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Dossier pédagogique€¦ · Alessandro Baricco s'oriente vers le monde des médias en devenant tout d'abord rédacteur dans une agence de publicité, puis journaliste et critique

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Table des matières

Novecento : pianiste Information sur le spectacle 3

Résumé de la pièce 4

Présentation de l’auteur 5

Entrevue avec Geneviève Dionne 6

Présentation de la compagnie et historique 11

Pistes pédagogiques, par Martin Lebrun Avant-propos 13 « Un livre devrait être un geste » 14 La Scuola Holden 16 Quelques éléments de vérité 17 Glen Gould : le pianiste devenu légende 19 L’infini et les limites 21 Références 23

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Crédit Eva-Maude Champoux-Tardif

Information sur le spectacle Novecento : pianiste Auteur: Alessandro Baricco Avec Traduction: Françoise Brun Martin Lebrun Metteure en scène: Geneviève Dionne Simon Dépot Chorégraphie : Karine Chiasson Jacinthe Gilbert Musique : Olivier Leclerc Karine Chiasson Éclairage : Jérôme Huot Régie : Gabrielle Garant

« Je l’ai trouvé la première année de ce foutu nouveau siècle, non ? : On va l’appeler Novecento. Mille-neuf-cents. – Novecento ? – Novecento, Mille-neuf-cents. – Mais c’est un chiffre ! – C ‘était un chiffre : à partir de maintenant c’est un nom. »

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Crédit Eva-Maude Champoux-Tardif

Résumé de la pièce

L’océan. Entre l’Amérique et l’Europe, un bateau. Lors d’une traversée, au tournant du XXe siècle, un bébé abandonné est retrouvé sur le piano de la salle de bal. On le nommera Novecento, en hommage au siècle nouveau. La cale et le pont deviendront les terrains de jeu de l’enfant, jusqu’au jour où, en toute clandestinité, il se glisse dans la salle de bal de première classe et s’assoit derrière le clavier du piano. À partir de ce moment, rien ni personne ne le décidera à quitter le navire où il deviendra le plus grand pianiste du monde...

C’est du moins ce que nous raconte Tim, trompettiste engagé à ses côtés à bord du transatlantique. Son monologue est celui d’un homme qui tente de survivre par le souvenir : « Tu n’es pas vraiment fichu tant qu’il te reste une bonne histoire et quelqu’un à qui la raconter. » Il nous raconte l’histoire de son ami, son meilleur ami, de la tempête, d’un légendaire duel. L’histoire d’une vie, de la musique qui la traverse et des vagues qui la portent.

Novecento. Une monologo a été publié en 1994, puis traduit en français en 1997 par Françoise Brun sous le titre Novecento : pianiste. En 1998, Giuseppe Tornatore a réalisé une adaptation cinématographique dont la version française s'intitule La Légende du pianiste sur l'océan.

« Il disait : « Tu n’es pas vraiment fichu tant qu’il te reste une bonne histoire et quelqu’un à qui la raconter. »

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Présentation de l’auteur

Après des études de philosophie et de musique, Alessandro Baricco s'oriente vers le monde des médias en devenant tout d'abord rédacteur dans une agence de publicité, puis journaliste et critique pour des magazines italiens. Il présente également des émissions à la télévision italienne (RAI) sur l'art lyrique et la littérature. Il est un des collaborateurs du journal La Repubblica où il a publié en 2006 un feuilleton, intitulé I Barbari (Les Barbares).

En 1991, il publie, à 33 ans, son premier roman, Châteaux de la colère, pour lequel il obtient, en France, le Prix Médicis étranger en 1995. Il a également écrit un ouvrage sur l'art de la fugue chez Gioachino Rossini et

un essai, L'Âme de Hegel et les Vaches du Wisconsin où il fustige l'antimodernité de la musique atonale.

En 1994, avec quelques amis, il fonde et il dirige à Turin une école de narration, la Scuola Holden. Cet établissement a pour vocation d'enseigner l'art de la narration de manière ludique.

En 1997 paraît Soie, un roman au style épuré et qui, par sa brièveté, rappelle l'art des haïkus. Dès sa sortie, Soie se propulse au sommet des ventes de livres. Suivent ensuite les très salués Océan mer (1998) et Novecento : pianiste (1997). Les textes de Baricco sont empreints de poésie. Il y règne une atmosphère énigmatique et étonnante. Les phrases y sont brillamment ciselées et les images saisissantes.

Musicologue de formation, Alessandro Baricco invente un style qui mélange la littérature, la déconstruction narrative et une présence musicale qui rythme le texte comme une partition. Sa traductrice, Françoise Brun, écrit, à propos de son style : « Mais ce qui n'appartient qu'à lui, c'est l'étonnant mariage entre la jubilation de l'écriture, la joie d'être au monde et de le chanter, et le sentiment prégnant d'une fatalité, d'un destin. »

Acclamé par le public, Alessandro Baricco est bien le seul auteur à se plaindre de vendre trop de livres ! Ses romans ont déjà été traduits en 30 langues étrangères et l'écrivain a réussi le pari de réconcilier la culture et les médias. Mais cette proximité avec la presse ne l'a pas empêché de garder sa vie secrète : l'auteur ne donne que très peu d'interviews, préférant consacrer son énergie à d'autres projets.

Alessandro Baricco, 2010, par Jaqen

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Entrevue avec Geneviève Dionne, metteure en scène1

Ce monologue d’Alessandro Baricco vous permettait d’associer naturellement théâtre et musique. Comment se sont faits les choix musicaux ? Composition et environnement sonore et bande son. En effet, il est assez évident d’associer la musique à ce texte puisqu’il raconte la légende d’un pianiste qui aurait passé sa vie sur le même bateau de croisière, de sa naissance jusqu’à sa mort. D’entrée de jeu, le jazz est apparu comme étant un style musical incontournable pour élaborer la musique du spectacle puisqu’on y fait fréquemment référence dans le texte et les années 1920-1930 sont marquées par ce courant. Cependant, une phrase de Tim, le narrateur de l’histoire, nous hantait et nous poussait à envisager d’autres couleurs musicales :

« Lui, il jouait quelque chose qui n’existait pas avant que lui ne se mette à la jouer, okay ? Quelque chose qui n’existait nulle part. Et quand il quittait son piano, ce n’était plus là, définitivement… »

En fait, cette description ouvrait la porte à une musique plus intime, celle de la musique intérieure de Novecento, celle de l’océan. Une musique en avance sur l’époque du récit, une musique plus proche de nous peut-être. Il nous semblait pertinent que la musique de Novecento soit jouée live, dans la mesure du possible, par le comédien-pianiste, alors que celle de l’époque pouvait être enregistrée. À partir de cette réflexion, nous avons choisi les moments où la musique serait jouée en direct et ceux où on aurait plutôt affaire à une trame enregistrée. Toute la musique a été composée à partir de cette réflexion par Olivier Leclerc, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration. Comment avez-vous travaillé avec Olivier Leclerc ? Premièrement, nous avons lu le texte chacun de notre côté. Ensuite nous avons mis en commun les moments où nous sentions qu'il devait y avoir de la musique. Nous avons discuté de courants musicaux, de compositeurs dont le travail nous faisait penser à ce qui était écrit entre les mots du texte. Nous avons enfin mis à l’épreuve nos choix en

1 Entrevue avec Geneviève-Dionne tirée des Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier, Numéro 90,

Hiver 2014, tous droits réservés. Les propos ont été recueillis par Hélène Beauchamp.

Geneviève Dionne, photo: Ilana pichon

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salle de répétition et retravaillé ce qui nous semblait moins efficace. D'ailleurs, certaines pièces se sont simplement improvisées en salle de répétition avec la collaboration du comédien-pianiste qui jouait Novecento puis retravaillées par Olivier. La conception musicale a aussi été influencée par le travail chorégraphique de Karine. Mon travail avec Olivier s’est donc fait dans un esprit de collaboration avec l’ensemble des artistes.

Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer également la danse acrobatique et au sol ? Dans le texte, il se passe par moment des choses surnaturelles, des moments magiques, comme un piano qui se met à voler par exemple. Il était aussi question de force de la nature, de tempête. Nous cherchions comment imager ces moments par un procédé qui stimulerait l’imagination et la sensibilité du spectateur. Il y avait cette phrase dite par Tim, la phrase fétiche de notre chorégraphe : «… et on jouait pour les faire danser, parce

que si tu danses, tu ne meurs pas et tu te sens dieu. » J’avais déjà exploré les possibilités de la danse au sol dans Traces d’étoiles. Je voyais d’emblée sa pertinence, mais je sentais qu’il fallait aussi quelque chose de plus fort.

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J’avais vu de la danse acrobatique par un ami chorégraphe et danseur qui ouvrait sa compagnie de danse aérienne. Cela m’avait laissé diverses impressions : une sensation d’apesanteur, de flottement, une sensation de danger aussi. J’avais envie d’exploiter cette force qu’a la danse acrobatique-aérienne afin de permettre aux comédiens-danseurs de personnifier divers éléments : parfois la mer, la tempête, le bref moment d’apesanteur provoqué par la houle et le roulis du bateau, parfois l'amour, parfois le souvenir. Pour nous, la mer et l'air sont deux éléments qui se complètent. La danse nous permettait de les amener sur scène et de nourrir à la poésie du texte. Comment se sont faits les choix chorégraphiques ? Et votre collaboration avec la chorégraphe ? Karine a été présente tout au long du processus de création en salle. Comme elle joue et danse dans le spectacle, nous filmions les séquences chorégraphiques et les diverses explorations de mouvement qu’elle proposait pour ensuite les évaluer. Ces idées s’inspiraient tant du texte que de la musique proposée par Olivier. Je tenais aussi à ce que la présence des deux comédiens-danseurs se fasse sentir dans l’ensemble du spectacle, je ne les voulais pas accessoires. Il y a donc eu aussi un travail d’intégration, de transition afin de leur permettre d’évoquer l’univers de la pièce, de faire surgir des personnages. La présence constante de Karine nous a donc permis de bâtir l’esthétique du spectacle. Il s’agit d’un long monologue, qui demande du souffle et de la mémoire. Pouvez-vous nous décrire votre façon de travailler avec les comédiens ? Ce que nous voulions aborder d'abord et avant tout dans ce texte, au-delà de l'histoire racontée par Tim, le meilleur ami de Novecento, c'est l'histoire d'amitié qui lie les deux personnes et qui en fait une histoire encore plus incroyable à écouter. Nous avons donc choisi de mettre en scène le monologue avec deux comédiens. J'ai voulu que le spectateur soit témoin de vrais moments vécus par les deux amis en plus des moments qui sont racontés. J'ai voulu que les gens puissent aussi comprendre leur relation, si simple soit-elle, d'amitié qui fait que l'un sans l'autre la vie était bien différente, un peu plus vide... J’avais dit un peu à la blague à Simon et Martin, lors de nos premières rencontres, qu’ils allaient devoir devenir les meilleurs amis du monde ! Je

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ne peux dire qu’ils sont depuis inséparables, une telle amitié prend plusieurs années à se construire, mais je crois qu’ils ont été sensibles à cela et ont développé une complicité qui a nourri le spectacle. Nous avons aussi travaillé, surtout avec Martin qui joue Tim, à ce que le spectateur sente qu'il est le premier à écouter cette histoire que le personnage de Tim a besoin de venir raconter. J’ai exigé une certaine simplicité dans le jeu, une ouverture puisque pour parvenir à cela, il faut accepter la présence du public dans la salle. Il fallait que pour l'acteur, le spectateur devienne un partenaire de jeu supplémentaire. Il fallait aussi trouver la source de l’urgence, la nécessité de parler de cette histoire pour bâtir le personnage. En discutant avec les comédiens, il nous est apparu que Tim était en fait un homme brisé qui tente de survivre à travers le souvenir. « Tu n'es pas vraiment fichu tant qu'il te reste une bonne histoire et quelqu'un à qui la raconter... », avait un jour dit Novecento. Raconter l’histoire de son ami nous est apparu comme étant une porte de sortie pour Tim, une façon de rester en vie, de ne pas être seul.

Une bonne partie du travail a donc été de questionner la nécessité de chaque souvenir, de trouver le pourquoi de chacun ce qui aide grandement la mémoire de l’acteur. La présence des autres comédiens et le travail de mouvement ont aussi aidé à établir des repères pour Martin qui livre plus d’une 1h de texte. Le souffle du spectacle ne repose donc pas sur une seule

personne et le comédien-narrateur peut ainsi faire confiance à plusieurs types de mémoires : la mémoire de sa tête, celle de son corps et surtout celle du groupe. L’histoire se passe entre 1927 et 1945, entre le krach et la Deuxième Guerre mondiale. Qu’avez-vous retenu de cette époque dans votre mise en scène ? Et dans les aspects visuels du spectacle ? Nous avons surtout retenu de cette époque la musique, le jazz, et la danse qui y est associée, comme le charleston par exemple. Nous avons aussi retenu certains vêtements des robes à franges, le chapeau haut de forme. Ces éléments qui représentent une époque aussi dynamique que triste. Je voulais

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cependant que cela se limite seulement à certains éléments emblématiques pour appuyer la dimension légendaire de l’histoire. Comme l'action se passe sur le bateau, plutôt déconnecté de l’actualité de l’époque, nous n'avons pas énormément souligné les faits historiques comme le krach (dont on ne fait d’ailleurs pas mention dans le texte) ou la guerre. Nous avons fait un essai chorégraphique pour évoquer la 2e guerre mondiale, mais il s’intégrait très mal dans le spectacle. Nous avons donc abandonné cette idée. En fait, nous avons un peu suivi le cheminement de Tim qui évite ce sujet et semble ne pas vouloir parler de cette période sombre. Que souhaitez-vous apporter aux spectateurs par votre spectacle ? Ultimement, nous souhaitons que le spectateur se questionne sur l’amitié. On parle souvent de l’amour comme élément central de nos vies, mais l’amitié, la vraie, n’en demeure pas moins tout aussi rare et exigeant, surtout exigeant. Je veux qu’il se demande ce qu’il aurait fait à la place de Tim quand ils se sont vus pour la dernière fois. De plus, nous aimerions que le spectacle, par sa mise en scène, par sa musique, donne au public envie de voir plus de poésie dans le monde qu’il l’entoure. J’aimerais qu’il se laisse inspirer par le génie du personnage de Novecento, lui qui savait écouter.

« Et il savait lire. Pas les livres, ça tout le monde peut, lui, ce qu’il savait lire, c’était les gens. Les signes que les gens emportent avec eux : les endroits, les bruits, les odeurs, leur terre, leur histoire… écrite sur eux du début à la fin. »

Je souhaite que ce que Novecento a légué à Tim résonne dans leur esprit, c'est-à-dire de ne jamais oublier que quand plus rien ne semble avoir de sens, il restera toujours des histoires à se raconter pour s’aider... à vivre.

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Présentation de la compagnie Le Théâtre de la Trotteuse : une démarche artistique métissée

La démarche artistique du Théâtre de la Trotteuse s’inscrit dans un courant favorisant la rencontre de diverses formes artistiques. Nous envisageons le théâtre comme une pratique artistique complexe et multiforme dans le but de décloisonner les possibilités du langage scénique. Dans cette perspective, nous nous efforçons de faire appel à des artistes de la relève à l’aise à la fois dans les champs de la danse et du cirque, du jeu et de la musique. Les créations du collectif se basent sur plusieurs ressources, tant humaines que matérielles, mais c’est avant tout à travers la conjugaison de divers regards artistiques que la démarche trouve son sens. Au moment de développer le métissage qui guidera notre activité de création, nous nous interrogeons sur les pratiques artistiques à hybrider au théâtre, chaque nouvelle création appelant une rencontre qui lui est propre. Le travail du Théâtre de la Trotteuse se distingue par l’univers hybride et accessible qu’il construit. Dans cet univers se rencontrent et se confrontent différents langages, différents codes afin d’approfondir le portrait de l’être humain.

Historique

Le Théâtre de la Trotteuse a été fondé en 2008 par Geneviève Dionne, Jérôme Huot et Olivier Piquer. À ce jour, la compagnie compte trois productions et un spectacle en chantier. Histoire de Lunes, première création de la compagnie, a été présentée à Québec au Bar l’Agitée en février 2009 sous forme de laboratoire, puis dans sa version définitive à l’été 2009 au théâtre de la Chapelle et en France dans différents festivals. La mise en scène intégrait la musique (composée par Olivier Leclerc), le bruitage et le conte (texte d’Arleen Thibault et Geneviève Dionne).

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Histoire de Lunes a fait l’objet d’une seconde production l’été 2013 en France (Off Avignon). Pour l’occasion, une réécriture du texte (Geneviève Dionne et Martin Lebrun en collaboration avec Aurélie Couture) et une refonte complète de la mise en scène ont été effectuées afin d’approfondir la démarche déjà amorcée. Le conte traditionnel

croise ici le conte urbain dans une fresque mettant en scène le passé et le présent de la ville de Québec. L’importance de se souvenir et de se raconter est nourrie ici par le travail de la chorégraphe Karine Chiasson qui propose d’intégrer le « gumboot », danse trouvant son origine dans l’Apartheid, chez les mineurs noirs d’Afrique du Sud. L’aspect traditionnel et moderne, festif et revendicateur de cette danse a permis de créer un spectacle ouvert sur différents folklores et de faire le récit de notre propre histoire. Cette production demeure un projet à poursuivre dans un avenir rapproché.

En 2013, le Théâtre de la Trotteuse a entamé un laboratoire (avec le soutien du programme Première Ovation) dans le but de produire son troisième spectacle : Whip, une création intégrant les arts du cirque au théâtre. Portant sur le sujet de la rue, des gens qui y vivent ou qui y travaillent, Whip se veut

une présentation à la fois poétique et crue de la dure réalité de ce milieu, inspirée par les corps, le mouvement et le langage qui y naissent. Un second laboratoire public est prévu en 2014-2015. Enfin, Novecento : Pianiste, deuxième spectacle de la compagnie, a été un travail de plus grande envergure. Il propose une relecture du monologue d’Alessandro Baricco pour un comédien, un comédien-pianiste et deux danseuses. À la suite d’une résidence à Premier’Acte, la compagnie y a présenté un laboratoire en 2010 et y a produit le spectacle en décembre 2011 (hors saison). Au printemps 2012, un concours de circonstance a poussé la production à modifier sa distribution. Martin Lebrun et Simon Dépôt ont alors intégré le spectacle. Le printemps 2012 a donc mené à une dernière étape de travail où l’œuvre a atteint sa maturité. À l’été 2012, la pièce a été présentée au Festival FRINGE de Montréal et en France dans différents festivals où elle s’est fait remarquer par la critique. Un an et demi plus tard, en janvier 2014, elle a intégré la saison du Théâtre Denise-Pelletier dans la salle Fred Barry. Les médias montréalais ont accueilli le spectacle avec enthousiasme et intérêt, confirmant ainsi l’originalité et la pertinence de la démarche.

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Pistes pédagogiques par Martin Lebrun

Avant-propos Voici un moment privilégié pour redécouvrir et approfondir une œuvre, Novecento : pianiste, et l’univers d’un auteur, Alessandro Baricco. Lancer des pistes, ouvrir des portes afin de permettre à d’autres de poursuivre un dialogue, de pouvoir raconter à nouveau l’histoire et d’explorer les liens qu’elle tisse avec le monde, la mer, la musique : voilà ce que j’ai tenté de faire, car « parmi toutes les vies possibles il faut en choisir une à laquelle s’ancrer, pour pouvoir contempler, sereinement, toutes les autres.2 » Il est un sujet dont, en toute connaissance de cause, je ne parlerai pas : l’adaptation cinématographie du texte de Baricco qui, dans l’œil du réalisateur Giuseppe Tornatore, est devenu La légende du pianiste sur l’océan3. Parce que je ne l’ai pas vue. Par choix. Parce que l’acteur en moi avait une certaine pudeur à le faire, comme si je ne pouvais pas me résoudre à ce que cette histoire puisse être racontée par un autre. S’il n’en est pas question dans ce dossier, c’est qu’il m’apparaît malhonnête de parler de quelque chose que je ne connais pas. On m’a cependant dit beaucoup de bien de ce film. Des amis, qui enseignent dans divers cégeps du Québec, m’ont confirmé sa pertinence et le plaisir qu’ils ont eu à le présenter à leurs étudiants afin de comparer le langage cinématographique et littéraire. Un enseignant en musique au secondaire m’a même dit que la présentation du film dans ses classes, particulièrement la scène du duel, était un moment incontournable de son plan de cours. Je me suis promis de le voir, un jour, quand notre spectacle tirera à sa fin (on me l’a d’ailleurs gentiment offert en DVD, il attend patiemment dans ma bibliothèque). Mais comme ce jour n’est pas encore arrivé, je m’en remets à votre curiosité. Et puis, pensez-y, ce n’est pas tous les jours que vous pouvez comparer une histoire qui a trois vies : sur papier, sur scène et à l’écran. Alors, pas de fainéantise, vous avez la référence. Un petit clic et c’est réglé. Pour le reste, je vous lance quelques pistes comme autant de bouteilles à la mer. Non, plutôt comme un témoin dans une course à relais. Voilà qui est plus juste. Je peux maintenant vous souhaiter simplement : bonne lecture.

2 Alessandro Barrico, Ocean mer, Paris Albin Michel, 1998, p.182

3 Giuseppe Tornatore, La légende du pianiste sur l’océan [V.O. The legend of 1900],

scénario de Giuseppe Tornatore et Alessandro Baricco, Medusa film et Fine Line

Features, 1998, durée 125 min.

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« Un livre devrait être un geste »4

J’ai écrit ce texte pour un comédien, Eugenio Allegri, et un metteur en scène, Gabriele Vacis. Ils en ont fait un spectacle […]. Je ne sais pas si cela suffit pour dire que j’ai écrit un texte de théâtre ; en réalité, j’en doute. À le voir maintenant sous forme de livre, j’ai plutôt l’impression d’un texte qui serait à mi-chemin entre une vraie mise en scène et une histoire à lire à voix haute. Je ne crois pas qu’il y ait un nom pour des textes de ce genre. Peu importe. L’histoire me paraissait belle, et valoir la peine d’être racontée. J’ai bien l’idée que quelqu’un la lira.5

Il y a, dans ce court préambule écrit par l’auteur, une marque de sa démarche. L’important n’est pas nécessairement la remise en question de la facture dramatique de Novecento : pianiste, mais plutôt la façon dont il fait fi des considérations de genre pour en arriver à l’essentiel : « L’histoire me paraissait belle, et valoir la peine d’être racontée. Raconter, voilà bien le « geste » qui anime Baricco.

« Il n’est pas un romancier – c’est lui-même qui le dit – au sens où le romancier crée un univers avec des personnages stratifiés dans le temps, qui entrent en interaction réciproque et dont la psychologique personnelle évolue en fonction d’événements intérieurs ou extérieurs : il est un « narrateur », un conteur, quelqu’un qui ne peut s’empêcher de voir partout des histoires à raconter »6

Si l’on en croit le commentaire de Françoise Brun dans cette préface de Novecento : pianiste, l’urgence de raconter fonde l’œuvre de Baricco. Citant une interview de Baricco au Corriere della Sera en 2003, elle nous apprend que, même pour lui, « chaque

4 Dans la préface de l’édition Folio bilingue de Novecento : pianiste, paru à Paris aux

Éditions Gallimards, dans la collection Folio Bilingue (2006), p. 10, Françoise Brun, qui

signe la traduction de plusieurs textes de Baricco, nous apprend que cette phrase apparaît

en épigraphe, en français, dans le premier livre publié par Baricco en 1988: Il Genio in

fuga. La phrase est de Jacques Rigaut. 5 Alessandro Barrico, Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, collection folio, 2002,

p. 9 6 Alessandro Baricco, Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, Folio Bilingue, 2006, p.

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histoire est gardienne d’un espoir, que cette vie n’est pas seule, et que, si nous le voulions, nous pourrions avoir une existence différente.7 » Si ce leitmotiv anime l’histoire même de Novecento, avec cette phrase qui pourrait bien être la devise de l’auteur : « Tu n’es pas vraiment fichu, tant qu’il reste une bonne histoire et quelqu’un à qui la raconter.8 », il traverse aussi un autre roman. Comme le dit un personnage d’Océan mer dont le but est d’écrire une histoire qui « dirait » la mer : « il faut bien avoir une arme, quelque chose pour ne pas mourir dans le silence […]. Il y aura bien quelqu’un qui écoute. 9»

7 Ibid., p. 16

8 Alessandro Barrico, Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, collection folio, 2002,

p. 21 9 Alessandro Barrico, Ocean mer, Paris Albin Michel, 1998, p. 273

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La Scuola Holden Fondée en 1994 à Turin par Alessandro Baricco, la Scuola Holden est une école de création littéraire (techniche de narrazione). Son nom est inspiré d’un personnage célèbre de la littérature du XXe siècle, Holden Caulfield, le héros du roman L’attrape-cœurs de J.D. Salinger. Adolescent réfractaire aux méthodes d’enseignement traditionnelles, ce dernier à l’âge de 16 ans quitte l’école pour partir à la recherche de lui-même – un peu comme Tim, peut-être, qui à 17 ans s’embarque sur le Virginian où il pourra vivre de la seule chose qui l’intéresse dans la vie : jouer de la trompette.

Non seulement l’œuvre de Salinger fait écho au nom de l’école et, pourquoi pas, à certains personnages de Baricco, mais aussi à sa vision de l’éducation. Un simple survol du cursus scolaire disponible sur le site Internet de l’institution nous apprend que les méthodes d’enseignement y sont tout sauf traditionnelles. L’établissement se présente comme une école de Storytelling and Performing Arts10 (narration et arts de la scène). Sur le site, on peut lire qu’on y enseigne : « Acting, Crossmedia, Filmmaking, Real World, Scrivere and Series: because stories keep on changing shape, look and size. And we want to capture them all.11 » Dans un article sur Alessandro Baricco paru dans la revue Jeu12 en 2001, on précise que l’histoire littéraire est bannie de la Scuola, mais qu’on y lit des romans et qu’on y étudie d’autres formes d’expression (la BD, la publicité, le théâtre, la peinture, le sport). On travaille la narration orale et le rythme, surtout, car les gens qui écrivent ont souvent un mauvais rapport avec leur corps : « des exercices de contact, de concentration, de mémoire sensorielle, d’imagination, d’agilité verbale complètent cette formation qui n’est pas si éloignée de celle que reçoit l’étudiant en art dramatique. 13» L’enseignement se fait au contact de praticiens : « On apprend chez l’artisan, pas le théoricien.14 » Il se dégage donc une vision sensorielle et non strictement intellectuelle de l’art de raconter.

10

Le site est en italien et partiellement traduit en anglais. Afin de ne pas détourner le

sens, je conserverai la traduction anglaise.

http://www.scuolaholden.it/8950/chi-siamo/?lang=en 11

Id. Je vous offre ici une traduction personnelle : Jeu dramatique, communications,

cinéma, réalité, écriture et télésérie : parce que les histoires changent continuellement de

forme, d’apparence et de taille. Et nous voulons les capturer tous. 12

Brigitte Purkhardt, « Comme un noyau de silence au cœur d’une détonation », Jeu :

revue de théâtre, no 98, (1) 2001, p, 111-121 13

Ibid, p, 119. 14

Voir l’article de Jean-Baptiste Harang dans Libération, 13 février 1997, p.2

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Quelques éléments de vérité

Un bon récit, si surnaturel soit-il, repose avant tout sur du naturel, du réel. Il comporte du moins des éléments de vraisemblance. Lorsqu’il est question d’Alessandro Baricco, les histoires sont plus vraies qu’on pourrait le penser. À propos des parties qui ne le sont pas – comme celle du Sénateur Wilson, qui serait monté à bord du Virginian, en troisième classe, pour pouvoir entendre la musique de Novecento– l’auteur dirait sans doute, comme Tim : « Ça peut paraître absurde, mais ça aurait très bien pu arriver ».

Voici donc une liste d’éléments qui construisent l’assise réelle de l’histoire de Novecento.

Le contexte historique : L’histoire se déroule principalement pendant la période entre-deux-guerres, époque à laquelle plusieurs émigrants (dont environ 4 millions d’Italiens, sur une période de 20 ans) entreprendront la traversée de l’Atlantique dans l’espoir de trouverune vie meilleure en Amérique.

Le Virginian : Un bateau nommé Virginian a bel et bien existé. Il fait partie de la liste des navires ayant porté assistance au Titanic, dans la nuit du 14 avril 1912, lors du naufrage le plus célèbre de l’histoire de la marine. Construit en 1904, le paquebot n’aurait cependant pas pu voir naître un Novecento. 15

Le jazz : Musique métissée, alliant les cultures africaine et occidentale, le jazz apparaît au tournant du XXe siècle en Nouvelle-Orléans. Issue du croisement entre le blues, le ragtime et la musique européenne, cette « musique de nègre », seule véritable invention musicale de cette époque selon certains, ne ressemblait à rien de connu (« Quand tu ne sais pas ce que c’est, alors c’est du jazz16 »).

Jelly Roll Morton (1885-1941): D'origine créole et française, Jelly Roll Morton, de son vrai nom Ferdinand Joseph Lamothe, est un pianiste et chanteur de jazz américain. Entre 1922 et 1930, après les improvisations collectives de King Oliver

15

Vous pouvez d’ailleurs lire un compte-rendu des communications entre les deux

navires à l’adresse suivante: http://www.collectionscanada.gc.ca/sos/002028-119.01-

f.php?disaster_id_nbr=126&PHPSESSID=prousidugqso7n9oeg9urlb5c2 16

Alessandro Barrico, Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, collection folio, 2002,

p. 16

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et un peu avant les éblouissants soli de Louis Armstrong, il a fait plus que quiconque pour mettre en branle ce qu'on allait appeler le jazz. Reconnu pour son caractère hautain, dédaigneux, flamboyant, voire même exaspérant, il clamait haut et fort être l’inventeur du jazz. Sur ses cartes de visite, on pouvait lire « Inventor of Jazz » (« inventeur du jazz »), « Originator of Stomp and Swing » (« créateur du stomp et du swing »), « World's Greatest Hot Tune Writer » (« le plus grand auteur de morceaux hot au monde »). Plus de soixante ans après sa mort, bon nombre de critiques pensent désormais qu'il n'avait peut-être pas tort.

Novecento : Si le personnage décrit dans la pièce de Baricco n’a jamais existé, il s’inspire bel et bien d’une personne réelle, d’un pianiste devenu légende, d’un être « si exactement hors-normes […] qu’il semble avoir été inventé 17» : Glenn Gould !

Glenn Gould : le pianiste devenu légende

17

Écrit Baricco dans un article paru en1989, comme le souligne Françoise Brun dans la

préface de Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, Folio Bilingue, 2006, p. 23-24

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Archive de la presse

Né le 25 septembre 1932 à Toronto et mort le 4 octobre 1982 dans la même ville, Glenn Gould est un pianiste canadien acclamé en Europe et en Amérique. Dès l'âge de 3 ans, l'enfant se met à pianoter, assis sur les genoux de sa mère. À 5 ans, il peut jouer des musiques simples. Son apprentissage commence réellement à l'âge de 10 ans, lorsqu'il entre au Conservatoire de musique de Toronto, ville où il passera la majeure partie de sa vie. Les parents de Glenn Gould refusent d'en faire un enfant prodige que l'on met au piano pour impressionner voisins et amis ; son enfance est le contre-exemple de celle de Mozart, qui fut exhibé dès son plus jeune âge. De santé fragile, il va à l'école, où il ne tisse cependant pas de liens réels avec ses camarades. Ses affections vont plutôt aux animaux de la maison, ses poissons rouges et ses chiens. Le début de sa renommée internationale peut être daté de son célèbre enregistrement des Variations Goldberg de juin 1955 dans les studios CBS à New York. Son interprétation d'une rapidité et d'une clarté des voix hors du commun, et surtout hors des modes de l'époque, fera beaucoup pour son succès. Elle est restée une référence absolue depuis, et le disque fait d'ailleurs toujours partie des bonnes ventes du catalogue CBS/Sony.18

Génie précoce, il connaît un succès fulgurant jusqu’au moment où en 1964, il abandonne sa carrière de concertiste et renonce définitivement à se produire en public,

18

Voir la biographie de Glenn Gould disponible en ligne sur le site de Radio Canada:

http://ici.radio-canada.ca/radio2/classique/glenngould/bio_glenngould/index.asp?lang=fr

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préférant se consacrer aux enregistrements en studio et à la production d'émissions de radio pour Radio-Canada.

Comme Novecento qui choisit le lieu de son enferment, le bateau, Gould choisit le sien : les studios d’enregistrement, espace confiné, délimité, organisé, mais ouvert sur le monde entier et sur le futur, comme Novecento, dans sa prison flottante, s’ouvre au monde pour recevoir toutes les histoires que les passagers emportent avec eux.19

Selon l'étude du psychiatre américain Peter Oswald, reprise par S. Timothy Maloney, directeur de la division de la musique de la Bibliothèque Nationale du Canada, Glenn Gould aurait été atteint d'une forme d'autisme, le syndrome d'Asperger. Plusieurs points étayeraient cette thèse :

Disproportion des sens : hypersensibilité de l'ouïe, de la vue et du toucher doublée d'une insensibilité du goût et de l'odorat.

Routines vestimentaire et alimentaire, et répétition de codes, de rituels tout au long de sa vie. Il pouvait par exemple regarder quarante fois le même film ou écouter une suite de musiques pendant des mois. Il trempait toujours ses bras dans l'eau très chaude avant un concert, et refusait l'idée même de se séparer de sa chaise pliante sciée. Il mangeait le même repas (œuf brouillé, pain grillé, salade et biscuit) chaque jour.

Comportement social très difficile, et refus de l'interaction humaine au point de préférer la compagnie des animaux.

Attitude physique et répétition de gestes typiques de ce comportement. Manque de discernement (on a parlé à son sujet de manque de courtoisie),

doublé d'une incroyable faculté mémorielle. S. Timothy Maloney écrit : « Glenn Gould mérite notre profonde sympathie pour s'être si bien débrouillé, ainsi que notre profonde admiration pour avoir développé et mis en œuvre, face à l'incompréhension et à l'opprobre générales, tant de techniques pour s'en sortir sans l'intervention ni le soutien d'autrui. Indépendamment de ses réalisations professionnelles exceptionnelles, ses réalisations personnelles représentent un véritable triomphe de l'esprit ».20

19

Remarque de Françoise Brun dans la préface de Novecento : pianiste, op. cit., p.24. 20

Voir la section Théorie sur son comportement atypique dans l’article Wikipédia sur

Glenn Gould http://fr.wikipedia.org/wiki/Glenn_Gould

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L’infini et les limites Un « vertige effroyable devant la beauté du monde21 » parcourt l’imaginaire d’Alessandro Baricco. Une sorte d’angoisse devant l’infini, qui va bien au-delà de la simple agoraphobie, et qui engendre la nécessité de se trouver un ancrage, ou encore un système pour circonscrire le début et la fin du monde afin ne pas être englouti par le foisonnement inouï de l’univers. « On n’est pas fou quand on trouve un système qui nous sauve22 », dit Novecento à la fin de la pièce. Il y a quelque chose de tragique et de fascinant dans la façon dont Novecento reconnaît ses limites à jouir de toutes les possibilités que lui offre le monde :

Moi qui n’avais pas été capable de descendre de ce bateau, pour me sauver moi-même, je suis descendu de ma vie. Marche après marche. Et chaque marche était un désir. […] Les désirs déchiraient mon âme. J’aurais pu les vivre, mais j’y suis pas arrivé. Alors je les ai ensorcelés.23

Le tragique nait de la renonciation, mais n’est-ce pas là qu’un tragique apparent, d’où se dégage une beauté certaine, une beauté qui émerge du fait que le geste de Novecento n’est pas guidé par le désespoir ? « Ce n’est pas une autre manière, juste un peu plus légère, de mourir. […] C’est une manière de tout perdre, pour tout trouver24 », dit un personnage d’Océan mer. C’est un geste « génial », un choix, celui de circonscrire le monde en l’ensorcelant, un choix serein, qui semble lui permettre de rester en contact avec sa vie, avec cet autre univers infini qui sommeille en lui. C’est cette tension entre l’infini du monde et l'infini de l’être qu’il tente d’expliquer à Tim :

Imagine, maintenant : un piano. Les touches ont un début. Et les touches ont une fin. Toi, tu sais qu’il y en a quatre-vingt-huit, là-dessus, personne ne peut te rouler. Elles ne sont pas infinies, elles. Mais toi, tu es infini, et sur ces touches, la musique que tu peux jouer elle est infinie. […] Voilà ce qui me plaît. Ça, c’est quelque chose qu’on peut vivre. Mais si je monte sur cette passerelle et que devant moi se déroule un clavier de millions de touches […] Et si ce clavier est infini, alors sur ce clavier-là, il n’y a aucune musique que tu ne puisses jouer.25

21

Brigitte Purkhardt, « L’infini entre proue et poupe : Novecento », Jeu : revue de

théâtre, no 102, (1) 2002, p. 29 22

Alessandro Barrico, Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, collection folio, 2002,

p.79 23

Id. 24

Alessandro Baricco, Océan mer, op. cit., p. 202-203 25

Alessandro Barrico, Novecento : pianiste, op. cit., p.76-77

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Crédit Eva-Maude Champoux-Tardif

Cet ensorcellement que pratique Novecento, à l’instar de « tout créateur maître de son art, capable de jeter dans la tourmente l’ancre des sons, des couleurs, des formes, des mots, afin de résister à la dérive26 », est un leitmotiv fort important pour aborder l’univers de Baricco. Le génie, on pourrait aussi dire le bonheur, repose sur la reconnaissance des limites, comme le souligne le professeur Bartleboom dans Océan mer :

Vous savez, c’est génial cette idée que les jours finissent. C’est un système génial. Les jours et aussi les nuits. Cela paraît évident mais il y a du génie là-dedans. Et là où la nature décide de placer ses propres limites, le spectacle explose. […] Ce n’est pas facile de comprendre un coucher de soleil. Il a ses temps, ses dimensions, ses couleurs. […] le savant doit savoir en extraire l’essence, afin de pouvoir dire, ceci est un coucher de soleil, le coucher de soleil.27 »

En somme, le spectacle du monde n’est pas dans l’infini, mais dans ses limites, tout comme une bonne histoire à un début et une fin. Le bonheur, lui, reposerait sur la capacité que l’être humain a de reconnaître ces limites-là.

26

Brigitte Purkhardt, « L’infini entre proue et poupe : Novecento », op. cit., p.29 27

Alessandro Baricco, Océan mer, op. cit., p.44

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Références Œuvres Alessandro Barrico, Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, collection folio, 2002 Alessandro Baricco, Novecento : pianiste, Éditions Gallimards, Folio Bilingue, 2006 Alessandro Barrico, Ocean mer, Paris Albin Michel, 1998 Œuvre cinématographique Giuseppe Tornatore, La légende du pianiste sur l’océan [V.O. The legend of 1900],

scénario de Giuseppe Tornatore et Alessandro Baricco, Medusa film et Fine Line

Features, 1998, durée 125 min.

Articles Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier, Numéro 90, Hiver 2014, p. 51-57 Brigitte Purkhardt, « Comme un noyau de silence au cœur d’une détonation », Jeu : revue de théâtre, no 98, (1) 2001, p, 111-121 Brigitte Purkhardt, « L’infini entre proue et poupe : Novecento », Jeu : revue de théâtre, no 102, (1) 2002, p. 26-33 Liens La Scuola Holden, scuolaholden.it/8950/chi-siamo/?lang=en

Le Virginian, collectionscanada.gc.ca/sos/002028-119.01-

f.php?disaster_id_nbr=126&PHPSESSID=prousidugqso7n9oeg9urlb5c2

Glenn Gould, ici.radio-

canada.ca/radio2/classique/glenngould/bio_glenngould/index.asp?lang=fr

fr.wikipedia.org/wiki/Glenn_Gould

Remerciements Je tiens à remercier sincèrement Josée Desranleau et Aurélie Couture pour leur aide lors de la rédaction de ce dossier pédagogique. Vos commentaires pertinents et votre œil aiguisé de correctrices ont grandement contribué à l’amélioration de ce dernier.