mais force de constater que les nomsignominieux et obscènes sontmonnaie courante à l’est du pays.

Dans ses travaux, le docteur FaridBenramdane, spécialiste en Algériede la question patronymique, maîtrede conférences à l’université deMostaganem, nous indique que«l’administration algérienne travailletoujours sur la base de l’état civil du23 mars 1882.» Cette loi édicte lesprocédures de choix ou d’attributiondu patronyme. La transcription del’état civil s’est faite en «13 ans àpeine, d’après les textes de LouisMillot, et par un personnel nonspécialisé». Au bout de cettedécennie (1882 à 1895), 13 000 à 15000 noms ont été octroyés à desAlgériens. Au f il des années, encomptant les différentestranscriptions, ces données onttriplé. Par exemple, Belhocines’écrivait chez certainsadministrateurs Belhoucine ouBelhoussine.

De son côté, Ouerdia Yermèche,docteur en sciences du langage,souligne dans ses recherches que «latranscription des patronymes enarabe se fait toujours sur la base dela graphie française, laissant librecours à la fantaisie des employés del’état civil», puisque l’administrationalgérienne travaille toujours sur labase de l’état civil de 1882. Ce quilaisse également la porte ouverteaux erreurs et aux manipulations.

Comment ça marche ? :

Pour changer son nom de famille, ilfaut rédiger une demande avec debons arguments (nom ignominieuxou obscène) et la transmettre auministre de la Justice, garde desSceaux.

Dans le cas d’une réponse positive,le changement de patronyme doitfaire l’objet d’une publicité dans unquotidien national. Les personnes s’yopposant peuvent agir en l’espacede six mois.

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Coup de Coeur

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02 Août 2012

Le 1er août 2009 disparaissait Francis Jeanson. Philosophe sartrien, intellectuel engagé et critique littéraire, il est célèbrepour avoir fondé le réseau de soutien français au FLN. Connu sous le nom impropre de « Porteurs de valises », ce réseau

fut d’une redoutable efficacité contre la puissante machine de guerre que le colonialisme français a mobilisée pour briserla farouche volonté d’indépendance du peuple algérien. Comment un intellectuel français qui ne connaissait a priori rien

à l’Algérie en vint il à se faire le Frère des frères alors que d’autres Français d’Algérie ont, par leurs silences et leursdérobades, cautionné l’oppression coloniale ? 

L’engagement absolu de Francis Jeanson

Pour le comprendre, il faut retracerl’itinéraire du philosophe. FrancisJeanson prend contact avec la terreet les réalités algériennes pendantla Seconde Guerre mondiale (…) «Jedébarquais pour la première fois (en1943) et je venais précisément dedécouvrir, comme on reçoit un choc,mon ignorance de «métropolitain»,une ignorance totale, accablante, àl’égard des réalités algériennes lesplus élémentaires ». Lescirconstances le ramèneront enAlgérie en 1948 en compagnie de safemme, Colette(…) Pendant ceséjour qui dura six mois, Jeansondialogue avec Ferhat Abbas, AhmedBoumendjel, Ahmed Francis (…)«J’ai rencontré, déclare Jeanson, desmilitants nationalistes dont certainsétaient déjà passés dans laclandestinité ; ils me parlaient de leurcombat. C’est là que j’ai acquis laconviction qu’il se préparait quelquechose. »… Ses discussions avec lesEuropéens accréditent les analysesdes nationalistes : « Tout ce quej’avais pu enregistrer desnationalistes comme revendications,comme protestations, commecondamnations de l’attitudecolonialiste, tout cela s’est trouvéconfirmé »… De ces rencontresémerge peu à peu une solideconviction que Jeanson va exposerdans deux articles publiés, dans larevue personnaliste Esprit en avril-mai 1950, sous le titre ironique de «Cette Algérie conquise et pacifiée ».Solide et pertinente, cette étudeest, à tous égards, un modèle dedescription de la mentalitécolonialiste. Deux éléments ont serviJeanson. Sa qualité de métropolitainqui lui a permis d’avoir un regarddistancié, et le fait d’avoir vécu, sanspréjugés, au milieu des Musulmansou des Arabes, comme on disaitalors… Aux yeux de Jeanson, ce sontles Européens d’Algérie qui créentet font perdurer cette vision des «Indigènes ». Dans la plupart des cas,« le Français d’Algérie ne rencontrepas l’Arabe en tant qu’homme, maisen tant qu’Arabe, en tant queMusulman, en tant qu’indigène d’unpays conquis ». Par conséquent,cette situation impose à l’Européende voir l’Arabe comme un êtredominé et soumis, les Arabes commeun peuple vaincu et soupçonné enpermanence de chercher à serévolter. La situation d’infériorité, de

vaincu de l’Arabe est due auxcirconstances historiques. C’estparce qu’il n’a pas réussi à empêcherson pays d’être conquis que l’Arabese voit condamné à s’adapter à lasituation ainsi créée par la victoire ducolonialisme. Pour continuer àexister, il a fallu se faire passif, sesoumettre aux vainqueurs…Francis Jeanson montre à quel pointle colonisateur demeure prisonnierde ses contradictions. Ce dernier, quiprétend bien connaître ses Arabes,n’a jamais songé, dans la vieconcrète, à les fréquenter, à se lier àeux par des sentiments d’amitiévéritable… Quant à Jeanson « ayanttoujours fait confiance [aux Arabes],dans quelque situation que ce soit,et n’ayant jamais eu à le regretter »,il croit « savoir assez bien (et d’autantmieux qu’il n’est pas le seul àdisposer d’une expérienceanalogue) ce que pourraient êtreces hommes dans une atmosphèredifférente de celle qu’on entretientautour d’eux »…La seule issuepossible pour un véritablerapprochement entre Français etAlgériens, c’est la ruine du systèmecolonial. Armé de telles convictions, Jeansonvoyait se réunir les conditionsobjectives et subjectives de ladéflagration de novembre 1954. PourJeanson, contrairement à beaucoupd’autres, la révolte de la Toussaintn’a pas été une surprise. Le MTLDen crise était manifestement horsd’état de provoquer uneinsurrection indépendantiste. Sicertains seulement pressentent quec’est le début d’un durable conflit,beaucoup se demandent quels ensont les instigateurs.Désireux d’en savoir davantage,Francis et Colette Jeanson formentle projet d’écrire un livre sur le sujet.Tuberculeux, Francis ne peuteffectuer le déplacement, c’estdonc Colette qui enquête. « Enfévrier 1955, j’ai d’abord rencontrémes amis de l’UDMA : AliBoumendjel et le docteur Francis. Ilsétaient très méfiants à l’égard del’insurrection. Puis j’ai vu des gensdu MTLD. C’est sur un ton peuamène qu’ils m’ont demandépourquoi je voulais contacter leshommes du CRUA : pour eux :c’étaient des suicidaires.F inalement, j’ai téléphoné au

professeur Mandouze. Il m’aenvoyé un jeune médecin,Pierre Chaulet, qui m’a guidéejusqu’à un bidonville desenvirons d’Alger. Là, j’aidécouvert de véritablesmilitants et j’ai compris que leCRUA disposait d’une audienceréelle. Enfin l’avant-veille demon départ, j’ai rencontréSalah Louanchi qui étaitpourchassé depuis l’interdictiondu MTLD. Il se cachait chezl’abbé Scotto, ami deMandouze. Louanchi, qui étaitun modéré, se montraitcependant moins réservé queses amis centralistes sur leCRUA… En décembre 1955paraît, non sans mal, L’Algériehors-la-loi…

Dans la question algérienne, lesauteurs déclarent prendred’emblée « le parti pris des faits». C’est, par conséquent, en sefondant sur leur perception desréalités, sur des analysesfournies par les acteurs ets’inscrivant dans l’histoirealgérienne que les Jeansonbâtissent leur approche. Ils s’yimpliquent en se refusant leconfort de parler à partir d’unlieu abstrait qui manquerait leproblème…Pour les auteurs, l’insurrectionalgérienne est d’abord unproblème politique, c’est danscet éclairage qu’il convient dele traiter. On ne saurait leréduire à une dimensionéconomique ou sociale. End’autres termes, il ne suffit pasd’améliorer la conditionéconomique, (proposer dessalaires plus décents), ousociale (fournir des médecins,des logements, de meilleuresconditions d’hygiène) desMusulmans. C’est reconnaître,avant toute chose, que seuls lesAlgériens sont à même deposer leurs problèmes et de lesrésoudre. Seuls, ils sontcapables de choisir et deconduire la politique idoine »…

Omar Merzoug

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NRP, Octobre 2012, n°13

[DROIT]

Droits de l’homme, disparus, harraga, corruption : Le tableau noir de la commission Ksentini

Yazid Alilat

C’est un constat sévère que fait la commission dirigée par M. Farouk Ksentini: l’état des droits de l’homme enAlgérie «est peu reluisant». 

Dans son rapport annuel 2011 rendu public vendredi, laCommission nationale consultative de promotion et deprotection des droits de l’homme (CNCPPDH) relève en fait legrand fossé qui sépare l’Algérie d’un réel état de respect desdroits de l’homme. Certes, la démarche est courageuse, maisles responsabilités dans cette situation ne sont pas clairementdéfinies, hormis le fait que la Commission pointe du doigt uneobscure administration qui bouche, selon elle, les horizonsdevant le respect des droits de l’homme dans le pays. «Lediscours politique et les bonnes intentions, à eux seuls nesuffisent pas, sans une réelle et effective traduction des droitsde l’homme dans les faits et dans la vie de tous les jours desAlgériens et Algériennes», estime la Commission, qui relèveque si «la volonté politique pour ancrer les droits de l’hommedans la vie quotidienne des citoyens existe», elle précisetoutefois que cette volonté «hélas, elle ne suffit pas face à uneadministration dirigée, aux différents échelons et dans unelarge mesure, par des personnes pistonnées, imposées oucooptées qui sont au service de leurs propres intérêts et deceux de leurs +bienfaiteurs+ et non au service exclusif dupeuple». 

Pour la CNCPPDH, «cette volonté politique doit se traduire enune action politique salvatrice libérée de toute emprise, pourprendre de véritables décisions qui prendront en charge etconcrétiseront effectivement les aspirations des Algériens etAlgériennes à jouir de leur citoyenneté et de leurs droits,notamment en matière de justice, d’éducation etd’enseignement, d’égalité, de santé, d’emploi, de logement,d’information et de sécurité de leurs personnes et de leursbiens». Un voeu pieux, puisqu’elle estime dans ses conclusionsl’état des droits de l’homme en Algérie est «peu reluisant». Lacible ? L’administration qui n’aurait pas tenu ses «promesses»dans la prise en charge des revendications du peuple.Fatalement, la colère des citoyens devant la non-satisfactionde leurs droits sociaux dont l’accès aux services de base(logements, eau, électricité, routes, transports) ont provoquédes manifestations souvent violentes, reconnaît la CNCPPDH. 

«L’effervescence constatée à travers l’ensemble du pays etcet engouement sans précédent pour les revendicationstraduit une réelle prise de conscience des citoyens que leursdroits sont ignorés par l’administration», relève le rapport dela Commission. Mieux, elle estime que «les promesses nontenues et sans lendemain de représentants de l’Etat relativesà la prise en charge des problèmes soulevés (...) laissentperplexes tout un chacun sur la gouvernance en Algérie et lesrapports entre l’administration et les administrés». 

LA SOCIETE CIVILE DOIT BOUGER 

Selon la Commission de Ksentini, les acteurs sociaux, c’est-à-dire les associations et ONG doivent se mobiliser et redoublerd’efforts et agir pour donner une «pleine effectivité» aux droitsde l’homme en Algérie. La société civile, ainsi que les pouvoirspublics doivent donner un sens concret au respect des droitsde l’homme en Algérie. Pour la Commission, les émeutespopulaires enregistrées à travers le pays en 2011 «renseignentsur le climat de tension qui règne au sein de la société etalimente le sentiment de méfiance des Algériens à l’égard decertains pouvoirs publics locaux et nationaux». Mieux, ‘’le

comportement de certains responsables de l’administrationalimente un sentiment de méfiance, voire de frustration chezles administrés qui se sentent méprisés», ce que le citoyenlambda désigne comme étant la «hogra», estime-t-elle. Outrela nécessaire prise en charge des droits de la femme, laCNCPPDH relève, concernant le cas des personnes disparuesdurant la décennie de la tragédie nationale, que la position dela «minorité de familles», composées de mères, d’épouses etd’enfants, qui refusent actuellement de s’inscrire dans ladémarche tracée par la Charte pour la paix et la réconciliationnationale, «mérite le respect et la compréhension». Elle arecommandé, à cet égard, «l’instauration par les pouvoirs publicsd’un dialogue, dans un climat serein et apaisé, avec ces famillesafin de produire à chaque famille l’ensemble du dossier relatifaux recherches entreprises par les différents services desécurité relevant des départements ministériels en charge del’intérieur et de la défense, sur la disparition de leur proches». 

HARRAGA, GARDE A VUE, CORRUPTION 

Le rapport de la CNCPPDH ne pouvait être complet sans évoquerle cas des émigrants clandestins, les harraga, dont beaucoupmeurent dans des conditions dramatiques durant la traversée,quand ils ne sont pas pris et jetés en prison. Sur ce dossier, laCommission que dirige maître Ksentini a affirmé «n’avoir cesséd’attirer l’attention aussi bien du pouvoir exécutif que législatifsur cette question, éminemment humaine et de détressesociale, à qui les pouvoirs publics ont réservé une réponsecoercitive, une réponse pénale». «Un non-sens qui reflète lefossé existant entre la population et ceux censés être à sonservice et à l’écoute de ces milliers d’Algériens et d’Algériennesqui préfèrent tenter de franchir la Méditerranée avec unechance insignifiante d’y arriver que de vivre dans un paysconsidéré, à tort ou à raison, comme étant un Etat de non-droit», explique-t-elle sur ce cas qui concerne des centaines defamilles de harraga. Revenant sur le dossier de la garde à vue(ou plutôt les conditions de déroulement de celle-ci), un desthèmes les plus abordés par les défenseurs des droits del’homme dans le cas de l’Algérie, la commission a rappelé l’avoir«régulièrement décriée dans ses rapports annuels sur l’étatdes droits de l’homme au titre des années 2008, 2009 et 2010".«Cette situation, si elle perdure, est contraire aux dispositionsde l’article 34 de la Constitution qui dispose que l’Etat garantitl’inviolabilité de la personne humaine», a-t-elle prévenu. 

 Pour le volet corruption, un mal qui ronge comme un cancerl’Algérie, la CNCPPDH préconise une lutte «effective et sansrelâche», appelant à des sanctions «exemplaires et dissuasives»pour lutter contre ce fléau. «La corruption gangrène notrepays et l’impunité aidant, elle risque d’altérer toute démarchetendant à assurer un essor économique et social», a prévenu laCommission. Selon le classement 2011 de TransparencyInternational, l’Algérie arrive à la 112e position sur 182 pays,selon l’indice de perception de la corruption, et recule ainsi desept places par rapport au rapport de 2010 dans lequel elleoccupait la 105e place sur 180 pays. D’où le cri d’alarme de laCNCPPDH, mais également de la société civile et deTransparency Algérie. 

le 25 Août 2012

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NRP, Octobre 2012, n°13

[SOCIÉTÉ]

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Légendes, croyances et mythes

Dès la tombée de la nuit, certaines mères de famille se pressent de faire rentrer leurs enfants afin d’éviter que le «diable» ne

s’empare d’eux. La personnalité des Algériens a été façonnée à partir d’un mélange de réel et d’imaginaire, de mythes et de

légendes, d’histoires fictives et réelles. Parfois, la métaphysique cède la place à l’absurde.

Comme cette anecdote rapportéepar le journal sportif Le Buteur selonlaquelle un attaquant de l’équipenationale de football espoirs,Mohamed Chalali, aurait accusél’équipe marocaine desorcellerie.«Le joueur était, selon lejournal, convaincu qu’un grigrimarocain avait été mis dans son sac,car il a été victime d’un claquage auxadducteurs dès les premièresminutes du match.»

Vieilles Kabyles vs islamistes

Les superstitions et les croyancespopulaires, qui ne suscitent souventqu’un haussement d’épaules desintellectuels et modernistes, sontpourchassées par lesislamistes.Dans la région de Melbou,ville balnéaire de petite Kabylie, leslégendes se heurtent à la religion. Al’entrée de la grotte YemmaMelbou, des odeurs d’encens, descendres et des offrandes de selrappellent que les vil lageoisviennent prier Melbou pour qu’elleexauce leurs vœux. Le fait est quele village porte le nom d’une belled’Andalousie ayant échoué sur lesrives d’Aït Segoual, qui disposait d’unsavoir que les vil lageois neconnaissaient pas. Ils se sont alorsmis à croire à ses pouvoirssurnaturels.

Des femmes restaient des heuresdans la grotte de Melbou à attendreque l’une des stalagmites délivre

une goutte d’eau qui leur assurerait,selon la croyance populaire, lafertilité. Maintenant que l’illettrismea pratiquement disparu, les visites àla grotte de Melbou se font plusrares. Seules quelques rares vieillesdu village font encore des waâdas enson honneur. Des manifestationsauxquelles s’opposent fermementles religieux du village assimilant cespratiques au shirk. Il se raconte aussiqu’en mai 1945, les vil lageoisrassemblés sur la plage de Melbou

par les troupes françaises auraientété sauvés par l’apparition d’unevieille femme sur les rochers. Depuisce jour, l’histoire de Takhalouit ElMarsa (la vieille femme du port) setransmet de génération engénération. Des femmes y allumentdes cierges pour implorer saprotection. Mais la pratique se perd,car plusieurs voix se sont élevéescontre des pratiques irrationnelles etn’ayant aucune valeur.

La version la plus probable, dit-on,mais beaucoup moins romantique,est que les soldats français ont reçudes appels radio pour relâcher lespersonnes interpellées.Lescroyances les plus persistantes sontgénéralement l iées à la culturesoufie. Le fait est que chaque villagepossède son saint marabout : SidiAbderrahmane protège La Casbahd’Alger, Sidi Boumediene préserveTlemcen, Sidi El Houari est le saintpatron d’Oran, Mokhtar Sidi Kadagarde Mascara, tandis que Sidi

Hmeïda protège Annaba et que SidiMaâmmar, Djedi Menguelat ouYemma Gouraya veillent sur laKabylie. Leur pierre tombale estmythifiée. On y revient pour faire desvœux, pour marier une jeune fille,demander secours en cas dedétresse ou de maladie. «L’onraconte qu’un cheikh avait dit uneprière pour ma famille. Les filles dema lignée ne devaient jamaismanger la langue de mouton niporter de chaussures rouges. Il avaitaussi prédit qu’elles seraient trèsintelligentes et instruites et de cepoint de vue, il avait raison», nousconfie Anissa, médecin originaire deTazmalt. En Kabylie, il est encore desfamilles qui prénomment leur fils Akli(l’esclave) ou Larbi (l’arabe) pour leuréviter le mauvais œil.

Au rythme du bendir…

Dans certaines régions du Sud, on selaisse porter par les parfums del’encens et les rythmes du bendir. ABeni Abbès, près de Béchar, l’ondanse encore, jusqu’à atteindre latranse, pour expier la douleur.

A l’occasion du Mawlid Ennabaoui,les hommes habillés de blancdonnent des coups de baroud pourchasser les mauvaises pensées et lesesprits malins. «Le peuple n’inventerien, tout est lié à la culture soufie.Bien sûr, l’imaginaire populaire tendquelquefois à exagérer les choses ouà enjoliver les événements ou lespersonnages des Awilya. Mais ellestiennent généralement leurs racinesde la religion populaire», expliqueSaid Djabelkhir, chercheur,spécialiste en soufisme.

D’autres considèrent que même sila religion a pu nourrir ou inspirercertains comportements, il nefaudrait pas les confondre. «Lasuperstition est, le plus souvent,forgée par les croyances populairesavec quelquefois un rituel aucontraire de la religion qui parle defoi et de dogme», soulignel’ethnologue malien AlfredKalamby.  La superstition reste untémoin des épreuves qu’a traverséesle pays, de ses traditions séculaireset de l’imaginaire populaire.  Lescoutumes antéislamiques et les

AMEL BLIDI

L’Algérien est-il superstitieux ?

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[SOCIÉTÉ]rituels anciens avaient jusque-làparfaitement cohabité avec l’islam,dans un entrelacement du sacré etdu profane.

Elles se font plus tenaces lorsque desespoirs ou des craintes semanifestent.  Qu’en reste-t-il dansl’Algérie du XXIe siècle ? Dans lesmariages, les proches de la mariéedissimulent son henné, de peur qu’onlui jette un sort et l’on veille à cequ’elle porte un petit garçon sur sesgenoux ou à ce qu’un enfant de sexemasculin lui ferme sa ceinture pourqu’elle donne un héritier à la famille.

Certains égorgent encore des coqspour fêter l’achat d’une voiture oul’acquisition d’une maison. Et l’onattribue toujours le célibat à descauses métaphysiques (mauvais sort,manque de chance…). S’il est un faitaccompli qu’un bon nombred’Algériens préfèrent consulter un«taleb» ou un imam plutôt que d’allervers un psychothérapeute, il est plussurprenant de constater que les psyseux-mêmes ont recours à ces

pratiques. «Certainspsychothérapeutes ne savent plus àquel saint se vouer et sontcomplètement démunis, impuissantset se replient sur des positions demoralistes, prêchant la bonne paroleen se référant au religieux et à lamorale dominante ou en pratiquantcarrément la rokia», écrit ChérifaBouatta, professeur, dans la revuePsychologie, en soulignant que «cesdiff icultés et les dérives qu’ellespeuvent entraîner (et elles peuventêtre nombreuses) sont dues au faitqu’une licence en psychologie nedonne pas les compétences pours’ériger en psychothérapeute».

500 000 superstitions recensées

Du reste, ces comportements sontuniversels : pas moins de 500 000superstitions différentes dans lemonde auraient été recensées.

Par le biais de la langue de Molière,certaines superstitions d’essencechrétienne nous sont parvenues. Lefait de toucher du bois est lié à la croix

de Jésus tout comme le fait decroiser les doigts ou le nombre treizeen référence au nombre de convivesde la Cène et aux conséquencesnéfastes de ce repas.  D’autressuperstitions ont des origines assezétonnantes. Comme cellepréconisant de ne pas ouvrir unparapluie à l’intérieur d’une maison(auquel cas les filles ne se marierontjamais, diront nos grands-mères).Elle remonterait à l’invention despremiers parapluies mécaniques àLondres. Le mécanisme d’ouvertureétant sec et rapide, il étaitrecommandé de ne pas en ouvrirdans une petite pièce.

Les boutefeux de la charia crierontau kofr, les intellectuels en riront,mais les superstitions sont en nous,faisant partie intégrante de notrepatrimoine culturel.

Une rentrée sociale pas comme les précédentesNACERA CHENNAFI

Aujourd’hui, c’est la fin des vacances pour une grandepartie des Algériens notamment, les travailleurs, lesétudiants et les élèves. Ainsi, demain, ce sera le premierjour du retour à la dynamique sociale avec toutes sescharges qui s’annoncent déjà très lourdes.Il s’agitnotamment de la flambée des prix qui touche cetteannée même les affaires scolaires, la colère des jeuneschômeurs à cause de la chasse lancée contre l’informel,la grogne dans le secteur de l’Education et enfin ungouvernement paniqué qui attend la décision duPrésident Bouteflika sur son sort.Une situation qui se répercute sur le Parlement, car cedernier ouvrira sa session d’automne, le 3 septembresans que les députés soient informés sur l’agenda detravail. S’agissant de la paix sociale, le gouvernementessaye de maîtriser la situation à travers les assurancesdu premier argentier du pays, Karim Djoudi qui a affirmémercredi dernier à Alger que la loi de finances 2013prévoit un budget «de prudence» et non pas d’austérité,qui ne contient pas de restrictions sur la création denouveaux postes budgétaires.En marge du symposiumdes banques centrales africaines, le ministre a rassuréque le prochain budget de fonctionnement ne va pasopérer des coupes sur les transferts sociaux, ni mêmesur le soutien des prix des matières premières en plusdu maintien des postes budgétaires.Une annonce quipourra assurer une partie de la paix sociale car toute lacrainte est orientée vers les jeunes après l’opération denettoyage des marchés informels. Ainsi, après une trêvedurant le mois de ramdhan qui a vu une explosion dansce marché, les autorités ont décidé de passer à l’actemais sans alternative.

Pour ce qui est de la rentrée scolaire, les parents d’élèvesaffrontent la reprise des classes avec des pochesépuisées par les dépenses des mois de ramdhan, l’Aïd,deux occasions durant lesquelles le gouvernement estresté impuissant devant la flambée des prix.Mais ce n’estpas fini, car la majorité des travailleurs qui ont bénéficiéde leurs salaires avant la fin du mois d’août à l’occasionde l’Aïd doivent attendre le versement des salaires deseptembre et se débrouiller avec les moyens du bord.Toutefois, après les légumes, les viandes et les boissonsce sont les prix des affaires scolaires qui s’envolent.Cette situation a été constatée par des parentsconcernant les prix des cartables, des cahiers et des livresqui ont connu cette année une hausse vertigineuse.Pour le secteur de l’Education, ce n’est pas fini, car laprotestation est déjà là avec les sit-in menés par lescandidats au concours de recrutement d’enseignants,la grève et les sit-in annoncés par les adjoints d’éducationdès le 9 septembre et la non-réception de plusieursinfrastructures, ce qui risque de voir cette année encoredes classes surchargées. D’autres syndicats rejettent lenouveau statut particulier.Pour ce qui est de la rentrée universitaire, la famille del’Enseignement supérieur craint l’anarchie sachant quece secteur est géré par intérim depuis trois mois. Lesnouveaux bacheliers attendent leur prise en chargepédagogique et logistique par rapport, notamment àl’hébergement. Voilà, une rentrée sociale pas commeles précédentes.

le 08 Août 2012

le 01 Septembre 2012

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NRP, Octobre 2012, n°13

MARCHE informel :Plus de 75.000 commerçants occasionnels

La moiteur suffocante d’un moisd’août particulièrement chaud ethumide n’a pas dissuadé lescamelots de la rue Bab Azzoun àAlger d’étaler  à même le sol leursmarchandises, donnant l’image deplus en plus préoccupante  d’unecapitale mangée par le commerceinformel. C’est un assauten règle: Alger, commebeaucoup de villes dupays, est  devenuel’otage d’une myriadede commercesinformels. Si à la rueLarbi-Ben-M’hidi et l’ex-Mogador, c’est lecommerce de l’or quifait battre le pavé à desprofessionnels de cetype de «business», àBab El Oued, BabAzzoun, Laâqiba,Bachdjarrah, El-Harrach,et ailleurs à Alger, les   revendeursoccasionnels sont en terrain conquis.«Il y a même des murs près desmarchés aux fruits et légumes quisont  loués par des petitscommerçants», s’étonne Krimo,attablé à une terrasse d’un  vieuxcafé de la vieille ville, la Casbah. A finmars 2011, le ministère du Commerceavait recensé 765 sites de commerceinformel à travers le pays et danslesquels activent plus de 75.000commerçants occasionnels. Depuis,ces ‘’states’’ ont explosé,  selon desexperts du ministère interrogés parl’APS. Les pertes financières de l’Etatdu fait de la formidable proliférationdu commerce informel, étaientestimées en 2011 à plus de 10milliards d’euros  par an. Des chiffresavancés en 2011 par le ministre duCommerce, M. Benbada, indiquentque les transactions sans facturedurant les trois dernières années ontété estimées à 155 milliards de dinars,soit un peu plus d’un milliard d’euros. «On peut dire que le défautde facturation peut atteindre les1.000  milliards de dinars (un peumoins de 10 milliards d’euros)»,estime de son  côté Abdelhamid

Boukadoum, responsable dudépartement du contrôleéconomique  et de la répression desfraudes au ministère du Commerce.«Ce n’est un secret pour personneque la moitié du chiffre d’affaires desopérateurs économiques provientde l’économie informelle», résume

un expert. En mars 2011, M. Benbadaavait, lors d’un colloque sur lecommerce informel  organisé par leCercle d’action et de réflexionautour de l’entreprise (CARE), aff irmé que la moitié du chiffred’affaires des opérateurséconomiques algériens provient del’économie informelle. Ce type de«bu- siness», couplé à un taux dechômage de 10%, selon l’ONS, a prisces dernières années desproportions monstrueuses dansplusieurs grandes villes du pays: desunivers urbains et suburbains entierssont squattés, mangés, rongés parles aménagements hétéroclites devendeurs  occasionnels, plus oumoins spécialisés dans les articles deconfection importés  et à la qualitédouteuse, que pour divers produitsagricoles et fruitiers.  

Les solutions existent

Selon Nacer Eddine Hammouda,chercheur au CREAD (Centre derecherche en économie appliquéeet au développement), «lephénomène de l’informel  est lerésultat d’un dysfonctionnement

économique en Algérie où le secteurformel  ne crée pas assez d’emplois».Pour autant, des solutions existentpour lutter efficacement contrel’informel. Il y a d’abord cetteproposition de l’Union générale descommerçants  et artisans algériens(UGCAA), qui penche pour la

légalisation «du petit commerce» informel,notamment à traversson intégration dans lecircuit officiel  et sa priseen charge. Ledépartement duCommerce a déjàproposé à unallégement des p r o c é d u r e sadministratives pourl’obtention d’unregistre du commerce,et l’autorisation desjeunes commerçants

informels à occuper des espacesamé- nagés avant même l’obtention du tegistre du commerce.

Une exemption fiscale temporaireau profit de ces commerçants pourles encourager à intégrersereinement le marché formelpourrait constituer une autresolution, selon le ministère duCommerce.

Mais, quelles que soient lesdispositions à prendre, «il ne s’agirapas  de légaliser l’informel mais de letraiter et de l’intégrer à traversplusieurs mesures et facilitationsgouvernementales», précise-t-on auministère du Commerce. Pourautant, les inscriptions au registre ducommerce durant le premier semestre 2012 se sont établies enbaisse de 28% à 204.097 par rapport à la même période de 2011. Lenombre total de commerçants enAlgérie est ainsi de 1.568.741, indiqueun bilan du 1er  semestre 2012 duCentre national du registre ducommerce (CNRC). 

[ECONOMIE]

le 21 Octobre 2012

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NRP, Octobre 2012, n°13

Boumediene DERKAOUI, PDG du groupe SAIDAL à Liberté«Nous comptons couvrir un quart des besoins nationaux en 2014»

A. Hamma

Le premier responsable du groupe pharmaceutique national, leader dans la production de médicaments en Algérie, aborde lesefforts de Saidal en vue de réduire à moyen terme la facture de médicaments du pays et esquisse les projets de partenariat

avec les laboratoires étrangers dans la fabrication de l’insuline et de médicaments anticancéreux.

Liberté : Saidal est considéré comme lefleuron de l’industrie pharmaceutiquenationale. Quel est, succinctement, lasituation de ce groupe ?

ll M. Derkaoui : Saidal regroupeactuellement 10 sites de production, 3centres régionaux de distribution et uncentre de recherches et dedéveloppement. Avec un chiffred’affaires de 12,5 milliards de dinars en2011, en augmentation de 25% en 2 ans,le Groupe Saidal présente une situationfinancière qui lui permet d’afficher desobjectifs de développement à la hauteurde ses ambitions.

Quel est le niveau de contribution deSaidal à la satisfaction des besoinsnationaux en médicaments et sesperspectives de partenariat avec lesfirmes étrangères ?

ll Les réalisations du Groupe couvrentenviron 25% de la demande du marchéen volume et 7% en valeur. Le plan dedéveloppement 2010-2014 prévoit, àtravers la réalisation de 4 nouvelles usinesde médicaments génériques et laconclusion des partenariats pourdévelopper l’insuline (avril 2012) et lesanti-cancéreux (septembre 2012), deporter la part de marché du Groupe àhauteur de 25% en valeur.

Quand on connaît la facture desimportations de produitspharmaceutiques, plus de 2 milliards dedollars en moyenne durant les troisdernières années, on ne peut ques’interroger sur cette situationpréjudiciable à l’économie nationale etd’êtres tenté de situer lesresponsabilités : manque de visionstratégique des pouvoirs publics, oudiktat des lobbys de l’import ?

ll Cette question permet d’apporter desclarif ications par rapport à desdysfonctionnements réels qui occultentdes évolutions remarquables. Pour éviterde sombrer dans l’anathème, troisprécisions, au moins, s’imposent. Jepense d’abord qu’il faut relativiser lesfaits pour mieux cerner la question etapporter des appréciations conformes àla réalité. L’Algérie représente le 2emarché en Afrique (après l’Afrique duSud). Le pays occupe également le 2erang en termes de consommation demédicament per capita (70 US $). Nousparaissons bien positionnés en Afrique,mais bien loin par rapport aux paysindustrialisés. Je crois ensuite que laremise en ordre qui s’impose renvoieplutôt à des questions de maîtrise, aussibien de la chaîne d’approvisionnementque de la connaissance approfondie dumarché, questions qui interpellent nonseulement les pouvoirs publics, maisaussi tous les intervenants sur ce mêmemarché (opérateurs, structureshospitalières, prescripteurs...).Il faut enfin souligner la formidableexplosion de la demande générée parune plus grande accessibil ité dumédicament en dépit des tensions et despénuries signalées. Cette accessibilité dumédicament qu’on ne retrouve nullepart ailleurs (y compris dans les paysriches) est le fait de la politique deremboursement. On ne signale passuffisamment que la Sécurité socialecouvre plus de 80% de la facture dumédicament et on oublie de préciser quetoutes les maladies chroniques sontcouvertes à 100%, y compris pour les nonassurés sociaux, et ce, quel que soit leniveau de revenu du patient. À titreillustratif, savez-vous que la seule factured’insuline qui représentait 20 millionsd’euros en 2006 est passée à 140 millionsd’euros en 2011, et que la totalité desinsulinodépendants sont intégralementpris en charge ? Ce sont les mêmestendances observées pour les autrespathologies, notamment lesmédicaments anticancéreux qui ontconnu la même évolution etreprésentent près de 20 millions d’eurosannuellement.

Malgré les mesures d’encouragement àla production nationale prises par l’Etat,l’Algérie demeure un pays lourdementtributaire du marché extérieur,contrairement à ses voisins tunisien et

marocain qui ont réduit de façonsubstantielle leur dépendance endéveloppant leur industriepharmaceutique locale. Commentexpliquez-vous cette situation due, selondifférents experts, aux pressions deslobbies de l’importation ?

ll Je ne souhaite pas aborder cesquestions sur lesquelles je ne dispose pasde la maîtrise nécessaire pour en discutervalablement. Je préfère aborder desréalités là encore souvent occultées. Onoublie en effet de rappeler quel’industrie pharmaceutique, en Algérie,est jeune, puisque les 51 usines demédicaments existantes ont moins de 15ans et qu’elles sont nées à la faveur duprocessus de libéralisation engagé audébut des années 1990. De nombreuxprojets sont en cours de réalisation ets’inscrivent dans une perspective desubstitution aux importations.Je dois souligner, en la circonstance, quele Groupe Saidal entretient de trèsbonnes relations avec les différentslaboratoires, des relations inscrites dansune perspective de coopération et departenariat toujours possible.

Quel est le niveau de dépendance del’Algérie ainsi que de votre groupe enmatières premières pour la productionde médicaments ?

ll Les importations de médicamentsreprésentent aujourd’hui près de 70% dela demande nationale. L’objectif affichépar les pouvoirs publics consiste àramener la part des importations à 30%,à la f in de l’année 2015, d’où lesfacilitations apportées aux investisseursdans cette filière et le soutien apporté àSaidal pour engager son plan dedéveloppement. Saidal contribuera à ceteffort à travers la réalisation de sesprojets. Certains plus complexes, commepour l’insuline et les anticancéreux, sontengagés avec des partenaires disposantde la technologie nécessaire.Actuellement, ces projets avancentcorrectement dans le respect deséchéances prévues. D’autres projets departenariat, dont il est prématuré deparler maintenant, sont en discussion.

[ECONOMIE]

le 03 Octobre 2012

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NRP, Octobre 2012, n°13

[CULTURE/MÉDIAS]

La femme et son corps

sur cinquante ans de cinéma algérienElisabeth AREND

La lutte anticoloniale ont faitl’objet d’intérêt dans le champpolitique, mais aussi dans celui dela culture…Depuis 1950 s’estformé en Algérie un cinéma deguerre. Son but avait été deformuler des récits de l’identiténationale…Alors que dans lapremière phase de l’histoire ducinéma algérien, le f ilm seconformait à une visionconventionnelle de lareprésentation d’une Algériemasculine...La productionf ilmique des décennies quisuivent commence à briser cetteperception consensuelle. Laqualité artistique du cinéma« nouveau » avait suscité l’intérêtde la critique…Dans cettedeuxième phase, les réalisateursse penchent sur le portrait de lasociété au présent. Ils produisentdes discours critiques à l’égard dutraditionalisme et enversl’intégrisme naissant. Derrièrecette critique, se dessine larecherche d’une autre Algérieouverte…Cette quête parl’image est mise en valeur par lescritiques algériens etinternationaux, surtout ceuxrattachés aux théories dupostcolonial et de latransculturalité. Ce sontjustement ces références, quipermettent d’attirer l’attentionsur la représentation filmique ducorps. D’après la sociologie, lecorps est regardé comme« aboutissement d’une civilisationdonnée » et « un moyend’appréhender ». Or, le corps estloin d’être une stricte donnéenaturelle. En conséquence, toutereprésentation peut êtreregardée comme uneconstruction symbolique etculturelle, construction dedeuxième degré. Face à lacomplexité du corps en tant quesujet de recherche, il faut limiter

le champ d’investigation à tout cequi concerne la représentation dela surface externe du corps et sesvêtements, ensuite aux attitudeset aux gestes. Or, les pratiquesusuelles empreintes dedogmatisme religieux, percevantle corps de la femme commepréjudiciable au salut del’homme, s’étendent égalementaux pratiques vestimentairesféminines, dont le voile…De fait,dans le contexte de notre étude,le voile revêt un intérêt particuliermais l’investigation ne serestreindra pas pour autant à ceseul aspect. Il faut être attentif àla réalité algérienne qui reflète lacoexistence de plusieurs codesvestimentaires liés à la pluralitédes discours sur le corps…Lesimages f ilmiques du corpstraduisent non seulement lesdifférents codes d’habillement etles discours qui les

accompagnent, mais ellestémoignent aussi du« Dynamisme historique »rapporté au voile… Je découvreque les f ilms algériensconstruisent un ensembleparadigmatique d’images ducorps mais observent une retenueface à la représentation de lanudité…Bien que les f ilmsproduits par des réalisatricesalgériennes mettent en valeur laprésence de la femme et saconquête de l’espaceextérieur…La pudeurprofondément intériorisée sedresse comme un interditpuissant lorsque s’y ajoute le prêtà penser marqué de l’interdit del’image qui pénètre l’inconscientcollectif. Mais le fait qu’intimité,corps et sexualité ne sont pastraduits en images filmiques parles réalisatrices algériennes, nefait pas obstacle, à leur volonté

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[CULTURE/MÉDIAS]

de faire participer les femmes,leur donner de la voix, s’ouvrir surle monde extérieur. Les Lila deNouba d’Assia Djebbar, leshéroïnes de Barakat… ! deDjamila Sahraoui prennent lavoiture et se déplacent librement,dévoilées, en tenue occidentale.Les corps des femmes brisent ladichotomie spatiale desgenres…Pour l’heure, il semblepeu probable d’aller plusloin…Cette audace sera assuméeplus tard par des metteurs enscène hommes.

L’Algérie se dévoile ?

Dans les grands films de l’époquede la guerre d’indépendance, laconstellation des personnagesreflète la hiérarchie convenue dessexes. Cependant, elle est biendes fois inversée quand des rôlesde combattants qui sontattribués à des personnagesféminins. Dans ce cas précis cesont des femmes-courage qui ontla vedette. Dans ces rôlesd’héroïnes, l’individualité de lafemme est définie pas ses qualitésmises au service de la collectivitéet son corps qu’elle déploie dansle combat ou le secours n’est pluscelui d’une femme. Il est un corpsasexué…Femme-mère, elle eststylisée comme symbole universelde l’amour et du couragematernels d’une part et d’uneAlgérie maternelle etcombattante del’autre…Toutefois, cenivellement temporaire desbarrières de retenue imposéespar la tradition peut s’étendrecomme un acte d’émancipation,une expression d’égalité entre lessexes motivée par une raisonhistorique, la révolution, puisrévoquée juste aprèsl’indépendance. Au niveau dulangage symbolique, la questionde l’identité est codifiée aussi àtravers des miroirs-symbolestraditionnels de l’identité et de lamort…Avec le cinéma desannées 70, l’analyse de la sociétédevient le thème dominant desf ilms algériens qui discutentvivement les grandestransformations économiques etpolitiques d’orientation socialiste.

Le corps du mannequin

L’impossibilité de représenter lecorps comme une donnéenaturelle, avec ses désirs et sabeauté, se révèle d’une manièreimpressionnante dans LaCitadelle de MohamedChouikh…Ce film est sur un autreplan, le récit d’une tentative derévolte…Le corps féminin n’estdonc présent que dans sanégation... Cette histoire est unedénonciation violente d’unesociété pour qui une femme seréduit à un mannequin inerte. Lecorps de la femme n’a guère plusde considération qu’un objet. Lafemme est objet del’assouvissement du désirmasculin. Elle subit l’arbitraire del’homme. Le seul corps nu qu’onvoit dans ce film, est celui dumannequin, un corps inerte, doncmort. Le mannequin, en place etlieu de la femme…Chouikhs’abstient de tout voyeurisme auniveau de l’image. Un échange demots mielleux, regardscorporelles séducteurstrahissent une relation sexuellequi se répète en quelque sorteavec les images du litdéfait…Toute cette mise enscène, si éloquente, supplante lareprésentation directe des corpsen ébats. Effacement du corpscharnel au prof it de safonctionnalité f inale donthommes et femmes en jouissent.

Barakat… !

Un dernier chapitre de l’histoiredu cinéma algérien s’ouvre aprèsla fin de l’époque du terrorisme.Allouache en avait montré lesdébuts avec Bab El Oued city, maissurtout, il avait souligné, dansquelle mesure la sociétéalgérienne repose sur le principede la séparation des sexes et dela négation du corps…Il introduitla montée des islamistes…AvecBarakat ! Djamila Sahraoui amontré comment deux femmess’emparent de l’espace extérieuret s’est appliquée à donnerexistence au corps féminin. Sansavoir recours à la nudité, le filmmet en scène le corps féminin parle juste fait qu’il peut être regardécomme une donnée

empirique…Avec les films deMoknèche, le mode dereprésentation de la femme et deson corps changecontinuellement. Dans son film Leharem de Mme Osmane, leréalisateur présente un milieudominé par des femmes…Sonf ilm représente un mondepanoptique dans lequel lareprésentation du corps fémininest devenue une banalité…Lesfemmes sont confrontées à ladure réalité de la misogynieappuyée par une pratiquedogmatique. Cette analyse estdifférenciée dans Délice paloma etradicalisée dans Viva laldjérie…Ilsont en commun la positioncentrale qu’occupent desprotagonistes femmes dans latrame narrative avec leurpotentiel de provocations…Ainsi,la sexualité hors mariage occupeune place dans l’ensemblenarratif dont la chargeprovocatrice est évidente…Semultiplient les mises en scène dela transgression des normessociales... Le réalisateur a insistépour que l’écriture f ilmiquemontre que la société produitjustement ce qu’elle cherche àéviter…Il se fait volontiersiconoclaste. Un vrai bouquet desujets tabous : prostitution,sexualité, adultère ethomosexualité masculine. Lacoulisse c’est Alger, la villemoderne des beauxquartiers…La menace islamisten’est guère présente au niveaudes images, mais elleexiste…Refus aussi duvoyeurisme face aux rencontresde jeunes homosexuels…Lareprésentation du corps sexuéest ainsi restreinte, elle visel’aspect transgressif…Bien que lecorps soit l’élément essentiel dela représentation d’unpersonnage, sa négation en tantque dernière désignation del’individu, reste encore très forte.Sur cinquante ans de cinémaalgérien, l’image confirme que lerapport à la femme n’a paschangé. Pourtant la mutation estlà.

Juin 2012

Revue Réflexions et perspectives

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[MÉMOIRE]

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CHEMS EDDINE CHITOUR

DES INTELLECTUELS ET DES HOMMES POLITIQUES

Les Chaulet : un sacerdoce pour la dignité humaine

«Nous ne venons pas en aide au FLN, nous sommes Algériens comme vous, notre sol, notre patrie, c’est l’Algérie, nous ladéfendrons avec vous. Nous sommes du FLN.» Pierre et Claudine Chaulet.

Ces par ces mots plus éloquents que millediscours que l’on peut avoir une idée d’unsacerdoce de 60 ans de combatcommencé bien avant la Révolution. Ona tout dit du professeur Pierre Chaulet,qui a voué toute sa vie à l’Algérie, enluttant pour son indépendance et sonémancipation du joug du colonialisme eten contribuant à son édification. PierreChaulet est mort ce 05 octobre 2012.Médecin algérien, résistant durant laGuerre d’Algérie aux côtés du FLN. Il aeffectué des opérations secrètes avec lescombattants du FLN sous les ordres deAbane Ramdane. Il fut expulsé en Francemais il arrive à rejoindre avec sa femme,Claudine, le FLN en Tunisie où il acontinué ses activités de résistant en tantque médecin et d’écrire pour le journaldu FLN, El Moudjahid. Il est l’un desmembres fondateurs de l’agence depresse algérienne APS, à Tunis en 1961.Ilfait la rencontre de Frantz Fanon àl’hôpital de Blida en 1955. Aprèsl’Indépendance de l’Algérie, Chaulet arejoint l’hôpital Mustapha-Pacha. Il acontribué à l’éradication de latuberculose en Algérie. Claudine Chauletest quant à elle devenue professeur desociologie à l’Université d’Alger. Aprèsl’Indépendance, Pierre Chaulet fut l’undes piliers de l’organisation de la santé. Ace titre, je me souviens en 1982, qu’entant que directeur du Centreuniversitaire de Sétif, il m’a été possibled’ouvrir la filière des sciences médicalesgrâce notamment au professeur Chauletqui s’est déplacé à Sétif pour enseignergratuitement considérant qu’il ne faisaitlà que son devoir. Qu’il en soit encoreremercié trente ans après! …

Tout au long de cette histoire decohabitation qui fut dans l’ensembledouloureuse, il y eut des hommes et desfemmes européens, nés en Algérie, qui,à des degrés divers, se sont battus pourla dignité et contre le système colonial,notamment en contribuant àl’Indépendance de l’Algérie. Sait-on parexemple, qui est Francis Jeanson, mortdans l’anonymat le plus strict aussi bienen France qu’en Algérie? L’Algéried’aujourd’hui refuse toujours de voir sonhistoire en face. Sait-on que des Françaisse sont battus, se sont exposés et ontmis en jeu leur liberté et parfois leur viepour l’indépendance du pays tout enétant fidèles à une certaine idée de laFrance.

… A côté de la ligne officielle de l’Eglise,il nous faut citer, sans être exhaustif, tous

les hommes de religion qui, dérogeant à lanorme off icielle, ont témoignénotamment contre la torture commel’abbé Bérenguer sans oublier l’immenseFrantz Fanon qui combattit avec les armesde l’esprit et dont les écrits -cinquante ansaprès- sont toujours d’actualité. AndréMandouze normalien, spécialiste de saintAugustin, chrétien de gauche, résistant,est un autre «juste». En 1956, il s’engagetotalement aux côtés de la Révolutionalgérienne. Il connut la prison pour«trahison envers la patrie» et fut une desbêtes noires de l’OAS…

Pour Rédha Malek: «Le couple Chaulet estconsidéré comme un symbole de la guerrede Libération. (...) L’algérianité du coupleChaulet n’est pas le fruit du hasard maisd’un engagement total et réfléchi.» En toutcas, l’humanisme sans complaisance de cesjustes et tant d’autres resteront pour noustous une leçon de vie et ne disparaîtrontpas. A ce titre aussi, ils méritent notrerespect profond et notre recueillement àleur mémoire. Ces Justes ont fait, en leurâme et conscience, leur devoir  …

Le sacerdoce des Chaulet: le choix del’Algérie

«Le choix de l’Algérie, deux voix, unemémoire» relate la vie et le parcourspolitique de Pierre et Claudine Chaulet, un«Français d’Algérie» et une «Française deFrance» … Dans le «livre premier», chacundes deux auteurs raconte sa «premièrevie» avant la rencontre de l’autre et de laRévolution. Cette partie fournit unsaisissant aperçu d’un monde ancien qui afait naufrage avec la colonisation, celui dupeuplement européen de l’Algérie. Elleest, surtout, l’histoire d’une patiente

décantation au sein de ce peuplementgrâce à laquelle s’uniront les destins dePierre et Claudine Chaulet, un certain21 novembre 1954. Ensemble ilsprendront le chemin de la solidaritéavec les «indigènes» en lutte pour leurliberté et, après l’indépendance,apporteront leur pierre à l’édificeAlgérie, ravagé par 8 ans de guerre et132 ans d’occupation. Une même prisede conscience anti-raciste et deux«voies familiales» pour y parvenir».Undouble «je» éclaire les circonstancespolitiques et humaines de tantd’événements cruciaux, pendant laGuerre de libération (évasion d’AbaneRamdane, tête pensante du FLN, etc.)et après l’Indépendance, en Algériecomme à l’étranger, où Pierre etClaudine Chaulet voyageront au hasarddes missions dont ils seront chargés,pour le FLN puis pour l’Etat algérien.Ces mémoires sont aussi une chroniquesubjective de la période post-indépendance. (...) De leurs positionsrespectives, ils verront se succéderespoirs et désillusions au f il desépoques. Dans l’impuissance, ils vivrontles ravages de la décennie noire (1980),celle de la libéralisation, et les douleursde la «décennie rouge» (1990),marquée par la montée de l’islamismequi les a contraints à l’exil de 1994 à1999. (...) Leur témoignage est unhommage à tant d’autres justes qui,comme eux, ont fait le périlleux «choixde l’Algérie».

Cette photo inédite montre l’une des dernières apparitions publiques du professeur Pierre Chaulet(au centre). Il est entouré (à gauche) d’Ahmed Fattani, directeur du quotidien L’Expression et de

Noureddine Naït Mazi, ancien directeur d’El Moudjahid.

le 07 Octobre 2012

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[MÉMOIRE]L’ère Chadli : des réformes économiquescourageuses

Les réformes économiques engagées par le défunt pré-sident Chadli Bendjedid, décédé samedi dernier, restent,en dépit de certaines critiques, les plus «courageuses etles plus profondes» de l’histoire de l’Algérie car ayantmis fin à trente ans de règne d’une économie trop cen-tralisée, s’accordent à dire des économistes interrogéspar l’APS.»Les réformes économiques initiées sous laprésidence de Chadli Bendjedid étaient les plus coura-geuses et les plus profondes, eu égard à la situation quiprévalait», estime l’économiste algérien AbdelhakLamiri.Pour cet économiste, les «collaborateurs du dé-funt président Chadli, qui a présidé le pays pendant 13ans (février 1979-janvier 1992) ont estimé que le sur-in-vestissement, l’excès de centralisation et la sous ges-tion menaient vers une impasse».C’est sur la base de cediagnostic qu’allait s’articuler la démarche économiquede cette équipe dont la principale «réalisation, a dit, M.Lamiri a consisté à «abandonner l’industrialisation malgérée de l’époque et opter pour une meilleure diversifi-cation de l’économie».»Si on avait continué le proces-sus d’industrialisation, on se serait retrouvé avec unedette de plus de 100 milliards de dollars et les assainisse-ments, aujourd’hui, auraient coûté cinq fois plus au bud-get de l’Etat», remarque l’économiste.Mais la chute desprix du pétrole en 1986 a conduit l’Algérie à se refinancerà très court terme et avec «des conditions désastreu-ses» car le Fonds de régulation n’existait pas à cette épo-que», rappelle le même l’expert.Les «erreurs» commi-ses lors des réformes, comme l’endettement à courtterme et l’application du PAS (Plan d’ajustement struc-turel), qui avait pesé trop lourd sur les finances publi-ques, étaient quant à elles «rattrapables», aux yeux duDr. Lamiri.La période économique du président Chadliet de son Premier ministre Mouloud Hamrouche a doncconnu des «correctifs sérieux» apportés à l’excès de

centralisme et l’excès d’industrialisation incontrôlée eta ouvert la porte à une «ouverture économique profondeet prometteuse». Elle a surtout «évité à l’Algérie beau-coup de déboires», a-t-il conclu.De son côté, le conseilleréconomique indépendant Abderrahamane Bankhalfaestime que l’époque de Chadli représentait «la périodedense de l’histoire économique du pays car ayant per-mis une rupture entre deux modes de gestion opposéset une émancipation sociale sansprécédent».L’ouverture sur l’économie de marché dansla fin des années 1980, engagée dans une conjoncturefinancière internationale difficile, est la réforme «la pluscourageuse» de l’histoire du pays, a-t-il encoresoutenu.Rappelant les «réformes de première généra-tion» adoptées par l’équipe Chadli dès 1988, l’ex Délé-gué général de l’Association des banques et établisse-ments financiers (ABEF) a énuméré, entre autres, l’éla-boration de la première loi bancaire, la dotation des en-treprises publiques de l’autonomie de gestion et l’émer-gence de la notion des capitaux marchands et nonmarchands.L’ouverture commerciale à travers l’autori-sation des opérateurs privés à importer a été «certesinévitable mais a été menée de manière trop rapide» cequi a conduit, considère M. Benkhalfa, à l’émergencede l’importation au détriment de la productionnationale.Aussi, fallait-il, peut-être, opter pour des pri-vatisations partielles des grandes sociétés publiques del’époque, comme la Sonacome ou la Sonelec, pour leurassurer une gestion moderne au lieu de les démanteleren unités non fiables, estime-t-il encore.Le 12 janvier1988, l’ère des réformes fut inaugurée avec la promul-gation des six lois, rappelle l’ex Délégué général del’ABEF qui a précisé qu’il s’agissait des lois relatives àl’orientation des entreprises publiques économiques, laplanification, le nouveau régime des banques et du cré-dit, l’institution des fonds de participation, le code decommerce, en plus des nouvelles mesures de la loi definances de 1989.Détaillant ce dispositif, M. Benkhalfanote que «l’entreprise algérienne, débarrassée de la tu-telle des administrations centrales, a été transforméeen entreprise publique économique (EPE) autonomealors que la loi 90-10 du 14 avril 1990 portant loi sur lamonnaie et le crédit, préparée en 1986, a redéfini lesconditions de gestion des banques et libéralisé l’inves-tissement étranger.La réforme sociale s’est d’autre partmanifestée par la promulgation de nouvelles lois qui ré-visaient le «statut général du travailleur», réorganisaientles relations de travail, réglementaient l’exercice du droitsyndical et du droit de grève et redéfinissaient les règlesde concertation entre les partenaires sociaux.Toutes cesréformes n’ont cependant pas été bien «maturées», se-lon M. Benkhalfa, du fait de la chute des prix du pétroleet du contexte politique difficile qui a prévalu au coursde cette période.Cette situation a freiné le processus deréformes économiques et fait que l’économie nationalesoit restée dépendante des hydrocarbures et tributairede la volatilité des prix du pétrole.

le 10 Octobre 2012

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[BIBLIOGRAPHIE]

Issus du peuple-ment colonial del’Algérie, de famillesimplantées dans lepays à des époquesd i f f é r e n t e s ,Claudine Guillot etPierre Chaulet, ontconstitué dès 1954,à Alger, un couplerésultant de la ren-contre de deux tra-ditions familiales.L’une marquée parle catholicisme so-

cial et le syndicalisme, l’autre par l’attachement aux valeursrépublicaines et la résistance au nazisme. Français atypiques autemps colonial, perçus parfois comme Algériens atypiques dansl’Algérie d’aujourd’hui, ils méritaient que leur parcours soit ra-conté.

Le choix de l'Algérie

Claudine Chaulet , Pierre Chaulet Essais

À l'occasion du cin-quantième anniversairede l'indépendance del'Algérie, les Éditions LaDécouverte (Paris) etles Éditions Barzakh (Al-ger) publient conjointe-ment et simultanémentcet ouvrage collectifdestinéà un large publicsur l'histoire de l'Algé-rie à la période colo-niale (1830-1962). En ef-fet, en France commeen Algérie, celle-ci restesouvent mal connuedes non-spécialistes,alors qu'elle est essen-tielle pour mieux comprendre la situation actuelle dansles deux pays, ainsi que leurs relations depuis l'indépen-dance en 1962.

Histoire de l'Algérie à la période coloniale,1830-1962

Abderahman BOUCHÈNE, Jean-PierrePEYROULOU, Ouanassa Siari TENGOUR, Sylvie

THÉNAULT

Ecrit par Azzeddine Mihoubi, le film retrace l'itinéraire mili-tant d'Ahmed Zabana, premier martyr guillotiné par les forcescoloniales.

Film Zabana

N° 81

Printemps 2012

L’Algérie fête cette an-née les 50 ans de son in-dépendance, une occa-sion pour revenir sur sonparcours à la fois politi-que, économique et cul-turel. C’est l’objectif re-cherché par la revue «Confluences Méditerra-née » à travers ce nu-méro consacré à « L’Algé-rie, 50 ans après ».

Revue Confluences :Algérie, 50 ans après

Casablanca, début des années2000. Un peintre, au sommetde sa gloire, se retrouve dujour au lendemain cloué dansun fauteuil roulant, paralysépar une attaque cérébrale.Sa carrière est brisée et savie brillante, faite d'exposi-tions, de voyages et de li-berté, foudroyée.Muré dans la maladie, il ru-mine sa défaite, persuadéque son mariage est respon-sable de son effondrement.Aussi décide-t-il, pour échap-per à la dépression qui le

guette, d'écrire en secret un livre qui racontera l'enfer de soncouple. Un travail d'auto-analyse qui l'aidera à trouver le cou-rage de se libérer de sa relation perverse et destructrice. Maissa femme découvre le manuscrit caché dans un coffre de l'ate-lier et décide de livrer sa version des faits, répondant point parpoint aux accusations de son mari. éditions Gallimard

Tahar Ben JellounLE BONHEUR CONJUGAL

Cet ouvrage replace ainsi la guerre d'indépendance dansle temps long de la période coloniale, car c'est bien danscette longue durée que le conflit s'enracine. Il permetainsi de rendre compte des résultats des nombreux tra-vaux de recherche novateurs conduits sur la périodecomprise entre la conquête et le début de cette guerre

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